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Terminale Spécialité SES Sociologie V.

Bois

Quels sont les caractéristiques contemporaines et les


facteurs de la mobilité sociale ?

Objectifs d’apprentissage :
➢ Savoir distinguer la mobilité sociale intergénérationnelle des autres formes de mobilité
(géographique, professionnelle).
➢ Comprendre les principes de construction, les intérêts et les limites des tables de mobilité
comme instrument de mesure de la mobilité sociale.
➢ Comprendre que la mobilité observée comporte une composante structurelle (mobilité
structurelle) ; comprendre que la mobilité peut aussi se mesurer de manière relative
indépendamment des différences de structure entre origine et position sociales (fluidité
sociale) et qu’une société plus mobile n’est pas nécessairement une société plus fluide.
➢ À partir de la lecture des tables de mobilité, être capable de mettre en évidence des
situations de mobilité ascendante, de reproduction sociale et de déclassement, et de
retrouver les spécificités de la mobilité sociale des hommes et de celles des femmes.
➢ Comprendre comment l’évolution de la structure socioprofessionnelle, les niveaux de
formation et les ressources et configurations familiales contribuent à expliquer la mobilité
sociale.
La mobilité implique un déplacement. Il existe différents types de mobilité étudié par les sciences
sociales, qui, s'ils peuvent être lié à la mobilité sociale, ne sauraient s'y réduire et s'en distinguent.

On peut par exemple étudier la mobilité géographique. La mobilité géographique correspond à un


déplacement physique. Il peut s'agir d'une mobilité résidentielle (changement de résidence entre deux
recensements), d'une migration (changement de pays de résidence) ou d'une mobilité quotidienne
(déplacements effectués dans la journée, notamment mobilité pendulaire correspondant aux trajets
domicile-travail en particulier dans les grandes métropoles). La mobilité géographique peut parfois
impliquer un changement de position sociale (exemple de l'exode rural).

On peut également s'intéresser à la mobilité professionnelle. La mobilité professionnelle correspond


aux changements de positions sociales ou professionnelles d'un individu. Il s'agit alors d'étudier la
trajectoire d'un individu au cours de sa vie comme une succession d'états (emploi, inactivité, chômage)
et de professions (catégories socio-professionnelles). On qualifie cette mobilité
d'intragénérationnelle (au sein d'une même génération)

La mobilité sociale, en elle-même, correspond à une mobilité intergénérationnelle (entre plusieurs


générations). Il s'agit alors de comparer la position sociale d'un individu (statut défini par sa
profession actuelle) et son origine sociale (position sociale de ses parents). Si la position et l'origine
sociale d'un individu sont identiques, on parle de reproduction sociale (immobilité ou rigidité sociale),
sinon, il s'agit de mobilité sociale. On parle également de mobilité sociale pour la mobilité
professionnelle (intragénérationnelle) impliquant un changement de position sociale.

La mobilité sociale (ou intergénérationnelle) peut être horizontale, si l'individu occupe une
profession différente de celle de ses parents mais de statut social identique ou verticale, si son statut
est différent de celui de ses parents. La mobilité sociale verticale sera qualifiée d'ascendante (ou
promotion sociale), lorsqu'il s'agit d'amélioration du statut social, et de descendante (ou
déclassement), lorsqu'il s'agit d'une détérioration du statut social.

A noter que l'on distingue la mobilité collective (qui affecte un ensemble d'individus) et la mobilité
individuelle.

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Introduction :
Les inégalités structurent la société en groupes distincts et hiérarchisés. Les statuts n'étant
pas héréditaires (assignés par la naissance), les individus peuvent donc circuler entre ces groupes
sociaux. On parle alors de mobilité sociale.

La revendication de l'égalité des chances correspond à la volonté que les individus aient les
statuts sociaux qu'ils méritent en fonction de leurs capacités personnelles et non en fonction de leur
origine sociale. On parle dans ce cas de méritocratie. Toutefois, la persistance des classes sociales,
qui suppose une certaine hérédité des positions sociales, souligne bien l’existence en parallèle d’une
certaine immobilité sociale. Nous nous interrogerons ainsi sur la dynamique de la structure sociale :
dans quelle mesure les statuts sociaux sont-ils « héritables » et hérités ? Notre société est-elle
mobile ? Est-elle fluide ?

Dans un premier temps, nous étudierons les moyens de mesure de la mobilité sociale. Nous
analyserons ensuite la mobilité sociale en France. Enfin, nous nous intéresserons aux facteurs de
mobilité, mais aussi aux freins à cette mobilité.

I. Mesurer la mobilité : intérêts et limites des tables de mobilité

A. Principes de construction

Les tables de mobilité sont des tableaux double-entrée mettant en relation la position sociale des
enfants avec celle des parents. Les tables de mobilité « classiques » mettent ainsi en relation le groupe
socio-professionnel du père et celui du fils. 674000 pères sont agriculteurs exploitants, 217000 fils le
sont. 175000 agriculteurs exploitants ont un père agriculteur exploitant. 269000 cadres ont un père
ouvrier.

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Elles sont le plus souvent construites à partir des enquêtes FQP (« L'enquête sur la formation et la
qualification professionnelle (FQP) constitue une des principales sources d'information sur la mobilité
professionnelle, la mobilité sociale et les relations entre la formation initiale et professionnelle,
l'emploi et les salaires. Elle fournit en outre ces informations selon un protocole très stable depuis plus
de trente ans. », INSEE), mais également à partir des Enquêtes Emploi annuelle de l’INSEE. Pour éviter
les biais liés aux situations de mobilité au cours de la carrière professionnelle, le champ des tables de
mobilité est composé d’actifs ou d’anciens actifs âgés de 40 à 59 ans : le groupe socioprofessionnel de
l’enquêté est ainsi relevé lorsque sa carrière professionnelle est déjà avancée (entre 40 et 59 ans) et
celui de l’ascendant (père), au moment où l’enquêté finissait ses études.

La table de mobilité brute permet de construire les tables de recrutement et de destinée.

Table de destinée en 2014-15 (en milliers)


GSP du fils
GSP du père Cadre et Professions
Agriculteurs ACCE Employé Ouvrier Ensemble
PIS Intermédiaires
Agriculteurs 26,0 7,9 8,3 20,6 6,4 30,9 100
ACCE 1,6 28,6 27,3 3,2 11,4 27,9 100
Cadre et PIS 0,3 8,6 50,1 24,4 8,1 8,4 100
Professions
0,6 7,9 28,7 31,3 9,7 21,9 100
intermédiaires
Employé 0,6 7,5 17,1 29,3 15,5 29,9 100
Ouvrier 0,7 7,1 10,0 23,7 12,3 46,1 100
Ensemble 3,2 9,5 20,1 25,3 10,6 31,3 100
Sur 100 fils d’agriculteurs, 26 sont eux-mêmes agriculteurs. 30.9% des fils d’agriculteurs sont devenus
ouvriers. Il y a 20.1% de cadres et PIS dans la génération des fils (hommes âgés de 40 à 59 ans
interrogés).

Table de recrutement en 2014-15 (en milliers)


GSP du fils
GSP du père Cadre et Professions
Agriculteurs ACCE Employé Ouvrier Ensemble
PIS Intermédiaires
Agriculteurs 80,6 8,2 4,1 8,1 6,0 9,8 9,9
ACCE 5,1 30,7 13,9 1,3 10,9 9,1 10,2
Cadre et PIS 1,4 12,0 33,1 12,8 10,1 3,6 13,3
Professions
2,8 12,5 21,5 18,6 13,7 10,5 15,1
intermédiaires
Employé 1,8 7,2 7,8 10,6 13,4 8,8 9,2
Ouvrier 8,3 29,4 19,6 37,0 45,8 58,2 39,4
Ensemble 100 100 100 100 100 100 100
Sur 100 agriculteurs, 80.6 ont un père agriculteur. 8.3% des agriculteurs ont un père ouvrier. Il y avait
13.3% de cadres et PIS dans la génération des pères.

B. Intérêts des tables de mobilité


L’analyse de la mobilité sociale à partir des tables de mobilité permet d’étudier dans quelle mesure
l’origine sociale d’un individu conditionne sa trajectoire sociale et plus largement d’objectiver les
parcours sociaux d’une génération à l’autre. En outre, elle permet de considérer l’évolution de la

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structure socio-professionnelle (marges des tables). La table de mobilité permet ainsi de mesurer les
trajets de mobilité à l’échelle du groupe socio-professionnel.

C. Limites des tables de mobilité

Néanmoins, si les enquêtes et leurs traitements cherchent à éviter des biais (éviter les
distorsions dues à des effets d'ancienneté, de mobilité professionnelle ou encore de genre), ce qui
« solidifient » leur résultat, cela en constitue également une limite. Par le fait, les tables de mobilité ne
prennent en compte qu'un quart des actifs (les 7 millions d'hommes actifs occupés).

Les tables de mobilité reposent en outre sur le présupposé que le statut social est une
propriété familiale et non individuelle. En choisissant la profession de l'homme comme référence, elle
invisibilise les femmes, alors que leur insertion dans le marché du travail se rapproche de celle des
hommes. La critique souligne notamment que le statut familial dépend tout autant du statut d'un des
individus que du nombre de pourvoyeurs de ressources. Toutefois, on peut noter que les trajectoires
d'activité des femmes (dépendant de leur conjoint) et l'importance de l'homogamie limitent la portée
de cette critique. En outre, la prise en compte des femmes se heurtent à des problèmes
méthodologiques liées à des périodes d'inactivité qui ne révèlent rien de leur statut, d'où l'utilisation
pour compléter les enquêtes quantitatives (tables de mobilité) d'enquêtes qualitatives qui permettent
de mettre en lumière les trajectoires de mobilité sociale. Par ailleurs, les études les plus récentes
intègrent des tables de mobilité des filles en fonction du statut de leur mère ou de leur père.

A cela s'ajoutent les limites liées à la catégorisation : on retrouve donc les limites liées à l'usage
des PCS, qui ne sont qu'un indicateur imparfait du statut social et n’identifient pas un espace
strictement hiérarchisé (ainsi toutes les mobilités ne sont pas verticales : on distingue notamment les
mobilités de statut, des mobilités ascendantes et descendantes). En outre, un même métier peut avoir
changé de statut (prestige, revenus, etc.) d'une génération à l'autre, sans compter la précarité
croissante et le chômage de longue durée, qui peuvent particulièrement marquer le statut social d'un
individu. Ainsi, la mobilité objective peut se distinguer d’une mobilité subjective. En outre, le choix du
nombre de catégories n'est d'ailleurs pas anodin : plus on effectue un découpage précis, plus on
observe de mouvements et inversement. Ainsi, certains travaux récents étudient la mobilité à des
niveaux plus précis (niveau 2 de la nomenclature).

Enfin, les tables de mobilité éclairent peu les évolutions les plus récentes, d'une part, parce
qu'elles prennent uniquement en compte les 40-59 ans et d'autre part, parce que les données sont
très lacunaires.

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II. Les caractéristiques de la mobilité sociale

A. Mobilité observée et mobilité structurelle

Les tables de mobilité font apparaître les taux absolus de mobilité. La société française apparaît
relativement mobile. En effet, En 2015, 65 % des hommes français âgés de 35 à 59 ans relèvent d’une
catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur père, selon l’enquête Formation et
qualification professionnelle. Toutefois, cette mobilité observée (appelée également mobilité brute)
mesure la mobilité sociale indépendamment de l'évolution de la distribution socio-professionnelles
des pères et des fils. Autrement, elle mesure la mobilité globale, c'est à dire à la fois liée au changement

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de structure et aux échanges entre catégories. Ainsi, si l'on prend l'exemple des agriculteurs, ils étaient
674 000 dans la génération des pères et ne sont plus que 217 000 dans la génération des fils, ce qui
signifie qu'il ne peut y avoir plus de 217 000 « immobiles », ou encore qu'au moins 457 000 fils
d'agriculteurs ont une position sociale différente de celles de leur père, uniquement en raison de la
baisse du nombre d'agriculteurs (et de leur part) dans la population active. Au total, sur les 4324000
mobiles, 2320000 le sont en raison du changement de structure sociale (soit plus de la moitié).

On distingue ainsi la mobilité sociale structurelle, dues au changement des structures


marginales (« ensemble »), qui est en quelque sorte une mobilité forcée, et une mobilité nette (ou
relative), résidu entre la mobilité observée et la mobilité structurelle : mobilité nette = mobilité
observée-mobilité structurelle.

La prise en compte de la mobilité structurelle conduit à relativiser le constat de mobilité sociale


forte. Ainsi, de 1977 à 2003, le contexte macroéconomique (c'est à dire la modification de la structure
des emplois) est à l'origine de plus d'un tiers des changements de milieu social entre pères et fils. La
mobilité observée a augmenté de 8 points entre 1977 et 1993, et a stagné entre 1993 et 2015.
Toutefois, l’étude de la mobilité observée et de la mobilité structurelle ne nous dit pas si l’origine
sociale influe sur la trajectoire indépendamment des structures, autrement dit si la société est fluide
(égalité des chances).

B. Mobilité et fluidité sociale

Pour mesurer la fluidité sociale, c'est à dire la mobilité sociale d'une catégorie par rapport à
une autre (taux relatifs de mobilité), les sociologues utilisent l'odds ratio ( rapport de chances, rapport
de côtes) qui permet d'annuler les effets des modifications de la taille des différentes catégories
sociales. L'odds ratio correspond au rapport des chances d'accéder à une catégorie plutôt qu'à une
autre en fonction de la catégorie d'origine.

Exemple :

• En 2015, un fils de cadre avait 50,1% de chances de devenir lui-même cadre et 8,4% de
chances de devenir ouvrier, autrement dit, il avait 50,1%/8,4%=6 fois plus de chances de
devenir cadre qu'ouvrier
• En 2015, un fils d'ouvrier avait 10% de chances de devenir cadres et 46% de chances de
devenir ouvrier, autrement dit, il avait 10%/46,1%=0,22 fois plus de chances de devenir cadre
qu'ouvrier
• L'odds ratio correspond au rapport de ces chances : 6/0,22=27,4 : cela signifie qu'un enfant
de cadres a 27,4 fois plus de chances qu'un enfant d'ouvrier d'accéder à une position de
cadre plutôt que d'ouvriers.

Louis Chauvel souligne que la fluidité sociale a relativement peu évoluée. Il souligne, dans son
article « Le retour des classes sociales? », que l'analyse des courbes d'évolution des différents odds
ratio montre une dynamique d'égalisation pour les générations nées entre 1915 et 1950, qui depuis a
cessé voire s'inverse dans un certain nombre de cas. Stéphanie Dupays note ainsi qu'en 25 ans,
l'avantage relatif des fils de cadres par rapport aux fils d'ouvriers et d'employés a augmenté. La fluidité
sociale implique des flux de mobilité ascendante mais aussi descendante. Si la mobilité ascendante
suscite l'espoir, la crainte du déclassement mobilise les écrits les plus récents.

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Selon Louis-André Vallet, la fluidité sociale a augmenté en moyenne de 0,5% par an entre 1953 et
1993, tendance qui ne semble cependant pas se poursuivre par la suite. La mobilité sociale n'est
cependant pas toujours ascendante, et on note que la fluidité augmente davantage aujourd'hui du fait
de trajectoire descendante que de trajectoires ascendantes. Ainsi, alors qu'en 1983, la part des mobiles
ascendants étaient 2,02 fois supérieure à la part des mobiles descendants, les mobiles ascendants ne
sont plus 1,77 fois plus que les mobiles descendants en 2003. La montée du risque de déclassement
s'explique par une plus faible mobilité intergénérationnelle « directe » : ainsi, entre 30 et 34 ans, les
hommes nées entre 1949 et 1953 étaient 2,06 fois plus à connaître une trajectoire ascendante plutôt
que descendante, au même âge le rapport n'est plus que de 1,26 pour les générations nés entre 1969
et 1973 (Camille Peugny). En outre, on constate également une plus faible mobilité professionnelle.
Stéphanie Dupays note ainsi que parmi les 40-59 ans interrogés dans l'enquête FQP en 1993, 30% des
employés avaient conservé leur position sociale contre 40% en 2003. De même, alors que parmi les
enquêtés de 1993, 1/3 des ouvriers avaient accédé à une position de cadres ou de professions
intermédiaires, ils ne sont plus qu'1/4 parmi les enquêtés de 2003.

Le déclassement (descente d'un individu dans l'échelle sociale) peut, en outre, prendre
plusieurs formes. Un individu peut ainsi accéder à une position sociale inférieure à celle de ses parents
(déclassement intergénérationnel), mais le déclassement peut également être intragénérationnel
(accession à un statut moins élevé en cours de carrière). Enfin, on parle également de déclassement
scolaire pour évoquer les situations où un individu possède un niveau de formation supérieur à celui
requis pour l'emploi qu'il occupe. Le déclassement est donc un phénomène multidimensionnel, ce qui
explique les divergences dans son analyse. Louis Chauvel et Camille Peugny étudie ainsi le
déclassement comme phénomène intergénérationnel : ils soulignent ainsi que l'ascenseur social est
en panne pour les catégories populaires et que les risques de déclassement s'accroissent
mécaniquement pour les autres (ou risque de s'accroitre fortement) : le nombre d'enfants de cadres
augmente plus rapidement que les emplois de cadres. Le déclassement est alors analysé comme
changement de groupe socio-professionnel, alors que dans les analyses du déclassement
intragénérationnel, l'accent est davantage mis sur le risque de chômage et la précarité. Eric Maurin
souligne ainsi que les insiders (salariés ayant un emploi stable, relativement bien rémunérés) sont
protégés et ont objectivement moins de risques de connaître une situation de déclassement
(chômage) que les outsiders. Toutefois, ils développent une peur du déclassement. Dans cette
perspective, le déclassement objectif touche davantage les ouvriers et employés, tandis que les classes
moyennes sont marqués par une peur du déclassement. Le déclassement scolaire (surqualification),
illustré par le paradoxe d'Anderson (obtenir un diplôme plus élevé que ses parents ne conduit pas
nécessairement à une position sociale supérieure) vient s'ajouter aux craintes des classes moyennes.
Or, déclassement objectif et craintes de déclassement sont en mesure de modifier la représentation
de la structure sociale et risquent de mener au repli sur soi. Camille Peugny et Louis Chauvel soulignent
ainsi que les déclassés sont plus enclins à se tourner vers l'extrême-droite par exemple.

A noter toutefois que la thèse d'un déclassement généralisé doit toutefois être nuancée, les
trajectoires ascendantes restent pour le moment supérieures aux trajectoires descendantes. Le
déclassement reste un phénomène relativement marginal, par contre, la peur du déclassement touche
l'ensemble de la population.

Ainsi, la mobilité sociale a été forte en raison des changements de la structure socio-
professionnelle (mobilité structurelle). Les générations nées après 1950 ont ainsi connu une forte
mobilité ne se traduisant pas nécessairement par davantage de fluidité. On constate par exemple que
le rapport de chances relative entre les enfants de cadres et les enfants d’ouvriers d’être cadre plutôt
qu’ouvrier a augmenté entre 1977 et 1985 (moins de fluidité sociale) alors même que la société était
plus mobile. Si la fluidité a augmenté, il n’y a pas égalité des chances d’accès à une position sociale.

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C. Mobilité des hommes et mobilité des femmes


En raison de la structure socio-professionnelle différente des hommes et des femmes, on
constate des dynamiques de mobilité sociale différentes.

Source : fiche Eduscol

Les hommes connaissent davantage d’immobilité sociale que les femmes. Depuis la fin des
années 1970, la mobilité sociale des hommes âgés de 35 à 59 ans est restée globalement stable : en
2015 comme en 1977, près des deux tiers d’entre eux appartiennent à une autre catégorie
socioprofessionnelle que celle de leur père. Celle des femmes de 35 à 59 ans a progressé de 12 points
par rapport à leur mère (71 % en 2015) et de 6 points par rapport à leur père (70 %).

La mobilité des hommes est davantage ascendante que descendante. En ce qui concerne les
femmes, les trajectoires sont davantage ascendante si l’on compare au statut de leur mère, mais
davantage descendante si l’on compare au statut de leur père.

« La reproduction sociale chez les hommes reste forte parmi les cadres et les employés et
ouvriers qualifiés, tandis que celle des femmes reste prononcée parmi les salariées les moins qualifiées.
Entre 1977 et 2015, la mobilité des hommes salariés a évolué plus favorablement en bas de l’échelle
sociale ; plus haut, les forts déclassements sont devenus moins marginaux » 1 . Les trajectoires des
hommes sont toutefois plus courtes.

1Marc Collet, Emilie Pénicaud, La mobilité sociale des femmes et des hommes : évolutions entre 1977 et 2015, France Portrait Social, INSEE,
2019.

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« Les femmes ont connu une forte croissance des ascensions sociales et un recul des
déclassements pour toutes les catégories salariées. Les trajectoires intergénérationnelles des femmes
salariées se sont ainsi fortement rapprochées de celles des hommes. Les évolutions ont été du même
ordre lorsqu’elles sont comparées à leur père, mais les inégalités sociales de genre dans l’accès aux
catégories les plus qualifiées demeurent fortes en 2015. La transmission des inégalités sociales s’est
nettement réduite jusqu’en 1993, mais a tendance à stagner depuis. En 2015, les inégalités d’accès à
la catégorie des cadres restent encore fortes, tandis que les chances relatives de devenir artisans et
commerçants sont devenues de plus en plus proches entre les différentes catégories de salariés. Les
origines sociales des salariés les plus qualifiés, femmes ou hommes, demeurent très diversifiées. Au
contraire, en bas de l’échelle sociale, près d’une employée ou ouvrière non qualifiée sur deux est
originaire du même milieu social depuis 1977. »2

III. Les facteurs de la mobilité sociale


A. L’évolution de la structure socioprofessionnelle

Quand on étudie la mobilité intergénérationnelle, il faut bien sûr tenir compte de l'évolution
de la structure des emplois d'une génération à l'autre. Il n'est pas étonnant que les fils n'occupent pas
la même position sociale que les pères, puisque les « positions sociales » ont changé d'une génération
à l'autre, avec la transformation des métiers, des catégories socioprofessionnelles et des groupes
sociaux.

Certaines CSP se développent tandis que d'autres régressent, il faut donc nécessairement que
les individus « circulent » d'une position sociale à l'autre. Comment expliquer qu'un quart seulement
des fils d'agriculteurs soient devenus eux-mêmes agriculteurs comme nous venons de le voir ? On peut
penser que c'est un travail dur, ingrat, dont les revenus sont aléatoires et qu'un grand nombre de fils
d'agriculteurs, instruits par l'expérience de leur père, renoncent à vouloir exercer le même métier que
lui. On serait là vraiment dans la logique de l'acteur. Mais on sait que les évolutions technique et
économique ont complètement transformé le travail agricole : la productivité a énormément
augmenté alors que la demande a augmenté moins vite. Résultat : la taille des exploitations s'est
accrue et le nombre d'emplois dans l'agriculture a considérablement diminué. Autrement dit, que les
fils d'agriculteurs le souhaitent ou pas ne change rien à l'affaire, le nombre d'emplois disponibles dans
l'agriculture diminue et ceux qui ne pouvaient pas y trouver de place doivent en chercher une dans les
autres secteurs de l'économie et devenir, par exemple, ouvriers (ce qu'ils sont effectivement souvent
devenus). Il s'agit donc ici d'une mobilité largement imposée par l'évolution des structures
économiques. On parle dans ce cas de mobilité structurelle.

La mobilité structurelle est le changement de position sociale qui est dû aux changements des
structures économiques et sociales. Elle représente une part importante de la mobilité : ainsi, la
croissance pendant les Trente glorieuses a nécessité le développement du nombre d'emplois qualifiés
de cadres ou de professions intermédiaires. Où trouver des titulaires pour ces emplois ? Parmi les fils
des cadres et des professions intermédiaires, bien sûr. Mais ceux-ci étaient relativement peu
nombreux parce que, à la génération de leurs pères, le nombre d'emplois de cadres ou de professions
intermédiaires était beaucoup moins élevé. Il a donc bien fallu les recruter parmi les fils d'autres CSP,
par exemple les fils d'employés dont on a vu qu'ils avaient eu une mobilité ascendante assez forte.
Cette mobilité est donc quasiment obligatoire, poussée par les transformations des structures
économiques. On peut encore raisonner de la même manière actuellement avec les ouvriers : le
nombre d'ouvriers a beaucoup diminué depuis 1975. Les fils d'ouvriers vont donc peut-être être
amenés à changer de CSP du fait de cette diminution, leur mobilité va donc sans doute s'accroître.

2
Idem.

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La mobilité nette n'est pas due à l'évolution des structures, mais au fait que deux individus
permutent leur position sociale. Si la structure sociale reste inchangée, la promotion d'un individu dans
la hiérarchie sociale impose en effet qu'un autre connaisse symétriquement une régression dans cette
hiérarchie (une « démotion »). Cette mobilité nette se mesure simplement par une soustraction : il
s'agit de la différence entre la mobilité totale (ou mobilité brute, c'est-à-dire le nombre d'individus
mobiles) et la mobilité structurelle.

B. Le niveau de formation

Le niveau de formation joue ainsi un rôle essentiel dans la mobilité sociale. L'école devrait rendre
possible la mobilité ascendante des enfants originaires de milieux défavorisés. Si faire des études et
avoir un diplôme ne garantissent ni un emploi, ni un statut social, ne pas en faire, ne pas avoir de
diplôme, garantit à coup presque sûr pour un enfant de milieu populaire l'impossibilité de l'ascension
sociale : dans les sociétés modernes, le diplôme est souvent la clé de l'accès à l'emploi et à la promotion
dans l'entreprise.

Le diplôme est ainsi le facteur explicatif le plus important de la position sociale aujourd’hui.
Ainsi l’extension massive de la scolarisation et la démocratisation (même partielle) de l’école ont
contribué à la progression de la fluidité sociale et de la mobilité sociale.

Toutefois, la hausse des niveaux de formation a été plus rapide que la progression des
emplois qualifiés à partir de la fin des années 1970. L’inflation scolaire a ainsi paradoxalement
dévalorisé le diplôme. Etre plus diplômé que ses parents ne garantie pas une situation sociale
supérieure à celle de ses parents (paradoxe d’Anderson).

En outre, il convient de rappeler que la réussite scolaire et le rendement du diplôme sont


fortement liés à l’origine sociale.

C. Les ressources et les configurations familiales

Les ressources et les configurations familiales vont également influencer les trajectoires des
individus.

A travers le processus de socialisation et la transmission des différents capitaux, la famille tend


à favoriser la reproduction sociale. En effet, l'habitus de l'enfant sera souvent modelé par la
socialisation primaire. On a déjà souligné le rôle que le capital culturel va jouer dans la réussite scolaire.
S'y ajoute le capital social (ensemble des relations qu'un individu entretient avec les autres et qu'il
pourra valoriser). La dotation en capital social joue ainsi un rôle important dans l'obtention d'un
emploi : plus d’1/4 des premiers emplois sont obtenus par des relations familiales ou personnelles. En
outre, la reproduction sociale se renforce d'autant plus que l'on constate une forte homogamie
(tendance à se marier dans le même milieu social). La socialisation secondaire renforce ainsi la
socialisation primaire.

La famille peut toutefois jouer un rôle décisif dans les trajectoires de mobilité sociale. On peut à
nouveau noter à la fois des effets de structures et des effets liés aux choix des acteurs. On a par
exemple constaté que la structure parentale et familiale joue un rôle important dans la destinée
sociale. On accède plus difficilement aux positions favorables dans des familles monoparentales ou
recomposées, de même que dans les grandes fatries. Le diplôme obtenue par la mère joue en outre
un rôle important : les enfants ayant une mère diplômée du supérieur ont deux fois plus de chances
d'obtenir le bac que les enfants de mère sans diplôme. En outre, l'investissement de la famille dans la
réussite scolaire des enfants joue un rôle important : la croyance dans l'école et l'ascension sociale

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peut ainsi apparaître comme une explication de la plus grande réussite des enfants d'immigrés à
origine sociale égale. Les familles peuvent notamment réaliser une socialisation anticipatrice
(processus d'apprentissage et d'intériorisation des normes et des valeurs du groupe auquel on
souhaite appartenir.). Les enfants vont ainsi acquérir les normes et les valeurs du groupe de référence
davantage que celles du groupe d'appartenance, ce qui peut permettre d'accéder à cette nouvelle
position sociale. De manière large, c’est l’ensemble de l’entourage de l’individu qui va influer sur sa
trajectoire, à l’image de la famille Belhoumi étudiée par Stéphane Beaud : l’investissement du père
dans la scolarité des enfants, la scolarité de la mère, la réussite des grandes sœurs…

Conclusion :

Sous la question de la mobilité sociale, il y a donc des enjeux : comment les individus vont-ils accéder
aux positions socialement valorisées ? Est-ce sur la base des mérites personnels ? Est-ce en fonction
de l'origine sociale ? Vous avez là les deux pôles possibles. Mais la réalité conjugue les deux. L'origine
sociale pèse encore largement mais des choix, des stratégies individuels sont toujours possibles. Ainsi
les inégalités qui différencient et hiérarchisent les groupes sociaux entre eux sont pour une part
« héritables ». Cependant, il faut noter que si l'on a tendance à penser que la mobilité sociale est
positive, il faut souligner qu'elle peut être difficile à vivre pour les individus car la mobilité implique
une compétition pour acquérir les positions sociales (source d'incertitudes) et qu'elle individualise
l'échec. En outre, la mobilité peut également servir à justifier les inégalités de fait. La question qui se
pose est alors une question de légitimité : est-il juste qu'il en soit ainsi ? Ces situations ne créent-elles
pas des conflits?

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Notions :

Mobilité sociale : Changement de position sociale. Désigne le changement de position sociale d'un
individu au cours de sa vie (mobilité intragénérationnelle) ou par rapport à ses parents (mobilité
intergénérationnelle). La position sociale des individus est établie en général à partir de leur catégorie
socioprofessionnelle.

Mobilité sociale intergénérationnelle : Changement de position sociale entre deux générations (père
et/ou mère, fils et/ou fille). Il peut s’agir d’un changement de statut, d’une mobilité horizontale, ou
encore une mobilité verticale ascendante ou descendante (déclassement).

Mobilité géographique : Fait de changer de lieu de résidence.

Mobilité professionnelle : Fait de changer d'activité professionnelle ou d'entreprise. La mobilité


professionnelle, appelée également mobilité sociale intragénérationnelle peut s’accompagner d’un
changement de statut, être une mobilité horizontale, ou encore une mobilité verticale ascendante ou
descendante (déclassement).

Tables de mobilité : tableau double-entrée mettant en relation une position sociale et une origine
sociale. Les tables de mobilité sont généralement établies à partir des enquêtes Formation
Qualification Professionnelle de l’INSEE (parfois des enquêtes Emploi), sur les hommes de 40 à 59 ans
(pour neutraliser l’effet de la mobilité professionnelle et en raison d’une faible activité antérieure des
femmes). Elles permettent de construire des tables de destinée (ce que deviennent les fils de…) et des
tables de recrutement (d’où viennent les…)

Mobilité observée : mobilité sociale constatée dans les tables de mobilité.

Mobilité structurelle : Forme de mobilité sociale due à l'évolution des structures des emplois entre la
génération des pères et celle des fils. On la mesure dans une table de mobilité brute en comparant le
nombre total de pères et de fils dans le même groupe socioprofessionnel (GSP). Il suffit de calculer le
déclin entre les deux générations de certains GSP, ou l'expansion des autres GSP.

Fluidité sociale : Chances respectives des membres de différents groupes sociaux d'atteindre telle ou
telle position sociale.
Mesure de la fluidité sociale :
Dans une table de destinée sociale on pourra par exemple relever les chances pour un fils de cadre de
devenir cadre (55,8 %) ou de devenir ouvrier (8,2 %). Un fils de cadre a donc 6,80 fois plus de chances
de devenir cadre plutôt qu'ouvrier (55,8 / 8,2). Il s'agit d'une mesure relative.
De la même façon on relèvera qu'un fils d'ouvrier a 11,4 % de chances de devenir cadre et 43,9 % de
chances de devenir ouvrier. Un fils d'ouvrier a donc 0,26 fois plus de chances de devenir cadre plutôt
qu'ouvrier (11,4 / 43,9).
En calculant le rapport de ces deux mesures relatives (odds ratio) on obtient : 6,80 / 0, 26 = 26,2
On dira alors que les chances de devenir cadre plutôt qu'ouvrier sont 26,2 fois plus importantes pour
un fils de cadre que pour un fils d'ouvrier.
Plus ce rapport de chances relatives (odds ratio) est élevé, plus la fluidité sociale est faible (ou la
viscosité sociale est forte). Une réduction dans le temps de ce ratio indique donc une augmentation
de la fluidité sociale.

Mobilité ascendante : mobilité verticale qui se caractérise par l'accès à une position sociale plus élevée
dans la hiérarchie sociale.

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Reproduction sociale : Absence de changement de position sociale d'une génération à l'autre. Il s'agit
du contraire de la mobilité sociale. On peut donc parler aussi d'immobilité sociale.

Déclassement : Désigne le fait pour un individu d'occuper une position sociale inférieure à celle de ses
parents, ou bien d'occuper une position sociale inférieure à celle que ses diplômes pourraient lui
permettre de prétendre.

Structure socioprofessionnelle : Description de l’organisation de la société en groupes


socioprofessionnels. Répartition dans la nomenclature des PCS.

Configurations familiales : combinaison spécifique de traits généraux d’organisation de la famille


(structure familiale, relations parents-enfants, fratrie, famille élargie…)

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