Vous êtes sur la page 1sur 19

Validation du tracé du projet d’autoroute de desserte du Nouveau

Port de Safi, en contexte de soubassement de gypses

Auteurs : P. Plotto1, M. Attou2,


1
Expert Consultant en Géotechnique, 680 rue Aristide Berges, 38330, Grenoble, France,
2
Expert Infrastructures de Transports, CID, Parc Technopolis, 11100, Sala Al Jadida, Maroc,
Coordonnées des auteurs :
Courriel1 : pierre.plotto@gmail.com ; tél1 : +33 673 898 286
Courriel2 : mustapha.attou@gmail.com ; tél2 : +212 661 400 148

Résumé : Dans le cadre du projet d’autoroute de desserte du Nouveau Port de Safi, le tracé
doit être validé notamment sur l’aspect de son environnement géologique et géotechnique. Ce
tracé traverse une vingtaine de km de terrains à gypses, à effondrements karstiques potentiels.
Le choix a été fait de privilégier un passage dans le creux de plusieurs dépressions fermées,
de type dolines ou ouvalas, supposées stabilisées. Une réflexion dans le domaine de la
géomorphologie appliquée est menée pour apporter des arguments validant ce tracé, avec la
recommandation de réaliser des reconnaissances complémentaires à caractère innovant,
telles que l’interférométrie radar satellitaire, et la datation au C14, des dépôts quaternaires
continentaux rouges, qui pourraient apporter des réponses mesurables aux questions
soulevées, s’agissant de la dynamique d’évolution des dépressions fermées.

Mots clés : tracé d’autoroute, gypse, karst, dépressions fermées, dynamique d’effondrement,
interférométrie radar satellitaire, datation du C14.

Abstract: As part of the New Port of Safi service motorway project, the route must be
validated, among other things, in relation to its geological and geotechnical environment. This
route crosses about twenty km of gypsum land, with potential karstic collapses. The choice
was made to favor a passage in the hollow of several closed depressions, of doline or ouvala
type, supposedly stabilized. A reflection in the field of applied geomorphology is carried out to
provide arguments validating the route, with the recommendation to carry out additional
recognitions of an innovative nature, such as satellite radar interferometry, and C14 dating, of
the red continental quaternary deposits, which could provide measurable answers to the
questions raised, concerning the dynamics of the evolution of closed depressions.

Keywords: motorway route, gypsum, karst, closed depression, collapse dynamic, satellite
radar interferometry, C14 dating.

1
1. Introduction
En 2016, une étude de tracé pour le projet d’autoroute de desserte du Nouveau Port de Safi
est réalisée. La zone à traverser se caractérise par l’existence d’une géologie marquée par
l’existence de gypses, affleurants, ou profonds, induisant un risque potentiel d’effondrements.
Le choix est alors fait de privilégier le passage du tracé le long de grandes dépressions
fermées, correspondant à d’anciens effondrements sur cavités, de type dolines ou ouvalas,
supposées stabilisées. Cette hypothèse n’est alors pas plus argumentée.
Ce projet était géré en 2016 par ADM (Autoroute du Maroc). Il s’est alors arrêté. Il est repris
actuellement par la Direction Générale des Routes du Maroc, qui souhaite le relancer.
Une expertise est missionnée en juillet 2022, dont l’objectif est d’évaluer le risque
d’effondrement sur cavités, et de valider le choix de passer par les dépressions. Cette
expertise bénéficie d’une première campagne de sondages essentiellement carottés, et de
profils géophysiques (méthode de la tomographie électrique), réalisée en 2016 par le LPEE le
long du tracé choisi. Le rapport de l’expertise de juillet 2022 fait l’objet du présent article.
Cet article vise à montrer que par le raisonnement sur une base géologique et
géomorphologique, et la prise en compte de la cinétique des mouvements suspectés, il est
possible d’aller au-delà du lieu-commun consistant à dire que ‘’gypse = effondrement = danger
= interdiction d’infrastructure’’, et d’être plus nuancé.
Pour valider les hypothèses développées dans le rapport d’expertise et présentées dans le
présent article, deux méthodes de contrôle, non usuelles, sont préconisées, à savoir, le suivi
de mouvement de faible ampleur sur de grandes surfaces par la technique de l’interférométrie
radar satellitaire, et la datation au carbone 14 (C14) pour préciser la vitesse d’affaissement
des dépressions fermées, et prouver leur quasi-stabilité.

2. Géologie, géomorphologie

2.1 Contexte général du projet


Le tracé du projet d’autoroute est indiqué sur la carte géologique en figure 1.
La région du projet appartient au Maroc occidental, qui est limité par deux grandes régions
naturelles, disposées en bandes sensiblement parallèles à l’Océan : le Sahel, bassin
endoréique côtier à l'Ouest, dénommé « zone côtière », et la plaine des Abda-Doukkala située
à l'Est. (Cf. la figure 3)
Le projet est entièrement situé dans la zone côtière, partie sud (Safi et au sud de Safi), du
point de vue géomorphologique.

2.2 Géologie, stratigraphie


Les Abda-Doukkala appartiennent à la grande unité géologique, connue sous le nom de «
Meseta marocaine » : celle-ci est définie par le régime tabulaire des dépôts secondaires et
tertiaires reposant sur des terrains primaires (non visibles sur la zone étudiée, probablement
très profonds – plusieurs centaines de mètres).
Le socle primaire n’est pas présent dans la zone côtière. Il n’a pas été rencontré en forage
(profondeur max 50 m).
Le substratum géologique est ici constitué des terrains secondaires, Jurassique et Crétacé.

2
Le Jurassique est présent à l’affleurement au sud-est de Safi, sur la zone d’étude, sous la
forme de pointements discontinus, souvent recouvert par les formations plio-quaternaires et
les dépôts récents quaternaires.
Les dépôts du Jurassique supérieur sont constitués des calcaires et marno-calcaires,
contenant de nombreux bancs de gypse. La puissance totale de ces dépôts est de plusieurs
centaines de mètres. Les formations gypseuses jurassiques sont localement très développées
sur la zone d’étude. Elles font l’objet de plusieurs exploitations en carrière à ciel ouvert, dans
lesquelles elles peuvent être observées sur de grandes hauteurs – jusqu’à 30 à 50 m. On peut
y voir un gypse marneux, assez différent du gypse pur et cristallisé du Trias (absent de la zone
d’étude).
Le Crétacé est extrêmement important au nord-est de Safi, et constitue le substratum presque
continu des terrains plio-quaternaires aquifères des Doukkala. Il ne serait pas présent dans la
zone d’étude, d’après les différentes cartes géologiques à disposition.
Le Tertiaire, c’est-à-dire l’Éocène (phosphates) et le Miocène, n’est pas représenté sur la zone
d’étude.
Seul le Tertiaire supérieur, Pliocène, est présent, au sein de la formation du Plio-Quaternaire,
à dépôts tantôt marins (grès et sables lumachelliques) tantôt continentaux (sables dunaires
plus ou moins indurés). On le retrouve dans la plupart des forages, sur tout le tracé, hormis le
passage de Jurassique gypseux aux Pk 5 à 6.
Les formations du Plio-Quaternaires peuvent contenir des :
 calcaires détritiques, lumachelliques, jaunes et très poreux : ils représentent le faciès normal,
constitué de débris de coquilles liés par un ciment de calcite et d'hydroxyde de fer.
 sables jaunes, grossiers : c'est le même faciès que précédemment, mais sans ciment ;
 calcaires recristallisés, très durs : le ciment calcaire a tout envahi.
 calcaires à grain fin, sans fossiles : c'est le faciès dunaire, tendre et chargé en éléments
argileux ;
 marnes sableuses.
La répartition horizontale et verticale de ces différents faciès est irrégulière et capricieuse : il
s'agit d'une sédimentation de type peu profond, effectuée dans des conditions très variées.
Les forages carottés ont montré la présence de quelques petites cavités karstiques au sein du
Plio-Quaternaire calcaire, mais d’importance mineure, voire négligeable, vis-à-vis du projet.
La carte géologique de Safi au 1/20 000 (figure 2) décrit le Plio-Quaternaire comme une
formation calcaire bioclastique dominante. La partie terminale, notée Qc2, est majoritairement
constituée de tufs calcaires et limons.
Le Quaternaire continental des Doukkala a fait l'objet de nombreuses études géologiques et
pédologiques. Des forages exécutés dans les dayet Fertouaou (à 6 km à l'Est de Sidi-Bennour)
et Ouarar (à 15 km plus au Sud), permettent de distinguer dans ces terrains des :
 limons anciens (ou inférieurs) : ils sont épais, essentiellement argileux et forment les
4/5 du remplissage de la plaine.
 limons récents (ou supérieurs) : peu encroûtés et plus épais dans les axes d'oueds
importants, ils apparaissent beaucoup plus sableux et graveleux que les précédents.
L’épaisseur des limons varie de 10 à 50 m.

3
Ils sont notés q2l sur la carte géologique au 1/200 000 ci-dessous, et correspondent à des
limons rouges, localement sableux voire caillouteux.

Figure 1 – Carte géologique au 1/200 000e, de 1954, avec le tracé (trait vert) du projet d’autoroute.
Extrait de la légende de la carte, avec les formations en présence (soulignées en rouge pour celles qui
sont rencontrées par le projet)

Ils sont notés Qc1, ou si (silts), sur la carte géologique au 1/20 000e (ci-dessous, figure 2), et
correspondent à des limons (silts) et sables fins, à cimentation calcaire, décrits comme limons
rouges ou Rmel ou Tirs (ancienne dénomination géologique).

Figure 2 – Carte géologique de Safi, au 1/20 000e, avec le tracé (en vert) dans sa portion sud.

4
Ce quaternaire continental constitué de limons rouges n’est pas daté précisément. Lors de la
visite de terrain, il a été remarqué qu’il constituait le matériau caractéristique de remplissage
des dépressions fermées, de petite ou de grande dimension. Il s’agirait d’un remplissage
ancien, et toujours actuel (non recouvert par aucune autre formation quaternaire). Il a été
régulièrement rencontré en forage (argiles rouges, ou rougeâtres, ou bariolées, ou brunes) au
niveau des dépressions.
Comme le tracé passe de façon privilégiée sur les dépressions remplies de ce quaternaire
continental limoneux rouge, cette formation mérite que l’on s’y intéresse particulièrement.

2.3 Géomorphologie
Plusieurs éléments morphologiques sont à distinguer dans la plaine des Abda-Doukkala :

Figure 3 – Esquisse géomorphologique des Abda-Doukkala. Tracé du projet d’autoroute en vert

5
Selon l’esquisse géomorphologie ci-dessus, le projet est concerné par « des zones karstiques
complexes » (figuré quadrillé) au nord, puis s’engage dans une « dépression d’origine
karstique à fond plat » (figuré en hachures verticales), le long de laquelle il côtoie des
affleurements de gypses, et enfin se termine au sud en zone plio-quaternaire (noté p.q.) stable,
en parallèle d’un alignement de « dolines » (alignement de petits ronds, à l’ouest du projet).
Tous ces aspects mentionnés sur cette esquisse sont pour le moins inquiétants, s’agissant de
l’existence de gypses, générateurs d’effondrements potentiels sur cavités, avec, pour preuves,
la présence de dolines actives, et de dépressions décrites comme résultant de l’effondrement
de grandes cavités dans les gypses.
Voyons dans le détail.
Le projet commence à la fin de la dernière section d’autoroute – lot 4 – de Safi, environ 2 km
au nord du péage actuel.
Section à petites dépressions fermées :
Du Pk 0,0 au pk 3,0, le tracé traverse une zone de collines peu élevées, avec des dépressions
fermées, c'est à dire sans écoulement exutoire. Une première dépression, du Pk 0,500 au
1,240. Puis une deuxième du Pk 1,760 à 2,200. Puis une troisième du Pk 2,480 au 2,620

Figure 4 – Coupe géologique sur le tracé, Pk 0,700, avec le figuré de la première dépression fermée
remplie de Quaternaire continental

Légende :
Qc1 – Quaternaire continental de limons rouges
pQ-Qc2 – plio-Quaternaire et Quaternaire ancien, grès, sables, calcaires, marnes
Js – Jurassique marno-gypseux
Fc – forages carottés complémentaires demandés, pour compléter la coupe
Fcf – forages destructifs demandés pour la détection de cavités suspectées par la géophysique Lpee
Fsc – forages carottés à but scientifique demandés, pour la recherche de débris organiques pour
datation C14
Birs – bornes demandées pour suivi d’affaissement millimétrique potentiel à base d’interférométrie radar
satellitaire

6
Le tracé croise la RN7N (Ex. RR 204) au Pk 2,970.
Enfin, il traverse une dernière petite dépression, du Pk 3,060 au 3,320

Figure 5 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge aux Pk 3,200
et 3,800, avec un pointement Jurassique gypseux entre les deux.

Section à dépression allongée de dimension moyenne


Le tracé s’engage ensuite dans une dépression allongée, dans le sens nord–sud, du Pk 3,400,
jusqu’au Pk 5,900, tantôt dans son axe, tantôt en bordure en pied de colline.
Cette dépression, longue de 2,5 km, n’est pas régulière. Elle se subdivise en 3 dépressions
distinctes, à peu près plates, mais dessinant globalement une pente vers le sud. Cette
configuration explique l’absence de trace d’écoulements, excepté au Pk 5,400, où un début
de talweg marque le passage d’une dépression à l’autre.
Ces deux premières sections correspondraient à la « zone karstique complexe » décrite sur la
carte géomorphologique ci-avant. A noter qu’à aucun endroit de ce tracé, il n’est noté de
morphologie typique de karst, marquée par des dolines et cônes de dissolution.

Figure 6 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge aux Pk 4,000
et 5,000, avec un pointement Jurassique gypseux entre les deux.

7
Section à dépression allongée de grande dimension = dépression de El Ouidane
Après le passage d’un relief à soubassement jurassique gypseux au pk 6,120, le tracé prend
une direction oblique vers le sud-ouest, dans l’axe d’une vaste dépression ouverte, à fond
sensiblement plat, telle que décrite sur la carte géomorphologique ci-avant. Cette dépression
s’étire du Pk 6,400 au Pk 15,000, soit sur une longueur de 8,6 km. Dans le paysage, on peut
voir que cette dépression est beaucoup plus longue vers le nord-est. En revanche, elle se
referme au sud-est, à son point bas, sans exutoire.
En profil axial, on peut remarquer que cette dépression dessine une succession de paliers :
- Du Pk 6,400 à 7,200, altitude moyenne de 90 m
- Du Pk 7,500 à 7,800, altitude moyenne de 80 m
- Du Pk 7,900 à 8,200, altitude moyenne 70 m
- Du Pk 8,300 à 15,000, altitude en pente très douce, de 65 à 45 m, avec un point
bas à 40 m en bordure nord de dépression dans sa terminaison sud-ouest.
Chacun de ces paliers est séparé du suivant par une remontée de substratum, soit Jurassique,
soit Plio-Quaternaire. Les parties planes se caractérisent par la présence de dépôts
quaternaires limoneux rougeâtres.
Même si la carte géomorphologique attribue à cette dépression une origine « karstique », la
distribution des paliers ci-dessus évoque une origine plutôt tectonique, avec éventuellement
une participation de processus de dissolution des gypses – Cf. le chapitre sur la singularité
tectonique locale, ci-après.

Figure 7 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge au Pk 6,600.
Le pointement de Jurassique gypseux est supposé être limité au Sud par une faille (ou un système de
failles) dénommée Faille de Jorf Lihoudi (voir plus loin dans le texte).

8
Figure 8 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge aux Pk 7,200
et 7,600.

Figure 9 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge aux Pk 8,000 à
9,200. La profondeur de la dépression atteint ici environ 25 m.

9
Figure 10 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge aux Pk 9,500
à 10,700.

Figure 11 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge aux Pk
12,000 à 13,400.

Figure 12 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge aux Pk 13,400
à 14,700. C’est la section à l’altitude la plus basse – 44 m – de cette dépression fermée. C’est en bordure
nord de cette dépression, à cette hauteur, qu’a eu lieu un effondrement localisé, de quelques mètres de
diamètre, en 1996, vidant brutalement le lac qui s’était formé après les pluies (voir plus loin dans le
texte).

10
Section sur le relief final de Plio-Quaternaire
Le tracé après le Pk 15,000 remonte sur un relief (altitude 135 m) à soubassement plio-
quaternaire calcaire sablo-gréseux, pour se terminer sur un plateau irrégulier, à 100 m
d’altitude à l’intersection avec la RP 2308, plateau qui détermine la falaise côtière au sud de
Safi.

Figure 13 – Coupe géologique montrant les dépressions remplies de Quaternaire rouge au Pk 17,900
en fin de tracé du projet.

2.4 Singularité locale – Alignement de dolines à l’ouest du projet


Il s’agit d’une particularité géomorphologique notable, qui mérite d’être soulignée. Il s’agit d’un
alignement de dépressions de type dolines ou cônes de dissolution, très marquées, qui se
succèdent depuis le Nouveau Port de Safi (Jorf Lihoudi sur les anciennes cartes). Cet
alignement fait l’objet de l’étude exhaustive de la thèse de Boualla [2].
Cet alignement suggère l’existence d’une faille tectonique de type décrochant. Nous la
dénommerons la « faille de Jorf Lihoudi ».
Ce type de faille engendre habituellement des vides à la hauteur des irrégularités du miroir de
faille. Dans la mesure où elle traverse des horizons jurassiques gypseux, ces vides peuvent
être exagérés par processus de dissolution, de façon secondaire. Puis les cavités finissent par
rejoindre la surface, sous la forme de dolines.
Ces dolines sont à peu près circulaires, d’un diamètre de quelques dizaines de mètres
seulement, à pente forte. Cette pente forte suggère que les effondrements correspondants
sont plutôt récents, et/ou à dynamique rapide, l’érosion n’ayant pas eu le temps d’atténuer les
pentes des cônes.

11
1996

Figure 14 – Vue aérienne de la fin du tracé du projet (en jaune), après le Pk 15. En tireté rouge,
l’alignement de la trentaine de dolines d’effondrement. Celle notée ‘1996’ est particulière, puisqu’elle
est apparue en 1996, après un épisode pluvieux ayant créé un lac temporaire, qui s’est vidé
brutalement dans la doline.

Figure 15 – Alignement des dolines, photos de quelques-unes d’entre elles (thèse de Boualla [2])

Comme le Jurassique gypseux est omniprésent sur le secteur, on ne peut pas évoquer le
simple fait qu’il s’agit de dissolution, car des cônes seraient présents partout de façon
aléatoire aux alentours. L’alignement, de plus sur une grande distance d’environ 10 km, ne
peut s’expliquer que par la présence d’une faille tectonique.

12
A l’extrémité sud, cette faille détermine un décrochement de l’alignement du littoral, en
dessus du nouveau port. Sa prolongation dans la mer est ensuite marquée très nettement
par une dépression des lignes bathymétriques. On peut la voir passer sous la jetée
principale du port.

Figure 16 - Prolongation en mer de


la faille (trait rouge) du nouveau port
(Jorf Lihoudi), marquée par
l’alignement de cônes de dissolution
visible dans les terres au nord-est
(Cf. carte géologique au 1/20 000 de
Safi) – plan extrait du rapport
d’étude d’impact LPEE/CID/Sogreah
de 2012

Vers le nord-est, l’alignement de dolines s’estompe quelques km au nord de la voie ferrée. Il


est alors remplacé par la bordure nord de la dépression de El Ouidane. Cette bordure est par
ailleurs jalonnée d’affleurements de gypses, avec notamment l’existence de deux carrières,
au nord des Pk 8,000 et 9,800. On retrouve cette remontée de gypse, toujours dans le même
alignement, dans le forage du Pk 6,120, à l’intersection avec le tracé du projet.
On notera que cet alignement de gypse en relief, le long de la bordure nord de la dépression
de El Ouidane, est pour le moins curieux. Habituellement, les gypses qui jalonnent les
accidents tectoniques, notamment ceux du Trias (beaucoup plus anciens) se retrouvent en
creux dans le paysage, car les terrains gypseux sont plus tendres que toutes les autres roches.
Or ici, c’est l’inverse.
On peut raisonnablement supposer que cette morphologie est issue d’une activité tectonique
récente. La littérature (Ouvrage sur les Ressources en Eau du Maroc) décrit une tectonique
atlasique (âge fin du Tertiaire – Miocène, Pliocène) donnant des plis à grand rayon de
courbure, à axes SW-NE, qui pourraient être en correspondance avec nos reliefs gypseux.
Cependant, la fraîcheur des indices d’effondrement, qui ont donné l’alignement de dolines,
associée à une légère flexure de la topographie au sud de la faille (orientée sud-est), flexure
qui se transforme en une véritable pente en bordure nord de la dépression de El Ouidane, fait
penser à une faille néo-tectonique, c’est-à-dire à fonctionnement récent, et pouvant toujours
fonctionner à l’avenir – Cf. le chapitre sur la sismicité ci-après.
L’épisode de l’apparition d’une doline d’effondrement en 1996, en bordure de la grande
dépression de El Ouidane, à la hauteur du pk 14 du projet, vient conforter l’hypothèse d’une
origine néo-tectonique de ces dolines alignées. Si ce n’était pas le cas, cette doline aurait dû
apparaitre depuis très longtemps.
Cette faille est en dehors du projet du côté sud. Sa transformation en flexure de la topographie,
vers le nord-est, recoupe le tracé au niveau du relief gypseux du Pk 6,120. Rien ne permet de
préciser où exactement. Mais cela devrait passer entre les Pk 5,500 et 6,500 du projet.
Cependant sur cette section, on ne rencontre aucun indice d’affaissement ou effondrement
sur cavité de dissolution, malgré la présence de gypse en forage.

13
Une explication pourrait venir de ce que le gypse s’est trouvé surélevé du fait de mouvements
tectoniques relativement récents. Cette surélévation l’aura protégé des circulations d’eau
abondantes, et donc de la dissolution sur les 50 à 100 premiers mètres sous la surface. On
peut noter d’ailleurs dans les murs des 2 carrières de gypses visitées, qu’il n’y a pas d’indice
de cavitation notable. Tout juste quelques fissures accusées par dissolution. Un seul trou, de
diamètre de 1 m environ, a pu être observé à environ 30 m sous la surface, dans la carrière
près du Pk 9,800. Ce qui est insignifiant au regard de la masse gypseuse mise à jour par
l’exploitation. Le cas de la doline ‘1996’ est un cas particulier localisé, où de l’eau a pu
s’accumuler temporairement, pour faire s’effondrer les terrains au-dessus d’une cavité
tectonique préexistante, mais formée de façon plus récente que le remplissage de la
dépression.

2.5 Discussion sur les karsts gypseux


Un karst, au sens strict, désigne une cavité dans du calcaire résultant de la dissolution du
carbonate de calcium par les eaux de pluie infiltrées. Les karsts constituent généralement des
réseaux plus ou moins importants, se développant dans les lignes de faiblesse de la roche, à
la faveur de l’écoulement des eaux. Les karsts sont généralement anciens. Les plus récents
se sont formés durant les dernières périodes glaciaires (eaux de pluie chargées en acide
carbonique) il y a plus de 100 000 ans.
Il semble que de tels karst ss.str. aient été rencontrés sur le lot 3 et 4 de l’autoroute de Safi,
au sein des formations calcaires du Crétacé.
Sur l’actuelle zone d’étude, le Crétacé n’est pas présent. Ou alors à grande profondeur (plus
de 200 m), c’est-à-dire ne permettant pas de relier des cavités de quelques mètres ou dizaines
de mètres de diamètre, avec la surface.
Il est signalé également un peu de karstification dans la formation hétérogène et
majoritairement calcaire du Plio-Quaternaire. Le chantier des lots 3 et 4 de l’autoroute de Safi
existante a rencontré de telles cavités à faible profondeur. Elles ont fait l’objet d’une campagne
géophysique au géoradar avec antennes de basse fréquence (100 et 200 MHz – profondeur
d’investigation de 3 à 10 m selon l’environnement), qui aurait semble-t-il plutôt bien marché.
Les cavités ont été traitées « à l’avancement » des travaux, avec succès d’après l’audit du
CEREMA.
Ce problème de karst n’est globalement pas présent sur le présent tracé. Même sur la section
terminale, du Pk 15 au Pk 18,500, constitué de formations plio-quaternaires, la probabilité
reste faible, compte tenu de l’absence d’indice signalé en surface. Il pourra en tout état de
cause être également traité à l’avancement du chantier, s’agissant majoritairement de déblais
sur cette section, et de petites cavités de faible extension.
Dans les roches salifères, dont les gypses, on parle plutôt de cavités de dissolution, ou de
karst de gypse. A la différence de la dissolution des calcaires, qui relève d’un processus lent
(échelle de dizaines à centaines de milliers d’années), la dissolution des gypses est rapide
(échelle humaine en situation défavorable). Cette dynamique signifie que l’on peut construire
un ouvrage sur un massif de gypse « sain », sans cavité, puis se retrouver avec un
effondrement sur cavité 40 ans plus tard. Mais ceci n’est envisageable que si de l’eau circule
en quantité suffisante, à faible et moyenne profondeur (entre 0 et 50 m environ). Il devra s’agir
d’eau « fraîche » d’infiltration locale, ou d’eau de ruissellement, et non d’eaux souterraines
déjà saturées en ions SO4-- ou Ca++.

14
Plus en profondeur, cette dissolution peut se produire, à la faveur de circulations concentrées
abondantes, mais pour avoir de telles circulations, il faut qu’il y ait un exutoire. Cet exutoire,
dans notre cas, est le niveau de la mer. Si dissolution il y a à plus de 100 m de profondeur,
pour que la cavité rejoigne la surface du sol, il faut que la cavité soit très importante.
Or le projet se trouve à une altitude moyenne de 100 m, et plus bas vers le sud. Un processus
de dissolution massif à cette profondeur n’est donc pas possible, puisqu’on se trouve à peu
près au même niveau que l’exutoire.
En revanche, lors de la dernière glaciation (-100 000 à -10 000 ans), le niveau de la mer se
trouvait au moins 100 m plus bas. Idem lors des nombreuses glaciations antérieure – depuis
environ 2 M d’années (environ 25 glaciations). Durant ces périodes, les gypses en profondeur
ont pu être le lieu de dissolutions massives. Les cavités qui en ont résulté, auraient fini par
donner, par effondrements successifs depuis la grande profondeur, les dépressions fermées
(ou non fermées, mais à fond anormalement plat) visibles au nord de la dépression de El
Ouidane. Notamment sur la section à petites dépressions, puis sur la section à moyennes
dépressions.
Selon cette hypothèse probable, lesdites dépressions ne seraient plus actives. Elles se
seraient stabilisées. Ou seraient en voie de stabilisation, si le processus d’effondrement et
tassement des produits effondrés au-dessus de la cavité d’origine ne s’étaient pas encore
complétement compactés. Le fait que ces dépressions soient systématiquement remplies par
du matériau silto-sableux rouge (Quaternaire continental), de façon constante, indique que le
processus d’effondrement a été progressif, et à une vitesse d’affaissement plus faible que la
vitesse de remplissage par les limons quaternaires. Les fonds plats des dépressions
témoignent d'une sédimentation quasi-lacustre, rendue possible pas absence d’exutoire.
Une inconnue demeure : est-ce que ces dépressions continuent de s’affaisser, même
doucement (environ 1 mm/an, ou moins, compte tenu de l’absence d’indice de mouvement en
surface, notamment au niveau des infrastructures routières). Ou sont-elles quasi-stables ?
Seules des mesures précises – de l’ordre du mm – et sur une période suffisamment longue –
de 1 à 5 ans – permettraient d’y répondre.
Je suggère la réalisation d’un suivi par interférométrie radar satellitaire, qui permet de détecter
de faibles mouvements sur de grandes étendues. Soit sur la base de points géodésiques à
mettre en place au centre des dépressions et à surveiller durant les années à venir. Soit sur
la base de structures solides et fixes (murs de maçonnerie, revêtement routier sans
intervention de rechargement, toitures de maisons) sur plusieurs années passées (des
enregistrements interférométriques de l’ensemble du globe existent depuis plus de 10 ans).
Et peuvent-elles donner lieu à des effondrements brutaux, de volume important ? On peut
répondre que non, ce processus n’est pas envisageable, d’une part parce que les cavités de
dissolution à leur origine sont très profondes (> 50 m pour les petites dépressions, >100 m
pour les dépressions moyennes et grandes), et qu’en conséquence, les déformations induites
par effondrements successifs ne peuvent être que progressives, avec phases d’accélération
mesurable et visible en surface avant effondrement (ceci est documenté dans la littérature
concernant les gypses, qui donnent beaucoup de fluage avant rupture).
On notera que les dépressions sont remplies de limons quaternaires rougeâtres, dont
l’épaisseur, le long du tracé, varie de quelques mètres dans la section à petites dépressions
au nord, à une vingtaine de mètres le long de la dépression d’El Ouidane, avec un maximum
supérieur à 30 m au Pk 14,200 (dans la zone la plus basse – 40 m d’altitude – au sud-ouest

15
de la dépression d’El Ouidane). Si on fait l’hypothèse que l’initiation de ces mouvements
d’affaissement se situe vers 100 000 ans, cela donnerait des vitesses moyennes
d’affaissement de 0,1 mm/an à 0,3 mm/an. Si le processus a été plus rapide (V>1 mm/an)
alors force est de constater qu’il s’est stabilisé depuis la dernière glaciation (-10 000 ans), au
moment de la remontée du niveau de la mer jusqu’au niveau d’aujourd’hui, bloquant ainsi les
circulations d’eau profondes.

2.6 Sismicité
En consultant le rapport d’étude concernant le projet de la centrale thermique de Jorf Lihoudi
– rapport CEGG de 2008, reprenant les données d’une étude antérieure de
l’ONE/SOFRATOME pour un projet de centrale nucléaire à Sidi Boulbra – on peut retenir les
éléments suivants :
 Intensité sismique maximale ressentie à Safi = VI sur l’échelle MKS
 le réseau d’enregistreurs sismiques du CNRST mis en place à partir de 1990
enregistre 1 séisme, d’une magnitude inférieure à 5, dans la région de Safi.
C’est peu, en comparaison à d’autres régions actives comme Agadir ou Al
Hoceima, mais ce n’est pas rien.

 il est indiqué que la faible sismicité de la région de Safi n’exclue pas


l’existence de mouvements tectoniques récents, certes de faible amplitude,
mais dont le pouvoir sismogène est atténué, voire annulé, par la capacité de
fluage des gypses.
On peut raisonnablement mettre en correspondance cette sismicité récente avec la présence
de la faille de Jorf Lihoudi, qui serait donc bien de nature néo-tectonique, comme évoqué
précédemment.

3. Reconnaissances complémentaires demandées

3.1 Forages
Des forages carottés – Fc – classiques sont demandés, pour compléter l’établissement du
profil géologique le long du tracé. D’autres forages, destructifs avec enregistrements de
paramètres – Fcf – sont demandés pour vérifier la nature de certaines anomalies
géophysiques repérées lors de la prospection réalisées par le LPEE en 2016.

16
3.2 Suivi topographique par Interférométrie Radar Satellitaire
Nous avons vu que les cavités proches de la surface (de 0 à 50 m de profondeur) repérées
par forages sont rares, et d’importance quasi-anecdotiques pour le projet. Les cavités pouvant
donner lieu à des dolines actives, comme celle de ‘1996’, sont visiblement liées à l’alignement
néo-tectonique de la « faille de Jorf Lihoudi ».
En revanche, les cavités très profondes, qui ont donné lieu à la création des dépressions
fermées, sont anciennes. Leur âge serait estimé à plus de 10 000 ans. Mais cette estimation
mérite d’être vérifiée dans la mesure du possible, dans le but de contrôler que les
affaissements qui ont générées les dépressions remplies de limons rouges ne sont plus en
cours, ou bien sont en voie de stabilisation.
Un contrôle avec une précision millimétrique doit être réalisé, à l’aplomb de chacune des
dépressions. Or, un déplacement millimétrique sur une échelle de temps de l’année est bien
difficile à être mis en évidence dans le bruit de fond topographique – gonflements retraits,
labours, végétation, etc…
La méthode par Interférométrie Radar Satellitaire est proposée d’être réalisée.
Voir le site commercial Aurigami.fr, bien pédagogique sur le fondement de la méthode. Les
avantages principaux sont les suivants :
 Suivis de variations altimétriques millimétriques
 Suivis sur de grandes étendues
 Suivis rétrospectifs, utilisant les passages satellites jusqu’à une dizaine d’années
antérieure
Ce suivi peut être effectué sur des infrastructures et bâtiments, bien reconnaissables sur les
images satellites, et n’ayant pas fait l’objet de travaux.

Exemple d’un suivi


sur structures
linéaires (extrait du
site Aurigami.fr)

Pour le suivi des dépressions en zone agricole, il sera nécessaire de mettre en place des
bornes de suivi bien ancrées, pour éviter les influences liées aux conditions météoriques.

3.3 Datation au C14


La question de l’âge des dépressions doit être abordée. En effet, si il est établi que les
dépressions continuent à s'affaisser doucement, il est utile de savoir depuis combien de temps.
En effet, certaines dépressions peuvent être très anciennes, et d’autres plus récentes.

17
Il est donc proposé de réaliser des carottages au centre de la plupart des dépressions à
remplissage de limons rouges, avec une attention particulière sur l’interface entre le limon
rouge et le terrain sous-jacent, s’agissant de Plio-Quaternaire, ou de Jurassique. Comme les
dépôts quaternaires récents sont continentaux, de la végétation a dû exister avant le
remplissage. Il s'agit donc de retrouver des traces de matière organique, afin d’effectuer des
datations au C14.
Ainsi, on pourra établir si la vitesse d’affaissement est de l’ordre du mm/an, ou du cm/an. Cette
information, confortée par le suivi par interférométrie radar satellitaire, permettra d’apprécier
la durabilité du projet, à l’échelle de plusieurs décennies.

4. Conclusion
Cette expertise concernant la faisabilité du projet d’autoroute de desserte du Nouveau Port de
Safi, aura permis d’apporter des éclaircissements sur l’appréciation des risques
d’effondrement sur cavités dans les gypses le long du tracé.
Une distinction doit donc être faite entre les dépressions fermées, d’origine karstique, avec
remplissage de limons rouges quaternaires, et les dolines actives.
Dans le contexte local, les dolines actives sont liées à une activité tectonique récente.
Alors que les dépressions résultent de processus de dissolution des gypses anciens, qui ont
eu lieu après la tertiaire et la surrection de l’Atlas, et en particulier durant les périodes glaciaires
du Quaternaire, alors que le niveau des mers était à environ 100 m plus bas qu’aujourd’hui,
induisant ainsi un gradient hydraulique suffisant pour qu’aient lieu les processus de dissolution
profonds. Depuis le dernier épisode glaciaire, il y a 20 000 ans, la mer est remontée à son
niveau d’aujourd’hui, et les écoulements profonds ont cessé.
Seuls les écoulements superficiels sont maintenant possibles, dans la tranche des 50 premiers
mètres, ce qui limite considérablement le risque de futures dissolutions. Excepté le long de la
faille de Jorf Lihoudi, et encore, seulement lorsqu’elle se trouve proche d’une zone
d’accumulation d’eau, comme cela a été le cas en marge du pk 14, au point le plus bas de la
dépression de El Ouidane.
Ces conclusions permettent de conclure que le tracé choisi selon un cheminement passant
par les dépressions, et bien qu’elles soient d’origine karstique, s’avère faisable, dans des
conditions de risques d’affaissement ou d’effondrement acceptables.
Cependant, comme cette appréciation repose sur un ensemble d’hypothèses jugées très
probables, il convient d’essayer de les confirmer, à l’aide de mesures et reconnaissances
appropriées. C’est pourquoi ont été recommandés la réalisation de :
 Forages carottés complémentaires
 Forages destructifs avec enregistrements de paramètres
 Forages pour prélèvement de matière organique dans les fonds de dépressions
remplies de limons rouges du Quaternaire continental, pour datation au C14
 Et enfin, d’un suivi par Interférométrie Radar Satellitaire, soit sur les 5 années
futures après la pose de bornes spéciales, soit sur l’approche rétrospective sur les
éléments d’infrastructures immuables, sur la dizaine d’années passée.

18
Bibliographie
[1] Karst des gypses et évaporites associées, J. NICOD, Annales de géographie n°471 (pp.
513-554), 1976
[2] Etude des risques de mouvements de terrain dans la région de Safi, Othmane BOUALLA,
thèse de doctorat de la Faculté de Jadida, 2016 (non publiée)

19

Vous aimerez peut-être aussi