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ne saurait abstraire des mutations affectant le champ cultu- compromet Ie sens et, avec lui, celui de I'existence. Minimale,
rel dans son ensemble. La diversification des modes d'écriture elle cultive un mimétisme second, de l'ordre du manque plutôt
minimalistes observables depuis Ies années quatre-vingt se que de l'acquis. Lart de la photographie permet à I'écrivain
comprend aussi dans cette perspective: tester sans ostenta- d'évoquer ce parti pris à deux reprises. Dans Paris Tendresse,
tion des formes d'expression saisissantes, tant sur le plan de ouvrage dans lequel il commente librement des photographies
la représentation que de Ia pensée. de Brassaï, Modiano rédige quelques lignes qui commentent
La critique parle parfois de minimalisme à propos de Ie style de I'artiste mais caractérisent en retour sa propre
certaines æuvres, entre autres celles de Jean-Philippe écriture: < Il appartenait à la race des vrais artistes qui ne
Toussaint, Jean Echenoz ou. de certains écrivains proches des se laissent pas déborder par Ia technique. Quelques bouts de
éditions de Minuit. Cette notion n'est pas sans faire problème ficelle et ils font éclore la magie t...1. Il lui suffisait d'une allu-
tant elle uniformise des écritures hétérogènes, rapproche des mette pour illuminer un stade de football > (Paris Tendresse,
projets littéraires nettement distincts et suppose que tous photographíes de Br.assai, O Éditions Hoi,ibecke 1990, couver-
les éléments d'une écriture et d'un imaginaire s'équivalent ture de I'ouvrage), Eloge du moindre artifice, qui est aussi le
par le moindre. Dans l'æuvre de Patrick Modiano, l'écriture mieux maîtrisé, de Ia puissance éclairante propre à tout foyer
se légitime a minima comme I'agent d'une recherche sur les
restreint, de I'art de donner à voir avec humilité les ombres et
états troubles de la personnalité et de l'histoire. Après avoir
de rendre évidentes les ténèbres... Dans Chien de printemps,
institué dans ses trois premiers romans ie procès de la littéra-
l'écrivain raconte sa rencontte lointaine avec un photographe
ture et celui de Ia langue, Patrick Modiano tente de ramener
imaginaire, Francis Jansen, qui I'a orienté dans cette direc-
I'une et I'autre à la raison. Une écriture minimale permet de
tion, quand bien même il ne l'a pas d'emblée suivie: < Voilà ce
les qualifier en préservant la littérature de ses excès idéolo-
qui aurait été intéressant à son avis: réussir à créer le silence
giques - la tentation dogmatique du roman, genre toujours
prompt à délivrer des vérités universelles -, sociologiques - la avec des mots > (Chien de printemps, O Éditions du Seuil
L993, collection Points Roman 1995, p. 21). Créer Ie silence,
figure impériale de l'écrivain engagé, tel qu'il s'érige en direc-
teur des consciences - et rhétoriques - I'inflation des effets, c'est tenter de restituer ce qui ne se dit pas, mais s'éprouve
le beau style. Ce sont toutes les emphases attachées à l'acte à côté de Ia parole et se refoule en deçà de l'énonciation, à la
d'écrire que Patrick Modiano refuse à une époque où la litté- lisière de la conscience. C'est contenir tout effet de compacité
rature, perdant de sa superbe culturelle, ne les justifie plus. narrative, tout mode d'exposition qui lesterait d'évidence Ies
Simultanément il assigne à l'écriture une finalité ambitieuse situations, tout commentaire psychologique qui doublerait les
puisqu'elle fraye avec f intime - donner corps à des phobies événements d'un discours trop habile, d'une parole d'expert.
familiales et aux chimères de I'inconscient -, avec Ie politique C'est creuser l'écart entre une dynamique romanesque que les
récits assouvissent sans censure, investissant les éléments de
- distiller les marques d'une culpabilité qui puise ses origines la réalité prosaïque d'un potentiel de rêve inédit, et un ordre
dans Ia période de I'Occupation - et avec I'ontologique - dissé-
quer les états d'un malaise diffus qui fait de tout personnage de signification qui demeure quant à lui indéductible du
une figure problématique, en déIicatesse d'être. récit, parce qu'il échappe à tout fléchage symbolique. Depuis
L'écriture de Patrick Modiano se tient ainsi en phase avec Villa triste, Modiano invente ainsi les accords d'une poétique
une réalité à perte: elle vise moins à représenter des événe- minimale. Échappant à tout contrôle théorique comme à toute
ments tangibles qu'à tenter d'en saisir Ia part fuyante, les pesanteur expérimentale, chaque ouvrage approfondit un art
mobiles cachés, les zones d'équivoque et d'oubli, tout ce qui en d'écrire qui se définit par quelques traits répétitifs: Ie souci
32 Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 33
du minuscule, l'effet de sourdine, le sens de I'ellipse, un mode leurres romanesques, Ie véritable objet des récits demeure ce
de progression souterrain. texte intime fait d'impressions sensibles, de notations maté-
Aux majuscules romanesques, I'écrivain oppose ainsi rielles et d'un enchevêtrement de faits dont nul ne sait, à
un souci permanent du minuscule. Dans Une leunesse, iI commencer par les personnages eux-mêmes, s'ils constituent
reconstitue minutieusement l'errance de deux jeunes gens de simples circonstances ou une détermination les visant en
en entrecroisant des séries limitées de notations matérielles. propre, comme un soupçon de fatalité. Lécriture s'en tient aux
Un chapeau tyrolien, des bottes à fermeture-éclair, un calen- ieuls événements, qu'elle présente avec parcimonie. Quand
drier, des flocons de neige ici (p. 62 à 64), de Ia brume, une elle fait sens de façon explicite, elle cultive, avec l'usage de
veste de tweed, une pipe, du brouillard là (p, 129 à 131) occu- Ia notation matérielle, I'art de Ia litote - < On ne craint plus
pent le champ de Ia narrationl. Les situations attendues, rien ni personne avec des semelles de crêpe > (Une leunesse,
porteuses d'un romanesque d'action et de sentiment, sont @ Éditions Gallimard 1981, collection Folio 1985, p. 24) - ott
ramenées à quelques traits sommaires, un échange dans un du recours à I'archétype - ( Les trains qui viennent de la
café en guise de scène de rencontre amoureuse, un départ en banlieue déversent leurs voyageurs, tandis que la foule de
train et une gare arpentée pour tout épisode de trafic illicite, ceux qui ont passé leur journée de travail à Paris se presse sur
Lécrivain inverse les protocoles: il majore l'élément de détail les quais de départ et ce mouvement de sablier dure jusqu'à
et minimise l'événement apparemment important. L'essen- huit heures du soir > (Ibid, p, 45). Llécriture minimale privilé-
tiel tient moins aux scènes vécues par les personnages dans gie les signes les plus élémentaires pour proposer, comme ici,
leur jeunesse qu'à I'assimilation imperceptible de certaines une vision du monde teintée de mélancolie, lorsqu'une gare à
réalités sensibles à partir desquelles leur personnalité prend, heure de grande affluence présente en filigrane I'aspect d'une
Ieur mémoire se façonne, leur être se décide, jusque dans les vanité et que les présences humaines, identifiées à des grains
failles qui agiront souterrainement en eux une vie durant, Le de sable, rejouent en mode mineur le mythe sysiphéen. Cette
roman, s'ouvrant sur la présentation du couple âgé de trente- vision se teinte à l'occasion d'humout, lorsque la détermina-
cinq ans puis remontant quinze ans en arrière au moment de tion d'un personnage s'évalue à la résistance de ses chaussu-
sa rencontre, en offre la mesure, Ce que vise Modiano, c'est res et que l'homme est ainsi ramené à ses assises premières,
en quelque sorte un hypotexte intime, I'écriture tracée par un peu comme dans ce tableau de René Magritte où, tout
les événements en les personnages quand ils étaient jeunes et corps effacé, seules des savates tiennent lieu d'être.
vulnérables, dans lesquels ils furent impliqués sans le vouloir Leffet de sourdine relève de cette même volonté de limi-
vraiment mais qui vont constituer leur dotation existentielle, ter l'énoncé des faits et la saisie d'un milieu à leur réso-
en deçà même de la mémoire qu'ils en gardent. Ce texte inté- nance interne auprès de personnages ramelrés à des profils
rieur ne relève pas de la conscience mais s'origine dans un sans éclat détectable. Ne travaillant pas Ie relief des choses,
rapport organique au monde, dans une pression empirique I'écriture minimale les appréhende dans une étrangeté
exercée par la réalité la plus concrète sur le corps d'un adoles- foncière: eIIe creuse un hiatus entre l'évidence des faits et
cent en garnison à Saint-Lo et dont la seule paire de chaus- leur absence de justification. VilLa triste présente en cela un
sures prend I'eau, ou sur celui d'une adolescente servant rapport déceptif au romanesque. S'il rappelle Ia démarche
d'appât à la police pour arrêter un pédophile. Par-delà les d'un écrivain comme Emmanuel Bove, resté dans I'ombre
des grands romanciers de I'entre-deux-guerres, il anticipe
aussi de quelques années celle systématisée par des écri-
L. IJne leunesse, @ Éditions Gallimard 1981, collection Folio 1985 vains comme Jean Echenoz ou Jean-Philippe Toussaint,
34 Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 35
désireux de raconter des histoires sans répéter des effets d'il- amis et les premières pages narrent un état d'équilibre domes-
lusionnisme usés jusqu'à Ia corde ni acquiescer à Ia bonne tique. Des notations récurtentes scandent toutefois Ie récit et
conscience d'un genre qui serait a priori légitime. Dans Villa constituent des marques d'inquiétude sans explication autre
triste, Patrick Modiano multiplie les épisodes non aboutis, que rétrospective, échos refoulés d'un passé perturbé qui conti-
qui suscitent des attentes sans les satisfaire, imbrique avec nue à agir à distance, comme une menace latente, sans objet
complexité des faits sans résoudre les liens qui les unissent, - ce qui constitue en soi une définition du tragique. Page 16:
génère des moments de tension ne débouchant sur aucune < La nuit est chaude et I'on entend gronder un orage lointain. >
crise autre qu'inscrite en creux du récit ou répercutée à sa Séquence suivante: < Louis démarre lentement. Au bout d'un
marge, tout à Ia fois déplacée et assourdie. On lira de la sorte, instant, il coupe le moteur. La voiture descend la petite route
comme la levée d'un tomanesque sans prise, les deux scènes droite en silence. > Même séquence: < Louis remet en marche
de dispute qui succèdent à I'épisode de la Coupe sportive, le moteur. > Page 18, fin de séquence: < Il a baissé la vitre. On
I'une interne au groupe d'amis, I'autre au couple que forment dirait que I'orage se rapproche. > Orage/moteur/moteur/orage:
Yvonne et Victor: le traitement de ces scènes reste en deçà des dans un récit fragmentaire aux phrases brèves, aux dialogues
ressorts intimes et sociaux qui les animent. Ce qui vaut pour resserrés, aux indications descriptives réparties avec parcimo-
la scène d'action vaut aussi pour la scène de sentiment. Plus nie, ces notations font sens par leur seule énonciation, sans
cette scène type revient, de romans en récits qui travaillent développement nécessaire, et par leur seule disposition qui
par nuances les états contradictoires de la jeunesse (Diman- recoupe ici celle d'un chiasme. Le non-dit devient l'objet du
ches d'aottt, (Jn Cirque passe, Accident nocturne), plus I'écri- récit: les notations introduisent une dimension romanesque
vain élabore, loin des rehauts d'un romanesque tapageur, subliminale, de I'ordre du danger - un grondement - et du
quelque art de l'à-plat. Question d'époque, de conception de Ia vertige - une chute -, suscitant ainsi une attente et l'ébauche
littérature, de rapport à I'idée de véritéet à l'autorité même de d'un suspense, Leffet de sourdine consiste à limiter la drama-
celui qui écrit: le doute accompagne Ia démarche de I'auteut, tisation à quelques traits suffisants pour générer un trouble,
qu'il slappelle Modiano ou Échenoz, que leur attitude de mais insuffisants pour lui donner une consistance, En cela Ia
réserve passe par I'effacement en douceur de I'un ou I'humour fiction se fait mimétique d'un passé qui hante les personnages
par petites touches de I'autre. Ce doute ne constitue pas un à leur insu. Lart minimaldéfinit ainsi une écriture économe de
déni de sens, mais un acte d'humilité nécessaire à l'accomplis- ses moyens mais soucieuse de ses dispositifs, qui crée un autre
sement d'un projet qui se veut ambitieux. Leffet de sourdine rapport au sens, une autre façon d'impressionner le lecteur, en
constitue une ligne de conduite esthétique autant qu'une ligne se situant en phase avec I'intelligence sensible davantage que
d'étude psychique. Il s'agit d'évaluer, en des personnages types consciente, avec une dynamique intuitive plutôt qu'un mode de
auxquels toute évidence psychologique est refusée, les ondes progression rationnel (effets de symétries, de reprises, de déca-
de choc sous-jacentes d'un passé occulté qui s'apparente à une lages). De Villa triste at Café de la jeunesse perdue,l'écrivain
sorte de fatum lié à l'adolescence. Là se joue dans un næud de affine une expression économe de ses moyens, tendue entre une
présomptions insistantes la conviction de I'écrivain Modiano' compulsion de détails et la netteté des coupes. L'une appelle
L'ouverture d'[Jne leune,sse en offre une illustration possiblel' I'autre, comme I'indique Ie procédé qui consiste à remplacer la
Le couple fête les trente-cinq ans de I'homme avec enfants et narration par des indices bruts, numéros de téléphone, adtesses
ou listes: le chapitre xIX de Rue des boutiques obscures se
limite ainsi à un nom propre suivi d'un prénom, d'une adresse
1.. Une Jeunesse, O Éditions Gallimard 198L, collection Folio 1985, p, 16 à 18. et d'un numéro de téléphone.
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36 Lire patrick Modiano Contexte et enjeux
Ces exemples en attestentaussi: I'art minimal recourt à tents de I'existence, à commencer par I'écrivain lui-même tel
deux modes de composition complémentaires, I'un qui cultive qu'il se met en scène ouvertemenl (Livret de famille) ou indi-
l'ellipse, I'autre la progression souterraine. Lellipse est gram- rectement (Un Cirque posse).
maticale quand Ia parataxe substitue à une syntaxe trop cohé- Romanesque ou autobiographique, le personnage selon
rente des propositions juxtaposées à moindre frais. Elle est Modiano est un être de syncope, Par l'ellipse, l'écriture saisit
narrative quand certaines scènes demeurent dans l'ombre le phénomène, alterné, d'une prise et d'une déprise d'identité
du texte parce que mentionnées par allusion sans être par au hasard de situations qui tantôt révèlent, tantôt annulent
ailleurs déveioppées. Le romancier joue de la sorte la part la conscience de soi. Dans cette perspective, la fin même des
du peu contre la tentation du tout, la forme minimale contre récits ne constitue pas un achèvement mais une suspension,
celle, sphérique, du roman-monde. Appliquant ce processus une ellipse supplémentaire avant que le récit suivant ne
à leur propre échelle, certains récits se construisent autour relance un phénomène de création fondé sur cet essentiel
d'une gigantesque ellipse, Sans renseignements susceptibles mouvement de vertige. D'où les échos qui interfèrent d'un
de représenter le personnage-titre , Dora Bruder se développe livre à I'autre, souvent à distance, depuis une matière biogra-
autour d'une absence qui peu à peu aspire l'ensemble du texte, phique commune dont le traitement fait varier les zones
Dans Ie café de Ia jeunesse perdue est composé d'une suite de ã'ombres et les angles d'éclairage, Ainsi Dans le café de Ia
discours à la première personne attribués à plusieurs person- jeunesse perdu (2007) reprend et déplace-t-il certaines situa-
nages qui évoquent Louki, jeune femme dont le mystère, tions exposées dans Du plus hoin de I'oubli (1996) el La Petite
Ioin de s'éclaircir, s'approfondit parce que, d'un monologue Bijou (2Oot). Cette écriture souterraine, proche du rhizome,
à I'autre, si des scènes se recoupent, si des motivations se assure à la fois la continuité des récits et celle des différentes
complètent, il est toujours des pièces manquantes, des situa- séquences qui les composent. Dans Une leunesse, des
tions et des mobiles laissés dans l'interstice des chapitres. Eux mentions à peine esquissées mais répétées au Vélodrome
seuls pourtant permettraient de comprendre le personnage, de Paris, à lAutriche, au marché noir suggèrent que la tris-
son devenir et l'événement majeur du roman à peine nommé, tesse du personnage principal dans les années soixante de
jamais élucidé: son suicide. L'ellipse permet ainsi à Modiano sa jeunesse est la séquelle d'un passé plus ancien qu'il doit
d'engager un rapport minimal à l'idée de connaissance. Si apprendre à connaître pour pouvoir Ia dominer. Ces allu-
elle inscrit dans les récits, par la coupe, ce qui échappe à sions s'enttecroisent et tracent en pointillés un roman qui
tout savoir psychologique, elle confère aussi à l'écriture une tient moins aux événements explicitement rapportés qu'aux
fonction de sauvegarde. Entre les temps vides qu'elle incise motifs analogiques énonçant à distance un même principe de
déterminisme. Adolescents dans les années soixante, adultes
dans la narration surgissent, comme de brèves épiphanies,
dans les années soixante-dix, ces personnages de la même
Ies moments rares d'une expérience préservée et les mots
génération que I'écrivain sont comme lui agis par une préhis-
possibles d'une transcription judicieuse. Ainsi le narrateur
toire familiale et historique qu'ils ignorent pour certains,
de Dimanches d'août se souvient-il du jeune couple amoureux
refoulent pour d'autres. Dans Rue des boutiques obscures,
qu'il formait avec une compagne disparue quand ils suivaient
Ie jeu disséminé des couleurs concurrence la progression
< du regard uncanoii qui glissait au milieu de la Marne >, dont
linéaire de I'intrigue, et cela dès le titre. Les différents chapi-
I'eau < n'était plus stagnante mais parcourue de frissons > tres reprennent ponctuellement une couleur dominante
(Dimanches d'aottt, @ Éditions Gallimard 1986, p. 15). Par là
même, l'usage de I'ellipse participe d'une problématique exis-
- Ie vert - et lui associent une couleur mineure - le rose
dans les chapitres xx et xxl, associé aux teintes disparates
tentielle. Elle contribue à faire des personnages des intermit-
38 Lire Patrick Modiano C0ntexte et enjeux 39
de I'enfance et de l'érotomanie homosexuelle. Ailleurs, les quarante-neuf ans. La fin des années soixante-dix marque
couleurs sombres alternent avec des couleurs claires pous- áinsi un tournant dans Ia conception de l'écriture autobio-
sées jusqu'à Ia phosphorescence, dans une sorte de projection graphique. Celle-ci n'est plus I'apanage cle la maturité et d'un
métaphorique de I'objet du récit: une enquête avec ses pans iegard rétrospectif porté sur une existence en train de s'ache-
d'ombres et ses flashs de lucidité. I-écriture procède ainsi par ver, dans un souci de conservation (récapituler des événe-
la dissémination de motifs analogiques doublant souterraine- ments jugés déterminants, fixer un caractère posé comme
ment I'objet premier de la narration. En deçà des événements dominant). Elle accompagne en temps réel une existence en
relatés, le subconscient du personnage-natrateut, sa mémoire train de s'accomplir et transpose les expériences vécues en
latente sont appréhendés, depuis des éléments mineurs dont la autant de situations, sinon d'équations, narratives' L'auteur
reprise sporadique constitue des signes, sinon des symptômes, apprend à se connaître en sollicitant sa personnalité depuis
élémentaires, cã qui résiste en elle à la conscience. L'écriture autofiction-
Expérimentant avec subtilité des procédures de narration nelle constitue ainsi une pratique à vocation identitaire autant
par défaut, Patrick Modiano pose donc les bases de cet art qu'à dimension littéraire qui relève de l'invention de soi: un
minimal qu'il commente lui-même, comme il se doit de façon zujet se découvre et se construit par un acte de représentation
allusive, en affirmant qu'il suffit < au romanciet d'une simple fondé sur l'expérience vécue, appelé par ses effets à agir sur
piqûre d'acupuncteur pour diffuser une impression qui se l'existence en cours, Iaquelle rejoindra à son tour, en temps
propage dans tout le système nerveux > (ElIe s'appelait Fran- utile, l'æuvre ainsi entreprise. Dans < autofiction >, Ie préfixe
< auto > renvoie donc au processus psychique d'un sujet qui
çoise, en collaboration avec Catherine Deneuve, @ Canal +
Éditions, 1996, p. 3o), se représente en alignant des situations vécues et des situa-
tions imaginaites, mais aussi à Ia dynamique d'une fiction de
soi qui se développe de livre en livre, s'autoproduit en mode
|AUTOFICTION : LANNÉE 1977; LA PARTITION AUTOFICTIONNELLE
interne.
1977 : Patrick Modiano publie Livret de famille, recueil de Læuvre de Patrick Modiano constitue une vaste autofiction
douze nouvelles qui Ie mettent nommément en scène en sa dont chaque récit forme, davantage qu'un chapitre nouveau,
qualité de jeune père, dans les première et dernière nouvelles, un microtexte qui Ia concentre, la déplie, la déplace, l'altère.
et d'enfant perpétuel, dans des épisodes de jeunesse évoquant La fiction ne désigne pas pour lui une fantaisie arbitraire de
son propre père et certaines dérives personnelles. La même I'imagination mais un principe de connaissance supérieur,
année un jeune écrivain, Hervé Guibert, publie aux éditions qui permet d'aller au-delà des évidences ou des automatismes
Régine Desforge La Mort propagande, son premier recueil de de la réalité quotidienne. Elle représente un pari sur la puis-
nouvelles, qui mêIe les séquences d'une sexualité fantasma- sance intelligible de I'esprit, confronté aux tracés obligés de
tique et les épisodes d'une vie d'adolescent encore proche. l'espace et aux contours imparables des objets, aux séquences
En'1,977 encore, un universitaire réputé, Serge Doubrovsky, dissociées du temps, à Ia dimension convenue des échanges
publie son premier texte non critique, Fils. En quatrième de sociaux et celle, aléatoire, des rencontres amoureuses. Fiction
couvertute il propose un mot inédit pour qualifier son projet égale présomption - d'où la situation romanesque répétée de
littéraire, situé entre I'autobiographie, mais sans Ie principe de l'enquête - et pressentiment - d'où Ia mobilisation d'éléments
conformité aux faits vécus, et la fiction, mais sans I'usage du matériels détachés de toute fonction descriptive et disper-
romanesque comme moulin à fables : < autofiction >. Ces trois sés dans les épisodes comme autant d'indices d'un univers
auteurs ont respectivement trente-deux ans, vingt-deux ans, occulte qu'il s'agit pour le personnage-nattateur d'apprendre
40 Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 41
à connaître. u I'ai l'impression d'être tout seul à faire le lien tant que fiction une marge d'indécision qui compromet toute
entre le Paris de ce temps-là et celui d'aujourd'hui, Ie seul à me idée de vérité objective en la fondant dans le seul temps de
souvenir de tous ces détails, > écrit-il dans Do¡o Bruder (Dora l'énonciation, comme une postulation intime, non comme une
Bruder, O Éditions Gallimard L997, collection Folio 1999, attestation biographique. Par un jeu d'échos multiples, l'écri-
p. 50). Et l'écrivain de préciser cet état: <Par moments, le lien vain inscrit ses différents récits dans un espace transtextuel
s'amenuise et risque de se rompre, d'auttes soirs la ville d'hier commun. Autonome en raison de sa facture propre, chaque
m'apparaît en reflets furtifs derrière celle d'aujourd'hui. > ouvrage est interdépendant des autres avec lesquels il entre
(Ibid, p.50-5L). Fiction égale alors frustration: elle marque en résonance, proposant une vatiante, une combinatoire,
I'incapacité pour celui qui écrit de se satisfaire des limites de une harmonique particulière des thèmes abordés par tous'
la connaissance commune - que cette dernière porte sur I'his- Le processus de création autofictionnel relève en cela d'une
toire, Ie passé personnel, les motivations de la personnalité, rumination scripturale du passé qui se caractérise par la
toujours vécus à perte, dans le sentiment d'un malentendu fréquence d'éléments-clefs, posés à la fois comme des struc-
ou d'un inachèvement. Seule fait alors sens la démarche vers tures de l'ceuvre et des marqueurs de la conscience. Des lieux,
la connaissance que marquent les variations romanesques des personnages, des événements, des situations, des motifs,
autour d'un même ensemble de faits surdéterminés d'un point des procédures formelles se répètent, insérés dans des récits à
de vue intime, mais qui demeurent toujours en partie énigma- dominante autobiographique ou romanesque.
tiques. Ainsi de certains espaces associés à des figures et des
Patrick Modiano accrédite ainsi I'idée d'une réalité paral- atmosphères validées comme biographiques dans le diptyque
lèle où le mystère de soi au monde serait susceptible de se encadrant l'æuvte - Livret de famille (1"977), Un Pedigree
Iever, mais identifie cette pararéalité à un système littéraire (2005) - mais qui hantent aussi, plus ou moins clandestine-
- l'æuvre - dans lequel chaque récit constitue un degré d'illu- ment, les romans: un appartement Quai de Conti à Paris,
sion romanesque supplémentaire. Le schéma structurant les plusieurs quartiers de Paris, Jouy-en-Josas dans les Yvelines,
récits recouvre un processus de révélation toujours différé une maison de maître en Sologne, un intetnat, un père insai-
que nul récit n'est susceptible de combler à lui seul. Lautofic- sissable, une mère absente, des individus en déIicatesse avec
tion se fait en cela Ie lieu et l'agent d'une quête existentielle à la loi. S'ils marquent à I'origine des expériences vécues par
jamais relancée. Llécrivain tente d'investir ce qui, dans le récit l'écrivain entre la petite enfance et les débuts de l'âge adulte,
de sa propre histoire, échappe à toute certitude logique comme ces éléments deviennent d'un récit à I'autre les vecteurs d'une
à tout contrôle pragmatique. Ainsi remonte-t-il en amont de sa identité qui se construit en modifiant sa carte intime, en
vie même, mettant en scène les énigmes de sa filiation pater- revisitant ses propres fondamentaux. Dans cet espace auto-
nelle (Ies Boulevards de ceinture) ou les incertitudes liées à fictionnel, les lieux jouent un rôle majeur. Ils circonscrivent
son propre passé - enfance (Remise de peine), adolescence (De une géographie réelle et un espace symbolique, traçant le
si braves garçons), débuts de l'âge adulte (Quartier perdu). Cette périmètre de l'æuvre et de Ia personnalité qui se projette en
part d'existence en mal de sens, seule la fiction peut aider à la eux, Des quartiers de Paris sont omniprésents, le Quai de
représenter. Elle se substitue aux faits quand ils n'ont pas été Conti, les bords de Seine face au Louvte, Saint-Germain-des-
Prés (lieux de I'enfance), Montmattre, I'avenue Junot, l'allée
vécus directement par Ie sujet, mais ont pesé avant sa nais-
des Brouillards, la rue Caulaincourt et le boulevard Ornano
sance même sur sa destinée familiale. EIle en réinvente les
(lieux de refuge adolescents et croisées de rencontres); la cité
raisons et les effets, quand ils ont naguère été vécus mais que
universitaire (lieu cosmopolite, comme suspendu de toute
Ieur portée demeure opaque. En même temps, elle conserve en
42 Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 43
géographie nationale); la rue de Vaugirard (elle était emprun- de Ia jeunesse perdue en lequel se déplie I'âme d'un quartier, à
tée naguère par les chevaux menés aux abattoirs et, dans l'écart de l'illustre théâtre qui lui donne son nom, l'Odéon, et
Des inconnues, elle évoque sur un mode cauchemardesque I'esprit d'une époque, quand I'effervescence artistique, bohème
de plus terribles convois). Si Paris absorbe ainsi l'écrivain, et fauchée de I'après-guerre n'avait pas encore plié boutique
celui-ci assimile en retout Paris. Ses récits transforment la au profit des commerces de luxe international (Dans Ie café de
capitale en un jeu de pistes biographiques et littéraires qui en la jeunesse perdue), Évoquant en trois phrases ce quartier de
font la matière malléable d'une fiction aux multiples varian- son enfance, I'écrivain note dans Un Pedigree que les ( cours
tes, Ie support sensible d'une approche de soi errante quoique de catéchisme avaient lieu au dernier étage d'un immeuble
circonscrite. vétuste 4 rue de lAbbaye - qui abrite aujourd'hui des apparte-
< En ce temps-là, Paris était une ville qui correspondait à ments cossus [...], (Un Pedigree, @ Éditions Gallimard zOos,
mes battements de cæur. Ma vie ne pouvait s'inscrire autre collection Folio 2006, p. 3B). Et d'accentuer Ia remarque, dans
part que dans ses rues. > écrit le personnage-narrateur de un texte qui assèche le pathos pour conférer une densité plus
Quarfier perdu (Quartier perdu, O Éditions Gallimard tg84, pure à l'émotion: < Les visages ont changé' Je ne reconnais
ne le reconnaîtraient
collection Folio 1988, p. 132). I-écrivain narrateut de sa propre þlus le quartier de mon enfance comme
enfance lui fait écho dans Un Pedigree: <<Je découvre Ie quar- Prévert et I'abbé Pachaud > (Ibid, p. 3B). Muséo-
þlus facques
tier Pigalle, moins villageois que Saint-Germain-des-Prés, et graphie imaginaire, alots: chaque lieu parisien est appréhendé
un peu plus trouble que les Champs-Élysées, (IJn Pedígree, óom-" un lieu de mémoire collectif, une somme de traces que
@ Éditions Gallimard 2005, collection Folio 2006, p. 62). Et l'écrivain recense pour susciter une vision du passé. Celle-ci
d'ajouter, comme pour forcer Ie traitrétrospectif : <C'est là, ne se veut pas une restauration mais Ia saisie in absentia d'un
rue Fontaine, place Blanche, rue Frochot que pour la première certain Paris à jamais révoiu qui exista entre les années trente
fois je frôle les mystères de Paris et que je commence, sans et soixante-dix et que ressuscite littéralement une liste de
bien m'en rendre compte, à rêver ma vie > (Ibid, @ Editions noms de commerces jadis situés avenue Daumesnil (Fleurs
Gallimard 2005, collection Folio 2006, p. 62-63). Lautofiction de ruine, O Éditions du Seuil 1991, collection Points Roman
est l'écriture de ce rêve, pour peu que I'on considère le rêve 1995, p. 29) ou une liste de noms de personnes naguère vivant
comme une instance de la vie psychique par laquelle le sujet avenue lunot retrouvés dans un vieux bottin (Vestíaire de
atteint à une connaissance de soi autre que consciente et que \'enfance, O Éditions Gallimard 1989, collection Folio 1991,
I'on perçoive aussi comment, par cette écriture et dans ce têve, p. 1^i4). Cryptographie intime, aussi: Ies lieux, Ies personnes,
la littérature travaille sa propre mémoite, s'invente elle-même. les objets, Ies adresses, les numéros de téléphone constituent à
Autre sens du mot autofiction: une fiction qui se programme Ia fois un diagramme vivant de la capitale et un terrain expé-
d'elle-même, I'allusion aux ( mystères de Paris > et à Eugène rimental de soi: ils rendent possible une exploration de la
Sue soulignant ici comment Ie Paris découvert par le jeune personnalité réalisée sur la base de situations urbaines, par Ie
homme au gré de ses déambulations se confond avec celui biais de souvenits, d'attaches, d'attirances, de phobies (Livtet
qu'il découvre au hasard de ses lectures. de famille, Fleurs de ruine, Chien de printemps).
Le Paris de Modiano combine ainsi une cartographie Dans une perspective proche, I'écrivain mentionne des noms
poétique, une muséographie imaginaire et une cryptographie de banlieues huppées, comme Neuilly et la rue de Ia Ferme,
intime. Cartographie poétique: Ie seul nom des rues fait office le Bois-de-Boulogne, Chennevières et son sporting-club, Iieux
d'évocation, Ies quartiers se ramenant à quelques lieux essen- de désæuvrement qui présentent tous les symptômes d'une
tiels, loin de tout pittoresque. Un café, le Condé, devient celui existence végétative, à I'image du Cap dAntibe en version
-
44 Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 45
provinciale, de la Suisse en variante étrangère et de villes d'un effet de lumière diffracté sur un mur par des persiennes,
irontalières comme Megève, dont la patine mondaine cache d'une horloge aux aiguilles bloquées, d'un pont ou d'un
mal les événements qui s'y déroulèrent, à la vie à la mort, ponton, d'un accident de voiture, de livres d'art volés, d'une
sous l'Occupation (Rue des boutiques obscures). Ces lieux òouleur verte, fait alors sens à côté de toute exigence descrip-
de vie collectifs, devenus lieux d'une mémoire personnelle' tive ou narrative. Disséminés dans I'ensemble de l'æuvre,
sont investis par l'écrivain d'une puissance romanesque qui répétés dans les différents récits, concentrés dans certains
tient à leur réversibilité. Les quartiers de noblesse du Paris d'entre eux (Du plus loin de I'oubli), ces éléments deviennent
historique recouvtent les quartiers de détresse d'un enfant les signes identifiables d'une l'écriture autofictionnelle qui
délaissé par ses parents (LIn Pedigree), sinon les exactions de élabore ainsi de façon détournée, comme à mi-voix, quelque
bourreaux occupant les hauts lieux de la capitale dans les autoportrait marqué par I'expression d'un flottement existen-
années quarante (La Ronde de nuit). Les hôtels particuliers tiel et d'une foncière mélancolie'
des banlieues aisées, les villégiatures et maisons de maître au Plusieurs situations de vie et d'écriture tournent d'un récit
prestige aristocratique recèlent de sombres trafics qui en font à I'autre. Ainsi de la relation qui place un jeune homme ou
Îes repaires d'une pègre aux ramifications diffuses (Livret de un jeune couple sous l'influence d'un adulte ou d'un groupe -
familTe, F\eur de ruines, Remise de peine,
-Outre
lJn Cirque passe)' situation psychologique qui recoupe littérairement celle propre
les événements dont ils constituent le cadte, ces lieux aux romans d'initiation pervers, en mode léger (apprendre à ne
sont peuplés d'objets, menus éléments d'un cadre de vie révolu rien faire par l'entremise d'adultes eux-mêmes dilettantes) ou
et sifneJ obsessionnels d'un récit de soi hanté par la perte. grave (être manipulé à des fins illicites, vols ou contrebandes).
Une balance pour se peser à I'entrée d'un square, un panier Âinsi de la forme de I'enquête qui infléchit plusieurs récits
à salade, ou car de police, et c'est tout un chapitre du roman dans leur ensemble (Rue des boutiques obscures, Dimanches
familial - la relation fils-père - qui s'esquisse, se précise, de d'août) ou par épisodes (De si braves garçons, Fleurs de ruine).
Boulevards de ceinture à lJn Pedigre vía Dora Bruder el EIle Lenquête se comprend comme la marque d'une écriture qui
s'appelait Françoise. Des cabarets, des théâtres de seconcle ne peut narrer les événements qu'en les soupçonnant - que
,ott", d"t loges et coulisses de fortune, et c'est un autre chapitre cachent-ils? -, ne peut reconstituer le passé qu'en doutant des
du même roman qui s'annonce, se tature, de lo Ronde de nuit circonstances - que s'est-il vraiment passé ? - et invente une
à un Pedigree via Livret de famille et Vestiaíre de I'enfance, el histoire fictive à partir des lacunes ou des équivoques d'une
concerne la relation fils-mère. histoire réellement vécue, I-enquête connaît son acmé lorsque
Ces phénomènes de reprise s'inscrivent dans un art marqué Ia scène romanesque s'apparente à un interrogatoite, avec
par Ie Jouci de Ia consignation matérielie (rappeler des états de un personnage-narrateur qui se soumet lui-même à la ques-
ãhoses) et de I'injonction romanesque (imaginer des ordres de tion en interrogeant à la fois ce qu'il a vécu et ce qu'il raconte
raisons). Comment lutter contre I'usure du temps et la mémoire (Un Cirque passe, Accident nocturne). Ces scènes récurrentes
séIective des hommes - question sur laquelle s'achève Doro constituent les situations types d'un imaginaire qui amalgame
Bruder? Le souci maniaque de la nomenclature et le sens de des scènes de vie adolescentes et des scènes de genre littéraires
I'extrapolation vont de pair dans cette entreprise menée contre marquées par les atmosphères du roman noir et les polars de
I'oubli. Restituer I'environnement d'une vie passée conduit série B. Lautofiction articule ainsi une matière autobiogra-
à dégager les dynamiques historiques et intimes qui Ia sous- phique et des données romanesques pour mettre en æuvre
tendãnt. La mention lapidaire d'une valise, d'un chien, des différentes versions d'un même psychodrame, placé sous Ie
sabots d'un cheval, de la neige, de I'éther, d'un aquarium, signe d'un désaccord entre soi et le monde.
Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 47
46
La raison initiale en est la trahison des adultes, éprouvée en vestissements financiers dans quelque pays lointain: geste
termes de famille (des parents inscrits aux abonnés absents) et attitude prêtés au père dans Un Pedigree et en partie dans
et de génération (naître en 1945)' On lira de la sorte, dans Une Livret de famille, Le même livre mentionne une vie de collège
leunesse,la scénographie minimale qui répartit dans I'espace éprouvante et une propriété avec un élevage de chevaux en
deux adultes et deux jeunes gens: ( La lumière de Ia lampe Sologne: les références, validées comme biographiques par
éciairait violemment Odile et Louis ["']. Axter et Harold les certains récits, deviennent ici les signes romanesques d'un
observaient. Deux papillons immobiles, cloués sur un tissu mal-être, privation affective pour le premier, ostentation d'un
et contemplés par dei amateurs> (Une leunesse, O Éditions luxe trahissant la vanité de la vie pour Ie second.
Gallimard 1981, collection Folio 1985, p. 11'4),La formule est Uautofiction désigne ce processus de self-control par lequel
sans appel, qui fait de la cruauté des adultes la raison d'une le sujet, en travaillant Ia matière de sa propte vie, s'invente,
mise en croix des adolescents, auxquels est confisquée leur aux deux sens du verbe: il se découvre, il se construit' Elle
part, éphémère mais décisive, de légèreté - ie principe de renvoie aussi au processus d'une æuvre qui s'engendre elle-
papillonnage comme libre découverte du monde. En écho à même depuis les reliquats du passé, celui de son auteur et le
cette version, [-]n Pedigree, récit de soi à dimension documen- sien propre. Une matière identique se façonne différemment
taire, De si braves garçons, ouvrage entrecroisant les conven- au gré de versions écrites différentes, faute de pouvoir être
tions de I'autobiographie et de la fiction, et le deuxième récit épuisée par un seul récit et ramenée à une mise en perspec-
inclus dans Des inconnues, recueil de nouvelles romanes- tive unique, une ligne de sens unilatérale. Une même matière
ques, assimilent I'adolescence vécue à un emprisonnement, biographique connaît ainsi des ordres de mesure et de propor-
voire un chemin de croix. Lexpérience répétée de I'internat a tion variables en fonction du traitement littéraire adopté,
fait de l'adolescent Modiano un papillon cloué sur place que lequel renvoie à l'évolution de la personnalité, au rapport
l'adulte devenu écrivain contemple à distance, entre cruauté chãngeant qu'elle entretient avec son propre passé, aux degrés
et compassion. de révélation qu'elle entend faire à ce sujet. De si braves
Toute situation type abstrait les événements de leur actua- garÇons raconte en miniature I'histoire exposée vingt ans plus
lité propre. Seul s'exprime, comme un point de douleur encore tard dans La Petite Bijou. Accident nocturne intègre en minia-
éprouvé quand ses raisons se sont perdues, I'écart entre ce qui ture Ia situation qu'[/n Cirque passe développe in extenso
s;est passé réellement et ce qui demeure inscrit à vif dans la quatorze ans plus tôt, mais en lui adjoignant un événement
mémoire. Les scènes de déambulation, de fugue, de dispari- supplémentaire. Le même roman reprend un surnom, Pato-
tion, la figure du chien errant ou perdu, en constituent des che, attribué un an plus tôt à l'écrivain-enfant dans -Remise
indices. Insérées dans une æuvre où elles reviennent quel de peine, qui traite à I'échelle d'un livre une situation concen-
que soit leur prétexte anecdotique, elles constituent les signes trée dans le chapitre xxxll de Rue des boutiques obscures
d'un écart entre ce qu'a vécu l'écrivain et ce qu'il éprouve, ce dix ans plus tôt et qu'Un Pedigree énonce comme partielle-
qu'il parvient à raconter dans les limites cadrées d'un récit ment autobiographique dix-sept ans plus tard (l'histoire d'un
et ce qu'il tente d'énoncer hors nattation, à I'horizon décentré ieune enfant recueilli pendant un an dans une petite ville de
de l'écriture, par le phénomène incessant de la reprise. Ainsi banlieue par des amies de sa mère, par la suite arrêtées pour
Memory Lane, roman bref, contient des scènes qui incluent recel de biens volés).
des données exposées dans d'autres livres comme autobiogra- Chaque ouvrage possède ainsi une dimension autofiction-
phiques. Un personnage d'âge mûr lance un téléphone sous nelle, quelle que soit son appartenance générique, quand il
en a. De si braves garÇons est publié sans indication de genre
i" de la colère, un autre imagine de fumeux projets d'in'
"o..p
-
48 Lire Patrick Modtano Contexte et enjeux 49
(couverture) mais accompagné d'un texte qui suscite le doute de naissance que Patrick Modiano s'est attribuée à ses débuts
sur l'identité réelle ou imaginaire du narrateur (quatrième - 1947 -, celle du frère disparu, Rudy, auquel Ie livre est dédié,la
de couverture). Lénonciation se dédouble en effet entre un Ainsi, dans le même roman, de la répétition obsédante de
< je > premier d'allure autobiographique - I'année et Ie lieu couleur < vert >r eue I'on apprend au finai avoir été celle du
de naissance prêtés au nattateur sont ceux de l'écrivain, de manteau porté par Ia femme disparue que le narrateur aimait,
même Ia mention incidente de ses deux filles - et un <je> mais qui sature aussi plusieurs auttes récits. Remise de peine
d'occasion à profil romanesque - un comédien raté. La voix la présente comme la couleur de I'autotamponneuse préférée
du < je > principal est ainsi relayée par celle d'un alfer ego qui du petit frère, ce qui agit en retour sur un épisode fugitif rle
présente d'étranges similitudes avec elle au point qu'on tencl Rue des boutiques obscures où il est question d'un enfant et
d'abord à les confondre, dans un récit toujours prêt à bascu- d'autotamponneuses multicolores. Ainsi, enfin, de I'attribu-
ler de la chronique méIancolique de I'adolescence au roman tion à un personnage secondaire du patronyme de Bogaert,
d'épouvante de l'âge adulte. Le livre répercute dans ces incer- dont l'écrivain révèle une trentaine d'années plus tard dans
titudes structurales son propre thème, I'effritement clinique tJn Pedigree, récit de soi qui entend s'en tenir à une ligne
de la personnalité, le déséquilibre latent d'individus appa- d'information biographique stricte, qu'il s'agit de celui de son
remment normaux mais toujours susceptibles de devenir des grand-père maternel. Mais ces indications ne permettent d'ap-
barbares, d'eux-mêmes ou de leurs proches. Poussée à son óréhender que la part apparente, et parfois piégée, des situa-
degré extrême, I'autofiction suscite un jeu de vertige identi- iions. Comme dans l'æuvre de Perec, il manque toujours une
taire dans lequel s'évanouissent les critères du vrai et du faux, pièce au ptzzle pour que soit satisfaite I'ardeur de l'écrivain
de sujet et de I'objet, en des termes qui mettent simultanément qui l'agence et celle du lecteur qui le reconstitue.
en jeu I'expérience littéraire et la conscience de soi. Dans des
récits comme De si braves gorçons, mais aussi Quartier perdu,
Vestiaire de I'enfance, [Jn Cirque passe,le sujet réel de l'énon-
ciation - I'écrivain - s'identifie progressivement à un sujet
fictif - le personnage-narrateur -, phénomène paradoxal qui
constitue simultanément une expérience d'actualisation et de
déréalisation de soi. Lhomme qui écrit se cherche-t-il ou se
fuit-il? Qui dit n jer? Quelle voix habite le texte? Lart subtil
de Modiano consiste ainsi à traiter la question des identités
en I'abordant thématiquement dans les histoires racontées et
en la déplaçant dans Ie rapport engagé aux instances de l'écri-
ture.
L'écrivain invente ainsi un espace littéraire fonctionnant à
la fois comme un révélateur et comme une crypte. Liexposition
de la personnalité intime passe nécessairement par le jeu de
masques. Ainsi de I'usage du nombre quarante-sept dans Rue
des boutiques obscures - une agence de détectives, fondée en
1947, est Ie premier lieu romanesque d'un récit qui comporte
Iui-même quarante-sept chapitres. On pense à la fausse date
Chapitre 2
Territoires et trajets
travaille sur I'envers de Ia mémoire: Ie phénomène de l'oubli, Du plus loin de I'oubli, Des inconnues, Accident nocturne);
Il en dissémine les signes, oblige à faire avec, donc à lutter des récits autobiographiques, dont certains incluent, dans Ia
contre, à imaginer ce qui fut et retenir ce qui fuit. Du plus relation des événements vécus, quelques hypothèses roma-
Ioin de I'oubli: ce titre d'un toman désigne autant une tension nesques (Livret de famille, Remise de peine, Fleurs de ruine,
de I'æuvre qu'une posture de la lecture, Si I'oubli constitue Chien de printemps) alors que d'autres semblent régis par un
un phénomène inhérenLau fait de vivre, il représente pour strict souci de témoignage, historique (Dora Brudet) ou intime
Modiano un scandale parce qu'il est la marque d'un univers (tln Pedigree).
qui s'autodétruit jour après jour et d'un sujet en mal d'iden- Cette répartition ne saurait toutefois se comprendre comme
tité, en partie amnésique, dont Ie noyau intime, la person- une architecture systématique mais plutôt comme une sttuc-
nalité propre, se désagrège. Vestiges du temps et vertiges de ture en échos, Il est dans certains épisodes de Villa triste, La
soi ne cessent de se combiner dans des récits conçus comme Petite Bijou et Accident nocturne des traits d'écriture hailuci-
des leurres, qui laissent jouer les manifestations sensibles de natoires qui rappellent l'écriture altérée du triptyque expres-
l'oubli pour mieux tenter de les combler, entretenant ainsi une sionniste. Si ViIIa triste expérimente les conditions d'une
douloureuse énigme. écriture minimale que les ouvrages suivants approfondissent,
le récit inclut encore, comme un texte de transition, plusieurs
marques de I'ironie provocatrice des trois premiers romans:
Périodes et cycles de l'æuvre ainsi du télescopage narratif entre les <balles > Iancées par-
(
L'æuvre de Modiano évolue dans le temps, quand bien dessus un filet > par de < gentils et rassurants imbéciles > qui
même I'écriture se fixe pour objectif d'en inverser le cours jouent au tennis dans un grand hôtel dAnnecy et celles qui
et de donner à lire le spectacle de cet < éternel retour > que ,'é.huttg*ttt au même moment en Algérie où < on se battait
racontent, par le biais d'une histoire de revenanls, Accident [,,.], paraît-il> (p. 29). La douceur mélancolique du nartateur,
nocturne et Dans les cafés de Ia jeunesse perdue. Deux pério- Victór Chmara, cède parfois la place à des bouffées d'agres-
des d'inégale longueur peuvent être distinguées dans l'æuvre: sivité qui rappellent Raphaël Schlemilovitch, le héros de Ia
l'une, dominée par une esthétique expressionniste, marque P\ace de I'étoile, quand il dénonce par exemple Annecy comme
les débuts du projet littéraire et comporte le triptyque de l'Oc- <un sale petitvillage français de merde, (p'93)'De même les
cupation (La Place de l'étoile, La Ronde de nuit, Les Boule- récits d'investigation exposent, comme le font les récits de la
vards de ceinture) ; I'autre, dominée par la recherche d'une mémoire, la recherche d'un passé ramené à des vestiges et à
esthétique minimaliste, inclut I'ensemble des romans et récits des séquelles: seule les distingue la primauté romanesque
publiés depuis 1975. Échelonnée sur plusieurs décennies, cette qu'ils accordent pour Ies récits d'investigation à l'exploration
seconde période connaît différents cycles qui interfèrent: des des vestiges, pour les récits de suspense à l'étude des séquelles.
romans d'investigation, recoupant un suspense identitaire Enfin, tous les ouvrages contiennent une charge autofiction-
(Rue des boutiques obscures, Dimanches d'aottt, La Petite nelle d'intensité variable. Lappropriation romanesque de la
Bijou); des romans de la mémoire, s'apparentant à une recher' matière biographique à des fins d'autoconnaissance caracté-
rise I'ensemble des récits, mais à des degrés d'application, de
che du temps perdu (Villa triste, (Jne /eunesse, Vestiaire de
I'enfance, Memory Lane, Dans le café de Ia jeunesse perdue); formalisation et d'intention variables. En rend compte, dans la
classification proposée, la répartition des ouvrages par gradua-
des romans autobiographiques, dans lesquels l'écrivain s'ins-
tion plutôt que par division, selon un spectre qui va des textes
pire d'événements de son passé pour composer une fiction à
Ies plus romanesques aux textes les plus autobiographiques.
la première personne (De si braves garçons, Quartier perdu,
54 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 55
L'æuvre inclut par ailleurs ses propres digressions ou s'estompent. Paradoxaux, ses échos hantent les consciences.
curiosités: préfaces, Iivre d'entretiens avec Emmanuel Berl, Dans les ouvrages de Patrick Modiano, Ia scène de rétros-
livre d'hommage à Françoise Dorléac publié avec Catherine pection renvoie moins à une présence reconstruite qu'à une
Deneuve (Elle s'appelait Françoise), albums pour la jeunesse remémoration partielle des événements, avec un effet de
(Une Aventure de Choura, Une Fiancée de Choura, en colla- déperdition que le texte fait jouer dans la distribution de mots
boration avec Dominique Zehrfuss), commentaires d'ouvrages et de blancs, de paragraphes et d'interstices, de phrases asser-
photographiques (Paris Tendresse, sur des photographies de tives établissant des faits anciens et de phrases interrogatives
Brassaï), scénarios de filmsãe cinéma (Bon voyage de Jean- insinuant le doute quant à leur degré de fiabilité, Ainsi l'écri-
PauI Rappeneau, 2003) ou de télévision (Le Fils de Gascogne ture entretient-elle moins I'illusion d'un passé retrouvé que les
de Pascal Aubier, 1gg4), chansons (Etonnez-moi, Benoît,tttbe désillusions suscitées par les tentatives de sa reconstitution.
de Françoise Hardy dans les années soixante-dix). Le style fragmentaire calque les mouvements d'une mémoire
Dans cette æuvre mouvante, la plasticité des formes le émiettée. L'esthétique du flou, enveloppant la narration de
dispute à la labilité du sens. Les récits de Patrick Modiano faits précis ou la mention de détails évocateurs, suggère I'in-
présentent tous une perspective historique et une thématique certitude des souvenirs. La recherche d'un passé ainsi obli-
existentielle, mais s'ouvrent vers un horizon ontologique et téré se relance pourtant incessamment, mélancolique quand
sont portés par une tension éthique. Le rapport à I'histoire et elle entretient le sentiment de Ia perte et suggère qu'il n'est
la question de l'existence constituent leur ligne de suite: l'objet de maturité que par dépossession de soi (Chien de printemps,
d'une intrigue romanesque, ou d'une séquence biographique, Fleur de ruines), tragique quand elle se résorbe en une scène
voire d'une narration hybride, avec des personnages incertains de mort violente prenant valeur de rupture définitive (l'acci-
que détermine un passé trouble, souvent indissociable de la dent de voiture dans Dimanches d'aottt ou [/n Cirque passe,
période de I'Occupation et des années qui la précèdent, même Ie suicide dans Vi11o triste ot Dans Ie café de la jeunesse
quand elles ne sont pas ouvertement référées. La dimension perdue), onirique quand l'écrivain, forçant Ia part d'etteut
ontologique et la visée éthique constituent les lignes de fuite propre à toute rétrospection, téinvente le monde d'hier à partir
des récits. La problématique des identités indécises renvoie
d'impressions anciennes (Ia Petite Bijou, Accident nocturne),
plus généralement à Ia représentation d'une société contem- archéologique quand Ie texte se veut un document d'enquête
(Dora Bruder) ou un exercice de consignation (Un Pedigtee).
poraine dans laquelle aucun repère, aucune structure n'offre
Le passé échappe à toute mise en perspective frontale mais
de supports fiables pour apprendre à se connaître et à savoir
s'inscrit en creux des récits, dans la tension entre des événe-
qui I'on est et où l'on va, Une éthique de la mémoire semble en
ments que l'on peut encore représenter jusqu'à l'épuisement
outre revendiquée par un écrivain qui collecte les traces de des détails et d'autres définitivement révolus, qui n'existent
destinées singulières avec une même ténacité sisyphéenne. plus qu'à titre de présomption.
L'écrivain institue alors un va-et-vient constant entre
Ligne historique: les zones claires de la conscience et les trous d'ombre de la
une mém0ire occupée, une écriture résistante mémoire - va-et-vient spatialisé par les errances des person-
nages et Ie clair-obscur des atmosphères (Fleur de ruines,
OMNIPRÉSENCE DU PASSÉ
Quartier perdu, Dans Ie café de Ia jeunesse perdue). Dans
Instance majeure des récits, Ie passé demeure pourtant leur Voyage de noces, iI prête au narrateur quelques considéra-
principal absent. Insaisissable, il est limité à des traces qui tions qui peuvent se lire comme l'expression discrète d'un art
56 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 57
poétique du temps passé (Voyage de noces, O Éditions Galli- rescapés des camps, de la fuite et l'exil des responsables nazis
mard 1990, collection Folio 1991, p, 53-54). Le romancier se ou collaborateurs français dans des pays dAmérique centrale,
doit de choisir entre deux démarches quand il entend accorder de I'immunité des fonctionnaires de police, les sans-grade ou
son écriture aux mouvements de Ia mémoire: l'une Ie porte à les chefs, dans une France de l'après-guerre qui couvre sur
I'exhaustivité, l'autre vise à I'essentiel. La première, ou < I'in- toute Ia seconde moitié du xxn siècle. En termes de société,
ventaire d'une saisie >, privilégie les détails au risque de négli- cette histoire désigne un passé proche. En termes d'intimité,
ger I'ensemble, La seconde, og < ligne d'une vie >, dégage la
elle renvoie à un passé antérieur pour l'écrivain qui naît en
progression à terme d'une existence, son diagramme propre, au
1945 d'un père à moitié juif, trafiquant de marché noir, proche
risque de l'abstraire de la matière vivante dont elle est compo-
de certains cercles collaborationnistes, et avec lequel il se
sée. Patrick Modiano refuse I'alternative: Ia dimension étrange
brouille à sa majorité. Il devient alors un personnage récur-
de ses récits, au regard des événements simples qu'ils expo-
rent de l'æuvte.
sent, tient à leur alternance. Les histoires basculent en perma-
Romanesque, la figure du père I'est en raison de ses ambi-
nence d'une inscription concrète dans un environnement
guités. Elle s'identifie à la période de l'Occupation, à la ques-
commun, restitué avec un surcroît de notations matérielles qui
en devient hallucinatoire à force de précision, et un déplace- lion de I'illicite (un personnage trouble, entre affairisme et
ment dans quelque espace-temps abstrait de toute actualité, un escroquerie), au rapport de fascination et de détestation entre-
non-lieu de la mémoire, en dérive de toute histoire spécifique, tenu par l'écrivain avec ce passé' Du père, l'écrivain se fait
qui leur confère une dimension allégorique. tour à tour le défenseur et Ie procureur, depuis Les Boulevards
Une métaphysique du temps, doublée d'une fatalité de de ceinture qui en ouvre Ie procès pour faits de collaboration,
I'histoire: ainsi se noue dans l'æuvre de Patrcik Modiano le mais en même temps met en scène un personnage de fils atten-
rapport au passé. La première fait de chaque roman Ie lieu tif à veiller sur un père happé dans I'engrenage de I'histoire,
figuratif d'une vanité. L'évocation de milieux disparus et de jusqu'à un Pedigree, qui achève ce procès par la double accu-
personnages défunts atteste de la toute puissance du néant: sation d'un abandon de tutelle puis d'un abus d'autorité, mais
symboliquement, Dans Ie café de la jeunesse perdue se reflète énonce comme motivation intime du premier livre, Ia PLace
par un jeu spéculaire dans le livre qu'un lecteur érudit offre de I'étoile,la volonté de rendre justice à un homme victime
à l'héroïne, livre écrit par une lointaine mystique, Louise du de l'antisémitisme. Dans .Les Boulevards de ceinture, le père
Néant. Certains romans de haute tradition sont conçus comme précipite le fils sous une rame de métro, scène de fiction qui
une miniature des triomphes de la mort (Memory Lane) otr exprime, par-delà la violence intime dont elle est chargée,
une expansion des danses macabres (La Ronde de nuif). D'un l'idée d'une génération précipitée dans le vide par celle qui
ouvrage à I'autre, l'écriture en s'affinant, en élaborant un art la précède. Chez Modiano, le passé obère ainsi le présent' Ses
du moindre mot, donne l'impression de désagréger son propre crimes et ses exactions se ttansmettent au-delà de Ia simple
objet: comme un sablier, elle laisse s'écouler une matière mémoire qu'on en conserve, comme les ondes d'un tlauma-
verbale atomisée. Quant à I'histoire, elle présente toutes les tisme dont I'origine s'est perdue mais Ia douleur se ravive, à
apparences d'un fatum des temps modernes, une tragédie l'occasion de quelque peine fortuite. D'où l'ambiguÏté du titre
sans dieu dont la mécanique broie une partie des vivants et attribué par l'écrivain à I'un de ses récits, Remise de peine: en
voue les générations qui les suivent à une destinée erratique, son sens juridique, il signifie une libération anticipée, en son
Cette histoire est celle de I'Occupation, de Ia Collaboration, sens littéral il désigne une peine remisée, comme enfouie en
des rafles et de la déportation des juifs, du génocide et des soi, cadenassée dans Ia mémoire.
I
58 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 59
Les récits engagent en ce sens une relation à I'histoire sa qualité de juif apatride, à la psyché fragile. Comme s'il
variant en fonction du degré de conscience qu'ils entretiennent obéissait à des automatismes mentaux hérités de l'histoire
avec I'univers de la Seconde Guerre mondiale. La résurgence des siens, il répète en effet des attitudes devenues patholo-
de l'histoire dans le comportement individuel des hommes ou giques parce que détachées du contexte immédiat de persé-
le devenir d'une civilisation est I'objet d'un traitement narra- òution qui les justifierait: avoir peut, faire ses valises, fuir, se
tif différencié. Certains textes surexposent leur rapport à la cacher. Ainsi se maintient Ie lien entte un passé lourd d'effets
période de la Collaboration en jouant la carte du romãn histo- souvent refoulés et un présent apparemment autonome mais
rique halluciné - La Ronde de nuit, Les Boulevards de ceinture dans lequel des événements mineurs, souvent incompréhen-
- ou réaliste - Lacombe Lucien. D'autres aùordent la question sibles à ceux qui en sont les acteuts, constituent les séquelles
de la déportation des juifs en substituant à une évocatión diffi- d'un passé qui refuse de < passer >, les symptômes d'un présent
cilement envisageable en termes réalistes un suivi de séquen- sous contrôle.
ces expressionnistes - La Place de l'étoile - ou en filant un Patrick Modiano décline toutes les nuances d'un temps
récit d'investigation qui interpole des documents d,archives hanté par l'histoire, depuis la version amplifiée qu'en présente
que le nalrateur commente - Dora Bruder, La majorité des Rue des boutiques obscures - une amnésie totale, qui résulte
récits diffèrent leur rapport à cette histoire en démultipliant du traumatisme subi par la victime deux décennies plus tôt
le temps de la fiction, Ils établissent des échos entre présent et pendant la guerre - jusqu'aux versions les plus latentes -
passé, entre les différentes époques du passé et les différents lne simple mention, un détail incident suffisent à mettre en
états d'un présent qui ne se limitent pas à la seule actualité. perspective Ia crise relatée avec la période de I'Occupation.
Rue des boutiques obscures, Du plus loin de I'oubli, Vestiaire bu ptus loin de I'oubÌi est construit autour de la structure
de I'enfance, (Jne feunesse, Memory lane forment ainsi des du trio ambigu - le personnage-narrateur tombe amoureux
romans de la rémanence. Lhistoire officielle ne campe pas de d'une jeune femme avec I'assentiment tacite du compagnon de
plain-pied dans des histoires romanesques qui renìeiraient cette derniète -, puis du couple nomade - les deux amants
directement aux années de guerre, mais s'immisce à I'oblique, fuient à Londres -, mais le roman tourne aussi autour de la
par un effet d'inscrustation dans des situations évoquant tìès figure du rescapé - Rachmann, escroc juif déporté dans sa
souvent les années soixante/soixante-dix. On rapprochera en jeunesse. Le comportement de ce personnage se limite à une
ce sens la nouvelle x de Livret de famille et certaines pages de suite de symptômes traumatiques: l'appétence morbide (il fait
Vestiaire de I'enfance parce qu'elles développent une même commerce d'appartements en ruines), Ia fixation masochiste
scène radiophonique à dimension allégorique. Le présentateur sur les jeunes personnes, la sexualité mécanique, la clochar-
d'une émission musicale diffusée dans les annéãs soixante- disation partielle, la régression (il se réfugie dans l'une des
dix est un ancien collaborateur: sa voix, indépendamment du maisons insalubres qu'il vend pour y dormir, en pleine jour-
discours qu'il tient, rappelle I'univers des années sombres; les née, sur un lit de camp). Aucune analyse psychologique ne
ondes du passé entrent en interférence avec la vie présente; met en relation directe ces attitudes et I'expérience concentra-
l'univers de la seconde guerre parasite le monde dés années tionnaire, pourtant inscrite dans Ia spirale du récit et dans le
soixante, celui de la guerre dAlgérie. Dans Vi11a triste, la sens implicite de certains mots (ainsi lit de comp), Rachmann
guerre dAlgérie est l'événement passé à partir duquel, comme gravite autour du couple qui devient la victime des ondes
par mécanisme associatif, le récit remonte jusqu'à la présence délétères émanant de lui, à moins que le rescapé ne consti-
latente d'une autre guerre que le personnage-narrateur n'a tue pour le jeune homme vulnérable une préfiguration de son
pas vécue personnellement, mais dont il est ie produit en avenir autant qu'une réminiscence de son passé, une figure
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 61
60
>' qui dépos- nages de courtisans qui forment une faune carnavalesque,
de Vilaine appellent < Ia malédiction narrative Dans grouillant autour d'un pouvoir dont ils constituent I'emblème.
,Ja" f"t juifs de leur(s) tristoire(s) et d'e leur consciencel?
fable Figures d'une décompositionnationale: banquiers en faillite,
et toute
La Place de I'étoile, láute parole est une fable tiennent lieu de courtiers d'assurances pratiquant l,usage de faux, experts en
meurtrière: seuls f" gt;t"tq"e et le cynisme sulfu- objets d'art véreux, avocats marron, patronnes cle inaisons
oostutes, ce en q..oi'1" 'o-"" tupp"tl"
la littérature
cinquante'.tle closes, gigolos à multiples fo'ctions, morphinomanes, traves_
i"#;; H"*"tåt ¿ans les ann¿ås
strates du
].e91iv1in
pastiche littéraire' tis, proxénètes.., Le roman est dynamisé par une compulsion
u f*" qui constitue l'une des
"t radicalité ã'à"rit.,.re s'efface progressivement des
Si cette
sociologique à laquelle un sens aigu de lJ consignation maté-
tomans rielle confère une teneur tragique. En énumérant de façon
;;;;".t suivants, le principe de suspicion reste'duLes piège que précipitée un certain nombre de données concrètes obiets
de Modiano s'inscrivent dans la conscience dérobés à leur propriétaire, appartements réquisitionnés
-
constituentlelangageetlanécessitéfaiteàl'écrivain-figure - il
que pqr tradition évoque en creux, loin du pittoresque d'un roman historique,
du créateur qui, par-vocation propre autant le hors-champ par rapport auquel I'atmosphère délétère du
..rtt..r"tt., ,Ërrlrrifi" la puissan"u dut mots - de définir une
la raison s'impose: Paris de l'occupation fait sens. La spoliation des biens signi-
áã""iorogi" quant à son usage' Une mise
à
fie sur un mode métonymique la disparition des perso'ñes:
par l'invention progressive d'un usage minimal'
un la présence des camps de la mort est suggérée d,åutant plus
"fjã-pãtt*"
Tel n'est pas encore le cas dã ¿o Ronde de nuit' publié
intensément qu'ils ne sont jamais référés ouvertement.
de l'étoile' À l'encontre de 1'<historiquement
Le narrateur se présente comme un agent double au carré,
"";;;;¿""PInr"
cotrect > des années soixante-dix et loin des versions offi-
nationale' l'écri- un double agent double: recruté par la Milice pour infiltrer
ãi"ffæ faisant de la-Résistance une adhésion et pointe un réseau de Résistants, il est missionné par ces ãerniers pour
doubles
,rãln uifir-e sa fascination pour les agents noyauter le cercle de collaborate'rs qui l'ont à I'origine engagé.
la confusion des evene-
Ia porosité des choix idéologiques et nuit Leffet d'embrouillement qui en résulte caractérise ie récitäònt
La Ronde de
;"ï, pour celui q"i tut "ii "" situation' des organismes trois scènes révèlent en priorité I'absurdité tragique: le person-
;;""q""i; puri, "oti^borationniste dans lequelcommun comme nage-narrateur trahit les résistants en les faisant arrêter; il
prirrår, qui utilisent des criminels de droit
secrètes par les diri- assassine le chef des collaborateurs; il se lance dans une tenta-
main-d'æurrru, ,ont-"hargés cle missions tive de fuite suicidaire. si un tel chassé-croisé pose la question
;;;;it p"iitiques françaiã' Ils organisent des crimes - arresta-
de la responsabilité individ'elle en période ãe crise collec-
et.dirigent en sous-main plusieurs réseaux
tions, exécutions - tive, il suspend aussi les réponses convenues et vicle de leur
à ce mixte d'autori-
de marchés noirs, LÉtat í'identifie alors charge les catégories historiques ultérieurement emplies le
français, qui gouverne entre une -
i¿r, ìc," allemande et bras Résistant/le collabo - et les réflexes qu'elres suscitent rétros-
de fait' T'a référence
légalité d'apparat et une terreur politique pectivement - Ie héros/le traître. si ces principes s'avèrent
de nuit' renvoie à
i.ípii"it" à'lLuvre de Rembra"dt' ¿o Ronde
charge des basses
justifiés par l'Histoire accomplie, ils clemôurenfimpuissants
i"îtã"'tit""ité des édiles et d'une milice en à en énoncer la singularité en situation. L'écrivain cherche
et au tableau' sur fond
æuvres de Ia cité, commune au roman à saisir l'équivoque de la période concernée, son caractère à
d'atmosphère en clair-obscur' Lécrivain
multiplie les person-
ia fois terriblement commun et totalement aléatoire quand
il s'agit de poser la question du choix inclividuel. påtrick
La Dét'ttisott antisétttite t:t sott
Modiano n'absout pas celui de la collaboration mais essaie cle
L. Jean-Pielre Faye et Anne-Marie de ViÌaine, le situer à distance, c'est-à-dire de le restituer à son contexte
langag,e, Actes Sud' 1994'
Lire Patrick Modiano Territoires et tralets
67
66
à la fin d'Une ils taisent la douleur et qui res nimbe du prestige des réprou-
pierre qui tombe comme image du détachement
image d'un^milieu vés. Ainsi de Guy Vincent arias Alberto Zymba"rist, fils äuto-
iåin"rÅ"; du bois qui pouirit-comme décomposées à la fin d'['/n proclamé d'un consul d'pérou dans Dei inconnues. Ainsi
:;;;;;p., et de relationsiamiliales que le ponton vermoulu de Pacheco, alias philippe de Berune, arias charres
P";i;r;"- <|'avais pris le large avant 2005' collec- dans Fleurs de ruine, qui revient dans Voyage de noces
Lombarcr
ne s'écroule> (Un Pedigree,OÏditions
Gallimard après
comme image d'une avoir traversé Dimanches d'août, cleux romins dans resquels
tion Folio 2006, p. tzTi;Iapeau qui tombe fin
existentielle, i'uáolu'"utt devenant adulte
à la rle il joue le rôle inquiétant d'un intercesseur des ténèbrur, li¿
-ä"rrii",
mue
peau>' au monde des malfrats et de l,Occupation. Son ho-orry'_",
perdu (tt... on doit partir et changer de 9':?'
1984' collection Folio 19BB' tout aussi bien son antithèse, son jumeau contraire, Geórges
în:,i p"rai,o Éditions Gallimard
Bellune, auteur de musiques légèies, présent dans Memory
livre et I'entrée en littérature
f. rart. Lécriture dupãpremier d'une véritable L;ane et Une /eunesse, fuit porrr ,á part [a mémoire
ã"nipãre", dun, u,l digree-comT: les actes en satisfaisant hitlériennes et se rejoint hri-mêmã en devenant, par lu
d"s
"rrnée,
paternel'
autogenèse: en transgressãnt I'interdit volontaire, une ombre. Dans Ia petite Bijou, pius le ràcit
mo.t
le jeune homme qui écrit et publie
une exigen"u p"rronielle, progresse, plus le personnage féminin, narráteur^de sa
toute I'ambiguÏté rle
devient adulte. MJ t; mame livre révèle histoire, régresse. Retrouvãnt peu à peu la mémoire
propre
vouer à la réécrire
cette démarche. Tourner la page' c'est se n".a""
sans fin, vivre dans son désaisissement'
En finir avec sa propre {e sa propre enfance, Ia jeunô femme remonte les â!es, se
c'est Ia convertir en déconstruisant en sa quarité d'adulte. Eile traverr" aËiãço"
adolescence - terme rare dans I'æuvte -' successive les différents stades d'une errance existentielle
les différents âges
ieunesse - terme técurrent, qui rassemble terme-de laquelle, loin d'avoir comblé res lacunes de ses
au
ä"-il"'oå i'a"titure et gét'èt"' sur fond de dramaturgie nes, elle se laisse happer par leur gouffre. Tout commence
origi-
""á"i
elliptique, une mythologie noire du passé' par
l'identification d'une passante comme pouvant être sa mère
disna-119 alors qu'elle était enfant, se poursuit par l'identifica-
UN ÉTAT SINGULIER: LE DÉSAISISSEMENT tion d'elle-même à la petite fille délaiisée par sãs parents dont
à des états de
Les personnages cle Modiano sont confrontés elle s'occupe, s'accompagne d,un rapport monomãniaque aux
tempo-
ãrlr" puttlcul"iers en cela qu'un- dysfonctionnement s'ins- événements, interprétés par le seul prisme de souvenirs
cle
t"ir",'.t.t" discrète anicroãhe dans le fil des iours'
insidieusement
jeunesse mi-enfouis mi-hailucinés, s'achève
sur une tentative
crivent peu à peu dans la durée' annihilant de suicide puis une séquence de vie nouvelle, qu,une
de soi parole
leur présen"" u.t -o"de' Lépreuve du désaisissement en partie incohérente restitue comme .,nu su"onãe naisiance,
existentielle' qui
constitue Ie pivot áe cette problématique de l'autre côté du miroir. < J,étais dans une grande cage
de
distinctes et cles
;;;;;;-; la fo'is des situations romanerq,trr verre, J'ai regardé autour de moi. D,autres
naient des aquariums > (ro petite Bijou, o"ug",
du verre önte_
irodes de narration singuliers' Éäitions GailiÀard
Les situation, á" i''itance, du vol' du
désæuvrement' du 2001, p. 153). L'énonciation calque une suite d,impressions
temps morts
a.*q"ifiUte psychique équivaìpnt aux différents de la rature
sensorielles et de réactions m"ntal*, situées en däçà
de la
ã., fti""lpe'däxistãnce, confronté au risque qui
conscience, dans l'e'tre-deux de la réalité matérielle
des lieux
d'adolescents et. d'un imaginaire délirant, fonctionnant
définitive. Lécrivain décrit la traiectoire de Ia
par association
en dérive d'images visuelles et langagières. <
pái""", à devenir Jes adultes ou d'adultes improbables peut-être des poissons,
[...] des o-br"",agid;rrt,
société, transportant au gré cle travestissements l,entendais un bruit de plus en ilus fort
énigmatique' clont de cascades. l'avais été prise dans les glaces,
et d'identite, .,r.t.fO"s ie"poids d'un passé ii y a lorigtu-pr,
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano 77
76
B4
Lire Patrick Modiano Territoires et tra.iets Bs
d'un roman qrÌI aimée rappelle l'image de sa propre mère, laquelle rappelle
La mémoire devient le personnage principal celle du narrateur: ce derniei se montre donc doublãment
de rétrospection' Réfu-
s'apparente à une quintuple $emã1c.tie
latine' le personnage- épris, à distance, d'une même et improbable image maternelle.
giäiofo"tuire dans .,tt páyt dAmérique Incidemment, il s'identifie aussi à son père danúne scène où
lié à sa rencon-
äarrateur évoque..,t p*té relativement récent I'un et I'autre veillent sur ur enfant. Le roman invalide de la
Un passé
iru nrru" .,n" ,i.hu Américaine désormais défunte' sorte le cours des générations et l,idée reçue de chronologie
accident
pl.t, dirtunt est évoqué à deux reprises par bribes' un aimée en substituant au phénomène d'écoulemeni d't"-p, .,r,
de voiture survenu F'"""" dans lequel péritla femme
"i
et dont le personnage se sent-responsable' Un
passé encore de fixation des situations. LAméricaine défunte "ff"t
.,r,
soixante' époque où droit de regard sur le personnage-narrateur, par le "drrr"rrr"
pi.,, ,"".ttá, datant d"u milieu des ãnnées biais d,un
homme qui, selon ses ordres poãthumes, le surveille: le passé
d'années' est associé à sa
ie narrateur était âgé d'une vingtaine
d'une fillette' Par un est ainsi représenté comme un espion manipulant d,outre_
liaison avec une comédienn", ãlott mère
antérieur est tombe les vivants. Le souvenir d,un accident di voiture po.,,
pf.ã""tt¿"e de mécanisme associatif' un passé
et son suit celui qui s'en croit responsable: le passé est ainsi d¿rirri
narrateut
rappelé, qui met en scène la propre mère du
t'Ìti*" traverse la narration' lié au comme I'instance de la faute. si par airleurs le personnage a
acì.olescence à lui' Un passé
Cette structure changé de nom en quittant re vieux continent, ceìte modiflca-
to""""it du père et à óelui de la petite enfance' giisse tion._d'identité ne provoque en lui aucun état de regain, mais
,ãt."rf""tlvä relève d.e l'enfermement: le personnage
possible' ressas- accélère son sentiment de perte.
d'un Jercle à l'autre du passé sans échappée La crise existentielle constitue de la sorte l'enjeu d'un récit
occultées
sant un malaise, sinon une nausée' aux raisons
(ainsi du goût de-mercure qui la module et en fait une poétique. L'énonciation tient
mais u.,x motifs narratifs insistants
à I'eau qu'il boit)' L"expres- à distance son propre objet. uire suite ctéliée de séquences
frêté par le personnage-narrateur pour caractériser un état factuelles concentrées tient lieu de toute narration. Elle est
äion ,çrer"nt éternel í est employée
iã*itå""u proche du temps fixe' Le temps' défini comme doublée par un texte sous-jacent qui circure sur fond de détails
expérience' loin de nourrir quelque cryptés, de réseaux d'indices, de révélations suspendues, de
ñ;;t** "st aboli et cette est vecteur d'anxiété tant il fausses reprises, de motifs décalés, Lécriture simule ainsi
sentiment de plénitude mystique' un
par le passé' U-n résean discours qui serait en prise directe sur le subconscient, de
relève d'une attraction vertigineuse
La jeune même qu'elle vise à atteindre certains états subriminaux par
de scènes entremêIées en iilustre le phénoÎ9"".'
la comé- la mise en condition rythmique et répétitive des mots quiìes
fu--" rappelle, à peine rencontrée' Ia petite fille de
plus décalent de ce que littéraremànt irs désignent. Le récit ãntre-
dienne aimée par le narrateur une vingtaine d'années tient en outre un certain nombre de convéntions romanesques
tôt, l,histoire amoìrreuse nouée avec l'une au présent.répétant qui fonctionnent comme une mémoire de genre partiellement
,r¿".," avec l'autre naguère' Cette petite fille qu'il.garclait
"lttu son tour sa propre enfance' lorsque estompée en raison de son traitement elliptique: roman
ñ;¡";1,ti ,upputle àpar son père' La comédienne' qui se vestigation, roman d'éducation sentimentáre, ioman exotique,
d,in-
lui-même était gardé rom.an d'introspection, roman du temps perdu. Entre
prãa.,isuit dans i,n cabãret du Ii" arronclissement'
se confond oubli
'ut"" lu mère du nattateut, jouant clans un autre théâtre de cet et rémanence, ce passé d,un genre o"*pu la fiction
comme
q-u'au le passé du narrateur sa conscience. plusieurs ettetr;Ë;"
arrondissement. Le préseni ne peut ainsi s'appréhender laires - livres cités, textes narratifs interpolés, p*rrorriàg",
réper-
ilsse - un passé q.tì, "" t" qttálité dans une sorte d'abyme
de présent évaporé.'
u"té'iuttt" d'écrivains - tien'e't à clistance le récit en train de s,écrire,
cute à son tout.tttå époqtt" ou plutôt en déplacent I'objet. La fiction se dérobe
actuellement
défaisant toute catégorie logique' La jeune femme à elle-mênre
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano 87
86
son souteneur? (Fleurs de Une /ettnesse, Nicole et le Mime Gil dans Chien de prin-
propres é.carts - Itu entraîneuse'
ìnõ r' coiiection-Points o"*T 1'n:
u' temps, Gay et Blunt dans -Rue des boutiques obscures, Ingrid
r uine,o Editions ""ï;ii expansLons et Rigaud dans Voyage de noces -, couples parfois contrefaits
aussi I'obiel de plusieurs
o. 39). Cette situati";;;i de ìa ieunesse' mais séduisants, liés par quelque histoire litigieuse qui les
i;;;";;;;r. c¿"¿"iJ¿ã "u* dirîérents âges soude ou porteurs d'un secret dont les raisons sont à peine
de la personnalité'
elle devienl un ¿1"'oãnt s[rucluranr personnage d'Ambrose Guise'
effleurées, Ainsi, dans De si braves gatçons,le docteur Karvé,
Ainsi dans Quar Iier ¡terdu du veuve séduisante d'un homme accusé de trafic d'influences, et Madame, dite Andrée la pute,
la
recueilli. jeune norrrni"' par l'amant' Ainsi' encote' clu < parents de Michel: ils ne lui adressaient pas la parole et
d'affaires douteux åä"i üA""ient même lui témoignaient une totale indifférence> (De si braves
féminins qui' dans LesJncon-
premier des trois ;;;;;;"g"s garÇons, O Editions Gallimard 1982, collection Folio 1987,
d'originå contre une familìe
nues, ttoqu" qui ['inìtie à une p. 34); le chapitre consacré à Michel, condisciple d,internat
'" '"*îii"-ifå"î"it"
narisienne a" n""iÏ'i;it;';î;;"*'"i'iuol" de l'écrivain, s'achève sur sa fuite hors du domicile parental
d'un amant triste qui iui apprend
i¡ie mondaine fastid'ìåuse et avec I'assentiment des parents eux-mêmes. Ce chapifre fonc-
une éphémère vie """lttg"f"'
Ot":i:Íg:tement' du personnag'e
(Jne' lãungsse,. qui joue auprès de
Louis un tionne en miroir avec certains passages du récit de soi ulté-
de Brossier d.ans rieur, Un Pedigree, dans lesquels l'écrivain raconte comment
de^pèie - il l;i paie une
paire
rôIe interm¿diaire åîtiãî"i"i
de chaussur", qttuiäi""i;;;;
miiitait" pat^a|ee dans ]-e1u -' son propre père trouvait tout naturel que le jeune adolescent
de-Iui' Iui fait rencontrer ses errât dans les rues de Londres et que sa mère ne s,en inquiétât
de bon samaritain - ii;';"""pe pas. Même figure du double, transposée dans un scénario de
ães lieux - et de démon tenta-
propres relations" ait"""tit fiction qui en déplace Ie sexeà défaut de la structure:l'hé-
teur - il l'introdutt à;;; ttt'ã
¡""¿" de trafiquants' Plusieurs qui roïne de La Petite Bijou, abandonnée dans sa jeunesse par une
de situatio"' d'" transition'
romans tournent åì"'iã"t""r mère qu'elle croit reconnaître, adulte, dans le métro parisien,
ontologique autant qu'existentielle'
acquièrent t"" ¿iä"i'ùn gagne sa vie en gardant une petite fille que ses parents lais-
Le pa ssage, t'"n t'"-¿îuî""
i"""J"t' Aes pri ncipes dé li n i toi res
j;;;;;""r l'écrivain d'aborder la question sent, elle aussi, seule, dans un appartement désert ou les rues
.le ia personnalité nocturnes de Neuilly,
cle l'iåentité
in'i't"nt d'emblée sur la dimension La clarté n'est pas de ce monde, le droit non plus. Seuls
'ub¡""riîu"ãn (l'être au monde) et de ses contenus
aléatoire de ses contours l'opaque et le tortueux tiennent lieu de conduite à des jeunes
(I'être en soi)' gens qui se fondent dans des clans, les accueillant avec ul
transmission possible s'a
Dans un unlvers où toute naturel trop ostentatoire pour être totalement honnête. Seuls,
de modèles que dégiingués
une trahiso,t puiiiurìJ' ìl "'u't U: ils leur tiennent lieu de démarche quand, devenus narrateurs
et de valeu" q";'ä;"gtti"goi'' Quelque dani les
"l::'"
différents
1::u*tu
avatars de leur propre passé, ils interrogent rétrospectivement la
propre à ta familiã;;"i" á;;eure Là où ia famille de nature des liens qui unissaient les différents membres entre
romanesqu"' q"" fäìì"ui" ""
présente'
de hasard eux ou les raisons de leur propre intégration. Le trafic d,in-
fu déttl"tt'' les familles
nécessité ruit g'åäît ã""' fluences est une notion dont la portée excède dans l,æuvre de
L'ceuvre murtiplie res contre-
font évolue, du,.;l;q;ivoque. aitttuctait la figure des Modiana le sens juridique: il désigne des adultes à la marge et
modèles f"'"ili"i*:ää-äïtr "tt" Des couples impro- des adolescents en recherche d'eux-mêmes.
eui trafìque quoi?
parents prt"iäi;t";;;i;"t dérivées' Qui influence qui ? Les adultes manipulent les adolesôents
comme des météores - NeaI
et
"n
bables traversent les récits à des fins troubles, vol, drogue, prédation hétéro ou homo-
d'août' facqueline et Ie
son épouse B"r;;;;;"î'p,-"""1-te rlans sexuelle. Les adolescents observent les adultes, entrent dans
Nicole Haas et Beiardy
Marquis ¿utt' ¡îä" ' a-i 'u¡n"'
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
95
94
des enieux qui les dépas- apprentissage des liens de socialité. Il s'agit toutefois d,une
Ieur jeu sans adhérer à des règles-ou initiation intrinsèquement perverse, puisqu'elle conditionne
sent, mais l*.,, ,"""oi""t' loi"
de toute gesticulati:Î Ï9:*
iã"g" de liberté ãt de mobilité' Une un rapport vicié à lã société. Le groupã confronte en effet I'in-
nique, une séduisu"i" dividu à I'évidence de la corruption. Il est une bande, organi-
curieirsement autour de deux courbes
leunesse se construit épteuves' à Ia façon de gangster s (La Ronde de nuit, Un Cirque p"asse)
inversées: à I'issue de plusieurs
sée
(itinéraire du couple et dont les réseaux s'étendent par-delà les frontiår", ¡Urr"
une jeunesr* ¡u,t"iJ-ãã"t rãe"
adulte
"t-;t"q"ement leur contact' retrouve leunesse, Dimanches d'août).II attire par hasard celui qui
Louis-Odile) cependant qu'unãdYh:'
à
de Brossier)' devient l'agent invoiontaire d'un trafic aux tenants et aboutis-
une seconde jeunesse (itinéraire figure rle
Le groupe cons;;;-Jo"t po"t Modiano une sants occultés. Encore ce phénomène délictueux, s'il participe
À chaque histoirô son groupe' dont-':ll:t:lÎ::
de la vision d'un univers destructuré, sans repères iiables et
"rããiiå-"ii"n. maIS perne comme dévolu au non-sens, est envisagé par I'écrivain dans
ä;;iil" ì;^otphologie, énumère les pal"ronymes' t"t1::,t:^t"T1-"^t: une perspective excluant toute considération morale. ce que
;;ii;" "t "luìr lu' iaisons prolondes qui
p"r,i" du récit lourne autoui de son énigme'" nucléarre' '1\lnsl les récits mettent en relief de façon plus décisive, c,est ïn
GaIlas' Lestandi' Gerbère' lien à autrui qui s'éprouve comme une négation de l,être, une
cle Mtrraill*' f,¿"'"ntt"''-Vuo¿
ä;;t t;t Boule-vards de ceintute' de forme de réification de l'individu par Ie nãmbre, un principe
Sylviane Quimphä et Hendrickx dans de société intrinsèquement perverti, donc.
Roland-Mi"ft"f, fo""otl¿' M"g Devillers Haywarrl et Parfois le gro rpe est régi par une mémoire commune que
l\4aillot' les
Villa triste, Ho",oy,"Cttio' Cão'g"sMtm' rv Lane' Pierre Louis tous refoulent: elle renvoie à une époque révolue, dont le deuil
Carmen aun, q,olti u-là'a"'du""s dans Un Cirque n'est plus de mise. Le clan se fait la crypte d,un univers trou_
Martíne
Ansart, Jacques d" B;;tè*' GisèIe'
dans Une feunesse' ble, que trahissent des propos à double sens ou des attitudes
;;;; H";àrd, A*t"', Bélardy' B-rossier
Zacharias, r"trut,l"ã"-úi"ftät'
Louki' Adamov dans Dans décalées, identifiables comme tels mais restant en deçà de leur
un petit cercle signification pour qui n'en possède pas la référence première,
le café d" la ¡euni'àlt"-iå'a""' Tous,forment des références' Survivant aux circonstances de sa formation, le groupe s,ap_
des attirances'
de hasard, Iié parâes int¿rAts'
d";;"rát hermétiques à celui qui les parente à une structure arbitraire, fonctionnant a I'hábitudi,
des expériences q;
dtrn témoin' puis le
rencontte et exer'ce sur eux le regard s'en fait Ie mémo-
réduisant ses membres à l'état de figurines qui accomplissent
quand il les gestes d'un rituel détaché de touie raison. Des p".rånnug",
;;i;i-ã; "ue d'un herméneute À leur contact' ie ieune répètent ce qui fut naguère leur rôle social, qrre f.,r"nt jaáis
rialiste (Memory-;;;;, Villa triste)'
les relations_entre gens d'un même monde, alois"e
aux effets captateurs'
homme découvre un rituei convivial
que le riâeau
un échiquier dont les diffé- est déjà tombé sur Ia scène de leur histoire. Dans re huis clos
sinon destructeurs' Le groupe est possible de du groupe, des vivants se mettent ainsi eux-mêmes en scène,
s sans qu'il-soit
rents membres formenî les^pioT Ia partie a réel- se regardent jouer, s'applaudissent comme les rescapés de
quand
détecter q.,"t ¡ottáï' -""ipt't" I'autre' s'achever propre vie (Quarúier perdu, Memory Lene, poupée blonde).
leur
lement tiãfft åst un iour suscepti!!9--d" Cel'i qui le fréquente comprend alors
"o-*",,"å, de.victoire (Villa triste' Une la société,
et quelle urt t" -i"'Lï *if"t "" "u' qu'il appréhende ici en version miniature, "om-errt
j"in"rr", Livret de famil.te chapitre v)' est mortifère. Son
intermédiaire entre actualité se vit sous la dictée d,un passé qui la plombe _ ainsi
Le groupe constiiue ainsi une structure des groupes issus de I'avant-gr"r.é ou du temps de l,Occupa-
Ia vie famiiiaie de société' un support transitionnel
"i-i;;i"
entre deux espaces, I'un intime'
l^a1tre social' Le personnage tion. Un principe d'inertie, Iui, tient lieu d'eJprit de conör_
en modèIe réduit' son vation, comme ces groupes mondains et bohèmes désæuvrés
du ieune ud.ttt" 'it' ãtt""nu y fait'
Lire Patrick Modiano
Territoires et trajets 97
96
de fanille et Fleurs
deuxième récit des Inconnttes, Jacqueline_Louki
que décrivent certains passages d'e Livtet lg café de la jeunesse perclue), les enquêtes historiq,rn,
dans Do.¡rs
de ruine. dans Dora Bruder),_les textes autobiofraphiques (Ì,;dole;;;nt óä.u
gens dému-
Par-delà les raisons qui amènent des ieuues Modiano quittant clandestinement le"pensionnat de
gloupe leleve. d un
nis vers des adultes avertis, le rapport au ou le lycée de Bordeaux où il était élève). La fugue
banlieue
à devenir' au
besoin d'affiliation, qui conduit les premiers une persorÌnalité réfractaire qui résiste à une s"ituation ""r*,*ir"
i"' (Metnõry
;'i"";, i", tl¿¿i", '""otd s contraire !"":).:
al.nire.lys vécu"
d'indepenoance comme une incarcération. Répétée, cette situation
séides (Une leunesse)' Un besoin recouvre
récits contra- alors une dimension ailégoriqúe: ele est re mouvement
i;;;;";t" à iuir, à tourner la page' I'a forme des qui vaut pour de I'identité telle qu'elle peine à se poser, à s'établir
mãme
rie toutefois ce propos, créant une dissonance autour
systématique à d'un centre stable, et s,évànouit sans cesse à elle_même
seul commentaire isychotogique' Le recours la contrainte.
sous
à un retour
.,n" ¿tto,t"iation retråspecti"e équivaut en effet comme si Famille(s), couples, groupes: à manège différent,
au temps du gro.tpe et å l'époque^de
I'adolescence' semblable
joué' qui demeu- vertige. si ces structures traditionneiles de la vie irrii-u
un événement majeur cte la viã s'était alors beaucoup n'offrent plus de modèles crédibres, res référents collectifs
raconté
rait indéchiffrable après coup et devait être permettaient naguère à l,individu de se foncler comme
qui
plus tard po.,, pottoir être compris (ViIIa triste' Quattier en s'inscrivant dans une communauté aux cadres
sujet
moins comme
oerdlt).Les ouvrages cle Modiano se présentent tracés connaissent un même désaveu. Les grancles institu_
crairement
passés Que comme 1a
ãäï"il";;;;T;iq"es d'événements tions - Armée, Église, Écore sont attaquées ãvec véhémerce
recherche d'r.n s""s à attribuer à ces mêmes
événements' -
dans lo PLace de l'étoile comme les lieux d,une gig;;i;;;""
en situation et le demeure
Mais, hermétique, le groupe l'était mystification nationare qui a couvé vichy, ru cJrri¡o."tio"
l-di;i;""": il ne livrã pas son secretconscience denarrateur,
et renvoie le
sa propre et l'élimination des juifi sous co'vert dlun idéai ,ãpì¡rr
comme le personnage qu'il fut, à Ia cain dévoyé. Symptomatiquement, elles s,effacent des
ainsi l'avènement
ã,t"t4",¿. L'exporieñc" dtt gtottpe accéIère récits et cette absence de la scène romanesque trahit la
äutres
pas à coincider
d'un sujet solitairà farce [u'il^ne parvient lui font qu'elles subissent sur la scène civile à pariir de 1g68.
crise
präi"ã"iã"i "rr"" lã,'"tttt"' et que ies mots mêmesà I'écono- un Pedigree rend-il justice à un cuié et une paroisse
Tout
Retracées
défaut pour en comprendre lesiaisons' lyste
l'écrivain enfant trouva quelque éducation en l,absence de
oÌr
se replient ainsi sur un
Ài", ,o.r,", Ies histoires d"e rencontres parents et d'un_ foyer stable _ mais la scène se présente
insondable mYstère' elle_
pour le cou.ple: les même comme l'évocation d'u' passé lointain et
Ce qui vaut pour Ie groupe vaut aussi d,un pãris
qui disparaît révolu. Tel épisode d'un récit ûn"
personnages-narrateurs aiment une femme - leunesse- fäit concorder
le service militaire du personnage píincipar,
de leur vie, sinon de la vie, et parfois
réapparaît, longtemps afrecté dan, .,rr"
petite ville de province pluvieuse, ã.r"" un
après, comme une figure d'outre{ombe'
Ainsi de la mysté- état de dénuement
que marquent ses chaussures percées:
dAndre Breton? à leur image, lArmée
rieuse Jacqueline - nã-trrug e à l-'Am9ur /ou prend I'eau. Le ritu.el d'intégration qui rui
.t"u p""ã"nalité. à chaque fois différente'
- qui hante, sous ptus lointaine tradition n'est plus
était ärrig;J a"
[Jne leunesse, Du lLin de I'ottb]i' Accident nocturne' I)ctns {.,'.,n lu.,ir*, et cera clès le milieu
des années soixante. Ii est remplacé dans
l" "á¡e de la ieunesse perdue'.À son image' Ie-pers.onnage le même ,;;;"
par un rituel inversé, cerui de |intégration
être de fuite - ou
iypä"t't¿"it, a" Patrick Modiano estseun multiplient dans les
dans une commu-
d" la marge, en version dure (ães trafiquants) o., ao.,".
nlutôt de fuque, Le, '"è"us de fugue l1rÍ
(la clté universitaire, refuge
iJää* tt",iä'tr"etia d'ans voyaþe de noces'la narratrice du des apatrides et àe tous ceux qui
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
98 99
ne me reionnaîtrait plus m'a effieuré > écrit le narrateur précédent tournant de siècle mais à r'absence
cle l
- d" i;;i;ilì-" i
Villa triste (ViIIa trisie, O Éditions Gallimar d 1975, collection de sacralisation substitutive
- ra crise actuete porte sur une
Fo\io \977, p. L03). Nul repère transmis, nul modèle proposé dépréciation des ordres de grandeurs curturetes,
une défé-
ne permet aux personnages de se construire une identité tichisation des structures dlautorité, une relativisation
des
proþr" et cette situation dã vacillement cult'rel, ces états de figures du pouvoir, un discrédit des ideologies
majeures qui
iloti"m"rrt intimes suscitent une incapacité à faire corps avec furent celles du xx" siècle. Nombreux sont
les commentateurs
eux-mêmes, à s'inventer un équilibre' À cet égard l'æuvre
cle - philosophes, sociorogues ou éco'omistes - p""ì-iåìi.àr,
Patrick Modiano n'est pas sans s'écrire dans la proximité cette crise se développe depuis la fin
des années soixante_dix.
Patrick Modiano en d.éplaci lbrigine dans
decelledePeterHandke,quitraduitenallemandplusieurscle re t"-p;. À-ìì."ìu,
romans, cette crise s'inclut dans une
ses romans et auquel l'écrivain dédie Du plus loin de
I'o-ubli' série d,ondu, de
différée depuis la Seconde Guerre màndiale.
Lun et l,autre déiaillent les différentes manifestations d'une U'iÃugirrJ.u "hu"
catastrophiste de l'histoire conditionne
même ontologie du vide: aucun garde-fou ne retient les en cela son æuvre.
d'une aspiration par le Sans qu'il en théorise la vision, l,¿tat
f"tto"""gr, {.r'ilt mettent en scène ãe crise diffus, proDre
gouffre. Ün éiat de déréliction caractérise Ie vieil homme
à_son univers, rrouve ses origine,
du""l;;;;"åääi,5är"
Slgul, qui ont floué tout ordre de valeurs possibles,
iegardant inlassablement toutner les bandes vides d'un période de l'Occunation, qui a porté et dans Ia
Ia jeune femme éprouvant la
-ig"etophone (Une leunesse)' (Des inconnues)' celle qui se a.rn poirrt au a."o_pori_
tion irréversible toute structure collective.
tenlatiorrde se jeter dans Ia Saône Le ricite et r,ilriciLe,
précipite du haut d'un immeuble (Dans le café de la
jeunesse le droit et l,interdit, le juste
",
i"-*i f"ïi"" Jf" i"l, ;;il;,
þerdu"), se suicide dans la chambre
d'un hôtel milanais îîT::_1:r._catégories
ue valeurs tranchées, se sont
acquises, rattachées à d;;;;;tè;;,
un accident de voiture en fuyant effacés pour des raiåns qui
iVoyogá a" noces),périt dans
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano 101
100
joue à cet effet d'un fébrilement un mal-être latent (Eile s'appelait Franço;,se) ou le
faune. Dans ses trois premiers romans' il jeune adulte qui s'invente un doubre, iiiste autant que
;ä!t-,t; ãÀtnurrul"rque et in-scrit son æuvre dans laprompts
iignée
un petit chien qu'il emmène en cage avec lui
ãrora-
quand il
des écrivait , prouoåuteurs de I'entre-deux-guerres'
lique,
discré- fuit,loin de Paris, des jours sans fin et unevie sans leniemain
J áérrorr"", ieJvaleurs fallacieuses d'une civilisation (dernière scène de Fleurs de ruine). D'autres romans
Guerre simulent
äi,é;;"l les réaiités monstrueuses de la Première
d'une guerre la un semblable état de perdition sur un mode plus radical, à
mondiale. Mais Patrick Modiano déplace
La même_ leur propre énonciation: une voix destructurée,
ses effets' s,éle_
cause de cette situation et d'un traumatisme vant depuis le gouffre, dicte Ie cours chaotique d'une histoire
qui se lisait
virulence antihumaniste des premiers romans' susceptible d'être la sienne, dans ra place d-e I'étoile, Rue des
d'extrême-
aussi comme une parodie "uttitiqttt des discours boutiques obscures, La petite Bijou, Des inconnues (deuxième
sur
ãtãit" musclés, cède Ia place à une interrogation inquiète récit), Accident nocturne.
Ia figure du sujet vulnérabie' Si une vision commune rapproche patrick Modiano de ses
contemporains, c'est celle d'un univers frappé de désenchan-
UNE ONTOLOGIE DU VIDE: UÊTRE EN
PERDITION t9ment.,{yant perdu tout sentiment d'appartãnir à une collec-
Lécrivain élabore un certain type de pelsonnage
en perdition tivité identifiable, çlue des valeurs inscrites dans la clurée
iclentification crédibles granatissent, I'individu perd celui de sa propre conscience.
faute de pouvoir trouver d"r -ådus d
jamais éprolvé Encore cette idée de désenchantement ne ienvoie pas ici
ãì ¿tt ty",èmes de valeurs fiables' < Je n'ai
la pensée qu'elie à l'effacement du sens du sacré cette crise caractélrise le
,rn* trOr'grande confiance en mon identité et -
le narrateur cle précédent tournant de siècle - mais à l'absence de toute f'orme
ne me reconnaÎtr"it ptrl' m'a effleuré écrit
>
de sacralisation substitutive - la crise actuelle porte sur une
Villa triste (Villa trisie, O Éditions Gallimard 1975' collection dépréciation des ordres de grandeurs culturelLs, une défé-
modèle proposé
Folio ßzz,p. 103). Nul repère transmis' nul
une identité tichisation des structures d'autorité, une relativisation cles
ne permet aux persontug"t d"e-se construire figures du pouvoir, un discrédit des idéologies majeures qui
culturel' ces états de
;;o;r" et cette siiuation dã vacillement faire corps avec furent celles du xx. siècle, Nombreux sont les comrnentateurs
ilotiemunt intimes suscitent une incapacité à
eux-mêmes, à s'invànter un équilibre' À cet
égard l'ceuvre de - philosophes, sociologues ou économistes _ pour lesquels
ia proximité cette crise se développe depuis la fin des annéeJsoixante-dix.
Patrick Modiano n'est pas såns s'écrire dans Patrick Modiano en déplace l'origine dans le temps. À lire ses
allemand plusieurs de
de ceile de Peter Handke, qui traduit en romans, cette crise s'inclut dans une série d,ondes de choc
Du plus loin I'o.ubli'
ses romans et auquel l'écrivain dédie .de différée depuis la seconde Guerre mondiale. un imaginaire
L'unetI'autredétaillentlesdifférentesmanifestationsd'une catastrophiste de I'histoire conditionne en cela ,or ä.,rrru.
même ontologie du vide: aucun garde-fou
ne retient les
d'une aspiration par ie Sans qu'il en théorise la vision, l'état de crise diffus, propre
;;;;;;"";es {u'ils mettent en scène
caractérise le vieil homme à son univers, trouve ses origines dans les événemerrtå ¿Ë
ta
iouffre. Ün éiat de déréliction vides cl'un Shoah, qui ont floué tout ordre de valeurs possibles, et dans la
i"gurdu.t inlassablement tourner les bandeséprouvant la période de I'Occupation, qui a porté à un point de décomposi_
-lg"ãtopÌt on" (Un" J"unesse), la-þune femme tion irréversible toute structure collective. Le licite et I'illicite,
celle qui se
tentation de se ieter dans la saône (Des inconnues), je.unesse le droit et l'interdit, le juste et le tort, le bien et le mal,
de la
prã"ipitu du háut d'un immeuble (Dons Ie café comme des catégories acquises, rattachées à des systèmes "o"f",
Ia chambre d'un hôtel milanais
þrraia, se suiciáe dans de voiture en fuyant de valeurs tranchées, se sont effacés pour des raións qui
ivoirgá a" noces),périt dans un accident
,í.
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
103
102
initiatique
fin définiti ve' Accident nocturne formule le sens
personnage qui
égards, les récits de Patrick Modiano mettent en scène
lusion d'une telle herméneutique. Le personnage-narrateur
l,il_
attribué à des situations accidentelles pal
un
leur enchaînement autant échoue à dégager un degré de ãonnaissance satiifaisant
;;ñ;"" malgré lui impliqué dans
dÎI::Ïl-'J':1":t:"t événements vécus, qui lui permettrait d'affirmer au terrne
des
que par ie nairateu, q" iI eìt appeté.à ""
d'importanl d'un itinéraire marqué par l'élucidation de situations opuq.,u,
iä po'ittt d'apprendre quelque chose Ï TÎt;T:Ï"
(Accident
vie> une identité de soi enfin révélée. c'est alors la fiabilité àe iout
;ì ñi-p;ri-'att" "h"ng"täit le. c911s de ma< C'était là, à I'un roman d'introspection et de tout récit autobiographique qui se
n-oìlurü",O Éditions Cäilimard 2003, p. e5),
chose d'important trouve remise en cause dans le jeu d'artération auque[s'adinne
ãã étages, que j'allais apprendrequ^elque
"tt
;;t ;" ,riä, (¡bi,i, p. rs)' ie simplé fait qu'il y ait narration l'écrivain avec leurs modèles littéraires respectifs.
approche'
,äir"rf t",ive'dénonce táutefois liillusion de cette différées dans
à;;"fi" atteinte d',,,n" vérité de soi, toujours Ligne éthique: l'écriture contre I'oubli
en temps ¿e
un ailleurs ¿" tu ,ãJr,", en temps vécu comme cette fuite
vrai que L'acuité extrême avec laquelle patrick Modiano représente
narration. Þìn temps d'c"ut"e, auisi' s'il est
superpose, à celle une humanité détachée des structures élémentaires et des
du sens ioue à une troisième stase' qui se
de l'anecdote et à d" récit' De livre en livre' l'énigme rle valeurs fétiches de la civilisation moderne ne saurait toute-
""ii" nocturne via La fois se comprendre comme une marque de nihilisme, Si les
,"i * áepface, d'Un Cirque Plss2à Accident avec Ie mystère récits mettent en scène, sous l,apparérr"e d,une enquête qui
Petite Bijou,roman du"'iuqttul elle se confond
ãtr; ""; áe village, Fosso'mbronne' où la fosse - ce que l'on n'aboutit pas, la précarité de toute démarche de connäissance,
enfouit - ie disputé à I'ombre - ce qui reste
ténébreux - et que ils en manifestent pourtant, par leur incessante pratique, la
Dans -Lo Petite Bijou' nécessité et Ie caractère indispensable, s'ils se présåntent
lbn retrouve dãns Accident nocturne' du surnom
roman, l'un des personnages, secondaires'
hérite comme des condensés de vanités, déclina't quelques motifs
Patoche' qui identiques - le vide, le mal-être, la fuite, la perte _, il, irrt"r_
attribué à I'écrivain lui-mðme dans son enfance'
rogent aussi la capacité propre à la littérature de résister à
apparaît également dans 'Remis e de peine'
De Ia sorte l'écrivain met à mal I'idée d'une
vérité intérieure l'oubli et circonscrivent les possibilités d'une éthique mini-
ou de remémota- male de la mémoire. Toute l'æuvre s'inscrit dans cette ambi-
enfouie en l'être, qu'un acte de conscience
tion pourrait extrJire et formuler clairement' Il discrédite la guité première, dont témoigne Ia figure même de l'écrivain.
comme S'il ctltive l'image d'un être d'incertltude, hanté par un passé
;;å;;;;n quelque secret intime qui constituerait qu'une.exploration familial et altéré par une anxiété propre suscitant en lui un
un cod.e ontologique de Ia p"'so"tã et
dernière parvien- sentiment certain de désubjectivation, l'écrivain se ressaisit
mentale de la vie et det origines de cette
parfaite coÏn- au travers de cette mise en scène elle-même. Il manipule les
drait à déduire, instituant lei conditions d'une
cidence avec soi-même' C'est le culte de
la transparence et données de son histoire familiale et s'invente, à défaüt d,u'e
grecqu:.- l" personnalité assurée, une identité mythique. À Ia figure d,un
l'iilusion propre eio"t "" pan- d-e la philosophie
- Lt de la pensée chrétienne -Difs ef
I'exa- personnage-narrate,r égaré dans les dédales de la ville, de
< connais-toi toi-mêm"
' Dans l'histoire et de sa propre existence répond celle, toute litté-
men de conscience - qui se trouveñt contestées'
que (i)'herméneutique de soi raire, de l'écrivain qui construit, d,un récit à l,autre, une
écrits,Michel Foucauli affirme <
et
se foncle sur l'idée qu'il y a en nous
quelque chose de caché' labyrinthique dont lui seul maîtrise Ie plan et qui s'ins-
Tüvr.e
de nous-même' une titue lui-même comme un intercesseur du purrO. Ainå convo_
que nous vivons tou;ouis dansl'illusion
À bien des que-t-il dans Do¡a Bruder la figure, paternélle, de Victor Hugo
illusion q.,i -"rql"*i" tã"t"t> (Seuil' 19BB' p' 810)'
'108 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
109
dont son incom- autre vie une amie du photographe pour lequel
second voisin de la douleur métaphysique' il travaille.
événernents' Ia mémoire enregis- simples lieux communs? L'éãrivìin äntretient
ptãf.""ti"" est la cause. Des et à
a
le doute, comme s'ir résistait à la tentation d'un "nuq.,Jroi,
ir" priorité ce qui échappe à leur sens' en situation
la merveileux
"n
tãrme. il n'est dond de souvánirs que pathétiques' comme de pacotille autant qu'au simplisme d,un rationalisme
Des éléments parasi- À lecture des faits åutobiographiques reratés dans borné.
;h.;t" citée le suggère par son "mphut"'
ténant le sujet à l'écart de la gree er rapportés à plusieurs épisodes romanesques
un pedi-
i", t'o"".,pent, faúãnt diversion,
pour des récits
situation äu faisant signe vers quelque réalité parallèie' antérieurs, l'écriture littéraire semble toutefois
trouver ãons
en les
un écrivain q.ti conreive des surréãlistes la croyance clef fexpérience de la paramnésie sa plus parfaite
métaphore.
pir"""-¿"", ã., hasarcl obiectif mais ne possède plus la À des degrés de vaiiation distincts;"h;ö;;;;i
ä;ïi"';""
de leur décrYPtage. séquence de vie réelle, la différant dans urr*
p"rrår.rr.tite
Cette écrit.tr", infr"ordinaire, privilégie' dans I'exercice proche et une histoire autre. On en donnera
i*__
d'autoconnaissance,Iacollectededétailsmatérielsaudétri- ple l'épisode de I'internat en Haute-savoie, lors "å__u
de l,adoles-
impor-
ment de Ia reconstitution des événements supposés cence, dont une première version romanesque
est présentée
de
tants, Comme pour Georges Perec, I'écriture infraordinaire dans la deuxième nouvelle d.es Inconnues et une
deuxièrne
de la
la mémoire recoupe i'apiroche des états infraliminaires version autobiographique dans Un pedigree. C,urt
.r,, _O_u
t-a muttipiiãation de détails anodins renvoie au traumatisme qui se met en scène urru" d", traits
"onr"lut"". les récits variablÀ, _
fonctionnement d'unå mémoire obsessionnelle dont un pers_onnage de jeune fille ou de jeune homme _
symbo- mais un
se font l'écho, sans toutefois lui offrir de résolution décor identique (la région, I'atmosphóre, le lieu,
iiquá que des cadres d''ensemble comme I'occupation lu io.,,
",ttt. phéno-
présentés comme i'humains), dãs détails semblables "tiÁìì, _ un
et l'enfance, trop généraux pour rendre compte des transistor pour seule distraction, un(e) camarade
qu'il pourrait y renvoyé(e) _,
mènes narrés. Lteuvre défaii par là même ce des^arrêts sur images similaires _ les.toilettes
sans dont l";;;;i",
avoir de systématique en elie' Elle expose des obsessions ne ferment pas comme privation de toute intimité.
La fin du
t".,, urrigíer d'objåt exclusif' Léthique de l'écrivain se fonde récit de fiction - Lrn meurtre se rit alors rétrospectiveme't
sur cettJconscience des Iimites de la mémoire'
douloureuse -
comme la réécriture hyperbolique d,une scène
pár"* qu'intransitive, Ecrire revient à coliecter des scories d" ,u profr"
adolescence par l,écrivàin. peuì_être aurait_il,
ã^ns poïrroir les restaurer en quelque système
rev|val suscep- a l,imågeïu
tient Ia personnage inventé, liquidé par un acte radical
tible d'exprimer une vérité retìouvée du temps' Là-se sa jeuiesse
des détails et son avenir, s'il avait vécu I'expérience de
iJ"rii¿ de l,hypermnésie: la saturation l,internat
une voie sans issue, non comme un simple < "o__"t
på"t "iirriq.,"
iamais désigner que la décomposition
des ensembles' faux aOp"rf,
Quartier perdu ernploie cette dernière expression pou deri_
""
comme ie troP Plein la Perte'
Ia param- gner un début de vie à risques situation
Autre phénomAne de dérèglement de Ia mémoire: -
romanesque de plusieurs récits comme [Jne.
qui cons-titue l,axe
vie qui serait parallèIe' ou
nésie, ou conscience partiellã d'une braves garçons_, La paramnésie, mémoire
leunesse ou De sr
auiourd'hui' LhéroÏne de parallèle des événe-
aurait été antérieure, à celle menée ments vécus, double I'existence biographique
L-o- iit¡t" Bijou aff-irme vivre pour
la seconde fois un épisode comme la litt¿-
récit des lnconnues avoir rature, conscience seconde du mondì, le
il ;;; p"tsé, celle du cleuxième
fut élevée' un
prìncipe de réalité.
La mémoire en carton-pâte, les souvenirs en
àãtAg,te'a sa place, dans le pensionnat où elle technicolor,
la reproduction à l,ancienne ne sont donc
douËle totalôment désinhibé d'elle-même' le personnage- pas les objectifs
une d'un écrivain bien éloigné en cela de l,idée
narrateur cle Chien de ptintemps affirme avoir connu dans dä rortulgi", _"i,
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
114 115
qui écrit à rebours d'un scand'ale : i'oubli' phénomè""..q1i fami'e, nouvelles proches cre r'autofiction dont (J, pedigree
s'apparente pour lui à quelque seconde.mort' Lécriture
litté- constitue, dans sa cible biographiqr.re, t"-v"rr"rrt
,uir" f""i eir subvertir'le cours à partir du moment où elle De l'événement passé, les ùcits rendent """iåj"ó,
alors sensible le
manque, par une,structure fragmentaire
s,inclutdansleplocessuscontré,mettantenscèneàlafois et une t""àïl"u a
que l'effacement, l'épuisement c onstãtuìli
sa propre résistánce à I'oubli et ia dimension dérisoire au, phr";;;, iãï" iiipr i_
s'il hérite du sens de l'adversité opposé de
revêt, cation d'espaces blancs.entre des paragraphes
éclatés. Ils en
". "o*but
hautetraditionàlaloidutempsparlesécrivainsanciens, constituent aussi le comble, inventànt
une fiction substitutive
des événements, qui procède a.,r,
Modianoévincetoutemythologiesuperfétatoireenlamatière, _ìr" en jeu de la mémoire,
de ses partis pris ef ses altérations.
cettecroyanceauto-instituéeenl,immortaiitédeetpar celle du jeune couple suicidé le 2+ avril
Histoire a,rr, _ãrriru,
l,æuvre, tälle qu'elle se transmet d,Horace à Proust...
Lécri- 1e3i;;;';;;ä;"r_
à évoquer des IemenI parisien, qui ouvre FIeurs de rutne,ou
t.,r" ,,ãppose ä I'oubli quand elle s,attac.he de Dora, les raisois cle ses ilg;;; i;,
ra personnatité
¿v¿ne¡nånts ponctuels, référés à un passé situé dans le temps, circonstances exacres
cle son arrestation, de son .-piirorrrlement,
googtá;hiq"åment cadrés, premier-deqlé +.T" tentative rhéto- de sa déportation,
de sa mort en 1g43, dans Doia nr",aàr.
,iq.," ä'"*þression du passé par Ie détail' Mais Ia mémoire jouer les interférences cru temps
Histoire d,un comble:
et l,écriture fonctionnent sut un mode associatif : un
événe- contre les intermittences de la
même du contexte mémoire. Fleurs de ruine et òora Bruderétablisseni;ì;r;r.,
ment en appelle un autre indépendamment
correspondances entre
respectif'del,unetl'autre,cequilesvoueàdérivertous décennies suivantes, déplaçãnt _1,époque d,origl.ru arroluå"-ã,"f",
deux en solitaire loin des circonstances réeiles qui furent
les l,ob,ãirru.ratif de l,événement
lui-même vers les raison,s qii p".,rr"niiur
Ieursetcompr.omettouteentreprisedereconstitutionarchéo- conferer une valeur
logique. Il en résulte une tension' fréquemment observable ît {ii'q sens par-detà sa sãulà actuai,,¿.
X'i" pää'å" ,;,r,
et la
àä]f"r récits, entre l'exposition laconique des faitssitua- de l'événement, l,écr.ivail.,oppose les
fostulations de l,imagi_
i trame complexe qui les ãéveloppe, une entrée en
naire' établissant à titre d'hypothèse d'es
liens entre lui-mêrne
et l'événement ancien, fuçõ, extrêmã
tion précipitée et une suite d'expansions-s'enroulant autour de raccorder le fil du
temps par la trame d,un récit. Dans Fleu¡s
d,ellá d" iuçon sophistiquée (structure d_e Fleurs de ruine, de rttine,tu ,r*.o_
teur se demande si certains pe.rsonnages
, no,ìo Brrd"r, Chien de piintemps' [Jn Pedigree)' Lhésitation qu,il u p.,
i ;ntre récit d'investigaiion et récit d'autofiction participe dans son enfance, certains
-iri".r* däns lesquels ir"o.rrr"it."
a évorué
de cette tension' Il Ñest de passé qui ne soit avant tout
Ia lieux qu,il traversés
I :," :utluill a
tés trois décennies pr,s tôt par le
ne furent pas ceux fréquen_
I ,*titution des événements par une conscience obéissant à
Bruder, il établit des rapprochements
.""pr";.i;iau.ï""riå.,
i ;á"fropr" Iogique. Entre l,oócultation des souvenirs et leur père, arrêté à paris p"itu police f.ançuire
eirtre llora et son propre
I q"rrËll" piace alors pour principe d'exacti- en 1943 , ã.,p.rOr"a"
^ltår"iiorr, sinon'n celle d,une écriture lui, dans le fourgon, .,rr"
i ,"de respectueux dãs événements, ;-nr,r" iiffe'qui aurait pu être (une)
plus proche de l'évé- Dora.
I à;;, l" L.,,,etr se déplace' tantôt au
tlr.le
i ,rement vécu, de q.,i en lui s'est irrémédiablement effacé développer sous forme cl,un épisode romanesque,
"" _ textes
I ;i r." p".,t s'énoncei que comme perdu (Dora Btudet' de
Un ces réfléchissent en situation re phénomène
priation mentale des événements pas d,apprcl-
Pedigr;"\1, tantôt au plus près de sa présence seconde'
sa
I que cela pose'
sés
"iË;ä;;;r;iJ;""
remãmoration dans un tu-pr autrõ et une histoire diffé- euete responsab'ité incombe
le lraitement de la matière historique, à l'écrivain da's
I rente, de sa fiction rétrospéctive (ainsi Voyage de nocel' du domaine biographiq"*, á""iãiiä;"r, que celle_ci r.elève
Bruder' el Livret de
' oremière version 'o-u""é" de Dora o' de l,histoire
.116 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets lT
un propre rétrospection et d,un doute
collective ? Certes Modiano inscrit son écriture dans critique par lesquels il en
éprouve les limites. L'écrivain désavoue
qui réponcl à une anxiété onto-
rapport structutant au temps pour cette raison le
togrq.,. - le sentiment d'uni vôIatilit¿ de la personnalité -.
et
:.?man Voyage de .noces au profit du texte Dora Brucler et, à
de son histoire l'intérieur de ce clernier, ra ientation présente
ã?iãif"gique - le sentiment d'un enlisement pa,ssages d'évoquer Dora autrement que
dans certains
familialedansunmaraisdecirconstancesquilarendentdiffi- comme la disparue,
celle dont on ne peut rien connaître
acceptable. Mais dans quelle mesure cette démarche q.,u le texte ne saurait
"ìi"r"""t
exploratoire dì passé ne constitue-t-elle pas une. forme
supé- présenter qu'en mrrtipriant des lignes"'tde
fuite. cu. qi"t-Lrt tu
de ruine, et à un moindre niveau pire des scandales ? se résigner à i'oubri ;;;"bri
rieïre d'occultation? Flettrs
entre le rus d'autant plus insupportabre qu'ir perd - ä;r"H;p"-
Chien de printemps ou Dora Bruder, cteusent I'écart les individus dans
compte rendu de la masse et les traits dô ãaractère inaivi¿uers
mutisme de l,événement initial, ramené au derrière le statut
les années trente pour commun de victim_e _ ou lui opposer une
presse d'un fait-divets survenu dans mémoire rétros_
pective^dans laquelle la fiction supplée
ie premier, au souvenit d'une rencontre entre le nartateut
et
.tïphotogtaphe clans les années soixante pour le deuxième' averees f ".,* "orr,ru;;;;.",
les Cette casuistique concerne en priorité un
à la petite annonce d'une recherche après- fug-ue. dans. '- texte comme Dcr¡a
annéãs quarante pour Ie troisième, et la prolixité,des
événe- B_ruder qui aborde frontaremen-t ru d,une victime de Ia
par la seule situation déportation. Mais eile porte a,ssi sur "u,
ments suconds, dtrdre intime, appelés re passé ru-iliul
narrative, qui parasitent le putt-é ¡tttqu'à Ie recouvrir
(cette jeunes années, ouverteJ depuis les "ir*,
premiers récits à toutes les
possibles d'un titre recompositions romanesques-au poìnt que,
prolifération renvoie même à l'tttt des sens dans Un pecÌigree,
l'écrivain éprouve le besoin d'étatlir à ru;r;i;;
äo*-" Fleurs de rttine). Dans les romans' le personnage-nar-
vérité strictement factueile. Il transmet certaines
;;;ii*"r" a"
rateur multiplie les questions et les hypothèses' les déductions informations
que la-recher- élémentaires sur sa propre vie et permet ainsi
et les constructions mentales, au fur et à mesure d,identifier les
passé le confronte à des zones d'ombre différents degrés de transmutation fictionnele
che menée sur son qui t".,.-i.,."rrt
(iiù tr¡tt", Rue rlei boutiques d'aottt)' imposés dans les ouvrages antérieurs. Mais
obscures, Dimanches
ia grille moins que ce récit, tout à la fois document
il il"-;i;i",
ì1'"i do,.ne des coups de pied dans la voiture et dans biog.uphiqrå
je de pri'se sur rien' paratexle critique, poursuit la démarche litt¿åirI-àå"i "t
aân, t'"tpoir qu'elle-cédeiait, mais n'avais expose les mécanismes. Le crédit et re ir
Tout se iefermait devant moi, je ne -trouvais pas la moinclre doute q",it t"oaïiàì.u
porter sur l'æuvre s'appriquent aussi à rui
fissure [...]> (Dima nches d'aoitt, O Éditions Gallimard 1986' et cela d'autant
fortement qu'il contrãòte ãavantage le lien-#J;;;üí" oi..,,
comme
p. 114). Tout est bloqué comme la.grille' rien n'avance -,
soi-même, la relation de fiabilité entre
i'automobile: Ie commentaire, qui s'applique aux événements re texte et son objet
narrative de vérité' Il n'est en rittérature cle posiìi-,
passés évoqués, agit aussi en tetour sur Ia situation
ne soit elle-même une production littéraire.
i¿il","i"rr"" i",
offrir de prise pour ìes
ã.rì I"t énoïc" uliérier,rement sans
romans nit son éthique, urru" .rirn humilité non dénué.
L,écrivain défi-
c'omprendre, Autant qu'une lutte contre I'oubli' ces á¿qì,i;;;;"
refoulement qui dans la conscience des effets cle flou-lue
pãtiã", alors sur l"* p.o"""us de.déni et de
part de jeu que cela entraîne. L'ambitiån
cela suppose et la
de
conditionnent le rapþort au passé et sur les phénomènes de t'hi"åffiapne
mystification qui ã""o*págnent Ia connaissance retarclée' le passé fämilial et à travers 1.,1, t,"rprüð.,,.
"n :f,-,":rrliauer
et d'urre époque _ semble en effer irr¿irro"'ià¡f_
patrick Modiano alterne d'uni¿cit à l'autre, d'une séquence à ll]1r*" ä"
ranrasme cte démirrrgie ressusciter
l'autre d'un même récit, les temps d'une illusion sympathiqtte -
tion cl'un réalisme Jbjectif ,"rr*Àùtã,
res morts, Bntre ra tenta-
sa
par lesquels le personnage-narrateur entre en phase avec - du, traces _ et celle
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
118 119
plusieurs personnages
1942 resurgit en L996. Dans les fictions'
puis incarnés par
féminins sont évoqJs en tant que d'isparus'
;î;Ë;";;;ã d,'iil"io" romanesqu" uo te"ottd degré - ils
n'existent qu'au ttavers des souvenirs
lointains qu'en consetve
s'achève Ie temps immaté-
le narrateur - et se Ai*ip""t quald
triste' Denise dans
riel d.e la rétrospe.tiãï tT"o"ne dans. ViIIa F'leurs de ruine
dans
Rue des boutiques àn'iu'"t, |acqueline
tttgtid' dans-Voyoge de noces)' I-lécriture
ou Un Cirqueporr"
ä;;;;iõectrale, q,t"ñd elle animeprocessus'ainsi des personnages
quand.ce débordant le
disparus, et tar"'eå"ne
I'histoire et met en scène
champ de la fiction, Ñuttit celui d'e
univers proche de celui
certains rescapés dás camps' Dans un Lazate'
áäi""" c"vroi, "", personnage.s' comme de nouveaux un retour diffi-
tombeau'
vivent, après I'épreot" d" Ia ñrise au
de Rachmann dans
cile à Ia vie ¿e tous tes jours (personnage
lr
rì
I
,ì,
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
126
127
la France [Dons Ie café de la jeunesse petdue' O Éditions sitifs de fiction, font_de l,écriture l,agent
cle d,une i'vention
soi permanente, oLr clocuments littéi
Gallimard 2oo7, p.41), tantôt dans quelque lieu de vilié-gia de
t.,.* s.,irr" (Accident nocturne, O Éditions Gallimard 2003' la fiction fã.,, t'o.,'rer à des fi", d:i"',rliì;:ï::
p, 146). De même, des signes électrisent les décors urbains fondie les antinomies figées de ra raisorr. "îîi,l:
tu .aniÀ" ,"'.u"r,
ãt hypnotisent ceux qui lis peuplent, éclairages de bateaux- la logique/l'imaginaire, lã moi/le rnonde,
la vie/l'écriture ? Dans l'un et r'autre cas,
l" p.ér;;;fåiirru,
filtrés par des volets fermés et
-o.,"h* ou néons d'enseignés r'æuvru
projetant aux murs d'envofitants motifs (tJn Cirque passe' La généalogie et r'écrivain s'invente une ".,rti.ro ,u
doubre rir*iäi,'""rr",
Þ"tit" Bijou), réverbères nimbés de brouillard dont la lumière des grands haltucinés qui. de Restif
de ta e.eìå;;; u;".,,
nocturnl engloutit celui qui se tient auprès d'eux (Fleurs de Genet, de Gérard de Nerval à Marguerite
Duras, ont inventé
ruine). Dans un environnement familier, un passant-passeur l'autofiction avant la rettre, dépraçínf l" pu.spuciir-""täir"_
reconnaît les ultimes traces d'un décor révolu depuis des graphique de l,accomplissement ã I,u""o_pagnement
d,une
décennies: ainsi, dans le même roman' de I'ancienne halle
au vie; celle des manipulãteurs de formes qui, clAndré
dAus- Breton à
a" fussieu ou des entrepôts longeant naguère la-gare Sophie Calle, de René Crevel à Hervé Gulbert,
t*lù""g; f",
"i"
terlitz. Des êtres disparus resurgissent au hasard d'une tue marges de la littérature,.guidés par une
exigence intime (se
sans qu'on sache vraiment qui ils sont' Lintrigue de- La
Petite dévoirer) indissociabre d'un impäratii éthiqJe
reconnaissance de la mère tt¿^åìä"å, a"
Bijouà*construite sur la sCèn" de phénomène humain),
supposée morte par une jeune fille qui en est séparée depuis
I'eñiance, sans que I'on sache s'il s'agit d'une réalité effective, ARRÊT SUR OUVRAGE: DORA BRUDER
à'.lr." illusion d'optique on d'un état de confusion mentale' Patrick Modiano affirme avoir découvert
De même I'épisode de Ia fiiature, par le personnage-narrateur numéro du quotidien paris sorr daté de
fin 1988, dans un
d,e Qttartier perdu, d'un personnage présenté comme mort
et clécernbru rô+r,-rLrri,
de recherche d'une adorescente nommée
qui ie pro-ån. pourtani chaque soir dans les rues de Paris' alors
Dora Bruder. Il écrit
de un
,"lon.- lent cérãmonial, au vólant de sa Lancia' Ailleurs' des _Voyage noces, roman qui propose
sur plusieurs décennies |histoir"'d'.,n" jeune
en l,étendant
êtres que les personnages croyaient à leurs côtés disparaissent fiile enfuie
dans le Paris occrrpé. Sept ans plus tard,
brusqùement sans quã nul sache s'ils se sont enfuis ou à la démarche qui consiste à råcouri. ã ru fi"tion
il désavoue une
iettre volatilisés (,Acci dent noctut'ne)' pour ã"á1""ì r"
mémoire d'une personne réeteme't disparuå
Un phénomène de glissements caractérise ainsi l'univers' circonstances. Autour du même projet,
aun, aJi"tlu,
l'écritirre et la figure"-O-u de l'écrivain. Lie' de manifes- Ia place à Dora Bruder, publié u"
Voyoge de noces cède
tations irrationnelles, la réaiité recouvte des périmètres tSsr. Dans ce livre, l,écri_
vain se situe < du nlus loin cle l,oubli >.
surréels que le texte explote, à la croisée de situations ple de la famiìte Eir'der, res victimes
Il évoque, p". i,."""_
factuelles ãt de phénomènes psychiques (l'enquête' situation clc ra déporratio'<oui
laissent peu de traces derrière (D-;;;;ä;;'öÉåilå,
type des intriguôs, prend à cei égard une dimension métapho-
Gallimard 1992 collection Folio"ll";,;
tíä""), Ce quã les romans présentent comme une hypothèse guerre n'est pas abordée par
19gg, p. 2B). La mémoire de la
d" fiction ei les lecteurs valident comme une clause de genre, envers anonvme: r'écrivain
son rru.rurrì héroique;;ì;;;r-;""
les récits cle soi I'exposent comme une expérienge vécue' travaille l'oubli ¿à,rr t'or¡ii, ptì,
Leur natute semble ìot " ploprement indécidable: textes ]:_a:^TO:
r'Ucoule, plus les traces a" t,t irtoire
une écriture de témoignage
s,effacent: seule
d'affabulation qui, en inc;luani la matière d'une vie intime phénomène d'érosior. Ã.,*
permet alors de lutter contre ce
et la présen"" d.,t" personne biographique dans des dispo- uttut, a" t"Àf, qui passe s,ajoutent
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
128
129
du
de surcroît ceux de I'histoire qui se fige' La déperdition cement: far;e au temps qui estompe
ì,horreur, l,écriture en
des événements dans le temps réactive les traces. En-celå noro
f"rsé résulte de l'éloignement nìlíà"i: s,inscrit dans re projet
inais a'ssi de l'élaboiation d'un savoir historique détaché
cle littéraire de l,écrivair,
vqr', mais f"i L;urllere une envergure éthique
'rorD rur
toute confrontation directe avec les faits. < Si ie n'étais pas là maximale, "ã"i.¿*,;;:. ";;:i::"^ïf
pour l'écrire, il n'y aurait plus aucune trace de Ia présence Le recit se présente comme un
dossier cl,instruction, avec
de cette inconnue et de celle de mon père dans un panier
à une victime, Dora, adolescente juive
> (Dora Bruder' morte en déportation
salade en février 1942, sur les Champs-Élysées dont l'écrivain tente d" ,*"o,rrili"Jt
ii,i"araire personner entre
ôÉJitiont Gallimard 1997, collection Folio 1999' p' 65)' La décembre 1541 et décembre 1s42,
età*, les autorités
question du traitement possible de-l'événement par l'écri- du Paris collaborationniste,-app"i*î.rrrare "or.publes,
des comptes. Une
är" ," posa d.'emblée aux rescapés des camps' Le récitproxi- était enquête de terrain, une étude de
fond, d;;;;b;;;ä"üä""r,
,ré""*r"ir" mais la fiction impossible, en taison de la étayant I'une et I'autre constituent
tu'aorriur. ï,ã"ô.åîäï""¿"
mité de l'expérience - pour ceux qui, alots' rompirent le par l'écrivain afin d,évoquer lu fig";;
àe Dora Brudur.ug.o.,pu
silence. Les recits de térnoignage s'imposèrent et les premiers des visites dans res quartiers où"ere
vécut, des consultations
romans vinrent plus tard non sans stlsciter la controverse d'archives dans les éåoles, le, mui.iur,
la préfectu."
(André Schwartz-Bart, Le Dernier des iustes)' Aujourd'hui' des rendez-vous auprès des r".ui"år"åà-ffiäi,f, ää0"ii"",
pour Patrick Modiano, c'est au contraire I'éloignement même bles de le renseignui. so,r itinorairãiåror.n*r iií"i',,_
un est reconstitué:
äe l,événement qui invalide l,usage de Ia fiction et impose une fugue le 14 décembre.1941,
la jeune fille, interne
récit-témoignage, comme Fleurs de ruine en avait expérimenté clans un pensionnat religieux, "lorr'q.,u
a q;i;. ans (p. sb); un retour
la pratiqueä ¿"t fins privées quelques années plus tôt' - à son domicile le lz avril1sa2
@.'B7i,ir"
-á,.,r, .*"orrde fugue, non
tviui, q.," désigne au juste un récit-témoignage quand cehri datée, suivie d,une arrestation p.,is
retour
qui le it'" pu, ut"isté aux événements et ne saurait le 15 juin 1942, son père ayant åtJ-u,rìr._tnmps chez sa mère
"o-por" arrêté (p. ror);
pour cette raison prétendre en témoigner à la.lettre,ni les un internement quaire jour.s plus tu.Ju,
camp des Tourelles
',rur.". de façon directe? En réponse, Dora Bruder déplace et à Paris (p.60);le transfért a
glissent
nrancfi" rs uott 1942 (p. r41);la
tãU;ut testimonial et Ie support narratif. L'un et I'autre déportation à Auschwi tz
vers leurs échos' de .le .18,"p1"rnr" 1942. Cetteenquête
du passé vers le présent, ããs événements donne matière à une ér"du r'i'toiiq"u. L:¿".r"ãril,ìini"
la déportation des juifs parisiens vers leur souvenit' conservé personne partic'rière, Dora, à r'e.toùraqe ä t"
familiai-- i"r" p"iår,
dans les archives ãu inicrit à même les murs de la capitale' -.et de.l'entourage rämiriar e r'unuirãni*m*nt culrurer
immé-
Seul un texte second, d'inspiration littéraire' peut donnet
sens diat - les fami'ãs de.li,n,rrig.utio"
paris des
àcetexteéparpilléhorsleslivresenluirestituantuncontenu palrvres' à ra Goutle-d'or. Les"B.rder i"i"". dans le
constiluent un .*uLpr"
- un visagé, dirait Emmanuel Levinas - et une émotion - en appliqué des persécur ions anr i¡uives
merées par Ies autorirés
deçà du fathos, au-delà de la compassion, l'émotion définit lrarrçaises pendanl I'Occupatior.
r,ã,,i"..rr les rappelle scrupu_
l'iåplicaiion éthique de celui qui témoigne et raconte du plus leusement; l'ordonnance du
2 0crobre 1g40 (recensernent
obli-
loin de I'oubli. Seule cette imþlication entretient' au regard gatoire dans les commissariatsJ,
le por,ìu l,¿ì"ifá lil"lï'rnn',
d'une humanité dont l'écrivain se fait Ie passeur' le sens
de la systématisation ctes raftes (¿;é
barbare rendu officielle est de la sorte réactivée,
i;;;;. Mais si une histoire
I'événement, un phénomène de régression les existences singuliè_
possibie par la stricte appìjcation de règles et de lois censées res qui la composent
disparaissent.'La facurté de J¿rie,ï"ià"
ã¿firri, lLsprit d,une civilisation et le bon fonctionnement (les lois et décrets
antrjuifs) ru r.r¡rtitrq fu.,tu d,i'formations,
d'une société. Seule elle réagit contre le scandale de son effa- à la capacité de reprér"ntution-iã"'{"årr"
façon res Brucler
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
130
13'l
I
Lire Patrick Modiano
134
ri
(Dora Bruþn
- le mot <don> n'étant pas Ie terme exact [' "]> Chapitre 3
o Èáitiå", Gallimard r^9g2, collection Folio 1"999, p. 52). Par
l'écri-
;; hyp"ttensibilité qu'on nommait jadis < prescience >'
;;;td"
I
139
varie les angles d'approche. La question historique appelle Gallimard 1968, collection Folio 19ZS
celle de I'estÉétique: õomment représenter le passé depuis ses tupu.ro.,.,u,u] iäì."t",r.r.,imcmu;u;,å"Í?;"Ìr,ff
séquelles, psychiques et culturelles ? Comment mesutet' en ,irjrårrrîirå
arnont et en aval de leur déroulement, I'ampleur d'événements ff,äåiiiì:ili#'iJ::"ïîi,'"î"',î:,9ï:h:¡;,ïïJiïu.,
lslclleuse' les
comme Ia Collaboration, la déportation, Ie génocide? La rela- mes de la convärsation mondaine automatis-
tion nouée par l'écrivain avec le champ des études historiques très importanr pour vous mais il - 9: Madeja est
maintenant
participe de ces multiples préocclpations' "";:l;"^,IF
ver querqu,un qui vous mettelrrur-"o'u"orr trou-
Ses ãebntt sont cõntemporains des travaux menés sur ;p;
1" .q i, "' "l . ú"1ï r .p ". i*; .l';'i îî
I'Occupation qui mettent in avant la responsabilité des Gallima¡d 197b, coùection Fälio 1977, ":T,Jilî:å
; JË r'iî:
p. s+) ou Ã"J* _1"
autoritås politi[ues françaises dans_une étroite politique_de lui. ai.expriqué que Maurois était
un romancier juif très doux
Collaboration, entre autres dans la déportation des iuifs' Les qui s'intéressait à la psychologie féminin
trois premiers romans de Patrick Modiano ainsi que Lacombe
(Villa triste, Ibid,
p' 63)' Darrs prusieurs récits ".rrtéri",rrr, e->
Luciin entrent ainsi en résonance avec les travaux de I'his- re motif du déraci-
nement, des racines rurares absentes,
torien américain Paxton, suivis de ceux de l'historien fran- a" r" p.ã"i"ìä iä.a""
exprime à chaque fois ra rangueur
I'écrivain malmène d'une identit¿
çais Henry Rousso. Comme ces derniers, mélancolie du juif errant. C9 molif prend "pì,iiä", r"
ia lectureïfficielle de l'histoire - l'État français ne serait pas tour à tour la forme
d'une région mythologiquu (tu sologi"
resoonsable des crimes de I'Occupation puisqu'il n'y avait Poupée blonde, Fleuri ãe ruine,
dun, Livret de-ia-ü¡tt",
plus d'État français pendant cette période - et accompagne D"o", I;-;;ft'år"å"¡t"ir'r'årr"
rl
perdue), d'un nom de village à
I
ãrrt"rrt qu'il Ie rii-ni" Ie retour du refoulé vichyssois dans (Fossombronne,
la conso¡ance magique
I
la consdience nationale. Dans cette perspective, La Place de
dans ta eetit|Ai¡ouit A""¡a"nt
nocturne) ou
d'un oncle qui, en quête dasespe"ãe ãir.rr"
ll
I'étoile peut aussi se lire en parallèle inversé avec les travaux gne lui tenant lieu de maison ¿u
maison d"
du r"rr,und Braudel qnurd. ce dernier vise à atteindre les "u-pu_
ramiltu, bat rittéralement
lr
la campagne (Livret de
IL
couches profondes de u I'identité > de Ia France, inscrites famille,
est alors, chez les Français ¿" "rl.irorriu
du sort: la mode
ll
dans une durée qui traverse les siècles et modèle I'incons- ,orr"t a, à l,exotisme, et les
pierres et poutres des fermes à r'ancienne
I
cient collectif. Là où I'historien, confronté à la disparition à un mo.ulin d'inspiration asiatiqru,-",,
ont cédé ra prace
d'une France rurale vieille d'un millénaire, entend sauvel
I
grand désespoir de
ì
celui qui, en mal d'enracinement,'s'entend
de I'oubli certaines valeurs culturelles nostalgiquement vanter les mérites
lr
du dépaysement. Évoquant sa recture
ã.roqné"^r, I'écrivain entend rappeler comment, depuis
il
Ie adorescente des Déracinés
enraciné dans les menta- sous les conseils d,un professeur
Moyãn Âge, un antisémitisme s,est de français, patrick Modiano
écritdans un pedigree: <Avait_il senti
lì
li litéä par lä biais d'imageries liées à la terre et au terroir, puis que ce qui me man_
quait un peu, c'était un vi]l¿gs
,'ert äp"noui dans la France de Vichy qui s'en fit.Ie chantre'
jl
I de Sologne ou du Valois, ou
Dans Lo place de l'étoile, il n'est d'invariant national qu'un gIÌ19, le rêve que je m,en faisäir ? lt; pedigree,o
Éditions
délire xénophobe dont le narrateur-locuteur se fait à son tour Gallimard 2oo5, collection potio" )oä0,
( p. 69_70). Encore
Ie porte-voii parodique et do_nt iI téIescope les clichés. : [...]
formule-t-il ainsi sur un mode autobiographique
ooi, ¡" dirige Ie juif mondial à coups de partouzes dence déjà prêtée trente un, pt,r, -tot la confi_
"o-plot sur un mode roma_
et dé millions. Oui, la guerre de 1939 a été déclarée par nesque au personnage-narrateur
de v,ra triste,
ma faute [...]. Oui, rêveãe ruiner toute Ia paysannerig.fan'
je avais rêvé de naître ã".,,
urr" petite "l¿oiir,i
r"i"
çaise et d,enjuiver le Cantal >
(La Place de I'étoile, o Editions comprenais pas qu'on pût reniôr "tii;H;;ã"rìåi,
re rieu d" ;"ri;;Ä;; j,
i-
140 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
141
ll
dre à la dénégation historique par la provocation littéraire. et littérature. Les deux guerr;;;ilì;i;;;;'1,"";ii:".
bien des romancier.r auJ-."pc*r -ããlär*i"ants
lt Dans ses auties livres, I'écìivain met en scène d'éphémè- en tant que
res personnages qui entretiennent Ia conscience de la faute foyers dépressionnaires. EË;;;q";t un retour en barbarie
I
de
ans, il met en scène certains aspects fréquemment-occultés
la Seconde Guerre mondiale, mais aussi parce qu'il invente un
mode de représentation romanesque approprié^ à. la deuxième
vie des événements, celle qui commence une fois qu'eux-mê-
mes s,achèvent. Les héros d" t"s lomans croisent des figures
énigmatiques qui les ramènent à I'univers chaviré des années
trerite Ftàurs ãe ruine), aux années sombres de I'Occupation
par de
@n Ciìque posse), à un temps d'exil rendu nécessaire ils
honteuses compromissions (Vesúi aire de I'enfanc e)' -quand
n'errent pas à Iä recherche d'une identité flouée par les années
sombres (-Rue des boutiques obscures).
Depuislemilieudesannéesquatre-vingt,Iamultiplication
de rornans abordant I'une et I'autre des deux guerres répond
à I'occultation dont elles furent I'une et I'autre successi-
vement l'objet. La première guerle' sujet littéraire type entre
le début dés années vingt et Ie milieu des années trente,
perdit son intérêt au fuiet à mesure que s'affirmait I'évi-
äut"" de la seconde. Celle-ci suscita dès les années cinquante
r.rrr" i-pottante littérature qui accompagna Ia version politi-
qn"rrr"rit correcte d'une France dans son ensemble résistante'
accréditée par les principaux acteurs concernés, gaullistes et
communisfus, et les deui présidents phares de la Cinquième
ñJpublique, le général de Gaulle et François Mitterrand: ll"t
le xx" siècle s'est acheminé vers sa fin, plus le temps du bilan
critique s'est imposé, à côté des omissions de circonstance
et des imageries publiques. sans doute la distance rend-elle
possible ,.ñ" uppienettãion à Ia fois synthétique et profonde
ã", grrrrr* Ioin des clichés partisans, gloire intouchable des
héro"s d'un côté, discours brocardé des anciens combattants
d.e I'autre. Mais cette distance, iI appartient aussi
aux romans
de la combler pour mettre en évidence les liens qui rattachent
J des époques et des tragédies commodément reléguées dans
o Ie passé r. Ch"qrr" gu"riu est ainsj pensée par les
romanciers
en tärmes de séquelies existentielles plutôt que $e-9éq1ences
historiques. DeJondes de choc se répercutent d'elles à nous
et leur saisie prévaut sur les reconstiiutions des scènes mili-
les
taires ou les exactions civiles qui les accompagnent' Dans
récits, différentes situations seJuxtaposent et se superposent'
I
144 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
145
personnage se pose,
ce processus
du xx" siècle? Patrick Modiano déplace ces modèles en leur agit en retour sur le^Que,le
présent, traversZ par les multiples
attribuant une fonction romanesque qui les écarte de toute d'un temps en partie échos
aå, ;;;;J,",r""s : < senti
valeur standard et par là même en revivifie la valeur heuris- "mo"J
pression au creux de la poitrirru, J,ai une
.rìu fleur d";i'i;;;;;1",
tique. Cette inspiration s'obsetve à la fois dans l'imaginaire s'agrandissaient et me fåisaierrt'rrftoq.,er.
intime auquel les histoires empruntent, Ia composition des sol' Par bonheur ra présence J,étais cloué au
au -ã, iilres me rattachait
récits, l'usage des mots, le rapport à l'écriture conçue comme présent' > (Freurs cre-ruine,
o niiiiàïr du seuir 1991, corec-
an
processus inachevé. tion Points Roman 1995, p.
tZz), ntlá narrateur d,en suggé_
rer les raisons. < sinon
tous les a'ciens d;;är:;;,.,"T""
leur rentrég au pensionnat
submergé de leur odeur t...1 "*, ai-anches-rà m,auraient
a. f"Jìi", _ort", > (Ibid, p. 122).
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
146
147
banalité extérieure des événements
Arrache-cæur, pétrification, crucifixion, noyade' morte qui en i-p;;;i" récit. Elle ,o¡i"it^tTlltés' -l'u¡gence intime
saison... à l'inveise de I'euphorie proustienne et du fantasme
paysage iniérieur.éd"itr;-qu"ulqÏu'" It décor u¡bain et
ã on réconcilié avec lui-même depuis un temps présent un
"otpt
reiointé å quelque époque lointaine, Ia scène de réminiscence
to";o"tt Modiano d'une pui-ssa¡rcg morti
"ri "mpt"itttu-chez
fère, qúi puise Äes raisons dans le paysage désolé de la petite äåäí:.îil:l**iç*;1iäïïËï","çtË'i,{i::i,":n3;;
enfance.
certains romans de I'oubli comme villa ttiste et Rue'des þ:r*:;,í;:{f::r#¿fl",;ï"1rt,Tll,:,{rü;t:ii:*
ãi"i'u""iu'tåtee;;cãlrî*;#;ï"1"".u""Ti.'J'"ffi
boutiques obscures calquent alors les mouvements sous- ïJ:l:n:
ture ne dissocie þas les
iacents d,une mémoire e-n train de se reconstruire et d'une
aux différents degrés au tu"orrurãu*ia réalité "or.urpándunt
iá""tite en train de se ressaisir. Des sensations' des atmos- placés sous domlnation
.orr"ä;:. si certains roäits sont
phetut, des informations, des anecdotes, des scènes s'agrègent Je ia (Dora Brudãr,
ät des états de conscience partiels et éphémères'
Pedigree) alors oue d'autres
place de I'étoile, à" "äiïài""""
rmrì"* élats ¡o.¿u.iìrru
un
(¿o
patrick Modiano limite les personnages aux plocessus subli-
"orrrtitr.ent La Ronde. d; l9s
semi- nouvelle des lnco11ues), la""it,î;'petile Bijou,la deuxième
*i"""" qui les animent, Ies situations aux degrés del'æuvre -"iãriie des textes déplacent
imperceptibrement re curseur-ã1r.ï'¿ugré
ãåirài.""', que leurs acteurs en possèdent.Il compose
l'autre. <Nous n'a1ion1 p¡i de conscience à
à partir d'une énonciation en état de choc - une voix
que
trauma- allongés sur le parquet, à tu
ñ;ä la vilta. Nous restions
tråversent, et qui entretient, Ies échos assourdis d'un lirieru áe ra véranda. Le chien
dormait au mirieu. du canapé-
iirÀ". il déptaie l'histoire vers des à-côtés - détails, incises, et ensoreiué'> (virra triste,
clãiãit un après-midi paisibre
digressionsl suspensions, esquives,-prétextes - qui tiennent ó n¿rti""r c;ilfi;i'iäfååì,""_
tion Folio 1e77, n. rzo). sãquencäälil_o¡ifisarion,
neî de dérivatifs et de progreJsion à l'oblique. Ainsi le person- de rythme d'alexändri;fq,ìt sur fond
de Quàrtler perdu se- sent lui-même désaxé ért*"if" _ Les feuillages
""g"-""ttuteur des arbres osciltaient d",i;;;;; <<
10
se ramène à une hallucination, celle du fils basculant dans la I'enfant devenu adulte se sent
cour
photo où figure le père et revivant à ses côtés, en état de trans- -1*-" q"'ull;;; cesse de le rrumpiriiable d'avoir rejetée alors
I'e fils file
þu.rrr", viãionnaiie, d.es scènes de l'Occupatiolt Ie présent ji,lì::*.:lationmè¡e-ri,s
îe père pour mettre à Ia raison un passé qui double
",il1":il3:'""JJi.1ä1;Ti":T
- tã ¿oü¡te doublement puisque I'histoire équivoque du père psvchanalyru, ru*¡iu;üJ#ff"*"Ïq:it
it héritées de
ta
se confond avec celle, tiouble, de la France. Dans Accident io;,ää;;il#i
ri c ité de c ette'erat
,#
à leur seu-le génératit¿. f,Ocriil;ät. ìï, ---."-' 3;
s.e,1 ra. sn
s' 5 €rt tenant a c i-
noctume, une séquence impose comme événement réel une ^.,- jouer
arors les sch6¡¡¿9
psychanalytíq"ur et refuse
scène de cauchemar alignée dans la suite des épisodes rela- toute sul
tés. une vieille femme, qui rappelle quelque théâtreuse alle- i,ri"" q"ii'pä.uit ele-même 3 unu-àir"i-
matricielle'
mande des années som6ter, fait le guet devant le domicile
àr, ""jlio]lit':l
"u,r"hu-"" tiu", autant du, ,u-rll
La mère
du narrateur, l,empêche de sortir de chez lui, I'agresse verba-
sionniste"ii"-""¿q"";;:?ilïti!ï:ilTr"r'#iiå""äïåî'j
Guignor' et ses écrats ïu.¡",r* urif.T","",
lement jusqu'au moment où, perdant son flegme, il la repousse la sorcière: sur fond archaTque a,x vociférations de
violemment. Derrière les traits de Ia délirante, ceux de la invente ainsi ouelq"u tigr.ã
¿ã'turrur., d,enfance, I écrivain
mère; Ie récit suivant, [Jn Pedigree, énoncera sur Ie mode du irreaì*"'q" ra malédiction
nelte. La libre äppropriaîion mater-
procès-verbal le sentiment de détestation éprouvé pour cette tiques et littéraires permet ainsi
àì_-"àäir", à ta fois pry"hãnuty_
i"--"; un récit antérieur, Voyage de noces, avait déjà institué deïettre en-formå1;;"g",
ta,psvché et de fijurer áäì
sur un mode romanesque Ie procès de la mère, en I'attribuant rîlf:r^":
qur prennent-d" I'asoect rrvpotrrèses identiraires
de scèñes roman€sques. Ailleurs,
à un personnage autre, sur un mode impersonneì, donc en le la figure ædipienne que r'écrivain c,est
N
l
tenanlt à distance: < Plus tard, quand il crevait de faim et de montrant qu,il n,est pai nécessairu
marm¿ne en iconociaste,
froid dans un collège des Alpes, la seule chose qu'elle avait pour souhaiter tuer son père,
d,ãt.u amoureux de sa
mère
voire que le patricide peut
cru bon de lui envoyer' c'était une chemise de soie > (Voyage
I
'151
Modiano écrit: < Qu'un père cherche à tuer son fils ou à s'en traces, comme une charade
de la r
débarrasser me semble tout à fait symptomatique du grand la ieunes_se pàra""l ou un poids te café de
bouleversement des valeurs que nous vivons > (les Boulevatds tier perdu). Le récit ¿¿"Ëfãppî ¡'urr oe la consciencê (euo¡_
-"lr"i,î1jDol"
de ceinturc, @ Éditions Gallimard1972, collection Folio 1978, de guider le personnage précis q,ri,
vers ru ,a"lLTYllir toi.,
p. 154). Le pastiche de discours psychanalytique se poursuit: enroui au ronã a" tui,ìþå;;äî:i:':ji::de quetqu'e
périphériques et d"'";;;iJé;ffi;J' {eseau de circÀ''o*
secret
u Naguère [..] t"t fils tuaient leur père pour se prouver qu'ils
avaient des muscles. [.,.] Nous voilà condamnés, orphelins que ã" tåt.orpäioi. p.u'a forme,
o1.,rt,111u."t.
Èñiii'låii
nous sommes, à poursuivre un fantôme en reconnaissance de ,n àtät dl;;;;it,,i¿P"li",:.ffrsonnase
confronté^ a se trouve
paternité >> (Ibid, p. 154). Il est vrai que I'intrusion sous forme événements vécr
ãe discours direct d'un schéma interprétatif de la relation sonpropre*i"î,;,;ht;",,å:"1ïå*+Litl j:ïff ïå:*:
fiction r"rp*J*t Ià, comme certains ré"cits de
père-fils à I'intérieul d'une scène du roman suffit à contami- une é"i:T'
sans solutio''
cheminemånt vets une vérité
ner de romanesque le sens même de ce discours et lui faire ¿'o'¿tutl9Ïl Ieur
rejoindre la ronde de Ia fiction. Modiano désamorce ainsi les
sembrentvouosàr".,apotruù*-äiä?ïä.ïläff
velléités d'interprétations sauvages en la matière.
nel dont its ignorent ,u å;;;;
Läii q"r prend des a'uràs ïîXîîff :
matédiction (Vi,a
En jouant avec les standards psychanalytiques, I'écrivain ?irtg, A^;;;Å;; d,août, Du ptus toin de
de
I'o ubl i' ve s t i a i re d u I',
!; ;;:öffi
i1
fait d'une pierre deux coups. Tout cliché réducteur écarté, r récits, pru s à ire ctement
celui d'une psychologie à deux sous comme d'une psycha- marqués par ra ieuness"e "fo'd" r'é*i""ì;,
"
tée du temps. Lécriture accomprissent ra remon_
nalyse de drugstore, il préserve Ia part de I'émotion susci- t."r"til";äLit, une *uiièru
tée par les drames de la petite enfance (Remise de peine).II fo,,d, à;;f"*;*xquels "rr"iurrs,
.1ffi f,î::,1îï.,n certaines Jtua_
évitõ de ramener la personnalité intime à un ordre de carac-
posruresd,"xhibiiil;:tîi:ilåqJiäif
téristiques figées, de rationaliser I'inconscient en identifiant
des causes et des effets systématiques, laissant ainsi ouvert
du récit, un récit rtes originer,î.l,ri_ilr,écrit ,"A*,f:1i"ffi
bilité de cerui-ci' c urt depuis l,impåssi-
Ie travail d'analyse mené sur soi. Il propose, en un suspense
en effet les textes. "åtr
ie;t*-" ä: la iationfque tendent
ontologique jamais résolu, différentes variations autour de la part d'une réminiscen"u,
E" té_"i;;;i;;r:;ructure en échos: rout
figureãe l'être décalé. Se cacher/être découvert: Ie jeu de la tend vers un fover rr"r, du, situations passées,
"oñduit
fiótion rejoint ici, dans I'expression d'une vérité intime qui 9^"_*;1*i;Jr"ffi,u",
dale d'une histoire.pervertie ressassés, le scan_
ne s'accommode pas de solutions tranchées mais appelle des a l" rã.,rä, au, p"""r*;;ö",
de familte, rr.r. ro"ùté
approches multiples et des bifurcations, celui que Georges soi comme Livret de
*.1{pì; ääîä¿u_"nts. Des récits de
P"i"", grand amateur manipulateur de psychanalyse, met en des ¡omanr
fynillà,.R";;;';; pei1e, Fèeurs de ruine,
application et formule dans I4 ou Ie souvenir d'enfance. "o*-. .o" ,!composen"t
ou Accident nocturne.se
L;;;;;;;;çons, (Jn cirque posse
situations diffractées dil cåmme un imbroglio de
UN SUJET EN QUÊTE D'ÉNONCIATION situations romanesques
i;-å;;;''L* mo b'es premiers des
sont differ.s ãá.r, .,r, temps
Outre I'imaginaire intime, la composition des récits parti- archai.que
cipe de cette dynamique psychanalytique. L'énonciation ii;"îi,[ì*îil""qes. à r,opacitJãxi,tu.,ú;ii; ä. jäîär,
à ia première personne est celle d'une voix engagée dans "-.p ";äi'; äräi""|;ffJ ï1ilî;,in: *l * :
t,
,rr, du passé' Celui qui s'exprime tente de paroles
de figures qui ont i*A";
t""t"r ïãììä < démarche rente
"ãrrr-"ntaíre
comprendre le sens d'une expérience qui a laissé en lui des somnambule > prêté
à de
t,"" ¿u, irer", ää ¿" si braves garçons
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
152
153
(De si braves garçons, O Éditions Gallimard 1982' collection semblant de jouer _ posent
les éléments
Èolio L98Z p. ã01. 1," natrateut interprète ces événements à des dbnrance u,,tuoi[,iå ff;;l:i:giques d'une scène
processus "'"herypuiu
degrés variãbles selon sa propre implication dans le
de"d¿chiffrement, sans ;amais parvenir à un stade d'élucida- å,î5,TilH,1,îïX#¡Jj:J:i,Iîï*iJr"i.,,,ffi i:ï jå:
tion satisfaisant.
La condensation des souvenirs permet cependant à l'écri- LE PRINCIPE DU DÉPLACEMENT
vain d'exposer certains traits psychiques sous forme de scènes S'il est une catégorie issue de la
types, D'^un même geste littéraire, iI apprend à se connaître "":n,
ei's'invente une idãntité mythique' Dans 'Livret de famille'
r a q u e' e r b c *
",ï;;
qr. _
celle du déplacement,-telle ö ; ilå1" ï*; : {ff: ï,"1î
Ia série d.es nouvelles est traversée de thèmes récurrentsqui
q"àä; Je"r,g.r" p.our Freud
"î
processus primaires de la vle l,un des
posent en soutetrain de la chronique autobiographique un psychique.
glisser'objer du réc* à côré aåläîå"a"reL,énonciation laisse
äertain nombre d'archétypes personnels - Ie déracinement' les temps forts de I'histoire érémenraire. À¡nsi
le sentiment d'apesanteur, la hantise, la figure du père' ;; ;;;;;
I'Occupation, I'esprit de manigance, Ìa confiance rompue'
se condãnsent dÀns d", liu,,;;;;;i;i*i:ï:ïïi:ï:"ii*: i:
scénographie de nomb.urr* ,orrårrïîe
Ici et aìlleurs les récits sont ponctués de scènes absolues' qui d'une opposition entre re construit ainsi autour
accomplissent des événements extrêmes et forment comme åi ia périphéri" ã" ìJî"pi-
tale' les arrondissements du"u.rtr"
paris historique (re
des hyþerboles de l'inconscient. Aux figures du couple
paren- sixième, cerui
de la jeunesse de r'écrivain pãrreä^ã",re
tal disparate et mal aimant s'oppose le couple d'outre-tombe saint-Germain-des-prés) et re's re euai de conti et
^par
formé l'enfant Modiano et son jeune frère' le mort qui XV" ou le XII", le XVIIIi, l" "*äirruments riminaires (le
XX;,;it"és rive droite,
hante i-teuvre, le vivant qui écrit avec Ie syndrome du rescapé' côté de ra seine' la traversée de l,autre
de iouer du fleuve constituant dans'ima-
< Et nous, mon frère et moi, nous faisions semblant ginaire de r'écrivain une étape
quelqu'un vienne nous cher- initiatrque). Les déamburations
dans le jardin en attendant-que des personnages dans ta ville
cher> (Remise de peine, O Éditions du Seuil 1988, collection de la crise qu''s traversent:
f";;;;'d"; r,e*äräî"t";;r",
à défaut de ra nommer, e,es
Points Roman 1996, P. 166)' lient l'errance identitaitu a'unïrË,ìît signi-
se fuil rui-même. De
Lécriture détecte des impressions d'enfance devenues avec même constituent-e'es tur figurä,
le temps des inflexions dela personnalité - un sentiment
de
qui mu.ttiplie tes dõï;;;;ts"=à¡r¿-"iiq"år'ã "î' ".,
déréliction, ici saisi à ia sourcd, Les deux frères sont unis dans '
1i_""îtextuel
espace clos.
de sens à même un
une même situation d'attente, suspendue de toute temporalité' Ainsi, boulevard de.Clichy, Jacqueline_Louki, la
donc élevée au rang de loi psychique' La division des corps héroïne de Dans café d.e Iã j;";;;r" perdue s,écarte
triste
(mon frère/moi) est niée pail,union répétée, encadrante, d'un \
lumières du XVIII" arrondisseá""i-;i des
cre.ses théâtres pour
seul et même sujet (nous/nous): l'écriture fixe ie couple frater- marcher dans l'ombre, du cOt¿
a, iii Jr.o',orrr*_ent. Sa mère
Le
nel, Ie découpe en filigrane du temps, s'en fait le tombeau' lattend sur le terre_plein
corps ,"r."pé devient le substitut du corps défunt' comme n";r*;;tä ¿u..* arrondissements
entre Le Moulin Rouge dr,n.côtå,1;
lñ;" Jules Ferry de l,autre.
dans les autres ouvrages ie récit se fait le tombeau des morts La jeune filte oscille pareillement
e;tre deux modèles de vie
oubliés de la déportãtion, des morts anonymes -des villes' qui lui semblent ésale;ent
t";"i;f;i;;nts,
jeux de cetur des pai'ertes
des morts inconnus du passé. Dans cette scène' les (Le Moutin Rorg*i
d"; ;;i;åî'ir"'ly"¿" ). Fteurs de ruine
la simulation et de ia dlssimulation - les deux frères font et Dans le café ãe la""tri
jeunerr; p;;;;re"xploitent
la géographie
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
'154
155
159
l'électricité, la neige -, s'entremêIant en un réseau suggestif mots, travaille la langue par
autosur
du travail souterrain de Ia mémoire' Modiano prête au narra-
teur des expressions n'offrant de signification que sensible, l,*"'ïå:îi:iï;åïî;"ïlå',:'üi:iii:'å""1äÏl;î[ì"'å:l;
comme ces < feuillages vert électrique > qui ne renvoient à
aucune réalité matérielle, mais à un processus mental d'ordre - L'écrivain dérivã äinsi'cãrtaines
la psychanalysä et en fait
synesthésique associant des termes en deçà de Ia logique' lu, ete-u,l"Pii.1T:tt majeures de
Dans la lignée des écrivains modernes qui s'intéressent aux
flux de conscience, l'écrivain expérimente une écriture en
prise sur I'inconscient. II joue à même effet des patronymes
i#*'"#:¡'*fu *q¡-ïii;¡¡il$,r,îä";
commentaire des événement, iniimu'
¡o.rflÏ?nnalité un
et toponymes, Les noms qui marquent I'enracinement généa-
logique et géographique sont I'objet, chez un écrivain obsédé iåïl;1"1:'¡¿1,::*';"rr';;:";îi+$9i,iî.',î":'JJ,ïï;
par le motif du nomadisme et la figure du paria, d'un vrai
travail d'appropriation poétique. Enigmes sonores aussi ; ;;iäi : :Ji;å::î'"ï1 9 "' Í y:r "* åii,"å; "
je uness e, r *
enrecharg"ruìãr,"r.rJ";;i;""u:",;"r""Xii_iåHî.:î:"ï,:
séduisantes qu'inquiétantes, ils ne valent que par les images ren-te à une gigantesque
qu'ils suscitent. Ils stimulent I'imaginaire de l'écrivain autant chambrå
se taçonne ainsi uneldentité
ã o"¡or. patrick MoJiuno
qu'ils cryptent I'inconscient de ses personnages. Les noms un texte mouvantli¡1t uf ,,ii.,rurrtu .,r, ..r'ttrå,^ãìq,r*f
des lieux se diluent ainsi hors de toute géographie, comme au ,.rfiort, selon un
nécessairement inachevé...]ieu. processus
lAllée des Brouillards, qui ne conduit plus le natlateur au phiJosophe paul Ricæu"
jusqu,jå" qrru mort s,ensuive.
Le
cæur de Montmartre mais à une tencontre nébuleuse avec i¿ir"rììäu"J'
conscience de soi-qui u""o-pãg"nïieslu ,u.-u dk ipsé*é > ra
son propre avenir (Fleurs de ruine, Dans Ie café de la ieunesse
d'une vie et cr¿e r'ilrustr";lrf;';nrt¿ différentes périodes
perdue). Les noms propres se dissolvent hors de toute iden- au la personnalité,
Seuls des récits oraux ou
tité comme d'obsédants fantômes:ainsi de <Jacqueline Beau- écrits travaillant u'pãr_u.rence
sergent >, nom écrit en lettres capitales dans un chapitre permettent à tout individu la
d'Accident nocturne et qui n'est pas sans faire chaîne avec
TiltÌi: lt"graphique
vorr comme le sujet,de de se conce-
:1 qropre u*i*u.r"u et d,acquérir une
rmage crairemenr identifiåbr"
I'image de Ia sentinelle, récumente dans l'ensemble de l'æu- a" lr,r-cme, qui dépasse
seuls événements vécus
vre. Ainsi de < Fossombronne-la-Forêt >, village associé à cette uttui,rtiïtat de durée inìime. Ies
travait, Modiano en fait"t
femme, dont le < fo > doublement répété en ouverture du nom
reprise de scènes ou de
;-;;i;;ütte.uiru qui appeile ce ta
n'est pas sans évoquer Ia faux, dans cette histoire d'accident _"tu, ãe;ä åipore, dans des ouvra_
potentiellement mortel, tout comme le < -sombr- > fait écho au ges antérieurs mais
dont un
< nocturne > du titre. Ainsi encore du mercure, qui revient, """;;;;;cit complète le sens en
,t,ud;;;i";*"";#""moinsãur,"*""iit,,¿u
associé au goût de I'eau, dans Vesúio ire de I'enfance, un roman åi,a;Jifr,ilff
où les figures de Ia mère se confondent en une même cure, vesqui"""u,,,,"-åiJn'.ili"r,ïî,iï:ï*ï,:l:ï,".1"il,ï:lî
au double sens de souci et de thérapie. L'onomastique est à ments dont ra seure vériìé
ru tiu"iãäilìu rru-ut-.rient
l'écriture littéraire de Patrick Modiano ce que le lapsus est à qui en infléchit Ie sens. littéraire
L,æuvreufiirãu donc une dimension
la langue du parleur ou l'image générée par un mot à celle du simultanément existentielre
et rira"*irì. Le sujet Modiano
rêveur: une manifestation de I'inconscient' Déclinaison se
sémantique, modulation phonique, effets de combinatoire,
tiä:liriff trt1,"å;iï1,îiî,',,,:it,*::l j*,0ãî"å'äî,'r
puissancã du signifiant: I'écriture décoIIe la signification des bée et ãe ta période
troubre
""ierlãrr"ì"riJ;iff:i å:Ti::
160 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
l6rft
son identité campe de Ia sorte entre un effet de vérité et une elles nbnt jamais brilté
depuis, et t"T
ligne de fiction, selon la célèbre formule de Jacques Lacan' le s fleurs ¿å r-rriu..o.rniers bjÌr
par Anne-Yvonne Julien). L"æuvre résiste, il est vrai, aux tenta- Aucune entrée critique prise
isolément De
iives de catégorisation appelées par l'histoire et la théorie litté- compte d'une ¿årrt"*
9,"-::11" arraisonner. pour
De.rr^* r^
î-""m.,hir^ pour ruurerois
raires. Faute de pouvoir la situer dans une filiation unique, alsement -^---'.sc t^r^-
êrre sa
t" auirão-'-u¡ru
qu'elle relève du classicisme ou de Ia modernité, les antholo- ""f d,
gies la classent volontiers parmi les inclassables. cela consti-
'rñ,';äns ra rigure dépr:":î,:ii":::l;"iåii:
frr" ,"tt doute Ie meilleur hommage qu'on puisse lui rendre iÏå'Xf ;1 iîiî
:f "
.' q u e' u n e t ; i:
"' r " " ll *1,"f
et, assurément, un symptôme de sa singularité. Elle s'y trouve
"m:
en compagnie illustre, quoi qu'éclectique: ainsi voisine-t-elle
avec les õrrrrr", de l,tichel lournier et Émile Ajar/Romain
Gary dans la première histoire littéraire qui, en pionnrère, lui
une présentation conséquente, le chapitre < Supplé-
"onãu.t"
ment: L968-1979 > composé par )acques Lecarme et Bruno
Vercier dans le tome < Littérature xx" siècle > du Lagarde et
Michard (1979). De même, si I'on se reporte au panorama litté-
raire que Bruno Vercier propose en L996, elle voisine avec les
æurrrei de Jean-Marie Gustave Le Clézio et Georges Perec. Ces
écritures sont présentées comme classiques mais iibres par
rapport aux traditions, joueuses dans Ie rapport qu'elles insti-
tuãnt avec I'histoire de la littérature tout en se montrant ambi-
tieuses dans leur propos.
Quant aux multiples études critiques de l'æuvre, dont on
trouvera une sélection en annexe' elles empruntent parfois
une perspective structuraliste, souvent un prisme herméneu-
tique. Ceitaines analyses s'intéressent à I'application de procé-
dures formelles qui produisent du texte et de la fiction en
mode organique, loin de toute reconstitution psychoréaliste
d'un milieu d'rrne époque donnés' D'auttes mettent en relief
I'importance"fde I'intertexte dans une écriture opportuniste,
qui þastiche différents modèles pour faire entendre une voix
hantée par celle des autres, cherche à les dominer
"o-rn"
mais se laisse altérer par eux, répercutant dans cette énoncia-
tion un trouble Iié à la question de l'identité. Les partis pris
i
critiques les plus fréquents relèvent toutefois d'une herméneu-
tique à dimension hlstorique qui interprète non sans -talent
I'æuvre dans son rapport à1'Occupation (Baptiste Roux) ou la
Shoah (Myriam Ruãniewski-Dahan), et à dimension philoso-
phique, qr.i pot" la question du sujet, de ses défections, de ses
ientatives de refondation (Daniel Parrochia).
-f
Conclusion
patrick Modiano
.est l,un des rares écrivains français
:ül;;ii :iîJli' i,äï: X ;,t'::i au, ib"a riu ;;;î'"I "n,"à i
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t'ét o i t e t rerusã a p.u_iÁ,ã l;;d;".;å""i
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bien
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Íf ,
Repères biographiques
:
1957: Mort de Rudy.
I
r,l
177
Lg7g: sort un disque, Fonds de tiroir L967, contenant neuf chansons 20o5,: Fait
partie des cent écrivains qui,
interprétées par Hr.ghes de courson et trois instrumentaux. Parmi Volodine, Sophie Calte, Franç"1;-ã";, avec Le clézio, Antoi'e
;;manuet Carrère, Annie
-t
1990 (Folio' 2330)' pour la mention d'un personnage qui s'allonge dans'ne pièce
de noces, roman'Éditions G-aìlimard' vide
Vovage
it io n s Hoëbecke' 1e e0'
sur un lit de camp (Du ptus loin de I'oubli).
;".'";:+;; ¡ ;;rr", pnot oeìuph ies d e Bra ssai' Éd
< rì.octeur weitz >>, publié dans re Monde,lô
;i ;:", : "o::;; ;;;,' ñá rii;;; il se ui I' 1se 1 (Poin I1ee2
s Rom a n' 1 62)'
(Folio' 262B)' d'un chapitre de De si braves garçons.
septembr e 1929, éba'che
un cirque posse' ro^oï,Èaiiio"t-c"rlima¡^d' (Points Roman' iu)'^^^ < La Seine >, publié dans lo Nouvelle Revue
Française,341, Gallimard,
Chien de printemps,Eäìii""t du
Seuil' 1993
1ee6 (Folio' 3005)' 1981' Première ébauche d'un chapitre de De si braves gaLrçons (t982)
Gallimard'
Du plus loin de 1'"rbli:;;;;"' n¿ltiã"t avec Catherine Deneuve'
lequel constitue une version minìaturisée de La peütí a¡iou
rzoorl,
ElJe s'appelait Françoisi, en collaboration < LAngle mort >, roman policier collectif
publié pu, f,nren"À"nl du
Canal + Éditions, 19s6' Teudi durant l'été 1991. B écrivains rédigent un chapitre. Duns l,or-
(Folio, 3181l i a c c o mp a sn e me nt
D;;;';; ;;;,Èà-i i""' äãtt i*u. a, 1e e 7,la.pa,t"ticipation de Marc-Henri dre: Frédéric Dann, Daniel Bour,nNcEn, patrick Mãu¿¡ro, Michel
critique pat Bruno ;;;;;; l.:9c Iu pat Didier Sondre GRrsolla, Régis Dunnav, lean-Marc RoenRrs, Jean VaurRrN, Didier
Ar[eux'La Bibliothãq"å ô"fli*ard" 1'44"
DanrrlrNcrx. Livre publié au Mercure de France, 1991.
';:;";;;;s"; p,' Ë"å"'iqui o'igi","te de Morie-leonne sétéro'
"c < Villes du sommeil >, publié dans Epaves et
É c outez lire >)' débris sur la plage,album
ï;;;; ; t å; s*pni q" " i É t is ab e t h o h at' 19ee<
(Folio' 3 408)' de_Pierre I,'-T1N, qui y dessine re vietnam de sa jeunàssã et de
sa
D e s inco nnu"r,, o^o i,"Étãli;;t
Gallimard' mémoire' sur fond de paysage urbain désert, l'écrivain imagine un
(Folio' 3766; Lu par
La Petite Biiou, romaÅ, ?ãiii""t
Gaìlimard' 2001
de Patúck Liegebel. homme poursuivi par une police secrète à r'identité poritrquË incer-
va¿érie Karsenty "t"liå^ii¡ens. Réalisation taine,
Musique originale ai'ãlitl" Aboulket'
co""iptio" graphique d'ÉIi' < Les chiens de la rue du soleil >, pubÌié dans l'ouvrage collectif signé
sabeth Cohat, < Écoutez lire >)' par neuf écrivains, dont J-M. G. Lu clnzro, Tahar Bnñ;nlr.ouN et E'rik
p' anc'e' 2OO2 Le Petit Mercure >)'
(<<
Ephéméride, tutu,""tu*d" oRsrruNR, dans .Roconf e-moi la vie. Neuf contes pour lutter contre
Accident noctume,t;;;;, Èãiúns
Gaìlimard' 2003 (Folio' 3766)' sida, Disney Hachette Éditions, 1994. Une rru.rio., des contes enre_
le
'ù""" avec Gérard Garouste'
pr:;; i ii ioin a" t^ l*if t r en collaboration gistrée par des comédiens est simuÌtanément éditée.
Mercure de France, 2003' <Aux jours anciens>, publié dans le mensuel 811e, juillet 1998. Le
(Folio' 4377)'
u;';;di;;"L eirti""á Gallimard'á 2005 ns de deuxième récit des Inconnues en reprend le texte, légèrement modi-
;; ;"; ;':
;;; ;;
r" ù l" I o
" - i " i qu e Z eh r f u s s' É d i t i o fié.
l'olivier' 2005' "u "' "tiã" <Mon grand-père est né,..), texte sans titre publié dans un ouvrage
t'oman' Éditions Gallimard' zooz'
Dans Ie café de }a ieunesse perdue' que Marie Mooraruo consacre à sa généalogie. Accessible sur www
themodianos.gr.
< Ephéméride >, première version du récit ainsi intituré, lequel sera
Autres textes publiés par Patrick Modiano' à son tour repris et amplifié dans un pedigree. publiée dans
¿e
ñäi iñcrúi íahó st bibliographie officielle Monde,30 juin 2001.
< t5 Quai conti > récit publié comme un avant-propos
aux Nouvelles
peu exemplai¡es de François VnRNnr, Éditions TirZsias, 2002.
RÉclrs enrrs Texte sur l'ceuvre de Pierre Le-Tan publié dans re cataÌogue de l,ex-
Galli
< Courrier du cceur >, publié dans Les Cahiers du chemin' 20' position Pierre L¡-Taru (Madrid, 19 février-3 mai 20Oai Ediciones
Aldeasa, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, 2004.
tifii;iltti;blié dans Nouvelle Revue Française' 307' Gallimard'
La
" 'isl8.'ÉU*ched'un chapitre de De si braves eorÇons'
23 décembre
( 1 rue Lord Byron '' oJ;ii;'å;;* l" Ño"'ul oË'"'ïorcu'' PnÉrncrs/posTFAcES
différents' dont Claude
1978, numéro propoä"i"';;;i"t
d'écrivains
Certains person- Préface au Livre blanc de Jean cocrnau, Éditions de Messine, 1983.
Rnr¡ etl)aniel Boulanger. autour du thème de Noël' Préface à Poris de ma jeunesse de pierre L¡-TaN, Aubier, 1988.
l
I I Ï:å.i iï:i* il;il ;ii;:;'e¿uit une adresse < proression-
la nouvelle' apparaîtront dans
Préface à cinq nouvelles de Marcel AvvrÉ, Gallimard, 1989,
nelle > à l'endroit dolnant'son titre à Postface à lusqu'au bout du hasard dAnna KaRlru¡, Grasset, 1998.
L
I
cì'autreslivres,dontDesibravesgarçonsel(JnPedigree'Dememe'
I
-t
1,957.
stt^""Ñ"a ia, Patrick Modiano,Texiuel-Culturesfrance Ina'
I
2008'
ì
Lire Patrick Modiano Bibliographie
184 185
BRRuneau, Michel; PRocutnts, Lakis ; Salcas, Jean.Pierre ; VtRnr, Anrrcl¡s ET ENTRETTENS pARUS DANS LA pRESSE
ADPE' 2002'
Dominiqtr e: Le Roman français co.ntempolain' une thèse ne suffirait pas à res recenser. on se limitera à dix
d'auiourd'hui: essai sur la litté- d,entre
"-;;i;;; Pierre: La Littéiaíure irançaise
BRuN¡r,
du xxo sièc,e, Vuibert, 1ee7. eux qui marquent, outre reur intérêt spécifique et par la ai"urrrtã
f;r;ç;aise dans to ,eloni" moitié Seuil' lggB' leur provenance, l'intérêt général ,.,róité par Ì'æuvre.
¿"
Funrnn iaurént: Le Roman français contemporain' Assouurun Pierre, < Modiano, lieux de mémåire r, Lire, 126,
des années 1970' Presses "i",
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løiJ lturi"-Anne : Le Ro'man ftançais Bo_uRNow Sylvain, < tJn pedigree de patrick fvfo¿iutrol,
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Le Fígaro,
Roman frcnçais
s^'1,äé Jean-Pierre; Nalaun Alain; Scuti¡lnr loel: Cnori,t Nathalie, Téléramo, < Dans le café de la jeunesse perdue >,
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Vtnnr Dominique (sous la direction de) : 2 octobre 2003.
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Mauny Pierre, Le Magazine Littéraire,302, entretien, septembre
1992.
SavlcNnRrr Josyane, Le Monde, portrait-conversation, 30luin
MoolRltlo 2001.
Anrtclrs suR PATRIcK
PARUS DANS DES OUVRAGES COLLECTIFS
BLRNcrsN4aN Bruno, < Patrick Modiano, à corps perdu(s),> dans Ewrrsslorus DE TÉLÉvtstoN
de fean-
Portraits de I'écrivain contemporain' sous la direction Vallon' < Patrick Modiano >, film dAntoine de Gaudemar et paule Zajdermann,
Rog"'-V"es Roche' Éditions Champ
François Louette collection < Écrivains de toujours >, dirigée par Bernard näpp, ,r. áa,
2003.
"i
1996.
Douzou Catherine, <<Dora Brudet>, Protée' 2008' <Patrick Modiano: je me souviens de tout>, entretien avec
boutiqu-es obscures de Bernard
Gournr Alain, < les Lieux du moi dans .Rue des Pivot, Arte, 2007,
Le moi et ses espaces' sous Ia direction rle
Patrick Modiano >, dans
Gascoigne, Presses Universitaires de Caen'
1997'
barrid
lo"u lãã"-Cfurlã", nrypi"ltO modianienne,de Quorfier perdu> dans Srr¡ lrurenrurr
Berne, Peter Lang, 1990'
publications universitaires européennes,
P¡emieÍs tomans < Le Réseau Modiano, un site pour lire entre res rignes de patrick
L¡cRntrr Jacques, < 1968, La Place de l'étoi-I.e> dans Modiano >. Concepteur: DeniJ Cosnard,
'1945-2003,sous la airätiot' d'e Marie-Odile André et fohan Faerber'
< Au Temps, Dictionnaire patrick Modiano >, par Bernard Obadia.
Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2005'
autofiction-
I.tz Tersv. <Dévoiler etTou deguiser, À propos des récits
ïJir;,;;;É;;li;", de sõi: secrets et réticences, sous l¡ direc- DVD
tion de Marie ii'fig"J-Offugnier et Bertrand Degott' Éditions
L'Harmattan ' 2OO3. LACOMBE LUCIEN, Arte video, 200b. Inclut en bonus une recture
Mrcunr-Ollagnier Marie, < Métamorphoses d'un
mythe
" Y"149ltf"'
par Patrick Modiano d'un texte dans lequel il évoque son travaiì
dans Chien ptintemps>' dans Annales litté- avec Louis Malle et ce que représente re film lors de sa sortie.
de Patrick Modiano d'e
l
raircs de Besançon,628, Les Belles-lettres' 1997'
Index des æuvres
de Patrick Modiano citées
L61,,164 [Jne leunesse, 32-34, 37, 46, 52, Chapitre 1. Contexte et enjeux
Remise de Peine, 40,44,47' 58, 69, 72-75, 77, 80, 92-59' I
Noissonce d'un trublion
49, 53, 57, 70,81", 91, 98-99, 113,120, L40, L47,155
I
L'année 68
106, 150-1,52, 157 I
Vestiaire de I'enfance, 1L, 22, Hier plutôt que demain
Ronde de nuit (La),1.2,14-15, 43-44, 48, 52, 58, 67, 69, 73, Le contemporain décalé d'une modernité radicale
10
44, 52,56, 58, 60, 64, 66, 72, 13
77, BO,83, 86, 90, 99, 1-31, Les avant-gardes textualistes 13
95, \47,166 Le surréalisme
L40,142,151,158 15
Rue des boutiques obscu-
ViLla triste,15-16, '18, 20,31' L'héritier détaché d'une modernité expérimentale 19
res, 26, 35, 37, 44-45' 47' Le jeu spéculaire
33-35, 52-53, 55, 58, 68-69' 22
49, 58-59, 76,81,83, 93, La suspension dLr sens de Ia fiction
8L, 94,96, 100, 1o2, 1O8, ac
99, 101-102, 104, L08, L10, Une écriture pénélopéenne
1.!O, 1L6,'1,21.,'1"24, 139-140, 26
116, 1,21, 1,24, 142, 147, 157' Un contemporain capital
146-1.47, 151., 1.54, 165 -166 ¿o
162-163, 165, 171-172 Lécriture minimale
'tJn
Cirque plsse, 5, 22, 34, 37, Voyage de noces, 20, 55-56, 72' 2S
L'autofiction : l'année'1,972 ; lapartition autofictionnelle
44-45, 47-48, 55, 70, 72-73' 75, 93,96, 100, 114, 1.17, 124' 3B
1,7L
Conclusion
1,75
Repères biograPhiques
L79
Bibliographie
187
IndexãeJ æuvres de Patrick Modiano citées