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Les états modifiés de la conscience

dans les arts martiaux


Jean Sixou, Décembre 2001

Les états modifiés de la conscience (EMC) et la


trance, tentative de définition:
La trance est une modification de la conscience identifiable à
des signes extérieurs de nature comportementale.
Ce concept peut dans notre culture revêtir des connotations
diverses et parfois péjoratives. Plusieurs types de trances sont
habituellement décrits: trance ordinaire, amplifiée,
somnambulique (Jean Godin, La nouvelle Hypnose).
On trouve en anthropologie des trances chimiques, mystiques,
ecsomatiques, chamaniques...
Une pathologie de la trance ou des “états modifiés de la
conscience” existe en Criminologie.
On distingue aussi en hypnose plusieurs niveaux de trance:
légère, moyenne ou profonde (Échelle de Davis et Husband).
Dans l’explication traditionnelle du mode d’action de
l’hypnose, la trance permet la suggestion. Les “étatistes”
considèrent la trance comme un préalable nécessaire à la
suggestion et les “non étatistes” considèrent la suggestibilité
comme une modalité normale de la personnalité humaine.
Charcot voyait dans la trance la caractéristique d’une pathologie
mentale l’hystérie et Babinski celle du pithiatisme.
La “déconnexion organismique” et “l’état autogène” décrits par
J.H. Schultz sont des phénomènes auto)induits mais
comparables si ce n’est assimilables à d’autres formes de trance
hypnotique.
Certains auteurs banalisent ce phénomène en évoquant des
“micro-trances” quotidiennes ou qui apparaitraient au cours de
périodes définies dans le temps (rythmes ultradiens, Rossi).
Un certain nombre d’éléments cliniques (inconstants) ont été
décrits par divers auteurs:
- Diminution du tonus musculaire
- Ralentissement de la respiration
- Relâchement des muscles du visage
- Modifications des pupilles (mydriase ou myosis)
- Sensation de relaxation
- Dissociation
- Réorientation corporelle au cours de la séance
- Catalepsie musculaire,
- Réponses idéo-motrices spécifiques (lévitation du bras,
signaling),
Ces divers états ont été intégrés par certains auteurs dans la
catégories des Etats Modifiés de la Conscience (EMC pour
Lapassade) ou États Altérés de la Conscience ( EAC pour
Rhine)
On peut de plus noter parmi les effets thérapeutiques qui sont
habituellement recherchés dans les états de transe:
- Modification de la perception de la douleur
- Modification de la perception de l’espace et du temps
- Plus grande suggestibilité
- Diminution de la sensibilité aux stimuli internes ou externes
- Mobilisation de ressources inconscientes (résolution de
problèmes)
- Atténuation ou disparition d’émotions telles que la peur
inhibitrice de l’action
La pratique des Arts martiaux implique un certain nombre de
modifications de la conscience tant en ce qui concerne la
pratique ordinaire quotidienne ou entraînement que le combat
libre qu’il soit sportif (compétition sportive avec un risque
limité à quelques blessures) ou réel (situation d’agression ou de
guerre avec risque vital ou de blessures graves).
Nous envisagerons en premier lieu le contexte culturel dans
lequel ils se sont développés avant d’envisager la nature des
phénomènes de trance spécifiques induits par les diverses
pratiques martiales.
L’environnement philosophique et culturel des
arts martiaux
Existence d’une culture de la trance en extrême-orient
Patanjali décrit dans son yoga-sutra (premier traité sur le yoga )
vers 500 avant JC, l’état de samadhi (conscience supérieure,
surconscience ou encore conscience augmentée) comme finalité
ultime de cette école de pensée basée sur une forme originale
d’entrainement mental.
L’anthropologue et historien des religions, Mircea Eliade décrit
le samadhi comme une forme d’ “enstase” ou absorption
contemplative. Les textes traditionnels évoquent cet état de
manière très métaphorique. Eliade nomme cette terminologie un
“langage intentionnel” en précisant que seule l’expérience
personnelle issue de la pratique du yoga permet d’en saisir de
manière directe la nature exacte.
Certaines traditions yoguiques évoquent une “suspension du
souffle” et une « apparence de mort » (nirvikalpa-samadhi),
mais d’autres évoquent un état de conscience plus naturel et
proche de notre conscience habituelle (sahaja-samadhi) qui ne
limite pas nos possibilités d’agir dans le monde réel.
Les textes du Théravada (Bouddhisme des anciens) décrivent 4
états de méditation (jhanas) évoluant progressivement vers une
absorption contemplative de plus en plus profonde. Ces états
sont proches voire assimilables aux états de samadhi du yoga
traditionnel.

Chamanisme, Bouddhisme Zen, Taoïsme, Shintoïsme


La trance est toujours évoquée dans les diverses traditions
chamaniques extrême-orientales (Inde, Tibet, Chine, Japon,
Sibérie), elle semble le plus souvent être liée à des
préoccupations d’ordre animiste, magique, de divination ou de
guérison.

La pratique de la méditation
Beaucoup de courants de la pensée extrême-orientale semblent
converger ou se concrétiser dans la pratique de la méditation
que l’on retrouve sous différents noms dans toutes les cultures
de l’Asie (Dhyana, Jhana, Chan, Zen…). Les finalités de ces
pratiques peuvent varier considérablement d’une école de
pensée à l’autre.
La méditation bouddhiste prends en Chine le nom de Chan et au
Japon le nom de Zen, des techniques différentes qui visent à
obtenir des états de conscience spécifiques appelés “satori” ou
“kensho” assimilables à un éveil de la conscience, provisoire
pour le kensho, définitif pour le satori.
L’école chinoise rinzaï qualifiée de “subitiste” (Linzi) critique
les états de transe prolongés et enstatiques que cherchent à
obtenir les pratiques méditatives de certaines autres écoles
(soto) et définit le but de la pratique comme un “éveil subit”
sans modification ni altération particulière de la conscience
quotidienne. Cette expérience particulière du satori se traduisant
naturellement et obligatoirement par une plus grande efficacité
dans les actes de la vie quotidienne.
La culture des états modifiés de la conscience en extrême-
orient
Il semble que pour l’extrême-orient la compréhension du monde
réel ainsi que l’efficacité dans les domaines pratiques ne soit pas
liée exclusivement à la compréhension intellectuelle mais plutôt
à des états de conscience particuliers. La pensée extreme-
orientale étant par essence pragmatique et syncrétiste, tous les
courants philosophiques évoqués plus haut peuvent se retrouver
dans la pratique des arts martiaux.
Face à une situation extrême au cours de laquelle son pays se
trouvait en guerre contre la Chine, le 13e Dalaï-Lama,
prédécesseur de l’actuel, expliquait qu’il entrait en état de
méditation “... Afin d’élever son esprit et lui permettre de
trouver une solution aux problèmes de son pays”.
Les arts martiaux se sont développés dans des contextes divers.
Contexte de guerre, de résistance à un envahisseur pour certains
ou d’exaltation idéologique pour d’autres.
D’autres arts martiaux se sont développés dans un contexte de
prospérité avec une recherche esthétique, gymnique ou de la
performance sportive.
La référence à l’esprit guerrier est courante de nos jours dans les
séminaires de motivation des cadres des entreprises japonaises
(L’idée d’une “guerre économique” contre le reste du monde fut
longtemps évoquée dans les années 80 par le MITI).
Cet “esprit des arts martiaux” a été aussi fréquemment cité et
commenté dans les techniques modernes de « dynamisation »
des cadres dans les entreprises occidentales européennes et
américaines.
On y fait aussi fréquemment référence dans les stages
d’évolution personnelle ou développement personnel
s’inscrivant dans l’esprit du courant des thérapies humanistes
américaines (human potential movement).
Sont aussi fréquemment cités en exemple, les traités chinois de
stratégie tels que le Sunzi fa bing (l’art de la guerre de Sunzi) ou
les “trente-six stratagèmes” qui sont les fondements intellectuel
et tactique de nombreuses écoles d’arts martiaux asiatiques mais
aussi des écoles de guerre occidentales...

L’entrainement martial et les pratiques


martiales

On retrouve des pratiques comparables et de signification


équivalente dans toutes les écoles martiales issues de toutes les
cultures de notre planète.
Ces techniques sont avant tout une gestuelle spécifique visant au
conditionnement d’un certain état d’esprit permettant
l’adaptation de l’individu à des situations spécifiques. Elles
tendent de plus à produire des comportements efficaces et
instinctifs dans des situations de combat simulées ou réelles.
Au-delà de la technique elle-même leur efficacité repose sur
l’induction d’un état d’esprit particulier (shin).
Les Maîtres Japonais d’arts martiaux distinguent trois points
importants dans leur pratique, le conditionnement du corps (tai),
l’acquisition de la technique (ghi) et l’acquisition d’un état
d’esprit particulier (shin).
Pour un certain nombre d’écoles d’origine chinoise qualifiées
d’internes (nei-chia), l’efficacité du conditionnement de l’esprit
repose sur l’utilisation de techniques spécifiques d’imagerie
mentale (yi-quan).
Ces techniques, souvent tenues secrètes et transmises dans un
contexte d’initiation ritualisée et de mystère visent souvent à
conditionner un sentiment d’invulnérabilité, d’absence de peur,
d’énergie sans limite, voire d’une aptitude à déstabiliser et à
rendre vulnérable un éventuel adversaire (le terme de
“techniques de fascination” est parfois employé dans ce
contexte précis).
Le conditionnement de l’Esprit se met en place
progressivement par une série de suggestions spécifiques et
d’ancrages corporels (parfois douloureux). Ces pratiques
constituent un système éducatif à part entière ou l’apprentissage
non verbal ou “par le corps” semble jouer un rôle non
négligeable.
On retrouve un certain nombre de techniques non verbales
d’induction spécifique à un état de conscience particulier.
Un certain nombre de gestes fréquemment rencontrés ne
possèdent pas de signification directement martiale et utilitaire.
Gestes complexes, techniques respiratoires, postures
corporelles, positions précises, gestes des mains ou des doigts,
constituant autant d’ancrages corporels et symboliques des états
de conscience recherchés.
On observe une ritualisation de certains mouvements avec
répétition de gestes chargés de signification, création d’un
espace sacralisé, organisation de cet espace qui visent
l’induction et la pénétration progressive dans un état qualifié de
“second”.
Le “ram muay” dans la boxe thaïlandaise est un véritable rituel
d’induction de la transe pratiqué avant les combats et dont
l’efficacité est reconnue même par les pratiquants qui
n’appartiennent pas à la culture bouddhiste ou thaïlandaise. Ce
rituel est en particulier toujours pratiqué en France par des
boxeurs de religion musulmane...
Dans certains arts on rencontre des techniques de danse
associées à l’utilisation d’instruments de musique mélangés à
des techniques martiales (capoeira brésilienne, tao lu chinois du
wu-shu, pentchak silat indonésien).
On observe fréquemment une utilisation de musiques
rythmiques, de formules sacrées ou mystiques (mantras), de
gestes rituels des mains (mudras) et de l’emploi d’un
environnement sacralisé (Dojo: Lieu de la pratique de la
“Voie”). Au Japon l’entrainement se fait face au kamiza: le
“mur des dieux” emplacement de l’autel Shinto dans la culture
japonaise traditionnelle.
Le combat, essence de l’art martial
La recherche de l’efficacité se confonds avec une recherche
intérieure décrite comme étant celle de “l’esprit profond” ou
”inconscient Zen” (alaya vijnana ou hishiryo). L’état de samadhi
qui permet l’accès à cette “source de l’efficacité” est induit par
la posture, le mouvement, la respiration, la parole, la
méditation.
La « fixation » de l’attention ou de l’esprit est essentielle, les
distractions ou perturbations de l’attention (bonno ou klesa)
pouvant être à l’origine de la défaite en combat.
La peur, principale source d’inhibition de l’action est aussi la
principale de ces « perturbations » tant redoutées.

L’esprit des arts martiaux


L’esprit martial est habituellement définit au Japon par les trois
termes suivants: mushin, zanshin, fudoshin.
- Mushin qui signifie “esprit silencieux”
- Zanshin qui signifie “esprit éveillé”
- Fudoshin qui signifie “esprit inébranlable” ou “imperturbable”
Les arts martiaux qualifiés d’internes reposent essentiellement
sur le conditionnement de l’esprit au détriment parfois de
l’apprentissage de la technique martiale proprement dite.
En pratique, on a pu observer les modifications suivantes chez
les adeptes du combat libre ou de la compétition sportive.

- Modification de la perception du temps


On note souvent chez les pratiquants d’arts martiaux des
références faites à des modifications de la perception de
l’espace et surtout du temps. Dans le combat on observe un
allongement du temps vécu chez un vainqueur et un
raccourcissement du temps chez le vaincu stressé et épuisé par
sa défaite. On cite fréquemment le témoignage de Hirokazu
Kanazawa, qui a combattu et triomphé dans un championnat du
Japon de Karaté avec un bras cassé, il racontait qu’il avait eu
l’impression pendant tout son combat que son adversaire
combattait au ralenti ce qui lui a permis de le vaincre
facilement.

- Modification de la perception de l’espace Un combattant


peut ressentir une impression d’impénétrabilité de l’espace
de l’adversaire ou au contraire une plus grande facilité. Le
combattant doit, dans l’action, trouver son espace subjectif.
Cet espace lui permet d’organiser son combat afin de porter
ses attaques tout en empêchant, de manière purement
subjective, l’adversaire de porter les siennes. Il peut ressentir
une impossibilité d’organiser ou de déployer ses mouvements
ou au contraire une impression de grande facilité. Il peut
s’approprier plus facilement ou plus difficilement l’espace
subjectif de l’adversaire

- Modification de la perception de la douleur


On cite des combats ou l’un des adversaires avait une cote ou
un bras cassé (Hirokazu Kanazawa, Championnat du Japon.
Bertrand Soncourt, Championnat du monde de Boxe Française.)
Ces histoires se racontent dans les clubs ou dans les vestiaires et
participent à la formation de l’esprit martial des pratiquants. Le
champion de boxe française Bertrand Soncourt a pu à la fin des
années 90 combattre et gagner plusieurs combats au cours de la
finale du championnat du monde de boxe française avec deux
côtes cassées quelques jours avant lors d’entrainements trop
poussés. A la veille de grandes compétitions les entraînements
martiaux deviennent de plus en plus durs sans que les
compétiteurs ne s’en rendent compte. Les accident sont
beaucoup plus fréquent à ces moments-là, car la douleur n’est
plus perçu de la manière habituelle.

- L’entrée dans le combat


Signifie littéralement l’exclusion de toute autre préoccupation,
cet état est fragile, la moindre pensée (Bonno, Klesa, Citta
vritti) de peur ou de doute peut l’altèrer. C’est une condition
nécessaire à la victoire. On parle aussi d’immersion dans le
combat. A ce propos un maître d’Aïkido a déclaré: “Le refuge
est dans la gueule du lion”.

- Anticipation, communication directe d’inconscient à


inconscient
I Shin den Shin: “de mon esprit à ton esprit”. Les Japonais
emploient aussi l’expression “Sen no Sen”: “perception de la
perception” ou perception directe de l’intention de l’autre que
d’autres ont traduit par communication d’inconscient à
inconscient. Le Sen no Sen existe entre les adversaires en
combat ou les partenaires au cours de l’entrainement. Les
simulation et les feintes visent à introduire le trouble ou la
confusion dans l’esprit de l’autre.
le “Sakki” est la perception particulière qui permet à certains
combattants de ressentir l’intention de leur adversaire lorsqu’il
projette de les attaquer.
Wilfred Bion, psychanalyte Kleinien, à donné une définition de
la relation transférentielle très proche de ce type d’expérience.
- Rôle hypnotique du coach (ou du sifu ou du sensei…)
Le combattant au cours d’un combat se trouve dans un état
modifié ou altéré de la conscience et du fait d’altérations
cognitives dues à la peur n’est pas toujours à même d’élaborer
une tactique efficace de combat. Le coach pense en quelque
sorte pour lui. Le combattant peut réagir quasi inconsciemment
aux injonctions de son coach et gagner le combat tout aussi
inconsciemment.

- On distingue habituellement deux états particuliers chez


les combattants:
* Altération de la conscience (“le Ki est brisé”): peur, voire
panique anxieuse avec inhibition de l’action, blessures
corporelles facilitées, sensation de temps contracté, d’espace
fermé, de difficulté à étendre ou allonger ses mouvements,
sensation de vulnérabilité, majoration de la douleur. Attentes
négatives.
* État de Facilitation (“le Ki circule”): ce phénomène est connu
dans la définition de l’état de stress (réaction d’adaptation de
Selye). Il est suivi d’une phase d’épuisement. Il est de durée
limitée, et doit, en combat pouvoir être programmé et contrôlé.
Il peut se produire spontanément et se contrôle par la suggestion
du coach. Le temps est perçu comme dilaté, l’espace est ouvert,
la douleur est diminuée ou non ressentie, le combattant impose
son rythme de combat (c’est le « cadrage » de l’adversaire en
boxe). La littérature évoque un état de “mâne divine” (Maurice
Magre, “La luxure de Grenade”), de « possession par un dieu de
la guerre » ou un « esprit protecteur de la Nation », ou encore
par l’ ”âme des ancêtres” dans les traditions chamaniques ou
encore les “tengu” esprits qui inspirent les guerriers solitaires
(shugyosha, yamabushi) dans la mythologie nippone. Les
taoïstes évoquent un état d’accord avec le principe de l’univers
(Tao) source absolue de l’efficacité. Le combattant qui gagne est
celui qui est le plus en accord avec le Tao, si les deux
combattants sont également en accord, le combat ne peut avoir
lieu et la paix règne...
La victoire ou la défaite sont rarement une affaire de technique
pure ou de condition physique, mais souvent d’esprit. Il est
souvent facile pour un pratiquant entraîné de deviner dès le
début du combat quel combattant va gagner à la seule
impression qui se dégage de leur posture ou de leur regard,
reflets de leur détermination à vaincre.
Un maître du silat philippin, a un jour déclaré à l’un de ses
élèves:
« Lorsque ton corps et ton esprit seront brisés par des heures
d’entraînement, alors, et à moment-là seulement, la tigresse se
manifestera et prendra possession de toi, tu deviendras alors un
combattant invincible... »

- Le rapport de force entre les combattants


est essentiellement psychologique, certaines écoles asiatiques
évoquent clairement les relations de “fascination” entre
adversaires et intègrent cette discipline comme une composante
essentielle de la formation du pratiquant. Certains gestes lents
(snake move, ondulations des bras) visent à “endormir” la
vigilance de l’adversaire, d’autres plus violents à l’effrayer (ki-
ai) et à montrer sa détermination voire sa « folie » dans le
combat ou son inconscience du danger. On constate donc une
utilisation de formes non verbales de communication dans les
formes les plus anciennes de l’art martial.

Les dérives de la transe:


Les arts et pratiques martiales ont connu dans leur histoire
toutes sortes de déviances idéologiques et extrémistes liées à
des contextes socio-culturels particuliers.

Révolte des boxers et boxe des fantômes


En 1899 des armées de combattants chinois fanatisés se ruèrent
à l’assaut des enclaves occidentales en Chine. Ils pratiquaient le
Shenquan (“boxe des esprits”), une “boxe fondée sur la transe
dont on trouve encore aujourd’hui des traces dans le taoïsme
populaire” (José Carmona, “De Shaolin à Wudang”) Cet art
prétendait rendre le corps invulnérable aux armes blanches
voire aux balles des “diables aux long nez” occidentaux... Après
la mise en déroute du corps expéditionnaire britannique, les
révoltés assiégèrent les délégations étrangères à Pékin pendant
55 jours. Une armée de 20000 hommes mis fin dans le sang à
cette rébellion. Les adeptes du shenquan, membres des sociétés
secrètes nationalistes hung-mon, attaquaient et chargeaient sans
armes sur les mitrailleuses britanniques…

Zen martial et kamikazes


Fait historique généralement peu connu, la philosophie Zen fut
utilisée, voire dévoyée, pendant la seconde guerre mondiale au
service du nationalisme militariste nippon. De grands maîtres
furent impliqués dans la récupération nationaliste du
bouddhisme mahayana. Le bushido (code éthique des samouraï)
servit d’arme de propagande, en ces temps troubles aux
idéologies, pour le moins douteuses, des puissances de l’axe.
Les kamikazes furent conditionnés par « la pensée zen »
associée à celle du bushido pour effectuer leurs missions
suicides.
Dernier avatar moderne de cette tendance, la vie de l’écrivain
Yukio Mishima, qui poussa l’extrémisme et la nostalgie de
l’ancien Japon féodal jusqu’au sacrifice de sa propre vie par
seppuku (suicide par auto-éventration) pour protester contre une
évolution de la société nippone qu’il désapprouvait.

Les Hashishins de Hassan Sabbah


Les drogues en particulier le haschisch furent utilisés dans
l’empire Ottoman par un groupe particulier d’extrémistes
dirigés par l’ancien ministre de la police Hassan Sabbah après
qu’il fut limogé par le grand vizir Nizam el Molk.
Ces tueurs assassinèrent un nombre important de personnalités
de l’empire Ottoman. Leur efficacité était en partie liée à une
visite du « Paradis » organisée quelques temps avant leur
mission suicide. Il s’agissait probablement d’un séjour organisé
dans un quelconque « lieu de plaisir » effectuée sous l’emprise
du cannabis... On leur promettait d’y retourner immédiatement
et définitivement, s’ils mourraient en effectuant la mission
criminelle qui leur était confiée.
Le mot français “assassin” dériverait de l’arabe ashishin:
“fumeur de haschisch”.

La drogue de l’ idéologie en criminologie


L’histoire se renouvelant sans cesse l’utilisation du
conditionnement idéologique associé à diverses drogues et à un
entraînement militaire approprié se retrouve dans les
manifestations modernes du terrorisme.
La criminologie fait fréquemment référence au concept d’états
modifiés de la conscience (EMC). Les experts criminologues
utilisent habituellement des concepts tels de : vigilance, lucidité,
conscience lucide, volonté libre, discernement...
“Les EMC constituent un vaste groupe hétérogène d’affections
neuropsychiques susceptibles d’induire des troubles aigus de
l’adaptation sociale ouvrant sur le champs de la
criminologie” (Bourgeois).
Les drogues et l’alcool y jouent aussi un rôle déterminant. On
peut aussi évoquer les notions de « terrain » individuel ou
familial qui pourrait être propice à la réceptivité à certaines
suggestions.
Nous ne tenterons pas, de répondre dans ce travail à la question
que l’on entend souvent depuis le 11 septembre dernier:
“Comment est-il possible pour un individu réputé normal ayant
reçu une bonne éducation et issu de famille favorisée, de
détourner un avion de ligne rempli de passagers, et de l’écraser
sur un gratte-ciel? ”
Conclusion, transe et esprit martial

Les arts martiaux sont des pratiques répandues dans toutes les
cultures et que l’on retrouve sous des formes diverses à toutes
les époques de l’histoire du monde.
Les arts martiaux utilisent et induisent par leur pratique
certaines formes spécifiques de trance ou d’états modifiés de la
conscience. Ces états sont indispensables pour supporter les
rigueurs de l’entrainement traditionnel et sont le seul moyen
d’affronter les risques d’un combat qu’il soit sportif ou réel.
Ces techniques sont issues de “l’art de la guerre” d’anciennes
civilisations et s’inscrivent dans divers contextes culturels:
défense de la communauté, résistance à un envahisseur ou à un
agresseur interne ou étranger.
Ces contextes sont souvent particulièrement exigeants et
rigoureux, la peur y est omniprésente ainsi que la recherche de
formes de réassurance.
Dans ce cadre, la trance est assimilable à un mode se survie,
c’est le seul moyen de vivre normalement dans une situation
constante de menace, de défi ou de risque vital.
L’affrontement à mains nues ou au « corps à corps » semble être
une constante de toutes les cultures humaines et ne semble pas
avoir totalement disparu à l’époque moderne ou les
affrontements inter humains sont devenus plus
« technologiques ».
Cette « trance martiale » est caractérisée par un silence intérieur
associé à une vigilance particulière et à une imperturbabilité.
Les combattants ne sentent pas ou peu la douleur au moment du
combat. Le temps ainsi que l’espace acquièrent des propriétés
particulières et semblent subir diverses distorsions dans l’esprit
des combattants. Des ressources particulières apparaissent
conduisant souvent à des actes particulièrement efficaces
(“geste ultime”) ou à des comportements héroïques, c’est à dire
émancipés de toute peur.
Ces transes martiales sont induites et accentuées par des rituels
spécifiques composés de gestes sacrés, de formules, de danses
ou de chants rituels (dont l’effet sur les combattants à pu être
comparé à celui du rituel du Naven décrit par Gregory Bateson)
Nous terminerons cette présentation par une évocation de la
figure du “guerrier solitaire” dans la technique
cinématographique. Les ralentis des films de John Woo
évoquent la distorsion temporelle de la trance. Cette technique
est particulièrement utilisée dans son film “ the killer” au
moment des scènes de meurtres. On retrouve le même type de
procédé dans toute la filmographie du cinéma d’arts martiaux.
Le ralenti évoque la dilatation ou l’allongement subjectif du
temps. Les prises de vues évoquent l’absence de vécu
émotionnel ou le contrôle total des émotions, la vigilance
accrue, la sensation d’accélération de l’esprit dans le combat
ainsi que le caractère sacré de ce combat, fut il un acte criminel.
Le silence intérieur et la vigilance deviennent un mode de vie
chez le héro tueur incarné par l’acteur Chow Yun Fat au même
titre que chez le personnage incarné par Alain Delon dans “le
Samouraï” de Melville dont le film de John Woo est largement
inspiré. Le monde semble s’écouler autour de ces deux
personnages comme un spectacle lent, vécu depuis l’extérieur et
totalement maîtrisé. L’irruption de l’émotion à travers le
personnage de la chanteuse aveugle est dans ces deux films le
signe du commencement de la fin, car le héros redevient humain
et donc vulnérable.

BIBLIOGRAPHIE

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