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On sait que Michel Kogălniceanu fut initié à la franc-maçonnerie, comme

la plupart de ses contemporains, à Paris, dans la Loge « l'Athénée des


Etrangers », entre 1845-1847 et que la période française constitua, selon ses
propres dires, une étape dans laquelle: « Nous ne sommes pas venus à Paris
seulement pour apprendre à parler français comme les Français, mais aussi
pour emprunter les idées et tous ce qu’il faut à une nation pour être aussi
éclairée et libre. » (Iorga, La Monarchie de juillet et les Roumains ). En fait,
l'intérêt pour Dobroudja et aussi pour les Roumains des deux rives du
Danube, se reflète dans la publicité que Kogălniceanu a faite depuis sa
jeunesse. Ainsi, lors du discours inaugural tenu en 1843 sur l'histoire
nationale à la nouvelle « Academia Mihăileană » de Jassy, un discours qui a
fortement influencé les étudiants roumains de l'Université de Paris, ainsi que
la génération quarante-huitarde, Kogălniceanu déclarait:

« ... mon pays est n'importe quel endroit sur Terre où le roumain est parlé, et
l'histoire nationale est l'histoire de toute la Moldavie et de la Valachie, et celle des
frères de Transylvanie. »

Mais les liens du jeune Kogălniceanu avec la franc-maçonnerie remontent


à son parcours en Valachie. Vers 1843, Kogălniceanu etait suspecté par
les autorités moldaves en raison de son enthousiasme pour la réforme. En
1844, son droit de donner des conférences sur l'histoire a été révoqué.
Alors qu'il se rendait à Vienne en tant que représentant secret de
l'opposition politique moldave (essayant de se rapprocher de Metternich
et de discuter du renversement de Sturdza), son passeport a été suspendu.
Emprisonné pour une courte période après son retour à Jassy, il se rend en
Valachie et s'implique dans la politique valaque, aidant son ami Ion Ghica:
en février, lors d'une fête nationaliste, il se rend à Bucarest, où il rencontre
les membres de l'organisation secrète Frăția (La Fraternité) et ceux de son
aile politique légale, la Société Littéraire (parmi lesquels se trouvaient Ion
Ghica, Nicolae Bălcescu, August Treboniu Laurian, Alexandru G.
Golescu et C. A. Rosetti. Rentré en Roumanie après la Guerre
d'Indépendance, la mission de Kogălniceanu était de stabiliser le retour de
Dobroudja à la Patrie. Son discours du 9 mai 1877 devant le Parlement a
montré que le gouvernement roumain considérait que le pays avait
renoncé à la suzeraineté ottomane. Le lendemain, le 10 mai 1877, le
Parlement votait la déclaration d’Indépendance. L'année suivante,
Kogălniceanu s'efforçait d'obtenir la reconnaissance de l'indépendance par
tous les États européens et déclara que la politique de son gouvernement
était centrée sur « la transformation rapide des agences diplomatiques et
des consulats étrangers de Bucarest en légations. » À la fin de la guerre,
lui et Brătianu étaient à la tête de la délégation roumaine au Congrès de
Berlin. À ce titre, ils ont protesté contre l'offre de la Russie d'échanger la
Dobroudja du Nord (ancienne partie de l'Empire Ottoman ) contre la partie
du midi de la Bessarabie reçue par la Roumanie dans le traité de Paris de
1856. La décision finale de la conférence était en faveur de la proposition
de la Russie, soutenue par Gyula Andrássy, le ministre des Affaires
étrangères de l'Autriche-Hongrie, et par William Henry Waddington, le
ministre des Affaires étrangères de la France. Une pression
supplémentaire est également venue d'Otto von Bismarck, chancelier de
l'Empire Allemand. Le résultat a suscité la controverse en Roumanie, où
l'échange a été jugé injuste, certaines voix appelant même à l'acceptation
de la suzeraineté ottomane pour renverser la situation. Parallèlement, la
Russie a exigé que la Roumanie lui accorde un droit de passage illimité
des armées à travers la Dobroudja du Nord, mais la Roumanie et d'autres
États européens s'y sont opposés. À cette époque, suite à l'intervention de
Waddington, la Roumanie a accepté d'accorder la citoyenneté à tous les
habitants du pays, quelle que soit leur religion. Dans ce contexte, les
interventions de Kogălniceanu ont également joué un rôle dans les
politiques ethniques concernant la Dobroudja du Nord, demandant aux
bergers roumains de renoncer à leur mode de vie traditionnel et à leurs
colonies du pays de Boudjak, devenu russe, en leur offrant la possibilité
d'acheter des terres en Dobroudja du Nord. C'est le moment décisif de la
ré-roumanisation de la contrée de Dobroudja. Son intérêt personnel et son
implication directe dans l'organisation et l'administration roumaine de
Dobroudja constituaient également la réplication de ses domaines de
Bessarabie dans la nouvelle région rattachée au pays. Ainsi, l'épisode nous
est relaté par V. Moţoi dans ses Mémoires. Celui-ci a été parmi les
premiers à mettre pied sur terre en Dobroudja après 1878, contribuant
substantiellement au développement du village de Kiortchechmé et de la
commune de Tachpounar dans cette région:

« Au moment où la guerre de 1877 se préparait, mon père, Vlad Moţoi, tenait en


concession le domaine de Sărata près de Léova – le domaine de Monsieur Michel
Kogălniceanu. Bien sûr, nous, ses créanciers, étions avec lui, c'est-à-dire moi et
Père Voicu. Lorsque la paix a été conclue après la guerre avec les Turcs, Monsieur
Michel, comme nous l'appelions, nous a convoqués devant lui en sous disant: « Mes
garçons, vous m'apportez du bon or comme loyer à Léova, mais je suis prêt à en
disposer - suivez-moi en Dobroudja et si vous allez vous appauvrir, je vous
donnerai mon domaine de bon gré. Vous êtes intelligents, je veux vous refourguer
mes possessions. Allez en Dobroudja, car la terre y est donnée à bon marché,
presque en charité. Père Vlad lui répondit: « Monsieur Michel - je suis un homme
aux vieilles habitudes - je ne bouge presque plus - eux, les jeunes, peuvent partir,
car ils ont la vie devant eux... Je rentrerai dans ma piaule de vieillard, à Săcele, le
village de mes ancêtres !... Qu'ils essaient, car ce sera encore mieux sur des terres
se trouvant sous domination roumaine que sur les terres étrangères. J'ai porté le
joug de deux nations, car lorsque nous étions à Săcele, les Hongrois nous
opprimaient, quand nous parcourions la Bessarabie, les Russes ne nous tenaient
pas dans leurs bras non plus. Qu’ils aillent avec Dieu - et qu’ils vivent sous le ciel
de la liberté, jusqu'à ce que le Très Saint ait pitié de notre Transylvanie aussi. (...)
C'était dur pour nous de quitter l’ancien notre père, mais à l'espoir que nous
aurions aussi notre propre terre, nous avons ressenti une grande joie et une envie
qui nous a donné un certain calme. Nous avons partagé l'ancienne maison de
Sărata en trois et nous avons commencé les préparatifs pour le départ. (...)
Monsieur Michel Kogălniceanu - que sa mémoire soit bénite ! - nous avait dit :
« Jeunes gens, écoutez-moi: tant que la Dobroudja soit grande, parcourez-la et
installez-vous là où il vous plaira le plus! Aucun de vos descendants n’aura de
pareille occasion... Achetez autant de terres que vous pouvez et vous me bénirez! »

Il va sans dire que les bergers transylvains transmigrés en Bessarabie de


Kogălniceanu ne soient pas restés au statut de tenanciers. En Dobroudja,
ils allaient mettre les bases de la petite noblesse campagnarde, qui formera
les noyaux administratifs du nouveau territoire restitué à la patrie. Ainsi,
Iancu Moţoi, le petit-fils de Vlad Moţoi, allait-il s'installer en Dobroudja,
devenant le maire de Tachpounar (La Fontaine de pierre), s'élevant
socialement grâce aux réformes du ministre Kogălniceanu, érigeant un
village autour de ses manoirs, puis construisant une commune avec
plusieurs hameaux en composition, devenant le meneur des Roumains de
la contrée d’Ialomitsa, de Brăila et plus tard de Transylvanie qui
s'installeraient en Dobroudja à la suite des plans des Grandes Puissances -
via la Maçonnerie roumaine et universelle, pour élever économiquement
les Pays Roumains. C’est ainsi qu’une fois la base socio-administrative
établie, la structuration de la modernisation et de l'émancipation du
territoire nouvellement intégré s'impose. C'est le moment où entre en
scène Constantin Moroïu, l'officier de cavalerie roumain qui va s'installer
en Dobroudja, une sorte de Terre promise, que le ministre maçonnique
Kogălniceanu voyait non pas comme un territoire aride et désert, mais
comme un endroit fertile, que « vous, les bergers de Transylvanie, allez
faire prospérer ! », en le transformant dans le bonheur de ceux qui étaient
au pouvoir : « Heureux êtes-vous et vos enfants, car que viviez de grands
jours dans la vie de notre nation ! »

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