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Université Cadi Ayyad

Faculté des Sciences Juridiques,


Économiques et Sociales
Marrakech

Module : Géopolitique et droit du commerce international


Matière : Géopolitique

Économie-Gestion

Semestre 5

Option : Management à l’international

Pr. Karim Seffar

2016-2017
EG   S5   ‐Management à l’international‐       Géopolitique  2016‐2017 
 

Plan :

-p.3-Introduction
-p.4- Chapitre I : Les concepts géopolitiques fondamentaux
-p.4-Section 1 : La conflictualité
-p.4-§1 : La lutte pour les ressources
-p.4-§2 : La lutte pour les espaces géographiques
-p.5-§3 : La lutte pour l'hégémonie idéologique, ethnique et/ou nationale
-p.5-Section 2 : L'espace
-p.5-§1 : La territorialité classique
-p.5-§2 : La territorialité spatiale
-p.6-Section 3 : La frontière
-p.6-§1 : Les types de frontières
-p.6-§2 : L’effectivité de la souveraineté
-p.6-Section 4 : L'impérialité
-p.6-§1 : Forme classique
-p.7-§2 : Forme nouvelle
-p.7-Section 5 : La mondialité
-p.7-§1 : La mondialité de certains lieux stratégiques
-p.7-§2 : La mondialité de certaines puissances
-p.8- Chapitre II : Les précurseurs de la géopolitique
-p.8-Section 1 : Les précurseurs de la géopolitique allemande
-p.8-§1 : Friedrich Ratzel
-p.9-§2 : Karl Haushofer
-p.10-Section 2 : Les précurseurs de la géopolitique anglo-saxonne
-p.10-§1 : Alfred Mahan
-p.11-§2 : Halford John Mackinder
-p.13-§1 : Nicholas Spykman
-p.13-Section 3 : Les précurseurs de la géopolitique française
-p.13-§1 : Jacques Ancel
-p.13-§2 : Yves Lacoste
-p.14- Chapitre III : Les tendances géopolitiques structurelles
-p.14-Section 1 : La redéfinition de la puissance
-p.14-§1 : L’hyperpuissance
-p.16-§2 : Le pouvoir d’influence (Soft power)
-p.16-Section 2 : La progression de la démocratie
-p.16-§1 : La démocratisation : une tendance mondiale
-p.17-§2 : Les erreurs d’appréciation
-p.18-Section 3 : Vers la fin de l’impunité
-p.18-§1: La justice internationale
-p.18-§2 : L’opinion publique
-p.19- Chapitre IV. La géopolitique des ressources
-p.19-Section 1 : Le pétrole
-p.19-§1 : Les caractéristiques d’une ressource stratégique
-p.20-§ 2 : Le contrôle d’une ressource stratégique
-p.20-Section 2 : L’eau
-p.21-§1 : Les facteurs de rareté de l’eau
-p.21-§2 : Les types de conflits liés à l’eau
-p.21-Section 3 : L’agriculture et l’alimentation
-p.22-§1 : La place centrale de l’agriculture dans l’Histoire
-p.22-§2 : La sécurité alimentaire


 
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Introduction

Le terme de « géopolitique » aurait été utilisé pour la première fois, en 1905, par le
Suédois Johan Rudolf Kjellén, professeur d’histoire et de science politique à l'Université de
Göteborg puis d’Uppsala. Selon lui, « au-delà de son aspect physico-géographique comme
territoire, la vie d’un État a quatre autres formes : comme foyer dans ses activités
économiques, comme peuple dans ses caractères nationaux et raciaux, comme
communauté sociale dans ses classes et ses professions et comme gouvernement dans son
aspect constitutionnel et administratif. Cinq éléments de la même force, cinq doigts d’une
même main qui travaillent en temps de paix et luttent en temps de guerre ».Il va imaginer
cinq sous-disciplines de la science politique : la géopolitique qui étudie l’État comme
organisme ou phénomène dans la société, l’écopolitique (économie), la démopolitique
(relation entre population et organisation politique), la sociopolitique (rapports entre l’État et
la société) et la kratopolitique, à savoir, l’autorité de l’État.
L'analyse géopolitique prend d'abord en compte la géographie physique. Deux
situations géographiques sont à distinguer car elles déterminent des comportements
différents en politique étrangère : la situation d'insularité ou la situation d'enclavement. Le
progrès technique a permis à certains égards de relativiser la situation géographique. Il n'a
cependant pas affranchi les acteurs de leur position sur la carte. Et le comportement des
États comme celui des acteurs intra étatiques – mouvements rebelles dans les États –, reste
en premier lieu déterminé par cette position. Relief et climat sont des facteurs de première
importance dans les dynamiques politiques en de nombreux points du globe.
Après l'espace, les hommes. La géopolitique prend en compte la géographie des
identités, c'est-à-dire à la fois l'inscription des hommes dans le territoire et les traits
caractéristiques de ces communautés humaines, ce qui les différencie, ce qui les oppose. Le
géopoliticien établit souvent le constat de la non coïncidence des frontières des États et des cad
il y
a
frontières des identités. La carte des États ne se superpose pas exactement à celle des plusi
eurs
ident
peuples, ethnies ou nations. Il en résulte des revendications identitaires ; lesquelles ités
dans
débouchent à leur tour sur des conflits. Les tensions identitaires ne se limitent pas à le
péri
mètr
l'ethnie, elles sont aussi religieuses. La carte des religions s'ajoute, se superpose, sans e
des
fronti
toutefois coïncider avec la carte des États et celle des peuples. ères
d'un
seul
C'est en mettant en évidence l'importance des critères de la géographie – physique, état.
ou
bien
identitaire, des ressources – que la géopolitique, sans prétendre pour autant clore l'analyse des
ident
ités
des relations internationales, apporte un éclairage sur ces forces profondes de l'histoire. Il sem
blabl
n’est pas question de prétendre, dans un espace restreint, traiter de l’ensemble de la es
en
deho
discipline. Plus modestement, il s’agit d’une entrée en matière qui doit inciter les étudiants à rs
des
fronti
ères
de
l'état


 
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développer leur réflexion sans trancher de manière péremptoire dans des problèmes
compliqués, dont souvent nous n’appréhendons qu’une partie restreinte.
Nous verrons, dans un premier temps, quels sont les principaux concepts
géopolitiques (chapitre I). Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux théories
des précurseurs de la discipline (chapitre II). Dans un troisième temps, nous donnerons un
aperçu de quelques tendances géopolitiques structurelles contemporaines (chapitre III).
Enfin, dans un quatrième temps, la question centrale de la géopolitique des ressources sera
abordée (Chapitre IV).

Chapitre I : Les concepts fondamentaux


Nous retiendrons cinq concepts géopolitiques principaux. La conflictualité (Section 1),
l'espace (Section 2), la frontière (Section 3), l'impérialité (Section 4) et la mondialité (Section
5).

Section 1 : La conflictualité
Les conflits ont, pour l'essentiel, trois sources principales : la lutte pour le contrôle des
ressources (§1), la lutte pour le contrôle des espaces géographiques (§2), la lutte pour la
domination idéologique, ethnique et/ou nationale (§3).
les guerres de crusade (the name in english is THE CRUSADES i don t know what it is called in
french)

§1 : La lutte pour les ressources


Aujourd’hui, comme depuis toujours, la lutte pour les ressources a été la lutte HIDDE
N
primordiale, essentielle, plus ou moins camouflée derrière les légitimations idéologiques. Par
exemple, le combat contre le communisme des États-Unis d'Amérique, jusqu'à la disparition
de l’Union soviétique au début des années 1990, alors que l'objectif réel est de contrôler le
pétrole, l'uranium ou les réserves d’eau.

§2 : La lutte pour les espaces géographiques


Cette lutte est nécessaire pour pouvoir accéder aux ressources. C'est donc, par
exemple, la lutte pour le contrôle de l'eau : la source ou les rives des fleuves, les cols et les
crêtes des montagnes, les détroits maritimes et les canaux : comme le contrôle de la route
des Indes, par l'Angleterre, jusqu'à la deuxième guerre mondiale, ou, pour les États-Unis
d’Amérique, le contrôle du canal de Panama qui permet le passage de l'atlantique au
pacifique.


 
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§3 : La lutte pour l'hégémonie idéologique, ethnique et/ou nationale


Cette lutte peut être réellement fondée sur le sentiment d'appartenir à la même
communauté d'idées, le même peuple, la même nation, donc sur une identité collective. Elle
est ressentie, plus ou moins passionnément par les membres d'un groupe social, comme
devant s'imposer aux autres parce qu'étant la meilleure, parce qu'étant "choisie" par une
divinité quelconque, par exemple. C'est, notamment, le point de vue des intégristes religieux.
Mais, très souvent, la lutte idéologique, ethnique et/ou nationale, camoufle en réalité des
intérêts tout à fait matériels. wlad lhram bhalhom bhal ghirhom!

Section 2 : L'espace
L'espace c'est tout d'abord le territoire, terrestre, maritime et aérien, la territorialité
classique (§1) mais c’est aussi l'espace extra-terrestre qui ne relève pas de la territorialité
classique, la territorialité spatiale (§2).

§1 : La territorialité classique
Ce concept est toujours un concept fondamental de la géopolitique bien que l'espace
terrestre se soit considérablement rétréci au XXIème siècle avec les nouveaux moyens de
communication et de télécommunication. Tous les États ont leur territorialité, et peuvent
avoir des revendications territoriales et/ou être confrontés aux revendications territoriales de
leurs voisins et/ou adversaires. Cette territorialité étatique peut-être acceptée par toutes les
composantes de l'État mais elle peut être, également, contestée lorsque l'État est un État
multiethnique, multiculturel ; certaines communautés internes pouvant revendiquer
l'indépendance.

§2 : La territorialité spatiale
L'espace extra-terrestre est aujourd'hui soumis au contrôle variable des puissances
qui peuvent matériellement l'utiliser, civilement et militairement. Pour l'instant, le contrôle de
l'espace extra-terrestre n'est qu'un complément du contrôle territorial classique, mais c'est un
contrôle qui ne peut que se développer et s'approfondir. Le contrôle du territoire spatial
permet d'observer les autres et de les écouter. Il fragilise donc le territoire classique, qui
devient vulnérable, surtout lorsque l'espace maritime et l'espace aérien sont eux-mêmes
dominés par une puissance adverse.


 
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Section 3 : La frontière
Il n'y a pas d'État sans frontières. La frontière a évidemment une fonction politique.
C'est une limite qui peut prendre des formes diverses (§1), et qui joue un rôle important pour
le maintien de l'effectivité de la souveraineté (§2).
physiquement(touchable)

§1 : Les types de frontières


Les frontières nationales peuvent être dites « naturelles » lorsqu'elles épousent des
obstacles physiques à la pénétration des adversaires, des océans ou mers, des cours d'eau,
des marais, des déserts, des montagnes. Mais ces frontières peuvent, également, être
considérées comme étant naturelles lorsqu'elles séparent des peuples différents d'un point
de vue ethnoculturel, d'origine ethnique différente, parlant des langues différentes, ayant des
religions différentes. Les frontières sont tout simplement dites « politiques » lorsqu'elles
so résultent d'un traité de paix ayant mis fin à un affrontement entre États ; frontières qui ne
cio
loq sont pas alors, ou plus, nécessairement naturelles, ou qui le redeviennent. Les frontières ne
iue
et sont pas davantage nécessairement naturelles lorsqu'elles résultent de délimitations
no
n effectuées par des colonisateurs comme, notamment, en Afrique, ou par des puissances
tou
ch
abl
étrangères comme au Moyen-Orient, par exemple, après le démantèlement de l'empire turc.
e

§2 : L’effectivité de la souveraineté
C'est essentiellement sur son territoire, délimité par ses frontières, que l'État fait
appliquer son droit, ou essaie de le faire. Si la frontière n'est pas un obstacle à la pénétration
illégale des personnes et des marchandises, l'effectivité de la souveraineté étatique est
remise en cause, au profit des organisations de fait, et notamment des organisations du
crime. La criminalité mondiale organisée se veut, évidemment, sans frontières, qu'elle viole
impunément lorsque l'État est faible et, peut-être, corrompu. Un État doit pouvoir contrôler
ses frontières pour être un véritable État.

Section 4 : L'impérialité
L'extension de la puissance au-delà d'un peuple conduit naturellement à la
constitution de l'empire. Les empires furent nombreux dans l'Histoire sous une forme
classique (§1) et subsistent sous une forme nouvelle (§2).

§1 : Forme classique
Tout au long de l'Histoire, les empires ont succédé aux empires. D'un point de vue
classique, l'empire est la construction politique d'une entité souveraine fondée sur une unité
territoriale, continue ou discontinue, regroupant des peuples différents vivant sur des

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matalan
 
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territoires qui ont été annexés à un État central. Cet État central gouverne l'ensemble par
l'intermédiaire d'une administration décentralisée. Cette dernière contrôle politiquement, et
exploite économiquement, les territoires annexés.

§2 : Forme nouvelle
Si le XXème siècle a vu la disparition des empires russe, ottoman, austro-hongrois et
allemand en 1919, et des empires coloniaux britannique, français, belge, portugais après
1945, ce fut au bénéfice de deux nouveaux empires, l'empire américain et l'empire
soviétique ; ce dernier s'étant effondré au début des années 1990. L'empire soviétique et
l'empire américain sont d'une autre nature, d'une forme nouvelle, dans la mesure où ils ne
constituent pas des entités juridiquement souveraines.
Le Vietnam, Cuba, certains États africains, n'étaient pas juridiquement annexés à
l'Union soviétique, mais cette dernière les contrôlait idéologiquement, politiquement et
économiquement. En outre, l'Union soviétique, elle-même, constituait bien un empire
classique de par l'annexion des États baltes, de la Biélorussie, de l'Ukraine, de la Géorgie,
de l'Arménie, et des États musulmans de sa frontière sud ; un héritage de l'empire russe.
Quant à l'empire américain, il contrôle indirectement, au niveau idéologique, non seulement
les États dits occidentaux et tout particulièrement les États anglo-saxons, mais également
d’autres États à travers le monde.

Section 5 : La mondialité
Le concept fait référence à deux situations différentes : la mondialité de certains lieux
stratégiques (§1) et la mondialité de certaines puissances (§2).

§1 : La mondialité de certains lieux stratégiques


Certains lieux, de par leur emplacement géopolitique, permettent aux puissances qui
les contrôlent d'exercer leur pouvoir discrétionnaire à l'égard des autres puissances en
fonction du critère ami-ennemi. C'est le cas pour certains lieux élevés comme le Golan,
détroits certains détroits comme le détroit d'Ormuz et certains canaux comme le canal de Corinthe.
kat3ni
madya9Si ces lieux stratégiques sont situés de telle sorte qu'ils intéressent la plupart, sinon la

totalité, des États importants du monde, il y a pour eux mondialité.

§2 : La mondialité de certaines puissances


Ce sont les puissances qui sont capables de contrôler la plupart des lieux de
mondialité. Ce fut évidemment le cas pour l'Angleterre de l'Empire britannique jusqu'à la
deuxième guerre mondiale. Depuis la disparition de la Russie soviétique en 1991, qui ne fut


 
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réellement une puissance mondiale qu'à partir des années soixante, et donc pendant
seulement une génération, la seule puissance ayant accès à la mondialité est les États-Unis
d’Amérique. La mondialité des États-Unis est une mondialité conquérante à travers la
globalisation.

Chapitre II : Les précurseurs de la géopolitique


Science du réel, la géopolitique n'est cependant pas à l'abri de l'instrumentalisation.
Les théories de ses précurseurs sont souvent controversées. La tradition géopolitique
allemande (section 1) fut le cerveau véritable du pangermanisme, avec les conséquences
graves que cela impliqua pour l'Europe. Quant à la géopolitique anglo-saxonne (section 2),
de l'Angleterre à la fin du XIXème siècle jusqu'aux États-Unis d'aujourd'hui, elle n'a cessé de
penser le monde comme un empire. La géopolitique française (section 3), quand à elle,
prône une politique d’équilibre.

Section 1 : Les précurseurs de la géopolitique allemande


Il s’agit de Friedrich Ratzel (§1) et de Karl Haushofer (§2).

§1 : Friedrich Ratzel
Friedrich Ratzel est souvent considéré comme le fondateur de la géographie
moderne et de la géographie politique. Pharmacien de formation, il était partisan de la
théorie de l’évolution de Darwin. Il occupe la chaire de géographie de l’université de Leipzig
de 1886 à sa mort. Il devient le grand maître universitaire en géographie politique allemande.
Il place l’État au centre de sa réflexion. Pour Friedrich Ratzel, la géopolitique est « la science
qui établit que les caractéristiques et conditions géographiques, et plus spécialement les
grands espaces, jouent un rôle décisif dans la vie des États, et que l'individu et la société
humaine dépendent du sol sur lequel ils vivent, ayant son destin déterminé par la loi de la
géographie ».
Il pense que le monde occidental s’est imposé vis-à-vis des autres civilisations grâce
au rôle de la nation. Il faut donc comprendre les mécanismes de sa formation, ses liens à
l’espace et son dynamisme. Il va assimiler la nation à un organisme, établir un lien direct
entre l’épanouissement d’un peuple et l’espace vital (Lebensraum) dont il a besoin. C’est
donc lui qui va développer en premier le concept d’espace vital, qui sera ensuite récupéré
par Hitler. L’Allemagne, de par son poids commercial et économique, sa puissance culturelle
et idéologique, a vocation à dominer l’Europe en élargissant ses frontières à l’est pour
accéder aux ressources agricoles qui s’y trouvent. Ses théories vont être interprétées et


 
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utilisées par les nazis pour justifier leur volonté expansionniste afin de donner à la nation
allemande l’espace vital qui lui est nécessaire.
Sur la géographie politique, il définit un triangle composé de la puissance, du peuple
et du territoire. L’État est pour lui comme une structure humaine qui ne peut croître que sur
le sol comme un organisme vivant. Quand il grandit, il s’étend dans l’espace ; quand il meurt,
il disparaît de la carte. La nation est un ensemble d’hommes unis par un sentiment
d’appartenance. Ce dernier n’étant pas forcément fondé sur la race. Le peuple est composé
d’individus et de groupes qui sont unis par le territoire commun.
Ratzel admet qu’il y a un danger à considérer que la géopolitique, ou plutôt une
politique basée sur la géopolitique, puisse verser dans le déterminisme géographique : « Le
seul élément de l’unité de l’État est le territoire. Dès lors il y a une forte tentation de baser
l’organisation politique sur le territoire et l’État. ». La géopolitique doit rappeler aux hommes
d’État l’importance du facteur géographique, trop souvent négligé. L’Histoire peut d’ailleurs
s’expliquer selon lui par la géographie. Il a cependant une conception organiciste de l’État.
Les frontières sont assimilées à l’épiderme. L’extension peut être justifiée par la croissance
naturelle ou la domination du plus fort. Les États forts sont basés sur des peuples forts, bien
ancrés au sol, capables de s’étendre. Il y a une hiérarchie des peuples. Certains sont forts,
d’autres sont faibles, d’autres enfin sont inorganisés.

§2 : Karl Haushofer
Karl Haushofer est la figure de proue de la géopolitique nazie. Il définit la géopolitique
comme « la nouvelle science nationale de l'État, une doctrine sur le déterminisme spatial de
tout le processus politique basé sur de larges fondations de la géographie et notamment de
la géographie politique ». Il est frustré par l’humiliation de l’après-Première Guerre mondiale
et estime que les dirigeants de la République de Weimar doivent être condamnés.
L’Allemagne doit refuser le traité de Versailles qui disperse le peuple allemand en Europe
centrale. Elle doit restaurer son unité. Alors que Ratzel voyait l’État déterminé par le
commerce, le social, la démographie ainsi que l’espace, Haushofer ne voit que l’espace
comme facteur d’action politique.
L’espace, pour lui, dépasse l’Histoire. Le grand Reich allemand doit rassembler tous
les peuples de langue allemande. L’espace européen doit être organisé par et pour
l’Allemagne, qui doit contrôler les petits États. Il faut développer son Lebensraum (espace
vital), pour y déverser les populations excédentaires et y puiser les matières premières.
L’objectif est de réussir à bâtir un système autarcique et, pour cela, atteindre une superficie
conforme à l’importance de sa population. Il s’oppose à la vision libérale et cosmopolite du
Royaume-Uni. Les pays les moins organisés (Pologne, ouest de la Russie) doivent être
rayés de la carte. Il faut en revanche accorder un statut privilégié aux cousins de langue


 
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allemande (Pays-Bas, Flandre). Les grands États de l’Ouest, France et Royaume-Uni,
subsistent mais sont affaiblis. Il préconise une alliance avec l’Italie et la création de petits
États ethniques vassaux.
Il envisage l’organisation du monde autour d’ensembles autarciques. Les Pan-régions
seront dominées par un État fort avec une division internationale du travail. Ainsi, l’Eurafrique
sera organisée par l’Allemagne, l’Eurasie doit être limitée à l’est, l’Asie est organisée par le
Japon. Ces trois régions doivent équilibrer la Pan-America. Il propose donc de s’allier aux
russes pour détruire le Royaume-Uni tout en forçant la Russie à rester une puissance
asiatique. Un bloc eurasiatique unirait l’Allemagne, la Russie et le Japon contre le Royaume-
Uni. La rupture du pacte germano-soviétique le conduit à redéfinir sa théorie pour faire de
l’Allemagne l’unique puissance du heartland. Mais il craint à juste titre que l’Allemagne n’ait
pas la capacité de contrôler un si vaste territoire et ne puisse se battre sur deux fronts.
Haushofer en conséquence n’approuva pas la rupture du pacte germano-soviétique. Il
témoigne contre Hess au procès de Nuremberg. Considéré néanmoins comme le
géopolitologue du nazisme, il fut exclu de l’université en 1945 et se suicida l’année suivante.

Section 2 : Les précurseurs de la géopolitique anglo-saxonne


On peut citer Alfred Mahan (§1),Halford John Mackinder (§2) et Nicholas Spykman
(§3).

§1 : Alfred Mahan
Fils d’un professeur de tactique militaire, Alfred Mahan va lui-même devenir marin de
l’US Navy, avant de présider en 1902 l’American Historical Association. Pour lui, la politique
est avant tout l’expression de rapports de forces. Les unités sociales entretiennent des
relations de concurrence qui provoquent nécessairement des luttes et des conflits. Les
nations sont des corporations économiques qui se battent pour la victoire. Les tentations que
suscitent les marchés de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Extrême-Orient ont conduit les
Européens à se lancer dans une course ; cette dernière étant fondée sur la force. Les
relations internationales peuvent s’étudier en termes de stratégie et de tactique. Chaque
nation peut perdre ou gagner selon les choix qu’elle fait. Il n’y a pas pour elle de substitut à
la force et le concept de droit international est donc illusoire. Ce dernier est d’ailleurs régulé
par la force elle-même. La guerre peut être moralement justifiée en l’absence de toute
autorité internationale sur la base de l’existence de vérités morales.
Mahan a déclaré : « Je suis un impérialiste, simplement parce que je ne suis pas
isolationniste. » Pour lui, la providence doit enseigner aux grandes puissances navales
d’user de leur pouvoir à des fins légitimes. La politique expansionniste de Théodore

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Roosevelt sera légitimée par les écrits de Mahan. Il croit en la supériorité de la civilisation
occidentale, « oasis de civilisation dans un désert de barbarie ». Il pense que le monde
occidental doit rester puissant et fort contre les civilisations non européennes et qu’il a une
obligation morale à maintenir sa suprématie. Enfin, Il estime que la position géographique
des États-Unis protège de la guerre mais que la meilleure dissuasion consiste dans des
navires qui pourraient s’attaquer aux navires de commerce ennemis. Il préconise une
alliance avec l’Angleterre au nom d’idéaux communs. Selon Mahan, le pouvoir maritime est
la clé du commerce et de la compétition économique. Les États-Unis doivent contrôler le
canal de Panama ; cela permettra à la côte atlantique d’être compétitive face à l’Europe en
termes de distance pour les marchés asiatiques. Son livre majeur est « L’influence de la
puissance maritime à travers l’Histoire (1660-1783) ».

§2 : Halford John Mackinder


Le Britannique Halford John Mackinder est certainement l’un des géopoliticiens les
plus connus, voire le géopoliticien emblématique, même s’il refusait le terme de géopolitique.
Professeur à Oxford, il a dirigé la London School of Economics et a été député de 1910 à
1922. Il s’est demandé comment le Royaume-Uni pouvait conserver sa place dans la
hiérarchie mondiale face à la montée en puissance des États-Unis et de l’Allemagne. À la fin
du XIXème siècle, partout flottent des drapeaux nationaux, emblèmes des multiples
souverainetés. L’expansion coloniale a atteint ses limites. Les richesses seront exploitées
par voie de terre, ôtant aux échanges maritimes le rôle essentiel qu’ils ont joué dans
l’économie mondiale. Pour Mackinder, le monde est comparable à un océan mondial où se
trouve l’île mondiale (world island) Autour d’elle, se trouvent les grandes îles (outcycling
island).
En 1904, Mackinder prononce sa conférence sur « le pivot géographique de
l’Histoire ». C’est l’année où la Russie achève de construire le Transsibérien qui est censé lui
assurer un contrôle du continent. La défaite contre le Japon en 1905 prouvera l’inverse : le
Transsibérien qui ne fonctionnait que sur une voie n’a pas pu amener les renforts
nécessaires. Si la Russie s’allie avec l’Allemagne, elle aura accès à la mer et à la puissance
industrielle. Il faut donc lutter contre l’apparition de ce pivot continental. Il écrit : « Aujourd’hui
la Russie occupe la moitié du grand continent. Elle est déjà la puissance de la terre, par
opposition à celle de la mer. Les espaces qu’elle contrôle sont si vastes, leur potentiel
démographique si prometteur, ses richesses si grandes, qu’un puissant ensemble
économique, inaccessible au commerce maritime, s’y développera inéluctablement. »
Mackinder prévoit un système d’alliances qui sera suivi par le Royaume-Uni. Il
préconise une alliance de Londres avec Moscou pour contrer la montée en puissance de
l’Allemagne (ce qui fut fait pendant la Seconde Guerre mondiale) et, pour empêcher que la

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Russie ne se développe, de la contrer à partir de l’Empire perse et de l’Afghanistan (ce fut
l’endiguement (containment) au début de la Guerre froide). Il préconise également une
alliance avec la France, toujours pour contrer l’Allemagne. Il pense qu’une puissance qui doit
se battre sur deux fronts en même temps est perdue.
Le discours le plus connu de la géopolitique est celui prononcé par Halford John
Mackinder lors de la conférence du 5 janvier 1904 devant la société royale de géographie.
C’est de là que vient la formule la plus souvent citée : « Qui contrôle le cœur du monde
(heartland) commande à l’île du monde, qui contrôle l’île du monde commande au monde. »
« La Grande-Bretagne, le Canada, les États-Unis, l’Afrique du Sud, l’Australie et le Japon
forment désormais un anneau de bases périphériques ou insulaires servant la puissance
maritime, et le commerce est inaccessible à la puissance terrestre de l’Eurasie. Néanmoins
la puissance terrestre a su se maintenir et des événements récents ont à nouveau accru son
importance. »
« Le siècle des Tudor qui vit l’expansion de l’Europe au-dessus de la mer vit également la
puissance russe transposée de Moscovie en Sibérie ; la ruée vers l’Est entraîna ses
cavaliers à travers l’Asie, fut un événement presque aussi chargé de signification politique
que le contournement du Cap. ».
« Il y a de cela une génération, la vapeur et le canal de Suez semblaient avoir accru la
mobilité de la puissance maritime au détriment de la puissance terrestre. Le chemin de fer
avait pour fonction principale d’alimenter le commerce par voie maritime. Cependant les
chemins de fers transcontinentaux ont commencé à bouleverser les données de la
puissance terrestre et il n’est d’autre endroit où leur effet se fasse sentir autant que dans la
région centrale et fermée de l’Eurasie. »
« La région pivot des relations internationales à l’échelle mondiale n’est-elle pas cette même
étendue de l’Eurasie qui se trouve hors de portée des navires mais était dans l’Antiquité
ouverte aux nomades à dos de cheval et qui s’apprête aujourd’hui à se doter d’un réseau de
chemin de fer ? »
Au XIXème siècle, la montée en puissance de l’Allemagne et de la Russie inquiète
l’Angleterre, et explique les préoccupations de Mackinder. En 1943, il prédit que si la Russie
sort vainqueur de sa guerre contre l’Allemagne, elle sera la plus grande puissance terrestre
du monde. On le crédite d’avoir anticipé la politique de l’endiguement (containment) bien qu’il
n’ait jamais abordé frontalement la question de la rivalité soviético-américaine. Il préconise,
après la guerre, la coopération entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France pour
éviter que l’Allemagne ne se relance dans des politiques agressives. Il prône aussi le
désarmement de l’Allemagne après la guerre.

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§3 : Nicholas Spykman
Nicholas Spykman, qui fut journaliste avant de devenir professeur à Yale, estime que
jusque dans les années 1930, la politique de sécurité américaine a ignoré le facteur
géographique à son détriment. Spykman accorde une importance particulière aux politiques
étrangères. Elles sont le résultat de l’analyse de plusieurs facteurs géographiques. Il analyse
les effets de la taille et de l’emplacement mondial et régional sur les politiques étrangères
des États. L’élément principal de la puissance d’un grand État est un contrôle effectif et
centralisé et un système efficace de communication du centre vers la périphérie. Il se veut le
théoricien du réalisme politique.

Section 3 : Les précurseurs de la géopolitique française


On peur citer Jacques Ancel (§1) et Yves Lacoste (§2).

§1 : Jacques Ancel
En France, Jacques Ancel va être à l’origine de l’étude de la géopolitique. Pour
Ancel, « la géopolitique est avant tout l'observation et l'analyse des relations humaines avec
le territoire sur lequel elles vivent et se développent militairement, politiquement et
commercialement à partir d'invariants géographiques ». Il estime que cette discipline doit
analyser les relations existantes entre les groupes humains et les territoires sur lesquels ils
vivent et se développent militairement, politiquement et commercialement à partir
d’invariants géographiques : montagne, fleuve, littoral, désert. Selon lui, c’est plus l’homme
qui fabrique la frontière que la nature. Si les invariants géographiques existent, ce ne sont
pas des obstacles incontournables pour des politiques volontaristes. Il rejette donc tout
déterminisme. Il estime que « la frontière est plus mouvante que stable, plus souple que
rigide, plus éphémère que durable ». Il entend défendre les acquis idéologiques de la
Révolution française et les acquis territoriaux de la France face à l’expansionnisme
allemand.

§2 : Yves Lacoste
Yves Lacoste a redonné ses lettres de noblesse politique à la géopolitique qui avait
été à tort assimilée dans les milieux intellectuels français aux théories nazies. Il la définit
comme : « l'étude des différents types de rivalités de pouvoir sur les territoires, […] la
puissance se mesurant en fonction de potentialité territoriale interne et de la capacité à se
projeter à l'extérieur de ce territoire et à des distances de plus en plus grandes ». Il précise:
« Le terme de géopolitique dont on fait de nos jours de multiples usages désignant de fait
tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d'influence sur les territoires et les

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populations qui y vivent : rivalités entre des pouvoirs politiques de toutes sortes - et pas
seulement des États mais aussi entre des mouvements politiques ou des groupes armés
plus ou moins clandestins -, les vérités pour le contrôle ou la domination du territoire de
grande ou de petite taille. ». C'est pour lui la combinaison de la science politique et de la
géographie.
Lacoste a travaillé à réhabiliter politiquement la géopolitique, pour en refaire une
discipline intellectuelle permettant de comprendre le monde et non un projet politique de
domination de certains peuples. La théorie géopolitique avait en effet tenu une place
importante dans l’argumentaire de l’expansionnisme allemand dans les années 1930.
D’autres champs du savoir (histoire de la biologie et de la médecine), certaines formes de
culture (musique, cinéma) avaient également été utilisés par le troisième Reich sans subir ce
rejet global. Mais la géopolitique, étant l’étude de puissance, avait été assimilée à la
recherche de puissance, à la guerre et à l’expansionnisme nazi. Certes le nazisme s’était
servi de la géopolitique, mais dans une vision particulière qui ne devait pas conduire à rejeter
l’ensemble de la discipline.

Chapitre III : Les tendances géopolitiques structurelles


Nous retiendrons les tendances géopolitiques structurelles suivantes : la redéfinition
de la puissance (section 1), la progression de la démocratie (section 2) et l’évolution vers la
fin de l’impunité pour les régimes totalitaires ou violents (section 3).

Section 1 : La redéfinition de la puissance


La redéfinition de la puissance s’articule autour des concepts d’hyperpuissance (§1)
et de pouvoir d’influence (§2) ou soft power.

§1 : L’hyperpuissance
Les États-Unis sont devenus la première puissance économique mondiale au début
du XXème siècle. Pour autant ils n'étaient pas encore la première puissance stratégique, rôle
que tenait encore la Grande-Bretagne grâce à son empire colonial et à sa domination des
mers. L'intervention américaine fut décisive pour déterminer le camp de la victoire dans la
première Guerre Mondiale. Mais le courant isolationniste était encore trop fort ; pour que ;les
États-Unis participent à l'organisation de l'ordre mondial, une fois la paix obtenue. L'attaque
japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941 montra les limites de l'isolationnisme et les
plongea dans la seconde Guerre Mondiale.

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Ils furent le seul pays qui sortit de la guerre plus puissant qu'il n'y était entré. Cela
était dû à sa situation géographique. Le territoire des États-Unis était protégé des attaques
ennemies par deux océans, à l'est et à l'ouest. Au nord et au sud, ils partageaient les
frontières avec des pays amis. Ils n'ont donc pas subi les bombardements qui ont dévasté le
territoire des autres pays protagonistes de la guerre. Les populations civiles avaient été ainsi
également épargnées. Les pertes humaines des États-Unis étaient bien inférieures
proportionnellement à celles des autres pays grâce à cette sanctuarisation de leur territoire.
Le potentiel industriel avait non seulement été épargné, mais il avait été stimulé par l'effort
de guerre et la destruction de celui des autres pays.
Vite confrontés à la menace soviétique, ils vont, selon l'expression de Truman,
prendre « la tête du monde libre » ; ils sont de façon incontestée la première puissance du
monde. Cette puissance est multiforme. Elle est bien sûr stratégique. Même si les États-Unis
vont rapidement perdre le monopole de l'arme nucléaire, ils seront toujours en tête dans la
course aux armements, notamment d'un point de vue qualitatif. L'Union soviétique ne
connaîtra qu'un bref moment la parité stratégique avec les États-Unis, du début des années
1970 (le traité SALT1 qui consacre cette parité est signé le 26 mai 1972).
Au début des années 1980, les États-Unis vont de nouveau faire la différence grâce à
leur avance technologique. Le P.N.B américain est le premier mondial. Les États-Unis ont
été à l'origine de nombreuses innovations technologiques. Enfin la capacité d'attraction de
l'American Way of Life, la popularité de son cinéma, de ses universités, etc., sont autant
d'atouts dans la compétition internationale qui lui permettent d'élargir son influence bien au-
delà de son territoire et bien au-delà des territoires où son armée est présente. La disparition
de l'Union soviétique concomitante au développement des nouvelles technologies de
l'information et de la communication, où les États-Unis excellent, allait leur permettre
d'accroître encore leur avance. Dans les années 1990, Hubert Védrine, alors ministre des
affaires étrangères de la France, forge le concept d'« hyperpuissance », signifiant que celui
plus ancien de « superpuissance» ne suffit plus à rendre compte de la domination
américaine dans tous les aspects de la compétition internationale.
Le déclin américain avait été prédit plusieurs fois dans le passé, à tort. Il l'avait été
lorsqu'en 1957 l'URSS avait pu lancer un Spoutnik relevant le défi de la conquête de
l'espace. Il l'avait été également lorsque, à partir de la fin des années 1950, par la mise au
point de missiles intercontinentaux, les Soviétiques pouvaient menacer le territoire
américain, mettant fin à la sanctuarisation dont ce dernier bénéficiait depuis la naissance du
pays. Il l'avait encore été lors de l'enlisement de la guerre du Vietnam, puis à la fin de la
convertibilité du dollar en or entre 1971 et 1973, en 1979 après l'entrée des Soviétiques en
Afghanistan et le renversement du shah en Iran, À chaque fois les États-Unis se sont relevés
pour continuer à faire la course en tête.

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Pourtant, après avoir dominé le monde dans la seconde partie du XXème siècle, les
États-Unis sont confrontés à la montée en puissance de leurs concurrents et à la multi
polarisation du monde. Deux éléments montrent que la tendance actuelle est beaucoup plus
forte que les données conjoncturelles passées. Le premier est que, dans un monde
globalisé, même la première puissance mondiale n'a pas les mains libres pour agir comme
elle l'entend. La diversification et la multiplication des acteurs empêchent un seul d'entre eux
de pouvoir fixer seul l'agenda et les règles. Le second est qu'il ne s'agit pas tant d'un déclin
américain en tant que tel que de la montée en puissance de nombreux pays émergeants
(BRICS notamment).

§2 : Le pouvoir d’influence (Soft power)


Le pouvoir d’influence est la capacité pour un État, une ONG, une organisation
internationale ou un groupe de pression d’influencer les autres acteurs, en utilisant d’autres
moyens que la force. Joseph Nye, père de ce concept, l’appelle puissance par cooptation :
faire en sorte que l’autre veuille ce que la puissance dominante veut, au contraire du pouvoir
de commandement, qui peut imposer ses volontés par la contrainte. Le pouvoir d'influencer
est un instrument de puissance plus efficace que celui de contraindre. Il permet d'exercer
une influence politique, de faciliter la conquête des marchés, etc.
Si une nation parvient à persuader une autre que leurs intérêts sont communs, elle
parviendra beaucoup plus facilement et plus durablement à la faire adhérer à sa politique
que si elle veut obtenir ce résultat par la contrainte. Pour atteindre ce niveau, la puissance
américaine peut compter sur : sa réputation et son image positive ; ses performances
économiques, réelles ou supposées ; le contrôle de la production et de la manipulation des
symboles (informations, publicité, débats intellectuels ) ; un fort rayonnement culturel, attirant
les savants, les intellectuels et les artistes du monde entier (brain drain) ; Une position
centrale dans les négociations internationales, qui influence l’ensemble des décisions prises
dans le sens qu’elle souhaite.

Section 2 : La progression de la démocratie


Le monde entier n'est pas régi par la démocratie, mais celle-ci étend son emprise de
façon régulière. Ainsi, la démocratisation est une tendance mondiale (§1) qui a longtemps
souffert d’erreurs d’appréciation (§2).

§1 : La démocratisation : une tendance mondiale


Tous les pays ne sont pas encore démocratiques. Les démocraties existantes
connaissent des imperfections, mais le mouvement général, sous l'effet du développement

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de l'information, de la conscience de plus en plus grande des opinions, de leur capacité de
mobilisation, permet de penser que la tendance structurelle lourde est de conduire à la
démocratie. Il n'y a plus aujourd'hui qu'un seul pays réellement totalitaire, la Corée du Nord.
Dans les autres pays où la démocratie ne s'exerce pas, on peut parler de régimes
autoritaires répressifs ou dictatoriaux, mais plus totalitaires comme dans les années 1950-
1960.
Avec la disparition du clivage Est-Ouest, l'Europe de l'Est s'est dotée de régimes
démocratiques. Dans les années 1980, ce furent les dictatures latino-américaines qui se sont
effondrées les unes après les autres. Désormais, le pouvoir se gagne par les urnes et non
plus par les armes. Si les espoirs d'une démocratisation globale de l'Afrique, avec
l'établissement de conférences nationales dans la plupart des pays au début de 1990, ne se
sont pas confirmés, il y a néanmoins un mouvement général et des success stories
démocratiques dans ce continent. En Asie, des régimes militaires dictatoriaux à Taïwan et en
Corée du Sud ont laissé place à des démocraties vivantes avec des sociétés civiles
puissantes. La révolution tunisienne a montré qu'un régime répressif ne pouvait
éternellement se mettre à l'abri de la contestation d'une population éduquée. Elle a créé une
onde de choc dans tout le monde arabe et même au-delà.

§2 : Les erreurs d’appréciation


La guerre froide avait été présentée comme une lutte entre les démocraties et les
systèmes totalitaires. Pourtant, au cours de cette période les régimes occidentaux n'ont pas
hésité à soutenir des dictatures militaires ou même le régime d'apartheid de l'Afrique du Sud
au nom de la lutte contre le communisme. La fin de la guerre froide n'a pas débouché sur la
fin de l'Histoire, comme l'avait prédit Francis Fukuyama, qui pensait que le système
d'économie de marché et les démocraties occidentales se seraient imposés comme modèle.
Deux erreurs ont été communément commises par rapport à la généralisation du système
démocratique. Certains responsables politiques ou intellectuels occidentaux, procédant à un
relativisme culturel, estimaient que les pays asiatiques ou africains n'étaient pas éligibles à la
démocratie. L'autre erreur a été de vouloir l'imposer de l'extérieur, y compris par la force.
Ces deux approches dénotaient un sentiment de supériorité. Elles ne prenaient pas
en compte le fait que l'aspiration à la démocratie est un sentiment universel, mais dont la
mise en œuvre correspond à des moments politiques internes, spécifiques à chaque nation.
L'époque où les peuples étaient passifs est révolue. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas
de retour en arrière et que l'accès à l'information ne s'accompagne pas de tentatives de
désinformation, mais globalement il y a un mouvement irréversible de prise en main de leur
propre destin par les peuples.

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Section 3 : Vers la fin de l’impunité


La marche vers la fin de l’impunité est illustrée par la mise en place d’une véritable
justice internationale (§1) et par l’influence grandissante de l’opinion publique sur les
décisions politiques dans pratiquement tous les pays du monde (§2).

§1: La justice internationale


D'abord balbutiante et disposant de compétences limitées, la justice internationale
tend à s'affirmer. La Cour internationale de justice, établie comme organe judiciaire principal
de l'ONU en 1945, n'est pas un véritable tribunal, dans la mesure où elle n'est compétente
que pour juger des États et à condition qu'ils acceptent de lui déférer leurs litiges. Les
tribunaux de Nuremberg et Tokyo avaient jugé les criminels de guerre allemands et japonais.
Il y avait un vide juridictionnel pour juger des individus coupables de tels crimes, même de
crimes de guerre ou contre l'humanité. Seuls les États pouvaient le faire avec le risque de ne
permettre qu'une justice des vainqueurs. En 1993, a été établi un tribunal pénal international
pour l'ex Yougoslavie. Un tribunal du même type a été créé pour le Rwanda. Dans les deux
cas, il s'agit de réagir à l'événement et non pas d'exercer un effet dissuasif. Il y a donc un
double reproche d'agir au coup par coup.
La Cour pénale internationale a été créée par le Statut de Rome entré en vigueur le
1er juillet 2002 après sa ratification par 60 États. Cependant, la compétence de la Cour
n’étant pas rétroactive, elle ne traite que les crimes commis à compter de cette date. Elle
peut être saisie par un État partie au traité, le Conseil de sécurité de l'ONU ou le procureur
de la Cour. Son caractère permanent et global lui permet d'avoir un rôle à la fois punitif et
préventif. La Cour ne peut juger des affaires antérieures à sa création et ne juge que les
crimes les plus graves (crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crime de génocide et
crimes d'agression). Depuis sa création, la CPI a été saisie pour les crimes perpétrés en
République démocratique du Congo, en Ouganda, au Kenya et au Soudan. Il faut souligner,
néanmoins, que les États-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde, la plupart des pays arabes et
Israël ne sont pas parties au traité. L'existence d'une Cour pénale internationale, si elle
devenait réellement universelle, modifierait le paysage juridique stratégique. Elle mettrait fin
à toute éventuelle protection territoriale de personnes inculpées.

§2 : L’opinion publique
Autrefois absente des processus de décision en politique internationale, l'opinion
publique a vu son poids sans cesse renforcé. Elle joue désormais un rôle considérable, non
seulement dans les démocraties mais également dans les autres régimes. Le
développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication marque

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une étape nouvelle avec des moyens décentralisés et individualisés. L'opinion publique pèse
de son poids, évidemment dans les démocraties, mais également dans les régimes
autoritaires. Mis à part la Corée du Nord, aucun régime ne peut se maintenir uniquement par
la force et il est donc indispensable, si ce n'est d'avoir un soutien populaire, du moins de ne
pas susciter un trop fort rejet.
Le contrôle par un régime des moyens d'information n'est plus possible. À travers
Internet les sociétés civiles s'informent par elles-mêmes, échangent et se mobilisent. Les
gouvernements ont perdu le monopole de l'information qu'ils détenaient auparavant. L'image
étant devenue un élément important de la puissance, la bataille pour l'opinion en est
réévaluée. Tout gouvernement doit se battre sur deux niveaux, convaincre tout d'abord sa
propre opinion qu'il mène une politique conforme à l'intérêt national et ensuite l'opinion des
autres pays que son action est compatible avec l'intérêt général. Les deux ne sont pas
toujours compatibles et, s'il doit faire un choix, un gouvernement jouera toujours la carte du
soutien intérieur par rapport à l'approbation extérieure.

Chapitre IV. La géopolitique des ressources


Au titre des ressources qui intéressent la géopolitique, nous retiendrons le pétrole
(section 1), l’eau (section 2) et enfin l’agriculture et l’alimentation (section 3).

Section 1 : Le pétrole
Le pétrole est l’exemple type de la ressource stratégique. Nous verrons quelles sont
les caractéristiques d’une ressource stratégique (§1) et quels sont les facteurs de contrôle de
cette ressource (§2).

§1 : Les caractéristiques d’une ressource stratégique


Une ressource devient stratégique lorsqu’elle réunit deux caractéristiques
fondamentales : indispensable et rare.
- Elle est indispensable à la survie du système qu’elle alimente. Le pétrole en est la
parfaite illustration. Dès la haute antiquité, le pétrole est connu et utilisé, notamment comme
combustible d’éclairage. Or, à partir 1859, vont avoir lieu trois événements contradictoires
qui vont sonner le glas du pétrole en tant que combustible d’éclairage et le révéler comme
ressource stratégique à l’origine de la nouvelle industrie pétrolière.
1er temps : Le pétrole est devenu en 1859 le nouvel or noir qui attire les pionniers nord-
américains en Pennsylvanie pour son exploitation : il doit remplacer l’huile de baleine,
devenue trop chère pour s’éclairer ;

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Or, 2ème temps : L’essor de l’électricité au début du XXème siècle, met progressivement fin à
l’utilisation du pétrole lampant, alors même que Rockefeller a bâti tout un empire sur cette
ressource, en définissant un standard et en distribuant des lampes à pétrole pour inciter les
gens à acheter le pétrole lampant. Mais avec le développement de l’électricité, le pétrole
lampant n’est plus indispensable au système qu’il alimente .
3ème temps : L’empire de Rockefeller est sauvé par un autre empire naissant, pour lequel le
pétrole va devenir indispensable, celui de Henry Ford qui sort au début du XXème siècle les
premières voitures de série. La Standard Oil de Rockefeller se convertit à l’essence. Le bon
produit rencontre le bon besoin. Le pétrole devient indispensable.
-Elle est rare. Cette deuxième caractéristique est essentielle. Les réserves de pétrole
s’épuisent rapidement et donc la ressource devient plus rare. Le meilleur contre-exemple est
l’air que nous respirons : c’est une ressource indispensable à la survie de l’espèce humaine,
mais elle n’est pas stratégique car l’air existe partout autour de nous : nous n’avons pas à
l’acheter, à aller le chercher, à l’exporter, etc.

§ 2 : Le contrôle d’une ressource stratégique


Le contrôle d’une ressource stratégique comme le pétrole dépend de trois facteurs :
sa localisation, son acheminement, son industrie d’exploitation.
-La localisation d’une ressource est déterminante pour expliquer les relations entre
les différents acteurs En effet, selon que la ressource est exclusivement sur quelques
territoires limités ou qu’elle est partagée par plusieurs territoires, les relations entre les
acteurs directs (où la ressource se situe) et indirects (qui vont exploiter ou consommer cette
ressource) est différente.
-L’acheminement d’une ressource nécessite la création d’un réseau, d’une
infrastructure d’approvisionnement et de distribution L’acteur qui contrôle ces réseaux peut
parvenir à dominer le marché de cette ressource bien plus que le pays producteur. C’était la
stratégie mise en place par l’URSS et poursuivie actuellement par la Russie concernant les
hydrocarbures de sa région, à tel point que l’arme énergétique est devenue pour la Russie
aussi importante que n’importe quel autre moyen de dissuasion et d’influence.
-Une ressource n’est stratégique que si elle est exploitable et qu’il existe l’industrie
pour la rendre exploitable Le processus de transformation du pétrole brut en une ressource
consommable est fondamental. Si une telle industrie de transformation n’existe pas,
l’exploitation de la ressource devient inutile. Ainsi, cette étape introduit un nouveau partage
de l’importance stratégique de la ressource.

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Section 2 : L’eau
L’eau est une source potentielle de conflits. Si le stress hydrique n’a que très
rarement été un facteur déclenchant, il est certainement un facteur aggravant des conflits
sous‐jacents ou existants. Apres avoir abordé les facteurs de rareté de l’eau (§1), nous
verrons quels sont les types de conflits qui peuvent en résulter (§2).

§1 : Les facteurs de rareté de l’eau


L’eau est la ressource de tous les paradoxes. Alors que la Terre est appelée planète
bleue, l’eau potable (non salée) et accessible (qui n’est pas emprisonnée dans les glaciers
par exemple) ne représente que 0,7 % de l’eau sur Terre. Ce chiffre semble confirmer le
sentiment général de pénurie d’eau et de sa rareté. L’eau est une ressource dont la rareté va
dépendre du croisement de deux facteurs : sa répartition géographique et la densité
humaine. C’est bien la jonction des deux facteurs pénurie d’eau et pression démographique,
qui génère une situation potentiellement dangereuse.

§2 : Les types de conflits liés à l’eau


Il n’y a pas eu, sauf dans l’Antiquité, de guerre de l’eau, mais cette ressource est
inégalement répartie, et tous les hommes n’y ont pas accès. Les quantités d’eau directement
disponibles n’étant pas infinies et face à une demande qui augmente, on peut craindre que
des conflits naissent autour de l’eau. On peut distinguer :
- Des conflits pour l’utilisation des fleuves, lorsque ceux-ci alimentent différents pays (Tigre,
Euphrate, Nil). Généralement, quand le pays en amont est plus puissant que le pays en aval,
il y a peu de risques de conflits, et inversement.
- Des conflits pour la distribution de l’eau, opposant deux logiques : celle qui fait de l’eau une
marchandise comme une autre, celle qui veut en faire un droit de l’Homme.

Section 3 : L’agriculture et l’alimentation


L’agriculture et l’alimentation ont très souvent fait l’histoire. Facteurs de stabilité
comme de désordres, marqueurs de pouvoir comme de rivalités, toutes les deux sont depuis
toujours au centre des préoccupations des êtres humains, des politiques publiques et des
relations internationales. L’agriculture occupe, ainsi, une place centrale dans l’Histoire (§1) et
la sécurité alimentaire (§2) continue de représenter un défi important pour les populations et
les Etats.

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§1 : La place centrale de l’agriculture dans l’Histoire


L’agriculture est éminemment géopolitique. Elle a souvent été centrale dans des
tournants majeurs de l’histoire. Pensons à la Révolution française, à l’immigration irlandaise
outre-Atlantique suite à la crise de la pomme de terre et à la grande famine de 1845-1851, à
la conquête de l’Ouest américain, à la construction européenne dont le ciment fut la Politique
agricole commune, et enfin à la Chine dont le premier souci est de nourrir son énorme
population. La capacité à produire des céréales pour nourrir le monde a toujours constitué un
baromètre important dans la recherche de stabilité globale. L’histoire des civilisations
anciennes ou récentes doit donc aussi se lire à travers la possession, la conquête et la
disponibilité des terres agricoles.

§2 : La sécurité alimentaire
Le concept de « sécurité alimentaire » a fortement évolué au fil du temps. De
considérations très économiques et quantitatives où seul l’aspect de disponibilité alimentaire
nationale était pris en compte, il s’est enrichi de considérations plus sociales et qualitatives.
La sécurité alimentaire repose sur quatre piliers :
• La disponibilité, en termes de production intérieure et de capacité d’importation ;
• La régularité ; le marché est capable de répondre à ses besoins
• L’accès qui dépend du pouvoir d’achat, des infrastructures disponibles et des rapports de
force dans les filières ;
• La qualité nutritionnelle.
L’insécurité alimentaire prolifère en cas de guerre. Le constat est simple mais
toujours dramatique. C’est une donnée fondamentale de l’histoire des conflits, hier comme
aujourd’hui. Les combats provoquent des pertes de production et des dégâts durables pour
les cultures. Ils peuvent saper les organisations paysannes et aggraver l’insuffisance
calorique des populations mais, aussi, couper les routes commerciales et donc empêcher les
approvisionnements locaux ou nationaux. On voit l’écart de pauvreté se creuser entre les
pays touchés par une violence chronique et les autres. La carte mondiale de la pauvreté se
superpose ainsi à celle de la faim.

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