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MEA ROUIA “Comment j’ai mangé mes frères...

par Julien CLEMENT


Développements ludiques et logistique :
Jean-Philippe “c’est pas cohérent” Palanchini
Fabien “Faudrait vous mettre d’accord” Hamm
& Philippe “J’ai encore un truc sympa pour...” Rat.

Les illustrations appartiennent à leurs auteurs respectifs.


Elles ont été trouvées sur Internet ou sont issues des archives
personnelles des intervenants.
Il n’y a ici aucune volonté mercantile de spolier les droits d’auteurs.

Maléfices est un jeu de rôle de Michel Gaudo et Guillaume Rohmer.


Ce scénario est non officiel. Visitez WWW.MALEFICES.COM

A nos chers héros ...............................................................................0 5

Acte I : Numbo ..................................................................................... 07


Sur la plage abandonnée .............................................................. 07
Chez Donne-au-vent ...................................................................... 10
Sur la “place centrale” de Numbo ............................................... 11
Chez Tellier .................................................................................... 12

Acte II : Conséquences ......................................................................... 13


Que faire ? ..................................................................................... 13
Numbo en ébullition ..................................................................... 13
L’expédition punitive .................................................................... 15
Au théâtre ce soir ..............................................................................17

Acte III : Second meurtre .................................................................... 19


Une facheuse habitude ................................................................. 19
Chaud débat à Numbo .................................................................. 20
Louise Michel ................................................................................ 21
Face à leur conscience ................................................................. 22

Acte IV : Mystères Kanak .................................................................... 24


Hors de Numbo .............................................................................. 24
La rencontre avec la Bao Païmé ................................................. 24
La rencontre avec Andia .............................................................. 27
La visite du village Kanak ........................................................... 29
Les vampires attaquent ! ............................................................. 35

Acte V : Dénouement ........................................................................... 37


Un peu de réflexion ...................................................................... 37
Les pistes ....................................................................................... 37

Contexte, Personnages & Aides de Jeu .............................................. 39

-3-
On n’est pas peu surpris de trouver, mêlés à l’âge de
pierre, quelques-uns des us et coutumes du moyen âge.

Les mots lier et délier, Kysourouley thignabout, sont


employés par les Canaques de l’’île des Pins dans le même
sens que nos aïeux. Les sorts jetés, les envoûtements au
cimetière, sont comme on les a vus en France au temps
d’Urbain Grandier.

La victime de l’envoûtement est mangée, c’est-à-dire


dépérit jusqu’à sa mort prochaine.
Louise Michel, Légendes et chants de gestes canaques, 1885

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A nos chers héros...
Si je vous dis, cher meneur, que pour ce nouveau de leur vie. Habitant Paris en 1871, ils ont tous
scénario vos joueurs vont devoir laisser au placard leurs été séduits par la tragique aventure de la
habituels personnages et en créer de nouveaux, je ne Commune, se donnant corps et âmes à la défense
vous surprend pas, n’est-ce pas ? En effet, il semble s’agir de leurs idéaux progressistes. Là, dans les comités
d’une tradition maléficieuse solidement établie ! Toutefois, puis sur les barricades, ils développent entre eux
vous admettrez sans peine que, dans le cadre de ce une indéfectible amitié.
scénario, nous ne pouvons absolument pas faire Arrêtés par les troupes « versaillaises » lors
autrement. de la Semaine sanglante qui met fin à l’expérience
Communarde, les personnages connaissent tous
Tout d’abord, la date. En effet, ce scénario se la même condamnation : la déportation en
déroule en 1878. Date inhabituellement précoce pour enceinte fortifiée. Direction la Nouvelle-
un scénario Maléfices bien que, dès l’origine, le jeu Calédonie ! Les personnages y débarquent en
prétende couvrir la période 1870-1914. Il faut néanmoins 1872 et y sont confinés sur la presqu’île Ducos
bien avouer que la plupart des scénarios couvrent plutôt avec de nombreux autres acteurs majeurs de la
la période de la Belle Époque vers 1900-1914. Il serait Commune tels Rochefort (qui néanmoins s’évade
par conséquent étonnant que vous ayez des personnages avant que ne débute ce scénario !) ou Louise
aptes à l’aventure pour la date qui nous intéresse. Michel. Sans parler des Kanaks* !

Ensuite, le lieu. Notre scénario, conformément au À Ducos, donc, les personnages tentent de
thème « La France et les colonies », se déroulera outre- reconstruire, dans des conditions bien précaires,
mer : en Nouvelle-Calédonie. Difficile d’imaginer en 1878 une nouvelle vie avec l’espoir, chevillé au corps,
un lieu plus lointain et inaccessible aux habituels d’être un jour autorisés à rentrer en Métropole.
personnages parisiens fréquentant les assemblées du Club
Pythagore ! Les joueurs sont libres, en concertation avec
le Meneur, de choisir l’occupation de leur
À ces contraintes de temps et de lieu s’ajoute personnage sur Ducos (voir contexte). Toutefois,
l’habituel problème du lien entre les personnages. Pour le Meneur devra veiller à ce que tous les
que le scénario fonctionne, nous avons besoin d’avoir personnages aient nécessité, pour cette activité,
sous la main des personnages qui, non seulement, se de résider au village de Numbo.
connaissent de longue date mais ont, qui plus est, De plus, au moins deux des personnages
développé entre eux des liens d’amitié solides, ainsi (par exemple ceux dont les joueurs n’ont pas
qu’avec quelques PNJ importants. d’idée ou d’envie particulière) devront travailler
à l’exploitation d’un certain Donne-au-vent
Enfin, pourquoi se le cacher ? Nous aimons nos
joueurs que nous avons soigneusement choisis pour Ce Donne-au-vent est un solide colon
toutes leurs qualités humaines (qui a dit : parce que ce australien d’origine irlandaise (en fait : Patrick
sont les seuls qui veulent bien jouer avec nous ?). Mais Donovan). Contrairement aux personnages, il est
parmi celles-ci, tous ne possèdent pas une grande libre, et l’administration pénitentiaire lui sous-traite
connaissance historique de notre période préférée et ne la fourniture en eau potable de toute la presqu’île
pensent donc pas toujours à doter leur personnage d’un : en effet, celle-ci ne comprend aucune source
contexte à la fois réaliste et original, n’est-ce pas ? d’eau potable. Il doit donc aller chercher, avec un
Alors, on va quelque peu leur forcer la main… chariot tiré par des boeufs, de pleines citernes
d’eau à Nouméa (15 km) et ensuite répartir les
Les choix du sexe, de l’âge (un personnage ayant rations d’eau entre les déportés et les différents
moins de 25 ans serait tout de même peu crédible dans services pénitentiaires de Ducos. Pour cela, il a
notre cas de figure), de la profession, des origines
familiales… sont laissés entièrement libres. * A propos du mot “kanak”, la règle habituelle en ce qui
concerne le terme « kanak » est de le laisser invariant quand
il est utilisé en adjectif. Seule son utilisation en nom propre
Par contre, les personnages partagent tous, sans pourra recevoir une marque du pluriel (les Kanaks). Ce sont
exception, la même histoire durant les 8 dernières années ces règles qui ont été adoptées dans ce scénario.
-5-
obtenu le droit d’employer (pour un salaire de misère, bien sûr) des déportés. Cela fait de cette modeste
concession une petite affaire plutôt rentable pour le colon.

Si vous souhaitez vous simplifier la tâche, vous pouvez aussi décider que tous les personnages seront
employés chez Donne-au-vent. Cela pose quelques problèmes de crédibilité car il est peu probable que des
femmes ou des vieillards soient employés à cette tâche physiquement pénible mais on peut imaginer que
Patrick Donovan a aussi besoin de personnel pour tenir à jour le registre des distributions ou ce genre de
choses…En tout cas, faîtes en sorte que les personnages ne s’éparpillent pas en occupations trop diverses afin
de pouvoir former deux groupes cohérents à l’Acte 1.

Notes pour le Meneur de Jeu


Les communards condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée, les “blindés”
furent internés dans la presqu’île Ducos près de Nouméa (ceux qui étaient condamnés à la déportation
simple furent envoyés à l’île des Pins au sud de la Grande Terre). Pourtant cette presqu’île n’a de l’enceinte
fortifiée que le nom. Gardée suivant le nombre des déportés et suivant la situation du moment par une ou
deux compagnies d’infanterie de marine, la presqu’île Ducos n’a pour toutes fortifications que la mer, un
chemin de ronde, quelques poteaux indicateurs délimitant le terrain de la déportation et une plate-forme
de 15 mètres carrés environ, armée d’une « pièce de 4 » de montagne.

Et les femmes ? Historiquement, les déportées sont toutes au camp de la baie de l’ouest, et ce
depuis un ordre de 1875 de la pénitentiaire, soucieuse de morale.
Cependant, il y a quelques autres femmes sur la presqu’île : les femmes de déportés venues rejoindre
leurs maris sont toutes dans le village de Tindu tout comme quelques orphelines envoyées sur l’île par
notre chère administration en 1874 dans le but avoué de favoriser les mariages locaux des colons. Les
femmes des gardiens et du personnel administratif se trouvent quand à elles à Numbo dans la zône réservée
aux gardiens. Enfin, il convient de citer aussi les 5 soeurs affectées à l’infirmerie du camp.
Pour les besoins du jeu (et parce que nous aimons plus que tout avoir des joueuses autour de notre
table !), nous ferons une entorse à l’Histoire en permettant aux déportées de rester à Numbo avec leurs
camarades masculins à condition qu’ils soient mariés. Il suffit de les affecter à la distribution de l’eau, mais
« après livraison » dans les structures où elles peuvent avoir une place, par exemple au dispensaire (en
tant « qu’infirmière » ou cuisinière, par exemple…).

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Acte I : Numbo
autour d’un petit feu de brindilles, ils vont savourer
Note pour le Meneur de Jeu un mauvais café et un peu de pain rassis en guise de
Dès ce début d’aventure, montrer la carte petit déjeuner. On parle peu autour du feu, car chacun
des lieux aux joueurs s’avère utile : en effet, a bien peu de nouvelles à raconter. Alors, on regarde
ils sont censés bien connaître la géographie la mer qui, elle non plus, ne change pas beaucoup,
locale, avec laquelle ils ont pu se familiariser, jour après jour, mais est au moins porteuse de rêves,
en quelque 7 années !… Voici en tout cas ce d’évasion pour certains audacieux, d’amnistie pour
que Louise Michel disant de Numbo : la plupart.
Dans ces austères conditions, il suffit de peu de
« La ville de Numbo se bâtissait, peu à peu, chose pour faire un événement notable. En cette
chaque nouvel arrivant ajoutant aux autres première matinée, notons en deux :
sa case de terre couverte de l’herbe des
brousses. Numbo, dans la vallée, avait la 1/ le petit groupe de personnages voit passer, le
forme d’un C, dont la pointe est était la prison, long de rivage, deux guerriers kanak, partiellement
la poste, la cantine ; la pointe ouest, une forêt habillés à l’occidentale (un chapeau, une chemise…)
sur les mamelons, couverts de plantes mais équipés des armes traditionnelles, et qui, sans
marines ; au milieu et tout le long des baies, dire un mot, passent près d’eux ; les personnages ne
de l’est à l’ouest, c’étaient des cases. » prennent pas peur car ils reconnaissent très vite deux
des Kanaks employés par l’administration
pénitentiaire ;
Sur la plage abandonnée…
2/ un des personnages (au choix du Meneur) a
En ce petit matin de Juillet 1878, tous les réussi à se procurer la veille au soir un exemplaire de
personnages se retrouvent pour sacrifier à un de ces ces petits journaux de peu de choses que les déportés
petits rituels de sociabilité sans lesquels la déportation réussissent à diffuser avec les moyens de bord, sous
leur serait très certainement encore plus insupportable. le regard méfiant de l’administration pénitentiaire ;
En effet, comme tous les matins, ces vieux amis se la lecture de ces rares nouvelles devrait animer
retrouvent sur le sable fin de la plage de Numbo où, quelque peu le petit déjeuner (voir annexe 1).

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Notes pour le Meneur de Jeu
En fait, le premier événement n’est pas vraiment inhabituel mais doit vous permettre de donner
aux joueurs un certain nombre de renseignements, notamment l’existence de tels supplétifs
indigènes employés par l’administration pénitentiaire, tout particulièrement pour poursuivre d’éventuels
évadés ; et donc, conséquence directe, la complexité des relations blancs/indigènes sur la
presqu’île… Précisez également que la tribu dont sont issus ces Kanaks « européanisés » a fini par
installer un véritable village kanak sur la presqu’île Ducos, au nord de Numbo.

Un petit déjeuner sur la plage ? Et pourquoi pas un buffet à volonté et un concours de Beach Volley ?
En effet, j’entends déjà quelques esprits chagrins reprocher à mon camp de déportés de ressembler
d’un peu trop près à un Club Med’, en à peine plus contraignant… et ils n’auront pas tout à fait tort !
Vous verrez en effet que durant tout le scénario les personnages, tout prisonniers qu’ils soient, auront
une grande liberté d’aller et venir à leur gré sur Ducos.
Pourquoi cela ? Tout d’abord, il ne faut pas oublier la situation d’exception que vos personnages
vont bientôt découvrir : dans le cadre de l’insurrection kanak, une étrange solidarité s’est
réellement et historiquement créée entre victimes et bourreaux, pour s’unir contre la menace immédiate
représentée par les guerriers d’Ataï… allant jusqu’au combat côte à côte, comme les joueurs pourront
l’expérimenter plus loin !
L’autre raison est purement ludique : pas très rigolo de simuler la vie dans un camp de déportation
en jeu de rôle ! Encore moins rigolo quand vous voulez, en plus, résoudre les énigmes posées par le
scénario…
Pour autant, le Meneur soucieux de rendre plus fidèlement l’ambiance oppressante du camp
pourra jouer sur plusieurs éléments typiques de ce genre d’endroit comme :

— des appels nombreux, pénibles et, si possible, inutilement matinaux (si vous avez fait votre service
militaire, vous voyez bien de quoi je veux parler…)

— ainsi que des gardes invariablement désagréables et brutaux, usant de la menace (pouvant aller
jusqu’à une bonne mise en joue…) et de l’invective comme ils respirent…

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Passé ce trop rare bon moment, le soleil étant pas avant que l’armée ait maté la révolte de Ataï et
déjà haut dans le ciel chargé de Ducos, les ses hommes. Ce qui donne, en « Donne-au-vent »
personnages doivent se rendre à leur poste de travail. dans le texte :
Par conséquent, sauf s’ils travaillent tous pour Donne- « Vont tous venir nous killer, ces sauvages.
au-vent, les personnages se séparent en deux Everybody ! Moi, je suis libre. Free, you know ? So,
groupes : l’un va directement chez Donne-au-vent ; bye-bye.. Et pour mon retour, I’ll be back ben…
l’autre, on le verra, s’arrêtera sur la « place centrale » quand l’army aura fait son job pour mater Altaï et
de Numbo. ses boys !… ».”

D’ici là, l’administration pénitentiaire devra se


Chez Donne-au-vent
débrouiller autrement pour l’approvisionnement en
eau de Ducos : la consommation en sera, très
Lorsque les personnages concernés arrivent sur
certainement, fortement rationnée. De plus, les
leur lieu de travail (voir plus haut qui est ce Donovan),
personnages viennent de perdre leur gagne-pain et
sans doute peu enthousiastes à l’idée de soulever
devront aller mendier ce dernier auprès de
quelques fameux bidons d’eau durant leur journée,
l’administration pénitentiaire, à moins de trouver un
ils ne peuvent qu’être interloqués par le spectacle
autre moyen de subsistance (inutile de préciser que le
inhabituel qui s’offre à leurs yeux.
code du travail sur Ducos est des plus sommaires !).
Au lieu de faire décharger, comme de coutume,
son vieux chariot tiré par deux ou quatre boeufs, le
On peut imaginer que, alors que le chariot
pittoresque Donne-au-vent est en train de beugler avec
brinquebalant de l’irlandais s’éloigne, les personnages
son très mauvais français, enrichi de quelques termes
se retrouvent dans l’embarras le plus profond : les
d’argots australien, sur les compagnons d’infortune des
voilà sans moyen de subsistance, avec la perspective
personnages, qu’il presse d’y charger des fûts vides,
d’être rationnés en eau potable et, peut-être, celle
des gamelles de métal, et quelques autres rares
moins réjouissante encore de se voir massacrés par
instruments nécessaires à son petit commerce. Les
quelques sauvages belliqueux !
personnages, tancés pour leur habituel retard, sont
sommés de les y aider sans attendre.
C’est alors qu’ils sont plongés dans de sombres
discussions sur leur avenir que les personnages voient
Une fois cela fait, Donne-au-vent grimpe sur son
arriver Simonin, le facteur de la presqu’île. L’homme,
chariot, se saisit des rênes et commence à fouetter ses
âgé d’une bonne cinquantaine d’années, est un
boeufs, direction plein est !
déporté comme eux mais, de l’avis général, il a une
place des plus avantageuses, tant l’arrivée de courrier
depuis la métropole est rare. Aujourd’hui, toutefois,
on devine à sa mine réjouie qu’il n’occupe pas sa
journée en longues promenades oisives, mais qu’il
possède quelques précieuses lettres à distribuer à ses
compagnons. Le facteur se dirigeant vers eux, les
personnages peuvent légitimement espérer des
nouvelles de leurs proches mais, hélas, ils doivent
déchanter lorsqu’il leur demande si leur compagnon
Tellier se trouve parmi eux.

Augustin Tellier, lui aussi déporté de la


Commune, est bel et bien un des collègues des
Il est encore temps pour les personnages
personnages, habituellement employé aux tâches les
d’obtenir quelques explications de la bouche de leur
plus pénibles de l’entreprise de Donne-au-vent, tant
employeur. Si aucun d’entre eux n’en prend l’initiative,
sa force physique est réputée. Tellier est aussi un de
un de leurs compagnons de travail le fera. Mi jurant,
leurs bons amis, avec lesquels il partage parfois le rituel
mi s’étranglant, Donne-au-vent réussit à faire
du petit déjeuner sur la plage ; en effet, il combattit
comprendre qu’il quitte Ducos pour se réfugier à la
autrefois à leurs côtés, sur les mêmes barricades
ville, Nouméa. Il craint trop pour sa sécurité et ses
parisiennes.
quelques biens pour rester ici, sur une terre isolée, et
Toutefois, ce matin, Tellier ne se trouvait ni sur
à proximité de laquelle vivent des Kanaks. Il ne sait
la plage (ce qui lui arrive souvent, car il vit un peu à
combien de temps durera son exil, mais il ne reviendra
- 10 -
l’écart du village) ni, de façon plus surprenante, à son Les autorités sont plutôt avares d’explications et
poste de travail. l’officier commandant la compagnie, monté sur son
cheval, finit par donner l’ordre de marche à la petite
Peut-être a-t-il été informé des plans de Donne- troupe qui, au pas cadencé, s’éloigne en direction de
au-vent et ainsi n’a-t-il pas jugé utile de se déplacer ? l’est.
D’autres, moins conciliants, pourront pointer la
fâcheuse habitude qu’a Augustin Tellier de s’enivrer Au même moment, un des fonctionnaires de
la nuit, dès qu’il peut mettre la main sur un peu l’administration pénitentiaire finit de placarder une
d’alcool… affiche qui donnera aux personnages les raisons de
ce remue-ménage (voir annexe 3).
Embêté de devoir ainsi courir à l’écart du village,
alors que tant de compagnons attendent avec On peut supposer que les informations qui s’y
impatience des nouvelles de leur famille, Simonin trouvent vont susciter un débat intense au sein du
demande aux personnages de bien vouloir remettre village et même entre les personnages sur la conduite
son unique lettre à Tellier dès qu’ils le verront. à tenir devant cette situation nouvelle.

Si les personnages refusent, le facteur se


montrera moins sympathique et fera d’abord
remarquer aux personnages qu’ils sont désormais
désœuvrés, et peuvent donc être réquisitionnés à toute
tâche, s’il les dénonce à l’administration pénitentiaire...

Note pour le Meneur de Jeu


Rassurez-vous, dans tous les cas, les joueurs,
impatients de voir l’intrigue véritablement
débuter, devraient avoir la puce à l’oreille
avec cette absence de Tellier et avoir envie
d’aller vérifier par eux-mêmes s’il n’est pas
arrivé quelque chose à leur compagnon.

Supposons donc que les personnages finissent


par accepter la lettre (voir annexe 2) et se mettent
doucement en route vers la case de Tellier. Pour cela
ils doivent passer par le centre du village où ils
retrouveront, le cas échéant, l’autre groupe.

Sur la « place centrale » de Numbo

L’autre groupe de personnages (s’il existe bien


sûr) n’aura pas, lui non plus, été très loin dans sa
tentative de rejoindre son poste de travail. En effet, les
distractions sont trop rares pour ne pas assister, toute
affaire cessante, à l’inhabituelle agitation qui s’est saisie
de l’espace dégagé de terre battue que l’on appelle
pompeusement la « place centrale ».

Un groupe assez important de soldats de


l’Infanterie de Marine (environ 80 hommes) y est
assemblé en tenue de combat. Les paquetages forment
une audacieuse pyramide, et les hommes inspectent
une dernière fois leur arme : bref, les soldats sont sur
le pied de guerre ! Autour d’eux, les déportés, peu
habitués à ces démonstrations de force, regardent la
scène d’un air mi-moqueur, mi-inquiet.
- 11 -
De plus, la tension doit être palpable, et certains Chez Tellier
compagnons d’infortune des personnages émettent à Pour se rendre chez Tellier, il faut donc s’écarter
voix haute des craintes sur leur survie face aux attaques quelque peu du village (voir plan). Ce n’est que
kanak redoutées ; Valletot par exemple, ancien l’affaire de quelques minutes de marche, mais ces
communard connu pour son intransigeance (voir quelques minutes suffisent à un déporté pour se sentir
PNJ), imagine un complot qu’il présente sans détour à l’écart de l’administration pénitentiaire. En
à ses camarades, juché sur une caisse en guise l’occurrence, ces quelques minutes peuvent aussi
d’estrade : suffire aux personnages à s’inquiéter de leur sécurité.
Toutefois, en raisonnant un peu, en pensant qu’il est
« Voyez compagnons ! Voyez le nouveau plan des presque impossible de s’enfuir de la presqu’île, ils
autorités versaillaises pour nous supprimer pourront se rassurer en concluant qu’il doit tout autant
définitivement sans se salir les mains ! Ah, que le coup être difficile d’y aborder…
est bien pensé ! Vous pensez bien, camarades, qu’en En arrivant devant la modeste case de Tellier,
retirant ces soldats de notre bagne, on le désigne aux les personnages ne distingueront ni mouvement, ni
assauts meurtriers des sauvages ! Mais nous ne nous bruit. Sans doute Augustin dort-il encore après une
laisserons pas faire, camarades, nous ne nous nuit de libations ? Hélas, en poussant le tissu déchiré
laisserons pas tuer sur place ! Nous allons leur et sale tenant lieu de porte d’entrée, ils voient se
montrer, à ces beaux messieurs, comment se bat un dessiner devant eux un tout autre scénario : Tellier
communard ! » . gît sur la terre battue de sa case, dans une horrible
mare de sang encore frais.
La tirade de Valletot suscite à la fois Le premier réflexe des personnages sera
applaudissements enflammés de certains et murmures certainement de vérifier s’ils peuvent encore faire
inquiets de désapprobation des autres… Au sein même quelque chose pour leur vieux compagnon… mais
de la communauté des anciens communards, la bien sûr, il est trop tard. L’affreux état dans lequel se
tension monte. trouve sa dépouille permet de juger de la violence de
l’assaut qu’il a subi :
C’est justement au cours de ce discours que les - sa poitrine, tout juste recouverte d’une chemise
personnages de l’autre groupe, attirés par l’agitation, ouverte et en lambeaux, est meurtrie par une
rejoignent les premiers (s’il n’y a qu’un seul groupe, plaie étroite mais profonde ;
ils arrivent un peu plus tôt pour assister au départ des - au -dessus du visage buriné et barbu de la
soldats et au début de la tirade de Valletot). victime, le crâne est fracassé et sa cervelle
Après s’être fait expliquer la situation et avoir partiellement étalée sur la terre battue où elle
échangé leurs premières impressions sur la situation, se mélange avec la flaque de sang ;
les personnages pourront judicieusement convenir - enfin, élément le plus stupéfiant, le bras droit
qu’ils n’ont rien de mieux à faire que de se rendre chez est sectionné… et manquant !
Tellier… ne serait-ce que pour le mettre au courant de Bref, sans être un fin limier, on peut conclure,
ces évènements. avec une infime marge d’erreur, à un meurtre !
- 12 -
Acte II : Conséquences
directement le fait des personnages ou qu’elle
Que faire ? provienne des autorités, aura l’effet d’une bombe au
sein de la petite communauté des déportés.
Par motivation réelle de leur personnage ou par
déformation ludique des joueurs, la première réaction Pour certains, à l’image de Valletot, c’est la
du groupe devrait être de faire une rapide enquête preuve que les rebelles kanak rôdent aux alentours
sur les lieux du crime. Ceux-ci n’apprennent pas de la presqu’île et attendent le moment propice pour
grand’chose : pas de trace de lutte, pas de traces de frapper. Tellier ne serait alors que le premier d’une
pas à l’extérieur mais par contre quelques gouttes de longue série d’inévitables victimes !
sang (qui ne forment pas pour autant une piste lisible),
un mobilier des plus sommaires (un trou dans la terre D’autres, moins enflammés et surtout plus intimes
battue pour quelques vêtements et une bassine avec la victime, avanceront une autre hypothèse ;
remplie d’ustensiles de cuisine) qui ne permet pas de ainsi, Balzenq (voir PNJ), une des personnalités
dissimuler le moindre indice… majeures de Ducos, évoquera un contentieux
qu’aurait eu Tellier avec Oundjo, un jeune Kanak
L’examen du corps, on l’a vu, est plus riche vivant au village « européanisé ». Mystérieux, Balzenq
d’éléments parlants. Un médecin pourra confirmer que ajoutera que ce dernier avait même de sérieuses
la mort a dû être donnée par un seul et habile coup raisons de lui en vouloir à mort et que cela devait,
d’une arme d’estoc, qui a causé la plaie profonde à la selon lui, de toute façon finir mal.
poitrine. Bref, tout cela dessine le scénario d’une
attaque soudaine, menée par un efficace guerrier En public, le vieux Balzenq, pour une fois sobre,
kanak reparti, pour une obscure raison, avec le bras ne voudra pas en dire plus « pour ne pas nuire à
droit de Tellier (les gouttes de sang à l’extérieur le l’honneur d’un vieux compagnon de la Commune ».
donnent à penser). Toutefois, en privé, les personnages, s’ils se montrent
prévenants avec « l’alchimiste » (pourquoi pas en lui
L’autre source de renseignements peut, bien sûr, achetant une ou deux bouteilles de son exécrable
être la lettre adressée à Tellier. Le pauvre n’en aura alcool de niaouli ? ; le niaouli est une plante
plus besoin désormais, et les personnages peuvent la caractéristique de Nouvelle-Calédonie), réussiront
lire sans dommage. C’est d’autant plus le cas que, facilement à lui en faire dire plus.
comme ils l’auront constaté dès le début, l’enveloppe
est ouverte et la lettre a déjà été lue par l’administration Selon lui, une vraie amitié s’était installée au fil
pénitentiaire (pratique courante). D’ailleurs, des des ans entre Tellier et le jeune Kanak. Leurs relations
personnages indélicats auront peut-être déjà profité tenaient à la fois du rapport père/fils et de Robinson et
des quelques minutes de marche en brousse pour lire Vendredi, mais les deux semblaient y trouver
discrètement celle-ci. Dans tous les cas, même si elle beaucoup de plaisir, apprenant l’un de l’autre…
contient une étourdissante nouvelle pour tous les
déportés, elle ne peut pas, à priori, expliquer le Jusqu’au jour où, — toujours d’après le vieil
meurtre (et à posteriori non plus d’ailleurs…). ivrogne — Tellier, tourmenté par le manque de femme
et le désespoir (et aussi, mais là Balzenq ne dira rien,
Ceci fait ou non, dans tous les cas, il est urgent par les vapeurs du poison que l’ « alchimiste » lui
de prévenir les autorités au plus vite : celles-ci ne sont fournit régulièrement), l’ancien communard tenta
guère étouffées par les scrupules, et les personnages d’abuser physiquement du jeune Kanak.
feraient de merveilleux suspects s’ils tardaient trop à
révéler le crime ! Celui-ci réussit à s’enfuir, mais il n’eut de cesse,
dès lors, de supprimer l’auteur de l’offense. Cela se
Numbo en ébullition passait il y a environ deux semaines, et c’est Tellier
lui-même qui a confié sa honte à son vieux
Dans tous les cas, une fois qu’ils seront revenus compagnon Balzenq (sous le serment du secret, bien
à Numbo, la révélation du crime, qu’elle soit entendu…).

- 13 -
Note pour le Meneur de Jeu Note pour le Meneur de Jeu
Tout ceci est l’exacte vérité et tient donc
lieu d’explication à ce qui s’est passé chez Vous aurez compris que, pour plusieurs
Tellier. raisons, les cas de conscience se
trouvent au cœur de ce scénario. Ah,
Quelle que soit la teneur du débat au sein de la quels délicieux moments que ces cas de
communauté des déportés, il va de soi que la tension y conscience rôlistiques ! Voici de véritables
est encore montée d’un cran. D’ailleurs, c’est d’un œil petites fractures dans l’interprétation des
des plus méfiants que les bagnards regardent, sans un joueurs : que doit faire ou penser mon
mot, les deux Kanaks supplétifs (les mêmes que le matin personnage placé devant un tel dilemme ?
sur la plage) traverser le village pour se rendre à la Les cas de conscience sont plus que des temps
caserne. Quand ils en ressortent, quelques minutes plus forts durant lesquels se joue le déroulement
tard, ils partent sans un regard vers leur propre village. du scénario, ce sont des moments où se joue
l’identité et l’épaisseur psychologique d’un
On peut supposer qu’ils ont discuté du cas délicat personnage.
du jeune Oundjo avec le capitaine Duroy, Le présent scénario vous donne, en fait, deux
responsable militaire de la presqu’île après le départ de cas de conscience pour le prix d’un.
son supérieur le matin même. Ce Duroy veut agir sans
tarder, et ainsi prouver sa capacité à administrer Ducos Ainsi, dès le début, les personnages,
en climat de crise. Il fait sonner le rassemblement devant tous anciens de la Commune, devront rejouer
la caserne et s’adresse, la voix pleine de tremolos, à la le cas de conscience historique que connurent
foule excitée des déportés. les déportés confrontés à la révolte des Kanaks
en 1878 : doivent-ils répondre à leurs
Il explique en substance que la mort de leur convictions politiques qui devraient les
camarade est limpide, qu’il connaît le coupable, que conduire à soutenir les opprimés que sont les
celui-ci n’a rien à voir avec les rebelles d’Ataï, et qu’il indigènes kanak ? Préféreront-ils répondre
va être châtié sans tarder pour empêcher toute « à leurs réflexes communautaires et jouer
contagion » de la violence sur la presqu’île. ainsi la carte de la solidarité avec les autres
Blancs, menacés par la fureur des cannibales
En conséquence de quoi, il décide sans tarder de ?
mettre sur pied une expédition punitive, qui devra
trouver le coupable et le punir. Étant donnée la situation À la fin du scénario, lorsqu’ils auront
exceptionnelle, le capitaine reprend à son compte les démêlé le vrai du faux, et qu’ils sauront avec
dispositions de l’administration pénitentiaire (voir quasi-certitude qui est le coupable des actes
affiche) et sollicite l’aide des déportés… donc aussi celle odieux commis sur la presqu’île Ducos, un
des personnages ! Selon leurs convictions, ceux-ci second cas de conscience devrait surgir :
peuvent donc : doivent-ils dénoncer leur abject
- se joindre à l’expédition punitive en compagnie compagnon aux autorités pénitentiaires
de quelques soldats ; ? Ne pas le dénoncer risque de faire retomber
- se porter volontaires pour assurer la surveillance la volonté de vengeance des colons sur les
du village, en remplacement de soldats Kanaks ; cela renvoie donc chaque
réquisitionnés pour l’expédition ; personnage à ses précédentes interrogations.
- ne rien faire (!), ce qui peut attirer sur eux le Mais, plus égoïstement, dénoncer le
mécontentement des autorités (cela sera coupable ne risque-t-il pas de jeter un
néanmoins beaucoup plus excusable pour un sérieux voile d’ombre sur l’ensemble
personnage féminin ou très âgé que pour un des déportés de la Commune ? Cela
solide gaillard en pleine force de l’âge !). tomberait vraiment mal au moment où la
Métropole commence à envisager une
Aux joueurs, donc, de décider du destin de leur amnistie générale !…
personnage !

- 14 -
L’expédition punitive Note pour le Meneur de Jeu
Le récit de cette expédition devra, bien entendu,
être adapté selon les décisions des joueurs Toutefois, Et si les personnages, volontaires pour
que les personnages y participent directement ou que l’expédition et donc armés, en profitaient
Valletot, qui lui y participe activement, leur en fasse le pour s’évader ?
récit détaillé au retour, cela ne change finalement pas
grand’chose aux informations suivantes… Quelle drôle d’idée vraiment !

En début d’après-midi, le capitaine Duroy prend La pénitentiaire n’est pas si inconsciente


la route qui mène, vers le nord, au village kanak, et ce : il est à peu près impossible de
avec une trentaine d’hommes : une douzaine de soldats s’évader de Ducos, fusils ou pas fusils.
et le reste composé de déportés volontaires et
sommairement armés. La tension, tout au long du Si les personnages tentent de forcer
chemin, est palpable pour différentes raisons : l’étroit passage où la presqu’île rejoint la
Grande Terre, ils devront prendre d’assaut
— quel va être l’accueil du village kanak ? des batteries d’artillerie (voir contexte) pour
finalement se retrouver dans les alentours de
— n’est-ce pas une diversion pour attaquer le village Nouméa, plus grande concentration de
affaibli ? militaires et de gendarmes de l’archipel !

— les déportés ne vont-ils pas utiliser leurs armes S’ils profitent de leur armement pour
sur les soldats (ou vice-versa) ? fausser compagnie au reste de l’expédition,
il ne reste alors que la mer comme porte de
Finalement, la petite troupe arrive au village kanak sortie…
et y est reçue par le vieux chef. Celui-ci, habillé de sa
plus belle redingote et d’un képi fourni par la Inutile de saisir cette occasion pour cela
pénitentiaire, fait bon accueil, avec ses guerriers, aux : les déportés peuvent à tout moment se jeter
soldats et aux déportés volontaires. dans la mer s’ils le souhaitent.
Précisons simplement que celle-ci
Après un rapide dialogue avec le capitaine, il grouille de requins, que les alentours de
désigne un endroit un peu à l’écart du village et la Ducos sont constellés d’îlots sur lesquels se
troupe, précédée des deux supplétifs de ce matin, fond trouvent des fortins ou des batteries
de façon implacable sur le repaire du fuyard. Lorsqu’il d’artillerie, et qu’en temps normal, un navire
voit, au loin, qu’il a été trahi par ses frères, il tente de de guerre patrouille dans le secteur !
s’enfuir dans les broussailles. La poursuite s’engage, mais
elle est inégale : un homme et ses armes blanches contre Il est donc vraiment impossible de
trente autres et leurs fusils ! s’évader ?
Non. Henri de Rochefort, le célèbre
Le jeune Kanak finit par s’écrouler, le corps criblé directeur du journal La Lanterne, réussit
de balles. Une nouvelle palabre s’engage entre le avec quelques compagnons ce tour de force
capitaine et les deux supplétifs ; elle semble cette fois-ci en 1874 !
concerner le corps du coupable… Finalement, il est Mais il faut préciser que Rochefort avait
décidé d’abandonner là la dépouille et de rentrer sans les moyens de financer un plan considérable
tarder au village, pour en réorganiser la défense. comprenant l’arrivée d’un navire venu
d’Australie pour prendre en charge les
En début de soirée, le retour des volontaires au fuyards…
village est triomphal. Valletot explique à qui veut
l’entendre qu’il n’a laissé à aucun « versaillais » le soin Ce n’est pas le cas pour les personnages
de venger leur compagnon et qu’il a lui-même de nos chers joueurs ? Dommage !!
administré le coup fatal. Personne, pas même les
personnages présents, ne pourra vraiment confirmer ce
fait, compte tenu du chaos de la poursuite.

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- 16 -
Notes pour le Meneur de Jeu
Au théâtre ce soir…
1/ Notre honnêteté légendaire, ainsi que
Malgré l’amertume de certains déportés (dont, le scrupuleux respect de l’Histoire que nous
peut-être, les personnages…), la soirée s’achève dans aimons trouver à Maléfices, nous amènent à
une certaine liesse. En effet, malgré le danger toujours vous signaler qu’historiquement parlant, le
présent, le capitaine Duroy décide d’accorder le droit théâtre de Numbo a été détruit par un cyclone
aux déportés, pour les remercier de leur collaboration, le 23 février 1876, sans mention de
de faire fonctionner ce soir leur théâtre. Car, oui : il y a reconstruction selon nos recherches. Mais ce
un théâtre à Ducos ! point de détail ne saurait nous empêcher
d’utiliser ici ce lieu très particulier et riche
Alors que la quasi-totalité des soldats et quelques d’atmosphère, qui de plus joue un rôle si
déportés volontaires renforcent la garde autour du important dans cette histoire…
village, tous les autres, personnages compris, se
retrouvent donc dans la petite salle de bois pour se 2/ Voici ce que dit Louise Michel, qui le
détendre mais aussi, plus ou moins consciemment, pour fréquentait régulièrement, de ce théâtre de
se replonger dans une ambiance plus occidentale. l’espoir dans ses Mémoires : « Au-dessus [de
Louis-Paul Morin, le déporté auto-désigné directeur Numbo], c’était le Théâtre, un véritable théâtre
du théâtre (voir PNJ), a choisi de faire jouer Hernani qui avait ses directeurs, ses acteurs, ses
de Victor Hugo. Ou plutôt, des fragments d’Hernani. machinistes ses décors, son comité de direction.
[…] Ce théâtre était un chef-d’œuvre, dans les
En effet, se faisant envoyer, feuillet par feuillet, le conditions où on se trouvait. On y jouait tout,
texte de la pièce par des amis restés en métropole, Morin drames, vaudevilles, opérettes. On y chanta un
n’a pu encore rassembler le texte intégral. Qu’à cela ne opéra par fragments, Robert le Diable ; on ne
tienne ! Les acteurs, recrutés parmi les déportés, liront l’avait pas complet. […] Il faut avouer que les
aux spectateurs des résumés des épisodes manquants ! jeunes premières avaient de grosses voix, les
mains dans la poche de leurs jupes comme si
Et puis, le plus important, pour les déportés soumis elles y cherchaient un cigare et que même ma
à cette vie rude, c’est de se rassembler autour d’un robe du conseil de guerre, qui était fort longue,
divertissement commun et raffiné. Ainsi, à l’entracte, les laissait leurs pieds à découvert jusqu’à la
personnages auront-ils le loisir de faire à nouveau le cheville, car c’étaient de grands jeunes gens. Ils
point sur la situation passée et présente avec quelques finirent par allonger leurs jupes et, à la fin, rien
personnalités du village : Balzenq, Valletot… Morin ne manquait aux costumes. On allait tous les
également qui, encore en costume de Don Ruy Gomez, dimanches au théâtre. “. Voir en “contexte” pour
se mêle aux spectateurs pour jauger du succès de la plus de détails.
pièce.
3/ Afin de permettre une description
Cet entracte pourrait même être l’occasion, pour rapide de la scène, je rappelle ici un très rapide
des personnages audacieux, d’approcher le capitaine résumé de ce qui se déroule dans cet acte final,
Duroy qui a décidé, avec quelques gardes du corps, le cinquième de la pièce.
d’honorer de sa présence la représentation, en signe La scène se déroule dans le palais de Jean
d’appréciation des efforts faits par les déportés d’Aragon. On y célèbre les noces de Jean
volontaires. d’Aragon et de Doña Sol. Alors que la fête
s’achève, on entend le son d’un cor. Un homme
Cela n’a rien d’obligatoire, mais éventuellement masqué (en fait Don Ruy Gomez) répète à
ils peuvent avoir déjà des doutes/révélations/demandes Hernani la promesse que celui-ci avait faite à
à soumettre à l’autorité de Ducos. C’est alors une Don Ruy Gomez. Doña Sol apparaît. Elle
occasion rêvée, qui ne se reproduira peut-être pas de supplie Don Ruy Gomez, qui ne veut rien
sitôt ! entendre. Elle arrache la fiole de poison que le
duc a donnée à Hernani et en boit la moitié.
Après cet entracte, tout ce petit monde retourne Hernani achève la fiole et les deux amants
s’asseoir sur les mauvais bancs du théâtre improvisé meurent dans les bras l’un de l’autre. Don Ruy
pour assister à l’acte final d’Hernani (fournit dans la Gomez, joué donc par Morin qui a retiré son
partie “contexte”) masque, se poignarde sur leurs cadavres.
- 17 -
Note pour le Meneur de Jeu

Attention ! Ce passage du théâtre peut vous paraître anecdotique mais il n’en est pas moins
aussi essentiel pour l’intrigue que délicat à mettre en scène. Il faut en effet que vous réussissiez, sans
trop insister afin de ne pas éveiller les soupçons de vos joueurs, à faire passer l’idée que les
acteurs disposent, pour les besoins de leur mise en scène d’une denrée rare dans le
village : une arme blanche !
En effet, pour éviter le ridicule d’une épée en bois, Morin a préféré remplacer, avec l’accord du
capitaine (qui leur a bien distribué des fusils le jour même…), le poignard de Don Ruy Gomez par une
vieille baïonnette dont le fer, bien réel, reflète les feux de la rampe et rend sa mort dans l’acte final
bien plus dramatique. Vous pourrez ainsi évoquer cette substitution d’arme non pas comme un élément
important en soi, mais plutôt comme un exemple parmi d’autres de la débrouille des déportés pour
mettre en scène, malgré tout, une véritable pièce avec costumes, décors… et accessoires. Pour ne pas
trop isoler cette description, vous pourriez, par exemple, parler également d’une conque remplaçant
le cor, etc. Bref, préparez cette scène un minimum !
Pour vous y aider, et ne serait-ce que pour le plaisir d’en déclamer quelques tirades, essayez de
vous procurer cette pièce : diverses versions peu onéreuses existent, et puis vous l’avez peut-être
même étudiée, il y a… longtemps ? En tout cas, ces versions comportent toutes des résumés des
actes, qui vous permettront même de donner une idée juste de la pièce à vos joueurs ! Sachez pour
clore ce chapitre que ce dont il est questions ici, c’est la toute fin de la pièce…

- 18 -
Acte III : Second Meurtre
La mine du vieux Balzenq en dit suffisamment long
Note pour le Meneur de Jeu pour qu’il ait nécessité de terminer sa phrase : il est
arrivé malheur à Valletot.
Rappel du contexte : “Les déportés (ou
« transportés ») vivent tous dans une case qu’ils
S’ils le désirent, Balzenq les conduit sans attendre
doivent le plus souvent bâtir eux-mêmes ; à cette
dans la case du pauvre homme, pour découvrir un
occasion, la solidarité entre bagnards joue à plein
triste spectacle, qui ne pourra que leur rappeler celui
et les plus expérimentés aident volontiers les
de la veille : allongé sur le sol de sa case (nettement
nouveaux arrivants. Il n’est pas rare de pouvoir
mieux agencée que celle de Tellier et un peu meublée),
également récupérer une case abandonnée par
Valletot y trempe dans une mare de son sang.
un déporté évadé, libéré… ou mort.
Plus troublants, certains faits accréditent tout
La prison ne sert que pour les déportés
particulièrement une filiation entre les deux meurtres :
punis et la certitude d’avoir un toit est un bien
Valletot a été frappé par une arme d’estoc à la poitrine,
maigre avantage pour ceux-là ! De toute façon,
son crâne a été ouvert et surtout… un de ses bras est
le bâtiment de l’administration pénitentiaire est
coupé et manquant !
petit et suffit à peine à abriter l’administration et
les gardiens ; ceux-ci évitent donc, tant que faire
Les personnages doivent tout de suite
se peut, d’y enfermer les déportés.”
comprendre, en observant leur camarade Balzenq,
visiblement très ému, que ce meurtre est très
impressionnant du fait de ses similitudes avec le
Une fâcheuse habitude…
précédent, dont il semblait pourtant que l’auteur ait
reçu un exemplaire châtiment…
Après une nuit des plus tranquilles, les
personnages rejoignent, les uns après les autres, le petit
Si les personnages réagissent promptement, ils
coin de plage où ils ont, comme on le sait désormais,
pourront toutefois, en inspectant un peu mieux les
l’habitude de se retrouver pour leur petit déjeuner.
lieux du crime, découvrir quelques différences
Seulement, ce matin, cela ne sera pas possible : arrivés
sensibles entre ce crime et le précédent :
à proximité de la plage, ils voient les fourrés remuer et
un soldat en sort, les mettant en joue.
- la blessure à la poitrine est beaucoup moins
« propre » que celle ayant entraîné la mort de
Visiblement rendu très nerveux par une nuit de
Tellier : elle semble être constituée de plusieurs
veille, le soldat les repousse très brutalement, n’hésitant
coups violents et répétés et non d’un seul ;
pas à distribuer quelques coups de crosse aux
personnages qui tenteraient d’argumenter : il aboie
- si la boîte crânienne de Valletot a bien été
quelques explications sur les mesures de sécurité
enfoncée, sa cervelle n’a pas, elle, été répandue
draconiennes mais il n’oublie pas d’y mêler quelques
sur le sol ;
allusions pleines de ressentiment au nouveau statut
des déportés (notamment le fait qu’ils puissent recevoir
- c’est le bras gauche et non le droit qui est
des armes) ou encore au théâtre : « Pendant que ces
manquant ;
messieurs(-dames) les Communards se prélassaient au
spectacle, je surveillais ces foutus cannibales, moi !
- un drôle d’objet a été laissé sur la poitrine
J’y ai pas eu droit, à l’air d’Annie ! Et pourtant, moi
ensanglantée de la victime : une sorte de touffe
aussi j’aime l’opérette ! ».
de poils roux visiblement assemblée par la
main de l’homme…
Privés de déjeuner et de leur traditionnelle
escapade sur la plage, les personnages reviennent,
Les personnages n’auront pas vraiment le temps
maussades, vers le centre de Numbo. C’est alors que
de se livrer à une fouille complète de la case de Valletot
leur ami Balzenq, très agité, accourt vers eux :
avant que les autorités n’arrivent, mais le mobilier
« Camarades ! C’est terrible… Valletot… ils l’ont… ».

- 19 -
sommaire ne semble pas, là non plus, devoir livrer - enfin, menée par Balzenq et quelques autres
beaucoup d’indices. déportés, une autre thèse, plus farfelue au
premier abord se fait jour ; qui en voulait à
Chaud débat à Numbo Valletot ? Quelqu’un lié au Kanak
Oundjo ! comment a-t-il pu pénétrer et
Au bout de quelques minutes, le capitaine ressortir du village ? Par des moyens
Duroy et quelques soldats en armes font irruption dans surnaturels, dont les étrangetés du meurtre
la case et en font sortir les intrus sans ménagement, (bras manquant, touffe de poils…) sont des
distribuant là aussi quelques coups de crosse aux preuves assez évidentes ! Il s’agirait donc
récalcitrants, de manière à leur faire bien comprendre d’un ami de Oundjo ou même de son
qu’ils ne doivent pas sortir de leur rang. fantôme, ayant bénéficié de l’aide d’un
takata ! Malgré son aspect « abracadabrantes
Maintenant en dehors des lieux du crime, les que », cette thèse a de quoi séduire des
déportés, assemblés autour de la case de la victime, hommes qui, rappelons-le, vivent depuis des
ne peuvent que parler entre eux pour exorciser leurs années dans un environnement culturel très
peurs. Et pour causer, ça cause ! Toutes sortes de différent du leur, et depuis quelques jours dans
théories s’affrontent pour analyser la situation. Pour une tension nerveuse permanente. Est-il besoin
simplifier, retenons les trois principales : d’ajouter que, de plus, on est là pour jouer à
Maléfices, que Diable !
- une majorité des déportés (dont Morin, par
exemple) incline à penser qu’il s’agit là d’un
meurtre perpétré par un ou plusieurs Note pour le Meneur de Jeu
guerriers kanak, pour les uns venant du Les personnages, selon leur Spiritualité/
village proche, pour les autres débarqués dans Ouverture d’esprit, devraient donc incliner soit
la nuit sous les ordres du cher Ataï ; sous son vers la deuxième (logique), soit vers la troisième
aspect assez logique, cette thèse possède (maléficieuse !) hypothèse. Essayez (par
pourtant bien des failles : comment ces exemple, en faisant soulever les objections par
Kanaks auraient-ils réussi à passer à travers le un déporté cartésien) de les écarter de la
cordon de sécurité des vigies ? Pourquoi première hypothèse.
auraient-ils frappé le seul Valletot avant de
s’éclipser, alors que le village endormi était à Celle-ci étant l’hypothèse retenue
leur merci ? Malgré tout, faute de mieux, cela par une majorité de déportés et, surtout,
restera pour la plupart des observateurs la par les autorités, il est important, pour
meilleure hypothèse… l’intérêt du scénario que les personnages
s’en distinguent (sinon ils n’auraient qu’à
- compte-tenu des objections à la première suivre le mouvement…).
hypothèse, il semblerait au contraire
raisonnable de penser que le meurtrier se
trouvait déjà à l’intérieur du village et Après être ressorti de la case de Valletot, le
qu’il en voulait tout particulièrement à capitaine Duroy, le visage rougi par la colère (ou la
Valletot ; dans ces conditions, puisque les honte ?), s’adresse sur un ton agressif aux déportés.
supplétifs kanak vont toujours passer la nuit Sa harangue est très nettement dirigée contre les
dans leur village, il ne peut s’agir que d’un Kanaks, accusés sans détour d’avoir commis ce
soldat… ou d’un autre déporté ! Les deuxième crime effroyable. Quels Kanaks ?
objections sont possibles : le manque
d’armes blanches dans le village, l’absence Il semble que cela importe peu au capitaine :
d’ennemi déclaré à Valletot… mais elles des Kanaks, et puis c’est tout ! Que ce soient ceux de
n’empêchent pas de rendre cette thèse Ataï ou ceux du village proche, dans tous les cas, aux
hautement probable (et pour cause…) ; yeux du capitaine, il s’agit de la même engeance, qui
toutefois, notons bien que personne, en- mérite « une bonne correction pour l’exemple » ;
dehors, bien sûr, de personnages à large ainsi, si ce ne sont pas les véritables Kanaks qui sont
Ouverture d’Esprit, ne soulèvera cette punis, les autres sauront ce qui les attend…
hypothèse dans un premier temps…

- 20 -
brute réactionnaire, veut encore vous amener à
Note pour le Meneur de Jeu renoncer à tous vos idéaux, à toute votre humanité,
même ?
Notons bien que le capitaine Duroy se
contrefiche totalement du sort de Valletot, qui
On me parle de nos amis kanak de Ducos. Êtes-
n’est à ces yeux qu’un vulgaire communard et a
vous devenus fous ? Même hier, ces pauvres gens
donc, en tant que tel, largement mérité son sort.
ont aidé l’expédition contre leur frère ! On me parle
de Kanaks rebelles, menés par le chef Ataï. Certains
Par contre, que l’on vienne remettre en
disent qu’ils pourraient nous attaquer… Je vais vous
cause par ce crime sa capacité à défendre Ducos,
parler sincèrement, camarades. Oui, des guerriers de
lui est insupportable, et il veut absolument, pour
Ataï sont venus à Ducos (sensation dans l’assistance).
reprendre sa belle autorité, organiser à tout prix
Mais vous me voyez devant vous, n’est-ce pas ? Alors,
une nouvelle expédition punitive. C’est aussi
si ces guerriers étaient de si redoutables sauvages,
pour cela que les personnages auront des
croyez-vous qu’ils auraient épargné les femmes sans
difficultés à « enquêter » à Numbo même (voir
défense de la baie de l’ouest ? Et dire que certains
ci-dessous).
d’entre vous sont prêts à reprendre les armes contre
eux !…
À la fin de son discours, le capitaine laisse donc
entendre qu’une expédition punitive d’envergure va
Comment, vous n’êtes pas avec eux, vous les
être à nouveau mise sur pied dans la journée. Il laisse
victimes de la réaction, vous qui souffrez de
quelques heures aux déportés pour décider ceux qui
l’oppression et de l’injustice ! Est-ce que ce ne sont
se porteront ou non volontaires puis s’en va, déjà tout
point vos frères ? Eux aussi luttent pour leur
à ses préparatifs guerriers…
indépendance, pour leur vie, pour leur liberté. Moi,
je suis avec eux, comme j’étais avec le peuple de
Louise Michel Paris révolté, écrasé et vaincu ! »

Alors que le débat — auquel, on peut l’espérer, Note pour le Meneur de Jeu
les personnages participent activement — fait rage sur
la place centrale pour décider de la conduite à adopter, La tirade de ce dernier paragraphe est
une fine silhouette silencieuse, presque une apparition, réellement attribuée à Louise Michel par Ernest
impose le silence : c’est Louise Michel. La célèbre GIRAULT, son biographe.
co-détenue des personnages était jusqu’ici restée à
l’écart des événements, car elle réside dans un Le capitaine Duroy, rouge et le souffle court,
minuscule établissement à l’ouest de Ducos (voir PNJ). débouche alors sur la place, accompagné de quatre
Mais, ce matin, elle s’était décidée à se rendre à Numbo soldats en armes :
pour s’informer de la situation et, en arrivant, elle apprit
également le second meurtre… et la proposition du « Taisez-vous, Michel ! Mais taisez-vous donc ! Je
capitaine Duroy. vous materai moi, vous verrez ! Descendez de là
immédiatement ! (au reste de l’assistance) Et vous
Fidèle à sa réputation, la « vierge rouge » autres, dispersez-vous ! Vous n’avez donc rien d’autre
grimpe sur le premier objet pouvant lui donner un peu à faire ? (il revient à Louise avec un sourire mauvais).
de hauteur et, de sa voix émouvante, s’adresse à Puisque vous aimez les Kanaks, fille Michel, je vais
l’assemblée : vous donner l’occasion d’en côtoyer de près.

« Camarades, mes amis. Je viens d’apprendre le Ces quatre soldats vont vous raccompagner
nouveau drame qui nous touche durement dans notre jusqu’à la baie de l’ouest, et vous avez instruction d’y
misérable exil. Je partage, camarades, votre rage et demeurer jusqu’à nouvel ordre. Je ne peux laisser
votre malheur : les deux victimes comptaient au des soldats vous surveiller par les temps qui courent,
nombre de mes amis. Mais qu’apprends-je ? Une mais je vous promets que, si l’un d’eux vous voit en
expédition punitive, dans la pire des traditions dehors de votre case, il aura ordre de vous abattre
« versaillaises » a été menée hier contre un indigène, sans sommation. Vous m’avez bien compris, Michel ?
que le meurtre de ce matin semble finalement Cela vous laissera tout loisir de recevoir tous les
innocenter. Et vous, mes amis, vous y avez participé ? Kanaks que vous souhaitez… »
Et qu’entends-je encore ce matin ? Le capitaine, cette

- 21 -
Après s’être rengorgé, il s’adresse rudement au - pour les personnages à forte Ouverture
reste de ses hommes, suffisamment fort pour qu’un d’Esprit et étant capables de raisonnement, il
des personnages ou un autre déporté resté à proximité ne fait pas de doute que les Kanaks sont
puisse entendre : innocents du crime de Valletot (et peut-être,
pourquoi pas ?, de celui de Tellier) ; pourtant,
« Si cette diablesse a raison, il nous faut changer nos selon toute vraisemblance, ceux-ci vont payer
plans. Je reporte l’expédition. L’urgence est au cher leur différence culturelle et leur soumission
renforcement de la sécurité du village en cas d’attaque à l’autorité coloniale…
de Ataï… »
- pour les personnages à forte Spiritualité,
il semble probable que ces affaires plongent
Note pour le Meneur de Jeu Note
leurs pourdans
racines le Meneur de Jeumystères
les plus profonds
kanak ; un tel appel d’un merveilleux exotique
Nous avons signalé dans le contexte que est, pour eux, difficile à contenir ;
les autres femmes sont toutes regroupées au
camp de la baie de l’ouest… et surtout séparées - quel que soit le fin mot de l’histoire (drame
des hommes ! fantastique ou crime sordide), il est certain que
L’ordre fut ardemment combattu par le capitaine Duroy se prépare à commettre une
certaines femmes, dont Louise Michel, mais fut colossale erreur ; réussir à l’arrêter à temps,
néanmoins exécuté. On pourrait ajouter que le avec de solides arguments, pourrait permettre
nombre de femmes est très peu élevé sur aux personnages de mettre leur bonne volonté
Ducos : 6 en tout et pour tout ! et leur probité en avant, avec l’espoir réel
On comprendra donc que le manque de d’obtenir un adoucissement de leur peine,
femmes disponibles et une homosexualité mal voire une grâce ;
assumée soient au cœur de cette intrigue.
- si Louise Michel dit vrai sur les guerriers kanak
de Ataï, elle et ses camarades de la baie de
Face à leur conscience l’ouest sont à leur merci ;

Alors qu’ils voient d’une part Louise Michel - en tout état de cause, Louise semble en savoir
s’éloigner entre quatre soldats deux fois plus corpulents long sur les Kanaks : elle a des informations
qu’elle et, à l’opposé, le capitaine Duroy remonter vers totalement inédites sur les guerriers de Ataï ;
le camp militaire, les personnages se retrouvent entre
eux, désoeuvrés et sentant que la situation, déjà - il est de notoriété publique (Balzenq pourra le
dramatique, va bientôt basculer dans l’horreur. rappeler aux personnages) que Louise, en
contact régulier avec les indigènes, a
Faisons avec eux un petit point sur les réflexions commencé à rédiger un recueil sur les légendes
que, selon les informations disponibles, ils peuvent kanak ; à part un Kanak lui-même, elle est la
rassembler : seule personne pouvant les renseigner sur les
mystères kanak ;
- il n’entre visiblement pas dans les intentions
du capitaine Duroy ou de l’administration Aux personnages de tirer ces conclusions sur la
pénitentiaire d’enquêter sur la mort de leur situation, et de comprendre que seul leur
camarade Valletot ; investissement personnel pourra changer le cours
d’une histoire à l’issue par trop cousue de fil blanc.
- en l’absence d’une telle enquête, la tension et
la suspicion au sein de la communauté des Bref, l’avenir repose désormais sur leurs épaules
déportés est à son paroxysme : certains et, pour différentes raisons (état de siège à l’intérieur
soupçonnent les autres, d’autres reprochent du village, Louise Michel, les Kanaks…), cet avenir
aux uns d’avoir participé à l’expédition ne peut que se dérouler en dehors de Numbo.
punitive, les derniers reprochent aux premiers
de n’avoir rien fait… bref, les « camarades »
se déchirent ;

- 22 -
- 23 -
Acte IV : Mystères Kanak
Alors qu’ils cheminent plus ou moins
Hors de Numbo tranquillement (selon que l’on soit la nuit ou pas, selon
que les personnages soient sur leurs gardes ou pas…),
Compte tenu des possibles sources d’information les personnages tombent quasiment nez à nez avec
(village kanak, Louise Michel…), les personnages une colonne de Kanaks sur le pied de guerre :
doivent donc avoir compris qu’il leur faut désormais peintures, coiffes impressionnantes, étuis péniens,
partir à l’aventure en sortant de Numbo où il règne, sagaies et casses têtes… Pas de doute, il ne s’agit pas
qui plus est, une ambiance martiale peu propice aux ici de Kanaks européanisés et pacifiques !
investigations.
De fait, la surprise passée, les guerriers se mettent
S’échapper temporairement du village pour en tête de faire passer un mauvais moment aux intrus
s’aventurer dans le reste de la presqu’île ne présente blancs. Devant cette attaque décidée, il est plus que
aucune difficulté : les tâches habituelles des déportés probable que les personnages, en dehors de quelques
sont suspendues, les soldats ont bien d’autres choses coups de feu s’ils sont armés, pensent plus à fuir qu’à
à faire que de s’inquiéter des personnages et, enfin, le résister.
cordon de sécurité autour de Numbo est prévu pour
empêcher les Kanaks d’entrer… pas les déportés de Note pour le Meneur de Jeu
sortir ! Il suffira donc que les personnages aient
l’intelligence de franchir ce cordon de vigies plutôt de Il s’agit bien, ici, d’hommes du grand chef
nuit et à un endroit où un de leurs camarades déportés rebelle, Ataï. Ceux-ci remplissent la double
s’est porté volontaire, et cela ne posera pas de mission d’accompagner Andia auprès de
problème (sinon, à nouveau quelques coups de Louise Michel (voir ci-dessous) et d’étudier les
crosse…). défenses des blancs sur la presqu’île. Leur
Note pour le Meneur de Jeu fonction dans ce scénario est également double :
il s’agit d’une part de faire monter la tension sur
Ce quatrième acte est dès lors beaucoup la presqu’île en confirmant leur présence et leurs
moins linéaire que les précédents. Les joueurs velléités belliqueuses et, dans l’immédiat, il s’agit
sont libres de faire agir leurs personnages de faire peur aux personnages et de les forcer à
comme ils l’entendent et vous devrez donc se réfugier dans la forêt…
organiser par vous-même le déroulement des
évènements ci-dessous selon leurs actions, mais Quelle que soit l’heure réelle, plus les personnages
aussi selon le rythme que vous souhaitez s’enfoncent dans la forêt, plus ils auront l’étrange
imprimer au scénario. Pour plus de facilité, sensation de voir la nuit tomber. Si on est en plein
l’ensemble des informations liées à ce quatrième jour, les personnages ayant une forte Ouverture
acte et la manière de les obtenir sont récapitulées d’Esprit préféreront penser qu’il s’agit d’un gros orage
en annexe dans un tableau que vous garderez tropical qui s’annonce.
à ce moment sous les yeux et que vous pourrez
annoter au fur et à mesure de la progression Au bout d’un certain temps, totalement épuisés et
des joueurs (cf. annexe 4). apeurés, les personnages pourront penser avoir réussi
à échapper à leurs poursuivants. C’est alors qu’ils
commencent à discuter de la meilleure conduite à tenir
La rencontre avec le Bao Païmé que surgit devant eux, sans un bruit… un guerrier
kanak !
Pour que cette rencontre ait lieu, les personnages
doivent s’aventurer le long d’une des côtes, à Grand, puissant, le corps recouvert de cendre formant
proximité de la forêt ; le moment où les personnages de mystérieux symboles sur sa peau d’ébène, le Kanak
tentent de se rendre au campement de Louise Michel semble très différent des guerriers auxquels les
à la baie de l’ouest ou celui où ils en reviennent est personnages viennent d’échapper. Pourtant, lui aussi
idéal. porte les armes traditionnelles et la tenue de combat

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mais il n’a pas l’air agressif. Au contraire même… Sa Toujours sans une parole, le Kanak fait signe aux
présence silencieuse est assez lénifiante aux yeux des personnages de le suivre et commence à s’enfoncer
personnages ayant une forte Spiritualité. dans l’obscurité de la forêt. Perdus, il est fort probable
que les personnages acceptent de suivre ce Kanak
Note pour le Meneur de Jeu pacifique qu’ils assimileront sans doute à un de ces
Kanaks européanisés (bien qu’il n’en ait guère
Comme ce sera le cas tout au long de cette l’allure !) qui peuplent Ducos.
plongée dans les mystères kanak, les
personnages européens ne pourront jamais être Note pour le Meneur de Jeu
complètement sûrs de ce qu’ils ont vécu :
expérience spirituelle, ou simple confrontation Si les personnages refusent de le suivre,
inattendue avec une culture radicalement vous ferez jouer un jet de Spiritualité. Les
différente ? Entre nous, nous pouvons bien en personnages réussissant ce test seront
convenir, cher Meneur : ici, les personnages irrésistiblement attirés par l’invitation de Païmé.
vont être confrontés à un Bao, un être
surnaturel que l’on peut, dans notre langage Après quelques minutes de marche dans une
d’européens, assimiler à une divinité. Qui plus forêt toujours plus dense et toujours plus obscure, les
est, ce Bao, Païmé, est un Bao de la Mort ! personnages, à la suite du mystérieux guerrier, finissent
Autant dire que, quoi que fassent les par déboucher sur une clairière éclairée par quelques
personnages, (tirer, frapper…), le Bao sera torchères disposées de loin en loin, clairière traversée
toujours inexplicablement sauvé (esquive par un étroit ruisseau qui disparaît très vite dans les
miraculeuse, parade…). De plus, il ne tirera fourrés.
aucune rancœur de ces actes violents, et la
rencontre se poursuivra normalement… Le spectacle offert par cette clairière est tout à
fait saisissant : le sol en est tout simplement jonché

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de crânes, tibias et autres ossements indiscutablement Enfin, après avoir parlé, si les personnages
humains ! posent ou reposent la première question, il leur
indiquera le ruisseau et la direction qu’il faut suivre :
De plus, les personnages seront très vite attirés en le longeant, les personnages devraient, selon les
par le bruit étrange qui, partout, les environne : cloc, mots du Kanak, « trouver leur destin ». Après avoir
cloc ; cloc, cloc. En levant les yeux et en laissant leur dit cela d’une voix grave et sans humour, le Kanak
regard s’acclimater à la demi- pénombre, les traverse la clairière, et disparaît très vite dans la noirceur
personnages ne manqueront pas d’en identifier la de la forêt : il est rigoureusement impossible de le
source : le vent qui souffle depuis la mer proche agite suivre.
les branches des arbres de la clairière, et fait par
conséquent s’entrechoquer les dizaines de squelettes Si les personnages suivent le ruisseau dans le
humains qui y sont accrochés ! sens désigné, ils trouveront en effet une sorte de sente,
grâce à laquelle ils peuvent progresser à une allure
raisonnable dans la forêt tropicale. Toutefois, deux
Note pour le Meneur de Jeu choses pourraient interloquer des personnages
attentifs :
Un jet de Fluide réussi par vos soins,
dans le plus grand secret, permettra d’avertir
- à la grâce des rayons de la lune, ils peuvent
le personnage en question qu’il ressent une
espérer apercevoir dans le ruisseau, flottant
puissante présence magique.
entre deux eaux, de temps en temps un crâne,
de temps en temps un autre ossement
Pendant que les personnages s’habituent au humain… bref, un ruisseau peu engageant.
spectacle de ce cimetière kanak, le guerrier cendré s’est Surtout qu’incontestablement, plus les
lui confortablement installé, accroupi sur ses talons, personnages avancent, plus le nombre
au milieu de la clairière. Il regarde les personnages d’ossements est élevé… alors même que l’on
d’un air plutôt narquois et semble attendre qu’ils disent s’éloigne du cimetière !?
ou fassent quelque chose. Comprenant par la force
des choses qu’ils doivent briser la glace, que peuvent - surtout, un joueur doté d’une bonne mémoire
dire nos personnages ? On peut supposer deux types ne manquera pas de faire remarquer par son
de questions : personnage qu’il n’est pas sensé y avoir le
moindre cours d’eau potable sur la presqu’île
- d’abord la plus logique : comment peuvent-ils Ducos. Ses camarades lui rétorqueront peut-
retrouver leur chemin ? être que cette eau macabre n’est à coup sûr pas
potable, il n’empêche que cela reste
- mais s’ils comprennent qu’ils ont affaire à un troublant…
personnage plutôt familier des choses de la mort —
mais où vont-ils chercher tout ça !? —, les De fait, ce ruisseau n’existe pas ! Il ne s’agit
personnages pourraient aussi questionner le Kanak sur que d’une hallucination collective symbolisant, comme
les rites mortuaires, la cannibalisme, les revenants… dans bien des mythologies, le fleuve qui conduit au
royaume des morts. En langue kanak, on appelle celui-
À la première question, le Bao Païmé ne ci le Ti Ondoué. Sur ce point, Païmé n’a donc pas
répondra d’abord rien, se contentant de lever les yeux menti : il conduit les personnages vers leur destin à
au ciel, laissant les personnages se demander s’il les tous ! Mais sans doute nos personnages préféreraient-
nargue ou s’il les invite à méditer sur les squelettes ils que ce destin soit le plus lointain possible, n’est-ce
accrochés aux branches. pas ?

À la deuxième série de questions, les Si les personnages ont un tel doute, ils
personnages pourront par contre être surpris préféreront sans doute s’enfoncer dans la forêt, quitte
d’entendre le son de la voix calme et grave du Kanak à se perdre ou à retomber sur les Kanaks belliqueux.
qui parle parfaitement la langue de la côte. Il pourra Ils auront raison : après une longue errance, ils
leur apprendre tout ce qui est récapitulé dans la déboucheront, épuisés mais sains et saufs, au petit
colonne ad hoc de l’annexe 4. Si on le lui demande, matin, sur une des côtes de la presqu’île.
il révèlera qu’il s’appelle « Païmé ».

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Si les personnages préfèrent poursuivre sur la
La rencontre avec Andia
voie indiquée par le Bao, ils finiront par être attaqués
par les esprits des morts voulant les faire basculer dans
S’ils finissent par se rendre chez Louise Michel,
le monde inférieur !
au campement de la baie de l’ouest (avant ou après la
rencontre précédente), les personnages seront plus que
En effet, après avoir longuement suivi le ruisseau
surpris de ne pas la trouver seule, ni même avec ses
des morts, les personnages finissent par être arrivés
camarades déportées. En effet, après avoir été reçus
suffisamment près du monde inférieur pour être tentés,
très aimablement par la fougueuse communarde dans
par des esprits, de s’y jeter définitivement !
sa case, spartiate et ouverte à tous vents, après avoir
peut-être eu le temps de lui demander de ses
Les personnages, attaqués par ces spectres (qui,
nouvelles, un nouvel invité fait son entrée dans la
dans l’obscurité de la forêt, ne sont au mieux que des
case : Andia, l’étrange barde du chef Ataï ! (voir sa
ombres furtives), ne sont désormais plus maîtres de
description en annexes PNJ).
leurs mouvements : il n’est pas trop tard pour fuir mais,
pour cela, il faut désormais réussir un jet
Spiritualité.

En effet, il ne s’agit plus de croire ou de ne pas


croire : les esprits sont bel et bien là, et seule une foi
solide permettra de leur résister.

Note pour le Meneur de Jeu


Selon votre propre « méchanceté », vous
pourrez ou non accorder des chances
supplémentaires à vos joueurs pour sauver leur
personnage en permettant d’autres jets de Fluide
prévenant du caractère éminemment
« magique » du ruisseau ; ou encore en mettant
en scène la fuite panique de ceux qui auront
réussi à résister aux esprits des morts, et les cris
et appels au secours de ceux qui auront
échoué…
Le tout dans l’obscurité d’une forêt
inconnue ! Bref, vous aurez compris qu’il ne
s’agit pas, bien entendu, de massacrer vos
personnages…

Si, finalement et malgré toutes vos


préventions, un personnage échoue dans tous
les jets accordés, il est saisi par les esprits et,
concrètement, il sera retrouvé mort le lendemain Les personnages devraient logiquement prendre
matin, pour une raison apparente de votre peur et ce, pour plusieurs bonnes raisons :
choix : crise cardiaque, noyade dans le
ruisseau… - tout d’abord, Andia a de quoi déstabiliser plus d’un
européen ;

- ensuite, si Andia est là, les guerriers de Ataï ne doivent


pas être loin ! S’ils ont joué la rencontre précédente,
ils savent désormais qui les a pris en chasse sur la côte…

- De fait, Andia a bien débarqué sur Ducos avec ces


farouches guerriers rebelles, mais sa mission est tout
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autre : il est simplement venu transmettre les amitiés Si l’un des personnages accepte le marché et fait son
de son maître à Louise qui, il le sait, soutient leur sacrifice, Andia, après avoir longuement regardé et
combat. touché l’objet, l’ajoute à son accoutrement avant de
se saisir de son luth si étrange. Toujours assis sur ses
Andia a l’air très calme, et Louise s’empresse de talons, il commence à gratter son instrument d’un air
rassurer ses camarades (les personnages et quelques soucieux. Le son produit est fort désagréable aux
autres femmes déportées, elles aussi présentes). De oreilles occidentales et même son sinistre chat, se
plus, elle propose aux personnages venus l’interroger faufilant entre les jambes, semble être perturbé.
sur ce qu’elle sait des hommes de Ataï et des mystères Finalement, insatisfait et jurant en un dialecte inconnu,
kanak, de s’adresser à une meilleure source qu’elle. il repousse violemment le luth, se relève et embouche
De fait, Andia parle une langue de la côte dans sa cornemuse à l’aspect non moins mystérieux.
laquelle les termes de Français sont suffisamment
nombreux pour la rendre tout à fait compréhensible Si la musique qui sort de l’instrument n’est guère plus
par les personnages. agréable, elle semble bien mieux convenir au takata.
Au bout de quelques instants de cette mélopée, une
Andia, assis sur ses talons auprès du feu de étrange sensation se saisit des personnages disposant
brindilles entretenu par Louise, répond volontiers aux d’une forte Spiritualité : une présence dans la case !
questions portant sur l’éventuelle implication des De fait, si on y prend garde, le feu de brindilles projette
guerriers de Ataï dans les crimes de Numbo. Bien sûr, sur les murs de la case les ombres de toutes les
n’étant pas neutre, les personnages sont libres de ne personnes présentes (les personnages, Andia,
pas le croire sur ce point. Étant lui-même un puissant Louise)… mais aussi une ombre supplémentaire, non
takata, il peut également donner toutes les précisions identifiée, qui semble danser autour du feu.
possibles sur les rituels mortuaires ou sacrificiels (voir
annexe 4). Andia cesse de souffler dans son instrument, un sourire
éclairant son visage difforme. Il commence à s’adresser
Enfin, à la demande des personnages ou même d’une voix forte à l’ombre, maintenant immobile :
de sa propre initiative (si les personnages ne pensent l’interrogatoire d’outre-tombe a commencé ! Le
pas à le lui demander), Andia pourra se livrer à un problème, pour des personnages à forte Ouverture
fantastique rituel de convocation d’un esprit. Lequel ? d’Esprit, est qu’il s’exprime dans un dialecte inconnu
Celui de Oundjo, bien sûr ! et que, l’ombre ne répondant pas de façon audible,
Andia fait les questions et les réponses. Peut-on lui
Si on veut connaître son véritable rôle dans cette faire confiance ? En tout cas, les réponses
histoire, le mieux est encore de le lui demander, n’est- données par Andia se trouvent résumées dans
ce pas ? Pour réaliser ce rituel, le takata demande à l’annexe 4.
être dédommagé ; il exige que les personnages lui
cèdent un objet ayant pour eux une grande valeur. À la fin de l’interrogatoire, Andia souffle à nouveau
En disant cela, il caresse le morceau d’étoffe rouge quelques instants dans sa cornemuse, puis l’ombre
que lui a cédé Louise Michel. disparaît et la situation redevient normale.

Lorsque les personnages prennent congé de Louise


Michel, Andia semble bien décidé à rester. Sans doute
ont-ils des choses à se dire à propos des mystères
Note pour le Meneur de Jeu kanak… ou de la Révolution !
Nous parlons, bien entendu, d’UN seul
objet et non d’un objet par personnage. Ceux- Note pour le Meneur de Jeu
ci doivent donc se concerter et l’un d’eux
sacrifier son bien. Les personnages, en tant que Cette rencontre peut être considérée
déportés, sont bien démunis, mais il faut préciser comme un Evènement d’ordre 1 contre la
qu’à l’image du cadeau de Louise, Andia Spiritualité.
n’attend pas un objet de valeur autre que
sentimentale ; une photo ou un objet, souvenir
d’un être aimé laissé en Métropole, fera l’affaire.

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d’autres guerriers kanak…), préfèrent se tenir sur leur
La visite au village kanak garde… « se mobiliser » comme diraient les blancs.
Pour se renseigner sur les mystères kanak, les Pour définitivement les rassurer, le takata fait aux
personnages préfèreront peut-être s’adresser à la source
personnages une proposition surprenante : et s’ils
plutôt qu’à Louise Michel : en route pour le village restaient ce soir assister au pilou-pilou ? Il s’agit
kanak, installé au nord de Ducos par les Kanaks d’une proposition rare destinée à honorer des
« européanisés » servant de supplétifs à hôtes respectés. Pour les personnages, refuser est
l’administration pénitentiaire. bien délicat, surtout dans ce contexte explosif. Pour
autant, est-il si facile d‘accepter alors qu’ils sont
Les personnages qui avaient fait le choix probablement nourris d’images terribles de sauvages
d’accompagner l’expédition punitive de la veille dansant autour de grosses marmites ?
connaissent le chemin mais, dans le cas contraire,
Ducos n’est pas si grande et en se dirigeant au nord, Si les personnages refusent, le takata sera
les personnages finissent par le trouver. visiblement vexé et refusera de répondre à toute autre
question (donc si les personnages n’ont pas abordé
La première impression que laisse ce triste village les autres sujets avant celui du pilou-pilou, tant pis pour
de quelques cases dans lesquelles popinées (femmes) eux !) mais personne cependant ne lèvera le bras
et piquinini (enfants) semblent peu nombreux, est contre les déportés, qui pourront quitter le village sans
mitigée. En effet, les personnages ont beau savoir que danger.
ces Kanaks se sont toujours comportés de façon
amicale envers les blancs, l’agitation qui semble régner Par contre, s’ils acceptent, ils vont effectivement
dans le village, ces hommes en armes traditionnelles vivre un moment unique. La nuit tombée, l’agitation
ayant abandonné leurs oripeaux occidentaux, qui régnait dans le village devient une véritable
visiblement en état de surexcitation, n’augurent rien exaltation : les hommes ont sorti leurs plus beaux
de bon. atours ; armes rutilantes, masques de guerre, colliers
et ceintures en poil de roussette… sont exposés en
Toutefois, s’ils persistent à vouloir entrer en signe de puissance. La fête à proprement parler
contact avec les Kanaks, les personnages seront commence à la nuit tombée, par une distribution
relativement bien accueillis. Logiquement, leurs d’ignames à l’assemblée, disposée assise sur ses talons,
questions devraient les faire aboutir dans la case du autour d’un grand feu. La distribution n’oublie
takata local, un homme assez vieux, au physique personne : chacun reçoit une part de la récolte selon
décharné et dont la bouche édentée offre un rictus son rang et son mérite. Les personnages masculins,
légèrement crispant. en tant qu’invités, reçoivent donc également leur lot
d’ignames.
Celui-ci, habitué à côtoyer les blancs de longue
date, s’exprime dans un Français presque entièrement Vient ensuite le temps des danses et des chants,
expurgé de termes bichelamar. Il fait bon accueil aux si déroutants pour les yeux et les oreilles des
personnages et accepte sans condition de répondre à Européens. Laissons Louise Michel nous décrire, avec
leurs questions sur les mystères kanak, les rituels toute sa sensibilité, le déroulement de cette partie du
mortuaires… (cf. annexe 4). pilou-pilou :
En ce qui concerne l’agitation qui règne dans le « Dans les rondes du pilou-pilou, les hommes
village, le takata se fait plus évasif, mais leur apprend tournent à part des femmes, quelquefois en sens
que le village s’apprête à organiser le soir même un contraire, le mouvement finit par être tellement rapide
pilou-pilou, les fameux rassemblements rituels aussi que les danseurs passent à travers la flamme sans en
festifs que guerriers. Pourquoi ce pilou-pilou ? Contre être atteint.
qui les hommes du village prennent-ils les armes ? Autrefois, disent les vieillards, après des temps où on
Les personnages peuvent légitimement craindre pour ne se mangeait pas, il vint des temps que les grands-
leur vie et celle de leurs compagnons restés à Numbo. pères de leurs grands-pères n’ont pas vus, dans ceux-
Le vieux takata tente de les rassurer : ce pilou-pilou là il y eut des guerres, des famines, des fêtes où, quand
ne serait pas tourné contre eux, mais les hommes du les chants et les danses avaient duré une partie de la
village, inquiets de la tournure prise par les nuit, l’un des danseurs disparaissait ; il était bu par la
évènements (crimes, expéditions, débarquement foule, quelquefois plusieurs.

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Aujourd’hui le pilou-pilou se termine par une La dernière partie du pilou-pilou est beaucoup
joie frénétique et l’abattement de la fatigue. On dort moins formalisée : chacun s’en revient vers ses tayos
le lendemain. (amis) pour partager en petits groupes informels, çà et
là dans le village, la douce chaleur du feu qui continue
Une des danses historiques, — et ils en ont de de brûler dans la nuit et surtout pour consommer,
belles ! —, est celle-ci : Une file de danseurs arrive, jusqu’à très tard, de grandes quantités de nourriture,
hommes et femmes, comme s’ils reconnaissaient le pendant que les chants continuent de résonner.
terrain et en prenaient possession ; puis ils se Jules Garnier, l’explorateur de la Nouvelle-Calédonie
murmurent, avec leurs quarts de tons si doux parfois, en 1864, compare ce moment à celui de l’ivresse chez
les plus douce églogues, ils simulent la danse de pêche, les Européens : « sans consommation d’alcool, les
la danse des récoltes, la danse des noces, la danse de Kanaks sont en effet alors en état de surexcitation. C’est
la mort. le moment de tous les excès ».

C’est la tribu vivant au soleil et mourant à C’est dans cette partie finale du pilou-pilou que
l’ombre, puis viennent d’autres encore, des étrangers, les personnages cessent d’être des spectateurs (peut-
poupouale, ils chassent et dispersent la tribu. être d’ailleurs légèrement inquiets de savoir comment
cette orgie va se terminer ?) pour redevenir acteurs.
Il n’y a plus après eux qu’un chant triste et En effet, le vieux takata, visiblement heureux de les
monotone, comme les plaintes du vent. L’orchestre qui avoir convaincus de rester assister à la fête rituelle, les
l’accompagne avec des branches de palmiers grattées invite à le rejoindre, lui et quelques tayos prestigieux
doucement s’harmonise bien avec ces plaintes du (dont le chef du village), un peu à l’écart, autour d’un
pauvre sauvage. feu secondaire. S’ils acceptent — peuvent-ils
réellement refuser ? —, les personnages voient, en
Puis il se fait un silence, tous se déploient sur s’approchant, que le feu ne sert pas seulement à
une même ligne, avancent du côté du nord, la main réchauffer et à éclairer la nuit : à la façon kanak, un
droite comme pour menacer ou maudire ; en criant : trou a été creusé dans le foyer et sert à faire cuire
Match ! Match ! (mort ! mort !). quelque chose… qui exhale une bien alléchante
odeur ! C’est aussitôt après cette première impression
La musique canaque, avec ses quarts de tons, que les choses se gâtent… quand leur esprit, assez
ressemble au vent, aux bruits de bois, aux chants des vite, réalisent que le fricot est sans aucun doute
flots… Souvent elle est douce, quelquefois rauque, de la viande humaine !
parfois on dirait des gouttes d’eau tombant sur les
feuilles… Les personnages ont sans doute déjà compris
que l’on va les mettre en présence d’une scène de
Des bambous frappés en cadence, une flûte de cannibalisme rituel. Cela doit sans doute
roseau, les branches de palmiers grattées, une feuille profondément les choquer mais, déjà, peuvent-ils être
qu’ils s’appliquent sur la bouche, tels sont leurs rassurés : ce n’est pas eux que l’on va manger ! De
instruments. Souvent encore, ils accompagnent en fait, les Kanaks ne se livrent au cannibalisme que pour
sifflant ou en soutenant la voix sur une seule note, des raisons rituelles traditionnelles : il s’agit de détruire
tandis que l’air est chanté ; ces sons filés produisent doublement l’ennemi que l’on a tué, afin d’empêcher
un effet étrange. » sur sa dépouille un quelconque culte des ancêtres. Les
personnages étant les invités et non les ennemis des
Note pour le Meneur de Jeu Kanaks, ils n’ont strictement rien à craindre.

Cette description si évocatrice est due à Pour poser l’ambiance de cet extraordinaire
Louise Michel, dans Légendes et chants de moment que peut être une expérience de
gestes canaques, 1885. Et nous tenons à votre cannibalisme, lisons un petit extrait du récit fait par
disposition, pour sonoriser cette scène, un chant Jules Garnier de son Voyage en Nouvelle-
sous forme de fichier mp3 de 1,3 Mo, que nous Calédonie durant les années 1860 : le Meneur
nous ferons un plaisir de vous envoyer si vous pourra y puiser quelques passages pour « corser »
nous en faites la demande… sa description de la scène !

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« Une douzaine d’hommes étaient assis près d’un grand feu (…) ; sur de larges feuilles de
bananier était placé au milieu d’eux un monceau de viandes fumantes, entourées d’ignames et de
taros ; la vapeur qui s’élevait de ces aliments, apportée par la brise, arrivait juste vers nous, et j’aurais
désiré pouvoir retenir mon souffle pour ne pas aspirer le fumet d’un aliment aussi révoltant. (…)

Le trou dans lequel on avait fait cuire leurs membres détachés à coups de hache était là ; une
joie farouche se peignait sur le visage de tous ces démons ; ils mangeaient à deux mains.

Ce spectacle était si extraordinaire qu’il me faisait l’effet d’un rêve, et jétais tenté d’aller à eux
pour leur parler et les toucher. Un point surtout attirait toute mon attention ; en face de moi, et bien
éclairé par la lueur du foyer, se trouvait un vieux chef à la longue barbe blanche, à la poitrine ridée,
aux bras déjà étiques ; il ne paraissait pas jouir de l’appétit formidable de ses jeunes compagnons ;
aussi, au lieu d’un fémur orné d’une épaisse couche de viande, il se contentait de grignoter une tête ;
celle-ci était entière (…) ; on avait eu cependant le soin de brûler les cheveux ; quant à la barbe, elle
n’avait pas encore eu le temps de pousser sur les joues du pauvre défunt et le vieux démon, s’acharnant
sur ce visage, en avait enlevé toutes les parties charnues, le nez et les joues ; restaient les yeux, qui, à
demi ouverts, semblaient être encore en vie.

Le vieux chef prit un bout de bois pointu et l’enfonça successivement dans les deux prunelles ;
on aurait pu croire que c’était pour se soustraire à ce regard et finir de tuer cette tête vivante ; point du
tout, c’était tout simplement pour parvenir à vider le crâne et en savourer le contenu ; il retourna
plusieurs fois son bois pointu dans cette boîte osseuse, qu’il secoua sur une pierre du foyer pour en
faire tomber les parties molles, et cette opération accomplie, il les prenait de sa main maigre comme
une griffe et les portait à sa bouche, paraissant très satisfait de cet aliment.

Ce premier procédé ne réussissant pas à extraire entièrement la cervelle, le vieux


sauvage expérimenté mit l’arrière de cette tête dans le feu, à l’endroit où il était le plus violent,
de façon que par cette chaleur intense la cervelle pût se séparer complètement de son
enveloppe intérieure ; ce procédé réussit parfaitement et, en quelques minutes, le
cannibale fit sortir par les diverses petites ouvertures du crâne le reste de son
contenu. »

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Alors que l’étrange festin vient de débuter, le bâton la cervelle avant de suçoter ledit bâton. Enfin, il
vieux takata, comme les personnages pouvaient le coupe le bras droit de sa victime à l’aide de sa hachette
craindre, s’approche d’eux, une écuelle d’écorce puis s’enfuit. La dernière scène du délire voit Oundjo
pleine de morceaux dégoûtants à la main : il leur courir en haletant à travers les fourrés puis se faire
propose de participer — honneur considérable ! — atteindre mortellement par deux balles de fusil.
, au repas rituel.
Note pour le Meneur de Jeu
Bien sûr, le vieux sorcier le justifie : celui que
l’on mange est Oundjo. En effet, ce dernier est Vous pouvez considérer que tout
considéré par tous les notables du village comme un personnage ayant vécu cela subit un
traître ayant jeté le discrédit sur eux auprès des si Événement d’ordre 2 contre l‘Ouverture
puissants hommes blancs, mettant en danger la survie d’Esprit.
même du village sur Ducos. C’est pour cela qu’ils ont
aidé les blancs (peut-être certains des personnages ?) Au réveil, le ou les personnages cannibales vont
à le tuer, puis ont obtenu sa dépouille ; maintenant, beaucoup mieux. Ils n’ont strictement aucun souvenir
ils se proposent de le faire définitivement disparaître ! du pilou-pilou ni de leur acte, mais se souviennent
Mais ce n’est pas tout : à en croire le vieux takata, avec acuité de leur délire et peuvent le raconter aux
manger la chair d’un homme permettrait de pénétrer autres (s’ils acceptent encore de leur parler !).
son esprit, ses pensées les plus intimes. Si les
personnages acceptent de manger Oundjo, peut-être Des personnages à forte Spiritualité pourront
sauront-ils oui ou non si Oundjo est coupable des accepter ce récit comme étant un effet de la magie des
meurtres à Numbo ? esprits kanak. Les autres le tiendront pour un simple
délire fiévreux. En tout cas, les premiers pourront
établir les faits suivants : Oundjo est bien coupable
Note pour le Meneur de Jeu du crime de Tellier et innocent de celui de Valletot…
En tout cas de son vivant ! En effet, si on interroge le
Il s’agit d’un Événement d’ordre 2
takata sur ce point, il apparaît que le cannibalisme
contre la Spiritualité : tout personnage
rituel ne peut pas renseigner sur l’esprit du défunt…
réussissant ce jet ne peut admettre un tel acte et
une fois qu’il s’est détaché de son enveloppe charnelle.
de telles explications, il est donc hors de question
qu’il puisse accepter le marché.
Note pour le Meneur de Jeu
Le takata voudra bien, cette fois-ci, admettre un On le voit : la Nouvelle-Calédonie reste à
refus. Si toutefois un des personnages accepte, il ne se l’époque de Maléfices une terre de grands
passera rien, comme on pouvait le craindre… mystères, faisant le régal des amateurs
d’exploration et de récits de voyage.
Mais peu de temps après ce répugnant repas, le
personnage cannibale sera pris de violents maux de Pourquoi ne pas proposer à vos joueurs
ventre et de fièvres intenses. Juste châtiment ? Cela en début de scénario, la tenue d’un (petit)
n’inquiète pas le takata qui ne recommande qu’un peu carnet de voyage dans lequel ils pourront
de repos. noter, au fur et à mesure de l’aventure, les
réactions de leur personnage aux évènements
Pendant celui-ci, le personnage, tremblant de inhabituels qu’ils viennent de vivre ?
fièvre, va effectivement revoir en pensées les actions Cela permettrait d’enrichir sous une forme
de Oundjo, comme s’il se trouvait à l’intérieur de son originale la « fiche indiscrète » de leur alter ego.
esprit. Par ses yeux, il reverra des scènes d’amicales
complicités avec Tellier puis une scène évoquant le Une motivation supplémentaire ?
geste déplacé de Tellier envers le jeune Kanak et la
dispute qui s’en suivit. Dans son délire, le personnage L’auteur assure ici même qu’il y aura un
verra encore une scène où ce dernier s’introduit au jour une suite à cette aventure, avec les
petit matin dans la hutte de Tellier, le tue net d’un coup mêmes personnages ! Le fait qu’ils soient
de sagaie dans la poitrine puis se livre à son macabre « enrichis » ne pourra donc que renforcer
rituel : il frappe le crâne sans vie de Tellier, en fait l’interprétation des rôles, le moment venu !
éclater la boîte crânienne puis remue à l’aide d’un petit Patience !

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Les vampires attaquent ! devoir se battre pour les chasser. Précisons enfin que
la « bestiole » mesure en moyenne plus d’un mètre
Note pour le Meneur de Jeu d’envergure !

Ce dernier épisode se déroulera à Note pour le Meneur de Jeu


proximité du village de Numbo, de préférence à
Bien qu’impressionnantes, les roussettes,
la fin de l’acte, par exemple lorsque les
qui sont frugivores, ne peuvent faire grand
personnages reviennent d’un ou plusieurs des
mal aux personnages et nous ne fournirons donc
épisodes précédents. Cet épisode peut se
pas leurs « caractéristiques ». Par contre jouez
dérouler aussi bien de jour que de nuit mais,
sur la panique éventuelle des personnages, avec
compte tenu de la nature des « bestioles »,
d’éventuels jets d’Ouverture d’esprit,
préférez tout de même la nuit ou mieux, le
(manqué : panique et crainte pour sa vie :
crépuscule.
réussi : pas de panique, mais il faut écarter les
bestioles…).
Soyons clair : rien de surnaturel ici, mais
dans l’état de nerfs où se trouvent les
Pour résumer : la vérité c’est qu’il y a ici pure
personnages, leur esprit un peu troublé pourrait
coïncidence, mais l’objectif du Meneur devra être de
imaginer que leur surnom de “vampires” n’est
faire croire, par ses descriptions, à une meute de
peut-être pas si usurpé que cela dans ces
vampires assoifés de sang qui attaque les joueurs…
contrées lointaines et sauvages où, déjà, les
Seuls les jets d’Ouverture d’esprit peuvent leur faire
divinités, les esprits, les rituels cannibales et les
retrouver leur bon sens, comme expliqué ci-dessus.
fleuves de la mort existent ! Si, si on en a la
preuve !!
De toute façon, organisez un combat classique,
faites rouler les dés derrière votre écran pour simuler
Alors que les personnages s’apprêtent, avec un les attaques des vampires… bref, faites croire aux
soulagement plutôt inattendu, à regagner le lieu de joueurs que la vie de leurs personnages est vraiment
leur détention, un mouvement persistant, dans les en jeu. Laissez-les toucher, avec leurs éventuelles
frondaisons d’un fourré proche, attire l’attention du armes ou avec des branches, pierres ou autres…
plus attentif d’entre eux (celui ayant, par exemple, la quelques roussettes puis dispersez-les.
meilleure Perception).
Une fois les roussettes chassées, les personnages
Si les personnages décident d’explorer ce peuvent s’intéresser à ce qui, au cœur de ce fourré,
bosquet de banians (un arbre local), ils entendent une avait attiré le chien pelé qu’ils ont fait fuir : c’est un
sorte de glapissement, et aperçoivent un chien errant bras humain !
qui s’enfuit… juste avant d’être pris dans un véritable
tourbillon de chauve-souris s’envolant, sans doute Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est
effrayées par l’arrivée des intrus. Ces chauve-souris sont
pas en bon état : il n’est pas en état de décomposition,
d’une taille telle que les personnages n’en ont jamais
mais a été rogné et grignoté au point que l’os,
vu en Europe : il s’agit de roussettes… sanguinolent, est maintenant apparent.
sympathiquement surnommées « vampires » par les Un personnage ayant l’estomac solide pourra
premiers explorateurs de l’île. s’approcher un peu plus et faire les constatations
suivantes :
De fait, les personnages ont vraiment dû les - il s’agit d’un bras gauche ;
déranger puisque les roussettes, loin de s’enfuir… - c’est le bras d’un blanc.
attaquent en piqué les personnages !
Bref, selon toute vraisemblance, il s’agit du bras
Ces animaux ne sont habituellement guère de Valletot !
offensifs mais là, ils s’accrochent dans les cheveux, les
vêtements, battant de leurs grandes ailes le visage de Dernier détail troublant qu’un personnage ayant
nos intrépides et même… enfonçant leurs petites dents des connaissances en zoologie pourra fournir (ou à
pointues dans les chairs tendres des Européens ! Bien défaut que les personnages pourront obtenir auprès
sûr, même innombrables, les roussettes ont peu de d’un tiers au village) : les roussettes «vampires »
chances de faire grand mal aux personnages mais là, honorent habituellement bien mal leur surnom et ne
ils sont proches d’étouffer sous leur nombre et vont sont que de pacifiques frugivores.
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Note pour le Meneur de Jeu
Si vous pensez que vos joueurs ont encore
besoin d’être déstabilisés, vous pouvez ajouter un
épisode croustillant à cet acte 4. Nous disions
donc : des déportés de la Commune, des militaires,
des fonctionnaires, des colons libres, des Kanaks
européanisés, des Kanaks rebelles… se partagent
déjà le petit espace de la presqu’île Ducos.

N’oublions pas d’y ajouter des déportés


kabyles envoyés là après la révolte de 1871 en
Kabylie, durement réprimée par la France. Ces
Kabyles vivent là, dans le village de Tindu, au Nord
de Ducos. Assez peu nombreux, la plupart étant
sur l’Ile des Pins, ils subsistent cichement de
l’élevage de quelques chèvres et de vente de
fromage. Oubliés lors de la loi d’amnistie, ils seront
libérés et 1895 seulement et feront pour la plupart
souche en Calédonie. On les dit fort habiles au
maniement de l’arme blanche. Serait-il possible
que… ?

De même, les personnages pourront, peut-


être, rencontrer lors de leurs déplacements, le
pauvre fou qui passe le plus clair de son temps face
à la mer, accroupis sur les roches noires du sud de
la baie N’Gi. L’homme est bien entendu vraiment
fou et totalement étranger à notre histoire, mais qui
sait ce qu’il fait vraiment de ses journées... Quelques
rencontres bien placées, quelques allusions
discrètes et voilà bien une fausse piste parfaite...

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Acte V : Denouement
de l’état de siège, il serait plus facile à un déporté
Un peu de réflexion d’avoir un fusil qu’un poignard !
Lorsqu’ils reviennent à Numbo après leur(s) Les personnages peuvent penser qu’un soldat
expédition(s) dans la brousse, les personnages ou le capitaine Duroy peuvent être coupables mais,
retrouvent le village dans le même état de siège : ils toujours à cause de l’état de siège, ils n’ont guère le
seront d’ailleurs interceptés par une vigie, et auront à loisir de s’absenter pour se rendre nuitamment dans
nouveau tout intérêt à en sélectionner une parmi les la case de Valletot ou pour aller se débarrasser de son
déportés volontaires, pour minimiser les problèmes. bras.
Dès qu’ils auront eu le loisir de prendre la température
du village, ils se rendront compte que, voyant que Et puis, pourquoi s’embarrasser de telles
l’attaque redoutée ne se produit pas, le capitaine précautions pour un simple déporté, dont il serait facile
Duroy est plus que jamais décidé à partir en expédition de maquiller la mort en tentative de fuite ou de
contre les Kanaks. Il est donc temps d’agir ! rébellion ?
Avant cela, les personnages auront besoin de En fait, les personnages ont eu l’occasion
faire le point. Qu’ont-ils appris, si l’acte 4 s’est d’apercevoir une autre arme blanche que celles des
correctement déroulé ? Kanaks ou de l’armée : le poignard improvisé de
Don Ruy Gomez ! Il serait donc judicieux de se
- Oundjo est bien coupable du meurtre de Tellier pour renseigner au théâtre (plan Annexe 7) sur cette arme.
les raisons supposées ;
- ni son fantôme, ni les guerriers de Ataï, ni les Kanaks Le théâtre est fermé en dehors des soirs de
de Ducos ne peuvent raisonnablement être tenus représentation et Louis-Paul Morin ne leur apprendra
responsables du meurtre de Valletot ; rien (et pour cause !…) mais tout autre déporté
- les signes laissés sur le cadavre de Valletot ne sont participant à la troupe pourra apprendre les éléments
pas des signes ou des rituels kanak. suivants aux personnages :
Comme dirait ce bon Sherlock, une fois toutes - il s’agit bien d’une véritable baïonnette offerte au
les autres hypothèses écartées, celle qui reste est théâtre, avec quelques autres accessoires, par un
forcément la bonne, n’est-ce pas ? précédent officier d’infanterie désireux d’encourager
la création de ce théâtre ;
Le coupable du second meurtre est donc
un quelqu’un vivant à Numbo même. - cette arme est toujours dans la remise, fermée à clef,
du théâtre. Si les personnages se débrouillent pour
Il reste à déterminer lequel. Pour cela, les aller vérifier, ils la trouveront à sa place, mais
personnages disposent de trois pistes : visiblement nettoyée et brillante comme un sous neuf ;
- qui possède une arme blanche capable de de plus, il ne fait aucun doute que sa pointe, bien
perforer la poitrine du pauvre Valletot ? entretenue, pourrait tuer un homme…
- qui a pu se débarrasser du bras de Valletot dans
la brousse ? - seul Morin possède les clefs du théâtre et de sa remise
- qui pouvait fréquenter suffisamment Valletot aux accessoires.
pour avoir un contentieux mortel avec lui ?
• le bras de Valletot : compte tenu du dispositif de
Les pistes sécurité autour de Numbo, quelqu’un sortant du village
avec un bras pour s’en débarrasser dans la brousse
Explorons ces trois pistes avec nos personnages : n’est peut-être pas passé complètement inaperçu, n’est-
ce pas ?
• l’arme du crime : nous sommes dans un camp Les personnages pourront sans mal retrouver la
de prisonniers certes assez ouvert, mais les armes ne vigie la plus proche du lieu où ils ont retrouvé le bras
courent pas les rues et, paradoxalement, dans le cadre déchiqueté. C’est un déporté volontaire, Brizemieux,
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un vrai dur de Montmartre qui, d’emblée, refusera de toute collaboration, quoi que disent les personnages
« cafter » sans savoir de quoi il retourne. Toutefois, si (dans une certaine limite : voir annexe 6), il reste
on lui explique bien qu’il s’agit de laver l’honneur d’un possible de se renseigner sur Morin en consultant le
camarade sur des soupçons étayés, il finira par céder registre de l’administration pénitentiaire.
et avouera avoir vu Morin aller « se dégourdir les
jambes » à proximité. Et peut-être bien qu’il avait un En dehors des informations notées à chaque
paquet d’étoffes sous le bras…Par contre, il n’a pas vu écrou, le registre peut aussi contenir quelques
de soldat, et encore moins le capitaine Duroy, quitter renseignements sur les spécificités de chaque
leur poste. prisonnier, enregistrés au gré des rappor ts.
Le fou de la Baie N’Gi peux lui aussi donner Évidemment, pour ce faire, les personnages devront
l’information (optionnel, selon le roleplaying) se montrer extrêmement convaincants auprès des
fonctionnaires du bureau de Numbo qui conservent
• les fréquentations de Valletot : farouche ce registre (voir, le cas échéant, l’annexe 5). Cette
communard, Valletot n’avait aucune relation avec les lecture pourra renforcer les soupçons ; mais
officiers ou les soldats avant les évènements récents ; définitivement, aucune preuve formelle ne pourra être
à priori, rien à trouver par ici. établie : cela renforcera le dilemme de la décision
finale des personnages.
Parmi les déportés, le champ d’investigation est
large, car Valletot avait beaucoup d’amis. Note pour le Meneur de Jeu

Toutefois, si les soupçons pèsent déjà sur Morin, À nouveau, la résolution de l’acte final ne
il suffira de questionner des déportés sur les relations doit pas donner lieu à une minutieuse enquête.
entre les deux hommes. Une fois revenus plus ou moins sains et saufs de
l’acte 4, les personnages ne doivent plus être
Morin lui-même n’avouera rien. freinés dans la découverte de la vérité : ne
multipliez pas les fausses pistes ou les obstacles,
La plupart des déportés pourront confirmer qu’ils montrez que, tout à ses préparatifs guerriers, le
étaient bons amis mais aucun ne pourra assurer qu’ils capitaine n’a plus guère le temps de s’opposer à
s’étaient vus le soir du crime. leurs investigations… Cet acte 5 ne doit donc
pas plus être un moment d’enquête que les
Comme souvent, Balzenq, heureusement, sera précédents : place au cas de conscience final !
une précieuse source de renseignements : il sait que
Les personnages tiennent sans doute désormais
les deux hommes passaient de longues soirées
leur vérité sur le meurtre de Valletot (voir Valletot et
ensemble, pour la bonne raison qu’ils leur fournissait
Morin dans « personnages et autres figurants »).
à ces occasions de son fameux alcool de niaouli (c’est-
Mais que vont-ils en faire ? Où est leur
à-dire, de notoriété générale, un authentique
intérêt ?
poison !) ; d’ailleurs, le soir du crime, pour fêter à la
fois la mort du meurtrier de Tellier et le succès de la
En dehors de la mécanique du jeu, qui veut que
représentation de Morin, il leur a fourni une ou deux
les joueurs « réussissent » ou non le scénario en
bouteilles pour la nuit… Pour autant, il ne sait rien
découvrant la vérité, le groupe devra avoir un vrai
(ou ne veut rien savoir !…) de la nature de leurs
débat interne qui aboutira à une décision bien pesée
relations.
car celle-ci peut transformer totalement le statut des
personnages sur Ducos. Pour plus de simplicité, les
Il ne fait guère de doutes que Morin, dans une
conséquences de chaque décision sont récapitulées
dispute alcoolisée, a tué de plusieurs coups de sa
dans le tableau de l’annexe 6.
baïonnette son ami Valletot puis, craignant pour sa
propre vie, a tenté plus ou moins adroitement de
Quelle que soit leur décision finale, qu’elle ait
maquiller son crime pour qu’il évoque celui de Tellier,
des conséquences fâcheuses sur les Kanaks opprimés
commis la veille. On notera que le crime était
ou sur leurs camarades déportés, gageons que nos
prémédité puisque Morin avait pris soin, avant de se
personnages auront dû, au moins une fois, « manger
rendre chez son ami, de se munir de l’arme.
leurs frères » à la façon kanak !
Pour avoir confirmation ou pour éclaircir le
Bonne partie,
mobile, alors que Morin, une nouvelle fois, refusera
Julien Clément.
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