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du Greffier de la Cour

CEDH 138 (2017)


25.04.2017

Les conditions de détention dans le milieu carcéral roumain sont contraires à la


Convention et relèvent d’un dysfonctionnement structurel nécessitant
l’adoption de mesures générales par l’État
Dans son arrêt de chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Rezmiveș et autres c. Roumanie (requêtes
nos 61467/12, 39516/13, 48231/13 et 68191/13), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à
l’unanimité, qu’il y a eu :
Violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention
européenne des droits de l’homme.
L’affaire concerne les conditions de détention dans les prisons roumaines ainsi que dans les dépôts
attachés aux commissariats de police.
Les requérants se plaignent, entre autres, du surpeuplement des cellules, de l’insuffisance des
installations sanitaires et du manque d’hygiène, de la mauvaise qualité de la nourriture, de la vétusté
du matériel fourni ainsi que de la présence de rats et d’insectes dans les cellules.
Sous l’angle de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), la Cour juge en
particulier que les conditions de détention des requérants, compte tenu également de leur durée
d’incarcération, les ont soumis à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de
souffrance inhérent à la détention.
Sous l’angle de l’article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts), la Cour décide d’appliquer la
procédure de l’arrêt pilote, estimant que la situation des requérants relève d’un problème général
qui tire son origine d’un dysfonctionnement structurel propre au système carcéral roumain.
La Cour estime que l’État doit mettre en place : 1) des mesures visant à diminuer le surpeuplement
et à améliorer les conditions matérielles de détention ; 2) des voies de recours (un recours préventif
et un recours compensatoire spécifique).
La Cour décide d’ajourner l’examen des requêtes similaires non communiquées et de poursuivre
l’examen des requêtes déjà communiquées au Gouvernement roumain, lequel doit fournir, en
coopération avec le Comité des Ministres, dans les six mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu
définitif, un calendrier précis pour la mise en œuvre des mesures générales.

Principaux faits
Les requérants, Daniel Arpad Rezmiveş, Marius Mavroian, Laviniu Moşmonea et Iosif Gazsi, sont des
ressortissants roumains nés respectivement en 1970, 1966, 1976 et 1972.
MM. Rezmiveş, Moşmonea et Gazsi, qui sont actuellement détenus dans les prisons de Timişoara,
Pelendava et Baia Mare, ainsi que M. Mavroian, qui était détenu à la prison de Focşani et qui fut
libéré le 13 janvier 2015, se plaignent en particulier du surpeuplement carcéral, de l’insuffisance
d’hygiène dans leurs cellules (présence de rats, moisissures dans les murs, etc.), de l’accès insuffisant

1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois
mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En
pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de
l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des
renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
aux douches et aux WC, de l’absence d’éclairage naturel, du manque de ventilation, ainsi que de la
mauvaise qualité du matériel fourni et de la nourriture dans les prisons dans lesquelles ils ont été ou
sont encore actuellement détenus.

Griefs, procédure et composition de la Cour


Invoquant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), les requérants se
plaignent des conditions de leur détention dans les prisons de Gherla, d’Aiud, d’Oradea, de Craiova,
de Târgu-Jiu, de Pelendava, de Rahova, de Tulcea, d’Iasi et de Vaslui, ainsi que dans les locaux de la
police de Baia Mare.
Les requêtes ont été introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme respectivement
le 14 septembre 2012, le 6 juin 2013, le 24 juillet 2013 et le 15 octobre 2013.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Ganna Yudkivska (Ukraine), présidente,
Vincent A. De Gaetano (Malte),
Nona Tsotsoria (Géorgie),
Paulo Pinto de Albuquerque (Portugal),
Krzysztof Wojtyczek (Pologne),
Iulia Motoc (Roumanie),
Marko Bošnjak (Slovénie),

ainsi que de Marialena Tsirli, greffière de section.

Décision de la Cour
Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants)
La Cour constate que l’espace personnel attribué aux requérants a été dans la majeure partie de leur
détention de moins de 3 m2. Ce manque sévère d’espace vital dont ils ont souffert pendant plusieurs
mois semble avoir été aggravé par d’autres traitements, notamment par l’absence d’éclairage
naturel, la très courte durée de la promenade journalière, les toilettes insalubres et parfois
dépourvues de cloison, l’absence d’activités socioculturelles (pour M. Rezmiveş), l’insuffisance des
installations sanitaires et l’accès insuffisant à l’eau chaude (pour M. Mavroian), l’absence de
ventilation des cellules, la présence de moisissures dans une partie des cellules, la présence
d’insectes et de rats, la vétusté des matelas, la mauvaise qualité de la nourriture, la présence de
punaises (pour M. Moşmonea), la mauvaise qualité de la nourriture, l’insuffisance des installations
sanitaires et l’absence d’hygiène (pour M. Gazsi). La Cour estime donc que toutes ces conditions,
bien que ne constituant pas en soi un traitement inhumain et dégradant, n’ont pas manqué
d’engendrer chez les intéressés des souffrances supplémentaires.
Par ailleurs, la description détaillée que font les requérants des conditions matérielles des prisons
est similaire à la situation retenue par la Cour dans plusieurs affaires de ce type. En outre, les
conditions matérielles régnant dans les locaux de détention de la police roumaine ont fait l’objet
d’une analyse par la Cour dans plusieurs affaires dans lesquelles elle a constaté le surpeuplement, la
médiocrité des conditions d’hygiène, l’inadéquation des annexes sanitaires et la possibilité très
limitée de passer du temps à l’extérieur de la cellule. De plus, eu égard aux constats du Comité
européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) lors des visites qu’il a effectuées en 2010 et en 2014 dans certains établissements
pénitentiaires et dépôts de la police, aux évaluations par le Comité des Ministres des mesures
générales adoptées en exécution du groupe d’affaires Bragadireanu2, aux recommandations émises

2
par l’avocat du peuple à l’issue des enquêtes ouvertes à la suite des plaintes formulées par certains
détenus, ainsi qu’aux données statistiques officielles visant la population carcérale en Roumanie, la
Cour estime comme crédibles les allégations des requérants relatives aux conditions matérielles de
leur détention.
Par conséquent, la Cour estime que les conditions de détention des requérants, compte tenu
également de leur durée d’incarcération, les ont soumis à une épreuve d’une intensité qui excédait
le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Elle dit donc qu’il y a eu violation de
l’article 3 de la Convention.

Article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts)


La Cour décide d’appliquer la procédure de l’arrêt pilote, estimant que la situation des requérants
relève d’un problème général qui tire son origine d’un dysfonctionnement structurel propre au
système carcéral roumain qui persiste, bien qu’il ait déjà été identifié par la Cour en 2012 (arrêt
Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, 24 juillet 2012).
Pour y remédier, l’État doit mettre en place des mesures générales de deux types :
D’une part, l’État doit mettre en place des mesures visant à diminuer le surpeuplement et à
améliorer les conditions matérielles de détention. La Cour laisse à l’État défendeur le soin de faire,
sous le contrôle du Comité des Ministres, les démarches concrètes qu’il estimera nécessaires à cet
effet, précisant que lorsque l’État n’est pas en mesure de garantir à chaque détenu des conditions de
détention conformes à l’article 3 de la Convention, elle l’encourage à agir de manière à réduire le
nombre des personnes incarcérées.
D’autre part, l’État doit mettre en place des voies de recours (un recours préventif et un recours
compensatoire spécifique). Le recours préventif doit permettre au juge de surveillance de
l’exécution et aux tribunaux de mettre fin à la situation contraire à l’article 3 de la Convention et
d’octroyer une indemnisation. Le recours compensatoire spécifique doit permettre d’obtenir une
indemnisation adéquate pour toute violation de la Convention portant sur un espace vital insuffisant
et/ou des conditions matérielles précaires.
Compte tenu de l’importance et de l’urgence du problème identifié et de la nature fondamentale
des droits en question, la Cour considère qu’un délai raisonnable pour la mise en œuvre des mesures
à caractère général est nécessaire, estimant que le Comité des Ministres est le mieux placé pour
établir un tel délai. Par conséquent, le Gouvernement roumain doit fournir, en coopération avec le
Comité des Ministres, dans les six mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif, un
calendrier précis pour la mise en œuvre des mesures générales appropriées.
Enfin, la Cour décide d’ajourner l’examen des requêtes non communiquées ayant pour objet unique
ou principal le surpeuplement carcéral et les mauvaises conditions de détention dans les prisons et
les dépôts attachés aux commissariats de police en Roumanie, et de poursuivre l’examen des
requêtes déjà communiquées au Gouvernement.

Article 41 (satisfaction équitable)


La Cour dit que la Roumanie doit verser 3 000 euros (EUR) à chacun des requérants, MM. Rezmiveş
et Gazsi, et 5 000 EUR à chacun des requérants, MM. Mavroian et Moşmonea, pour dommage
moral. La Roumanie doit également verser 1 850 EUR à M. Moşmonea pour frais et dépens.

2 Bragadireanu c. Roumanie, no 22088/04, 6 décembre 2007.

3
Opinion séparée
Le juge K. Wojtyczek a exprimé une opinion concordante dont le texte se trouve joint à l’arrêt.

L’arrêt n’existe qu’en français.

Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la
Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur
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George Stafford (tel: + 33 3 90 21 41 71)

La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du
Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention
européenne des droits de l’homme de 1950.

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