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Marie-Laure MOURRE
Institut Supérieur de Gestion - GriISG
147 avenue Victor Hugo
75116 Paris FRANCE
marie-laure.mourre@isg.fr
Résumé
La collecte de données marketing n'a jamais été aussi facile et rapide qu’aujourd’hui.
Cependant, le traitement et l'utilisation de ces données demeurent un défi majeur pour les
marketeurs, qu’ils soient praticiens ou chercheurs. Par exemple, de nombreuses sociétés et
instituts d’études utilisent l’eyetracking pour optimiser la mise en page des sites Web, les
emballages ou les publicités. Cependant, il y a toujours un chaînon manquant entre les mesures
d'eyetracking et les processus cognitifs sous-jacents. Cet article propose un traitement des
métriques issues de l’eyetracking permettant d'identifier les différents styles de traitement de
l'information, variables largement utilisées en psychologie cognitive et en recherche marketing.
Nous recommandons de recueillir quatre mesures oculométriques sur différentes zones et de les
traiter par analyse typologique. Nous présentons une application de cette méthode basée sur une
annonce publicitaire testée auprès de 80 sujets.
Mots clé
Oculométrie, persuasion, traitement de l’information, analyse typologique
Abstract
The collection of marketing data has never been easier and faster than today. However,
processing and using these data remain a major challenge both for marketing practitioners and
researchers. For example, many companies and research institutes use eyetracking technology
to optimize the layout of websites, packagings, or advertising. However, there is still a missing
link between eyetracking measures and the underlying cognitive processes. This paper proposes
to process some eyetracking metrics to identify different styles of information processing as it
is a variable widely used in cognitive psychology and marketing research. We recommend to
collect four eyetracking measures for each area of interest and then process them through a
cluster analysis. We present an application of this method based on a print advertising tested
among 80 subjects.
Keywords
Eyetracking, persuasion, processing route, cluster analysis
DONNEES OCULOMETRIQUES ET PROCESSUS COGNITIFS : PROPOSITION DE METHODE
POUR IDENTIFIER LES VOIES DE TRAITEMENT DE L’INFORMATION
Introduction
La collecte de données marketing n'a jamais été aussi facile et rapide qu’aujourd’hui.
Cependant, le traitement et l'utilisation de ces données demeurent un défi majeur aussi bien
pour les praticiens que pour les chercheurs comme en témoignent les nombreuses publications
portant sur les big data en marketing. Beaucoup de sociétés et d’instituts d’études utilisent
couramment l’eyetracking pour optimiser la mise en page des sites Web, les emballages ou les
publicités. Dans la plupart des cas, les données oculométriques sont interprétées dans le
contexte dans lequel elles ont été collectées et de ce fait les conclusions sont difficilement
généralisables (pour une revue, voir Poole et Ball, 2006). Seuls quelques chercheurs ont tenté
de relier les mesures d’eyetracking avec des variables psychologiques sous-jacentes pour
comprendre davantage les mécanismes en œuvre (Teixeira, Wedel et Pieters, 2012 ; Wedel et
Pieters, 2000). Malgré ces efforts, il y a toujours un chaînon manquant entre les mesures
d'eyetracking et les processus cognitifs sous-jacents. Cet article propose un traitement des
métriques issues de l’eyetracking permettant d'identifier les différents styles de traitement de
l'information, variables largement utilisées en psychologie cognitive et en recherche marketing.
Nous recommandons de recueillir quatre mesures oculométriques sur différentes zones et de les
traiter par analyse typologique. Nous présentons une application de cette méthode basée sur une
annonce publicitaire testée auprès de 80 sujets.
L’eyetracking permet de mesurer les mouvements oculaires et ainsi d’identifier ce qui est
vu par un individu. La théorie sous-jacente de l'attention visuelle estime que tous les éléments
rentrant dans le champ visuel sont soumis à un traitement (Carrasco, 2011 ; Rayner, 1998).
Grâce à différentes mesures, on peut distinguer la phase de recherche d’informations et la phase
de traitement d’information (Baccino, 2002, Duchowski, 2007, Goldberg et Kotval, 1998). La
recherche d'informations est indiquée par les mouvements de l’œil, à savoir les saccades
oculaires principalement, alors que le traitement de l'information est évalué à partir de la durée
des fixations oculaires. Cependant, à notre connaissance, il n'y a aucune recherche qui relie plus
précisément ces métriques aux différents styles de traitement d'informations. La recherche
existante consiste essentiellement à interpréter les données selon le contexte dans lequel elles
ont été recueillies. Ce faisant, la même catégorie de mesures peut-être donner lieu à des
interprétations radicalement différentes (Boucheix, 2015 ; Poole et Ball, 2006). Par exemple,
un nombre élevé de fixations sur une zone peut être interprété comme une difficulté dans la
compréhension de l'information ou un intérêt particulier du sujet de l'information contenue dans
cette zone (Goldberg et Kotval, 1998 ; Poole et al., 2004). L'impossibilité de déterminer de
façon plus objective les variables cognitives sous-jacentes limite l'utilisation optimale de ces
données. C'est pourquoi nous proposons une méthode pour tenter de lier des données
eyetracking avec différents styles de traitement de l'information.
1
Les voies de traitement de l'information : une variable-clé de l'efficacité persuasive
Le degré d'intensité cognitive alloué au traitement d'un message persuasif est un élément
important pour comprendre les mécanismes de persuasion et leurs résultats. Les différents
modèles de persuasion s'accordent sur le fait que l'impact d'un message persuasif sur les
attitudes et les comportements varie en fonction de la voie de traitement (Chaiken, 1980 ;
MacInnis et Jaworsky, 1989 ; Meyers-Levy et Marit, 1999 ; Petty et Cacioppo, 1986). Les
attitudes qui en résultent sont affectées en termes de valence, d’intensité, de durabilité ainsi que
leur impact sur les comportements.
L'impact de ce champ de recherche sur le développement de la publicité est important.
Certains annonceurs choisissent des créations publicitaires afin de se concentrer sur l'un ou
l'autre voie. Il est donc tout aussi important pour les chercheurs que pour les praticiens
d'identifier les voies de traitement de l'information. Dans le premier cas, cela donnera une
meilleure compréhension des mécanismes impliqués. Dans le second cas, cela pourrait
permettre d'optimiser le ciblage ou le contenu publicitaire.
Or il y a peu de méthodes pour identifier les routes de traitement de l'information. Petty
et Cacioppo (1986) en liste quatre :
1. demander directement aux individus d’évaluer l'intensité des efforts déployés pour
traiter le message :
2. utiliser la technique de la liste des pensées ;
3. manipuler la qualité des arguments du message ;
4. prendre des mesures psycho/physiologiques comme l'électromyographie (l'activité
électrique des muscles).
La 1ere méthode a l'inconvénient de dépendre de la capacité des individus à évaluer leurs
propres processus cognitifs, ce qui peut s'avérer très difficile dans certains cas.
La méthode 2ème est d'un intérêt complémentaire à l'étude des mécanismes cognitifs, mais
ne permet pas d'identifier des médiations ; les conclusions que l'on peut tirer de cette technique
sont principalement corrélationnelles.
Les recherches fondées sur l’Elaboration Likelihood Model ont souvent recours à la 3ème
technique, c'est-à-dire la manipulation de la qualité des arguments. Petty et Cacioppo la jugent
« relativement objective » (p.138) et facile à mettre en place. Le principe consiste à mesurer les
changements d'attitude selon que des arguments « forts » ou « faibles » sont utilisés dans des
situations plus ou moins favorables au traitement cognitif (avec/sans distractions) et ensuite
déduire la voie de traitement des informations. Certains chercheurs soulignent la faiblesse de
cette expérience qui peut être considérée comme tautologique (Derbaix et Gregory, 2004, p.82).
La 4ème méthode avec mesures physiologiques/psycho a été utilisée à plusieurs reprises
par Petty et Cacioppo car elle est moins sujette aux artefacts expérimentaux et ne repose pas
sur la capacité des individus à évaluer leurs propres processus mentaux. Les auteurs considèrent
ces méthodes comme une façon nouvelle et prometteuse d’étudier les processus associés à la
persuasion. Depuis l'utilisation de l'électromyographie faite par Petty et Cacioppo dans les
années 1970-80, les progrès dans le domaine des mesures physio/psychologiques sont
considérables. Parmi elles, l’eyetracking est maintenant fréquemment utilisé dans la recherche
en neurobiologie, en ergonomie, en psychologie et en marketing.
Notre méthode
1) Collecte de données
Aujourd'hui, la technique d'eyetracking la plus utilisée repose sur la réflexion cornéenne ; cette
technique, non invasive et indétectable, donne des résultats de grande précision (Duchowski,
2007).
2
Notre but est d’identifier les styles de traitement de l’information adoptés par des sujets
exposés à une publicité. Pour cela, nous avons choisi la typologie intégrative proposée par
Meyers-Levy et Malaviya (1999) qui s’appuient sur la recherche existante et distinguent :
- la voie systématique si le traitement cognitif est important,
- la voie heuristique si le traitement cognitif est modéré,
- la voie expérientielle si traitement cognitif est faible.
Pour caractériser ces trois routes, nous recommandons de recueillir les données suivantes
pour chaque zone d'intérêt :
1. La durée des fixations au sein d’une même zone (somme des durées de chaque fixation)
mesurée en secondes qui est une indication de l'attention. Par conséquent, une durée de
fixation longue peut être associée à un niveau d'attention élevé (Wedel et Pieters, 2006).
2. Le nombre de fixations au sein d'une zone. Un grand nombre de fixations au sein d'une zone
permet de bien la détailler en fixant la vision fovéale sur plusieurs points ; la collecte
d'informations est donc plus importante.
3. La durée de visite d’une zone (durée de fixations + durée des saccades dans la zone) mesurée
en secondes, indique la profondeur de la recherche (mouvement) et le degré d'attention porté
à la zone (fixations).
4. Le nombre de visites d’une zone. Une zone peut être visitée plusieurs fois (ou "réinspectée"),
ce qui indique que le sujet est particulièrement intéressé par cette partie du visuel.
Notre objectif est de parvenir à classer des individus ayant un comportement similaire sur un
ensemble de variables. C’est ce que permet la Classification Ascendante Hiérarchique dont le
principe est de créer à chaque étape une partition obtenue en agrégeant deux à deux les éléments
les plus proches. Cette méthode est adaptée aux cas où le nombre d’observations est limité à
une centaine. On anticipe des corrélations fortes entre certaines mesures oculométriques au sein
d’une même zone d’intérêt. Par exemple, la durée de visite d’une zone est nécessairement liée
à la durée des fixations au sein de cette zone. Or les variables corrélées prennent un poids très
important dans les analyses typologiques. Il est donc préférable de ne considérer que les
variables indépendantes. Pour cela, réaliser une analyse factorielle au préalable permet de
sélectionner les variables non corrélées. On peut ensuite procéder à l’analyse typologique sur
la base de ces variables afin de constituer des classes.
Ensuite, il convient de procéder à l’analyse des moyennes des variables pour chaque
classe et leurs déviations par rapport à la moyenne générale. Il revient au chercheur de
déterminer dans quelle mesure ces classes peuvent être associées à la typologie choisie
initialement.
Application
La publicité choisie est une annonce presse contre le tabagisme qui représente une jeune
femme avec une trachéotomie. Les données sont recueillies auprès de 80 jeunes fumeurs lors
d'un test au cours duquel chaque sujet est accueilli individuellement par l'expérimentateur. Le
sujet est libre de regarder la publicité le temps qu’il souhaite. Le dispositif oculométrique relève
les 4 mesures (durée de fixation, le nombre de fixations, durée des visites, nombre de visites)
sur les 7 zones d'intérêt pré-définies par l’expérimentateur.
3
Une fois les données collectées et standardisées, l'analyse factorielle exploratoire est
réalisée à l'aide d'une analyse en composantes principales par lequel les éléments sont exprimés
comme l'exacte combinaison linéaire des variables. Nous optons pour une rotation orthogonale
afin que les facteurs ne soient pas corrélés. Sur les 28 composants extraites (4 mesures x 7
zones), l'application du critère des valeurs propres supérieures à 1 nous amène à garder
seulement 7 éléments principaux qui expliquent 90,5 % de la variance initiale. Les
communalités entre les variables sont très fortes, ce qui conduit à les retenir toutes. Nous
demandons la création de 7 nouvelles variables correspondant aux composantes de l'AFE pour
l'analyse typologique. Puis les classes sont déterminées par l'analyse typologique à proprement
parler. L’évolution de la somme des carrés des distances intra-classes nous amène à arrêter le
processus agglomératif lorsque celui-ci donne lieu à la formation de 3 classes.
En raison de la réduction du nombre de variables de l'AFE à 7 facteurs composites, il faut
revenir aux 28 variables initiales pour interpréter les classes. La représentation graphique des
déviations moyennes par classe sur chaque variable permet de visualiser leurs caractéristiques
et peut faciliter l'interprétation de ces classes. Par exemple, la classe 3 enregistre des scores
supérieurs sur toutes les variables et surtout sur le nombre de fixations du texte et la durée de
visite du texte indiquant une lecture plus attentive des informations qui y figurent que pour les
autres classes. À l'inverse, la classe 1 enregistre des scores inférieurs sur toutes les variables, ce
qui indique un traitement rapide des informations. La classe 2 montre des scores généralement
inférieurs à la moyenne. C'est particulièrement le cas pour le nombre de fixations sur le texte et
sur la gorge. En revanche, le nombre de saccades sur l'accroche, la durée des fixations sur le
slogan et la durée de la visite du slogan dépassent la moyenne, ce qui indique que les
observateurs de cette classe sont plus axés sur ces éléments que ceux des autres classes.
Le graphique des moyennes des variables pour chaque classe permet de confirmer que les
observateurs de la classe 2 reviennent beaucoup plus souvent sur le slogan et ont passé plus de
temps, avec une plus grande durée de fixations et de visite sur ces zones que les autres classes.
Les observateurs de classe 3 sont caractérisés par une plus grande attention portée au texte,
indiquée par le nombre de saccades et la durée de visite sur cette zone. Les autres variables ont
également des scores élevés, ce qui indique un traitement approfondi du visuel.
Ces constatations nous amènent à interpréter les classes comme suit :
- la classe 1 correspond aux personnes ayant un type de traitement expérientiel,
- la classe 2 correspond aux personnes ayant un type de traitement heuristique,
- la classe 3 correspond aux personnes ayant un type de traitement systématique.
Conclusion
Références