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Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 170–174

Synthèse
La procédure disciplinaire des experts judiciaires
Maître Stéphen Duval (avocat au barreau de Lyon)
139, rue Vendôme, 69477 Lyon cedex 06, France
Disponible sur Internet le 28 mai 2012

Résumé
Les experts judiciaires sont soumis à une procédure disciplinaire qui apprécie très largement des fautes,
et doit respecter les règles du procès équitable de l’article 6-1 CEDH.
© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

Un chirurgien dentiste expert judiciaire, condamné à une peine de suspension par une instance
ordinale, et ensuite radié pour ces faits de la liste de la cour d’appel, voit cette mesure annulée
par la Cour de cassation1 . Motif : il n’était pas indiqué dans l’arrêt de la cour d’appel que l’expert
poursuivi avait eu la parole en dernier. Ah, les exigences du procès équitable. . . Monsieur Serge,
docteur en chirurgie dentaire, a été inscrit à compter du 1er janvier 2002 sur la liste des experts de
la présente Cour, sous les rubriques « Odontologie médicale » et « Sécurité sociale-odontologie
générale ». Sur avis de la commission de réinscription, l’Assemblée générale des magistrats de la
Cour réunie en novembre 2007 l’a réinscrit sur cette liste jusqu’en 2011. C’est dans ce contexte
que s’analysent les deux procédures disciplinaires sur le plan ordinal d’abord (1), puis en fonction
de l’inscription sur la liste des experts (2).

1. Procédure disciplinaire ordinale (Contentieux du contrôle technique)

1.1. Section des assurances sociales du Conseil Régional

Par une décision en date du 26 juin 2006, la section des assurances sociales du Conseil Régional
de l’Ordre Midi-Pyrénées des chirurgiens dentistes a infligé à Monsieur Serge la sanction de
l’interdiction du droit de donner des soins aux assurés sociaux pendant trois mois dont deux mois
et demi avec sursis.

Adresse e-mail : stephen-duval@wanadoo.fr


1 Cass. 1◦ chambre civile, 23 février 2012, no 11-10298.

1629-6583/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.04.003
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Il ne s’agit pas de la procédure ordinale de droit commun, devant la chambre disciplinaire


ordinale, mais de la procédure dite du contentieux technique de la Sécurité sociale, régie apr les
articles L. 145-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, qui concerne toutes les professions de
santé.
« Les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l’exercice de la profession, relevés à
l’encontre des médecins, chirurgiens-dentistes ou sages-femmes à l’occasion des soins dispensés
aux assurés sociaux, sont soumis en première instance à une section de la chambre disciplinaire
de première instance des médecins ou des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes dite section
des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance et, en appel, à une
section de la chambre disciplinaire nationale du conseil national de l’ordre des médecins ou
des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes, dite section des assurances sociales du conseil
national de l’ordre des médecins ou section des assurances sociales du conseil national de l’ordre
des chirurgiens-dentistes ou section des assurances sociales du conseil national de l’ordre des
sages-femmes ».
C’est dire que s’il y a condamnation, c’est qu’a été reconnue une faute, un abus, ou une fraude
intéressant l’exercice de la profession.

1.2. Chambre disciplinaire de l’Ordre, section des assurances sociales

Le 17 janvier 2008, la Chambre disciplinaire de l’Ordre national des chirurgiens dentistes,


section des assurances sociales, statuant sur les recours formés par le médecin-conseil chef de
service de l’échelon local du Lot et la CPAM du Lot. Statuant sur l’appel de la partie poursuivante,
la formation disciplinaire a la possibilité d’aggraver le quantum de la peine. De fait, elle a prononcé
contre Monsieur Serge la sanction d’interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant
une durée de quatre mois dont deux assortis du sursis avec publication dans les locaux de la CPAM
du Lot pendant un mois.
Elle a reconnu comme établis les manquements suivants :

• « prescriptions non nécessaires à la qualité et à l’efficacité des soins (88 cas) » ;


• « soins non éclairés ou non conformes aux données actuelles de la science (64 cas) » ;
• « absence de tact ou de mesure dans la fixation des honoraires (trois cas) » ;
• « cotations non appropriées procurant aux patients un avantage illicite et de nature à induire
en erreur les services de l’assurance maladie (43 cas) ».

1.3. Conseil d’État

Le 19 décembre 2008, la section du contentieux du Conseil d’État a déclaré non admissible le


pourvoi formé par Monsieur Serge contre la décision du 17 janvier 2008, qui est ainsi devenue
définitive.
Monsieur Serge saisit la CEDH d’un recours contre la décision du Conseil d’État.
C’est pour ces faits, du cadre professionnel, que la procédure a été engagée relativement à
l’inscription sur la liste des experts judiciaires.
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2. Procédure de radiation de la liste des experts

2.1. La procédure disciplinaire des experts judicaires

Les poursuites disciplinaires contre un expert judiciaire sont régies par l’article 6-2 de la loi
du 29 juin 1971 modifiée par la loi no 2004-130 du 11 février 2004 et le décret no 2004-1463 du
23 décembre 2004.
Au titre de l’article 6-2 :
« Toute contravention aux lois et règlements relatifs à sa profession ou à sa mission d’expert,
tout manquement à la probité ou à l’honneur, même se rapportant à des faits étrangers aux
missions qui lui ont été confiées, expose l’expert qui en serait l’auteur à des poursuites
disciplinaires ».
Les peines répondent au schéma classique en matière disciplinaire :

• l’avertissement ;
• la radiation temporaire pour une durée maximale de trois ans ;
• la radiation avec privation définitive du droit d’être inscrit sur une des listes prévues à l’article
2, ou le retrait de l’honorariat.

Les poursuites sont exercées devant l’autorité ayant procédé à l’inscription, qui statue en
commission de discipline. Les décisions en matière disciplinaire sont susceptibles d’un recours
devant la Cour de cassation, pour les experts inscrits sur la liste nationale, ou la cour d’appel, pour
les experts relevant de cette liste.
Le rôle central dans l’enclenchement des poursuites revient, selon l’article 25 du décret du
23 décembre 2004, au procureur général près la cour d’appel. C’est lui qui reçoit les plaintes et
fait procéder à tout moment aux enquêtes utiles pour vérifier que l’expert satisfait à ses obligations
et s’en acquitte avec ponctualité. L’engagement de poursuites disciplinaires contre un expert par
le procureur général n’est pas subordonné à une plainte2 .
S’il lui apparaît qu’un expert inscrit a contrevenu aux lois et règlements relatifs à sa profession
ou à sa mission d’expert, ou manqué à la probité ou à l’honneur, même pour des faits étrangers
aux missions qui lui ont été confiées, le procureur général fait recueillir ses explications, et le cas
échéant, engage alors les poursuites.
L’expert poursuivi est appelé à comparaître par le procureur général près la cour d’appel, selon
convocation est adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception quinze jours
au moins avant la date fixée pour la comparution. La convocation, précise l’article 26, énonce les
faits reprochés à l’expert.
La procédure est contradictoire, et l’expert convoqué peut prendre connaissance de son dossier
auprès du secrétariat du parquet général près la cour d’appel.
La commission de discipline dispose d’un pouvoir d’investigation autonome, défini par l’article
27. Elle peut se faire communiquer tous renseignements ou documents utiles. Elle peut procéder
à toutes auditions et, le cas échéant, déléguer l’un de ses membres à cette fin.
Les débats sont publics. Toutefois, la formation disciplinaire peut décider qu’ils auront lieu
ou se poursuivront en chambre du conseil à la demande de l’intéressé ou s’il doit résulter de leur

2 Cass. 1◦ Chambre civile, 3 juin 2010, no 09-14896.


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publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée ou s’il survient des désordres de nature à troubler
leur bon déroulement.
La commission de discipline statue, par décision motivée, après avoir entendu, dit l’articlé 28,
le ministère public, l’expert poursuivi et, le cas échéant, son avocat.
La décision est notifiée à l’expert poursuivi, par lettre recommandée avec demande d’avis
de réception, et au ministère public, un recours pouvant être formé dans le délai d’un mois par
déclaration au greffe ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au
greffe. Le recours formé contre une décision disciplinaire prise par une assemblée générale de
cour d’appel est examinée par la première chambre de la même cour d’appel3 .

2.2. La procédure suivie

2.2.1. La décision de radiation de trois ans prononcée par la cour d’appel


Monsieur Serge qui fait état de son souci constant d’améliorer ses connaissances et son art et
s’estime victime d’un acharnement de la part de la CPAM et d’un règlement de compte profes-
sionnel, fait valoir essentiellement que les faits qui ont été sanctionnés par la chambre disciplinaire
de l’Ordre national des chirurgiens dentistes ne sont pas contraires à l’honneur, la probité ou les
bonnes mœurs, et ne sauraient en conséquence justifier sa radiation temporaire de la liste des
experts judiciaires.
Or, il ne fait pas de doute que toute contravention aux lois et règlements relatifs à sa profession
ou à sa mission d’expert, tout manquement à la probité ou à l’honneur même se rapportant à des
faits étrangers aux missions qui lui ont été confiées, expose l’expert qui en serait l’auteur à des
poursuites disciplinaires.
« S’il est exact que les griefs retenus par l’Ordre national des chirurgiens dentistes à
l’encontre de Monsieur Serge constituent des fautes, abus et fraudes au sens de l’article L
145-1 du Code de la sécurité sociale, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux
constituent aussi des atteintes à l’honneur et à la probité. Il en est ainsi du non-respect
répété voire systématique des cotations prévues par la NGAP de nature à procurer à ses
patients des avantages matériels injustifiés ou illicites ou de nature à induire en erreur les
services de l’assurance maladie. Il en est aussi ainsi de l’absence de tact et de mesure dans
la fixation des honoraires. Les honoraires sont certes libres mais doivent néanmoins être
proportionnés aux soins donnés, ce qui n’a pas été le cas pour trois patients ».
« Il est à observer en outre que l’attention de Monsieur Serge sur ses mauvaises pratiques
avait été attirée à plusieurs reprises ».
En conséquence, la cour d’appel a estimé que Monsieur Serge avait manqué à ses obligations
d’honneur et de probité et a prononcé à son encontre la sanction de la radiation pour une durée
de trois ans.
La Cour de cassation a jugé qu’en accomplissant des actes contraires au code de déontologie
médicale, notamment en délivrant des certificats médicaux de complaisance, un médecin avait
commis des manquements à l’honneur. Cela caractérise les fautes disciplinaires commises par
l’expert4 .Les fautes peuvent d’abord concerner la manière dont est exercée la mission de l’expert.
Ainsi, commet un manquement grave à ses obligations justifiant sa radiation de la liste natio-
nale des experts, l’expert qui confie à un laboratoire non pas de simples opérations matérielles,

3 Cass. 1◦ Chambre civile, 12 janvier 1999, no 98-11103.


4 Cass. 1◦ Chambre civile, 3 juin 2010, no 09-14896, Publié au bulletin.
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mais des analyses de haute technicité effectuées hors de son contrôle, subdélègue au laboratoire
l’interprétation des résultats de ces opérations, puis recopie le rapport du laboratoire et atteste
avoir personnellement accompli les opérations ainsi confiées à ce laboratoire5 .

2.2.2. La Cour de cassation


L’exigence d’un procès équitable, défini par l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme, implique qu’en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit
entendu à l’audience et puisse avoir la parole en dernier.
Depuis 1999, la Cour de cassation a définitivement tranché le débat6 : les dispositions de
l’article 6.1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales s’appliquent en matière disciplinaire.
Les textes avaient suivi, avec la loi no 2004-130 du 11 février 2004 et le décret no 2004-1463 du
23 décembre 2004. Le nouveau dispositif visait à améliorer le recrutement des candidats à
l’inscription sur les listes d’experts judiciaires, et à adapter le droit disciplinaire qui leur est
applicable aux exigences du procès équitable, en prenant soin de distinguer les autorités de pour-
suites et la formation de jugement, conformément aux exigences de la Convention Européenne
des Droits de l’Homme.
Or, relève la Cour de cassation, la cour d’appel a statué sans constater que le Docteur X. ou son
avocat avait eu la parole en dernier, la Cour d’appel a violé l’article 6 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
La règle est bien connue endroit pénal. Les articles 199, 460, 513 et 346 du code de procédure
pénale qui organisent ainsi explicitement l’ordre des auditions devant la chambre de l’instruction,
le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels et la cour d’assises en faveur de la
personne poursuivie, consacrant, à son profit, une inégalité des armes.
Dans un arrêt du 2 mars 20107 , la Cour de cassation a rappelé que la personne mise en examen
ou son avocat doivent avoir la parole en dernier, même lorsqu’ils ont été appelants. L’arrêt men-
tionnant que « les avocats des mis en examen ont présenté leurs observations et que le ministère
public a été entendu en ses réquisitions » encourt ainsi la cassation.

Déclaration d’intérêts

L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.

5 Cass. 1◦ Chambre civile, 10 avril 1996, no 95-10707, Publié au bulletin.


6 Cass. 1◦ Chambre civile, 7 avril 1999, no 96-13332, Publié au bulletin.
7 Crim. 2 mars 2010, no 09-88.452.

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