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Dossier

Adnan HOVDALL4H

Les conséquences subjectives


de la guerre fratricide
La rijlexion d'Adnan Houballah sur le traumatisme dans la guerre civile est inséparable
de son expérience de thérapeute à Beyrouth-Ouest pendant douze ans. Le clinicien à lëcoute des conflits
intrasubjectifS se doit d'analyser « l'ambiance de guerre )), période de cassure idéologique,
où le sujet perd les valeurs qui assuraient son statut. Car avant lëvénement qui lie le meurtrier
et sa victime, «l'ambiance de guerre )) est le traumatisme même.

L
es travaux de Freud et de ses dis- la guerre de 1914-1918. Il regrette, dans d'un seul mais de plusieurs chefs. Comme offert, à son insu, un passage possible du
ciples sur la question du trauma- Inhibition, symptôme et angoisse, de ne pas je l'ai constaté dans la guerre libanaise, les champ subjectif au champ objectif. De ce
tisme présentent des divergences avoir eu l'oppportunité d'en analyser une. grands partis s'effritent, se divisent en fait, la culpabilité n'apparaîtra que dans
théoriques qui révèlent la complexité de la Signalons que l'ampleur du conflit eut sur sous-groupes, portant peu à peu le conflit l'après-coup. D'autre part, lorsque l'objet
question. On trouve en effet regroupés sous Freud lui-même un impact traumatique: en leur sein, créant une paranoïa collective, de l'angoisse est méconnu, le sujet est sous
ce terme une grande variété de troubles les valeurs humanistes auxquelles il adhé- facteur même de traumatisme. Autrement une tension insupportable. La population
psychopathologiques dont une seule théo- rait se sont effondrées, laissant place à une dit, toute psychopathologie de la guerre est n'arrive pas à maîtriser son agitation, sou-
rie ne peut rendre compte. J'ai pour ma vision pessimiste du destin de l'homme. déjà impliquée dans les fantasmes collectifs haite que la guerre reprenne, chetche ainsi
part classé les psychonévroses traumatiques Les remaniements théoriques qui ont suivi développés à partir des idées opération- un objet à son angoisse pour la transformer
en deux catégories: la psychonévrose trau- la seconde topique et l'élaboration de la nelles de combat. On ne peut donc appré- en peur: celle-ci-est en effet plus écono-
matique amnésique et la psychonévrose notion de pulsion de mort ne sont pas sans hender la clinique de guerre sans se référer mique, puisqu'il suffit de se mettre à l'abri
traumatique hypermnésique. rapport avec les effets traumatiques de à l'idéologie, aux croyances et fantasmes pour l'éviter. Je devais pour ma part faire
La psychonévrose amnésique est caractéri- cette période. alors à l'œuvre. J'affirme ceci après une face à la peur et assumer l'angoisse à tous
sée par l'amnésie des faits traumatiques Nous distinguerons pour traiter notre ques- expérience de douze ans de guerre : toute les niveaux. Tout d'abord au plan person-
qui, au lieu d'être symbolisés, sont refou- tion la psychonévrose de guerre et la:- psy- la population, quelle qu'elle soit, est impli- nel, le psychanalyste étant comme qui-
lés, contribuant de ce fait à la formation chonévrose traumatique en temps de paix. quée. Il n'y a pas de population innocente: conque exposé au danger. S'y ajoutait une
d'une chaîne associative intermédiaire Indépendamment de la gravité des é.véne- il n'y a que des combattants. angoisse d'ordre professionnel, puisque je
complexe où s'édifie le fantasme, qui ments survenus, le contexte dans lequel se Nous appellerons les militaires « combat- ne jouissais d'aucune protection ni sécurité
devient plus tard le noyau pathogène, c'est- trouve le sujet a son importance: en temps tants actifs », et les civils « combattants dans l'exercice de ma fonction: plus d'État
à-dire traumatique. Les premiers travaux de paix, l'accident ne pouvait se prévoir. passifs ". Les combattants actifs sont les de droit, plus de prisons, plus d'hôpitaux
de Freud se sont appuyés sur cette analyse En temps de guerre, l'individu est soumis à milices combatives. Ils sont les moins expo- psychiatriques. En savoir trop par le
pour penser l'appareil psychique. Reconsti- des conditions psychologiques et morales sés à la psychonévrose, sauf certains dont patient présentait d'autre part un risque
tuer la scène traumatique refoulée puis la nouvelles auxquelles il s'adapte plus ou je donnerai un exemple plus loin. Ils sont pour moi et mes proches,. puisque j'avais
restituer au sujet devint le modèle théra- moins bien: préparation aux combats, dans la jouissance, mettant en acte leur aussi bien affaire à des hommes politiques,
peutique à suivre. L'échec de cette théorie croyances religieuses ou idéologiques, fantasme. Les combattants passifs sont la des chefs de milice, que des criminels. Afin
a donné naissance à celle du fantasme, de rationalisation de la mort, autorisation du partie de la population la plus vulnérable: de continuer à assumer mes responsabili-
son implication dans le trauma et de son meurtre. Sa faculté d'adaptation à ces toujours en fuite, devant quitter terres et tés, je devais connaître mes limites et les
rôle dans la formation du symptôme. Dès conditions est déterminante dans la forma- maisons, se cacher dans les abris, ils ont réguler sur le supportable, sans craindre
lors, le travail psychanalytique s'intéresse tion éventuelle d'une névrose. comme objectif premier de sauver leur vie d'enfreindre la pureté analytique. Vous
moins à la réalité de l'événement qu'au Prenons le cas de la guerre civile qui et celle de leur famille. Je dis combattants pouvez donc constater que l'ambiance de
fantasme qui sous-tend les manifestations semble devenir actuellement le moyen pri- passifs car, s'ils ne participent pas physi- guerre est une rupture dans la continuité
pathologiques et à la place qu'y occupe le vilégié de régler les conflits entre les quement au combat, leur imaginaire y par- historique de toute une population et
sujet de l'inconscient. hommes. Le prochain est frappé d'une ticipe. Cumulant haine, rancœur, devenant constitue de ce fait en elle-même un événe-
La psychonévrose traumatique hypermné- ambiguïté foncière : on ne sait plus, dans plus meurtriers dans leur fantasme que les ment traumatique.
sique est au contraire caractérisée par la l'engrenage de la violence, qui est contre vrais combattants, ils développent une vio- La guerre civile ajoute à cela une totale
fixation du sujet à l'événement trauma- qui. La haine est investie dans l'organisa- lence sans la limite imposée par la réalité confusion des valeurs, puisque l'on ne sait
tique qu'il ne peut oublier, d'autant que le tion sociale, venant rompre et perturber les de l'adversaire. Lorsque cette violence plus de quel côté se situe la vérité. Le
cours de son existence en a été radicale- valeurs qui assignaient à l'homme son rôle imaginaire atteint un certain paroxysme, citoyen ordinaire, pris entre bombarde-
ment changé. Son histoire est brisée, fissu- et sa fonction. L'idéal politique n'est plus on assiste à des débordements qui tournent ments, voitures piégées, batailles de rue,
rée: passé, présent et futur ne sont plus la propriété d'un seul et chaque chef de au drame collectif. L'intrusion d'une nou- transgresse sans le choisir ses convictions
noués dans une continuité homogène lui groupe se prétend le détenteur de la vérité, velle réalité ouvre le champ de l'imaginaire idéologiques et politiques, forcé qu'il est de
permettant de trouver ses repères. Le s'autorise en son nom à éliminer l'autre au fantasme meurtrier de morcellement le suivre l'engrenage de la violence. Les réac-
symptôme qui suit est le traumatisme lui- sans scrupules. plus archaïque. Les hommes sont en tions traumatiques à cette situation sont de
même, qui envahit l'espace subjectif et sur- « La petite différence narcissique" réduite somme harcelés de deux côtés: de l'inté- plusieurs natures. Soit le sujet se rallie à un
prend dans un lieu hors temps, hors espace. à sa plus petite valeur (la lettre) devient rieur par le fantasme, de l'extérieur par les parti politique armé pour se protéger et
Le réel émerge de ce lieu inconnu, déter- hautement meurtrière. Le fratricide rem- milices armées et le sentiment ambivalent protéger sa famille, ou même simplement
miné par un destin n'obéissant à aucun place la fraternité: sur le plan œdipien, d'admiration et de haine qu'ils éprouvent à mettre en acte ses fantasmes car la jouis-
ordre, étant l'ordre lui-même. Ce type de toute guerre civile commence par le l'égard de ceux qui à la fois les protègent et sance se trouve de ce côté-là. Soit il déve-
traumatisme est le lot de notre vie quoti- meurtre de ce qui est censé représenter le limitent leur liberté. loppe une profonde croyance religieuse
dienne, soumise à des accidents divers père symbolique dans la structure d'État. Avant d'analyser les incidences cliniques face au danger de mort et devient tout à
(catastrophes naturelles, accidents de la La place vide du père mort s'installe bien- d'une telle situation, il est important d'évo- coup un pratiquant fervent. Il aspire, par le
route, etc.). tôt à tous les niveaux des infrastructures, quer ce qui touche alors aux positions sub- tetour au religieux, à maîtriser ses pulsions
C'est pourtant la névrose de guerre, forme dans les fantasmes de chaque citoyen. Les jectives de l'analyste et de ses patients. meurtrières, à donner rationalité à l'irra-
particulière de la névrose traumatique, qui combattants régis par le fantasme de Tout d'abord, le consultant est souvent tionnel. L'intégrisme religieux prend ici
pose avec le plus d'acuité les problèmes l'inceste mènent une lutte fratricide, impliqué par son fantasme dans la scène de naissance. Le ralliement au sacré protège
thérapeutiques et cliniques. Elle fut au s'adonnent sans scrupules à la violation de violence. Le rapport à la jouissance est du conflit intra-subjectif, devenant le lieu
centre dcs préoccupations de Freud après toutes les lois. Celles-ci ne sont plus le fait strictement refoulé. La scène réelle lui a pur et purifiant d'un idéal totalisant où

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Le traumatisme et ses incidences subjectives

tout peut trouver sens. Acculé à cette position laquelle je ne pouvais répondre. J'ai essayé de l'idéal ou son chef. C'est le cas de tous les
extrême par la faillite de la rationalité donner une réponse adéquate: la cause idéolo- agents qui commettent des erimes de guerre
moderne, le citoyen doit affronter la mort qui gique, la cause politique, la cause religieuse, au service de leur idéologie.
touche sans distinction proches et voisins, se l'économie, la différence de classe, les privi- Notre patient, dans un moment d'oscilla-
fier au destin. Ce qui est écrit, mektoub, offre lèges du pouvoir, etc. Rien à faire, la question tion, a vu resurgir d'un seul coup son statut
une certaine réconciliation entre le sujet et me revient: mais pourquoi? C'est comme un de sujet face à un regard qui l'interroge. Un
l'événement et le décharge de toute culpabilité gouffre. Quoique vous mettiez comme raison- conflit a éclaté alors entre les valeurs de la
de survivant. Le surmoi religieux devient de ce nement, rien ne tient; elle aspire, au point de cause qui avait soutenu son acte et son sta-
fait plus exigeant, pousse à l'application du me sentir moi-même aspiré. Je m'accroche et tut même de sujet humain. C'est dans cette
texte à la lettre, à des rituels aujourd'hui j'essaie par tous les moyens d'oublier. C'est un déchirure que l'événement a eu un effet
dépassés: au lieu de rapporter le passé dans le regard-question qui est collé à moi comme la traumatique. Freud et ses disciples ne se
présent, c'est le présent qui est rapporté au peau à la chair. C'est ainsi que j'ai eu recours sont intéressés à cette question qu'après la
passé. Comme le dit le professeur Barrois: aux tranquillisants de toutes sortes, à l'alcool, à Première Guerre mondiale, au Congrès
« Lors des guerres, les codes, les modes d'exis- la drogue. On m'a conseillé le voyage, je suis international de psychanalyse de 1918 où
tence, le flux même de ceux-ci s'étiolent pour allé chez une sœur établie en Arabie, mais ce
L ambiance de
Ferenczi et Abraham ont présenté un rap-
faire place à quelque chose d'autre, allant regard ne m'a jamais quitté. Il me guette où je port détaillé.
jusqu'à l'inversion totale des valeurs, aux bou- suis, même dans l'obscurité totale, dans le guerre est Cette question met en évidence pour nous
leversements des significations et des affects désert d'Arabie, la nuit comme le jour. J'ai deux problématiques: la première est celle
universellement échangeables jusqu'à pré- perdu le sommeil, l'appétit, la joie de vivre, je une rupture dans de la symbolisation, la seconde touche au
sent ». Croyances, mœurs qu'on croyait dépas- n'ai plus goût à rien. Je suis devenu un corps concept de réel tel que Lacan le définit
sées balaient tout à coup les acquis de la sans âme. Voilà, je suis revenu au Liban, on la continuité comme impossible. Tout d'abord, cette
modernité. La guerre civile gèle le présent, m'a conseillé de venir vous voir, peut-être pou- pathologie difficile à classer peut s'apparen-
ferme l'avenir. L'homme en guerre cherche vez-vous quelque chose pour moi. » Il s'est tu. historique de toute ter à la psychose, sans être réellement une
dans un passé ressuscité à trouver des repères I! y a eu un moment de silence pesant, au cours structure psychotiq ue. Freud l'appelle
culturels, car rien dans le champ actuel ne per- duquel j'ai senti un malaise qui remontait en névrose traumatique proprement dite, cas
met de justifier son statut d'humain. Faute moi-même, une nausée, l'image de cette mère
une population et
particulier des névroses narcissiq ues, elles-
d'avoir déclenché le processus de deuil dans le qui s'effondre auprès de sa fille. Comment mêmes fonctionnant sur le modèle mélanco-
traumatisme, l'homme reste suspendu à un vais-je pouvoir aider un assassin en pleine constitue de cefait lique. C'est une question que je laisse à part.
objet perdu que le destin lui a assigné dans un liberté, sans loi, sans morale? Allez faire la dif- Nous savons que la scène traumatique
espace réglé par une répétition stérile. férence entre la complicité et le devoir déonto- en elle-même devient par fixation le symptôme lui-même.
Je voudrais reprendre le thème de la répétition logique. J'ai regardé un instant ce garçon Cette scène n'est ni oubliée, ni refoulée,
dans le traumatisme par l'exposé d'un cas cli- devant moi, je l'ai trouvé affaibli, le visage un événement mais gardée dans la mémoire. Le sujet se la
nique qui me paraît illustrer la place du sujet pâle, amaigri, ramassé sur lui-même comme un remémore, l'hallucine totalement ou partiel-
dans l'acte meurtrier, qu'il soit combattant ou sac, sans âme, les yeux hagards traduisant une traumatique. lement dans un état de transe. Selon la
victime. Dans une lutte fratricide, il n'y a pas souffrance profonde. logique de la répétition repérée par Freud,
de gagnants la haine seule est à l'œuvre Ma résolution a été prise. J'ai eu pitié de lui. des troubles psychosomatiques divers appa-
jusqu'à l'épuisement des combattants ou leur C'était un pauvre malheureux. Dans son acle. raissent : insomnie (comme pour le roi Mac-
transformation en victimes rongées par la cul- il y avait deux victimes: celle qui était par beth), sommeil entrecoupé de cauchemars
pabilité et l'angoisse. II s'agit d'un jeune terre. el lui qui était devant moi. Alors, je lui ai liés à la représentation du traumatisme,
homme de vingt-cinq ans environ. qui est venu promis de faire de mon mieux. mais en états et troubles divers '. irritabili.té, anxiété,
me consU/ler pour une idée obsédanle. échange. je lui ai demandé de patienter car comportements asociaux, etc.
Lorsque je lui ai demandé de me raconter son notre travail exigerait du temps. li est parti, Le sujet sidéré par le traumatisme, choc
histoire, il est devenu pâle, s'est mis à trembler, apaisé, après avoir fixé un autre rendez-vous. subi sans préalables ni médiations, doit
avant de s'effondrer en larmes. J'ai mesuré la Je l'ai attendu, il n'est pas revenu: Je n'ai pas assumer une perte située entre vie anté-
gravité de la situation et lui ai laissé le temps été surpris. 11 n'est pas revenu, non· parce que rieure et vie présente. Le processus déclen-
nécessaire pour récupérer ses moyens Alors, il j'étais mal disposé à son égard, mais surtout ché est proche de celui du deuil d'un être
s'est mis à me raeonter ce qui lui était arrivé parce qu'il a dû penser que quelqu'un à l'éche- cher mais l'état du sujet et l'effet du choc
d'une voix hachée, tremblante, traduisant une lon humain serait capable d'aller à la rencontre restent insaisissables. Le sujet est d'autant
profonde angoisse. Il m'a dit: « Je suis combat- de ce regard et de répondre à la question. plus atteint que le traumatisme touche à son
tant, et je me suis engagé dans les milices pour Mes conclusions à partir de ce cas sont les sui- narcissisme primaire. En fait, la répétition
des raisons idéologiques. En tant que tel, j'ai vantes: la victime n'est pas toujours du eôté de hypermnésique symptomatique traduit son
été désigné par mon supérieur pour m'embus- l'agressé. Le facteur traumatique se situe dans embarras à avoir manqué la bonne ou mau-
quer sur la ligne de démarcation. J'avais ordre l'événement qui englobe à la fois agresseur et vaise rencontre avec le réel. Celui-ci fait
de tirer sur tout ce qui bouge. Voilà que brus- agressé. Par ailleurs, l'événement ne devient alors intrusion dans la réalité psychique,
quement je me trouve face à une femme qui traumatique pour les deux partenaires impli- provoque une déchirure dans le moi et
passait paisiblement à une cinquantaine de qués que lorsque le recoupement de l'un et de laisse le sujet sans défense, d'autant que la
mètres et traînait une petite fille. Soudain, nos l'autre autour d'un même réel en fait alors un Adnan HOUBAttAH, surprise du choc ne lui a pas laissé le temps
regards se sont croisés et j'ai pu voir dans son traumatisme qui leur est commun. de déclencher son système d'alarme:
visage l'effet de surprise, l'effroi, la peur et une Autrement dit, le meurtrier a affaire au sujet neuropsychiatre et l'angoisse. Le réel « ravageant » résiste ici à
lueur de pitié. Probablement qu'en ayant com- de la parole incarnée dans l'autre: on ne peut psychanalyste, exerce toute symbolisation. I! ne cesse de se répé-
pris mon intention, elle a eu peur pour sa demeurer sujet parlant et tuer celui qui est ter faute de pouvoir réintégrer la chaîne
petite fille. Par réflexe et par un geste instinc- censé être à l'écoute de sa propre parole. Le à Paris. 1l a souteltlL une signifiante.
tif, elle m'a tourné le dos pour la protéger. J'ai cas que j'ai exposé se focalise autour d'un seul thèse sur « le symptôme Les rêves à répétition sont dans ce cas des
été pris de panique et j'ai hésité une fraction signifiant. C'est un signifiant hors temps, en tentatives de guérison permettant de restau-
souffrance, où le sujet est suspendu faute de psychosomatique» en 1968 rer un système défensif, de réintégrer le réel
de seconde qui m'a semblé interminable.
Puis, sans réfléchir, j'ai tiré une rafale de pouvoir lui donner une signification à partir et a enseigné la psychanalyse traumatique dans le réseau symbolique. Le
mitraillette. La femme s'est effondrée et j'ai vu d'un savoir. L'acte en lui-même, comme c'est réveil est l'échec du rêve. C'est en ce sens
à l'Université libanaise de
la petite fille allongée sur son corps crier et le cas pour un traumatisme grave, reste non- que Lacan a fait du traumatisme une
pleurer. Le soir, lorsque je suis rentré chez sens, ne peut s'inscrire nulle part, et l'instant 1977 à 1988 en tant que contrainte au principe de plaisir. Le sujet
moi, j'ai entendu à la radio: "Une mère vient dans lequel se résument présent, passé et futur suspendu à une jouissance vouée à un autre
maître de conférences.
d'être tuée sur la ligne de démarcation auprès effaee l'histoire du sujet. I! cherche en vain une traumatique cherchera souvent un dieu
de sa fille par un franc-tireur." » Il a arrêté son référence qui lui permettrait de réintégrer son 1l a publié en 1988 aux bienveillant qui détourne le tragique du
discours. Il y a eu un moment de silence. Puis il histoire, l'événement dans son histoire, les trois non-sens. Il demeure en quête d'une ren-
éditions Inmaaelkaomi l'un
a repris avec plus de détermination: « Pour temps nécessaires pour trouver ses repères. contre toujours ratée, d'un deuil toujours à
être franc avec vous, ce n'est pas la scène qui De l'écart entre la cause idéologique qui soute- des premiers livres en langue faire, entrant dans un cycle de répétitions
m'a troublé, c'est le regard. L'instant même qui nait son acte et l'acte meurtrier lui-même arabe sur Lacan et Freud, et où il renouvelle sa quête. Ne pouvant se
a précédé la chute de la mère dans le silence émerge un regard: il désigne l'espace imagi- rencontrer, le réel traumatique n'a d'autre
absolu. Elle s'est tournée vers moi et m'a jeté naire où le sujet reste exilé de lui-même, en a écrit de nombreux articles issue que de se répéter. C'est entre le
un regard resté inoubliable. Là commence quête d'une signification qui réassurerait son sur la question de la recommencement et son échec que réside
l'histoire de ma souffrance. C'était un regard existence. Comment a-t-il pu basculer dans cet toute la dimension psychopathologique du
profond, d'interrogation, de souffrance, de enfer? Embusqué sur la ligne de démarcation destitution du maître. traumatisme.
mépris, de révolte, de colère; de pitié peut-être en tant qu'agent au service d'un grand idéal, il 1l prépare actuellement un Je dirai pour terminer que, quand il s'agit de
pour moi, pas de haine. Je me sentais le desti- n'avait aucune culpabilité à tuer. Il ne pensait guerre civile, un travail thérapeutique
livre sur les conséquences
nataire d'un message qui serait: "Mais pour- pas alors aux conséquences de son acte, devrait se mener aussi bien à l'échelle col-
quoi?" Une question m'était adressée à puisque la responsabilité en était assumée par subjectives du traumatisme. lective qu'à l'échelle individuelle. )

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