Vous êtes sur la page 1sur 6

NEUROL-570; No.

of Pages 6

revue neurologique xxx (2010) xxx–xxx

Revue générale

Neuromarketing : lorsque neurosciences et marketing


se rejoignent
Neuromarketing: When marketing meet neurosciences

Z. Ouazzani Touhami a,b,*, L. Benlafkih a, M. Jiddane c,d, Y. Cherrah d, H.O. El Malki b,d,e,
A. Benomar b,d,e,f
a
Faculté des sciences de l’éducation, université Mohamed V, Rabat, Maroc
b
Centre de recherche en épidémiologie clinique et essais thérapeutiques (CRECET), faculté de médecine et de pharmacie,
université Mohamed V, Rabat, Maroc
c
Service de radiologie, hôpital des spécialités, Rabat, Maroc
d
Faculté de médecine et de pharmacie, université Mohamed V, Rabat, Maroc
e
Laboratoire de biostatistiques, de recherche clinique et epidémiologique (LBRCE), faculté de médecine et de pharmacie,
université Mohamed V, Rabat, Maroc
f
Service de neurologie B et de neurogénétique, hôpital des spécialités, Rabat, Maroc

info article r é s u m é

Historique de l’article : Introduction. – L’émergence de l’imagerie cérébrale s’est accompagnée, depuis quelques
Reçu le 3 février 2010 années, d’une alliance entre les chercheurs en neurosciences et les chercheurs en marke-
Reçu sous la forme révisée le ting. Cette collaboration a donné naissance à un concept nouveau qui utilise des techniques
8 mai 2010 d’imagerie cérébrale dans l’objectif de résoudre des problématiques commerciales ; il s’agit
Accepté le 20 juillet 2010 du neuromarketing.
État des connaissances. – Plusieurs études menées ont montré que la sensation de plaisir
ressenti à la vue ou à la consommation de certains produits est activée par un système de
Mots clés : récompense impliquant le striatum ventral. Depuis, les professionnels du marketing cher-
Neuromarketing chent à exploiter cette donnée et ont en effet trouvé que certaines actions du marketing
Neurosciences peuvent générer une satisfaction supplémentaire comme un effet placebo. Le développe-
Marketing ment du neuromarketing est entravé par un certain nombre de limites et ses champs
Système de récompense d’application restent jusqu’à présent restreints.
Effet placebo Perspectives. – À travers cet article, nous tentons de donner une vue d’ensemble sur le
neuromarketing et ses corrélats neuronaux tout en ouvrant une voie de recherche vers son
Keywords: utilisation à des fins moins commerciales.
Neuromarketing Conclusion. – Le neuromarketing est un concept nouveau ; son efficacité n’est donc pas
Neuroscience prouvée et ses résultats doivent être interprétés avec précaution.
Marketing # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Reward system
Placebo effect

* Auteur correspondant. Avenue Nahda, résidence Al Waha, immeuble 13, appartement 6, Rabat, Maroc.
Adresse e-mail : ouazzani_zineb@hotmail.com (Z. Ouazzani Touhami).
0035-3787/$ – see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.neurol.2010.07.025

Pour citer cet article : Ouazzani Touhami Z, et al. Neuromarketing : lorsque neurosciences et marketing se rejoignent. Revue
neurologique (2010), doi:10.1016/j.neurol.2010.07.025
NEUROL-570; No. of Pages 6

2 revue neurologique xxx (2010) xxx–xxx

abstract

Introduction. – The emergence of brain imaging in recent years has been accompanied by an
alliance between neuroscientists and marketers. This collaboration gave birth to ‘‘neuromar-
keting’’, a new field that uses imaging techniques with the aim of resolving marketing issues.
State of the art. – Several studies have shown that pleasure felt at the sight of a product or
after its consumption, is activated by a reward system involving ventral striatum. Since then,
marketers seeking exploit this data and have found that some marketing actions can
generate added satisfaction in a placebo-like manner. However, neuromarketing suffer
from many limits that are a barrier to its development and its scope is restricted.
Perspectives. – Through this article, we attempt to give an overview on neuromarketing and
its neural correlates while provide a perspective toward the use of field for less commercial
purposes.
Conclusion. – The neuromarketing is a new field which efficiency is not proven. Its results
must be interpreted with caution.
# 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction d’abord de comprendre le lien entre le neuromarketing et le


système de récompense chez l’homme. Ensuite, nous évo-
Les techniques récentes de l’imagerie fonctionnelle ont querons l’importance de la notion de l’effet placebo dans le
permis un approfondissement des connaissances en neuro- neuromarketing avant de nous intéresser à un des champs
sciences et une précision des zones cérébrales responsables de d’application qui a le plus fait connaı̂tre le concept : l’image de
certains plaisirs et de certaines émotions. marque. Ainsi, tout au long de cet article, nous fournirons un
Cependant, la majorité des sciences sociales n’ont pas aperçu sur les travaux réalisés antérieurement dans le
encore adopté la neuroimagerie comme outil ou procédure domaine. Enfin, nous évoquerons la controverse qui tourne
standard de la recherche, et le marketing a été lent à profiter autour du neuromarketing et qui le laisse, jusqu’aujourd’hui,
de l’apport de cette technique (Lee et al., 2007). Les positionné à un stade embryonnaire.
économistes ont été les premiers à avancer le terme de
« neuroéconomie » (Zak, 2004, Kenning et Plassmann, 2005,
Rustichini, 2005). L’objet était de mieux comprendre les 2. Neuromarketing et système de récompense
processus de décision des agents économiques à l’aide des
approches de la psychologie cognitive et des neurosciences Situé au cœur du mésencéphale (cerveau moyen), le système
(Droulers et Roullet, 2007). Plus récemment est né le de récompense est nécessaire à la survie des espèces animale
« neuromarketing » (ou neurosciences du consommateur) et humaine. Son fonctionnement est à l’origine de la
qui peut être défini selon Droulers et Roullet (2007) comme motivation qui pousse à accomplir des actions ou des
« l’étude des processus mentaux (explicites et implicites) et comportements allant de la recherche de nourriture et la
des comportements du consommateur – dans divers contex- reproduction, à des actes plus complexes tels que le choix d’un
tes marketing concernant aussi bien des activités d’évalua- objet, d’une marque ou d’un investissement.
tion, de prise de décision, de mémorisation ou de Neurobiologiquement, la récompense est provoquée par
consommation – qui se fonde sur les paradigmes et les les systèmes dopaminergiques, impliquant le striatum ventral
connaissances des neurosciences ». qui regroupe l’aire tegmentale ventrale (ATV), le noyau
Différentes techniques sont utilisées en neuromarketing. accumbens et l’amygdale. En effet, le système de récompense
Nous retrouvons parmi elles la tomographie par émission de part du mésencéphale vers le système limbique et s’achève
positions (TEP), l’imagerie fonctionnelle par résonance dans le néocortex. Les neurones qui transmettent l’informa-
magnétique (IRMf), l’électroencéphalographie (EEG), la tion entre les régions du système de récompense sont
magnétoencéphalographie (MEG) et la réponse galvanique essentiellement dopaminergiques. Le système de récompense
de la peau (RGP). Même si la TEP, la MEG et l’IRMf restent des se situe tout au long d’une des cinq grandes voies de la
techniques coûteuses et peu disponibles, l’utilisation de dopamine dans le cerveau, la voie mésolimbique. Il débute
l’EEG et de la RGP reste plus répandue dans les études de dans les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale
marketing. ventrale à la base du cerveau, passe à travers le noyau
Depuis que le neuromarketing est né, les chercheurs se accumbens (NACC) dans le système limbique et se termine
sont plus intéressés à certains domaines tels que l’impact des dans les structures du lobe frontal, notamment dans le cortex
messages publicitaires et leur mémorisation. préfrontal médian. La dopamine, qui est également connue
Aussi, pour réaliser les études « neuromarketing », quel- sous le nom de « plaisir chimique » du cerveau, appartient à la
ques agences spécialisées sont nées ; principalement en famille des monoamines. Elle est présente dans plusieurs
occident. Dans notre article, nous proposons d’étudier le régions du cerveau, la plus importante étant le striatum. Outre
neuromarketing à travers des angles différents. Il s’agira son importance dans le contrôle de la motricité, la dopamine

Pour citer cet article : Ouazzani Touhami Z, et al. Neuromarketing : lorsque neurosciences et marketing se rejoignent. Revue
neurologique (2010), doi:10.1016/j.neurol.2010.07.025
NEUROL-570; No. of Pages 6

revue neurologique xxx (2010) xxx–xxx 3

joue un rôle essentiel dans les processus de motivation, de démontré que le gain et la perte monétaire activent le cerveau
récompense et de renforcement (Purves et al., 2008). La de manières différentes, tant au moment de la prévision qu’au
dopamine ne serait le seul neurotransmetteur impliqué dans moment de la connaissance du résultat (gain ou perte). En
le système de récompense. Des études récentes d’électro- effet, la prévision de la récompense monétaire active
physiologie, de pharmacologie, de génétique et d’imagerie principalement le noyau accumbens, alors que la réception
cérébrale ont démontré le rôle crucial de la sérotonine dans le effective de cette même récompense monétaire active
traitement de la récompense (Kranz et al., 2010). principalement le cortex préfrontal médian. De plus, l’aug-
Ce système de récompense qui nous procure la sensation mentation de la valeur du gain modifie le comportement des
de plaisir et de bien-être est le même qui est activé lors de la sujets et intensifie l’activation des zones concernées (NACC et
consommation de certaines drogues – notamment la CPFM). Le niveau d’activation du NACC après obtention du
cocaı̈ne –, et qui entraı̂ne donc le phénomène de l’addiction. résultat diminue à un niveau légèrement inférieur si la
Contrairement à la dépendance physique, l’addiction est plus récompense monétaire est reçue et à un niveau nettement
assimilée à une « dépendance psychologique ». Elle peut inférieur si la récompense monétaire n’est pas reçue. Dans son
d’ailleurs être avec ou sans substance illicite comme le jeu étude, Peterson a eu une vue plus large en liant le processus de
pathologique ou certaines formes de boulimie. L’addiction est récompense à la personnalité, l’impulsivité, l’affect et la bonne
désormais envisagée comme un apprentissage pathologique humeur de l’investisseur.
responsable d’un surentraı̂nement et d’une altération des Parallèlement aux voitures et à l’argent, des études de
mécanismes de prise de décision, entraı̂nant une perte de neuroimagerie ont démontré que le striatum ventral peut
contrôle du comportement (Balland et Lüscher, 2009). Chez également être activé lors de la présentation de récompenses
les individus addicts, le comportement est totalement plus naturelles telles que les stimuli sexuels (Karama et al.,
automatisé ; il n’est plus motivé par le but (obtenir la 2002) ou la nourriture (Small et al., 2001).
récompense), mais par les indices qui lui sont associés. Le
phénomène de l’addiction a pris un sens plus large avec
l’évolution des sociétés de consommation où les individus 3. L’effet placebo marketing
deviennent addicts à certaines marques, certaines saveurs ou
certains produits. C’est vers la fin du 18e siècle que le terme « placebo » (« je
Plusieurs études ont été menées sur les rats (Phillips et al., plairai ») prend sa signification médicale et va devenir la
1975) et les singes (Schultz et al., 1992, Morgan et al., 2002, prescription donnée pour complaire et satisfaire le désir
Schultz, 2004). L’activité des neurones dopaminérgiques dans thérapeutique d’un malade (Guy-Coichard et Boureau, 2005).
les noyaux accumbens augmente lors de l’auto-administra- Shapiro (1964) donne au placebo la définition suivante : « Tout
tion de cocaı̈ne ou après la présentation de liquides ou de procédé thérapeutique donné intentionnellement pour avoir
solides considérés comme récompense. Il en va de même un effet sur un patient, symptôme, syndrome ou maladie,
après la présentation de signaux ou de stimuli prédisant cette mais qui est objectivement sans activité spécifique pour la
récompense. condition traitée ». Ce même auteur a défini l’effet placebo
Erk et al. (2002) se sont intéressés à la récompense chez comme étant « l’effet psychologique, physiologique ou
l’homme procurée par les voitures. Le choix d’une telle psychophysiologique de toute médication ou procédé donné
catégorie de produit n’est pas anodin ; les voitures peuvent avec une intention thérapeutique qui est indépendante, ou
en effet refléter un degré de richesse et de domination sociale. très faiblement reliée aux effets pharmacologiques de la
Entre la petite voiture, la berline et la voiture de sport, c’est médication ou des effets spécifiques du procédé et qui opère
cette dernière qui a été jugée plus attrayante et qui a provoqué au travers d’un mécanisme psychologique ».
la plus forte activation du striatum ventral et du cortex Depuis quelques années, l’effet placebo n’est plus unique-
orbitofrontal gauche. Les sujets ont donc ressenti une ment apparenté au domaine médical. Shiv et al. (2005) ont
récompense potentielle supérieure en visionnant l’image démontré pour la première fois que les attentes non
d’une voiture de sport, signe de domination et de rang social conscientes relatives à la relation entre le prix et la qualité
élevé. peuvent influencer le consommateur tel un effet placebo.
L’argent est aussi un stimulus fort qui peut facilement Certaines actions de marketing, comme le prix, peuvent en
activer le circuit de la récompense chez l’homme. De nos jours, effet agir sur l’efficacité perçue des produits consommés. Les
la notion d’argent est fortement assimilée à celle des finances auteurs ont démontré, à travers trois expériences, que les
et de l’investissement. Au cours des dernières années, les consommateurs qui payent un prix moins élevé pour un
théories financières ont considérablement été améliorées par produit donné peuvent tirer un moindre avantage à sa
l’étude de la psychologie et du comportement des investis- consommation par rapport aux consommateurs ayant payé
seurs. L’application des connaissances en neurosciences plus cher. Ces résultats ont pu être confortés plus tard par
cognitives et en neuroimagerie y a largement contribué. En Plassmann et al. (2008) qui ont prouvé que l’augmentation du
effet, l’utilisation de l’IRM fonctionnelle offre l’opportunité de prix d’un même vin augmente le plaisir de la saveur
discerner les processus neuronaux qui entrent en action lors (préférence déclarée) et le signal blood-oxygen-level dependent
de la prise de décision en cas d’investissement. (BOLD) au niveau du cortex orbitofrontal médian, zone
Dans un article publié par Peterson (2005), l’auteur rapporte généralement attribuée à l’encodage du plaisir. L’utilisation
les résultats d’une étude portant sur le système de récom- de techniques d’imagerie fonctionnelle fait passer l’effet
pense impliqué par les marchés financiers, en général, et par le placebo d’un simple changement subjectif à un phénomène
gain ou la perte monétaire, en particulier. Ainsi, il a été réel et mesurable.

Pour citer cet article : Ouazzani Touhami Z, et al. Neuromarketing : lorsque neurosciences et marketing se rejoignent. Revue
neurologique (2010), doi:10.1016/j.neurol.2010.07.025
NEUROL-570; No. of Pages 6

4 revue neurologique xxx (2010) xxx–xxx

La notion d’effet placebo est étroitement liée à celles de la zones cérébrales activées à l’affichage de la marque de la
motivation et des attentes. Une grande majorité des études boisson A ne le sont pas à l’affichage de la marque de la
portant sur l’effet placebo et utilisant l’imagerie cérébrale ont boisson B.
mis l’accent sur la réduction des stimuli douloureux par le À travers ces résultats, les chercheurs ont démontré qu’il
biais de la suggestion. Même sans placebo, la simple prévision y aurait des mécanismes parallèles dans le cerveau capables
modifie les représentations neuronales liées à l’expérience de biaiser la préférence. Deux systèmes distincts sont
(Berns, 2005). impliqués dans la création de la préférence à l’égard d’une
Irmak et al. (2005) ont réalisé une étude portant sur l’effet marque :
placebo pour une boisson énergétique. Ils ont constaté que
l’effet placebo se manifeste seulement chez les sujets qui  le cortex préfrontal ventromédial lorsque la décision est
désirent un effet d’éveil suite à la consommation de la boisson fondée uniquement sur des informations sensorielles (goût
énergétique. Une boisson énergétique placebo a été capable dans le cas du soda) ;
d’augmenter la pression artérielle, les réflexes physiques, la  l’hippocampe, le cortex préfrontal dorsolatéral et le més-
vigilance ainsi que le niveau d’auto-évaluation du degré encéphale lorsque la décision est fondée sur des informa-
d’excitation. En particulier, ces effets ont été observés chez tions sensorielles et des informations sur la marque
des sujets très motivés ayant lu des informations sur la (activation plus significative en faveur de la boisson A).
boisson énergétique prétendument extraites d’un journal de
renom. Le cortex préfrontal ventromédial est une zone du cerveau
Jusqu’aux études de Shiv et al. (2005), l’effet placebo était responsable des aspects hédoniques ou appétitifs (McClure
présumé comme un mécanisme conscient. Ces auteurs et al. 2004). En s’activant de façon significative lors des tests à
pensent alors que certains types d’effets placebo peuvent se l’aveugle, cette partie reflète « la préférence cérébrale »
faire sans prise de conscience. Les composants extrinsèques (Droulers et Roullet, 2006) à l’égard d’une des deux marques.
des produits, notamment le prix, en font partie. Cependant, la connaissance de la marque dégustée biaise
L’ensemble des résultats des études citées dans cette partie cette préférence. Des zones différentes entrent dans le
de notre article peut être considéré comme preuve que les processus lors de la dégustation de la boisson A, notamment
actions du marketing conduisent à des effets placebo. l’hippocampe, le cortex préfrontal dorsolatéral et le mésencé-
phale. Ces zones ne connaissent pas une activation significa-
tive lors de la dégustation de la boisson B.
4. Le neuromarketing au cœur de la marque Le cortex préfrontal dorsolatéral est généralement
impliqué dans les fonctions cognitives, principalement dans
L’exploration des circuits neuronaux dans le but d’identifier la la mémoire de travail (Robertson et al., 2001). Il aurait même
préférence à l’égard d’une marque a été l’axe de recherche qui une implication sur le comportement en maniant ce dernier
a le plus fait connaı̂tre le neuromarketing. McClure et al. (2004) selon le but recherché (Watanebe, 1996).
ont publié les résultats d’une étude portant sur deux sodas de Situé au cœur du lobe limbique, et compte tenu de ses
marques différentes ; Coca-Cola1 (Boisson A) et Pepsi1 interconnexions avec le cortex cingulaire et avec les corps
(Boisson B). Le protocole de recherche consistait à enregistrer, mamillaires, il est admis que l’hippocampe intervient dans les
en utilisant l’IRMf, l’activité cérébrale de 67 sujets lors de deux traitements émotionnels et dans la mémoire (Gazzaniga et al.,
types de tests de dégustation ; l’un à l’aveugle (test anonyme) 2001). Il serait impliqué dans la récupération des souvenirs
et l’autre à marque découverte pour un seul échantillon (test épisodiques autobiographiques (Viard et al., 2007), jouant ainsi
semi-anonyme). un rôle de rappel de l’information.
Les résultats de l’étude ont surpris scientifiques et grand Ainsi, la présentation aux sujets d’informations liées à la
public. Le choix des sujets pour l’une des deux boissons a marque a constitué un biais pour la préférence. L’activation du
changé entre le test à l’aveugle et le test à marque découverte. cortex préfrontal dorsolatéral et de l’hippocampe ont amené la
Lorsque les sujets ne connaissent pas la marque dégustée preuve que la préférence à l’égard d’une marque peut changer.
(tests anonymes), les jugements de préférence sont répartis Ce changement est en fonction de la présence ou non
équitablement entre les deux marques. Ce type de tests a d’informations liées à cette marque. La préférence devient
révélé une activation significative du CPFVM ( p < 0,001). alors « comportementale ». Celle-ci n’est pas toujours en
Cependant, lorsque les sujets sont informés du nom de adéquation avec la « préférence cérébrale ».
l’une des deux marques testées (test semi-anonyme), ils Concrètement, la préférence à l’égard d’une marque n’est
déclarent préférer de façon significative la boisson A. L’affi- pas uniquement basée sur des éléments intrinsèques au
chage de la marque de la boisson A provoque l’activation produit. Le capital marque (branding) joue un rôle essentiel
significative d’autres zones cérébrales ( p < 0,001). Il s’agit dans le mécanisme de préférence. Ce dernier influence de
principalement de l’hippocampe, du cortex préfrontal dorso- manière directe le comportement d’achat et la fidélisation.
latéral et du mésencéphale. Dans cette situation, l’activation
du CPFVM n’est pas significative ( p = 0,96). En revanche,
l’affichage de la marque de la boisson B n’active pas 5. Le neuromarketing, un concept encore peu
significativement l’hippocampe ( p = 0,43) et le cortex pré- connu et utilisé
frontal dorsolatéral ( p = 0,41). De même que lors de l’affichage
de la marque de la boisson A, l’affichage de la marque B Déjà en 2004, alors que le neuromarketing venait de naı̂tre,
n’active pas significativement le CPFVM ( p = 0,89). Les autres Gary Ruskin, directeur exécutif de Commercial Alert, association

Pour citer cet article : Ouazzani Touhami Z, et al. Neuromarketing : lorsque neurosciences et marketing se rejoignent. Revue
neurologique (2010), doi:10.1016/j.neurol.2010.07.025
NEUROL-570; No. of Pages 6

revue neurologique xxx (2010) xxx–xxx 5

consumériste américaine, a déclenché l’alarme quant à d’un produit, lors de sa phase de conception (Ariely et Berns,
l’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale dans un but 2010). Enfin, nous pouvons imaginer une perspective de la
mercantile1. Ruskin a adressé une lettre à la commission du participation du neuromarketing dans le développement
Sénat américain pour le commerce, les sciences et le transport durable et le bien-être social.
demandant une enquête sur le neuromarketing et ses L’utilisation des techniques des neurosciences en marke-
implications sur les politiques et la santé publique. Selon ting est récente. L’efficacité du neuromarketing est donc loin
lui, le neuromarketing constituerait un grand danger pour le d’être prouvée. Cependant, du point de vue scientifique, il est
consommateur. Ce dernier se trouverait manipulé par des indéniable que les techniques neuroscientifiques apportent et
agences marketing sans même s’en rendre compte. Plus apporteront de nouvelles perspectives, incomparablement
encore, le neuromarketing pourrait – toujours selon Ruskin – plus riches que celles suscitées par des approches conven-
s’attaquer au monde politique et influencer le vote en faveur tionnelles (Droulers et Roullet, 2007).
d’un candidat ou d’un autre. Il s’agit donc de l’avenir des
nations qui serait mis en jeu.
Nous pouvons partager cet avis en pensant que l’utilisation Conflit d’intérêt
du neuromarketing par certaines entreprises pourrait consti-
tuer un danger majeur pour la santé publique. On pourrait en Aucun.
effet assister à un accroissement de certaines maladies telles
que l’obésité, le diabète, l’alcoolisme ou le cancer du poumon
r é f é r e n c e s
si les compagnies de fast-food, d’alcool ou de cigarettes
utilisaient le neuromarketing dans leurs stratégies de
commercialisation.
Vraisemblablement, le neuromarketing souffre de limites Ariely D, Berns GS. Neuromarketing: the hope and hype
of neuroimaging in business. Nat Rev Neurosci 2010;11:
éthiques qui constituent une barrière à son développement. Il
284–92.
existe également des limites méthodologiques : les protocoles Balland R, Lüscher C. L’addiction : lorsque l’emballage des
de recherche en neuromarketing sont longs et difficiles à mécanismes d’apprentissage conduit à une perte du
élaborer. Le nombre de sujets est généralement faible et les libre arbitre. Psychiatrie Sciences Humaines Neurosci
réponses qu’ils donnent doivent être suffisamment impor- 2009;7:35–42.
tantes et claires pour permettre un traitement statistique Berns GS. Price, placebo, and the brain. J Mark Res 2005;XLII:
399–400.
significatif. Certaines techniques utilisées dans le neuromar-
Droulers O, Roullet B. Neuromarketing : cadre théorique et
keting (telle que l’IRMf) peuvent être désagréables ou
perspectives. Actes du XXII Congrès de l’Association
inconfortables pour les sujets de l’étude. Viennent ensuite Française du Marketing 2006, Nantes.
les limites financières (coût des techniques d’imagerie Droulers O, Roullet B. Emergence du neuromarketing : apports
cérébrale) et les limites légales. L’accord d’un comité et perspectives pour les praticiens et chercheurs. Decis
d’éthique, le consentement éclairé des sujets ainsi que Mark 2007;46:9–22.
l’affectation d’un médecin en tant que superviseur sont des Erk S, Spitzer M, Wunderlich AP, Galley L, Walter H. Cultural
objects modulate reward circuitry. Neuro Rep
éléments nécessaires à la conformité de l’étude.
2002;13(18):2499–503.
L’apparition d’appellations nouvelles incluant le préfixe Gazzaniga MS, Ivry RB, Mangun GR. Neurosciences cognitives.
« neuro » (neuroéconomie, neuromarketing, neurocriminalité, La biologie de l’esprit. Paris: Éditions De Boeck Université;
neurorecrutement. . ..) peut laisser croire que l’association des 2001.
neurosciences à d’autres disciplines est un phénomène de Guy-Coichard C, Boureau F. Comprendre l’effet placebo pour
mode dont profiteraient principalement les neuroscientifiques mieux traiter la douleur. La revue de médecine interne
partisans du mouvement et les professionnels de la publicité. 2005;26:226–32.
Irmak C, Block LG, Fitzsimons GJ. The placebo effect in
Mais le neuromarketing peut aider à développer une
marketing: sometimes you just have to want it to work.
meilleure compréhension du comportement humain lors de J Market Res 2005;XLII:406–9.
situations qui constituent une grande partie de la vie moderne. Karama S, Lecours AR, Leroux JM, Bourgouin P, Beaudoin G,
Il peut participer à renforcer la capacité des entreprises à bâtir Joubert S, et al. Areas of brain activation in males and
une relation de confiance avec leurs clients et collaborateurs females during viewing of erotic film excerpts. Hum Brain
pour des résultats mutuellement bénéfiques. Le neuromarke- Mapp 2002;16(1):1–13.
Kenning P, Plassmann H. Neuroeconomics: an overview from an
ting peut également éclairer les chercheurs en sciences
economic perspective. Brain Res Bull 2005;67:343–54.
sociales sur les bases neuronales d’une prise de décision dans
Kranz GS, Kasper S, Lanzenberger R. Reward and serotonergic
un contexte de négociation dans le but d’accroı̂tre les résultats system. Neuroscience 2010;166:1023–35.
d’une relation gagnant/gagnant (Lee et al., 2007). Une Lee N, Broderick AJ, Chamberlain L. What is ‘‘neuromarketing’’?
application prometteuse de l’imagerie cérébrale dans le A discussion and agenda for future research. Int J
marketing peut survenir avant même la commercialisation Psychophysiol 2007;63:199–204.
McClure SM, Li J, Tomlin D, Cypert KS, Montague LM, Montague
PR. Neural correlates of behavioral preference for culturally
1
Commercial Alert asks Senate Commerce Committee to inves- familiar drinks. Neuron 2004;44:379–87.
tigate neuromarketing, Commercial Alert, July 13, 2004, http:// Morgan D, Grant KA, Gage HD, March RH, Kaplan JR, Prioleau O,
www.commercialalert.org/issues/culture/neuromarketing/com- et al. Social dominance in monkeys: dopamine D2 receptors
mercial-alert-asks-senate-commerce-committee-to-investigate- and cocaine self-administration. Nat Neurosci 2002;5:
neuromarketing. 169–74.

Pour citer cet article : Ouazzani Touhami Z, et al. Neuromarketing : lorsque neurosciences et marketing se rejoignent. Revue
neurologique (2010), doi:10.1016/j.neurol.2010.07.025
NEUROL-570; No. of Pages 6

6 revue neurologique xxx (2010) xxx–xxx

Peterson RL. The neuroscience of investing: fMRI of the reward Schultz W. Neural coding of basic reward terms of
system. Brain Res Bull 2005;67:391–7. animal learning theory, game theory, microeconomics
Phillips AG, Brooke SM, Fibiger HC. Effects of amphetamine and behavioral ecology. Curr Opin Neurobiol 2004;14:
isomers and neuroleptics on self-stimulation from the 139–47.
nucleus accumbens and dorsal noradrenergic bundle. Brain Shapiro AK. Factors contributing to the placebo effect. Am J
Res 1975;85:13–22. Psychother 1964;18:73–88.
Plassmann H, O’Deherty J, Shiv B, Rangel A. Marketing actions Shiv B, Carmon Z, Ariely D. Placebo effects of marketing actions:
can modulate neural representations of experienced consumers may get what they pay for. J Mark Res
pleasantness. PNAS 2008;105(3):1050–4. 2005;42:383–93.
Purves D, Augustine GJ, Fitzpatrick D, Hall WC, LaMantia AS, Small DM, Zatorre RJ, Dagher A, Evans AC, Jones-Gotman M.
McNamara JO, et al. Neurosciences. Bruxelles: Éditions De Changes in brain activity related to eating chocolate: from
Boeck Université; 2008. pleasure to aversion. Brain 2001;124:1720–33.
Robertson EM, Tormos JM, Maeda F, Pascual-Leone A. The role of Viard A, Piolino P, Desgranges B, Chételat G, Lebreton K,
the dorsolateral prefrontal cortex during sequence learning is Landeau B, et al. Hippocampal activation for
specific for spatial information. Cereb Cortex 2001;11:628–35. autobiographical memories over the entire lifetime in
Rustichini A. Neuroeconomics: present and future. Games Econ healthy aged subjects: an fMRI study. Cereb Cortex
Behav 2005;52:201–12. 2007;17:2453–67.
Schultz W, Apicella P, Scarnati E, Ljungberg T. Neural activity in Watanebe M. Reward expectancy in primate prefrontal
monkey ventral striatum related to expectation of reward. J neurons. Nature 1996;382:629–32.
Neurosci 1992;12:4595–610. Zak P. Neuroeconomics. Philos Trans R Soc B 2004;359:1737–48.

Pour citer cet article : Ouazzani Touhami Z, et al. Neuromarketing : lorsque neurosciences et marketing se rejoignent. Revue
neurologique (2010), doi:10.1016/j.neurol.2010.07.025

Vous aimerez peut-être aussi