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La démocratie participative ne fait pas toujours mieux que la démocratie représentative, sauf
dans le cadre d’expériences où l’on se donne les moyens d’aller chercher les citoyens des
quartiers populaires (L. Blondiaux, 2005). On peut penser par exemple aux initiatives de
l’architecte Patrick Bouchain (2006) pour associer très en amont les habitants à des projets de
rénovation urbaine, avec des dispositifs inclusifs sur le bâti, l’architecture. Ou aux démarches
inspirées du community organizing américain, qui partent des besoins, des ressentis des
habitants, sans vouloir débattre a priori d’enjeux qui ne les concernent pas. Ces expériences
encourageantes peuvent produire une spirale vertueuse et créer de l’inclusion.
En fait, la démocratie participative est un concept « flou ». Mais c’est ce qui en fait un concept
« fort ». En effet, il rassemble plusieurs exigences contemporaines qui obligent à enrichir les
formes de la démocratie :
il affirme la compétence du citoyen ordinaire, même sur des sujets difficiles, pourvu
qu’il soit bien informé ; la simple formation ne suffit pas, il faut pouvoir « entrer » dans
des dossiers ;
il affirme son implication dans la vie collective, pourvu qu’il soit certain que son avis
sera pris en compte ;
il permet de renforcer l’efficacité des décisions des élus et la légitimité des services
publics ;
il concourt au sentiment de l’intérêt général ;
il permet l’émergence d’acteurs nouveaux, jusque-là exclus de la délibération.
La démocratie participative est une forme d’exercice du pouvoir qui vise à faire participer les
habitants du territoire aux décisions politiques. Elle a d’abord été utilisée dans les projets
d’aménagement du territoire et d’urbanisme, mais elle s’étend maintenant à des sujets comme
l’environnement ou les projets de société. « Mais la participation citoyenne invite à sortir du
mythe de l’intérêt général à la française qui serait toujours du côté des institutions et à le
repenser comme une construction collective d'un processus dans lequel on n’a pas affaire à
un seul intérêt général, mais à de multiples définitions de l’intérêt général qui se confrontent
pour aboutir à un intérêt général reconnu par chacun », souligne Loïc Blondiaux.
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La démocratie participative peut prendre plusieurs formes, selon le degré d’implication des
citoyens.
> La consultation vise à recueillir l’avis des citoyens, mais n’implique pas forcément de
le prendre en compte. Elle aide les élus à se positionner sur un sujet. La concertation
implique une participation des habitants en amont du projet, avec des phases de débat
public et une transparence plus grande. Le pouvoir décisionnel reste toutefois
exclusivement dans les mains de l’autorité publique.
> Il existe différentes formes de concertation, qui impliquent une association plus ou
moins grande de la population : la concertation de communication (qui a pour but de
communiquer auprès de la population), la concertation légale (lorsqu’elle est
obligatoire), la concertation structurelle (qui met en place une structure dédiée, tels que
les conseils de quartier), la concertation d’engagement (où le dialogue participatif est
mis en place par certains élus dès le début de leur mandat), la concertation de
construction (lors de l’association de la population sur la construction d’un projet
précis), la concertation d’attente (dans les cas de report de projet par exemple).
> La co-élaboration relève d’un niveau de démocratie participative plus avancé. Les
citoyens élaborent des projets avec l’autorité publique, et celle-ci doit se justifier si elle
ne suit pas les conclusions des débats ou conférences citoyennes.
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% relatif
Référendum local
Budget participatif
Applications numériques
Pétitions
Autres
Associations
Conseils de quartier
Enquêtes publiques
Réunions publiques
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
% relatif
* Autres = Comité consultatif / comité d'usagers / commission communale / commission thématique / groupe de
travail Conseil citoyen / conseil des habitants / conseil des sages / conseil des jeunes / conseil du commerce
Permanence du maire / Permanence des élus et citoyens associés / Contacts avec les élus : courrier, appel,
discussion... / Contacts au quotidien (cela existe encore !) Mails / messagerie dédiée Questionnaire des besoins
de la population suivant les projets / questionnaire en ligne (pour agenda 21 par exemple) / Consultation sur projets
d'aménagement par vote Internet Réseaux sociaux, site web Réunions agenda 21 / réunions de quartier / Réunions
préfet/militants/élus S'adresser directement en mairie Visite de quartier
Autant d'expériences utilisées au Canada, mais encore plutôt méconnues en France, pays qui a
cependant instauré des processus de consultation (loi de 1976 sur l'aménagement du territoire, loi
Bouchardeau de 1983 « relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de
l'environnement », référendum local), puis de concertation et de débat public (loi Barnier de 1995
« relative au renforcement de la protection de l'environnement » et instituant la Commission
nationale du débat public et loi Vaillant de 2002 sur la démocratie de proximité, instaurant, entre
autres, les conseils de quartier, Grenelle de l'environnement (2007), etc. Dans le domaine la
culture, il faut souligner le travail fait par l'Agenda 21 de la culture, document de référence des
gouvernements locaux en matière d'élaboration de politiques culturelles, dont l'un des principes
est la démocratie participative.
L'open-data1 et les nouveaux outils de travail collaboratif ouvrent des portes nouvelles en matière
de co-élaboration et de communauté apprenante. Ces outils se classent en trois catégories selon
le tableau ci-dessous : les outils mis à disposition par les institutions pour informer les citoyens
Tweeter, presse, etc.), les outils de concertation (enquête, sondage, etc.) et les outils qu’utilisent
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L’open-data ou donnée ouverte est une donnée numérique dont l'accès et l'usage sont laissés libres aux
usagers. Elle peut être d'origine publique ou privée, produite notamment par une collectivité, un service
public (éventuellement délégué) ou une entreprise.
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les citoyens entre eux sans aucun contrôle des institutions ni aucune modération (réseaux sociaux,
messageries, etc.)
Institutions Tweeter
Presse, Médias internet
Sites publics (documents, cartes,
règlements, etc.)
Référendum en ligne
Il est évident qu’aucun de ces outils à lui seul, ne répond à la demande de démocratie
participative co-élaborative. Cependant beaucoup d’initiatives se développent actuellement
dans la sphère dite « Civic Tech2 » qui tentent de répondre partiellement à certains besoins,
mais malheureusement souvent vus du côté des institutions, les seuls qui ont le pouvoir de
financer les développements informatiques.
La demande
La demande en matière de démocratie participative peut être regroupée dans les quatre
rubriques suivantes :
1. Formation
• Aux débats en ligne (vidéos, analyses)
• Aux règlements des institutions, procédures
• A l’expertises de dossiers : méthodes, exemples, sources
• A l’argumentation
2. Aides au montage de dossier
Collecte des informations, règlements
Outils de rédaction collective
Gestion des versions
3. Aides à la délibération
• Systèmes de vote
• Mécanismes d’amendements
• Questions en ligne pendant les délibérations
4. Aides au débat/concertation
• Forums avec modérateur
• Visio-conférence pour groupes de travail
5. Organisation d’ateliers
• En présentiel, avec animateur et support informatique (cartes, informations,
textes, etc.)
• En ligne avec animateur réel ou virtuel
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La Civic Tech (Technologie Civique) est l’usage de la technologie numérique dans le but de renforcer
le lien démocratique entre les citoyens et les institutions publiques. C’est l’ensemble des procédés,
outils et techniques qui permettent d’améliorer ce lien.
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Il s’agit par-là de mettre en œuvre surtout des outils permettant d’approfondir des dossiers, de
les discuter et de débattre de solutions à la manière d’un « expert » sans être toutefois un
expert. Il apparaît sinon que l’on ne pourra jamais se mettre au niveau des élus pour débattre
d’égal à égal, être crédible et constructif. Cela nous paraît être une première condition pour
une meilleure écoute par les pouvoirs publics et une réelle participation. Une deuxième
condition est que le citoyen dépasse ses propres intérêts. Pour cela il doit être bien informé et
disposer de toutes les données nécessaires à sa réflexion.
Participer signifie donc : travailler sur un dossier de manière collaborative, disposer des
arguments pour débattre et défendre le dossier.
Dans ces conditions, un outil « idéal » pourrait être une « plateforme de travail collaboratif
citoyen » conçue pour les citoyens, gérée par les citoyens, facilement configurable et
contenant tout ou partie des requis ci-dessus. La portée de cette plateforme doit rester locale
et être vue comme un ensemble d’outils mis à la disposition de groupes de travail. Une telle
plateforme devrait également être modérée pour éviter toute dérive dans les débats comme
dans la prolifération de fausses données.
Du côté des institutions la plateforme doit lever les craintes données dans le graphique ci-
dessous (enquête réalisée du 9 au 16 septembre 2016 auprès de 478 maires, adjoints au
maire, DGS et responsables communication de municipalités) :
Une fracture numérique excluant certains citoyens de la participation,
Le manque de représentativité de la méthode (surreprésentation de militants et
citoyens déjà engagés…),
Un appauvrissement du débat et une ouverture aux populismes,
Le piratage des données, bugs, problèmes de compatibilité ou de sécurité,
Un coût trop important pour l’achat et l’animation des technologies ou la formation des
services,
Une complexification du fonctionnement de la démocratie locale,
La remise en cause des élus et du suffrage universel,
Autre = La difficulté à définir les processus de "modération" en toute indépendance /
La disparition de la notion d'intérêt général et de la vision de long terme / La mise en
évidence d'un décalage entre citoyens et élus / La partialité du support / L'ampleur de
la pédagogie nécessaire à mettre en place pour répondre / L'incompétence de certains
élus face au numérique / Le manque de volonté de la majorité municipale / La perte du
contact humain présent dans les petites communes...
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CRAINTES
Fracture numérique Manque de représentativité Ouverture aux populismes
Piratage de données Coût Complexité
Remise en cause des élus Autres
65
48
33
25
24
23
12
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Exemple de plateforme institutionnelle : Fluicity
Fluicity est une plateforme de participation citoyenne qui favorise le dialogue entre citoyens et
décideurs publics. Elle accompagne les acteurs du territoire dans leur volonté de mettre la
participation au cœur de leur stratégie territoriale. Il existe plusieurs plateformes de ce type
que nous n’allons pas comparer entre elles. Nous avons choisi celle-là car elle a été primée
par le MIT3. « Cette plateforme vise à mettre en application la démocratie participative à
l'échelle locale. Elle permet aux maires et aux citoyens de dialoguer ensemble, instantanément
sur les sujets qui les concernent. » nous dit l’annonceur.
L’interface « citoyen »
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L’interface « institution »
Il n’existe pas à l’heure actuelle de plateforme de citoyens pour des citoyens. Ce niveau
manque cruellement à ce jour.
Du côté des procédures, la plateforme devrait contenir, des logiciels d’auto-formation, des
aides méthodologiques pour construire des référentiels, des logiciels de communication, des
cadres de débats et de toute forme de travail en ateliers, soit des ateliers virtuels soit des outils
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Réseau social
Messagerie, etc.
Modules
opératoires
Données
Procédures externes
Débats
Décision
Edition Données
interne internes
Publication
externe
Visio-conférence
Réunions réelles
Conclusion
Pour développer la démocratie participative de manière efficace (ce qui ne signifie pas
résoudre tous les problèmes posés par la démocratie participative), il est nécessaire de mettre
à disposition des citoyens des moyens informatiques permettant de réunir les bonnes
informations, de travailler conjointement sur des dossiers numériques, de préparer les
réunions, d’aider à la réflexion. Les ateliers de travail et débats resteront quoi qu’on fasse les
lieux de prise de décision incontournables (la plateforme pourra disposer d’un système de
visio-conférence comme un ersatz aux réunions en présentiel). Des outils ad hoc doivent donc
être développés dans cette perspective de plateforme sécurisée et modérée, et de portée
locale (commune, quartier, etc.). Un réseau de telles plateformes pouvant à terme couvrir le
territoire national.
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Elle devrait être gérée par des communautés de citoyens, pour des citoyens. Evidemment,
une telle plateforme n’est qu’un ensemble d’outils et de méthodes pouvant faciliter la
démocratie participative pour ceux qui ne peuvent pas se réunir physiquement, ou qui n’ont
pas accès à des dossiers institutionnels ou qui souhaitent apporter leur contribution sans se
déplacer ou pour toutes autres raisons qui les empêchent de participer dans l’état actuel des
choses. On fait également l’hypothèse que la fracture numérique va se réduire de plus en plus
au fil des générations. Quant à la masse silencieuse ou celle qui ne souhaite pas participer, le
numérique ne pourra tout au plus que leur apporter des informations. D’autres formes de
démocratie plus directes sont peut-être à inventer pour eux ?
Bibliographie
M.H. Bacqué, H. Rey et Y. Sintomer (dir.) Gestion de proximité et démocratie participative. Une
perspective comparative, Paris, La Découverte, 2005, 314 p.
A. Bevort, Pour une démocratie participative, Paris, Presses de Science po, Coll. La
bibiothèque du citoyen, 2002, 130 p.
P. Bouchain, Construire autrement : comment faire ?, édition Actes Sud, coll. « l'Impensé »,
septembre 2006
M. Gret et Y. Sintomer, Porto Alegre : l’espoir d’une autre démocratie, La Découverte, nouvelle
éd., 2005, 137 p.
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PolitizR qui rebat les cartes en créant un espace numérique où les élu(e)s débattent des
propositioons citoyennes,
Stig, mon e-parti qui ont pour ambition d’offrir une vision de l’opinion et de la volonté citoyenne.
Cette liste prise à un moment d’effervescence des Civic Tech est très labile. Beaucoup de
sites ont été fermés et d’autres sont en création. Le lecteur jugera par lui-même.
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