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30 Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 31

ne saurait abstraire des mutations affectant le champ cultu- compromet Ie sens et, avec lui, celui de I'existence. Minimale,
rel dans son ensemble. La diversification des modes d'écriture elle cultive un mimétisme second, de l'ordre du manque plutôt
minimalistes observables depuis Ies années quatre-vingt se que de l'acquis. Lart de la photographie permet à I'écrivain
comprend aussi dans cette perspective: tester sans ostenta- d'évoquer ce parti pris à deux reprises. Dans Paris Tendresse,
tion des formes d'expression saisissantes, tant sur le plan de ouvrage dans lequel il commente librement des photographies
la représentation que de Ia pensée. de Brassaï, Modiano rédige quelques lignes qui commentent
La critique parle parfois de minimalisme à propos de Ie style de I'artiste mais caractérisent en retour sa propre
certaines æuvres, entre autres celles de Jean-Philippe écriture: < Il appartenait à la race des vrais artistes qui ne
Toussaint, Jean Echenoz ou. de certains écrivains proches des se laissent pas déborder par Ia technique. Quelques bouts de
éditions de Minuit. Cette notion n'est pas sans faire problème ficelle et ils font éclore la magie t...1. Il lui suffisait d'une allu-
tant elle uniformise des écritures hétérogènes, rapproche des mette pour illuminer un stade de football > (Paris Tendresse,
projets littéraires nettement distincts et suppose que tous photographíes de Br.assai, O Éditions Hoi,ibecke 1990, couver-
les éléments d'une écriture et d'un imaginaire s'équivalent ture de I'ouvrage), Eloge du moindre artifice, qui est aussi le
par le moindre. Dans l'æuvre de Patrick Modiano, l'écriture mieux maîtrisé, de Ia puissance éclairante propre à tout foyer
se légitime a minima comme I'agent d'une recherche sur les
restreint, de I'art de donner à voir avec humilité les ombres et
états troubles de la personnalité et de l'histoire. Après avoir
de rendre évidentes les ténèbres... Dans Chien de printemps,
institué dans ses trois premiers romans ie procès de la littéra-
l'écrivain raconte sa rencontte lointaine avec un photographe
ture et celui de Ia langue, Patrick Modiano tente de ramener
imaginaire, Francis Jansen, qui I'a orienté dans cette direc-
I'une et I'autre à la raison. Une écriture minimale permet de
tion, quand bien même il ne l'a pas d'emblée suivie: < Voilà ce
les qualifier en préservant la littérature de ses excès idéolo-
qui aurait été intéressant à son avis: réussir à créer le silence
giques - la tentation dogmatique du roman, genre toujours
prompt à délivrer des vérités universelles -, sociologiques - la avec des mots > (Chien de printemps, O Éditions du Seuil
L993, collection Points Roman 1995, p. 21). Créer Ie silence,
figure impériale de l'écrivain engagé, tel qu'il s'érige en direc-
teur des consciences - et rhétoriques - I'inflation des effets, c'est tenter de restituer ce qui ne se dit pas, mais s'éprouve
le beau style. Ce sont toutes les emphases attachées à l'acte à côté de Ia parole et se refoule en deçà de l'énonciation, à la
d'écrire que Patrick Modiano refuse à une époque où la litté- lisière de la conscience. C'est contenir tout effet de compacité
rature, perdant de sa superbe culturelle, ne les justifie plus. narrative, tout mode d'exposition qui lesterait d'évidence Ies
Simultanément il assigne à l'écriture une finalité ambitieuse situations, tout commentaire psychologique qui doublerait les
puisqu'elle fraye avec f intime - donner corps à des phobies événements d'un discours trop habile, d'une parole d'expert.
familiales et aux chimères de I'inconscient -, avec Ie politique C'est creuser l'écart entre une dynamique romanesque que les
récits assouvissent sans censure, investissant les éléments de
- distiller les marques d'une culpabilité qui puise ses origines la réalité prosaïque d'un potentiel de rêve inédit, et un ordre
dans Ia période de I'Occupation - et avec I'ontologique - dissé-
quer les états d'un malaise diffus qui fait de tout personnage de signification qui demeure quant à lui indéductible du
une figure problématique, en déIicatesse d'être. récit, parce qu'il échappe à tout fléchage symbolique. Depuis
L'écriture de Patrick Modiano se tient ainsi en phase avec Villa triste, Modiano invente ainsi les accords d'une poétique
une réalité à perte: elle vise moins à représenter des événe- minimale. Échappant à tout contrôle théorique comme à toute
ments tangibles qu'à tenter d'en saisir Ia part fuyante, les pesanteur expérimentale, chaque ouvrage approfondit un art
mobiles cachés, les zones d'équivoque et d'oubli, tout ce qui en d'écrire qui se définit par quelques traits répétitifs: Ie souci
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du minuscule, l'effet de sourdine, le sens de I'ellipse, un mode leurres romanesques, Ie véritable objet des récits demeure ce
de progression souterrain. texte intime fait d'impressions sensibles, de notations maté-
Aux majuscules romanesques, I'écrivain oppose ainsi rielles et d'un enchevêtrement de faits dont nul ne sait, à
un souci permanent du minuscule. Dans Une leunesse, iI commencer par les personnages eux-mêmes, s'ils constituent
reconstitue minutieusement l'errance de deux jeunes gens de simples circonstances ou une détermination les visant en
en entrecroisant des séries limitées de notations matérielles. propre, comme un soupçon de fatalité. Lécriture s'en tient aux
Un chapeau tyrolien, des bottes à fermeture-éclair, un calen- ieuls événements, qu'elle présente avec parcimonie. Quand
drier, des flocons de neige ici (p. 62 à 64), de Ia brume, une elle fait sens de façon explicite, elle cultive, avec l'usage de
veste de tweed, une pipe, du brouillard là (p, 129 à 131) occu- Ia notation matérielle, I'art de Ia litote - < On ne craint plus
pent le champ de Ia narrationl. Les situations attendues, rien ni personne avec des semelles de crêpe > (Une leunesse,
porteuses d'un romanesque d'action et de sentiment, sont @ Éditions Gallimard 1981, collection Folio 1985, p. 24) - ott
ramenées à quelques traits sommaires, un échange dans un du recours à I'archétype - ( Les trains qui viennent de la
café en guise de scène de rencontre amoureuse, un départ en banlieue déversent leurs voyageurs, tandis que la foule de
train et une gare arpentée pour tout épisode de trafic illicite, ceux qui ont passé leur journée de travail à Paris se presse sur
Lécrivain inverse les protocoles: il majore l'élément de détail les quais de départ et ce mouvement de sablier dure jusqu'à
et minimise l'événement apparemment important. L'essen- huit heures du soir > (Ibid, p, 45). Llécriture minimale privilé-
tiel tient moins aux scènes vécues par les personnages dans gie les signes les plus élémentaires pour proposer, comme ici,
leur jeunesse qu'à I'assimilation imperceptible de certaines une vision du monde teintée de mélancolie, lorsqu'une gare à
réalités sensibles à partir desquelles leur personnalité prend, heure de grande affluence présente en filigrane I'aspect d'une
Ieur mémoire se façonne, leur être se décide, jusque dans les vanité et que les présences humaines, identifiées à des grains
failles qui agiront souterrainement en eux une vie durant, Le de sable, rejouent en mode mineur le mythe sysiphéen. Cette
roman, s'ouvrant sur la présentation du couple âgé de trente- vision se teinte à l'occasion d'humout, lorsque la détermina-
cinq ans puis remontant quinze ans en arrière au moment de tion d'un personnage s'évalue à la résistance de ses chaussu-
sa rencontre, en offre la mesure, Ce que vise Modiano, c'est res et que l'homme est ainsi ramené à ses assises premières,
en quelque sorte un hypotexte intime, I'écriture tracée par un peu comme dans ce tableau de René Magritte où, tout
les événements en les personnages quand ils étaient jeunes et corps effacé, seules des savates tiennent lieu d'être.
vulnérables, dans lesquels ils furent impliqués sans le vouloir Leffet de sourdine relève de cette même volonté de limi-
vraiment mais qui vont constituer leur dotation existentielle, ter l'énoncé des faits et la saisie d'un milieu à leur réso-
en deçà même de la mémoire qu'ils en gardent. Ce texte inté- nance interne auprès de personnages ramelrés à des profils
rieur ne relève pas de la conscience mais s'origine dans un sans éclat détectable. Ne travaillant pas Ie relief des choses,
rapport organique au monde, dans une pression empirique I'écriture minimale les appréhende dans une étrangeté
exercée par la réalité la plus concrète sur le corps d'un adoles- foncière: eIIe creuse un hiatus entre l'évidence des faits et
cent en garnison à Saint-Lo et dont la seule paire de chaus- leur absence de justification. VilLa triste présente en cela un
sures prend I'eau, ou sur celui d'une adolescente servant rapport déceptif au romanesque. S'il rappelle Ia démarche
d'appât à la police pour arrêter un pédophile. Par-delà les d'un écrivain comme Emmanuel Bove, resté dans I'ombre
des grands romanciers de I'entre-deux-guerres, il anticipe
aussi de quelques années celle systématisée par des écri-
L. IJne leunesse, @ Éditions Gallimard 1981, collection Folio 1985 vains comme Jean Echenoz ou Jean-Philippe Toussaint,
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désireux de raconter des histoires sans répéter des effets d'il- amis et les premières pages narrent un état d'équilibre domes-
lusionnisme usés jusqu'à Ia corde ni acquiescer à Ia bonne tique. Des notations récurtentes scandent toutefois Ie récit et
conscience d'un genre qui serait a priori légitime. Dans Villa constituent des marques d'inquiétude sans explication autre
triste, Patrick Modiano multiplie les épisodes non aboutis, que rétrospective, échos refoulés d'un passé perturbé qui conti-
qui suscitent des attentes sans les satisfaire, imbrique avec nue à agir à distance, comme une menace latente, sans objet
complexité des faits sans résoudre les liens qui les unissent, - ce qui constitue en soi une définition du tragique. Page 16:
génère des moments de tension ne débouchant sur aucune < La nuit est chaude et I'on entend gronder un orage lointain. >
crise autre qu'inscrite en creux du récit ou répercutée à sa Séquence suivante: < Louis démarre lentement. Au bout d'un
marge, tout à Ia fois déplacée et assourdie. On lira de la sorte, instant, il coupe le moteur. La voiture descend la petite route
comme la levée d'un tomanesque sans prise, les deux scènes droite en silence. > Même séquence: < Louis remet en marche
de dispute qui succèdent à I'épisode de la Coupe sportive, le moteur. > Page 18, fin de séquence: < Il a baissé la vitre. On
I'une interne au groupe d'amis, I'autre au couple que forment dirait que I'orage se rapproche. > Orage/moteur/moteur/orage:
Yvonne et Victor: le traitement de ces scènes reste en deçà des dans un récit fragmentaire aux phrases brèves, aux dialogues
ressorts intimes et sociaux qui les animent. Ce qui vaut pour resserrés, aux indications descriptives réparties avec parcimo-
la scène d'action vaut aussi pour la scène de sentiment. Plus nie, ces notations font sens par leur seule énonciation, sans
cette scène type revient, de romans en récits qui travaillent développement nécessaire, et par leur seule disposition qui
par nuances les états contradictoires de la jeunesse (Diman- recoupe ici celle d'un chiasme. Le non-dit devient l'objet du
ches d'aottt, (Jn Cirque passe, Accident nocturne), plus I'écri- récit: les notations introduisent une dimension romanesque
vain élabore, loin des rehauts d'un romanesque tapageur, subliminale, de I'ordre du danger - un grondement - et du
quelque art de l'à-plat. Question d'époque, de conception de Ia vertige - une chute -, suscitant ainsi une attente et l'ébauche
littérature, de rapport à I'idée de véritéet à l'autorité même de d'un suspense, Leffet de sourdine consiste à limiter la drama-
celui qui écrit: le doute accompagne Ia démarche de I'auteut, tisation à quelques traits suffisants pour générer un trouble,
qu'il slappelle Modiano ou Échenoz, que leur attitude de mais insuffisants pour lui donner une consistance, En cela Ia
réserve passe par I'effacement en douceur de I'un ou I'humour fiction se fait mimétique d'un passé qui hante les personnages
par petites touches de I'autre. Ce doute ne constitue pas un à leur insu. Lart minimaldéfinit ainsi une écriture économe de
déni de sens, mais un acte d'humilité nécessaire à l'accomplis- ses moyens mais soucieuse de ses dispositifs, qui crée un autre
sement d'un projet qui se veut ambitieux. Leffet de sourdine rapport au sens, une autre façon d'impressionner le lecteur, en
constitue une ligne de conduite esthétique autant qu'une ligne se situant en phase avec I'intelligence sensible davantage que
d'étude psychique. Il s'agit d'évaluer, en des personnages types consciente, avec une dynamique intuitive plutôt qu'un mode de
auxquels toute évidence psychologique est refusée, les ondes progression rationnel (effets de symétries, de reprises, de déca-
de choc sous-jacentes d'un passé occulté qui s'apparente à une lages). De Villa triste at Café de la jeunesse perdue,l'écrivain
sorte de fatum lié à l'adolescence. Là se joue dans un næud de affine une expression économe de ses moyens, tendue entre une
présomptions insistantes la conviction de I'écrivain Modiano' compulsion de détails et la netteté des coupes. L'une appelle
L'ouverture d'[Jne leune,sse en offre une illustration possiblel' I'autre, comme I'indique Ie procédé qui consiste à remplacer la
Le couple fête les trente-cinq ans de I'homme avec enfants et narration par des indices bruts, numéros de téléphone, adtesses
ou listes: le chapitre xIX de Rue des boutiques obscures se
limite ainsi à un nom propre suivi d'un prénom, d'une adresse
1.. Une Jeunesse, O Éditions Gallimard 198L, collection Folio 1985, p, 16 à 18. et d'un numéro de téléphone.
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36 Lire patrick Modiano Contexte et enjeux

Ces exemples en attestentaussi: I'art minimal recourt à tents de I'existence, à commencer par I'écrivain lui-même tel
deux modes de composition complémentaires, I'un qui cultive qu'il se met en scène ouvertemenl (Livret de famille) ou indi-
l'ellipse, I'autre la progression souterraine. Lellipse est gram- rectement (Un Cirque posse).
maticale quand Ia parataxe substitue à une syntaxe trop cohé- Romanesque ou autobiographique, le personnage selon
rente des propositions juxtaposées à moindre frais. Elle est Modiano est un être de syncope, Par l'ellipse, l'écriture saisit
narrative quand certaines scènes demeurent dans l'ombre le phénomène, alterné, d'une prise et d'une déprise d'identité
du texte parce que mentionnées par allusion sans être par au hasard de situations qui tantôt révèlent, tantôt annulent
ailleurs déveioppées. Le romancier joue de la sorte la part la conscience de soi. Dans cette perspective, la fin même des
du peu contre la tentation du tout, la forme minimale contre récits ne constitue pas un achèvement mais une suspension,
celle, sphérique, du roman-monde. Appliquant ce processus une ellipse supplémentaire avant que le récit suivant ne
à leur propre échelle, certains récits se construisent autour relance un phénomène de création fondé sur cet essentiel
d'une gigantesque ellipse, Sans renseignements susceptibles mouvement de vertige. D'où les échos qui interfèrent d'un
de représenter le personnage-titre , Dora Bruder se développe livre à I'autre, souvent à distance, depuis une matière biogra-
autour d'une absence qui peu à peu aspire l'ensemble du texte, phique commune dont le traitement fait varier les zones
Dans Ie café de Ia jeunesse perdue est composé d'une suite de ã'ombres et les angles d'éclairage, Ainsi Dans le café de Ia
discours à la première personne attribués à plusieurs person- jeunesse perdu (2007) reprend et déplace-t-il certaines situa-
nages qui évoquent Louki, jeune femme dont le mystère, tions exposées dans Du plus hoin de I'oubli (1996) el La Petite
Ioin de s'éclaircir, s'approfondit parce que, d'un monologue Bijou (2Oot). Cette écriture souterraine, proche du rhizome,
à I'autre, si des scènes se recoupent, si des motivations se assure à la fois la continuité des récits et celle des différentes
complètent, il est toujours des pièces manquantes, des situa- séquences qui les composent. Dans Une leunesse, des
tions et des mobiles laissés dans l'interstice des chapitres. Eux mentions à peine esquissées mais répétées au Vélodrome
seuls pourtant permettraient de comprendre le personnage, de Paris, à lAutriche, au marché noir suggèrent que la tris-
son devenir et l'événement majeur du roman à peine nommé, tesse du personnage principal dans les années soixante de
jamais élucidé: son suicide. L'ellipse permet ainsi à Modiano sa jeunesse est la séquelle d'un passé plus ancien qu'il doit

d'engager un rapport minimal à l'idée de connaissance. Si apprendre à connaître pour pouvoir Ia dominer. Ces allu-
elle inscrit dans les récits, par la coupe, ce qui échappe à sions s'enttecroisent et tracent en pointillés un roman qui
tout savoir psychologique, elle confère aussi à l'écriture une tient moins aux événements explicitement rapportés qu'aux
fonction de sauvegarde. Entre les temps vides qu'elle incise motifs analogiques énonçant à distance un même principe de
déterminisme. Adolescents dans les années soixante, adultes
dans la narration surgissent, comme de brèves épiphanies,
dans les années soixante-dix, ces personnages de la même
Ies moments rares d'une expérience préservée et les mots
génération que I'écrivain sont comme lui agis par une préhis-
possibles d'une transcription judicieuse. Ainsi le narrateur
toire familiale et historique qu'ils ignorent pour certains,
de Dimanches d'août se souvient-il du jeune couple amoureux
refoulent pour d'autres. Dans Rue des boutiques obscures,
qu'il formait avec une compagne disparue quand ils suivaient
Ie jeu disséminé des couleurs concurrence la progression
< du regard uncanoii qui glissait au milieu de la Marne >, dont
linéaire de I'intrigue, et cela dès le titre. Les différents chapi-
I'eau < n'était plus stagnante mais parcourue de frissons > tres reprennent ponctuellement une couleur dominante
(Dimanches d'aottt, @ Éditions Gallimard 1986, p. 15). Par là
même, l'usage de I'ellipse participe d'une problématique exis-
- Ie vert - et lui associent une couleur mineure - le rose
dans les chapitres xx et xxl, associé aux teintes disparates
tentielle. Elle contribue à faire des personnages des intermit-
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de I'enfance et de l'érotomanie homosexuelle. Ailleurs, les quarante-neuf ans. La fin des années soixante-dix marque
couleurs sombres alternent avec des couleurs claires pous- áinsi un tournant dans Ia conception de l'écriture autobio-
sées jusqu'à Ia phosphorescence, dans une sorte de projection graphique. Celle-ci n'est plus I'apanage cle la maturité et d'un
métaphorique de I'objet du récit: une enquête avec ses pans iegard rétrospectif porté sur une existence en train de s'ache-
d'ombres et ses flashs de lucidité. I-écriture procède ainsi par ver, dans un souci de conservation (récapituler des événe-
la dissémination de motifs analogiques doublant souterraine- ments jugés déterminants, fixer un caractère posé comme
ment I'objet premier de la narration. En deçà des événements dominant). Elle accompagne en temps réel une existence en
relatés, le subconscient du personnage-natrateut, sa mémoire train de s'accomplir et transpose les expériences vécues en
latente sont appréhendés, depuis des éléments mineurs dont la autant de situations, sinon d'équations, narratives' L'auteur
reprise sporadique constitue des signes, sinon des symptômes, apprend à se connaître en sollicitant sa personnalité depuis
élémentaires, cã qui résiste en elle à la conscience. L'écriture autofiction-
Expérimentant avec subtilité des procédures de narration nelle constitue ainsi une pratique à vocation identitaire autant
par défaut, Patrick Modiano pose donc les bases de cet art qu'à dimension littéraire qui relève de l'invention de soi: un
minimal qu'il commente lui-même, comme il se doit de façon zujet se découvre et se construit par un acte de représentation
allusive, en affirmant qu'il suffit < au romanciet d'une simple fondé sur l'expérience vécue, appelé par ses effets à agir sur
piqûre d'acupuncteur pour diffuser une impression qui se l'existence en cours, Iaquelle rejoindra à son tour, en temps
propage dans tout le système nerveux > (ElIe s'appelait Fran- utile, l'æuvre ainsi entreprise. Dans < autofiction >, Ie préfixe
< auto > renvoie donc au processus psychique d'un sujet qui
çoise, en collaboration avec Catherine Deneuve, @ Canal +
Éditions, 1996, p. 3o), se représente en alignant des situations vécues et des situa-
tions imaginaites, mais aussi à Ia dynamique d'une fiction de
soi qui se développe de livre en livre, s'autoproduit en mode
|AUTOFICTION : LANNÉE 1977; LA PARTITION AUTOFICTIONNELLE
interne.
1977 : Patrick Modiano publie Livret de famille, recueil de Læuvre de Patrick Modiano constitue une vaste autofiction
douze nouvelles qui Ie mettent nommément en scène en sa dont chaque récit forme, davantage qu'un chapitre nouveau,
qualité de jeune père, dans les première et dernière nouvelles, un microtexte qui Ia concentre, la déplie, la déplace, l'altère.
et d'enfant perpétuel, dans des épisodes de jeunesse évoquant La fiction ne désigne pas pour lui une fantaisie arbitraire de
son propre père et certaines dérives personnelles. La même I'imagination mais un principe de connaissance supérieur,
année un jeune écrivain, Hervé Guibert, publie aux éditions qui permet d'aller au-delà des évidences ou des automatismes
Régine Desforge La Mort propagande, son premier recueil de de la réalité quotidienne. Elle représente un pari sur la puis-
nouvelles, qui mêIe les séquences d'une sexualité fantasma- sance intelligible de I'esprit, confronté aux tracés obligés de
tique et les épisodes d'une vie d'adolescent encore proche. l'espace et aux contours imparables des objets, aux séquences
En'1,977 encore, un universitaire réputé, Serge Doubrovsky, dissociées du temps, à Ia dimension convenue des échanges
publie son premier texte non critique, Fils. En quatrième de sociaux et celle, aléatoire, des rencontres amoureuses. Fiction
couvertute il propose un mot inédit pour qualifier son projet égale présomption - d'où la situation romanesque répétée de
littéraire, situé entre I'autobiographie, mais sans Ie principe de l'enquête - et pressentiment - d'où Ia mobilisation d'éléments
conformité aux faits vécus, et la fiction, mais sans I'usage du matériels détachés de toute fonction descriptive et disper-
romanesque comme moulin à fables : < autofiction >. Ces trois sés dans les épisodes comme autant d'indices d'un univers
auteurs ont respectivement trente-deux ans, vingt-deux ans, occulte qu'il s'agit pour le personnage-nattateur d'apprendre
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à connaître. u I'ai l'impression d'être tout seul à faire le lien tant que fiction une marge d'indécision qui compromet toute
entre le Paris de ce temps-là et celui d'aujourd'hui, Ie seul à me idée de vérité objective en la fondant dans le seul temps de
souvenir de tous ces détails, > écrit-il dans Do¡o Bruder (Dora l'énonciation, comme une postulation intime, non comme une
Bruder, O Éditions Gallimard L997, collection Folio 1999, attestation biographique. Par un jeu d'échos multiples, l'écri-
p. 50). Et l'écrivain de préciser cet état: <Par moments, le lien vain inscrit ses différents récits dans un espace transtextuel
s'amenuise et risque de se rompre, d'auttes soirs la ville d'hier commun. Autonome en raison de sa facture propre, chaque
m'apparaît en reflets furtifs derrière celle d'aujourd'hui. > ouvrage est interdépendant des autres avec lesquels il entre
(Ibid, p.50-5L). Fiction égale alors frustration: elle marque en résonance, proposant une vatiante, une combinatoire,
I'incapacité pour celui qui écrit de se satisfaire des limites de une harmonique particulière des thèmes abordés par tous'
la connaissance commune - que cette dernière porte sur I'his- Le processus de création autofictionnel relève en cela d'une
toire, Ie passé personnel, les motivations de la personnalité, rumination scripturale du passé qui se caractérise par la
toujours vécus à perte, dans le sentiment d'un malentendu fréquence d'éléments-clefs, posés à la fois comme des struc-
ou d'un inachèvement. Seule fait alors sens la démarche vers tures de l'ceuvre et des marqueurs de la conscience. Des lieux,
la connaissance que marquent les variations romanesques des personnages, des événements, des situations, des motifs,
autour d'un même ensemble de faits surdéterminés d'un point des procédures formelles se répètent, insérés dans des récits à
de vue intime, mais qui demeurent toujours en partie énigma- dominante autobiographique ou romanesque.
tiques. Ainsi de certains espaces associés à des figures et des
Patrick Modiano accrédite ainsi I'idée d'une réalité paral- atmosphères validées comme biographiques dans le diptyque
lèle où le mystère de soi au monde serait susceptible de se encadrant l'æuvte - Livret de famille (1"977), Un Pedigree
Iever, mais identifie cette pararéalité à un système littéraire (2005) - mais qui hantent aussi, plus ou moins clandestine-
- l'æuvre - dans lequel chaque récit constitue un degré d'illu- ment, les romans: un appartement Quai de Conti à Paris,
sion romanesque supplémentaire. Le schéma structurant les plusieurs quartiers de Paris, Jouy-en-Josas dans les Yvelines,
récits recouvre un processus de révélation toujours différé une maison de maître en Sologne, un intetnat, un père insai-
que nul récit n'est susceptible de combler à lui seul. Lautofic- sissable, une mère absente, des individus en déIicatesse avec
tion se fait en cela Ie lieu et l'agent d'une quête existentielle à la loi. S'ils marquent à I'origine des expériences vécues par
jamais relancée. Llécrivain tente d'investir ce qui, dans le récit l'écrivain entre la petite enfance et les débuts de l'âge adulte,
de sa propre histoire, échappe à toute certitude logique comme ces éléments deviennent d'un récit à I'autre les vecteurs d'une
à tout contrôle pragmatique. Ainsi remonte-t-il en amont de sa identité qui se construit en modifiant sa carte intime, en
vie même, mettant en scène les énigmes de sa filiation pater- revisitant ses propres fondamentaux. Dans cet espace auto-
nelle (Ies Boulevards de ceinture) ou les incertitudes liées à fictionnel, les lieux jouent un rôle majeur. Ils circonscrivent
son propre passé - enfance (Remise de peine), adolescence (De une géographie réelle et un espace symbolique, traçant le
si braves garçons), débuts de l'âge adulte (Quartier perdu). Cette périmètre de l'æuvre et de Ia personnalité qui se projette en
part d'existence en mal de sens, seule la fiction peut aider à la eux, Des quartiers de Paris sont omniprésents, le Quai de
représenter. Elle se substitue aux faits quand ils n'ont pas été Conti, les bords de Seine face au Louvte, Saint-Germain-des-
Prés (lieux de I'enfance), Montmattre, I'avenue Junot, l'allée
vécus directement par Ie sujet, mais ont pesé avant sa nais-
des Brouillards, la rue Caulaincourt et le boulevard Ornano
sance même sur sa destinée familiale. EIle en réinvente les
(lieux de refuge adolescents et croisées de rencontres); la cité
raisons et les effets, quand ils ont naguère été vécus mais que
universitaire (lieu cosmopolite, comme suspendu de toute
Ieur portée demeure opaque. En même temps, elle conserve en
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géographie nationale); la rue de Vaugirard (elle était emprun- de Ia jeunesse perdue en lequel se déplie I'âme d'un quartier, à
tée naguère par les chevaux menés aux abattoirs et, dans l'écart de l'illustre théâtre qui lui donne son nom, l'Odéon, et
Des inconnues, elle évoque sur un mode cauchemardesque I'esprit d'une époque, quand I'effervescence artistique, bohème
de plus terribles convois). Si Paris absorbe ainsi l'écrivain, et fauchée de I'après-guerre n'avait pas encore plié boutique
celui-ci assimile en retout Paris. Ses récits transforment la au profit des commerces de luxe international (Dans Ie café de
capitale en un jeu de pistes biographiques et littéraires qui en la jeunesse perdue), Évoquant en trois phrases ce quartier de
font la matière malléable d'une fiction aux multiples varian- son enfance, I'écrivain note dans Un Pedigree que les ( cours
tes, Ie support sensible d'une approche de soi errante quoique de catéchisme avaient lieu au dernier étage d'un immeuble
circonscrite. vétuste 4 rue de lAbbaye - qui abrite aujourd'hui des apparte-
< En ce temps-là, Paris était une ville qui correspondait à ments cossus [...], (Un Pedigree, @ Éditions Gallimard zOos,
mes battements de cæur. Ma vie ne pouvait s'inscrire autre collection Folio 2006, p. 3B). Et d'accentuer Ia remarque, dans
part que dans ses rues. > écrit le personnage-narrateur de un texte qui assèche le pathos pour conférer une densité plus
Quarfier perdu (Quartier perdu, O Éditions Gallimard tg84, pure à l'émotion: < Les visages ont changé' Je ne reconnais
ne le reconnaîtraient
collection Folio 1988, p. 132). I-écrivain narrateut de sa propre þlus le quartier de mon enfance comme
enfance lui fait écho dans Un Pedigree: <<Je découvre Ie quar- Prévert et I'abbé Pachaud > (Ibid, p. 3B). Muséo-
þlus facques
tier Pigalle, moins villageois que Saint-Germain-des-Prés, et graphie imaginaire, alots: chaque lieu parisien est appréhendé
un peu plus trouble que les Champs-Élysées, (IJn Pedígree, óom-" un lieu de mémoire collectif, une somme de traces que
@ Éditions Gallimard 2005, collection Folio 2006, p. 62). Et l'écrivain recense pour susciter une vision du passé. Celle-ci
d'ajouter, comme pour forcer Ie traitrétrospectif : <C'est là, ne se veut pas une restauration mais Ia saisie in absentia d'un
rue Fontaine, place Blanche, rue Frochot que pour la première certain Paris à jamais révoiu qui exista entre les années trente
fois je frôle les mystères de Paris et que je commence, sans et soixante-dix et que ressuscite littéralement une liste de
bien m'en rendre compte, à rêver ma vie > (Ibid, @ Editions noms de commerces jadis situés avenue Daumesnil (Fleurs
Gallimard 2005, collection Folio 2006, p. 62-63). Lautofiction de ruine, O Éditions du Seuil 1991, collection Points Roman
est l'écriture de ce rêve, pour peu que I'on considère le rêve 1995, p. 29) ou une liste de noms de personnes naguère vivant
comme une instance de la vie psychique par laquelle le sujet avenue lunot retrouvés dans un vieux bottin (Vestíaire de
atteint à une connaissance de soi autre que consciente et que \'enfance, O Éditions Gallimard 1989, collection Folio 1991,
I'on perçoive aussi comment, par cette écriture et dans ce têve, p. 1^i4). Cryptographie intime, aussi: Ies lieux, Ies personnes,
la littérature travaille sa propre mémoite, s'invente elle-même. les objets, Ies adresses, les numéros de téléphone constituent à
Autre sens du mot autofiction: une fiction qui se programme Ia fois un diagramme vivant de la capitale et un terrain expé-
d'elle-même, I'allusion aux ( mystères de Paris > et à Eugène rimental de soi: ils rendent possible une exploration de la
Sue soulignant ici comment Ie Paris découvert par le jeune personnalité réalisée sur la base de situations urbaines, par Ie
homme au gré de ses déambulations se confond avec celui biais de souvenits, d'attaches, d'attirances, de phobies (Livtet
qu'il découvre au hasard de ses lectures. de famille, Fleurs de ruine, Chien de printemps).
Le Paris de Modiano combine ainsi une cartographie Dans une perspective proche, I'écrivain mentionne des noms
poétique, une muséographie imaginaire et une cryptographie de banlieues huppées, comme Neuilly et la rue de Ia Ferme,
intime. Cartographie poétique: Ie seul nom des rues fait office le Bois-de-Boulogne, Chennevières et son sporting-club, Iieux
d'évocation, Ies quartiers se ramenant à quelques lieux essen- de désæuvrement qui présentent tous les symptômes d'une
tiels, loin de tout pittoresque. Un café, le Condé, devient celui existence végétative, à I'image du Cap dAntibe en version
-
44 Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 45

provinciale, de la Suisse en variante étrangère et de villes d'un effet de lumière diffracté sur un mur par des persiennes,
irontalières comme Megève, dont la patine mondaine cache d'une horloge aux aiguilles bloquées, d'un pont ou d'un
mal les événements qui s'y déroulèrent, à la vie à la mort, ponton, d'un accident de voiture, de livres d'art volés, d'une
sous l'Occupation (Rue des boutiques obscures). Ces lieux òouleur verte, fait alors sens à côté de toute exigence descrip-
de vie collectifs, devenus lieux d'une mémoire personnelle' tive ou narrative. Disséminés dans I'ensemble de l'æuvre,
sont investis par l'écrivain d'une puissance romanesque qui répétés dans les différents récits, concentrés dans certains
tient à leur réversibilité. Les quartiers de noblesse du Paris d'entre eux (Du plus loin de I'oubli), ces éléments deviennent
historique recouvtent les quartiers de détresse d'un enfant les signes identifiables d'une l'écriture autofictionnelle qui
délaissé par ses parents (LIn Pedigree), sinon les exactions de élabore ainsi de façon détournée, comme à mi-voix, quelque
bourreaux occupant les hauts lieux de la capitale dans les autoportrait marqué par I'expression d'un flottement existen-
années quarante (La Ronde de nuit). Les hôtels particuliers tiel et d'une foncière mélancolie'
des banlieues aisées, les villégiatures et maisons de maître au Plusieurs situations de vie et d'écriture tournent d'un récit
prestige aristocratique recèlent de sombres trafics qui en font à I'autre. Ainsi de la relation qui place un jeune homme ou
Îes repaires d'une pègre aux ramifications diffuses (Livret de un jeune couple sous l'influence d'un adulte ou d'un groupe -
familTe, F\eur de ruines, Remise de peine,
-Outre
lJn Cirque passe)' situation psychologique qui recoupe littérairement celle propre
les événements dont ils constituent le cadte, ces lieux aux romans d'initiation pervers, en mode léger (apprendre à ne
sont peuplés d'objets, menus éléments d'un cadre de vie révolu rien faire par l'entremise d'adultes eux-mêmes dilettantes) ou
et sifneJ obsessionnels d'un récit de soi hanté par la perte. grave (être manipulé à des fins illicites, vols ou contrebandes).
Une balance pour se peser à I'entrée d'un square, un panier Âinsi de la forme de I'enquête qui infléchit plusieurs récits
à salade, ou car de police, et c'est tout un chapitre du roman dans leur ensemble (Rue des boutiques obscures, Dimanches
familial - la relation fils-père - qui s'esquisse, se précise, de d'août) ou par épisodes (De si braves garçons, Fleurs de ruine).
Boulevards de ceinture à lJn Pedigre vía Dora Bruder el EIle Lenquête se comprend comme la marque d'une écriture qui
s'appelait Françoise. Des cabarets, des théâtres de seconcle ne peut narrer les événements qu'en les soupçonnant - que
,ott", d"t loges et coulisses de fortune, et c'est un autre chapitre cachent-ils? -, ne peut reconstituer le passé qu'en doutant des
du même roman qui s'annonce, se tature, de lo Ronde de nuit circonstances - que s'est-il vraiment passé ? - et invente une
à un Pedigree via Livret de famille et Vestiaíre de I'enfance, el histoire fictive à partir des lacunes ou des équivoques d'une
concerne la relation fils-mère. histoire réellement vécue, I-enquête connaît son acmé lorsque
Ces phénomènes de reprise s'inscrivent dans un art marqué Ia scène romanesque s'apparente à un interrogatoite, avec
par Ie Jouci de Ia consignation matérielie (rappeler des états de un personnage-narrateur qui se soumet lui-même à la ques-
ãhoses) et de I'injonction romanesque (imaginer des ordres de tion en interrogeant à la fois ce qu'il a vécu et ce qu'il raconte
raisons). Comment lutter contre I'usure du temps et la mémoire (Un Cirque passe, Accident nocturne). Ces scènes récurrentes
séIective des hommes - question sur laquelle s'achève Doro constituent les situations types d'un imaginaire qui amalgame
Bruder? Le souci maniaque de la nomenclature et le sens de des scènes de vie adolescentes et des scènes de genre littéraires
I'extrapolation vont de pair dans cette entreprise menée contre marquées par les atmosphères du roman noir et les polars de
I'oubli. Restituer I'environnement d'une vie passée conduit série B. Lautofiction articule ainsi une matière autobiogra-
à dégager les dynamiques historiques et intimes qui Ia sous- phique et des données romanesques pour mettre en æuvre
tendãnt. La mention lapidaire d'une valise, d'un chien, des différentes versions d'un même psychodrame, placé sous Ie
sabots d'un cheval, de la neige, de I'éther, d'un aquarium, signe d'un désaccord entre soi et le monde.
Lire Patrick Modiano Contexte et enjeux 47
46

La raison initiale en est la trahison des adultes, éprouvée en vestissements financiers dans quelque pays lointain: geste
termes de famille (des parents inscrits aux abonnés absents) et attitude prêtés au père dans Un Pedigree et en partie dans
et de génération (naître en 1945)' On lira de la sorte, dans Une Livret de famille, Le même livre mentionne une vie de collège
leunesse,la scénographie minimale qui répartit dans I'espace éprouvante et une propriété avec un élevage de chevaux en
deux adultes et deux jeunes gens: ( La lumière de Ia lampe Sologne: les références, validées comme biographiques par
éciairait violemment Odile et Louis ["']. Axter et Harold les certains récits, deviennent ici les signes romanesques d'un
observaient. Deux papillons immobiles, cloués sur un tissu mal-être, privation affective pour le premier, ostentation d'un
et contemplés par dei amateurs> (Une leunesse, O Éditions luxe trahissant la vanité de la vie pour Ie second.
Gallimard 1981, collection Folio 1985, p. 11'4),La formule est Uautofiction désigne ce processus de self-control par lequel
sans appel, qui fait de la cruauté des adultes la raison d'une le sujet, en travaillant Ia matière de sa propte vie, s'invente,
mise en croix des adolescents, auxquels est confisquée leur aux deux sens du verbe: il se découvre, il se construit' Elle
part, éphémère mais décisive, de légèreté - ie principe de renvoie aussi au processus d'une æuvre qui s'engendre elle-
papillonnage comme libre découverte du monde. En écho à même depuis les reliquats du passé, celui de son auteur et le
cette version, [-]n Pedigree, récit de soi à dimension documen- sien propre. Une matière identique se façonne différemment
taire, De si braves garçons, ouvrage entrecroisant les conven- au gré de versions écrites différentes, faute de pouvoir être
tions de I'autobiographie et de la fiction, et le deuxième récit épuisée par un seul récit et ramenée à une mise en perspec-
inclus dans Des inconnues, recueil de nouvelles romanes- tive unique, une ligne de sens unilatérale. Une même matière
ques, assimilent I'adolescence vécue à un emprisonnement, biographique connaît ainsi des ordres de mesure et de propor-
voire un chemin de croix. Lexpérience répétée de I'internat a tion variables en fonction du traitement littéraire adopté,
fait de l'adolescent Modiano un papillon cloué sur place que lequel renvoie à l'évolution de la personnalité, au rapport
l'adulte devenu écrivain contemple à distance, entre cruauté chãngeant qu'elle entretient avec son propre passé, aux degrés
et compassion. de révélation qu'elle entend faire à ce sujet. De si braves
Toute situation type abstrait les événements de leur actua- garÇons raconte en miniature I'histoire exposée vingt ans plus
lité propre. Seul s'exprime, comme un point de douleur encore tard dans La Petite Bijou. Accident nocturne intègre en minia-
éprouvé quand ses raisons se sont perdues, I'écart entre ce qui ture Ia situation qu'[/n Cirque passe développe in extenso
s;est passé réellement et ce qui demeure inscrit à vif dans la quatorze ans plus tôt, mais en lui adjoignant un événement
mémoire. Les scènes de déambulation, de fugue, de dispari- supplémentaire. Le même roman reprend un surnom, Pato-
tion, la figure du chien errant ou perdu, en constituent des che, attribué un an plus tôt à l'écrivain-enfant dans -Remise
indices. Insérées dans une æuvre où elles reviennent quel de peine, qui traite à I'échelle d'un livre une situation concen-
que soit leur prétexte anecdotique, elles constituent les signes trée dans le chapitre xxxll de Rue des boutiques obscures
d'un écart entre ce qu'a vécu l'écrivain et ce qu'il éprouve, ce dix ans plus tôt et qu'Un Pedigree énonce comme partielle-
qu'il parvient à raconter dans les limites cadrées d'un récit ment autobiographique dix-sept ans plus tard (l'histoire d'un
et ce qu'il tente d'énoncer hors nattation, à I'horizon décentré ieune enfant recueilli pendant un an dans une petite ville de
de l'écriture, par le phénomène incessant de la reprise. Ainsi banlieue par des amies de sa mère, par la suite arrêtées pour
Memory Lane, roman bref, contient des scènes qui incluent recel de biens volés).
des données exposées dans d'autres livres comme autobiogra- Chaque ouvrage possède ainsi une dimension autofiction-
phiques. Un personnage d'âge mûr lance un téléphone sous nelle, quelle que soit son appartenance générique, quand il
en a. De si braves garÇons est publié sans indication de genre
i" de la colère, un autre imagine de fumeux projets d'in'
"o..p
-
48 Lire Patrick Modtano Contexte et enjeux 49

(couverture) mais accompagné d'un texte qui suscite le doute de naissance que Patrick Modiano s'est attribuée à ses débuts
sur l'identité réelle ou imaginaire du narrateur (quatrième - 1947 -, celle du frère disparu, Rudy, auquel Ie livre est dédié,la
de couverture). Lénonciation se dédouble en effet entre un Ainsi, dans le même roman, de la répétition obsédante de
< je > premier d'allure autobiographique - I'année et Ie lieu couleur < vert >r eue I'on apprend au finai avoir été celle du
de naissance prêtés au nattateur sont ceux de l'écrivain, de manteau porté par Ia femme disparue que le narrateur aimait,
même Ia mention incidente de ses deux filles - et un <je> mais qui sature aussi plusieurs auttes récits. Remise de peine
d'occasion à profil romanesque - un comédien raté. La voix la présente comme la couleur de I'autotamponneuse préférée
du < je > principal est ainsi relayée par celle d'un alfer ego qui du petit frère, ce qui agit en retour sur un épisode fugitif rle
présente d'étranges similitudes avec elle au point qu'on tencl Rue des boutiques obscures où il est question d'un enfant et
d'abord à les confondre, dans un récit toujours prêt à bascu- d'autotamponneuses multicolores. Ainsi, enfin, de I'attribu-
ler de la chronique méIancolique de I'adolescence au roman tion à un personnage secondaire du patronyme de Bogaert,
d'épouvante de l'âge adulte. Le livre répercute dans ces incer- dont l'écrivain révèle une trentaine d'années plus tard dans
titudes structurales son propre thème, I'effritement clinique tJn Pedigree, récit de soi qui entend s'en tenir à une ligne
de la personnalité, le déséquilibre latent d'individus appa- d'information biographique stricte, qu'il s'agit de celui de son
remment normaux mais toujours susceptibles de devenir des grand-père maternel. Mais ces indications ne permettent d'ap-
barbares, d'eux-mêmes ou de leurs proches. Poussée à son óréhender que la part apparente, et parfois piégée, des situa-
degré extrême, I'autofiction suscite un jeu de vertige identi- iions. Comme dans l'æuvre de Perec, il manque toujours une
taire dans lequel s'évanouissent les critères du vrai et du faux, pièce au ptzzle pour que soit satisfaite I'ardeur de l'écrivain
de sujet et de I'objet, en des termes qui mettent simultanément qui l'agence et celle du lecteur qui le reconstitue.
en jeu I'expérience littéraire et la conscience de soi. Dans des
récits comme De si braves gorçons, mais aussi Quartier perdu,
Vestiaire de I'enfance, [Jn Cirque passe,le sujet réel de l'énon-
ciation - I'écrivain - s'identifie progressivement à un sujet
fictif - le personnage-narrateur -, phénomène paradoxal qui
constitue simultanément une expérience d'actualisation et de
déréalisation de soi. Lhomme qui écrit se cherche-t-il ou se
fuit-il? Qui dit n jer? Quelle voix habite le texte? Lart subtil
de Modiano consiste ainsi à traiter la question des identités
en I'abordant thématiquement dans les histoires racontées et
en la déplaçant dans Ie rapport engagé aux instances de l'écri-
ture.
L'écrivain invente ainsi un espace littéraire fonctionnant à
la fois comme un révélateur et comme une crypte. Liexposition
de la personnalité intime passe nécessairement par le jeu de
masques. Ainsi de I'usage du nombre quarante-sept dans Rue
des boutiques obscures - une agence de détectives, fondée en
1947, est Ie premier lieu romanesque d'un récit qui comporte
Iui-même quarante-sept chapitres. On pense à la fausse date
Chapitre 2

Territoires et trajets

L-æuvre de Patrick Modiano obéit à un double principe: une


cohérence d'ensemble faisant de la trentaine d'ouvrages à ce
jour publiés les différentes pièces d'une æuvre mobile, dans
laquelle chacun entre en résonance avec les autres et tous
font sens par capillarité; une harmonique propre à chaque
ouvrage qui module des thèmes communs et propose autant
de variations autour de figures thématiques proches. Si elle
constitue sa marque de reconnaissance, cette caractéristique
de l'ceuvre rend difficile toute présentation dissociée des récits
qui la composent. Selon les entrées privilégiées, sa configu-
ration d'ensemble varie et le sens de chaque ouvrage, interdé-
pendant de la position qu'il occupe dans le dispositif général,
se déplace. Il est à lecture des livres de Patrick Modiano une
impression commune: ressentir des difficultés à en parler,
faute de se souvenir vraiment de son histoire qui rappelle
celle d'un autre livre - mais lequel ? Tout I'art de l'écrivain
tient en cette gageure: placer le lecteur dans la situation qui
est celle des personnages, lui faire éprouver les limites de la
conscience et les traîtrises de la mémoire. L'écrivain charme
par cette fameuse < petite musique ) qui excède la simple
virtuosité du styliste parce qu'elle cherche à agir sur les dyna-
miques sensibles de la mémoire et les déterminations subli-
minales de la pensée, Patrick Modiano est un manipulateur
de formes - rythmes, images, mots, noms. Dans ses récits,
entre ses récits l'æuvre d'ensemble qu'ils forment
- -, hors des
récits - dans l'effet de réception qu'ils suscitent
-, I'écrivain
53
52 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets

travaille sur I'envers de Ia mémoire: Ie phénomène de l'oubli, Du plus loin de I'oubli, Des inconnues, Accident nocturne);
Il en dissémine les signes, oblige à faire avec, donc à lutter des récits autobiographiques, dont certains incluent, dans Ia
contre, à imaginer ce qui fut et retenir ce qui fuit. Du plus relation des événements vécus, quelques hypothèses roma-
Ioin de I'oubli: ce titre d'un toman désigne autant une tension nesques (Livret de famille, Remise de peine, Fleurs de ruine,
de I'æuvre qu'une posture de la lecture, Si I'oubli constitue Chien de printemps) alors que d'autres semblent régis par un
un phénomène inhérenLau fait de vivre, il représente pour strict souci de témoignage, historique (Dora Brudet) ou intime
Modiano un scandale parce qu'il est la marque d'un univers (tln Pedigree).
qui s'autodétruit jour après jour et d'un sujet en mal d'iden- Cette répartition ne saurait toutefois se comprendre comme
tité, en partie amnésique, dont Ie noyau intime, la person- une architecture systématique mais plutôt comme une sttuc-
nalité propre, se désagrège. Vestiges du temps et vertiges de ture en échos, Il est dans certains épisodes de Villa triste, La
soi ne cessent de se combiner dans des récits conçus comme Petite Bijou et Accident nocturne des traits d'écriture hailuci-
des leurres, qui laissent jouer les manifestations sensibles de natoires qui rappellent l'écriture altérée du triptyque expres-
l'oubli pour mieux tenter de les combler, entretenant ainsi une sionniste. Si ViIIa triste expérimente les conditions d'une
douloureuse énigme. écriture minimale que les ouvrages suivants approfondissent,
le récit inclut encore, comme un texte de transition, plusieurs
marques de I'ironie provocatrice des trois premiers romans:
Périodes et cycles de l'æuvre ainsi du télescopage narratif entre les <balles > Iancées par-
(
L'æuvre de Modiano évolue dans le temps, quand bien dessus un filet > par de < gentils et rassurants imbéciles > qui
même I'écriture se fixe pour objectif d'en inverser le cours jouent au tennis dans un grand hôtel dAnnecy et celles qui
et de donner à lire le spectacle de cet < éternel retour > que ,'é.huttg*ttt au même moment en Algérie où < on se battait
racontent, par le biais d'une histoire de revenanls, Accident [,,.], paraît-il> (p. 29). La douceur mélancolique du nartateur,
nocturne et Dans les cafés de Ia jeunesse perdue. Deux pério- Victór Chmara, cède parfois la place à des bouffées d'agres-
des d'inégale longueur peuvent être distinguées dans l'æuvre: sivité qui rappellent Raphaël Schlemilovitch, le héros de Ia
l'une, dominée par une esthétique expressionniste, marque P\ace de I'étoile, quand il dénonce par exemple Annecy comme
les débuts du projet littéraire et comporte le triptyque de l'Oc- <un sale petitvillage français de merde, (p'93)'De même les
cupation (La Place de l'étoile, La Ronde de nuit, Les Boule- récits d'investigation exposent, comme le font les récits de la
vards de ceinture) ; I'autre, dominée par la recherche d'une mémoire, la recherche d'un passé ramené à des vestiges et à
esthétique minimaliste, inclut I'ensemble des romans et récits des séquelles: seule les distingue la primauté romanesque
publiés depuis 1975. Échelonnée sur plusieurs décennies, cette qu'ils accordent pour Ies récits d'investigation à l'exploration
seconde période connaît différents cycles qui interfèrent: des des vestiges, pour les récits de suspense à l'étude des séquelles.

romans d'investigation, recoupant un suspense identitaire Enfin, tous les ouvrages contiennent une charge autofiction-
(Rue des boutiques obscures, Dimanches d'aottt, La Petite nelle d'intensité variable. Lappropriation romanesque de la
Bijou); des romans de la mémoire, s'apparentant à une recher' matière biographique à des fins d'autoconnaissance caracté-
rise I'ensemble des récits, mais à des degrés d'application, de
che du temps perdu (Villa triste, (Jne /eunesse, Vestiaire de
I'enfance, Memory Lane, Dans le café de Ia jeunesse perdue); formalisation et d'intention variables. En rend compte, dans la
classification proposée, la répartition des ouvrages par gradua-
des romans autobiographiques, dans lesquels l'écrivain s'ins-
tion plutôt que par division, selon un spectre qui va des textes
pire d'événements de son passé pour composer une fiction à
Ies plus romanesques aux textes les plus autobiographiques.
la première personne (De si braves garçons, Quartier perdu,
54 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 55

L'æuvre inclut par ailleurs ses propres digressions ou s'estompent. Paradoxaux, ses échos hantent les consciences.
curiosités: préfaces, Iivre d'entretiens avec Emmanuel Berl, Dans les ouvrages de Patrick Modiano, Ia scène de rétros-
livre d'hommage à Françoise Dorléac publié avec Catherine pection renvoie moins à une présence reconstruite qu'à une
Deneuve (Elle s'appelait Françoise), albums pour la jeunesse remémoration partielle des événements, avec un effet de
(Une Aventure de Choura, Une Fiancée de Choura, en colla- déperdition que le texte fait jouer dans la distribution de mots
boration avec Dominique Zehrfuss), commentaires d'ouvrages et de blancs, de paragraphes et d'interstices, de phrases asser-
photographiques (Paris Tendresse, sur des photographies de tives établissant des faits anciens et de phrases interrogatives
Brassaï), scénarios de filmsãe cinéma (Bon voyage de Jean- insinuant le doute quant à leur degré de fiabilité, Ainsi l'écri-
PauI Rappeneau, 2003) ou de télévision (Le Fils de Gascogne ture entretient-elle moins I'illusion d'un passé retrouvé que les
de Pascal Aubier, 1gg4), chansons (Etonnez-moi, Benoît,tttbe désillusions suscitées par les tentatives de sa reconstitution.
de Françoise Hardy dans les années soixante-dix). Le style fragmentaire calque les mouvements d'une mémoire
Dans cette æuvre mouvante, la plasticité des formes le émiettée. L'esthétique du flou, enveloppant la narration de
dispute à la labilité du sens. Les récits de Patrick Modiano faits précis ou la mention de détails évocateurs, suggère I'in-
présentent tous une perspective historique et une thématique certitude des souvenirs. La recherche d'un passé ainsi obli-
existentielle, mais s'ouvrent vers un horizon ontologique et téré se relance pourtant incessamment, mélancolique quand
sont portés par une tension éthique. Le rapport à I'histoire et elle entretient le sentiment de Ia perte et suggère qu'il n'est
la question de l'existence constituent leur ligne de suite: l'objet de maturité que par dépossession de soi (Chien de printemps,
d'une intrigue romanesque, ou d'une séquence biographique, Fleur de ruines), tragique quand elle se résorbe en une scène
voire d'une narration hybride, avec des personnages incertains de mort violente prenant valeur de rupture définitive (l'acci-
que détermine un passé trouble, souvent indissociable de la dent de voiture dans Dimanches d'aottt ou [/n Cirque passe,
période de I'Occupation et des années qui la précèdent, même Ie suicide dans Vi11o triste ot Dans Ie café de la jeunesse
quand elles ne sont pas ouvertement référées. La dimension perdue), onirique quand l'écrivain, forçant Ia part d'etteut
ontologique et la visée éthique constituent les lignes de fuite propre à toute rétrospection, téinvente le monde d'hier à partir
des récits. La problématique des identités indécises renvoie
d'impressions anciennes (Ia Petite Bijou, Accident nocturne),
plus généralement à Ia représentation d'une société contem- archéologique quand Ie texte se veut un document d'enquête
(Dora Bruder) ou un exercice de consignation (Un Pedigtee).
poraine dans laquelle aucun repère, aucune structure n'offre
Le passé échappe à toute mise en perspective frontale mais
de supports fiables pour apprendre à se connaître et à savoir
s'inscrit en creux des récits, dans la tension entre des événe-
qui I'on est et où l'on va, Une éthique de la mémoire semble en
ments que l'on peut encore représenter jusqu'à l'épuisement
outre revendiquée par un écrivain qui collecte les traces de des détails et d'autres définitivement révolus, qui n'existent
destinées singulières avec une même ténacité sisyphéenne. plus qu'à titre de présomption.
L'écrivain institue alors un va-et-vient constant entre
Ligne historique: les zones claires de la conscience et les trous d'ombre de la
une mém0ire occupée, une écriture résistante mémoire - va-et-vient spatialisé par les errances des person-
nages et Ie clair-obscur des atmosphères (Fleur de ruines,
OMNIPRÉSENCE DU PASSÉ
Quartier perdu, Dans Ie café de Ia jeunesse perdue). Dans
Instance majeure des récits, Ie passé demeure pourtant leur Voyage de noces, iI prête au narrateur quelques considéra-
principal absent. Insaisissable, il est limité à des traces qui tions qui peuvent se lire comme l'expression discrète d'un art
56 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 57

poétique du temps passé (Voyage de noces, O Éditions Galli- rescapés des camps, de la fuite et l'exil des responsables nazis
mard 1990, collection Folio 1991, p, 53-54). Le romancier se ou collaborateurs français dans des pays dAmérique centrale,
doit de choisir entre deux démarches quand il entend accorder de I'immunité des fonctionnaires de police, les sans-grade ou
son écriture aux mouvements de Ia mémoire: l'une Ie porte à les chefs, dans une France de l'après-guerre qui couvre sur
I'exhaustivité, l'autre vise à I'essentiel. La première, ou < I'in- toute Ia seconde moitié du xxn siècle. En termes de société,
ventaire d'une saisie >, privilégie les détails au risque de négli- cette histoire désigne un passé proche. En termes d'intimité,
ger I'ensemble, La seconde, og < ligne d'une vie >, dégage la
elle renvoie à un passé antérieur pour l'écrivain qui naît en
progression à terme d'une existence, son diagramme propre, au
1945 d'un père à moitié juif, trafiquant de marché noir, proche
risque de l'abstraire de la matière vivante dont elle est compo-
de certains cercles collaborationnistes, et avec lequel il se
sée. Patrick Modiano refuse I'alternative: Ia dimension étrange
brouille à sa majorité. Il devient alors un personnage récur-
de ses récits, au regard des événements simples qu'ils expo-
rent de l'æuvte.
sent, tient à leur alternance. Les histoires basculent en perma-
Romanesque, la figure du père I'est en raison de ses ambi-
nence d'une inscription concrète dans un environnement
guités. Elle s'identifie à la période de l'Occupation, à la ques-
commun, restitué avec un surcroît de notations matérielles qui
en devient hallucinatoire à force de précision, et un déplace- lion de I'illicite (un personnage trouble, entre affairisme et
ment dans quelque espace-temps abstrait de toute actualité, un escroquerie), au rapport de fascination et de détestation entre-
non-lieu de la mémoire, en dérive de toute histoire spécifique, tenu par l'écrivain avec ce passé' Du père, l'écrivain se fait
qui leur confère une dimension allégorique. tour à tour le défenseur et Ie procureur, depuis Les Boulevards
Une métaphysique du temps, doublée d'une fatalité de de ceinture qui en ouvre Ie procès pour faits de collaboration,
I'histoire: ainsi se noue dans l'æuvre de Patrcik Modiano le mais en même temps met en scène un personnage de fils atten-
rapport au passé. La première fait de chaque roman Ie lieu tif à veiller sur un père happé dans I'engrenage de I'histoire,
figuratif d'une vanité. L'évocation de milieux disparus et de jusqu'à un Pedigree, qui achève ce procès par la double accu-
personnages défunts atteste de la toute puissance du néant: sation d'un abandon de tutelle puis d'un abus d'autorité, mais
symboliquement, Dans Ie café de la jeunesse perdue se reflète énonce comme motivation intime du premier livre, Ia PLace
par un jeu spéculaire dans le livre qu'un lecteur érudit offre de I'étoile,la volonté de rendre justice à un homme victime
à l'héroïne, livre écrit par une lointaine mystique, Louise du de l'antisémitisme. Dans .Les Boulevards de ceinture, le père
Néant. Certains romans de haute tradition sont conçus comme précipite le fils sous une rame de métro, scène de fiction qui
une miniature des triomphes de la mort (Memory Lane) otr exprime, par-delà la violence intime dont elle est chargée,
une expansion des danses macabres (La Ronde de nuif). D'un l'idée d'une génération précipitée dans le vide par celle qui
ouvrage à I'autre, l'écriture en s'affinant, en élaborant un art la précède. Chez Modiano, le passé obère ainsi le présent' Ses
du moindre mot, donne l'impression de désagréger son propre crimes et ses exactions se ttansmettent au-delà de Ia simple
objet: comme un sablier, elle laisse s'écouler une matière mémoire qu'on en conserve, comme les ondes d'un tlauma-
verbale atomisée. Quant à I'histoire, elle présente toutes les tisme dont I'origine s'est perdue mais Ia douleur se ravive, à
apparences d'un fatum des temps modernes, une tragédie l'occasion de quelque peine fortuite. D'où l'ambiguÏté du titre
sans dieu dont la mécanique broie une partie des vivants et attribué par l'écrivain à I'un de ses récits, Remise de peine: en
voue les générations qui les suivent à une destinée erratique, son sens juridique, il signifie une libération anticipée, en son
Cette histoire est celle de I'Occupation, de Ia Collaboration, sens littéral il désigne une peine remisée, comme enfouie en
des rafles et de la déportation des juifs, du génocide et des soi, cadenassée dans Ia mémoire.
I
58 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 59

Les récits engagent en ce sens une relation à I'histoire sa qualité de juif apatride, à la psyché fragile. Comme s'il
variant en fonction du degré de conscience qu'ils entretiennent obéissait à des automatismes mentaux hérités de l'histoire
avec I'univers de la Seconde Guerre mondiale. La résurgence des siens, il répète en effet des attitudes devenues patholo-
de l'histoire dans le comportement individuel des hommes ou giques parce que détachées du contexte immédiat de persé-
le devenir d'une civilisation est I'objet d'un traitement narra- òution qui les justifierait: avoir peut, faire ses valises, fuir, se
tif différencié. Certains textes surexposent leur rapport à la cacher. Ainsi se maintient Ie lien entte un passé lourd d'effets
période de la Collaboration en jouant la carte du romãn histo- souvent refoulés et un présent apparemment autonome mais
rique halluciné - La Ronde de nuit, Les Boulevards de ceinture dans lequel des événements mineurs, souvent incompréhen-
- ou réaliste - Lacombe Lucien. D'autres aùordent la question sibles à ceux qui en sont les acteuts, constituent les séquelles
de la déportation des juifs en substituant à une évocatión diffi- d'un passé qui refuse de < passer >, les symptômes d'un présent
cilement envisageable en termes réalistes un suivi de séquen- sous contrôle.
ces expressionnistes - La Place de l'étoile - ou en filant un Patrick Modiano décline toutes les nuances d'un temps
récit d'investigation qui interpole des documents d,archives hanté par l'histoire, depuis la version amplifiée qu'en présente
que le nalrateur commente - Dora Bruder, La majorité des Rue des boutiques obscures - une amnésie totale, qui résulte
récits diffèrent leur rapport à cette histoire en démultipliant du traumatisme subi par la victime deux décennies plus tôt
le temps de la fiction, Ils établissent des échos entre présent et pendant la guerre - jusqu'aux versions les plus latentes -
passé, entre les différentes époques du passé et les différents lne simple mention, un détail incident suffisent à mettre en
états d'un présent qui ne se limitent pas à la seule actualité. perspective Ia crise relatée avec la période de I'Occupation.
Rue des boutiques obscures, Du plus loin de I'oubli, Vestiaire bu ptus loin de I'oubÌi est construit autour de la structure
de I'enfance, (Jne feunesse, Memory lane forment ainsi des du trio ambigu - le personnage-narrateur tombe amoureux
romans de la rémanence. Lhistoire officielle ne campe pas de d'une jeune femme avec I'assentiment tacite du compagnon de
plain-pied dans des histoires romanesques qui renìeiraient cette derniète -, puis du couple nomade - les deux amants
directement aux années de guerre, mais s'immisce à I'oblique, fuient à Londres -, mais le roman tourne aussi autour de la
par un effet d'inscrustation dans des situations évoquant tìès figure du rescapé - Rachmann, escroc juif déporté dans sa
souvent les années soixante/soixante-dix. On rapprochera en jeunesse. Le comportement de ce personnage se limite à une
ce sens la nouvelle x de Livret de famille et certaines pages de suite de symptômes traumatiques: l'appétence morbide (il fait
Vestiaire de I'enfance parce qu'elles développent une même commerce d'appartements en ruines), Ia fixation masochiste
scène radiophonique à dimension allégorique. Le présentateur sur les jeunes personnes, la sexualité mécanique, la clochar-
d'une émission musicale diffusée dans les annéãs soixante- disation partielle, la régression (il se réfugie dans l'une des
dix est un ancien collaborateur: sa voix, indépendamment du maisons insalubres qu'il vend pour y dormir, en pleine jour-
discours qu'il tient, rappelle I'univers des années sombres; les née, sur un lit de camp). Aucune analyse psychologique ne
ondes du passé entrent en interférence avec la vie présente; met en relation directe ces attitudes et I'expérience concentra-
l'univers de la seconde guerre parasite le monde dés années tionnaire, pourtant inscrite dans Ia spirale du récit et dans le
soixante, celui de la guerre dAlgérie. Dans Vi11a triste, la sens implicite de certains mots (ainsi lit de comp), Rachmann
guerre dAlgérie est l'événement passé à partir duquel, comme gravite autour du couple qui devient la victime des ondes
par mécanisme associatif, le récit remonte jusqu'à la présence délétères émanant de lui, à moins que le rescapé ne consti-
latente d'une autre guerre que le personnage-narrateur n'a tue pour le jeune homme vulnérable une préfiguration de son
pas vécue personnellement, mais dont il est ie produit en avenir autant qu'une réminiscence de son passé, une figure
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 61
60

le roman connaît un effet


cle comme un leurre pervers le discours humaniste que I'une et
du Père - de la sorte d'ailleurs' I'autre ont façonné au cours des siècles.
De si braves +arç]ons i"Î:"i"J:-l:
basculement autofictionnel' La Place de I'étoile alterne le monologue intérieur et le récit
[e plus proforrcl d'un
passe
il;J;; degré d'enlouissement de vie d'un personnage irnaginaire, Raphaël Schlemilovitch'. À
sonI victìmes à leur insu
et
historique dont les personn.ages trempant sa plume la manière du Nouveau Roman, mais avec un degré d'implica-
qui les votle - t-typåt'nA'u de"romancicr à une destinée corrom-
tion historique et intime qui donne sens au brio expérimental,
dans l'encrier des grands tragiques - l'écrivain dérègle les ressources de la fiction. Les personnages,
pue dès ses origine',-ão"" a
Ie"furmement préventif dans'un
les situations, les lieux, les époques se heurtent sans cesse. Le
en décalug" n""" leur société'
internat. Adultes, tot" Ztofttunt narrateur s'invente différentes hypothèses de vie correspon-
Ie personnage-narrateur qul
sinon à sa marge, y compris dant chacune à une personnalité type: leur amalgame rend
avec la minutie d'un ento-
collecte leur biograptti" '"'p"-ctive donc impossible tout système d'identification unique puisqu'il
évoque de laçon fugacc
mologiste pervers' i'un d*''chapitres se définit tour à tour comme < juif collabo >, < juif norma-
puis déporlé' Cette seule allusion lien >, < juif aux champs >, < juif snob > (p, 1z+), confident de
ta figure d'un ¡uif pã*J"uté'
,lé^cîI"* l'ensemble de la filtion'
lui conférant comme rlne Hitler, amant d'Eva Braun, victime de Torquemada, prison-
tous
des adolescents de I'internat'
valeur allégorique ' "fi" f"it et nier d'un kibboutz disciplinaire,.. De même les épisodes
les enfants d'un temps brisé
nés au lendemain d;'i;;;;e' ne se combinent pas en une intrigue: l'effet de dislocation
d'une civilisation suicidée' remplace celui, conventionnel, de configuration. Les séquences
dissociées s'additionnent, les personnages s'imposent
et se dissolvent, Ie paroxysme conditionne l'expression des
ARRÊT SUR OUVRAGES:
DE L'ÉTI¡LEEr LA RINDE
DE NUrT situations ainsi que la teneur des propos, que la version du
i'i'irnót roman remaniée par l'auteur en 1995 édulcore toutefois quelque
par Patrick Modiano assignent
Les premiers ouvrages publiés juif anti- peu. Les phrases brèves se succèdent, imposant un rythme
et délirante: récit d'un
à l'histoire .t,t" ptulï"J"ì'"t" syncopé que I'usage de la parataxe, en effaçant toute jointure
sémire dans Lo ,'k";;" l'étoile, d'un agent 9.""b1" llt larre logique, rend souvent convulsif. La typographie se fait miméti-
Ronde clc luit' d'un icunc adulte
sa propre u*¿totloïäil'-ro les que du vide avec de nombreux espaces blancs qui segmentent
et qui vit auprès de son père
happé par une pftåi"g*pltie Ìe texte, Altération, amalgame, exacerbation, cassute, vide:
années a" t'o""ttp"uiiåIãu"t
¿"t Boulevards de ceintttre'Les l'écriture rejoue rhétoriquement la scène du cauchemar.
tonalité sarcastique et un
trois récits pu'tuig;"t une même Patrir;k Modiano compose un texte des extrêmes c1ui, à défaut
Patrick Modiano creuse l'écart de représenter la Shoah, laisse agir son traumatisme. Il en
même registre
""ti;;"i;tque' déplace les termes, inventant en cela le roman de son inté-
entreunréférenthistoriquequise.prêt"8."":-t,"1"Te3taux
lã grande Histoire) et uu
approches ,n"'-;;;;;"s'(évoquer riorisation sidérée. Toute idée d'identité juive est exécutée et
foncìé sur I'effet de provoca-
traitement fitt¿'^i'ã ¿"sinvolte' cette exécution donnée en spectacle: les personnalités hétéro-
une réalité qui frappe cl'ina-
tion. Comment mettre en mots u
clites que le narrateur endosse à tour de rôle s'annulent entre
nité les mot, ".,x1äã'Ju;;";"" ul'el1e.1e1*t: l1u,"^îement elÌes et I'annulent Iui-même par contrecoup, la composition du
l'";;;;i""tion des juifs? Les premiers'récits
informulabl",
s'apparente,tt -oil' à des
fictions romanesques qu'à des
impliquant la langtre et la 1. Los réfórr:nct:s sont empruntées ¿ì l'édition en r;oller;tion Folio cle La Place
perlorman""' "*"p'"'Jo'-'.nistcs' de l'Histoire ct dénonçanl dc l'étoile, O Éclitiorrs Gallimarrl 1u6tl (collectir¡n l1'olio 1.975).
dt";'i"'déròglement
Iitléraltrre
Territoires et trajets 63
Lire Patrick Modiano
62

campagnes françaises ; références littéraires : citations, gloses,


de vertise' Cette exécu-
roman recoupant ainsi un mouvement esthé- pastiches confrontent le texte à un intertexte dissonant. Lin-
tion semble d'autant"pî"t lá¿t"ale qu'aucun"cadrage est au contraire
cipit se présente ainsi comme un pastiche de pamplet céli-
qu'elle
ii;;" ;';; ãis"ipti"à i'é"urgi" mais narratives'
nien, Barrès, Maurras, Drieu La Rochelle, Brasillach, Maurice
renforcée par I'éclatement ães structures. lj,"t Sachs, Lucien Rebatet sont tour à tour parodiés et mis en
'u;';;d;;r;;,Patrick Modiano affirme avoir écrit ce premrer
scène, mais également, dans un même délire citationnel anti-
qu'ii imagine avoir été'celui
roman pour tradu;i;^;;ti-ent sémite, Apollinaire et Marizibill, poème extrait d'Alcools, où
e"t à la nécessité cle
de son père, confro"t¿ a I'antisémitisme il est question d'un maquereau juif < qui sentait I'ail >, Heine,
juif' Qu'est-ce qu'être juif?
devoir se définir hi;;;;;mme Walter Scott, Voltaire, foinville. Le langage et Ia littérature
la pos-e en rappelant
Cette questlon, Hupnäãi^s"ltl"-ilovich sont de telle sorte confrontés à leur propre responsabilité
les imagerlei ideologiques' ìes en matière d'antisémitisme. En procédant à un montage de
les représentations
""lttttult"'' forire et contenu de siècle
clichés de société dii;ìã"ttnirent discours qui remontent le cours de I'histoire jusqu'au Moyen
tient lieu de démenti tant
en siècle. l-".,, ,utidå"ã*Ut"-ent Age, La Place de l'étoile rappelle comment s'est construite une
improbable toute définition:
res référents interfirent, rend.ant phobie de civilisation, complaisamment relayée par la litté-
ñiiffi;;;á t""d""t" ( vouns Gatib¡r' (p' 17)' juif honteux
réclamait rle rature, et un imaginaire collectif structuré, dont la Shoah,
méìoque
(p, 115), juif errant äiä""rïït iu-t,då loin d'être un accident de l'Histoire, constitue à l'échelle
portant une < calotte'
beaux dépayseme"il(p' u')' taimudiste (p'49)' homme de européenne le suivi et la Collaboration, à I'échelle fran-
des guiche, .tt"" bã'bt d* rabbin' çaise, le comble. Mais en feignant d'accréditer ces discours,
( "t
négoce. gros -"";;;t l'deo-new-yorkais '
expert en af laires
l'écrivain retourne leur potentiel de destruction contre les
qui, en iuillet 1s4;;;t¿;ssit à vendre
la forêt de Fontaine- pratiques littéraires elles-mêmes. Ce premier roman relève
épris d'ordre nouveau
bleau aux Allemu"ã" (p' 57)' sioniste en cela du geste nihiliste, qui répond à la violence tragique
référents tvpes en eix-mêmes contraclic- par la violence ironique et aux textes exterminateurs par une
ö:iäïó.^À;; à valeur exemplaire
toires s'adjoigneni ã"t ¿ttti"'lllttstt"s Montaigne et les
fiction explosive. A ce jeu, même les discours d'apologie et les
comme
mais que tout contribue à dissocier fables tutélaires ne sont pas épargnés, qu'elles relèvent de la
entre elles ces diffé-
Marx Brothers' coåÃã"t faire coTncider tradition judaïque, de I'humanisme chrétien ou de la pensée
de passe-pas1e - te.ilif I Que
rentes figures ti"";;;; ;n tour progressiste (Sartre et ses Réflexions sur Ia question juive est
Ie roman refuse ? La irarration
romanesoue et I'identité subiec- visé), A suivre le roman, qui atteint peut-être Ià son point polé-
par in même phénomène
tive, simultanement décomposées mique extrême, tous demeurent prisonniers d'une même atti-
dans le motif du kaiéiclos-
de saturation, se ;;;Ë1;;;t;lors tude qu'ils se contentent d'inverser: I'exclu de fait devient l'élu
Un visage humain
cope: < je raffole'à,' tut¿i¿oscopes' ["'l q'i change sans de droit, le persécuté un persécuteur, la victime de l'histoire
facettes lumine'ses et
::"ñ;äi;^;iil" les un bourreau des plus actif, ainsi que l'indiquent les virulen-
arrêt de forme. '"(;' ì;;)' Dans ce
kaléiclos"op"
leur provenance
11Ïlent
: rmages
tes charges antisionistes et la dénonciation de l'État d'IsraëI.
îi;;;"t anrisémitet' qttell" lue.s1i.tà l'extrême-droite tendance
Comment dans ces conditions trouver les mots qui convien-
ä;;;;p"gande, "îpt""t¿ås.(p. 2g-7o), ou héritées.9".t nent, les justes récits pour appréhender I'identité juive sans
Drumont, comme "åü" a" rat lu'it la détruire (discours antisémite), Ia nier (un certain discours
(p' rsz-rss);discours clichés:le
comme celle du itJiSätt de f in-
philosophique préoccupé d'universalisme) et l'hyposta-
juif pénètr" l"' ;;;;t "o"'iittté' pour les pervertiren scène sier (discours sacré ou politique, prosélytisme et sionisme)?
cortosivement
térieur, fantasme que l'écrivain met dans les
Comment échapper à ce que Jean-Pierre Faye et Anne-Marie
par la symbotiquäî;;ì;1 et celle de l'intrusion
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
64 65

>' qui dépos- nages de courtisans qui forment une faune carnavalesque,
de Vilaine appellent < Ia malédiction narrative Dans grouillant autour d'un pouvoir dont ils constituent I'emblème.
,Ja" f"t juifs de leur(s) tristoire(s) et d'e leur consciencel?
fable Figures d'une décompositionnationale: banquiers en faillite,
et toute
La Place de I'étoile, láute parole est une fable tiennent lieu de courtiers d'assurances pratiquant l,usage de faux, experts en
meurtrière: seuls f" gt;t"tq"e et le cynisme sulfu- objets d'art véreux, avocats marron, patronnes cle inaisons
oostutes, ce en q..oi'1" 'o-"" tupp"tl"
la littérature
cinquante'.tle closes, gigolos à multiples fo'ctions, morphinomanes, traves_
i"#;; H"*"tåt ¿ans les ann¿ås
strates du
].e91iv1in
pastiche littéraire' tis, proxénètes.., Le roman est dynamisé par une compulsion
u f*" qui constitue l'une des
"t radicalité ã'à"rit.,.re s'efface progressivement des
Si cette
sociologique à laquelle un sens aigu de lJ consignation maté-
tomans rielle confère une teneur tragique. En énumérant de façon
;;;;".t suivants, le principe de suspicion reste'duLes piège que précipitée un certain nombre de données concrètes obiets
de Modiano s'inscrivent dans la conscience dérobés à leur propriétaire, appartements réquisitionnés
-
constituentlelangageetlanécessitéfaiteàl'écrivain-figure - il
que pqr tradition évoque en creux, loin du pittoresque d'un roman historique,
du créateur qui, par-vocation propre autant le hors-champ par rapport auquel I'atmosphère délétère du
..rtt..r"tt., ,Ërrlrrifi" la puissan"u dut mots - de définir une
la raison s'impose: Paris de l'occupation fait sens. La spoliation des biens signi-
áã""iorogi" quant à son usage' Une mise
à
fie sur un mode métonymique la disparition des perso'ñes:
par l'invention progressive d'un usage minimal'
un la présence des camps de la mort est suggérée d,åutant plus
"fjã-pãtt*"
Tel n'est pas encore le cas dã ¿o Ronde de nuit' publié
intensément qu'ils ne sont jamais référés ouvertement.
de l'étoile' À l'encontre de 1'<historiquement
Le narrateur se présente comme un agent double au carré,
"";;;;¿""PInr"
cotrect > des années soixante-dix et loin des versions offi-
nationale' l'écri- un double agent double: recruté par la Milice pour infiltrer
ãi"ffæ faisant de la-Résistance une adhésion et pointe un réseau de Résistants, il est missionné par ces ãerniers pour
doubles
,rãln uifir-e sa fascination pour les agents noyauter le cercle de collaborate'rs qui l'ont à I'origine engagé.
la confusion des evene-
Ia porosité des choix idéologiques et nuit Leffet d'embrouillement qui en résulte caractérise ie récitäònt
La Ronde de
;"ï, pour celui q"i tut "ii "" situation' des organismes trois scènes révèlent en priorité I'absurdité tragique: le person-
;;""q""i; puri, "oti^borationniste dans lequelcommun comme nage-narrateur trahit les résistants en les faisant arrêter; il
prirrår, qui utilisent des criminels de droit
secrètes par les diri- assassine le chef des collaborateurs; il se lance dans une tenta-
main-d'æurrru, ,ont-"hargés cle missions tive de fuite suicidaire. si un tel chassé-croisé pose la question
;;;;it p"iitiques françaiã' Ils organisent des crimes - arresta-
de la responsabilité individ'elle en période ãe crise collec-
et.dirigent en sous-main plusieurs réseaux
tions, exécutions - tive, il suspend aussi les réponses convenues et vicle de leur
à ce mixte d'autori-
de marchés noirs, LÉtat í'identifie alors charge les catégories historiques ultérieurement emplies le
français, qui gouverne entre une -
i¿r, ìc," allemande et bras Résistant/le collabo - et les réflexes qu'elres suscitent rétros-
de fait' T'a référence
légalité d'apparat et une terreur politique pectivement - Ie héros/le traître. si ces principes s'avèrent
de nuit' renvoie à
i.ípii"it" à'lLuvre de Rembra"dt' ¿o Ronde
charge des basses
justifiés par l'Histoire accomplie, ils clemôurenfimpuissants
i"îtã"'tit""ité des édiles et d'une milice en à en énoncer la singularité en situation. L'écrivain cherche
et au tableau' sur fond
æuvres de Ia cité, commune au roman à saisir l'équivoque de la période concernée, son caractère à
d'atmosphère en clair-obscur' Lécrivain
multiplie les person-
ia fois terriblement commun et totalement aléatoire quand
il s'agit de poser la question du choix inclividuel. påtrick
La Dét'ttisott antisétttite t:t sott
Modiano n'absout pas celui de la collaboration mais essaie cle
L. Jean-Pielre Faye et Anne-Marie de ViÌaine, le situer à distance, c'est-à-dire de le restituer à son contexte
langag,e, Actes Sud' 1994'
Lire Patrick Modiano Territoires et tralets
67
66

,A'près Les Boulevards de ceinture, patrick Modiano


nremier, loin de toute vision systématique. Trente-cinq,ans élabore
peu à peu une façon de dire l'imaginaire de r'événement sans
souligne comDren
ãprès avoir écril /-o Ronde de nuit' l'écrivain en parler directement. son art rappeile la stratégie clu détour
visages^sur
uio., ,on ( cæur bat pour ceux dont on voyait les propre a Élie Wiesel, écrivain t.,i--C-e hanté
I-lái¡rn" ,oug", (u; Pedigree, o Éditions Gallimard 200s' iar la Sho"h,
Le personnage-narrateu.r,$e ta dans srgnes d'exode, ce dernier incite à parler ã'autre chose.
collection Folio 2006, p' 251' Parler d'autre chose, c'est ne parÌer q.,u ã* cette chose mais
Ronde de nuitn'a rien'd'abject: il est anonyme et médiocre'
double > rele- sans la nommer, dans des formes verbales et narratives qui la
un individu parmi d'autres, son statut d'< agent diffèrent'. La guerre et ses effets ne constituent prus dans les
en permanence
,rant -Ame dã l'antiphrase puisqu'il se trouve récits de Patrick Modiano un centre de gravité riais un point
peut-être' je n'étais
ogi par les autres : n'Inclic, pìil"tå' assassin de fuite. cultivant l'ellipse et l'effacemãnt, l'écritu.u u""o--
p-a, fft, méchant *tun autre' f
'ai suivi le mouvement voilà
dì nuit,o Éditions Gallimard 1969' collec- plit le paradoxe: elle désigne par l,absence. L'écrivain inclut
iou,', t¿o Ronde
dans les à-côtés du récit, à la lisière de I'intrigue, des indi-
tion Folio 1976, P. L24)' ces qui rappellent cette période: dans Vestiaire de l,enfance,
à celui d'une ronde'
Dès le titre, ce mouvement s'apparente
des danses tout la mention d'un char de la division Leclerc ou un livrä inti-
La ronde évoque sur fond de virães policières
s'il tenait une chronique ttlé chant funèbre pour Karr Heinz Bremer; dans Dima nches
à la fois f'estives et macabres' Commé
d'époque d'aottt,le bijou de la femme aimée dont le lecteur apprend
ã"?iá, d'ivresse, l'écrivain évoque des atmosphèreségrillards' incidemment qu'il fut voÌé entre février 1943 et mai ls++, ut
;;;;bl"-: soirées úbertines poìr Collaborateurs Swing trou- les scènes conduisant le narrateur à Chennevières, Champi_
théâtre, cirque, music-hall, "hutttorrt enlevées -
cité -' gny, La Varenne, les bords de la Marne <mal fréquentés...
lodo,ur, rn""è, de Charles Trenet' est abondamment (lo
mal de plaisirs surtout pendant la guerre > (Dimanches d'août, o-Éditio's
ãpár"tt"t à deux'o*'pott'-"n public en
aussi bien Gallimard 1986, p. 153); dans Livret de famille,la référence
lioid" de nuitest le titrä de l,uné d'entre elles). Toutpatrouilles' au Lutétia, hôtel parisien où arrivaient en 1945 les déportés
les
dans la même tonde, se rejoignent en boucle en
aux
i*-ár*r,"tions des réfraátaires, les supplices infligés Les phrases
provenance de certains camps.
Patrick Modiano transpose ainsi l,expérience de la perte,
résistants, les remords qui assiègent le narlateur'
et se reprennent' s'étirent et se lié à la shoah, et de la faute, liée à vic-hy, ra première rico-
ãt t", ,eq"ences s'encháînent du chant dals le temps, à commencer par la géneration de 1945,
réduisent, f'ormant eiles-mêmes' iusqu'à l'évanouissement
la sensation d'un vertige' la seconde longtemps occultée de la mémoiie'ationale. L,écri-
sens, quelque ronde qui restitue
frivole et vain invente des récits dont l'écriture est à la mesure de ces
Distraction a'upputu.t"e, exaction de fait: ronde
d'une seule états de conscience partiels en faisant sa règle de la censure
ronde macabre constituent les faces réversibles
la même
et même situation. Lécrivain superpose ainsi
dans et de la résurgence, de l'oubli et de l,obsession. Rien de moins
historiques, pourtant, que ces récits qui renvoient à une
phr"r" une scène àe fête, rythméà pát tttt" chanson devictime fohnny
torture dont un résistant est histoire en partie omise. Le propr" cl'un traumatisme, c,est de
Hess, et un épisode de
cette association s'autosuffire, de s'entretenir sanì plus de raisons conscientes,
ãn ,o..r-*o1 de façon toute réglementaire' Par
la.Collaboration' comment chaque événement nouveau réactivant une douleur dont
irugiq.,", il saisii I'atmosphè1e de les
uneréalitémonsttueus"'é"tlt"del'interpénétrationdesitua-
restituer par
if"t p"t"¿oxales, à charge pout l'ouvrage de lacirconvenant 1. Su. ces questions, o. se reportora
iã ,"girtr" nauséeux du ãisiours et le rythme à r'essai cle Myriam Ruszniewski-Darran,
Rontanr:ie¡s cle la Sltoalt, si l;eclto clr: lp¡¡¡ voix
des phrases. lrtiitlit,L,Har.mattan, 1999.
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
6B 69

Mais ces_catégories semblent eiles-mêmes frappées d,inanité,


circonstances premières sont rendues à i'oubli. La dimension
trop emphatiques au regard d'une æuvre curtivant le sens de Ia
existentielle dãs récits résulte ainsi de leurs variations spec- litote et l'art du moindre effet comme les marques d,un déses-
trales. poir supérieur, qui exclut les majuscules pour se nommer . Uélé_
gance d'une phrase aérienne, ouverte r,rt l" vide, Iui tient
lieu
Ligne existentielle: figures du mal-être de seul postulat. Ni.Caligula ni Roquentin, les personnages_
narrateurs de Modiano peinent à se nommer eux_mênres
UNE MISE EN SITUATION : LA FUITE ET SA SCÉNOGRAPHIE
faute de savoir encore qui ils sont, à l,image, emblématique,
Les personnages-narrateurs des récits écrivent depuis une de l'homme amnésique qui écrit Rue des bolti,ques obscurås
et
même impuisiance à vivre sans anxiété le temps présent' change d'identité au gré des chapitres et de ,u propru enquête.
< C'est à partir de ce moment de notre vie que
nous avons D'un récit à I'autre une même figure s'impose iuni dur* l énon-
la
éprouvé de I'angoisse, un sentiment diffus de culpabilité et ciation que dans la fiction, celle d,un personnage_narrateur
cãrtitude que nous devions fuir quelque chose sans très bien impliqué à son corps défendant dans une histãire qu'il ne
savoir qroi, (dernière phrase d'e n¡minches d'août' o Éditions parvient pas à dominer en temps réel ni à démêler urr't"rrr,",
Gatlimãrd 1986, p' roo). Les récits alors remontent le temps' rétrospectifs. Le déroulement des faits et celui de leur narra-
Partant du présent de l'énonciation, les narrateurs ciblent tion ultérieure ne lui apportent aucun élément de compré_
un passé pråcisément daté, très souvent les années soixante' hension fiable' Les récits obéissent ainsi au principe d ,r,re
puis giissãnt de ce dernier vers un temps antérieur indéfini, double peine - être à la traîne des événements vécus comme
i"-pã inaugural qui échappe à lordre de Ia narration mais en souffrance de leur éventuel récit et d'une double perte
-
influe ,.,. en sourdine ét au-delà duquel il est impossible - les personnages échouent à se poser tant comme les su;ets
"il"
de remonter, Les clifférents récits se ressemblent' quand
bien d'une action que d'une narration leur permettant de se saisir
même chacun varie son prétexte anecdotique' déplace son eux-mêmes. De villa triste à vestiaire de I'enfance de .Rue des
objet romanesque: un retour en savoie dans vil1a tríste, à
Nice bortiques obscures à Dinanches d'août,la ligne existentielle
dans Dimo ncie d'aottf, à Paris dans Quartíer pet'du' pour y se creuse ainsi au travers de I'itinéraire de pursorrrr"g"s
retrouver, à chaque fois, le souvenit d'une femme aimée une crise et de récits erratiques. Ils forment les "r,
aîatars
vingtaine d'annåes plus tôt et y égrener les rencontres qui d'un être de fuite, en quête de quelque objet 'r'ltiples
susceptible de
Iui ãont associées. Nirl récit ne parvient cependant à mener à Ìe renseigner sur lui-même, maii confronté à des situatiors
terme ces exetcices d'introspection, à leur faire appréhender q,'il ne parvient pas à résoudre et qu'il surmonte en leur
le point élémentaire vers lequel tous tendent' IIs avancent à échappant, s'enfermant ainsi dans un itinéraire sans fin
-
reJulons, par à coups, attirés vers un temps des origines qui sans terme autant que sans but. La présence auprès d,eux
d,un
échappe à lo cor.t"i"nce' un temps zéro qui détermine l'exis- autre personllage qui éprouve une semblablã impuissance
tencá ães personnages et contrarie leur libre arbitre' - une jeune femme -, la multiplication de figures secondai_
Narrateirs migrateurs, personnages de l'exil' scènes cle res frappées d'une même indétermination cãmplètent cette
présentation d'une humanité titubante à laquelle i,irrésolution
culpabilité, relation carcérale à l'existence, labyrinthique à
tient lieu de conduite.
Ia ,rllle, obsessionnelle à Ia mémoire: par-delà des situations
Certains récits (Memory Lane) ou personnages de récit
romanesques, Patrick Modiano invente de livre en livre
cles __
(Brossier dans une
figures types qu'on peut aisément qualifier de tragiçlues' en leunesse) présentent une version assour-
die de ces états cìe crise, seldn I'effet cle variatf"" ãpfifq"e
.uitachanfainsi ses råcits à la littérature moderne de l'absurde,
Territoires et trajets 71
Lire Patrick Modiano
70

tantôt la PLace de l'étoile.


cidant avec I'écriture d'un premier livre,
les mêmes oroblémaliques
oar un écrivain qui aborde Tous C'est sur cette métamorphose que s'achève Un Pedigree, chro-
tantôt u'i¿'-'"""t leurs manifestations' nique à sec d'une jeunesse triste, eI Quartier perdu, roman
år-, "'-' dont le portrait
mettent en scène t;;-it;;""ité désce-uvrée divertissement
"x"c"rbant que le narrateut, écrivain fictif de séries B, conclut de la
pascalien d'u
laconique r.tp"'pu'J f"-tt"'if de la sorte: <Il fallait [,..] que je quitte le plus vite possible Paris où
(aisance, d""'""i;;' ;;;;¿; i"lî]-"t celui freudienpoul le j'avais passé mon enfance, mon adolescence et les premières
'urtu passion irrépressible
névrose (dans Mern ory Lane'une années de ma jeunesse. [...] on doit partir et changer de
ìardi nage ; dans " "ã'å""""f
i" d" Liu'" I de fa-mille' I'habit ucle peau,. .> (Quartier perdu, O Éditions Gallimard 1984, collec-
de vieux films d'actua-
ã" ," g"u", au r'o'-'üo'-'iï" t"eãtatnt de Ia géographie dans tion Folio 1988, p. 181). Lintrusion d'un tel commentaire à
lité). seul ,ruri* t',,îããï t"ãi"ñn"rique Nicó devient tour à l'intérieur d'une scène romanesque suffit cependant à mettre
Ia mise en scène de ie désceuvrement: à distance l'hypothèse initiatique et le modèle, propre au
les personnages de Dinanches
tour un marécage åã"' i"q""l exis- récit de formation, d'une existence accomplie parce qu'ayant
d'opérãfie devant lequel leur
d'aottts'enlisent "t tti-à¿"oì gravitation surmonté des épreuves inaugurales. L'anxiété existentielle ne
à un espace de
tence sonne faux; Ë"t* t æparånte se résorbe pas en une seconde naissance associée à la genèse
personnagãs de Dans le café
géophysique dans i"'qtt"t''i*s une d'une æuvre: elle s'y déplace et y prospère, Le commen-
comme cles sateilites entre
de la ieunesse perd'ue glissent taire final de Qttartier perdu est démenti par l'ensemble du
<matière sombre', d'ei
(trous noirs>' des <zones neuttes>'
< premières nenles > : une
tertasse roman qui porte sur le retour à Paris, vingt ans plus tard,
cles < points f ixes " "i A"t de dédou- du personnage-narrateur, comme rattrapé par son ancienne
cte café constilue f" ii"u
d'une curieus"' expérience
personnte* 91 peau. De même, la fin d'Un Pedigree est contrariée par l'en-
blement par le vide quand un 'Poupie ltyde semble d'un récit qui propose implicitement différentes
ttttuî"ïhå aì'"u"' Ia boit' s'éclipse et se poste
y comman¿"
cllnment n ii ne reste plus clefs biographiques propres à expliquer le rapport entre la
à quelques mOttus pottr observer pois- jeunesse vécue et les romans de l'écrivain, et montre comment
aucune trace de uÀtt'" ' sauf
un verre vide et une cuillère
collaboratiolr' avec Pierre Le-Tan' I'æuvre s'origine dans ses premières années et celles qui les
seuse > (Poupée iåi'a"'-rc^ ont immédiatement précédées. Parce que la jeunesse inspire
51)'
O Éaltiottt POL 1983, P'
aussi les récits dans des histoires romanesques toujours renouvelées fondées sur
Cette ligne existentielie travetse sert d'écran auto- des événements passés toujours semblables, elle se convertit
lesquels la figure du personnage-narrateur pleinement en une énergie de vie narrative, placée sous le
Un Pedigree - ou de masque
biographiqu - t'¡iÅíi"|o'^ilí"'
" Acci"dent nocturne' EIIe signe de la mélancolie obsessionnelle.
autofictionnel - un Citque posse' durant iequel lêtre sembie
est associéu a tt"îg""ä'T""tii"'
Cet enãormissement de
vivre sans pott"åi'îrrcore exister' UNE TOPIQUE : L'ADOLESCENCE ET SES M0TIFS
ieunes années' L'écri-
soi caracté,i'" li ;"p;;;;;';ij:' 9."td'une {amille absente à La mélancolie caractérise un âge dont Patrick Modiano se
vain mel u,-' '"è1"ìå'-'funt ballolté fait l'écrivain privilégié : I'adolescence. Cette période de la
de peine), i'adorescent interné, vie décisive est aussi celle de toutes les indécisions. À l'in-
une famiil" ¿,u""J"ii @"^¡ro. (De si
ä;l-;randit dans un intcrnal scolaire certitude de ses propres limites - quand s'achève-t-elle
à la lettre trafics
""1'i
bravesgo.ço"'1,Ii't:'Ë;;; ua"tt" vivotant de petits exactement? - correspond celle des situations qui la caracté-
se lire comme autant
('{.Jn Cirquepasse)' Ces ouvrages.peuvent risent. Les personnages ne cessent d'éprouver la porosité d'un
aussi un apprentissage
de récits a'upp'""ù'sage coistiiuant du jeune homme coÏn- tinivers qui, faute de cadres et de socles, les absorbe au point
rlu récit, f" -etuäàffi'uãi't"ntielie
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
72 TiJ

les résurgences d'une histoire personnelle dans Livret de


de les transformer en objets amorphes' assignés i-qg"lg:'"
ù;, d" forclusion (l,internât) ou à quìlque fonction illicite (les famille, Vestiaire de I'enfance, Un Cirque posse, Dora Bruder,
de la fugue' Elle s'appelait Françoise, évoquent la figuie du père et la rela-
trafics). La scène type cle l'adolesóence est celle
qu'en présentent í1eu¡s, de tion ambivalente que l'écrivain adulte entretient avec elle. Des
dans la version autobiographique
fuite' dans la version romans comme []ne leunesse, euartier perdu, Fleurs de ruine,
i"ii", Dora Brttder' tln Fedigree, et de Ia
Un Citque passe' Un Cirque passe présentent quant à eux un personnage adulte
to-u""tq"e qu'en développent Llne leu.nesse' s'il est
puis l'autte qui interroge Ia fin de son adolescence marquée pn, J", expé_
äyà,gu dL nir"r. par I'unË et I'autre' I'une
"q.,"
,rrái la fugue caractérise I'adolescent qui se détache.de riences douloureuses: la dissolution des liens familiaux, une
adulte' c'est
i'å"f"".", la frîite l'adolescent qui accède à l'âge offrant pour
tendance au vagabondage, la liaison fugitive avec une femme
.rn refus qui s'exprime d'une société souvent plus âgée et elle-même instable, son intégration volens
^C-" ' "ãltti
,*.rt* le ståtut de prisonnier ou celui de délin- nolens dans une bande d'adultes qui le manipulent. cette fin
"tt"rnativã futiles'
quant, pour tout modèle culturel f image d'adultes d'adolescence, le personnage-narrateur la ,"ioru à même un
óyniques et irresPonsables' récit mimétique de l'errance: la structure narrative, dislo-
De nombreux récits mettent ainsi en scène
une figure quée, entremêle de façon confuse les événements; I'énoncia-
masculin ou
d'adolescent romanesque ou autobiographique' tion, interloquée, simule l'incompréhension ressentie face à
d'énon-
f¿rti"i", à laquelle l'écrivain donne voix par un mode des circonstances dont les implications humaines excèdent
de narration
ciation à la première personne ou un système. toujours les manifestations concrètes.
et Lacombe Lucien présentent
ãmf uthiqu e. La Rondi de nuit L'écrivain décrit toutefois moins I'adolescence qu,il n'écrit
ainsi l,itinéraire d'un jeune antihéros qui, piégé par des depuis l'adolescence. Celle-ci désigne moins un âge fixe
adultes' se retrouve
circonstances imputables au monde des qu'une durée intime. Les récits multiplient, dans I'aitit'de
,"ns t" vouloir dãns I'identité d'un traître' Dans 'Les Boule- prêtée à tous les personnages les caractéìistiques traclitionnel-
vards de ceinture'Ie personnage-narrateur
mène une recherche
lement prêtées à cet âge au point qu'on peut parfois s'interro-
tous-les
hallucinée sur sonþ,opt" pót" - laquelle possède ger, dans une æuvre experte en manipulations, sur le degré
En 2005,
traits d,une demande dã reãonnaissance affective. de pastiche qu'ils recouvrent : I'hypersensibilité, l'exacerLa-
cette requête' 1'écrivain instaure
dans Un Pedigree, inversant tion des affects, le réflexe réfractaire, le sens de I'indignation
qui font du livre un réqui-
le procès des [arents en cles termes et de la provocation, I'alternance des états d'inhibitionlt cl'ex-
ton revendiquée et Ie
,itåir" sans afpei, malgré la neutraliié de
hibition, le besoin simultané d'être reconnu et cle se tenir à
p"t¿"" u.r* áf'f"nr"s aãcordé d'une plrrme économe' Il met en
fondateurs distance, la réserve adoptée face à l'univers des adultes et, en
i"ti"t q.t"tques événements familiaux peu amènes'mère comé- même temps, les phases d'imitation. Ces traits trouveraient
ãu .* i"rrottnalité et familiers de son æuvre :
une
tournée qui ne-se souvient de lui que pour le'r équivalent scriptural dans les jeux de reprise intertex-
diennã toujours en tuels qui rappellent tour à tour, sous la plume d,un écrivain
quelques
i"nrroyur, q.t"nd elle se retråuve démunie' mendier joua't alors à l'éternel adolescent ès lectures, paul Morand,
qui fait arrêter son fils iors-
,.rUtid"t auprAs du père; un père
Georges Simenon, Emmanuel Bove, André Breton.,.
ä"ã"""f"i-"il.,i d"-ãttde instamment un peu d'argent - scène
ouvrages r cher- Ainsi marquée par l'adolescence, l,æuvre s'institue elle_
ä., o pu.ti", à salade > relatée dans plusieurs
l'appel mili- même comme le lieu qui en marque la cessation. Des méta_
;h" i l'éloigner de Paris et à lui faire devancer avec phores variables, incluant une dimãnsion physique expressive,
taire sous 1ã pression de <la fausse Mylène Demongeot> sont associées à cette fin d,adolescence douloureuse : une
comme
laquelle iI vii' Des séquences d'adolescence' insérées
74
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 75

à la fin d'Une ils taisent la douleur et qui res nimbe du prestige des réprou-
pierre qui tombe comme image du détachement
image d'un^milieu vés. Ainsi de Guy Vincent arias Alberto Zymba"rist, fils äuto-
iåin"rÅ"; du bois qui pouirit-comme décomposées à la fin d'['/n proclamé d'un consul d'pérou dans Dei inconnues. Ainsi
:;;;;;p., et de relationsiamiliales que le ponton vermoulu de Pacheco, alias philippe de Berune, arias charres
P";i;r;"- <|'avais pris le large avant 2005' collec- dans Fleurs de ruine, qui revient dans Voyage de noces
Lombarcr
ne s'écroule> (Un Pedigree,OÏditions
Gallimard après
comme image d'une avoir traversé Dimanches d'août, cleux romins dans resquels
tion Folio 2006, p. tzTi;Iapeau qui tombe fin
existentielle, i'uáolu'"utt devenant adulte
à la rle il joue le rôle inquiétant d'un intercesseur des ténèbrur, li¿
-ä"rrii",
mue
peau>' au monde des malfrats et de l,Occupation. Son ho-orry'_",
perdu (tt... on doit partir et changer de 9':?'
1984' collection Folio 19BB' tout aussi bien son antithèse, son jumeau contraire, Geórges
în:,i p"rai,o Éditions Gallimard
Bellune, auteur de musiques légèies, présent dans Memory
livre et I'entrée en littérature
f. rart. Lécriture dupãpremier d'une véritable L;ane et Une /eunesse, fuit porrr ,á part [a mémoire
ã"nipãre", dun, u,l digree-comT: les actes en satisfaisant hitlériennes et se rejoint hri-mêmã en devenant, par lu
d"s
"rrnée,
paternel'
autogenèse: en transgressãnt I'interdit volontaire, une ombre. Dans Ia petite Bijou, pius le ràcit
mo.t
le jeune homme qui écrit et publie
une exigen"u p"rronielle, progresse, plus le personnage féminin, narráteur^de sa
toute I'ambiguÏté rle
devient adulte. MJ t; mame livre révèle histoire, régresse. Retrouvãnt peu à peu la mémoire
propre
vouer à la réécrire
cette démarche. Tourner la page' c'est se n".a""
sans fin, vivre dans son désaisissement'
En finir avec sa propre {e sa propre enfance, Ia jeunô femme remonte les â!es, se
c'est Ia convertir en déconstruisant en sa quarité d'adulte. Eile traverr" aËiãço"
adolescence - terme rare dans I'æuvte -' successive les différents stades d'une errance existentielle
les différents âges
ieunesse - terme técurrent, qui rassemble terme-de laquelle, loin d'avoir comblé res lacunes de ses
au
ä"-il"'oå i'a"titure et gét'èt"' sur fond de dramaturgie nes, elle se laisse happer par leur gouffre. Tout commence
origi-
""á"i
elliptique, une mythologie noire du passé' par
l'identification d'une passante comme pouvant être sa mère
disna-119 alors qu'elle était enfant, se poursuit par l'identifica-
UN ÉTAT SINGULIER: LE DÉSAISISSEMENT tion d'elle-même à la petite fille délaiisée par sãs parents dont
à des états de
Les personnages cle Modiano sont confrontés elle s'occupe, s'accompagne d,un rapport monomãniaque aux
tempo-
ãrlr" puttlcul"iers en cela qu'un- dysfonctionnement s'ins- événements, interprétés par le seul prisme de souvenirs
cle
t"ir",'.t.t" discrète anicroãhe dans le fil des iours'
insidieusement
jeunesse mi-enfouis mi-hailucinés, s'achève
sur une tentative
crivent peu à peu dans la durée' annihilant de suicide puis une séquence de vie nouvelle, qu,une
de soi parole
leur présen"" u.t -o"de' Lépreuve du désaisissement en partie incohérente restitue comme .,nu su"onãe naisiance,
existentielle' qui
constitue Ie pivot áe cette problématique de l'autre côté du miroir. < J,étais dans une grande cage
de
distinctes et cles
;;;;;;-; la fo'is des situations romanerq,trr verre, J'ai regardé autour de moi. D,autres
naient des aquariums > (ro petite Bijou, o"ug",
du verre önte_
irodes de narration singuliers' Éäitions GailiÀard
Les situation, á" i''itance, du vol' du
désæuvrement' du 2001, p. 153). L'énonciation calque une suite d,impressions
temps morts
a.*q"ifiUte psychique équivaìpnt aux différents de la rature
sensorielles et de réactions m"ntal*, situées en däçà
de la
ã., fti""lpe'däxistãnce, confronté au risque qui
conscience, dans l'e'tre-deux de la réalité matérielle
des lieux
d'adolescents et. d'un imaginaire délirant, fonctionnant
définitive. Lécrivain décrit la traiectoire de Ia
par association
en dérive d'images visuelles et langagières. <
pái""", à devenir Jes adultes ou d'adultes improbables peut-être des poissons,
[...] des o-br"",agid;rrt,
société, transportant au gré cle travestissements l,entendais un bruit de plus en ilus fort
énigmatique' clont de cascades. l'avais été prise dans les glaces,
et d'identite, .,r.t.fO"s ie"poids d'un passé ii y a lorigtu-pr,
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano 77
76

mènes de reflets hasardeux. Les Boulevards de ceinture, ses


avec I'eau > (Ibid' p' 154)'
Cette
et maintenant elles fondaient de soi' un btars, ses photos, ses faussair es, (Jne leunesse, ses bars à chan-
une double nrivation
écriture des limbes;;p;;; fatålité cl'ordre intime teuses et à travestis, ses néons blafards, Vestiaire de I'enfance,
double déni d'exist"näu' comme-une. d'une même vie: son cabaret de seconde zone et ses paillettes, poupée blonde,
qui se répéterait d'ö;" ã;;' a I'intéti"ur ses chanteurs yéyés retirés des planches, ses dormeurs et ses
e' de loute identité subiec-
lä sel cle toule hi't;i"; på*?"""rf comme espace veilleurs, ses vivants et ses morts, se lisent ainsi comme des
l''i ii'";"";iïT,' lu "."s:9" verre textes d'atmosphère projetant, dans des décors factices, Ies
"i"o'ui;;i (la naissance empêchée' la venue
de forclusion) et uu'pu"é contours et les couleurs d'existences qui se dissolvent de faux-
les gla'ces>' image 1^ury.
au monde dif{'érée''fãïitià"-dans sont semblants en faux-fuyants,
Ies e-aux de la naissance se
vante qui suggèr" ";;;;; au Par-delà ces effets de projection impressionnistes, certains
froid' comment la venue
transformé", "" ""ä^;;i;"" d'e gelée retardée de plusieurs motifs, fugaces mais répétés, confèrent aux séquences roma-
monde de I'être f"t'i;ttä;i;ment - nesques I'allure de miniatures allégoriques, Le motif du
décennies). < Plus ;;
;;ä, ;'a eiplique tu'il 1'1 av"tl!1Ï:i: surplace, appliqué à un personnage privé de sa capacité
place et qu'on -'*;it;i;ã du"' tã sátte des bébés prématures élémentaire d'action, qui n'avance pas, n'est plus urlto-o-
c'était
aussi' à partir de ce iour-là'
[...] un signe que påì' -"i Au ton naif empreint d'ex- bile, concentre ainsi l'expérience du désaisissément de soi,
le début de la vie ' fnii'p' 15a)' aurait régressé en deçà de Ainsi, dans la Petite Bijou, de l'image répétée du tapis roulant
qui
nressionnis-u d'.trru ,turtutri"u mécanique, quand dans les couloirs de la station de métro
J"ö;ìiro'i" du ta situation. Dans le même
il;:ïffii;',",o,' au. temps originel inversé,
Montparnasse, des usagers immobiles se laissent conduire
riei sont rassemblås, tout rapport potentielles de |existence: sans se mouvoir et diriger sans bougerdans une direction
une victime réelleã ies victimes une adulte dont le tort d'emblée tracée. <J'étais dans la foule qui suivait le couloir
avec
ies <bébés prématurés> voisinent dont la sans fin, sur le tapis roulant > (la petite Bijou, O Éditions
est de naître i';i; "ît ¿" t*"19'.'tt personnage
Gallimard 2oo1r, p. g). À cette microséquence incise comme
"""" fait d'elle un bébé < post-matut" "
á;"ì;t, existentieile '
de soi' I'éõrivain la représente
par collage clans I'incipit du roman fäit écho, dans un chapitre
Lépreuve d" dé;;;it'*u"t ultérieur, I'image de I'engrenage associée au même décor,
une consistance narrative et
dans ses récits sans lui donner qr.ri exprime de façon explicite I'idée d'une dépossession de
qui Ia trahiraient en tant que
une compa"ité pt;;;;iogiqu" soi, substituant au temps ouvert de l'individu et de sa liberté
creux' inventant-une écriture
telle. I1 choisit de Ia suggérer.en propre le temps bloqué d'une mécanique tragique. Ainsi éga-
comme uil"-mOme d"rãïri"
d" son propre-objet' La.n"tti:Ì:l lement de I'image de Ia transparence, qui désigne en langage
sa marge' la description
pnvr-
;î#^il;ãntr" a" l'action vers I'ensuitbl"' I'écriture cultive cinématographique la projection d'un décor animé sur
iogi" l" détait "*"¿¿t'iã"nt de détermination nette des
fond duquel des personnages statiques font semblant d'évo-
l'art du motif unufJg"ffi ifitoiq""la aux personnages à l'at- luer, à laquelle l'écrivain recourt sur un mocle commentatif
prêtés
événements, Des comportements dans Un Pedigree: < Les événements que j'évoquerai jusqu'à
iout devient alors recherche
titude assumée p* Ë narrateur' ma vingt et unième année, je les ai vécus en transparence
ã¿faut' Dans Rue des boutiques
évasive a'.t" '""î q"i^îåii f...1, (Un Pedigree, O Éditions Gallimard 200b, coilection
d'inconsistance se trame
obscttîes,t"t" i-pJ*sion répétée et du Folio 2006, p. 62). Il glose dans la même phrase < ce procédé
entrecroisées du flottement
dans le réseau d"ä i-ag"' qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages,
fumées' Aiileurs un effet
fantomatiqt'" - ;;;;'"t"t;;;b;"t' de descriptions à peine
alors clue les acteurs restent immobiles sur un piatlau de
d'illusionnisme ciinquant se-dégage agressifs et des phéno- studio > (Ibid, p. 4S). Dans Dlmanches d'aottt,la même image
esquissées,
a" Ittmièt-tus
""t'"'àï"¡ä""
78
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets tg

< Nous avan- la progression de la première, la tire en arrière, vers


revêt une semblable dimension métaphorique: le bas,
les rues défiiaient et nous vers Ia mort, depuis sa propre fatigue, son manque
cions, portés par un tapis roulant et
de souffle,
entraînait ou bien si d'envergure (scène d,atavisme: l'ãdolescente qui ne
;;;;i;t pl.,s si le täpis roulant-nous peut ici
le,paysage, aul,our dî prendre son envol, adulte, se défenestrera). Dans
når",s ¿tlon, immobiles iandis que l::-' f* u
giisrait [..,]> (Djmo nches d'ooî't, o Éditions Gallimard lgg6' de Livret de familÌe, si le couple adurte-adolescent "frãpitru
chanee de
Ë. é;t. i", du.,* extraits rapprochés p."l-ÎllÎI i:Ï:'" sexe - non plus mère-filre mais père-firs et ra
- scène de ie"o.
crrcule en - un manège équestre en Sologne _, la situation obéit à la
i", "á-*"nt l'expression de la crise existentielle d'une version
des termes identiques, à vingt ans d'intervalle' même structure du désaisissemént. Le jeune homme
se tient
1986) vers une version auto- sur son cheval dans un manège, l'être sur la bête évoluant
,o-un"rq.l e (Dimànches d'a-ottt,
'Pidig'e",.2005)' aux
fi"gt"pitiq.," (ur, Situation similaire - le seules injonctions d,un tiers personnage qui manie
le fouet,
commune - <cet arti- hors champ, dictant ron
désaisissement de soi -"et rhétorique -o.,rrãment, imposant sa domination
qrru I'o" appelle: transparence > (Dim anches à l'attelage, aux deux animaux qui paf leur asservissement
fice
-;;;"t;,de cinéma
d'aottt
Ibid, p' gã) - ionduå d"ttt le ca's de Dimanche commun n'en forment plus qu'un (chapitre v). < Vous êtes
sur
avec celie du tapis roulant, elle-même
reprise dans lbuvrerture un cheval et vous tournez en rond sani savoir pourquoi.
de tnemes' Et le
de .La Petite Biiõu: cette circulation obsessionnelle cheval ne le sait pas, lui-non plus. Au milieu å"
d'un supportlarratif à l'autre -ä;;;;""
type [...1 qui vous donne des oùres, un fouet à la main, (ii"r"t
de termes et de motifs répétés de
I'effleurement
montre combien Ia fiction se définit "o--t loin-
de famille, @ Éditions Gailimard 1,977, co\ection
Forio 1981,
it""u, psychiques marquantes que certaines depuis-Iesquel-expérienc-es p.77). Encore la scène ménage-t-elle sa chute, nnt rroi.ã
pã.u,
taines ont laisséet ã" depot d" la cons"ience' à quelques mètres, inquiet ãt silencieux et contemplairt
la
fondée' tant bien que pointe de ses souliers caoutchoutés> (Ibid, p. rro_iDi Au
iãr-iá puttonnalité de celui qui écrit s'est
scène de fiction
mal. De cette scénographie ãe l'intime où la père fouettard de substitution s'oppose le père réel,
en cäoul
se présente narrative d'un sentiment chouc: là encore le désaisisr*-ärrt sembie obéir a q"aq.r"
"omme"l'uitrapolatiorr plus juste I'idée d'autofiction fatalité d'ordre généalogique, et l'ironie de situation'tiunii
de soi décisif, et qui définit au
une autre iliustra-
tJf¿t* à I'æuvre de Modiano, o" d'ottttera distance, autant que faiie ìe peut, la douleur rémanente
qui
iio". vfO-" motif du surplace, appliqué deux pers.onnages
à en résulle.
adolescents,I'unàdominanteromanesque'I'autred'ins.pira- Même douleur, autres variations, affinement d,une esthé_
expérience
tion autobiographique, variant autout de la même tique du diapason, avec les motifs de I'accident et du faux
tourne en tond'
d'une vie qui Aunri,t'"us patine' dans I'autre départ. L'accident marque dans l,æuvre une double cassure:
à l'âge s.upposé
dans l'un et l'autre ""' 'ã ttouve bloquée' une destinée brisée par le coup du sort, comme une
fatalité
dynamique' Dans une séquence qui prend la forme d,une voituie tuant son propre conducteur
où elle conquiert sa propre
perdue' I'avancée cles (c'est alors la puissance automobile
dg;;; ã"-p""t t" "i¡e ãe la'ieunesse au-dessus du
elle-même qui se retourne,
personnages traversant le pont Caulaincourt' {e iagon presque suicidaire, contre la personne qui en est
plus vite
cimetière Montmartre, est enrayée : fe < marchais dotée); une existence épargnée, mais que I'accidå"t
pre"i_
pont qui domine pite à côté de sa propre route, transformånt l,indiviáu
ou'elle et ie la laissais derrière -ói t" 'l' Sur le d;i ""
f" ;it"",iéte et d'où I'on peut voir notre immeubie(Danscontte- en r.échappe en un traumatisé à vie, un rescapé (figure
qui hante
bas, nous rrorr* ,oá-es árrêtées longtemps [...]> P."ot'n I'imaginaire de l'écrivain et en laquelle se superposent
diffé-
de la jeuneræ p"i'd,,", o Éditions Gallimar
d zooz' p' 7a)' La rents niveaux de sens, historiquei et intimei).
òn rira dans
fille va de I'avant, ia mère ralentit le pas' Ia seconde entrave cette double perspective la firrd'un cirque passe,l'histoire
Territoires et trajets B1
Lire Patrick Modiano
80

alors ? Ces questions que soulève le roman en particulier se


de Dimanche s d' aottt
cident nocturne'le suspense.intime posent de façon générale à lecture d'une æuvre qui multiplie
c1'Ac
et de Vesfi aire de l"ïf'"ãã'
ol i.t'u,"ltti' comme le modèle
écrit les allers et retours entre Ie passé d'une jeunesse vécue et le
Ie texte autobiographique
intime du motif a' iãl"id""t' D eneuv'e' 811e' s' ap p'::1::^l * présent d'une écriture qui en revisite les événements fonda-
en c oII ab or ation ave c C atherine ::
disoarilion tragtque en
teurs. Au lecteur de déchiffrer, dans I'un et I'autre cas, les
Jt"t lequel I'¿crivaln évoque la improbables charades que ce jeu de mouvements incessants
"ä¡rã, illd;'l'"ne des ieunËs actrices des Poro-
isoz d" Françoise compose.
mait tout particulièrement'
oluies de Cherbourg' qu'il
ai L'écrivain - le vrai - ne choisit pas, si ce n'est en tr.ans-
u'äi""îî;; *t;iî'i r;;;äãpu't' ii exorime la traiectoire posant dans un rapport ambigu aux forrnes littéraires les
fourvoi* ouis s'amende' au
d'un personnage IJJ* i"i så équivoques de I'identité. Il compose de vrais romans sur
dupe el le traÎtre' ul'ai fait
un
risqué d'être d" lt;-;;;;-le sais que ce faux fond d'autobiographie grimé et de faux romans s'ouvrant en
faux départ dans ;;t" ["']' Et pourtant ie
à ma vie et qu'il en est
coupe libre sur des récits de soi plus vrais que nature. Désai-
départ aura donné';";;;;;ttit'll"t pti ncipal de Quarl ier sir l'identité, cela signifie suspendre toute forme d'évidence,
le iond sensible > écrit le .personnlg:, collection ramener le réflexe du < je suis> à un foyer de déterminations
oerdu (Quartierp";;;"é
Éäìii;' cãlIimar¿ 1eB4'mode auto- aléatoires. Lidentité subjective n'est pas le produit d'un acte
(Jn Pedigree reprend sur un
Folio 1988, p' 149)' de conscience pur, l'image de soi reflétée par un ceil interne
assifnant' dans les dernières
biographique ce -"tii en tii qui parviendrait à se concevoir lui-même en unifiant des
;;;î, þ" :u"
u'
:lî:f*n Xnfin*ï?ff
;; d,ît'îi::
itouøti' (In cirque
expériences de vie sagement étagées dans Ie temps. Elle est
une machine à hypothèses et à illusions dont l'écrivain déjoue
å"å1i,"îi:1i#i;;;",;;;" D;-itu' !ei;- le fonctionnement en le transposant en termes littéraires.
; ;;;;,' " ."'"I fii *,fÍ:,f;: ;'5iî' ì:' :::l,ii Iì:Ï: ii
¿
Il en expose les mécanismes par le recours à des romans
rétrospectifs dans lesquels un personnage-narrateur, cher-
r?ii;;;;i ¡ ä" r"",. d"öi;;rrespond |acle
iml:ru:lli a pt"""a'ã^i" i"'g"' formuiË sur laquelle s'achève chant à rassembler les événements marquants de son passé,
qui consist" en échoue à s'appréhender lui-même. La narration trahit toujours
Lln Pedigreu, q"Jì" hé'o'" d'e Quartier perdu applique une conscience de soi éclatée (Villa triste, Dimanches
traversanr
"t
tu ruurrîiå (l rrinrtuile en Angiererre) Ià où celui
(mais' clans d'août), en mal de substrats propres à combler un vide (noms
de ttaverset 1ã Selne propres, profils d'existence, figures de disparus dans Ëue
d'Lln Pedigt""
'" "o"tàntertn"¿i""o'.la sYmbolique est aussi
f imaginair" putlJläää de s b outique s ob s cure s),
it"""t laissent en soi un cet écart de
forte, sinon pf"'l' ö""îf"' pas depuis éca11' Les récits autofictionnels usent ainsi de la fiction comme
jeunesse? et I'indivìdu ne se construit-il soit d'un stimulant de la conscience en abordant par le biais de
toule une exislence' qttel que
ciont I'axe déviant décide de I'imagination des événements réels dont le sens fait défaut. Ils
tecouvre aorès coup ? Dans Quar'
le tracé normal que celle-ci en usent aussi comme d'un supplétif de la mémoire quand,
le irai dépãrt' se déplace
tier perdu,r'ittitiät"lJt^a 'åi--o*e'Ieléros' ìeune-' choisit de fuir
confrontés à l'effacement de ces mêmes événements, ils subs-
ainsi de i'opoqt-rJåîttt"f"" où tituent à leur évocation directe un faisceau de présomptions.
vers l'époque présente où"devenu
son mode de vie;i;;;;;ñ. Livret de famille, De si braves garÇons, Remise de peine, Fleurs
er pãre de famirle, ir répère
ce
écrivain ,i"r,u eti¿"1Ë'úå, í".ri¿ dans Ia de ruine forment ainsi les récits d'une conscience déductive
traiectoire'
même itinéraire ;;^;;-iltsant-la^ 't*"i"11 faux d'elle-même, parce que prospective du passé. Dans ses romans
lui-méme' Vl"i ou
ville de ru ¡ """"'îï' îttqttai" *"r vrai faux retout:"1?Ï aujourcl'hui' d'inspiration autobiographique, l'écrivain réinvente partiel-
départ, ,rrui rut'ïäö"ï]"¿rt'
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano B3
82

jamais senti un fils légitime et encore moins un héritier>1,


métamorphose s'in-
Iement certaines situations vécues' cette Plus le récit gagne en narration, plus il semble renverser par
et non antinomique' cle
tégrant dans un pro"ã""' constitutif' ailleurs sa perspective premièr*, s'upp.,yant sur des informa-
rle cette réalité à titre
Ia réalité. La fiction fait en effet partie tions d'ordre généalogique et des souvenirs de jeunesse, l'écri-
sens qu'un individu
d'événement mental,-ittdi"o"iuËt" dtt vain entend référer les personnages, les situations, les lieux
par laquelle
donne à sa propre vie et d'e l'acte de remémoration qui apparaissent sous une forme romanesque cryptée dans
au fur et à
il en visionne les événements en les modifiant son æuvre. Mais ce récit explicatif des récits se trouve comme
qu'ils,mûrissent en lui' Les Boule-
-"*." q"'il s'en éioig"", (Jn Ciløu9 pass3' Accident
aspiré par les récits de fiction antérieurs, la matière exposée
vards de ceínture' qu"o'ti'"i perdu' ici comme biographique sembre préemptée par les veisions
nocturne forment uì"ti ¿"t romans de
la chose intime telle
romanesques qui la précédèrent, La fiction rattrape la vie, la
et à toute formula-
orr'elle s'avète irréductible aux faits vécus devance, I'assimile, quand bien même cele-ci tånte rétros-
il;;ili". I t'i"""tse, ull texte comme un Pedigree se veut pectivement de la saisir. L'identité de soi et celle de l'æuvre
brut d'ar-
un acte de consignation factuelle' un commentaire se confondent et se cofondent dans une même indécision des
ras les événe-
p"tro.rn"î1",, une tentative d'e saisir à
plans biographique et romanesque, et l'écriture, ramenée à la
"ni"ãt qu'en marge
lurrtr, ån deçà de toute emprise identitaire parce de soi que note de consignation mais gagnée sporadiquement par l,imagi_
ã" i""t récii fondateur, dãns la dissémination biographiques naire, tend à aligner le statut des événements vécus sur celui
suscite la seule juxtaposition d'informations des situations imaginaires : n À mesure que je dresse cette
d'un trait: < f 'écris ces pages comme on
-ini-ul", u*poié"t à titre documen-
nomenclature et que je fais l'appel dans une caserne vide, j,ai
rédige un constat ou un curriculum vitae' la tête qui tourne et le souffle de plus en plus court. Drôies
vie qui n'était pas la
taire et sans doute pour en finir avec une
*i"tnu , (Un Pediþee, @ Éditions Gallimardcomme 2005' collection 9"j_"lr Drô19 d'époque entre chien et loup , (Un pedigree,
@ Editions Gallimard 2005, collection Folio äooo, p.
lui-même 1B). Et ses
Foiio 2006, p. ++-+á).Mais ce texte limite
est
parents de devenir deux <papillons égarés et incónscients au
rattrapé pu, .,n efiet de subjectivité qui
tient au timbrage
rtisonnet' milieu d'une ville sans regard > (un pedigree, Ibid, p. 18_19).
fébrile des événements par une vorx les laissant intime'
urgence
ãïÑ ã" ror-.,lus érupiives, d'une..sourde du récit. avec son ARRÊT SUR OUVRAGE.: VESTIAIRE DE L'ENFANCE
ä;åp,;"tique de "t phétto*ène' l'incipit
i'exposition brute des Dans vesf iaire de I'enfance, l'écrivain affine la technique
;i;ttit"t t"rugr"phe en trois phrases: minimale qu'il met en æuvre depuis le milieu cles annåes
iaits - nJä suis nã lu so iuillet 1945' à Boulogne-Clignan.court'
11 allée Marguerite, d'tt" iuif et d''une
Flamande qui s'étaient soixante-dix. Une narration resserrée, du romanesque
premier commen-
connus à Paris sous l'Occupation -; un > condensé, un style épuré forment les marques élémentaires
taire du processus d'inforrnãtion ainsi engagé - < |'écris juif' d'une fiction par défaut, qui expose un étai de malaise sa's
pour mon père en nommer la raison mais en adoptant un mode d'énoncia_
en ignorant ce que le mot signifiait vraiment
cartes d'irlen- tion partiellement amnésique (Rue des boutiques obscures
áfpä"u qu'il étaìt mentionné, à l'époque' sur les une consi-
laquelle avant, Accident nocturne après obéissent au
tité> -; une interfrétation secondì' ãans -ê-u principe).
à I'expression d'une loi
dération d'ordre Ãi'to'iqtt" conduit de soi
structure
dissonante de la fersonialit¿ intime' une 1. ces citatio's sont extraites c|LIn pedigree,
turbulence provoquent o Éditio's Gallimard
fu, i" doute - n l,es périodes de hautesi bien que je ne me suis
200s,
collection Folio 2006, p. 7.
souvent des rencontres hasardeuses'
I

B4
Lire Patrick Modiano Territoires et tra.iets Bs

d'un roman qrÌI aimée rappelle l'image de sa propre mère, laquelle rappelle
La mémoire devient le personnage principal celle du narrateur: ce derniei se montre donc doublãment
de rétrospection' Réfu-
s'apparente à une quintuple $emã1c.tie
latine' le personnage- épris, à distance, d'une même et improbable image maternelle.
giäiofo"tuire dans .,tt páyt dAmérique Incidemment, il s'identifie aussi à son père danúne scène où
lié à sa rencon-
äarrateur évoque..,t p*té relativement récent I'un et I'autre veillent sur ur enfant. Le roman invalide de la
Un passé
iru nrru" .,n" ,i.hu Américaine désormais défunte' sorte le cours des générations et l,idée reçue de chronologie
accident
pl.t, dirtunt est évoqué à deux reprises par bribes' un aimée en substituant au phénomène d'écoulemeni d't"-p, .,r,
de voiture survenu F'"""" dans lequel péritla femme
"i
et dont le personnage se sent-responsable' Un
passé encore de fixation des situations. LAméricaine défunte "ff"t
.,r,
soixante' époque où droit de regard sur le personnage-narrateur, par le "drrr"rrr"
pi.,, ,"".ttá, datant d"u milieu des ãnnées biais d,un
homme qui, selon ses ordres poãthumes, le surveille: le passé
d'années' est associé à sa
ie narrateur était âgé d'une vingtaine
d'une fillette' Par un est ainsi représenté comme un espion manipulant d,outre_
liaison avec une comédienn", ãlott mère
antérieur est tombe les vivants. Le souvenir d,un accident di voiture po.,,
pf.ã""tt¿"e de mécanisme associatif' un passé
et son suit celui qui s'en croit responsable: le passé est ainsi d¿rirri
narrateut
rappelé, qui met en scène la propre mère du
t'Ìti*" traverse la narration' lié au comme I'instance de la faute. si par airleurs le personnage a
acì.olescence à lui' Un passé
Cette structure changé de nom en quittant re vieux continent, ceìte modiflca-
to""""it du père et à óelui de la petite enfance' giisse tion._d'identité ne provoque en lui aucun état de regain, mais
,ãt."rf""tlvä relève d.e l'enfermement: le personnage
possible' ressas- accélère son sentiment de perte.
d'un Jercle à l'autre du passé sans échappée La crise existentielle constitue de la sorte l'enjeu d'un récit
occultées
sant un malaise, sinon une nausée' aux raisons
(ainsi du goût de-mercure qui la module et en fait une poétique. L'énonciation tient
mais u.,x motifs narratifs insistants
à I'eau qu'il boit)' L"expres- à distance son propre objet. uire suite ctéliée de séquences
frêté par le personnage-narrateur pour caractériser un état factuelles concentrées tient lieu de toute narration. Elle est
äion ,çrer"nt éternel í est employée
iã*itå""u proche du temps fixe' Le temps' défini comme doublée par un texte sous-jacent qui circure sur fond de détails
expérience' loin de nourrir quelque cryptés, de réseaux d'indices, de révélations suspendues, de
ñ;;t** "st aboli et cette est vecteur d'anxiété tant il fausses reprises, de motifs décalés, Lécriture simule ainsi
sentiment de plénitude mystique' un
par le passé' U-n résean discours qui serait en prise directe sur le subconscient, de
relève d'une attraction vertigineuse
La jeune même qu'elle vise à atteindre certains états subriminaux par
de scènes entremêIées en iilustre le phénoÎ9"".'
la comé- la mise en condition rythmique et répétitive des mots quiìes
fu--" rappelle, à peine rencontrée' Ia petite fille de
plus décalent de ce que littéraremànt irs désignent. Le récit ãntre-
dienne aimée par le narrateur une vingtaine d'années tient en outre un certain nombre de convéntions romanesques
tôt, l,histoire amoìrreuse nouée avec l'une au présent.répétant qui fonctionnent comme une mémoire de genre partiellement
,r¿".," avec l'autre naguère' Cette petite fille qu'il.garclait
"lttu son tour sa propre enfance' lorsque estompée en raison de son traitement elliptique: roman
ñ;¡";1,ti ,upputle àpar son père' La comédienne' qui se vestigation, roman d'éducation sentimentáre, ioman exotique,
d,in-
lui-même était gardé rom.an d'introspection, roman du temps perdu. Entre
prãa.,isuit dans i,n cabãret du Ii" arronclissement'
se confond oubli
'ut"" lu mère du nattateut, jouant clans un autre théâtre de cet et rémanence, ce passé d,un genre o"*pu la fiction
comme
q-u'au le passé du narrateur sa conscience. plusieurs ettetr;Ë;"
arrondissement. Le préseni ne peut ainsi s'appréhender laires - livres cités, textes narratifs interpolés, p*rrorriàg",
réper-
ilsse - un passé q.tì, "" t" qttálité dans une sorte d'abyme
de présent évaporé.'
u"té'iuttt" d'écrivains - tien'e't à clistance le récit en train de s,écrire,
cute à son tout.tttå époqtt" ou plutôt en déplacent I'objet. La fiction se dérobe
actuellement
défaisant toute catégorie logique' La jeune femme à elle-mênre
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano 87
86

gradation, une crise circonsta'cielle la panne d'inspiration


et semble ainsi recouvrir une autre histoire'
difficile à énon- -
du personnage-narrateur, écrivain de profãssion, suivie d,une
l'ombre des mots'
""il;iqui demeure dans
cer,
Ie statut exact du texte lu? La question se
rencontre amoureuse incertaine - est révélatrice d'un drame
uri utorc existentiel - le retour obsédant d'un passé refoulé qui revêt
(Quartiet perdu' I)u -
nnse comme dans pl,r*i"r.rs autres récits lui-même la valeur d'une cassure ôntologique. Ici comme
Ëim toli'äî"r ør'ilili" cirque passe, Accident_n_ocúurne), PIus ailleurs, les personnages de patrick Modiãnã proposent en
plus elle
i'identité du personnage-narrateur se déstabilise' effet une représentation de l'espèce humaine
ce qu'elle perd en -ã.q.,e" par ra
s'actualise, gagnant en"réalité personnelle perte, la hantise, la fuite, la culpabilité. Lêtre de ia seåonde
Patrick Modiano parasite
puissance ,o-urrurqtte' La voix de moitié du xxn siècle est un migrateur perpétuel, le rescapé de
ceile de iimmy Sa,Jno, alias
jean Moreno' écrivain à succès'
(Vestiaite de quelque drame apparemment perdu de mémoire alors
r" zô ¡uiriet 19+s, ; Boulãgne-Billancourt >> Folio 1991' qu'il se tient à la lisière de la conscience. une situation-ê.rr"
"ïå
län¡à-n"",'o Éditio,t, Galiimard 1989'
collection type
p. 102), attaché à quelques lieux comme le Pré-Catelan ou le - le malaise existentiel - et un filtre historique - la periäãe
son père et certains de I'occupation -:par leur biais, faisant frotìer les cådes de
XVIII" arrondissemãnt parisien, hanté par la fiction psychoréaliste et de l'écriture autobiographique,
relat6s dans Les Boulevards
souvenits d'*rrf"n"ã fJr ailieurs Patrick Modiano propose des figures humaines q.riaeparrerrt
(aller se pese-r sur les
de ceinture r"p.iriar., Un Pedigree disparus' Ie simple profil psychologique ou les portraiis de ìociété
"t
balances des tues, par exemple)' La thématique
des
d'être déclinée' conventionnels. {Jne dimension ontologique circule entre les
chère à l'écrivain,'* """" simultanément à des lignes de ses récits, comme entre les liviei de son ceuvre.
ã"ì* """"s par l'évocation de Louis XVII ou la référence hitiérienne
écrivains français soupçonnés cle complaisance époque'
la guerre' Une sixième
åt cachés depuis la fin-de dans la
Ligne ontologique : des identités en cr¡se
fiutrtt à deux-reptises' s'immisce
þu,
-"*iã""e" Libération' Au cæur de l'æuvre, il est une recherche de personnalité, une
fiction: Ia Des événements d'ordre historique
d'ordre familial urgence intime à se connaître, se construire, se moclifier et
entrent ainsi en t¿tàïu""" avec des éléments
roman dont I'année à devenir, fa'te de filiation acceptable, le fils de ses propres
et circulent comme les innommés d'un
iô++ le temps indépassable' celui en perspective æuvres. De dissolutions autobiographiques en renaiisances
se décom-
å;;;"1"otrtitue
toute histoire'personìelle et collective romanesques, une identité de soi plastique s,esquisse à la
nose. Comm, ¿u"t textes de SergeÐoubrovsky et de transversale des récits, Tout à la fois créaiion et expérience,
""ttåins
r" to"it se situe à la croisée de deux mémoires inscrite dans l'histoire et dégagée en fiction, texte-document et
ä;;t;ï;tl., I'une et l'autre æuvre-monument, l'écriture de patrick Modiano relève d,une
ã.f",ããr, celle de iu g'""", celle de Ia famille'
en dépôt, au vestiaire de l'enfance' nratique proprement indécidable. Elle participe par là même
laissées
^..
et de réma-
U;" temporalité bloquée, des jeux d'amnésie culturels et
du travail de redéfinition des identités cr,ttureilei subjectives
repères et esthétiques qui caractérise la part la plus exigeanie de la
nences, rln p"rrutttug" a" phobie' des vie
improbables'
i*i;"; flou¿s (h;;;;""" pe'dtt' parents simples thèmes' ces
production littéraire depuis le clébut des ãnnées q"uatre-vingt,
;;;ï;ilp;"ctuelie) : loin de ionstituer de
propres
i,rg";"t iorment à i'échelle de I'ceuvre des archétypessoi'et une ÉtÉuerurs p0uR uNE c0NTEXTUALIsATT0N cuLTURELLE
un imaginaire de
à définir un rapport à I'histoire' La crise des identités, ou effacement des repères traditionnels
Ies combine et
esthétique littéraire' Chaque récit Ì.es active' qui structurent la vie collective et personnelle, correspond à
les applique par
iu, .r.riänit à sa façon ' veitiaire de I'enfance
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
B9
88

de civilisation échelon- chrorrologiq.e, les laisse frotter dans un entre-deux du temps,


des chocs historiques et des mutations des lieux et des genres, qui les cléshistoricise partiellement
se ressentent de façon
nés dans le temps' l-"t-tt" effets corrélés (mai 1968) et tend ainsi à leur conférer une dimensioi ailégorique.
soixante
manifeste à partir ¿ã tu titt des années L'écrivain m'Ìtiplie les portraits d'une humanité ,oigeu pu,
l¿ ¿¡ise économique)'
et des années ,oi"J"tå-Ji" (début ¿u
d'es années quatre-vingt quelque mal qu'elle ignore rnais dont chaque récit détaille les
avec un effet cumulatif à Ia fin
du xxl" siècle symptômes et module les voix. L occupation, la coraboration,
(effondrement du fvfttt ¿" Berlin) et en amont
(son ouverture coÏncide avec un autre
effondrement' le la déportation en constituent l,arrièie-plan tragique. Leurs
d'un
ìï;;;d;tuj lu tiiiãtutt'u au présent participe. ainsiprêter ondes de choc, différées dans le temps, agissent, en deçà de
qui, sans toujours toute conscience, sur des vivants dont eiles ont avant même
temps de bouleverrà-"tt, multiples
compromet cependant leur naissance viciée la qualité cl'humains. une langue tenue
aux représentations apocalyp-tiques'
et paiachève une ère de à la raison; une narration morcelée qui interroge, ãr, ,""o.,_
toute vision prog,e'si'i" d" i'Hisioire
désenchantement q;i;; recouvert I'ensemble du xx" siècle' rant à une situation d'énonciation problématiqru, ,u propre
en constituant les
I'une et l'autre dtt J;;;;;erres mondiales capacité à produire une histoire fiable; un mode du rìgnìti-
causes élémentairut'
poit peu qu'ils se sentent impliqués' cation différé par rapport à son objet, périphérique o'lãtent;
d'aujourd'hui'-les écri-
fût-ce avec discrétiott, ¿u"t'le månde des êtres de fuite, des intrigu*r
-o.,rrãnteã, des décors voués
cléterminant dans leur à la destruction; une temporalité défaite, qui s,ouvre de
vains privilégient tel ou tel événement
font jouer tel ou tel.effet
lecture de l'histoir" ;;;";p"raine et façon vertigineuse sur un passé aux séquencés imbriquées;
cle orisme clans la ruprOt"ntätion
qu'ils en proposent' Certains des consciences obtuses, animées d'obsessions ravivait une
but"ulement qui corres-
;""i;;;;; t"u;;J"; phénomène' d"civilisation traditionnels'
douleur en partie muette; des notations matérielles, qui se
pondent à la perte ;t;"tq""urs de lisent comme des indices mais demeurent irrésolues, .r' p..,
rurale pluri-
sinon archaïquesl"áitp^tition de-la France du'monde
plus que des traits descriptifs, un peu moins que des sig¡es
séculaire (Pierre tvti"hän, Pierre Bergounioux)'. symboliques; des récits qui tentent cle résoudre des énigäes,
ouvrierantérieurà_I"dur,.ièrerévolutiontechnologique mais relancent au final leur quête hors du livre, de iuço'
aux idéaux
inä"ðàrt non), d'*ã hi"oit" révohrtionnaire d'une société dans
spiralaire, dans les récits à venir: l'æuvre de patrick Modiano,
fioués (Antoine voiåãi"t' Olivier Rolin)' orientée vers le passé mais très souvent abstraite de toute
érudits faisaient office
laquelle les biblioihã[""t, f"t t:Yoitt, actualité historique, est indissociabre d'un état de civilisation
Macé) les figures du
et
de lumière, tpur"ài'dJg;uta' Gérard dans leq'el les marqueurs culturels se diluent, les repères
D'autres mettent
sacré d'obj"t, ,po"t'iàtif"s (sylvie
Germain)' personnels flottent, les systèmes de valeurs vacillent. Toús ses
d,une société-spectacle, sur fond d'ins-
en scène t,urr¿rru-"ri récits semblent écrits depuis un temps de transition séparant
de marginalité
tantanés médiatiqlås et de formes nouvelles décrivent' le monde ancien, celui des années cle I'entre-d"u*_g.,".r"r,
(iean Echenoz, Jeán-Philippe Tou-ssaint)' Plusieurs
j"tpii¿t expérience' rles avec ses identifiants effacés, et un monde autre, quireste à
au travers ¿" ,e"ü, de leur propre
venir, demeure bloqué par les effets du traumatisme issu de ra
asJumés au prix cl'un
modes de vie omuncipä'' librement seconde guerre, un monde contrarié littéralement tiré
questionnement critique d9s 1æurs et
des valeurs normatives -
le sens contraire de I'Histoire, à rebours du temps,
dans
(Rnnie Etnaux, Hervé Guibert)'
des événe-
L-æuvre de patrick Modiano est indissociabie
Son écriture
,rr"* ,rugiques de la Seconde Guerre mondiale' de tout système
détache cependant les scènes romanesques
Territoires et trajets 91
Lire Patrick Modiano
90
Gide à François Mauriac, ont nourri leur æuvre et qui se
MODÈLES PRIVÉS comprend comme une demande de reconnaissance adressée
DÉCOMPOSITION DES
;iEs RÉFÉRENTS coLLEcTIFS par un individu réfractaire au clan dont il est issu. Mais à
u'tiË' ì rtr srrrurr o rtr s' s0 clÉTÉ)
(FAMI LLE, G Rou PE, tö de la
bien des égards, l'écrivain achève cette tradition, elle-même
La représentation de la
vie întime'témoie'ne d'emblée celui contemporaine des heures de gloire de la famille classique.
familial' Le tJmps familial' CBuvre de transition, alors: elle est la contemporaine d'une
crise que connaît f" -"4¿i" commenceãprès la seconde société dans laquelle des formes alternatives de vie commune
cle l'enfance et de l'adolescence' expérience
1-968' À partir d'une apparaissent, qui tiennent ponctuellement lieu de famille
suerre et s'arrête utl"rrt '"ui une mytho-
Modiano invente substitutive, Liées à des rencontres de hasard, entretenant
ä'enfant *ulh"''""ttî'';;;;i"k ¿'li.ontt interlope inlri- et
un rapport au temps placé sous le signe du provisoire plutôt
logie famili"t" o'aäÎ'-tåJ "uìã"t tiTÎ"te et d'un ieune lrere
gant. cl'une mere a pailleltes
pÎ: il que de la durée, elles exercent une influence déterminante
disparu [-iag" de dix'ans- Texte après texte' sur la personnalité de celui qui les expérimente. Une situa-
complice en adoptant une tion - l'accueil - et une figure - le groupe - traversent les
po't'uit d':;" iamille 'éclatée
complète
""
exposition centra*'ti'"tåt
ie þniltd ou oblique (Veslioire (F/eurs
récits de Patrick Modiano. Ils forment, par opposition à une
tün'posltián'o*untsque surex- famille réelle présentée comme fictive tant les parents brillent
de l'enfance). un ;"it;'å;' (Dora Btuder)' Il par leur absence, une famille de procuration offrant à l'en-
de ruine) ou de '"iÏä¡ìã*ïõhiq."" la parl de I'ombre' ne fant, à I'adolescent, au jeune adulte, un cadre d'insertion en
pose certain' ruit"pïi';;3*"i "'tdÎ19* à .in ordre de signifi- souplesse, un attachement sans engagement, donc une possi-
complexes
nas réduire d"' "uå'-'"-ents dans les
moml leur présentalion' bilité de se détacher d'eux sans détresse.
cation tranchée q;""d'tä à I'acide' La famille d'accueil est celle que forme, dans ,Remise de
Pedigrete' est trempée
ouvrages récents ";-;U" reprise^ par pl":]""tt peine, le trio ambigu des trois femmes, amies de la mère
Concluant tt"" 'ãã"ã ïiographique fait arrêter son propre partie en tournée, chez lesquelles sont placés en dépôt < Pato-
récits - le père ö"ift
i" foille 31
ln p-"1 q'ut9"t:llnsti- che > et son jeune frère. Les deux garçons y apprennent les
fits adolesc"r,,.r"åi lui demand-er
il vit -' l'écrivain commente: rudiments d'une éducation dans les normes, qui leur permet
gation de ia m¿re'åi"" i"q""fie pas de fantaisie > (81Ìe s'ap- de s'insérer dans un environnement et une communauté avec
<Père étrange, qttit" manquait présentation de lesquels ils partagent des règles et des rites: Ie milieu scolaire,
oelait Françoi'"i'^MÀ;" 'iUn laåonisme ãut' Iuune
e"aigreei <<C'était iolie fille au le tissu social (voisins, commerÇants), Ies amitiés d'enfance,
ia mèr" au débui
Galiimard 2005' collec- les attentions affectueuses des dames, les visites de messieurs
cceur sec' (un i)"itíi""'äf.1nì""¡ autorités bienveiliantes plutôt sympathiques, les mystères, interdits et transgres-
d'être'ces
tion Folio 2006, ;' éî' Loin des modèles structurants'
les sions du premier âge. Ironie du récit: ce simulacre de norma-
oui transmertentPj l";;t';;fants Ils les conrrontent aux lité familiale s'achève quand la police met en fuite les trois
iiää:äi'il; i""ä;; J;
:Ti'i:"
compromi'Jott' du monde'
terrible- femmes, impliquées dans plusieurs cambriolages. Cette situa-
inconséquences et aux présentée comme une tion - la famille de hasard - connaît des variantes autobiogra-
ia mè'" est
ment infantite' dãs ää"f*t ' un affairiste phiques plus resserrées:ainsi dans F1e¿r¡s de ruine l'épisode
Ie père comme
cabotine ¿" ,"åïæ*JutÇori", doux-amer de I'adolescent fugueur de quatorze ans et demi,
,.i¿. r'"n et l'aurie pã""ntî"""ÎiTl,î,iîî"i;il'i;"s
---iLr.tt" rnscrltle'::;; la tradi- recueilli par une < jolie Danoise aux cheveux blonds et courts
de Patrick Modiano s et aux yeux pervenche > et I'ami de celle-ci, qui le remettent
intentés à la famille bourgeorse'
"-';
tion roman"'q;'å;; f'o"a' ¡i"tt a"' romanciers' d'André
dans le droit chemin - le domicile familial - à partir de leurs
;;;"h;i' o dott
le < famiile, 1"
Lire Patrick Modiano Territoires et tralets oa
92

son souteneur? (Fleurs de Une /ettnesse, Nicole et le Mime Gil dans Chien de prin-
propres é.carts - Itu entraîneuse'
ìnõ r' coiiection-Points o"*T 1'n:
u' temps, Gay et Blunt dans -Rue des boutiques obscures, Ingrid
r uine,o Editions ""ï;ii expansLons et Rigaud dans Voyage de noces -, couples parfois contrefaits
aussi I'obiel de plusieurs
o. 39). Cette situati";;;i de ìa ieunesse' mais séduisants, liés par quelque histoire litigieuse qui les
i;;;";;;;r. c¿"¿"iJ¿ã "u* dirîérents âges soude ou porteurs d'un secret dont les raisons sont à peine
de la personnalité'
elle devienl un ¿1"'oãnt s[rucluranr personnage d'Ambrose Guise'
effleurées, Ainsi, dans De si braves gatçons,le docteur Karvé,
Ainsi dans Quar Iier ¡terdu du veuve séduisante d'un homme accusé de trafic d'influences, et Madame, dite Andrée la pute,
la
recueilli. jeune norrrni"' par l'amant' Ainsi' encote' clu < parents de Michel: ils ne lui adressaient pas la parole et
d'affaires douteux åä"i üA""ient même lui témoignaient une totale indifférence> (De si braves
féminins qui' dans LesJncon-
premier des trois ;;;;;;"g"s garÇons, O Editions Gallimard 1982, collection Folio 1987,
d'originå contre une familìe
nues, ttoqu" qui ['inìtie à une p. 34); le chapitre consacré à Michel, condisciple d,internat
'" '"*îii"-ifå"î"it"
narisienne a" n""iÏ'i;it;';î;;"*'"i'iuol" de l'écrivain, s'achève sur sa fuite hors du domicile parental
d'un amant triste qui iui apprend
i¡ie mondaine fastid'ìåuse et avec I'assentiment des parents eux-mêmes. Ce chapifre fonc-
une éphémère vie """lttg"f"'
Ot":i:Íg:tement' du personnag'e
(Jne' lãungsse,. qui joue auprès de
Louis un tionne en miroir avec certains passages du récit de soi ulté-
de Brossier d.ans rieur, Un Pedigree, dans lesquels l'écrivain raconte comment
de^pèie - il l;i paie une
paire
rôIe interm¿diaire åîtiãî"i"i
de chaussur", qttuiäi""i;;;;
miiitait" pat^a|ee dans ]-e1u -' son propre père trouvait tout naturel que le jeune adolescent
de-Iui' Iui fait rencontrer ses errât dans les rues de Londres et que sa mère ne s,en inquiétât
de bon samaritain - ii;';"""pe pas. Même figure du double, transposée dans un scénario de
ães lieux - et de démon tenta-
propres relations" ait"""tit fiction qui en déplace Ie sexeà défaut de la structure:l'hé-
teur - il l'introdutt à;;; ttt'ã
¡""¿" de trafiquants' Plusieurs qui roïne de La Petite Bijou, abandonnée dans sa jeunesse par une
de situatio"' d'" transition'
romans tournent åì"'iã"t""r mère qu'elle croit reconnaître, adulte, dans le métro parisien,
ontologique autant qu'existentielle'
acquièrent t"" ¿iä"i'ùn gagne sa vie en gardant une petite fille que ses parents lais-
Le pa ssage, t'"n t'"-¿îuî""
i"""J"t' Aes pri ncipes dé li n i toi res
j;;;;;""r l'écrivain d'aborder la question sent, elle aussi, seule, dans un appartement désert ou les rues
.le ia personnalité nocturnes de Neuilly,
cle l'iåentité
in'i't"nt d'emblée sur la dimension La clarté n'est pas de ce monde, le droit non plus. Seuls
'ub¡""riîu"ãn (l'être au monde) et de ses contenus
aléatoire de ses contours l'opaque et le tortueux tiennent lieu de conduite à des jeunes
(I'être en soi)' gens qui se fondent dans des clans, les accueillant avec ul
transmission possible s'a
Dans un unlvers où toute naturel trop ostentatoire pour être totalement honnête. Seuls,
de modèles que dégiingués
une trahiso,t puiiiurìJ' ìl "'u't U: ils leur tiennent lieu de démarche quand, devenus narrateurs
et de valeu" q";'ä;"gtti"goi'' Quelque dani les
"l::'"
différents
1::u*tu
avatars de leur propre passé, ils interrogent rétrospectivement la
propre à ta familiã;;"i" á;;eure Là où ia famille de nature des liens qui unissaient les différents membres entre
romanesqu"' q"" fäìì"ui" ""
présente'
de hasard eux ou les raisons de leur propre intégration. Le trafic d,in-
fu déttl"tt'' les familles
nécessité ruit g'åäît ã""' fluences est une notion dont la portée excède dans l,æuvre de
L'ceuvre murtiplie res contre-
font évolue, du,.;l;q;ivoque. aitttuctait la figure des Modiana le sens juridique: il désigne des adultes à la marge et
modèles f"'"ili"i*:ää-äïtr "tt" Des couples impro- des adolescents en recherche d'eux-mêmes.
eui trafìque quoi?
parents prt"iäi;t";;;i;"t dérivées' Qui influence qui ? Les adultes manipulent les adolesôents
comme des météores - NeaI
et
"n
bables traversent les récits à des fins troubles, vol, drogue, prédation hétéro ou homo-
d'août' facqueline et Ie
son épouse B"r;;;;;"î'p,-"""1-te rlans sexuelle. Les adolescents observent les adultes, entrent dans
Nicole Haas et Beiardy
Marquis ¿utt' ¡îä" ' a-i 'u¡n"'
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
95
94

des enieux qui les dépas- apprentissage des liens de socialité. Il s'agit toutefois d,une
Ieur jeu sans adhérer à des règles-ou initiation intrinsèquement perverse, puisqu'elle conditionne
sent, mais l*.,, ,"""oi""t' loi"
de toute gesticulati:Î Ï9:*
iã"g" de liberté ãt de mobilité' Une un rapport vicié à lã société. Le groupã confronte en effet I'in-
nique, une séduisu"i" dividu à I'évidence de la corruption. Il est une bande, organi-
curieirsement autour de deux courbes
leunesse se construit épteuves' à Ia façon de gangster s (La Ronde de nuit, Un Cirque p"asse)
inversées: à I'issue de plusieurs
sée
(itinéraire du couple et dont les réseaux s'étendent par-delà les frontiår", ¡Urr"
une jeunesr* ¡u,t"iJ-ãã"t rãe"
adulte
"t-;t"q"ement leur contact' retrouve leunesse, Dimanches d'août).II attire par hasard celui qui
Louis-Odile) cependant qu'unãdYh:'
à
de Brossier)' devient l'agent invoiontaire d'un trafic aux tenants et aboutis-
une seconde jeunesse (itinéraire figure rle
Le groupe cons;;;-Jo"t po"t Modiano une sants occultés. Encore ce phénomène délictueux, s'il participe
À chaque histoirô son groupe' dont-':ll:t:lÎ::
de la vision d'un univers destructuré, sans repères iiables et
"rããiiå-"ii"n. maIS perne comme dévolu au non-sens, est envisagé par I'écrivain dans
ä;;iil" ì;^otphologie, énumère les pal"ronymes' t"t1::,t:^t"T1-"^t: une perspective excluant toute considération morale. ce que
;;ii;" "t "luìr lu' iaisons prolondes qui
p"r,i" du récit lourne autoui de son énigme'" nucléarre' '1\lnsl les récits mettent en relief de façon plus décisive, c,est ïn
GaIlas' Lestandi' Gerbère' lien à autrui qui s'éprouve comme une négation de l,être, une
cle Mtrraill*' f,¿"'"ntt"''-Vuo¿
ä;;t t;t Boule-vards de ceintute' de forme de réification de l'individu par Ie nãmbre, un principe
Sylviane Quimphä et Hendrickx dans de société intrinsèquement perverti, donc.
Roland-Mi"ft"f, fo""otl¿' M"g Devillers Haywarrl et Parfois le gro rpe est régi par une mémoire commune que
l\4aillot' les
Villa triste, Ho",oy,"Cttio' Cão'g"sMtm' rv Lane' Pierre Louis tous refoulent: elle renvoie à une époque révolue, dont le deuil
Carmen aun, q,olti u-là'a"'du""s dans Un Cirque n'est plus de mise. Le clan se fait la crypte d,un univers trou_
Martíne
Ansart, Jacques d" B;;tè*' GisèIe'
dans Une feunesse' ble, que trahissent des propos à double sens ou des attitudes
;;;; H";àrd, A*t"', Bélardy' B-rossier
Zacharias, r"trut,l"ã"-úi"ftät'
Louki' Adamov dans Dans décalées, identifiables comme tels mais restant en deçà de leur
un petit cercle signification pour qui n'en possède pas la référence première,
le café d" la ¡euni'àlt"-iå'a""' Tous,forment des références' Survivant aux circonstances de sa formation, le groupe s,ap_
des attirances'
de hasard, Iié parâes int¿rAts'
d";;"rát hermétiques à celui qui les parente à une structure arbitraire, fonctionnant a I'hábitudi,
des expériences q;
dtrn témoin' puis le
rencontte et exer'ce sur eux le regard s'en fait Ie mémo-
réduisant ses membres à l'état de figurines qui accomplissent
quand il les gestes d'un rituel détaché de touie raison. Des p".rånnug",
;;i;i-ã; "ue d'un herméneute À leur contact' ie ieune répètent ce qui fut naguère leur rôle social, qrre f.,r"nt jaáis
rialiste (Memory-;;;;, Villa triste)'
les relations_entre gens d'un même monde, alois"e
aux effets captateurs'
homme découvre un rituei convivial
que le riâeau
un échiquier dont les diffé- est déjà tombé sur Ia scène de leur histoire. Dans re huis clos
sinon destructeurs' Le groupe est possible de du groupe, des vivants se mettent ainsi eux-mêmes en scène,
s sans qu'il-soit
rents membres formenî les^pioT Ia partie a réel- se regardent jouer, s'applaudissent comme les rescapés de
quand
détecter q.,"t ¡ottáï' -""ipt't" I'autre' s'achever propre vie (Quarúier perdu, Memory Lene, poupée blonde).
leur
lement tiãfft åst un iour suscepti!!9--d" Cel'i qui le fréquente comprend alors
"o-*",,"å, de.victoire (Villa triste' Une la société,
et quelle urt t" -i"'Lï *if"t "" "u' qu'il appréhende ici en version miniature, "om-errt
j"in"rr", Livret de famil.te chapitre v)' est mortifère. Son
intermédiaire entre actualité se vit sous la dictée d,un passé qui la plombe _ ainsi
Le groupe constiiue ainsi une structure des groupes issus de I'avant-gr"r.é ou du temps de l,Occupa-
Ia vie famiiiaie de société' un support transitionnel
"i-i;;i"
entre deux espaces, I'un intime'
l^a1tre social' Le personnage tion. Un principe d'inertie, Iui, tient lieu d'eJprit de conör_
en modèIe réduit' son vation, comme ces groupes mondains et bohèmes désæuvrés
du ieune ud.ttt" 'it' ãtt""nu y fait'
Lire Patrick Modiano
Territoires et trajets 97
96

de fanille et Fleurs
deuxième récit des Inconnttes, Jacqueline_Louki
que décrivent certains passages d'e Livtet lg café de la jeunesse perclue), les enquêtes historiq,rn,
dans Do.¡rs
de ruine. dans Dora Bruder),_les textes autobiofraphiques (Ì,;dole;;;nt óä.u
gens dému-
Par-delà les raisons qui amènent des ieuues Modiano quittant clandestinement le"pensionnat de
gloupe leleve. d un
nis vers des adultes avertis, le rapport au ou le lycée de Bordeaux où il était élève). La fugue
banlieue
à devenir' au
besoin d'affiliation, qui conduit les premiers une persorÌnalité réfractaire qui résiste à une s"ituation ""r*,*ir"
i"' (Metnõry
;'i"";, i", tl¿¿i", '""otd s contraire !"":).:
al.nire.lys vécu"
d'indepenoance comme une incarcération. Répétée, cette situation
séides (Une leunesse)' Un besoin recouvre
récits contra- alors une dimension ailégoriqúe: ele est re mouvement
i;;;;";t" à iuir, à tourner la page' I'a forme des qui vaut pour de I'identité telle qu'elle peine à se poser, à s'établir
mãme
rie toutefois ce propos, créant une dissonance autour
systématique à d'un centre stable, et s,évànouit sans cesse à elle_même
seul commentaire isychotogique' Le recours la contrainte.
sous
à un retour
.,n" ¿tto,t"iation retråspecti"e équivaut en effet comme si Famille(s), couples, groupes: à manège différent,
au temps du gro.tpe et å l'époque^de
I'adolescence' semblable
joué' qui demeu- vertige. si ces structures traditionneiles de la vie irrii-u
un événement majeur cte la viã s'était alors beaucoup n'offrent plus de modèles crédibres, res référents collectifs
raconté
rait indéchiffrable après coup et devait être permettaient naguère à l,individu de se foncler comme
qui
plus tard po.,, pottoir être compris (ViIIa triste' Quattier en s'inscrivant dans une communauté aux cadres
sujet
moins comme
oerdlt).Les ouvrages cle Modiano se présentent tracés connaissent un même désaveu. Les grancles institu_
crairement
passés Que comme 1a
ãäï"il";;;;T;iq"es d'événements tions - Armée, Église, Écore sont attaquées ãvec véhémerce
recherche d'r.n s""s à attribuer à ces mêmes
événements' -
dans lo PLace de l'étoile comme les lieux d,une gig;;i;;;""
en situation et le demeure
Mais, hermétique, le groupe l'était mystification nationare qui a couvé vichy, ru cJrri¡o."tio"
l-di;i;""": il ne livrã pas son secretconscience denarrateur,
et renvoie le
sa propre et l'élimination des juifi sous co'vert dlun idéai ,ãpì¡rr
comme le personnage qu'il fut, à Ia cain dévoyé. Symptomatiquement, elles s,effacent des
ainsi l'avènement
ã,t"t4",¿. L'exporieñc" dtt gtottpe accéIère récits et cette absence de la scène romanesque trahit la
äutres
pas à coincider
d'un sujet solitairà farce [u'il^ne parvient lui font qu'elles subissent sur la scène civile à pariir de 1g68.
crise
präi"ã"iã"i "rr"" lã,'"tttt"' et que ies mots mêmesà I'écono- un Pedigree rend-il justice à un cuié et une paroisse
Tout
Retracées
défaut pour en comprendre lesiaisons' lyste
l'écrivain enfant trouva quelque éducation en l,absence de
oÌr
se replient ainsi sur un
Ài", ,o.r,", Ies histoires d"e rencontres parents et d'un_ foyer stable _ mais la scène se présente
insondable mYstère' elle_
pour le cou.ple: les même comme l'évocation d'u' passé lointain et
Ce qui vaut pour Ie groupe vaut aussi d,un pãris
qui disparaît révolu. Tel épisode d'un récit ûn"
personnages-narrateurs aiment une femme - leunesse- fäit concorder
le service militaire du personnage píincipar,
de leur vie, sinon de la vie, et parfois
réapparaît, longtemps afrecté dan, .,rr"
petite ville de province pluvieuse, ã.r"" un
après, comme une figure d'outre{ombe'
Ainsi de la mysté- état de dénuement
que marquent ses chaussures percées:
dAndre Breton? à leur image, lArmée
rieuse Jacqueline - nã-trrug e à l-'Am9ur /ou prend I'eau. Le ritu.el d'intégration qui rui
.t"u p""ã"nalité. à chaque fois différente'
- qui hante, sous ptus lointaine tradition n'est plus
était ärrig;J a"
[Jne leunesse, Du lLin de I'ottb]i' Accident nocturne' I)ctns {.,'.,n lu.,ir*, et cera clès le milieu
des années soixante. Ii est remplacé dans
l" "á¡e de la ieunesse perdue'.À son image' Ie-pers.onnage le même ,;;;"
par un rituel inversé, cerui de |intégration
être de fuite - ou
iypä"t't¿"it, a" Patrick Modiano estseun multiplient dans les
dans une commu-
d" la marge, en version dure (ães trafiquants) o., ao.,".
nlutôt de fuque, Le, '"è"us de fugue l1rÍ
(la clté universitaire, refuge
iJää* tt",iä'tr"etia d'ans voyaþe de noces'la narratrice du des apatrides et àe tous ceux qui
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
98 99

légère d'utopie)' Dans le marché noir, ses règlements de compte à la Libération,


désertent la société des aclultes, à valeur la reconversion des truands (Rue des -boutiques oÁ""r.o"
;utres récits, l'institution scolaire est pour sa part
;il;i;;t btaves ou Paris Tendress.e). un foyerde criminarit¿i ta pègre
présentée comme une'machine à domestiquer .(?-" :i des
années cinquante (Fleurs de ruine, Remise de peini, rin pedi_
(Un Pedigree)'
onrcons).à exclure fnáÃit" de peine), à souffrir
ä;i"";;;;;;; i..i, ('p1""''de ruines)' sans que soit jamais gree évoquent la Bande de Laurisson, alors très célèbre)
ou
tournée vers l'adolescence' sa fonc- les réseaux internationaux de drogue, de prostitution ei
référée, dans une *;;; commerces illicites se développant à parii, du milieu des
de
et le. rayonne-
tion éclucative. lbut juste Ie culte du magistère années soixante ([Jne leunesse, euartier perdu, un Cirque
à penser sont-ils' à l'occasion'
Å""ii"t"ffectuel cles maîtres passe' Accident nocturne). un foyer affairiste: res trafics
to.trnés en dérision (Accident nocturne)' de
plus rien' biens, d'objets et d'investirr"-..ri qui accompagnent, comme
Au travers de ces institutions qui n'<instituent> une caricature de caractérisation épique, le pãrsonnage du
i"-frincipe même de civiiisation qui ie aetr.t^et
"'"rt état l:t;^t":ll:
de derlve père (res Boulevards de ceinture, Liirei de
ioironr."nt de- personnages isolés' souvent en familre, un ðirque
posse, Dora Bruder, [Jn pedigree). Ce trafic concerne auåsi,
Bijou)' artistique
ã"ã"ãÀiq"e (la mère puiative dans Lo,Petite
de printemps)' clinique gomme une parodie pas vraiment drôle de déterminisme
if" pn","ätaphe Junsån dans Chien garçons)' Cet isolement tessort familial, le personnage du fils, que I'écrivain met en scène
irur"'r'o*tË, àans-De si braves insère volontiers ces sous son nom ou à son image, jeune homme qui vencl des
ä;u,rtunt plus fortement que- lécrivain livres et des objets volés à quelque libraire o, untiqruire peu
dans i;"fu de hasard' comme celle qui peuple
;;;;ú"s """ ou les métros scrupuleux (scène répétée dans Un Cirque porr",'Chiei cle
'1u",
gur"s \Llne leunesse, Du plus loin de I'oubli)
n'esl printemps, Fleurs de ruine, [Jne leunes,se et Confessée sur un
iï""p"t¡ti Biiou). Rrl"ttn pu"o'u-" de société
découpent' comme une esqulsse
11o^13se: mode rousseauiste, à la,première personne, dans Un pedigree).
i"r.ls q.,"lqúes profils se
agents admi- Un foyer de demi-monde: des nobles désargentés, des u"i.i.u,
nour mémoire ou ,r,t "'oqttit à cñarge' tels ces
des ronds cle tournant mal, des cocottes, des gigolos, deslravestis, peuplant
#;;*i;;ãiå""t r'ãtnrers des assis dã Rimbaud' que Patrick des cabarets bas de gamme (nigãlie), à la mode (le TaËarin)
cuir de Courteline et des bureaucrates de Kafka' de d'ancienne réputation (Montmartre), traversurri Iu, pages des
ou
de Livret famille'
M;ãt""" épingle dans le premier,chapitre ou les premières Boulevards de ceintrre, Livret de
les dernières pages d'e bimanches d'août familre, Rue des boitiqu",
à chaque fois' obscures, (Jne leunesse, Vestiaire de I'enfance, Des inconnu"r,
,ãq.,"n"", d.e-Dora Btuder' Alors qu'il est'machine institu- Paris Tendresse.
q"år,i"" de naissance ou de disparifion' la sa natute' intrin- famille
tionnelle ," grippá, "omme s'iI afpartenait
à .lesLagroupes _d'origine est présentée comme un antimodèle,
toute requête' de bloquer toute d'accueil comme cles structures par défaut, les
ffi"tt""t ñorìif¿tu, de rejeter grandes institutions comme des corps déléteres, r" ,o"iét¿
recherche vitale. comme un agglomérat d'êtres isolés, de cercles douteux,
de figures
Il n'est de société que ramenée à ses envers' faite Patrick masses inconnues qu'aucune hjstoire partagée ne fédère
de
de hors-la-loi'
troubles, a" p"rrot ,täges marginaux et plus
interlope' qui en une communauté. Ainsi se désagrègent les repères
Modiano se fait få-fãttt"itiste d'un univers part de et culturels grâce auxquels un individu peut se construire
intimes
propre
double une civiii,åtio" contestée par sa- autour com-me sujet et une identité de soi s,affirmer. Au
ù"À¡t"t' Cette fascination romanesque se développe principe de
civilisation et à I'idéologie qui en fonde I'acceptio'n modlrn",
même phénomène de
de quatre foyers tãJ"ãvá"t chacun à un l'humanisme, I'écrivaini.,påtporu donc I'image d,une
romans
Jãrfr""t""näe' Un foyLr-politique: dans les premiers ses liens avec rongée par ses marges et d,une humanité
rã"1ãì¿
i"a¡gree,Ie -å"dã de Iã collaboration' se rðsorbant en une
"t-íii',
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
100
103

d'un fébrilement un mal_être latent (811e


faune. Dans ses trois premiers romans, iI joue à cet effet jeune adulte qui s'invento
tugittt" carnavalesque et inscrit son æuvre dans la lignée àor]-" oôaphies,
prompts un petit chien qu'il ""
emmè'e ^&
de-s écrivains provocateurs de l'entre-deux-guerres' liq.t9, .rô
' ð¡,øbctive.
fuit, loin de Paris, des þurs ,"rrlir,
à dénoncer les-valeurs fallacieuses d'une civilisation discré- (dernière scène de Fleurs au ,"¡iài-.ól*,r.
. oatrides
"t 9"<Þurs
ditée par les réalités monstrueuses de la Première Guerre un semblable état de perditiorrí. rr,
mondiale. Mais Patrick Modiano déplace d'une guerre la rroctr_ þs,
même. leur propre énonciation: 'e
cause de cette situation et d'un traumatisme ses effets.
La une voix destru
romans' qui se lisait vant depuis le gouffre, dicte le cours
virulence antihumaniste des premiers susceptible d,être la sienne, dans la place"t "otiq.,u ä,.,r-
aussicommeuneparodiecarrstiquedesdiscoursd'extrême- boutiques obscures,.La petite Bijott, Des
;;i,;r;i;, ,.
droite musclés, cèãe la place à une interrogation inquiète sur récit), Accident nocturne.
inconnues(deuxr.
la figure du suiet vulnérable. Si une vision commyle rapproche patrick
contemporains, c,est celle d,un univers
Modiano de ses
f ÊTRE EN PERDITION
frappé d;;ä;";;""
UNE ONTOLOGIE DU VIDE: tgrull''A'yant perdu tout sentiment d'appartenir
Lécrivain élabore un certain type de personnage en perdition tivité identifiable, que des valeurs inscrites à une cotec-
dans la durée
faute de pouvoir trouver des mõdes d'irlentification crédibles granatissent, r'individu perd cerui de
sa propre conscierrce.
et des systèmes d,e valeurs fiables' < Je n'ai jamais éprouvé Encore cette idée de dósencha'tement
nu ,enrroiu-fàï i"i
une très grande confiance en mon identité et la pensée qu'elle à I'effacement du sens du sacré _ cette
crise caractérise le ii

ne me reionnaîtrait plus m'a effieuré > écrit le narrateur précédent tournant de siècle mais à r'absence
cle l

- d" i;;i;ilì-" i

Villa triste (ViIIa trisie, O Éditions Gallimar d 1975, collection de sacralisation substitutive
- ra crise actuete porte sur une
Fo\io \977, p. L03). Nul repère transmis, nul modèle proposé dépréciation des ordres de grandeurs curturetes,
une défé-
ne permet aux personnages de se construire une identité tichisation des structures dlautorité, une relativisation
des
proþr" et cette situation dã vacillement cult'rel, ces états de figures du pouvoir, un discrédit des ideologies
majeures qui
iloti"m"rrt intimes suscitent une incapacité à faire corps avec furent celles du xx" siècle. Nombreux sont
les commentateurs
eux-mêmes, à s'inventer un équilibre' À cet égard l'æuvre
cle - philosophes, sociorogues ou éco'omistes - p""ì-iåìi.àr,
Patrick Modiano n'est pas sans s'écrire dans la proximité cette crise se développe depuis la fin
des années soixante_dix.
Patrick Modiano en d.éplaci lbrigine dans
decelledePeterHandke,quitraduitenallemandplusieurscle re t"-p;. À-ìì."ìu,
romans, cette crise s'inclut dans une
ses romans et auquel l'écrivain dédie Du plus loin de
I'o-ubli' série d,ondu, de
différée depuis la Seconde Guerre màndiale.
Lun et l,autre déiaillent les différentes manifestations d'une U'iÃugirrJ.u "hu"
catastrophiste de l'histoire conditionne
même ontologie du vide: aucun garde-fou ne retient les en cela son æuvre.
d'une aspiration par le Sans qu'il en théorise la vision, l,¿tat
f"tto"""gr, {.r'ilt mettent en scène ãe crise diffus, proDre
gouffre. Ün éiat de déréliction caractérise Ie vieil homme
à_son univers, rrouve ses origine,
du""l;;;;"åääi,5är"
Slgul, qui ont floué tout ordre de valeurs possibles,
iegardant inlassablement toutner les bandes vides d'un période de l'Occunation, qui a porté et dans Ia
Ia jeune femme éprouvant la
-ig"etophone (Une leunesse)' (Des inconnues)' celle qui se a.rn poirrt au a."o_pori_
tion irréversible toute structure collective.
tenlatiorrde se jeter dans Ia Saône Le ricite et r,ilriciLe,
précipite du haut d'un immeuble (Dans le café de la
jeunesse le droit et l,interdit, le juste
",
i"-*i f"ïi"" Jf" i"l, ;;il;,
þerdu"), se suicide dans la chambre
d'un hôtel milanais îîT::_1:r._catégories
ue valeurs tranchées, se sont
acquises, rattachées à d;;;;;tè;;,
un accident de voiture en fuyant effacés pour des raiåns qui
iVoyogá a" noces),périt dans
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano 101
100

joue à cet effet d'un fébrilement un mal-être latent (Eile s'appelait Franço;,se) ou le
faune. Dans ses trois premiers romans' il jeune adulte qui s'invente un doubre, iiiste autant que
;ä!t-,t; ãÀtnurrul"rque et in-scrit son æuvre dans laprompts
iignée
un petit chien qu'il emmène en cage avec lui
ãrora-
quand il
des écrivait , prouoåuteurs de I'entre-deux-guerres'
lique,
discré- fuit,loin de Paris, des jours sans fin et unevie sans leniemain
J áérrorr"", ieJvaleurs fallacieuses d'une civilisation (dernière scène de Fleurs de ruine). D'autres romans
Guerre simulent
äi,é;;"l les réaiités monstrueuses de la Première
d'une guerre la un semblable état de perdition sur un mode plus radical, à
mondiale. Mais Patrick Modiano déplace
La même_ leur propre énonciation: une voix destructurée,
ses effets' s,éle_
cause de cette situation et d'un traumatisme vant depuis le gouffre, dicte Ie cours chaotique d'une histoire
qui se lisait
virulence antihumaniste des premiers romans' susceptible d'être la sienne, dans ra place d-e I'étoile, Rue des
d'extrême-
aussi comme une parodie "uttitiqttt des discours boutiques obscures, La petite Bijou, Des inconnues (deuxième
sur
ãtãit" musclés, cède Ia place à une interrogation inquiète récit), Accident nocturne.
Ia figure du sujet vulnérabie' Si une vision commune rapproche patrick Modiano de ses
contemporains, c'est celle d'un univers frappé de désenchan-
UNE ONTOLOGIE DU VIDE: UÊTRE EN
PERDITION t9ment.,{yant perdu tout sentiment d'appartãnir à une collec-
Lécrivain élabore un certain type de pelsonnage
en perdition tivité identifiable, çlue des valeurs inscrites dans la clurée
iclentification crédibles granatissent, I'individu perd celui de sa propre conscience.
faute de pouvoir trouver d"r -ådus d
jamais éprolvé Encore cette idée de désenchantement ne ienvoie pas ici
ãì ¿tt ty",èmes de valeurs fiables' < Je n'ai
la pensée qu'elie à l'effacement du sens du sacré cette crise caractélrise le
,rn* trOr'grande confiance en mon identité et -
le narrateur cle précédent tournant de siècle - mais à l'absence de toute f'orme
ne me reconnaÎtr"it ptrl' m'a effleuré écrit
>
de sacralisation substitutive - la crise actuelle porte sur une
Villa triste (Villa trisie, O Éditions Gallimard 1975' collection dépréciation des ordres de grandeurs culturelLs, une défé-
modèle proposé
Folio ßzz,p. 103). Nul repère transmis' nul
une identité tichisation des structures d'autorité, une relativisation cles
ne permet aux persontug"t d"e-se construire figures du pouvoir, un discrédit des idéologies majeures qui
culturel' ces états de
;;o;r" et cette siiuation dã vacillement faire corps avec furent celles du xx. siècle, Nombreux sont les comrnentateurs
ilotiemunt intimes suscitent une incapacité à
eux-mêmes, à s'invànter un équilibre' À cet
égard l'ceuvre de - philosophes, sociologues ou économistes _ pour lesquels
ia proximité cette crise se développe depuis la fin des annéeJsoixante-dix.
Patrick Modiano n'est pas såns s'écrire dans Patrick Modiano en déplace l'origine dans le temps. À lire ses
allemand plusieurs de
de ceile de Peter Handke, qui traduit en romans, cette crise s'inclut dans une série d,ondes de choc
Du plus loin I'o.ubli'
ses romans et auquel l'écrivain dédie .de différée depuis la seconde Guerre mondiale. un imaginaire
L'unetI'autredétaillentlesdifférentesmanifestationsd'une catastrophiste de I'histoire conditionne en cela ,or ä.,rrru.
même ontologie du vide: aucun garde-fou
ne retient les
d'une aspiration par ie Sans qu'il en théorise la vision, l'état de crise diffus, propre
;;;;;;"";es {u'ils mettent en scène
caractérise le vieil homme à son univers, trouve ses origines dans les événemerrtå ¿Ë
ta
iouffre. Ün éiat de déréliction vides cl'un Shoah, qui ont floué tout ordre de valeurs possibles, et dans la
i"gurdu.t inlassablement tourner les bandeséprouvant la période de I'Occupation, qui a porté à un point de décomposi_
-lg"ãtopÌt on" (Un" J"unesse), la-þune femme tion irréversible toute structure collective. Le licite et I'illicite,
celle qui se
tentation de se ieter dans la saône (Des inconnues), je.unesse le droit et l'interdit, le juste et le tort, le bien et le mal,
de la
prã"ipitu du háut d'un immeuble (Dons Ie café comme des catégories acquises, rattachées à des systèmes "o"f",
Ia chambre d'un hôtel milanais
þrraia, se suiciáe dans de voiture en fuyant de valeurs tranchées, se sont effacés pour des raións qui
ivoirgá a" noces),périt dans un accident

,í.
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
103
102

eile en a embrouillé les lignes -


de renseignement fiable, les objets archivés - photographies,
tiennent de la Collaboration - papiers, bottins - aucune forme de connaissance objective.
le simple fait qu'iis aient été
et des camps d" "o;;;iration - Les uns et les autres constituent des présences brutes, vides
tottt" idee de morale préétablie
possibles suffit à t";ä;';;ì;e valeurs d'un relief autre que Ia seule perspective du moment, porteurs
ie doute sur tout système de
autant qu'à ieter "" u-o"t d'une durée qui se résorbe en un jeu d'impressions éphémères,
alternatives. ce que l'on dit d'eux n'engageant que la situation ultérieure
caractérise ainsi par un
L'imaginaire catastrophiste se du commentaire. Les lieux collectifs - restaurant, cabaret,
depuis un foyer traumatique
filtrage permanent äïiüittoite que le feu couvait avant
monument - et intimes - maisons, appartements - sont les
originel. Le premrer roman montre cadres d'une vie sociale et d'une intimité si communes qu'ils
pio"" a" l'étoile récapitule^les principaìes
les événem"nt, ' l'o deputs ne peuvent former les marqueurs propres d'un temps person-
ae f'a¡1ii¡ijtisme lrançais
étapes de développ"-""t Lacombe nel, qui seraient transmissibles d'une décennie à I'autre,
suivants' ainsi qrte
le Moyen Age' Les deux romans le comme une mémoire vivante de I'espace. Le pays même de
desrécits ultérieurs' saisissent
Lucienet certains épisodes À partir de Villa l'enquête, la France, semble s'évanouir au gré de multiples
temps de la déco-ià'iti"":.I'occupation' rencontres avec des personnages d'exilés. L'Italie, la Russie,
traumatisme différé dans le
frisfe les récits 'oit """" du pgt' d",t consciences lAmérique latine, Bora Bora,.. semblable dispersion compro-
temps, l'origine du mal s'effaçant 1 q"Ï met toute possibilité de rejointer les pièces de l'enquête menée
en decà de toute consclence'
mais chaque crise la réveillant roman comme dans
par le personnage-narrateur sur lui-même pour tenter de
ainsi de Iu g.t""" äãtge'i"' -dans "ä initiale se perd' inter- savoir qui il est, d'où il vient, où il a vécu, ce qu'il a fait, qui il
Fleurs de tuine Ún eeíigree' Lacause a aimé, pourquoi il a tout oublié. Éclatée, sanJfrontières lixes
"t au point qu'ir est impossible
fère avec d,autres phénomènes ni contours assignables, son identité est une diaspora,
de savoir quel en Jst I'obiet'
ti."l1: en possède encore un ou Juxtaposant des phrases succinctes, des paragraphes brefs
à I'infini' <La mémoire' elle-
prospère d" f"Çt";;t;;;;"' et des chapitres resserrés, l'écriture obéit dans sa structure à
et il.ne reste plus de tous les
même, est rongee;;;';;;;tde une logique dissociative. Le nom, l'image, le récit: ces trois
visages-horrifiés du gassé
cris de souffrance et de tous Ies garants de Ia conscience échappent en permanence au person-
plus sourds' et des contours vagues
;;; J"t appels de plus en ñ¿r'ions GaIIimard tszz' collection
nage, hésitant au hasard de son enquête entre différents
i. ;;öt;lJr"i" l'i'''iú'ä l'écriture opère-t-elle la conver-
patronymes, qu'il aurait tous pu porter, plusieurs photos, qui
Folio 1981, p' 144';;;;" Ainsi toutes pourraient le représenter, de multiples histoires, qui
ontoiogique'
sion du plan historiqúe en perspective toutes pourraient être la sienne. < Vous ne trouvez-pas qu'il
me ressemble?> demande I'enquêteur, confronté à la photo-
ÆUE DES BOIITIOIJES OBSCURES' graphie jaunie d'un homme inconnu auquel il va progres-
ARRÊT SUR OUVRAGES:
sivement s'identifier, dont il va méticuleusement narrer
ii cnaur PAssEET NI¡TURNE
ACCTDENT
le parcours, avant qu'un élément ne le convainque qu'il se
en iilustre Ie principe' Le'person-
Rue des boutiques obscures
a l'état d'ámnésie qui lui a lait fourvoie et que la découverte d'une autre photographie ne
nage-narrar"u
' "n"uiJñã "o-bl"'
la connalssance de son passé
et la conscience de lui- relance le processus. IJépreuve du miroir, par laquelle I'enfant
perdre id"::i:i:::r:" u" accède à sa propre reconnaissance, ne constitue donc plus un
même. L" ro*ur,î;;;;i" àblanc l,impossible
repères envisageables stade passager mais un état permanent. Faute d'atteindre à la
soi par roi-*e-"'ìot's les systèmesãe conscience de son identité, Ie personnage ne cesse d'endos-
de s'identifier à travers
trahissent en etiet cetui qui tente ser, en fugitif de sa propre vie, des modèles d'existence qui lui
ne ttansmettent aucun type
eux. Les temolgnãges humains
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
104 "105

vertigineuse du moncle temps. Dans Un Cirque passe,le personnage_narrateur, jeune


sont étrangers. II en résulte une vision homme de dix-huit ans qui
qui, à l'image du personnage-narrateur' s.emble urrå.r" vingtãt.,rr, glirru'ín.ur_
;;;i;p";in samment d'une rive de paris"r,à l,autre et ã,*n urro"rrdirruÀurrt
,"*l"tïf" te"iterch" de tli-mame comme en mal de rotation' de la capitale aux rues d'une banrieue proche. rhistoirã
lumières
r"ìlå"¿ d'atmosphères opaques - buées' brouillards' raconte glisse elle-même d'un quartiôr à l'autr" a" t"^i,, lu'ir
indécises, p.ér"ttc", "tÀui"'ulles' espace
dédaléen - et cle
et cle un passé proche, lié à sa rencontre avec une jeune femme
;;ñt;iiié'cauchemardesque - images de liquéfaction amorphes' énigmatique, proche de gangsters, est parasité pu, ,r. passé
des décors
rp^.,i,,gtãti,¿, appliquées à des corps et ancien, lié aux figures fuyantes du pèìe et de la mère, et
srrggèr" la raison dans les d'erniers chapitres c1u à
Lécrivain son.tour parasité par un passé antérieur ayant pour cadre
t"-"", q"i"nrévèîãnt les circonstances de l'amnésie: une fuite le
qu'il aimait' un quart Paris de I'occupation, Dans Ie récit, re nãrrateur privirégie
tragique, en compagnie de- Ia femme la relation des scènes du passé proche, que le p"rre ancien
afin d'échapper aux
d" îi¿cie plus tôt, pãndant I'Occupation' traverse par bribes (scènes en incise, portiaits en esquisse)
Mais
mesures antijuives et aux autoritds colìaborationnistes' le passé antérieur effleure par touches (quelques mots, glissés
et
sont
c", s"èner, inscrites clans la dynamique lomanesque, voir incidemment : collaborateurs, occupation,
elles-mêmes rattrapées par Ia fi"tiott'
qui-empêche.de luifs). L'écîivain
et de conclure le récit sur la laisse ainsi circuler, dans un récit centré sur certaines situa-
;;;il-t une explicãtlo"iogique tions resserrées dans le temps, les traces du passé historique
résolution d" tu idenÏitäire' Loin de trouver là sa clef'
"ri," qui en relance qui les infléchit -_mais en quel sens? Le tåxte se présente
le roman s'achève sur un ultime tour d'écrou comme un réseau de faits différés les uns des autres, décalés
de quelque chose'
iã pro"ur*rrs: <Des lambeaux' des bribes Mais dans leur mode d'expression respectif, tantôt objets áe repré_
*Jr"rr"n"ient brusquement au fil de mes (Rue recherches"'
boutiques sentation, tantôt évoqués par allusion, Le personrrug"_r.-."_
tout, c'est peut-être ça, une vie"' >
..Jir-"urur,
après
des
teur qui les commente dix ans après avoir áimé l,éni[matique
o Édiiions Gallimard 1978' collection Folio 1984' jeune femme se trouve ainsi renvoyé à ses propres inão,rrr"r,
p. z:al. Ét l" ,t"rruteur de réactiver Ie doute
identitaire par
valeur cle stratifiées dans le temps. Ne parvenant
ã".r" q,rurtion, q.,i ããnient à cette fin de récit toute þas à les nouer, il
reprise: échoue alors à les résoudre. Sans établir de liens directs aíec
maisì'engagent dans une dynamique.de la ce roman, Accident nocturne reprend la même situation mais
ngrt qu'il s'agit ¡i"i ¿e Ia mienne' Ou de celle d'un autre
"ãn"t.,rion
en y apporta't plusieurs variantes. Lécrivain pose rapidement
""
dans laquelle ie me suis glissé ?- ':
(I\!d' p 2.38)' +itï I écriture
hrstorrque les circonstances de la rencontre entre le jeuie homme er la
de Patrick Modiano passe-t-elle d'une situation jeune femme, laissées en suspend clans Ull Cirqtte passe.
souffrance sans
à une situation ontolãgique' Elle pose une les rattache à une scène capitale de sa propr" ådolãr""rr"*,
Il
le simple
äu;ut -ul, a -.,ttifi"'"p'etu*t"t' ûui accompagne à la son arrestation à la demande de son propre père, Une situa_
fait d'exister et que l'éãriture entretient en cherchant tion majeure, l'accident de voituru, o.,rr." ,4 ccident nocturne,
".'P;;t'
conjurer.
tarau- le personnage masculin étant renversé par une automobile
sa part Ia plus romanesque: des personnages concluile par la jeune femme. Cette situation achève [Jn Cirque
les ténèbres de
dés par un passé iá*ifiui qui så fond dáns
passe, la jeune femme se tuant au volant d'une voiture
aux allures de
I'histoire, errent d;;; ";" gåographie urbaine qui ne
Iui appartient pas. Avec l'identité des victimes, c'est la fonc_
labyrinthe et s'égarent danì une parole qui
se-contracte. clès
tion de cette scène qui s'inverse: elle marque dans un cas le
qiåff" touche ai plus juste' Poui sa part la plus intimiste: choc déclencheur d'une rencontre et du proãessus urtérieur
une-aclolescence
une famille absentä, uná enfance en manque, sa remémoration, dans I'autre leur poini
de
conscience aiguë de la fuite du d,achoppement, leur
;;**", d", dirpàritlà"', une
106
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets 107

initiatique
fin définiti ve' Accident nocturne formule le sens
personnage qui
égards, les récits de Patrick Modiano mettent en scène
lusion d'une telle herméneutique. Le personnage-narrateur
l,il_
attribué à des situations accidentelles pal
un
leur enchaînement autant échoue à dégager un degré de ãonnaissance satiifaisant
;;ñ;"" malgré lui impliqué dans
dÎI::Ïl-'J':1":t:"t événements vécus, qui lui permettrait d'affirmer au terrne
des
que par ie nairateu, q" iI eìt appeté.à ""
d'importanl d'un itinéraire marqué par l'élucidation de situations opuq.,u,
iä po'ittt d'apprendre quelque chose Ï TÎt;T:Ï"
(Accident
vie> une identité de soi enfin révélée. c'est alors la fiabilité àe iout
;ì ñi-p;ri-'att" "h"ng"täit le. c911s de ma< C'était là, à I'un roman d'introspection et de tout récit autobiographique qui se
n-oìlurü",O Éditions Cäilimard 2003, p. e5),
chose d'important trouve remise en cause dans le jeu d'artération auque[s'adinne
ãã étages, que j'allais apprendrequ^elque
"tt
;;t ;" ,riä, (¡bi,i, p. rs)' ie simplé fait qu'il y ait narration l'écrivain avec leurs modèles littéraires respectifs.
approche'
,äir"rf t",ive'dénonce táutefois liillusion de cette différées dans
à;;"fi" atteinte d',,,n" vérité de soi, toujours Ligne éthique: l'écriture contre I'oubli
en temps ¿e
un ailleurs ¿" tu ,ãJr,", en temps vécu comme cette fuite
vrai que L'acuité extrême avec laquelle patrick Modiano représente
narration. Þìn temps d'c"ut"e, auisi' s'il est
superpose, à celle une humanité détachée des structures élémentaires et des
du sens ioue à une troisième stase' qui se
de l'anecdote et à d" récit' De livre en livre' l'énigme rle valeurs fétiches de la civilisation moderne ne saurait toute-
""ii" nocturne via La fois se comprendre comme une marque de nihilisme, Si les
,"i * áepface, d'Un Cirque Plss2à Accident avec Ie mystère récits mettent en scène, sous l,apparérr"e d,une enquête qui
Petite Bijou,roman du"'iuqttul elle se confond
ãtr; ""; áe village, Fosso'mbronne' où la fosse - ce que l'on n'aboutit pas, la précarité de toute démarche de connäissance,
enfouit - ie disputé à I'ombre - ce qui reste
ténébreux - et que ils en manifestent pourtant, par leur incessante pratique, la
Dans -Lo Petite Bijou' nécessité et Ie caractère indispensable, s'ils se présåntent
lbn retrouve dãns Accident nocturne' du surnom
roman, l'un des personnages, secondaires'
hérite comme des condensés de vanités, déclina't quelques motifs
Patoche' qui identiques - le vide, le mal-être, la fuite, la perte _, il, irrt"r_
attribué à I'écrivain lui-mðme dans son enfance'
rogent aussi la capacité propre à la littérature de résister à
apparaît également dans 'Remis e de peine'
De Ia sorte l'écrivain met à mal I'idée d'une
vérité intérieure l'oubli et circonscrivent les possibilités d'une éthique mini-
ou de remémota- male de la mémoire. Toute l'æuvre s'inscrit dans cette ambi-
enfouie en l'être, qu'un acte de conscience
tion pourrait extrJire et formuler clairement' Il discrédite la guité première, dont témoigne Ia figure même de l'écrivain.
comme S'il ctltive l'image d'un être d'incertltude, hanté par un passé
;;å;;;;n quelque secret intime qui constituerait qu'une.exploration familial et altéré par une anxiété propre suscitant en lui un
un cod.e ontologique de Ia p"'so"tã et
dernière parvien- sentiment certain de désubjectivation, l'écrivain se ressaisit
mentale de la vie et det origines de cette
parfaite coÏn- au travers de cette mise en scène elle-même. Il manipule les
drait à déduire, instituant lei conditions d'une
cidence avec soi-même' C'est le culte de
la transparence et données de son histoire familiale et s'invente, à défaüt d,u'e
grecqu:.- l" personnalité assurée, une identité mythique. À Ia figure d,un
l'iilusion propre eio"t "" pan- d-e la philosophie
- Lt de la pensée chrétienne -Difs ef
I'exa- personnage-narrate,r égaré dans les dédales de la ville, de
< connais-toi toi-mêm"
' Dans l'histoire et de sa propre existence répond celle, toute litté-
men de conscience - qui se trouveñt contestées'
que (i)'herméneutique de soi raire, de l'écrivain qui construit, d,un récit à l,autre, une
écrits,Michel Foucauli affirme <
et
se foncle sur l'idée qu'il y a en nous
quelque chose de caché' labyrinthique dont lui seul maîtrise Ie plan et qui s'ins-
Tüvr.e
de nous-même' une titue lui-même comme un intercesseur du purrO. Ainå convo_
que nous vivons tou;ouis dansl'illusion
À bien des que-t-il dans Do¡a Bruder la figure, paternélle, de Victor Hugo
illusion q.,i -"rql"*i" tã"t"t> (Seuil' 19BB' p' 810)'
'108 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
109

et celle, fraternelle, de Robert Desnos' qui


font le lien entre Ìa ou Dimanches d'août,le narrateur cre réc_its
personnels comme
;yth;l;il familiale - un père et un frère de substitution - Un Pedigree ou paris Tendresse. Ce dernier
;;;;;;;""""
comme médium' roman- multitude de noms, de coordonnées, de détails,
;i'l;;fh"logie littéraire - I'artiste s'appuyant sut ses
àe f"biiil,"",
mais proliférants, comme si, frappé A,""" ì-pårri_
tique oi surrãaliste. Ouvert à I'irrationnel' .T]l:1.:
bilité à l'oubli, il écrivait,sous ra poussée d'une excroisìance
facultéssensibles,éprouvantl,intuitionderéalitésparallèles,
mémoire vive de souvenirs, d'un débordement úental, d,une
l'écrivain s'affirme rion ,u"' trouble comme une a¿fu.f-orri.ä,uf_
fects, Ainsi le narraterr de
du temps. euarúier perdu énumère-Liläìrr¿-
renls éléments.du jardin des TuirerieÅ du roo
<buste de Waldeck-Rousseau > (ettortier perdtt, "nt"n""'¡ur[u'uu
Érnrs sEcoNDS DE LA MÉMolRE O Éaliirn,
Gallimard 1984, collection Folio réea, p. 34), celui
d,Accident
Læuvre de Patrick Modiano est marquée pal un
syndrome nocturne la démarche d,un passant qi,il ároir"it
ãe disparition. Ce qui n'est plus saisit t: qli.."tt' t""J,?"t années plus tôt chaque soir vers dix-h'it tt""t*r,'pìiî.,r, ;i;;i;.,.,
qui ils sont' rt-Ieur
furentìnterpellent cãux qui se demandent voisin de restaurant malgache nomméKatz_Kreutzer,
certaine Évelyne rencontrée dans un train de nuit, öri,
d'un passé. qui .,rr"
contact, la conscience se saisit sous I'emprise etc. Dans
Lécri-
r""Jf" íne part déterminante de sa propre histoire' les récits personners, les mentions précipitées
portântì*'.,r,
i;; tt conioit à la fois comme un écho etelle une alternative nom d'individu ou de rue, une trace de dãcument
äîpitã"á*¿ie de I'oubli, Dans les romans' multiplie les "".," "Li_t,
un lieu ou une atmosphère constituent autant d" b;té;;:;;."_
personnages et esquisse
;;åt propres qui ne génèrent pas de n'être.plus
diques du récit, qui ne les commente pas ou peu:
leur signifi_
ããr ftãi1i, dotås de tiaits sommaires' qui semblent cation même, leur usage possible après énonciatio'.r,"""Ëàurrt
de stelles (Rue des boutiques
[Jiti t" posthume, à la manière de témoignage litté-
pas la simple référence, comme si ìmportait
tu.,. ,"rrlu ã.rir_
obscures, Memory Lane)' Dans les textes tance, Patrick Modiano se fait l'écrivain des survies f
(r)appeile ceux qui furent, évoque des destinées.en cules: éléments dissociés d'un environnement qui
Åirr*
tuit", reur donne
"ffá prlncrpe
évitant tout effét de reconstitution bio-romanesque - sens,.signes_ désagencés de tout support,
détailå ur, _"1 ãl"rr_
dans des
appliqué dans Dora Btuder'tel qu'on le trouve
aussi semble que leur nature anodine a ì'état de t"r""pa, äig
textes annexes comme Paris Tendresse' Dans
I'un et I'autre matiques' vanités et natures mortes "o"åscandent
en cera le
aussi des temps
cas, cette écriture de la consignation connaît des récits: elles évoqrrent les lieux personnels "o.,.,
d,une ,ri" párre"
avec fébrilité
d'emballement, comme si ellã entendait saisir autant qu'elles constituent un caclre archétypal
a" t" -¿'-ã"i."
parfois en train de et de l'écriture, celle-ci mettant en scène, ãvec
.,." Àuti¿te parfois en train de s'effacer'
retomber l,épisode clu
,rr.,rgit à la manière d'une réminiscence' avant de souvenir, l'acte même de la remémoration, le rasseinblement
dans l'oubli. Cette écriture mimétique d'un
fonctionnement des vestiges, la pulsion ruiniforme: < l'ne
fois traversãi" p"",
param-
ãoÁp"ttlf de Ia mémoite, I'amnésie' I'hypermnésie' la de.s Arts, je passais sous la voûte du
Louvre, un domaine'qui,
nésiå en définissent les principaux états de
choc' lui aussi, m'était familier depuis longtemps. Sous cette
voûte
L'amnésie constitue^ le centre thématique et énoncia- une odeur de cave, d,urine ãt de bols po'rri
venait du côté
boutiqttes obscures' Accident gauche du passage, où nous n'osions jamais
tif de deux romans - Rue des nous aventurer.
nocturne- et la -u,g" attractive de nombreux autres - Villa Le jour tombait d'une vitre sale et tendue
cle toiles d;"ig"¿",
de mémoire' et il laissait dans ,ne demi-pénombre
t:riste, Din'tanches d'iottt' À I'opposé de ce défaut des tas d" gr;";ì"r, d"
poutres, et de vieux instruments de jarcrinage.
iftlpåt,t"¿sie relève d'un dérèglement par excès' Elle.caracté- Näus étilns
ViIIa triste sûrs que des rats se cachaient là, et,.o.,,
rise les personnages narrateurc d" to-utts comme p.urrit-ons le pas pour
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
110
111

Aux quatre ainsi à fossiliser l'être depuis un vécu dérisoire


déboucher à l'air libre, dans la cour du Louvre' au regard cres
entre les pavés- disf oints' illusions de prestige et dôs fantasmes d" gru;à;;;;;?it';""._
coins de cette cottt, l'herbe poussait
Là aussi étaient entassés dés gravats' des pierres.de taille et rit, selon un phénomène dont Memory Lane ot De
O Editions clu garçons (chapitres rr et vl) offrent des exemples
si br'ves
ã", tlgus de fer rouiliées ' (È/eurs de ruine' et dont l" o¿.*,
p' 89)' Véritables qui ne vit que par les projets mirifiques'qu,ii O"oq"ã
S"r.it îgsr, collection Points Roman 1995' irui,
par leur accu- ne gagne sa vie que par des trafics peu glorieux,
osselets de la mémoire, Ies détails constituent constitue le
vécu par personnage type.
mulation une ossature du temps sensible' ce temps
par l-e corps' asso- Parge qu'ils constituent la texture d'un environ'ement
automatisme, sans conscience mais filtré
et facilement réveillé par-delà ies qu.otidien-auquel nul ne prête attention, les aOt"if,
a ¿", perceptions vives Ji^for"r.t
"iã I'urine -' couleurs et
les à l'individu, en retour du temps, comme un jeu
ãnrr¿", (lås od,eurs et leur ténacité - d,i_p."'rrìor*
t"t:)'.., ambiantes mémorisées à son insu, et par là
I".., - Ia demi-pénombre -' les en outre- les
phobies
Ia part d In- -c-" ffiriär",
"Uràn"e
ces détails matériels entretiennent .{".p3" le plus intime,.parce qu,incJnscient, de lu pul;;.r*_
contradic- lité. Impulsés_du par.sé ,rers lé présent, ils se charä"",ä;fr"
certitude cl'un suiet pris dans les déterminations
meurs nouvelles. Ainsi re narrateur d'Accident"no"turn"
ioir"s de Ia mémoir"'' pourquoi avoir conservé les souvenirs maieurs évoque-t-il une suite d'événements insorites qui
de choses anod.ines uiår, -ãme que les événements se sont ä¿1o.,-
pour d'autres ? Le person- lés dans sa jeunesse, parmi lesquels un accident
s'estompent pour cettains, s'altèrent de circula-
double mystification: la tion dont il fut la victime, ainsì que sa rencontre avec
;;;;;ti te su¡et involontaire d'une au moment inquiétante jeune fe11e, puis sa
une
ãii" un perspective faliacieuse des événements dans le de- jeunes gens disciples
-d'un þroximité uru. .rrr g-ipu
de ieur déroulement, l"ur mise en relief hasardeuse brillant intellectuel. Alors
souvent même que sa mémoire achoppe contre certaines
temps de Ia remémoration' D'où I'état somnambulique circonstan_
les circonstances ces importantes - <J,essaie de me souvenir
prêté aux personnages quand ilstraversent ce que je pouvais
äun, put.rånir à en"comþrendre les enjeux et à en faire ieur bien faire, la nuit de l,accident, si tard, pla"u'¿"iËVr"r"i
l'état cie tâtonnement souvent des> (ácc¡dent NocttLrne, @ Éditions Gallimard
;;;p; histoire. D'où, eircore, ils se retour-
zoizip.ìsl
-, des détails anodins ressurgissent, une phrase entendu'e par
attribué aux narrateurs quand, devenus matutes,
par un récit orphi- hasard dans une conve.rsatioir à laquelle if p"rìì"þ;;": _
nent vers leur passé mals n'en saisissent'
des boutiques obscures)' < Vous ra'avez pas oubrié ""
["ã, q"" la dåco*position -(Rue'
les rechargås ?, dontìl
- ""*L qlËil"
ioi'"upitufe des roåans de Modiano: l'être est à lui-même demeurerait un mystère, parmi tãnt d,autres mots et tant cle
son meilleur traÎtre. Les éléments mineurs
qui assaillent sa visages surpris un instant [.,.] avant de s,éteindre
te;ouì ae
d'un temps perdu au votre mort, sans avoir livré leur secret > (Ibid, p,
-é-oir" forment les résidus cristallisés térêt de la phrase tient à ce qu,elle préserve
+t_ql). L,in_
momentmêmeorìilsevivait,clontl'inanitéserévèlerétros- iniacte sa dyna_
(Villa triste' mique affective première, le sentimãnt stimulant
pectivement et contamine à son tour Ie présent a,et.aíg;tO
comme déjà ressenti.par c_elui qui l'entend sans en connaître
Dimanches d'aottt). C'est donc un temps ressaisi le contãxte
mentionnée et pour-lequel elle fonctionne comme une
p"ra., que les ,¿áltsexposent' La description' characru, qrál-f".,
clans Fleurs de ruine en secret désigne au juste le mot < recharge >,
;;;éd"';-ent, de Ia coirr du Louvre de I'enfance ou cigarettes,
celui des armes
établit le paysage emblématique: les Lieux mêmes {e_s aux oreilles d,un personnage quelque peu
état
á ,.t cad're glorieux - Le Louvre - mais en
accablé (chargé) et en quête_ d'énergieiouveile
r""å r"Jrr".åò r
par le Al'ém-otion première.proche de lã surprise physiqu",
d'abandon et déià travaillé] dans les années cinquante'
"otr"rpond"r.t q"iárt
tend celle d'une parole saisie au vol, ,u ,.,p"rpose
ù* fro""rr.t, áu la décomposition mortifère' Lécriture un sentiment
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
112 '113

dont son incom- autre vie une amie du photographe pour lequel
second voisin de la douleur métaphysique' il travaille.
événernents' Ia mémoire enregis- simples lieux communs? L'éãrivìin äntretient
ptãf.""ti"" est la cause. Des et à
a
le doute, comme s'ir résistait à la tentation d'un "nuq.,Jroi,
ir" priorité ce qui échappe à leur sens' en situation
la merveileux
"n
tãrme. il n'est dond de souvánirs que pathétiques' comme de pacotille autant qu'au simplisme d,un rationalisme
Des éléments parasi- À lecture des faits åutobiographiques reratés dans borné.
;h.;t" citée le suggère par son "mphut"'
ténant le sujet à l'écart de la gree er rapportés à plusieurs épisodes romanesques
un pedi-
i", t'o"".,pent, faúãnt diversion,
pour des récits
situation äu faisant signe vers quelque réalité parallèie' antérieurs, l'écriture littéraire semble toutefois
trouver ãons
en les
un écrivain q.ti conreive des surréãlistes la croyance clef fexpérience de la paramnésie sa plus parfaite
métaphore.
pir"""-¿"", ã., hasarcl obiectif mais ne possède plus la À des degrés de vaiiation distincts;"h;ö;;;;i
ä;ïi"';""
de leur décrYPtage. séquence de vie réelle, la différant dans urr*
p"rrår.rr.tite
Cette écrit.tr", infr"ordinaire, privilégie' dans I'exercice proche et une histoire autre. On en donnera
i*__
d'autoconnaissance,Iacollectededétailsmatérielsaudétri- ple l'épisode de I'internat en Haute-savoie, lors "å__u
de l,adoles-
impor-
ment de Ia reconstitution des événements supposés cence, dont une première version romanesque
est présentée
de
tants, Comme pour Georges Perec, I'écriture infraordinaire dans la deuxième nouvelle d.es Inconnues et une
deuxièrne
de la
la mémoire recoupe i'apiroche des états infraliminaires version autobiographique dans Un pedigree. C,urt
.r,, _O_u
t-a muttipiiãation de détails anodins renvoie au traumatisme qui se met en scène urru" d", traits
"onr"lut"". les récits variablÀ, _
fonctionnement d'unå mémoire obsessionnelle dont un pers_onnage de jeune fille ou de jeune homme _
symbo- mais un
se font l'écho, sans toutefois lui offrir de résolution décor identique (la région, I'atmosphóre, le lieu,
iiquá que des cadres d''ensemble comme I'occupation lu io.,,
",ttt. phéno-
présentés comme i'humains), dãs détails semblables "tiÁìì, _ un
et l'enfance, trop généraux pour rendre compte des transistor pour seule distraction, un(e) camarade
qu'il pourrait y renvoyé(e) _,
mènes narrés. Lteuvre défaii par là même ce des^arrêts sur images similaires _ les.toilettes
sans dont l";;;;i",
avoir de systématique en elie' Elle expose des obsessions ne ferment pas comme privation de toute intimité.
La fin du
t".,, urrigíer d'objåt exclusif' Léthique de l'écrivain se fonde récit de fiction - Lrn meurtre se rit alors rétrospectiveme't
sur cettJconscience des Iimites de la mémoire'
douloureuse -
comme la réécriture hyperbolique d,une scène
pár"* qu'intransitive, Ecrire revient à coliecter des scories d" ,u profr"
adolescence par l,écrivàin. peuì_être aurait_il,
ã^ns poïrroir les restaurer en quelque système
rev|val suscep- a l,imågeïu
tient Ia personnage inventé, liquidé par un acte radical
tible d'exprimer une vérité retìouvée du temps' Là-se sa jeuiesse
des détails et son avenir, s'il avait vécu I'expérience de
iJ"rii¿ de l,hypermnésie: la saturation l,internat
une voie sans issue, non comme un simple < "o__"t
på"t "iirriq.,"
iamais désigner que la décomposition
des ensembles' faux aOp"rf,
Quartier perdu ernploie cette dernière expression pou deri_
""
comme ie troP Plein la Perte'
Ia param- gner un début de vie à risques situation
Autre phénomAne de dérèglement de Ia mémoire: -
romanesque de plusieurs récits comme [Jne.
qui cons-titue l,axe
vie qui serait parallèIe' ou
nésie, ou conscience partiellã d'une braves garçons_, La paramnésie, mémoire
leunesse ou De sr
auiourd'hui' LhéroÏne de parallèle des événe-
aurait été antérieure, à celle menée ments vécus, double I'existence biographique
L-o- iit¡t" Bijou aff-irme vivre pour
la seconde fois un épisode comme la litt¿-
récit des lnconnues avoir rature, conscience seconde du mondì, le
il ;;; p"tsé, celle du cleuxième
fut élevée' un
prìncipe de réalité.
La mémoire en carton-pâte, les souvenirs en
àãtAg,te'a sa place, dans le pensionnat où elle technicolor,
la reproduction à l,ancienne ne sont donc
douËle totalôment désinhibé d'elle-même' le personnage- pas les objectifs
une d'un écrivain bien éloigné en cela de l,idée
narrateur cle Chien de ptintemps affirme avoir connu dans dä rortulgi", _"i,
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
114 115

qui écrit à rebours d'un scand'ale : i'oubli' phénomè""..q1i fami'e, nouvelles proches cre r'autofiction dont (J, pedigree
s'apparente pour lui à quelque seconde.mort' Lécriture
litté- constitue, dans sa cible biographiqr.re, t"-v"rr"rrt
,uir" f""i eir subvertir'le cours à partir du moment où elle De l'événement passé, les ùcits rendent """iåj"ó,
alors sensible le
manque, par une,structure fragmentaire
s,inclutdansleplocessuscontré,mettantenscèneàlafois et une t""àïl"u a
que l'effacement, l'épuisement c onstãtuìli
sa propre résistánce à I'oubli et ia dimension dérisoire au, phr";;;, iãï" iiipr i_
s'il hérite du sens de l'adversité opposé de
revêt, cation d'espaces blancs.entre des paragraphes
éclatés. Ils en
". "o*but
hautetraditionàlaloidutempsparlesécrivainsanciens, constituent aussi le comble, inventànt
une fiction substitutive
des événements, qui procède a.,r,
Modianoévincetoutemythologiesuperfétatoireenlamatière, _ìr" en jeu de la mémoire,
de ses partis pris ef ses altérations.
cettecroyanceauto-instituéeenl,immortaiitédeetpar celle du jeune couple suicidé le 2+ avril
Histoire a,rr, _ãrriru,
l,æuvre, tälle qu'elle se transmet d,Horace à Proust...
Lécri- 1e3i;;;';;;ä;"r_
à évoquer des IemenI parisien, qui ouvre FIeurs de rutne,ou
t.,r" ,,ãppose ä I'oubli quand elle s,attac.he de Dora, les raisois cle ses ilg;;; i;,
ra personnatité
¿v¿ne¡nånts ponctuels, référés à un passé situé dans le temps, circonstances exacres
cle son arrestation, de son .-piirorrrlement,
googtá;hiq"åment cadrés, premier-deqlé +.T" tentative rhéto- de sa déportation,
de sa mort en 1g43, dans Doia nr",aàr.
,iq.," ä'"*þression du passé par Ie détail' Mais Ia mémoire jouer les interférences cru temps
Histoire d,un comble:
et l,écriture fonctionnent sut un mode associatif : un
événe- contre les intermittences de la
même du contexte mémoire. Fleurs de ruine et òora Bruderétablisseni;ì;r;r.,
ment en appelle un autre indépendamment
correspondances entre
respectif'del,unetl'autre,cequilesvoueàdérivertous décennies suivantes, déplaçãnt _1,époque d,origl.ru arroluå"-ã,"f",
deux en solitaire loin des circonstances réeiles qui furent
les l,ob,ãirru.ratif de l,événement
lui-même vers les raison,s qii p".,rr"niiur
Ieursetcompr.omettouteentreprisedereconstitutionarchéo- conferer une valeur
logique. Il en résulte une tension' fréquemment observable ît {ii'q sens par-detà sa sãulà actuai,,¿.
X'i" pää'å" ,;,r,
et la
àä]f"r récits, entre l'exposition laconique des faitssitua- de l'événement, l,écr.ivail.,oppose les
fostulations de l,imagi_
i trame complexe qui les ãéveloppe, une entrée en
naire' établissant à titre d'hypothèse d'es
liens entre lui-mêrne
et l'événement ancien, fuçõ, extrêmã
tion précipitée et une suite d'expansions-s'enroulant autour de raccorder le fil du
temps par la trame d,un récit. Dans Fleu¡s
d,ellá d" iuçon sophistiquée (structure d_e Fleurs de ruine, de rttine,tu ,r*.o_
teur se demande si certains pe.rsonnages
, no,ìo Brrd"r, Chien de piintemps' [Jn Pedigree)' Lhésitation qu,il u p.,
i ;ntre récit d'investigaiion et récit d'autofiction participe dans son enfance, certains
-iri".r* däns lesquels ir"o.rrr"it."
a évorué
de cette tension' Il Ñest de passé qui ne soit avant tout
Ia lieux qu,il traversés
I :," :utluill a
tés trois décennies pr,s tôt par le
ne furent pas ceux fréquen_
I ,*titution des événements par une conscience obéissant à
Bruder, il établit des rapprochements
.""pr";.i;iau.ï""riå.,
i ;á"fropr" Iogique. Entre l,oócultation des souvenirs et leur père, arrêté à paris p"itu police f.ançuire
eirtre llora et son propre
I q"rrËll" piace alors pour principe d'exacti- en 1943 , ã.,p.rOr"a"
^ltår"iiorr, sinon'n celle d,une écriture lui, dans le fourgon, .,rr"
i ,"de respectueux dãs événements, ;-nr,r" iiffe'qui aurait pu être (une)
plus proche de l'évé- Dora.
I à;;, l" L.,,,etr se déplace' tantôt au
tlr.le
i ,rement vécu, de q.,i en lui s'est irrémédiablement effacé développer sous forme cl,un épisode romanesque,
"" _ textes
I ;i r." p".,t s'énoncei que comme perdu (Dora Btudet' de
Un ces réfléchissent en situation re phénomène
priation mentale des événements pas d,apprcl-
Pedigr;"\1, tantôt au plus près de sa présence seconde'
sa
I que cela pose'
sés
"iË;ä;;;r;iJ;""
remãmoration dans un tu-pr autrõ et une histoire diffé- euete responsab'ité incombe
le lraitement de la matière historique, à l'écrivain da's
I rente, de sa fiction rétrospéctive (ainsi Voyage de nocel' du domaine biographiq"*, á""iãiiä;"r, que celle_ci r.elève
Bruder' el Livret de
' oremière version 'o-u""é" de Dora o' de l,histoire
.116 Lire Patrick Modiano Territoires et trajets lT
un propre rétrospection et d,un doute
collective ? Certes Modiano inscrit son écriture dans critique par lesquels il en
éprouve les limites. L'écrivain désavoue
qui réponcl à une anxiété onto-
rapport structutant au temps pour cette raison le
togrq.,. - le sentiment d'uni vôIatilit¿ de la personnalité -.
et
:.?man Voyage de .noces au profit du texte Dora Brucler et, à
de son histoire l'intérieur de ce clernier, ra ientation présente
ã?iãif"gique - le sentiment d'un enlisement pa,ssages d'évoquer Dora autrement que
dans certains
familialedansunmaraisdecirconstancesquilarendentdiffi- comme la disparue,
celle dont on ne peut rien connaître
acceptable. Mais dans quelle mesure cette démarche q.,u le texte ne saurait
"ìi"r"""t
exploratoire dì passé ne constitue-t-elle pas une. forme
supé- présenter qu'en mrrtipriant des lignes"'tde
fuite. cu. qi"t-Lrt tu
de ruine, et à un moindre niveau pire des scandales ? se résigner à i'oubri ;;;"bri
rieïre d'occultation? Flettrs
entre le rus d'autant plus insupportabre qu'ir perd - ä;r"H;p"-
Chien de printemps ou Dora Bruder, cteusent I'écart les individus dans
compte rendu de la masse et les traits dô ãaractère inaivi¿uers
mutisme de l,événement initial, ramené au derrière le statut
les années trente pour commun de victim_e _ ou lui opposer une
presse d'un fait-divets survenu dans mémoire rétros_
pective^dans laquelle la fiction supplée
ie premier, au souvenit d'une rencontre entre le nartateut
et

.tïphotogtaphe clans les années soixante pour le deuxième' averees f ".,* "orr,ru;;;;.",
les Cette casuistique concerne en priorité un
à la petite annonce d'une recherche après- fug-ue. dans. '- texte comme Dcr¡a
annéãs quarante pour Ie troisième, et la prolixité,des
événe- B_ruder qui aborde frontaremen-t ru d,une victime de Ia
par la seule situation déportation. Mais eile porte a,ssi sur "u,
ments suconds, dtrdre intime, appelés re passé ru-iliul
narrative, qui parasitent le putt-é ¡tttqu'à Ie recouvrir
(cette jeunes années, ouverteJ depuis les "ir*,
premiers récits à toutes les
possibles d'un titre recompositions romanesques-au poìnt que,
prolifération renvoie même à l'tttt des sens dans Un pecÌigree,
l'écrivain éprouve le besoin d'étatlir à ru;r;i;;
äo*-" Fleurs de rttine). Dans les romans' le personnage-nar-
vérité strictement factueile. Il transmet certaines
;;;ii*"r" a"
rateur multiplie les questions et les hypothèses' les déductions informations
que la-recher- élémentaires sur sa propre vie et permet ainsi
et les constructions mentales, au fur et à mesure d,identifier les
passé le confronte à des zones d'ombre différents degrés de transmutation fictionnele
che menée sur son qui t".,.-i.,."rrt
(iiù tr¡tt", Rue rlei boutiques d'aottt)' imposés dans les ouvrages antérieurs. Mais
obscures, Dimanches
ia grille moins que ce récit, tout à la fois document
il il"-;i;i",
ì1'"i do,.ne des coups de pied dans la voiture et dans biog.uphiqrå
je de pri'se sur rien' paratexle critique, poursuit la démarche litt¿åirI-àå"i "t
aân, t'"tpoir qu'elle-cédeiait, mais n'avais expose les mécanismes. Le crédit et re ir
Tout se iefermait devant moi, je ne -trouvais pas la moinclre doute q",it t"oaïiàì.u
porter sur l'æuvre s'appriquent aussi à rui
fissure [...]> (Dima nches d'aoitt, O Éditions Gallimard 1986' et cela d'autant
fortement qu'il contrãòte ãavantage le lien-#J;;;üí" oi..,,
comme
p. 114). Tout est bloqué comme la.grille' rien n'avance -,
soi-même, la relation de fiabilité entre
i'automobile: Ie commentaire, qui s'applique aux événements re texte et son objet
narrative de vérité' Il n'est en rittérature cle posiìi-,
passés évoqués, agit aussi en tetour sur Ia situation
ne soit elle-même une production littéraire.
i¿il","i"rr"" i",
offrir de prise pour ìes
ã.rì I"t énoïc" uliérier,rement sans
romans nit son éthique, urru" .rirn humilité non dénué.
L,écrivain défi-
c'omprendre, Autant qu'une lutte contre I'oubli' ces á¿qì,i;;;;"
refoulement qui dans la conscience des effets cle flou-lue
pãtiã", alors sur l"* p.o"""us de.déni et de
part de jeu que cela entraîne. L'ambitiån
cela suppose et la
de
conditionnent le rapþort au passé et sur les phénomènes de t'hi"åffiapne
mystification qui ã""o*págnent Ia connaissance retarclée' le passé fämilial et à travers 1.,1, t,"rprüð.,,.
"n :f,-,":rrliauer
et d'urre époque _ semble en effer irr¿irro"'ià¡f_
patrick Modiano alterne d'uni¿cit à l'autre, d'une séquence à ll]1r*" ä"
ranrasme cte démirrrgie ressusciter
l'autre d'un même récit, les temps d'une illusion sympathiqtte -
tion cl'un réalisme Jbjectif ,"rr*Àùtã,
res morts, Bntre ra tenta-
sa
par lesquels le personnage-narrateur entre en phase avec - du, traces _ et celle
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
118 119

Patrick archivant ses traces..I,e diagramme qui.en


d.'un réalisme hallucinatoire - prêter voix aux morts -' résulte et s,applique
la figure du scribe, tantôt à celle à la majorité des récits ,"."i-t donc leiuivant:
Modiano s'identifie tantôt à un t""t" ií"-i".
( Le monde auquel ap-partenaient à dimension narrative inclut un texte
ãá l'é"rirrain psychopompe. seconcl à dimension
,¿rr"ittåit dÅ ,o.,rrnttirs d"enfance: c'était le monde cle citatjonnelle, le premier renvoyant à
;;tg""t par laquelle un narrateur tente de remonter
la démarche volontaire
lnoipAr" t...1. ie les tire une dernière fois du néant avant qu'ils du présent vers
du le passé, le second aux traces écrites
y-rutå.,.r.urrf á¿flnlti.rument> (Fleurs de rttine' @ Éditions àr_, parré insérées à l,état
'Seuil
tggr, collection Points Roman 1995, p' 134)' brut dans la narratio'. Il s,agit donc
d,un _"d;;;;;;;;r""_
tation lomanesque qui se ,ru"rt _i_étique
non pu, àã, ful,,
eux-mêmes mais cles traces écrites '
L'ÉCRIVAIN SCRIBE o., o.àlu, de cå, f"ü;.
Un ensemble d,énoncés minuscules scandent
< (L)a chose perdue ne se retrouvera iamais > (La Petite Bijou' l'évocation des années révolues. Dans en ce sens
o'Éditio,r, ilallimard 2001, p. 5B)' Le passé résiste à tout circulent des adresses _ < g rue Froidevaux
res différents récits
mode cle représentation qui entend lui donner forme:
il ne > (Cåre n de prin_
tetnps, o Éditions d, Se,il rs93,-"orru";i""'";i;,'rï#,""
dans la tension
feut être approché que dõpuis son absence' 1995, p. 16) -, des numéros cle téléphon _
que l'écritrire instaure entie un systèmede fixation I'objet - 95-ZB. Cltez Carrère, Balzar: bg_60.
ê << Le Doge, Opéra
ui.é précision à rebours du temps - et un mclde de flot- Les Trois Valses, Vernet
1s-27 > (Les Boureva.rds cre ceintur,
"rr""
_
tement lã clistance creusée à nême l'énonciation entre hier
'1972, collection Folio o ÉJitio"î õãrrrä".¿
est celui qui recense toutes 1978, p. 137_1'38) _, des
et aujourd'hui' Lécrivain-scribe A"
les tiaces permettant cl'identifier des états de vie passés
par visites ou conférences touristiques (euarfr perdtl,des
er """"""å,
docu_
ments d'archives t!1s^ et mgs.,tur ur.ìi;.,irr",
le biais d',ine fiction ou clu récit d'une expérience vécue' Les
l'état français en 1g42 et 1943 dans Dora
p.orrríi*;"ù".
atmos-
traces désignent des situations, des personnages' des tres d'état civil (actes_d,un registre
Bruder), des regis_
objets clisparu.s' Elles constituent les cle mariage dans l,ouver_
pnOr"r, des"décors, des Livret de fantille), des ãommentaires
qu'elles ne prétendent pas i:tu ¿Ë prrãt"g."fìri",
iif""t manifestes d'une disparition (le père9"
dans res Bourevctrcrs de ceinìure,
ra famire Brucrer),
"o"*bl"rnicélébrermaisdont,simplement'ellesattestent' des extraits de correspondance (lettres
I-écrivainlesinsèredanslerécitàl,étatdedocument,écono. échurrge"";rru" i";;r_
da1s. Un Pedigree), des citation,
misant au maximum les dispositifs descriptifs ou commenta- traité par un journal au mois a,orrrit
a" lo.r.rr"ux (un fait clivers
tifs. La page littéraire prend pour modèie celle du bloc-notes' t'ttine), des noms cle boutiq,es
1933 dans Fleurs rle
s"lor. .,it irotocole qn;.rr,. épisode de Quartier perdu met en - (raboratoire cre rArmanite,
la dictée Le garage des Voûtes, peyremorte,
scène. Un ¡e.rne homme, futur écrivain, écrit sous de t'uine, o Éditions du"seuil
Co.u.do Casadei..-;(n";r"
d'un homme, hanté par son passé, les événements que celui-ci rsór, ;"ir""tion poi'ts Roman
1995, p. 29, seize no:ns_ au total) _,
est I'un des seuls à Connaître encore et qui disparaîtront
avec cles panneaux _ < L,irnmeu_
ble portera le nom cle la villa,
lui: < Et il m'avait clicté une foule de détails : des noms rle taire est la sor;iété S.E.F.LC, à
<< Chat"í., d,azur. > Le proprié_
g;;r, aut dates, des noms de rue que je notais sur les feuiìles (Dimanches cl'août, O Éditions
Nice, ,r,u for.¿rti_de_l,Escarène >
ä" ¡io" jaune > (Quattier perdu, o Éditions Gallimard tga4' Certains de ces éléments
Cãiflr"".a 1986, p. z0).
collection Folio 1988, p. fze)' Ce passage revêt une dimension mention' d'autres de ristes. pruriåurs"ppurnirrunt sous forme de
spéculaire: il renvoie å l,art de Mådiano I.,i--ê-". A défa.t
de
constituent des repro-
récit exhaus- drrctions à l'état brut, quelques_unes
porlvoir représenter le passé dans le cadre d'un participent d'une cloubie cles inventions. Tous
tif, I'oblu"tif consiste à le prendre en charge verbalement en "*ig",r"", prér".rr". 1", ;;.;;;,
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
120
121

cornposites du passé et stimuler la mémoire par


un jeu de biographiques, fictionnels ou autofictionnels
-,._._
r"fpottt matériels' Comme ces affiches qui se superposent une mémoire querque peu monstrueuse.
A"t;;;rïi ,iiår;::
r"tiut murs et dont les lambeaux se découvrent' un texte
la prose
geté: r'effet réversibre des traces dans
certa,ins récits comme
Iittéraire - le récit - enchâsse un texte ordinaire - Rtte des boutiques obscutes. Elles ne
participent pas cl,.ne
Modiano pratique de Ia sorte dynamique descriptive, fût-elle minimale,
ães référents collectifs. Patrick mais en tiennent
d'une époque mais lieu. Directemenr prélevées dans un
un vrai faux réalisme: il évoque Ie langage d;;;i*r'lTuo"
son but n'est pas tant cle reconstituer des scènes vivantes que sées, elles so't creditées d,une "hu-f
du passé. Le rieure à toute autre forme d,énoncé. "lr".gu_ruprésentative ,irpO_
de conserv", d", séries de traces évocatoires R"¿duisantle;;;;ï0",
l'archiviste séries d'i'dicaterrrs, elles te'clent à le
modèIe de I'écrivain se rapproche alors de celui
de
textes
désinc".;".:ì;;ålr,u
ã"q""f il s'identifie de façon partielle dans certains évoquée est moins.vivante que fa'tomatique,
tive que cryptée. Elle se .u-èrru à une config;;;ii;; rù"iir""-
moins
d'autres (Doro Bruder)' Les
flíirt de famille), insistante dãns matériels qui, s'ils permettent de reconnaître ffi;rg"",
àt¿,,'",rt, insérés dans les récits ne sont pas seulement.repré- les époqîes,
à titre de res désinvestissent ãe toute significaiio;
sentatifs d'une époque tnais issus de cette époque' ¿;ï.1.;;.
documents, et cette interpolation prend à elle seule valeur personnage-narrateur de viila /r.rsfe observe-t-ir iirL ,"
authentifier la un certain
probatoire. L'insertion du document suffit à nombre d'affiches cotées sur une palissade.
< Affiches du
äituation: clans les textes de fiction' elle génère un effet cle cinéma le sple'did. Affiches annonçant
ra fête fãì"ìrri"r"
réel;danslesrécitsdesoioulesenquêtes'ellecautionnei'effet et la venue du cirque pinder. Tête à moitié
déchirée de Luis
de mémoire. Mariano. > (Vilta lriste, o Éditions Gallimard
tels 1ét;,;;11""
Mais loin d'assurel l'authenticité du passé évoqué' de tion Folio 1977, p.136). Elles se mélangent avec
cles inscrip_
tions : <vieilles inscriptions à peine ùsibles,
insertsentretiennentaussil'effetdefiction'voirelebascu-
le lit et sortit
ri¡J."r-uä.i
Iement cLans l'étrange. < Elle se laissa tomber sur Y".,ir^::. Ridgway.co l.rome.-.. Aigérie f.",rçaisu.,.1"à*ïãr"¿
de la poche de son imperméable le papier où il avait griffonné: d'une flèche avec cles initiales. >"(Villa triite,
Ibid, p. rsä). fe
0015 > (Une reste du paragraphe énumère un geste (retirer
Georses
a,
Bellune, zr rue de Berri, 3i' étage' Élysées
1981, collection Folio 1985' sensation (la chareur), deux érémãnts de
d¿co.""á'iuri"l,'r,rru
¡eunãsse, O Éditions Galiimard iiã-päãäiì".,
p.îòj. r,'á¿resse fait ici fonction de lien romanesque entre la g":Lg"), une plaque avec un nom (< /acquet r) ei un;;";;",
à venir - utl
ãéq.,án"n précédente - une rencontre - et celle
(<< Pièces détachées
pour véhic.,ler'u-éri"ains >). si r,écrivain
rendez-vous - tout en participant à l'évocation fragmentaire consigne avec minutie différents éléments
quar-
mineurs évoquant
d'une réalité géographique - Paris - et sociale - beaux en deçà de toute description constituée
i" ei"iä" ä., ää;.,,
tiers - elle-même aåt¿e - I'époque propre à ce type-d'indica- des a'nées soixanre, ir iend aussi éviàente
par
la ae"o-fàJiio'
tit toteptronique. En se muliipliant, les traces semblentécrit du sens de I'Histoire. Les événements
s'effacent aux murs de
ailleurs obéir à une dynamiqìe compulsive: celui,qui s'ef- la cité comme aux pages du livre q.,i,
montrant cet effä_
,"irit e l'arraché ct" ,u mémoire des éféments en train de détails
cem.ept, tente pourtant de le contier. "r,
Tous les événements
fu""., t"ntunt par là même de réguler Ie trop plein des semblent se confonclre dans une
même absence d;;;.rp;"
jusqu'aux limitei. de l'hallucination (lire à cet tìve. géopolitique: présence de
q"i f" satureni dans
zones américaines après la
Libération et création de l'otan,
ág"rd l'évocatión du Paris de l'immédiat avant-guerre de ra guerre froide et
p"aris TendL.esse). D'un livre à I'autre, un récit seconcl, toujours primauté d'parti comm.niste, "oniuì,u
guerre dAlgérïe
iJãt tlq,-,", double cle fait le récit premier' toujours diflérent' lÍ:':.""i" et demie ptus tard, t";;q;; t" "tòÀs.î""
explore cette
de sens j ñ ;i;r,
partie
celui cl'un personnage-narrateur multipliant les exercices "arrateur
de son passé, tout cela n'offre guère
Territoires et trajets
Lire Patrick Modiano 123
122

(Pinder) ou la représenta- annuaire personnel, sinon un répertoire intime, par lesquels


du moins, qu'un numéro de cirque l'écrivain transcrit sa mémoire essentielle, ,u-nrìé" a .,n
granrie histoire' celle dans
tion d'une opérette tft'iätl"""l Sila de signes, et l'æuvre invente son propre système cle cryptage.
;eu
[îîäñ;ã"" i" ¿Ë"t;ã";peuglð.s' est vouée à une Iàdécom- où se cette æuvre marque toutefois une évorution qui
de la petite'
position u.,rrt rupttlï,-q"u" å't-il ulort l'histoire le rapport à l'histoire et la fig,re même de |autåur."å,r""in"
est une nébuleuse' Lorsque
ìoue Ia vie intime r La mémoire I'év_ocation du passé rejoint frontalement r'histoire collective,
vanité: de la première' L'écriture
iï-àìe"t", l'"*i't"""u une de lá mettre au net; de el Dora Bruder marque en cela un repère, l'écrivain privilé-
simule la confusio;;;"i^;; ientant gie le récit d'investigation au détriment de la formé roma-
en tentant d'en capter Ia
la deuxième, l'évanouissement tout nesque, l'interpolation de documents brièvement commentés
les illusions douces-amères
force irradiante; ¿" fä^it"itième' plutôt que le développement d'une rêverie intimiste depuis
tout en leur opposant l'effet de trace' des fac-similés de réalités brutes, Ainsi se manifeste un sãuci
à titre de lambeaux'
Certaines choses demeurent pourtant déontologique qui démarque l'æuvre du travestissement carna-
pans des consciences :
sur les murs des "ill;t et dans les Entre passé et prés'ent valesque propre aux trois premiers tomans. Cette évolution
livres"'
elles traverr*rrt rttgiiit'ãment les
mais trop opaques pour ql ap- participe d'une prise de conscience des risques suscités par
ii est ainsi des intärférences' quand les personnages toute réécriture de ì'histoire, fût-elle accomplie par antiphrãse
p"täìt*"a des lignes de continuité jeunesse' Pas de couture et dictée par la nécessité d'entretenir le sãntiment de l'hor-
cherchent a ," '"p'esenter leur d'unité reur face à des événements insoutenables. Mais plus le temps
,hé,;;i;;; mui, ¿", ruptures rypographiques,.pas ootteut d'une tempo- passe, pl's la réalité de l'événement s'estomp"
descriptive mais un texie à inteistices l"r derniers
d'une témoins disparaissent: aux risques de I'oubli "i
ralité disiointe plñ¡q;; à'ttrr".chronålogie-linéaire'fiéché: l'adrcsse' lc
se conjuguent
ceux de la faÌsification, voire de la négation, cres événãñents.
signilication brisée ff tìuo' que d'un,sens Entre La Place de I'étoile er Dora Bruder,les phénomènes
d.e presse tr.arrchent,pìus
numéro de téléphä#"i; "åopu'"
moins qu'ils n'opposent une du révisionnisme e.t clu négationnisme se sontiéveloppés:
il1i;;; ìã.to.a""t, renseignent éléments en suspen- I'invention d'une fiction délibérément provocatrice pour
fin de non-recevoir' IIs constituent des d'un effacement en acte' parler de la colÌaboration et du génocide þaraît aujourd h'i,
sion du temps, t"' Àu'qtt"s mêmes
aussi des indices d'oubli pour cette raison, difficilement envisageable. La figure même
Signes de la mémoire, ilå deviennent vie
en renvoya"t à d'activités' des ambiances' une cle I'auteur en prise avec I'histoire s'en tro've modifiée: le
";;hamp-iu¡'"tt"":
i"ti-es dont plus rien ne teste' trublion cynique a cédé la place à l,écrivain psychopompe.
culturelle, des événem""t'
Leur prése,t." '"äãî" l'écrivain en joue alors
comme des résidus magnétiques' qui polarisent le mystère' L,ÉcRIVAIN PSYCHOPOMPE
jãrierË", riirera.leme,it. à qu"rr rypes d'evé-
r,[t-rrrnis ce qrL.irs pour Entrant en communication avec Ìes morts, le narrateur s'idelr-
nements ãemeurent-ils vraiment associés tifie à eux, leur prête un corps cle signes, les réanime au sens
"n, 'ig""' de
les personnages-narrateurs qui essaient inqr'riétants' ils
les compren-
littéral du terme: il leur attribire voix et présence, La fin de Dora
dre après ä;;;;;+{"i d'éléments Bt'uder se résorbe en Lrne interpolatiordes lettres de victimes
""*p? la ronde cles vivants' rtn monde
circonscrivent, en filigrane de de la déportation ou de circuliires administratives
fra'çaises
cle I'univers' Doublure roma-
de morts, .,t" aottt'i"ie fantôme réglementant le stat't des juifs pendant I'occupation. LÃ voix
en surdétermine la
nesque to..t u.t'Jiùlãtt' tu"t I'écrivain forment au gré présente clu Iocuteur s'efface devant les voix inãividuelles
des
fonction: numéros de téléphone-et adresses victimes et celles, anonymes, mécaniques, de leurs bourreaux:
cles livres q.,i tes dissémùent
de page en page comme un
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
124 125

plusieurs personnages
1942 resurgit en L996. Dans les fictions'
puis incarnés par
féminins sont évoqJs en tant que d'isparus'
;î;Ë;";;;ã d,'iil"io" romanesqu" uo te"ottd degré - ils
n'existent qu'au ttavers des souvenirs
lointains qu'en consetve
s'achève Ie temps immaté-
le narrateur - et se Ai*ip""t quald
triste' Denise dans
riel d.e la rétrospe.tiãï tT"o"ne dans. ViIIa F'leurs de ruine
dans
Rue des boutiques àn'iu'"t, |acqueline
tttgtid' dans-Voyoge de noces)' I-lécriture
ou Un Cirqueporr"
ä;;;;iõectrale, q,t"ñd elle animeprocessus'ainsi des personnages
quand.ce débordant le
disparus, et tar"'eå"ne
I'histoire et met en scène
champ de la fiction, Ñuttit celui d'e
univers proche de celui
certains rescapés dás camps' Dans un Lazate'
áäi""" c"vroi, "", personnage.s' comme de nouveaux un retour diffi-
tombeau'
vivent, après I'épreot" d" Ia ñrise au
de Rachmann dans
cile à Ia vie ¿e tous tes jours (personnage

lr

I
,ì,
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
126
127

la France [Dons Ie café de la jeunesse petdue' O Éditions sitifs de fiction, font_de l,écriture l,agent
cle d,une i'vention
soi permanente, oLr clocuments littéi
Gallimard 2oo7, p.41), tantôt dans quelque lieu de vilié-gia de
t.,.* s.,irr" (Accident nocturne, O Éditions Gallimard 2003' la fiction fã.,, t'o.,'rer à des fi", d:i"',rliì;:ï::
p, 146). De même, des signes électrisent les décors urbains fondie les antinomies figées de ra raisorr. "îîi,l:
tu .aniÀ" ,"'.u"r,
ãt hypnotisent ceux qui lis peuplent, éclairages de bateaux- la logique/l'imaginaire, lã moi/le rnonde,
la vie/l'écriture ? Dans l'un et r'autre cas,
l" p.ér;;;fåiirru,
filtrés par des volets fermés et
-o.,"h* ou néons d'enseignés r'æuvru
projetant aux murs d'envofitants motifs (tJn Cirque passe' La généalogie et r'écrivain s'invente une ".,rti.ro ,u
doubre rir*iäi,'""rr",
Þ"tit" Bijou), réverbères nimbés de brouillard dont la lumière des grands haltucinés qui. de Restif
de ta e.eìå;;; u;".,,
nocturnl engloutit celui qui se tient auprès d'eux (Fleurs de Genet, de Gérard de Nerval à Marguerite
Duras, ont inventé
ruine). Dans un environnement familier, un passant-passeur l'autofiction avant la rettre, dépraçínf l" pu.spuciir-""täir"_
reconnaît les ultimes traces d'un décor révolu depuis des graphique de l,accomplissement ã I,u""o_pagnement
d,une
décennies: ainsi, dans le même roman' de I'ancienne halle
au vie; celle des manipulãteurs de formes qui, clAndré
dAus- Breton à
a" fussieu ou des entrepôts longeant naguère la-gare Sophie Calle, de René Crevel à Hervé Gulbert,
t*lù""g; f",
"i"
terlitz. Des êtres disparus resurgissent au hasard d'une tue marges de la littérature,.guidés par une
exigence intime (se
sans qu'on sache vraiment qui ils sont' Lintrigue de- La
Petite dévoirer) indissociabre d'un impäratii éthiqJe
reconnaissance de la mère tt¿^åìä"å, a"
Bijouà*construite sur la sCèn" de phénomène humain),
supposée morte par une jeune fille qui en est séparée depuis
I'eñiance, sans que I'on sache s'il s'agit d'une réalité effective, ARRÊT SUR OUVRAGE: DORA BRUDER
à'.lr." illusion d'optique on d'un état de confusion mentale' Patrick Modiano affirme avoir découvert
De même I'épisode de Ia fiiature, par le personnage-narrateur numéro du quotidien paris sorr daté de
fin 1988, dans un
d,e Qttartier perdu, d'un personnage présenté comme mort
et clécernbru rô+r,-rLrri,
de recherche d'une adorescente nommée
qui ie pro-ån. pourtani chaque soir dans les rues de Paris' alors
Dora Bruder. Il écrit
de un
,"lon.- lent cérãmonial, au vólant de sa Lancia' Ailleurs' des _Voyage noces, roman qui propose
sur plusieurs décennies |histoir"'d'.,n" jeune
en l,étendant
êtres que les personnages croyaient à leurs côtés disparaissent fiile enfuie
dans le Paris occrrpé. Sept ans plus tard,
brusqùement sans quã nul sache s'ils se sont enfuis ou à la démarche qui consiste à råcouri. ã ru fi"tion
il désavoue une
iettre volatilisés (,Acci dent noctut'ne)' pour ã"á1""ì r"
mémoire d'une personne réeteme't disparuå
Un phénomène de glissements caractérise ainsi l'univers' circonstances. Autour du même projet,
aun, aJi"tlu,
l'écritirre et la figure"-O-u de l'écrivain. Lie' de manifes- Ia place à Dora Bruder, publié u"
Voyoge de noces cède
tations irrationnelles, la réaiité recouvte des périmètres tSsr. Dans ce livre, l,écri_
vain se situe < du nlus loin cle l,oubli >.
surréels que le texte explote, à la croisée de situations ple de la famiìte Eir'der, res victimes
Il évoque, p". i,."""_
factuelles ãt de phénomènes psychiques (l'enquête' situation clc ra déporratio'<oui
laissent peu de traces derrière (D-;;;;ä;;'öÉåilå,
type des intriguôs, prend à cei égard une dimension métapho-
Gallimard 1992 collection Folio"ll";,;
tíä""), Ce quã les romans présentent comme une hypothèse guerre n'est pas abordée par
19gg, p. 2B). La mémoire de la
d" fiction ei les lecteurs valident comme une clause de genre, envers anonvme: r'écrivain
son rru.rurrì héroique;;ì;;;r-;""
les récits cle soi I'exposent comme une expérienge vécue' travaille l'oubli ¿à,rr t'or¡ii, ptì,
Leur natute semble ìot " ploprement indécidable: textes ]:_a:^TO:
r'Ucoule, plus les traces a" t,t irtoire
une écriture de témoignage
s,effacent: seule
d'affabulation qui, en inc;luani la matière d'une vie intime phénomène d'érosior. Ã.,*
permet alors de lutter contre ce
et la présen"" d.,t" personne biographique dans des dispo- uttut, a" t"Àf, qui passe s,ajoutent
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
128
129

du
de surcroît ceux de I'histoire qui se fige' La déperdition cement: far;e au temps qui estompe
ì,horreur, l,écriture en
des événements dans le temps réactive les traces. En-celå noro
f"rsé résulte de l'éloignement nìlíà"i: s,inscrit dans re projet
inais a'ssi de l'élaboiation d'un savoir historique détaché
cle littéraire de l,écrivair,
vqr', mais f"i L;urllere une envergure éthique
'rorD rur
toute confrontation directe avec les faits. < Si ie n'étais pas là maximale, "ã"i.¿*,;;:. ";;:i::"^ïf
pour l'écrire, il n'y aurait plus aucune trace de Ia présence Le recit se présente comme un
dossier cl,instruction, avec
de cette inconnue et de celle de mon père dans un panier
à une victime, Dora, adolescente juive
> (Dora Bruder' morte en déportation
salade en février 1942, sur les Champs-Élysées dont l'écrivain tente d" ,*"o,rrili"Jt
ii,i"araire personner entre
ôÉJitiont Gallimard 1997, collection Folio 1999' p' 65)' La décembre 1541 et décembre 1s42,
età*, les autorités
question du traitement possible de-l'événement par l'écri- du Paris collaborationniste,-app"i*î.rrrare "or.publes,
des comptes. Une
är" ," posa d.'emblée aux rescapés des camps' Le récitproxi- était enquête de terrain, une étude de
fond, d;;;;b;;;ä"üä""r,
,ré""*r"ir" mais la fiction impossible, en taison de la étayant I'une et I'autre constituent
tu'aorriur. ï,ã"ô.åîäï""¿"
mité de l'expérience - pour ceux qui, alots' rompirent le par l'écrivain afin d,évoquer lu fig";;
àe Dora Brudur.ug.o.,pu
silence. Les recits de térnoignage s'imposèrent et les premiers des visites dans res quartiers où"ere
vécut, des consultations
romans vinrent plus tard non sans stlsciter la controverse d'archives dans les éåoles, le, mui.iur,
la préfectu."
(André Schwartz-Bart, Le Dernier des iustes)' Aujourd'hui' des rendez-vous auprès des r".ui"år"åà-ffiäi,f, ää0"ii"",
pour Patrick Modiano, c'est au contraire I'éloignement même bles de le renseignui. so,r itinorairãiåror.n*r iií"i',,_
un est reconstitué:
äe l,événement qui invalide l,usage de Ia fiction et impose une fugue le 14 décembre.1941,
la jeune fille, interne
récit-témoignage, comme Fleurs de ruine en avait expérimenté clans un pensionnat religieux, "lorr'q.,u
a q;i;. ans (p. sb); un retour
la pratiqueä ¿"t fins privées quelques années plus tôt' - à son domicile le lz avril1sa2
@.'B7i,ir"
-á,.,r, .*"orrde fugue, non
tviui, q.," désigne au juste un récit-témoignage quand cehri datée, suivie d,une arrestation p.,is
retour
qui le it'" pu, ut"isté aux événements et ne saurait le 15 juin 1942, son père ayant åtJ-u,rìr._tnmps chez sa mère
"o-por" arrêté (p. ror);
pour cette raison prétendre en témoigner à la.lettre,ni les un internement quaire jour.s plus tu.Ju,
camp des Tourelles
',rur.". de façon directe? En réponse, Dora Bruder déplace et à Paris (p.60);le transfért a
glissent
nrancfi" rs uott 1942 (p. r41);la
tãU;ut testimonial et Ie support narratif. L'un et I'autre déportation à Auschwi tz
vers leurs échos' de .le .18,"p1"rnr" 1942. Cetteenquête
du passé vers le présent, ããs événements donne matière à une ér"du r'i'toiiq"u. L:¿".r"ãril,ìini"
la déportation des juifs parisiens vers leur souvenit' conservé personne partic'rière, Dora, à r'e.toùraqe ä t"
familiai-- i"r" p"iår,
dans les archives ãu inicrit à même les murs de la capitale' -.et de.l'entourage rämiriar e r'unuirãni*m*nt culrurer
immé-
Seul un texte second, d'inspiration littéraire' peut donnet
sens diat - les fami'ãs de.li,n,rrig.utio"
paris des
àcetexteéparpilléhorsleslivresenluirestituantuncontenu palrvres' à ra Goutle-d'or. Les"B.rder i"i"". dans le
constiluent un .*uLpr"
- un visagé, dirait Emmanuel Levinas - et une émotion - en appliqué des persécur ions anr i¡uives
merées par Ies autorirés
deçà du fathos, au-delà de la compassion, l'émotion définit lrarrçaises pendanl I'Occupatior.
r,ã,,i"..rr les rappelle scrupu_
l'iåplicaiion éthique de celui qui témoigne et raconte du plus leusement; l'ordonnance du
2 0crobre 1g40 (recensernent
obli-
loin de I'oubli. Seule cette imþlication entretient' au regard gatoire dans les commissariatsJ,
le por,ìu l,¿ì"ifá lil"lï'rnn',
d'une humanité dont l'écrivain se fait Ie passeur' le sens
de la systématisation ctes raftes (¿;é
barbare rendu officielle est de la sorte réactivée,
i;;;;. Mais si une histoire
I'événement, un phénomène de régression les existences singuliè_
possibie par la stricte appìjcation de règles et de lois censées res qui la composent
disparaissent.'La facurté de J¿rie,ï"ià"
ã¿firri, lLsprit d,une civilisation et le bon fonctionnement (les lois et décrets
antrjuifs) ru r.r¡rtitrq fu.,tu d,i'formations,
d'une société. Seule elle réagit contre le scandale de son effa- à la capacité de reprér"ntution-iã"'{"årr"
façon res Brucler
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
130
13'l

le crime Petite fille âgée de trois ans. prénommée


vécurent-ils au quotid"ien ces mesures ?) Derrière identité > (Dora Bruder, O É¿itions GallimarrtMonio¡o iant
d;Étut, des victimes exécutées ; derrière Ia
connaissance du .lo.io, ç\
oubliées tion Folio 1eee, p. 142). Le livre s,insnt*ì;,;: ,ïl1l collec-
crime d"evenue catégorie historique' des victimes
Lé livre entend répondre
;;;;;" q"'elles fureit vivantes'I'évocation partisane - travail
à ce"
åffiff1t"
durant taqueue sont tus ru,
"o_, à";Hr"ïinii:
double scandale en cet acte d'écrit're ne raisse pas indemne
"ombinant de l'histoire. L-un
äãìã -¿-"ire _ et I'étude obiective - travail mais agit en retolrr
Kiarcfeld (te sur celui qui l,accomplit et y jo.,u, ,,,r, peu
de ses modèles est Ia sommá réalisée par
Serge plus que dans ses
auquel Patrick autres livres, une recher:lg.lú, sa propre
nl¿-oriol des enfants iuifs de France' 2001) mais aussi légitimation de son statut d'écrivain. Deux
personnalité et une
Modiano emprunte uné matière à documentation' et,plus.ieurs
récits s,entremêlent
pi"t i""¿"mentaiement une figure mixte d'enquêteur' de _temporalités interfèrent : l,ann
mécanisme de l,histoire collective; les années
ée lg42lance le
---i.,tt"tet de justicier.
témoin soixante, soixante-trois, soixante-cinq, soixante-huit,
cinquante_huit,
I'oubli, c'est consulter' consigner' tr-ans- soixante
mettre. Plus le texte progresse' plus iI assimile
"oátr" les figu- et onze, quatre-vingt_huit, quatre_vingt_seize,
associées à des
cumulatif qui souvenirs personnels,.lancent quantã elles
res d.'autres victimes anonymes, par un effet
la mémoire individuelre. Le texte échappe
le p.""Lrr* A"
d'une
rástit.," l'id.ée d'engrenage tragique et la mécanique concrète chronologie qui, en validant la suite dås
ainsi à la simple
mort industrieile. Ëlus il"rétablit-aussi la présence rait une écriture même de l,oubli, Sa structure
arrrr¿er,-";;i;,""_
qu'ii soit
ä;;ì;;;;atériel' Chaque détail fait sens' pourvu tionnement d'une mémoire pour laquell"
calque le fonc_
pt¿tåi"é. En mentionnant cles noms de rues et des
adtesses' l" t";;;ìJ;;rru
recompose une. carto- n'existe pas et qui favorise r'å'treracåment
ãn A¿".irrunt des quartiers, l'écrivain que leur succession,-
du, opiq.i* ñnl,o,
graphie parisiennå des persécutions.antijuìves'-En
é.numé- (prése't éternel a-i-t-iiìrtii"r-
_ce
"
iunì dur'dutes, des faitsãivers, des fiches de police' il
rend tion dans vestiaire de r'enfince. patrick Modiano donne alors
quotidien- relief et consistance à p"r-ururr"" dans le temps en
nublics les éléments d'une chronique des exactions aménageant des renconrres "étt"avec Dora BrudÀ;.
retrouvés au
;;;-il;;lisant le rexre des noms de victimes des états civils' situations, des êtres circulent de I,'n à l,autre.
il; rìö"¿",
hasard d'une consultation d'archives' iI cite phie,comrnll" ."pp:.oche la jeune fiile, qui habite ú;;";á;."_
,ii"t q"",te fiiles qui étaient arrivées Ie même jour que Dora
dix-sept ans: tier du XVIII" arrondisse-*rri, et l,écrivain .,fi q,i",
aux Tourelles et qii avaient toutes seize ou qui s,y p.oJJrru,
Marthe Nachmanowicz enfant, avec sa mère ou \/ rêtnnrr¡¡o t^,,-^^^l-r,:'-11""'"'.
ci".,¿irr" Winerbeit, Zélie Strohlitz'
et Yvonne Pitoun, firent parti de ce convoi d'environ mille
'('oro Bruder' o Éditions Gallimard
Querqu e s, it
même époque, " "d;i i"iä J åiilT:i fi å,å: lg;'l"*::,i lî
juifs fránçais renforcent l'effet de similitud;,ã;;iìép.;;""
ãirrq ' de I'internat et l,expéri:".g,,Iu la i.,g"e.
""nt*
r9si, colleátion FoIiå 1999, p' 143)' En notant ces prénoms
et
Le personnage du
d" l'écrivain approfondit cette reiation: arrêté
;;; ;";""ymes, lécrivain lève I'anonymat: ilsimples rend un nom
numéros
à
l^.,1"
larre en tevrier 1542. il est embarqué dans r¡n
dans urre
q.,i en furent dépossédés, devenant de cier avec une jeune fille dont patriåk
forrrqon poli_
"ã,.* en marge d'une Histoire officielle M;ål;;1,";;i;;,:;",
de matricule, et le transmet et s'en convaincre vraiment, qu'eile
qui ne l'a pas enregistré' Ce geste "alt po."t"eul témoignage aurait p' être Dora. par eff'et
t+nro"hement, sur f'ond a
pour toutå insurrection: il inverse par l'infime'
dans I'accep- l,écrivain s,identi_
11
de ta Shoah que Lo uo:a, en laquelle il alfirme"r"'fågi",
tation du dérisoiru'la logiqtte destructrice :l1a
retractaire et une volonté de
reconnaître une propunrián
et provocatrice: liberté qui l,animen,?gä"_"ì,,
Place de I'étoile rAiatuitä åa façon' explosive Le clestin de la jeune fille
<Enfant sans ideirtité n. I2Z. Enfall sans identité n"
146' accomplfii". le mode majeur de
Lire Patrick Modiano Territoires et trajets
132
133

joue en lui à leur profit' Ir suffit d'en rassembrelrcx


la tragédie collective les actes d'un trauma qui se pièces
Les fugues répétées voir un dispositif plus efficac. q.r" ,.;irrrportu _pour conce_
sur le"mode mineur du drame psychique' qu"liu ,.ui_,arr,,
fuyante' d'un si l,on entend mettre.en purrp""ti,rà
de Dora deviennent le symptôme d'une identité l.hir,o:." collective.
Àtt* ,u,t, assise fixe que Iìs personnages des autres récits' document tient rieu de r¿cit lã te
"i -ã"t"g" du fi"i;"r ,ï,n*.u
dans un texte no'veau, re docu-ã",-o*"ä
entre fiction et autofictlon, préfiguraient à leur façon' particulière. Le recopiage d,une -r*rt* rî åïnrrta
Lerécitneconstitu.""p",tdutttpasunautoportraitdiffére'ce circulaire administratìu",
confrontal ion avec. u n ra.pport de police. ,"
qui serait quelque peu inôonvenant' Lécrivain s'assimile à Dora puissance de coercitio" ¿ úr régim'à
restituellt à lroid ta
au regard de I'Histoire
1io", f"l dårrrruì f--u: d,elle subsistent d'un état menl des leltres de victime, nidu,
totalitaire, L,entrecroise_
ãe simples traces impersonnelles, quelques tcxtes officialir"rl l;,Ì;;
-Iig^n-es persécutions rend compte de t,état
civil sornmaire ou d,rùe photographie sans relief. Inconnue de
d,une ;;;i¿r¿1äå.,,ur.,
arr, ,u personnalité est ãommi ánnulée' Lécrivain attrib'e à légat, Refìulé, t. .Àiur"rque revient
**]:
purssance lrtire
sous la,for.me d,une résurgence
donc en
la jeuneiille les impressions qu'il ressentit en des circonstan- ã" purrã. þiã"¿ il,
le séjour ãn internat et la fugue' Il comble constituent ra seule énonciation d,iexte,
ceá partagé", res décrets officiels
"o-*'"
put'"-pãthie cette absence prénommée Dora: il I'anime' Si
ej
{1_s-fernoignages livrés à brut ."a"ã"rrrru't actuels, conrme
littéraire conduit à parler de soi' à se dire soi- si l'Histoire elle-même revenait
ã"tt"
""pOtience d'anamnèse. f", a coups, sous forme
même en tant qu'être d'absence, elle met aussi en résonance
Récit de témoiqnage incluant ainsi
I'intime et I'anonyme. Lécrivain instaure un échange' offre-une une part de fiction,
Dora Bruder fr",räÍrit î""
voix de substitution à celle clont l'existence lui fournit quelque ";ì;;'iìg;rä,'"u," qui sépare r,esprit
de méthode de ia déma.che
trame narrative pour penser sa propre personnalité' Un état visioin"oi.u. une enquête rncnóe
par étapes, des pièces d'archives
civil, des rapports poliôiers, quelques photographie-s:-les seules minutieusement rivrées, ra
de Ia connai généalogie des Bruder schématiqu"m"nt
tractás laissées put i" jeune fille ne permettent pas reconstituée: l,écri-
fugues' Dora vain, recourant à ,,:
tre ni de savoiì ce qu'elle fit pendant ses deux au p.äg.urrion méthodiqr".'ofrl"
rétif à toute arrestation, srrr la puissance de ta Togu
rogiqu". Ér"i"nJ possibre une connais-
est un être de mystèie définitivement
sance durable cles événemlnts,
fût-elle celle du ãir"o.,tr historique - le statut de victime - ou donc une conscience perma_
d'un nente de r'horreur qu'irs signifìent.
de la parole compassionnelle - cette sæur fäntasmatique Ete ne parvient toutefois
pas à représenter rendre'du ,ro.,rruu., prásents _ ,,u.,*
écrivalin qui en serait le frère, le < bruder >' D'un tel évanouisse- -
en furent ies victimes. Elle échoue qri
dtl
ment de Iã personne, l'écrivain, retrouvant les postulations J ."nd.u explicites des
ensembles de signes _ fiches d,état
roman lazaréen, fait un personnage auquel nulle forme narra- civil,
tive n'est alors nécessaire'
ques, photographies _ tout comme "oii*r'tlog.åpï,
à reconstituer des parcours
à partir de traces, des identite,
Dora Bruder constitue pour ces différentes raisons un texte vie.s singulières à parrir de
e purtì. de ces parcours, des
ancien
des limites. Litinéraire d;Ernest Bruder, père de Dora' ces i.r"ntii¿r. Inlrili'autant que
roman en miniature ralionnel, croyanr à Ia maniùre
légionnaire, fournit les épisodes d'un nalité supérieure qui inclut ci"s
des rrrrãuil;ì;; ;';;ä'r.ï,o_
q.,i t'e"rirrain ref'se d'éciire tout en I'intégrant sous forme l'écrivain se moutre attentif
Áanifestations occultes,
áe synopsis. Le styie se veut celui d'une restitution' avec
ses
,igrru., susceptibles de révé_
ses récapitulatifs, ses phrases proches
".,* d;ilj.
Ìer les interférences- du p"rrJ
purng.uih", qui contiennent en.dépôi tu, présent, aux lieux
"or."ir,
ã" ,i-pi* notes. Linterpolation d,archives confronte Ie récit p*rãrr.*s qui les habitèrent.
docu- beaucoup d'aut.es o"ui, _ãi"ll
à un type de textes qui prend valeur de modèle' des l^a-oT-u
ces et quelquefois à aux coïncidel_
ments. Plus l'ouvrug" nrrårt,,", plus son propre texte s'efface "roi, les .o-"rJãr,,
un don ,ru ,roy"rr." chez
I

I
Lire Patrick Modiano
134
ri

(Dora Bruþn
- le mot <don> n'étant pas Ie terme exact [' "]> Chapitre 3
o Èáitiå", Gallimard r^9g2, collection Folio 1"999, p. 52). Par
l'écri-
;; hyp"ttensibilité qu'on nommait jadis < prescience >'

áetr"te en filigråne de la vie présente les ondes magné- Dialogues et résonances


""i"
tiques d.'un autre,u-mnl. Dora I'appãlle avant même
qu'il n'en
certaines
coinaisse l'existencd lorsqu'il hante, adolescent,
ligne
rues du xvIII" arrondissement. Le récit, suivant cette
ãã-iiJi"" qui double Ie travail de raison enrre.pris à partir
des documents, constitue une enquête parallèle' *","119""
enquête ses traces: celles' objectives, des archives
otficrelles;
ã"li"i p"*sensibles, du presientiment. Deux saluts littéraires
l'autre à Robert Desnos'
iÃp"ttä"t alors: l'un à Vi"tot Hugo, Préambule
LeË d.eux poètes sollicitèrent à des fins variables les états
ni
,""o,,¿, de Ia réalité, cette surréalité qui n,en constitue I'en-
vers ni I'au-delà, mais la coextension' I-écrivain ne
cesse de
I,explorerdanssesdifférentsouvlages'démêlantlatramedu
1

p;;;¿ dans les situations en cours et donnant à entendre les


illrrr-rrr", des morts dans les voix des vivants' S'il pondère la
I'occulte et rationalise Ie sens de Ia démarche vision-
I

;;;td"
I

iaire, il n'en propose pas moins une approc\9 dt Ia réalité


I r"fo" Iaquelte ,rri p"tté, trop extrême pour s'être. effacé' en se
I
diffuse e-t par imprégnation auprès de ceux qui savent
"or"
accueillir les résonanães. Lécrirrain se veut à Ia fois témoin
et
I
visionnaire, enquêteur qui transmet ses soutces et déchiffreur
de signes, .orrrôi"rr"" eîhique et intercesseur poétique'
It Dans
I ,rrr" ío"iáté de l'éphémère et de I'instantanéité médiatique,
I
Dora Bruder"orrriito. pour cette raison un geste de vigilance
faceàtouteexactionpossibledel'histoire,unactederésis-
il i"rr." à toute forme d,ãmnésie et une ode discrète mais souli-
'l:j giãl-u"" pouvoirs de Ia littérature' pour peu qu'elle admette
elle
quand
3ãt ptoptåt limites et respecte le secret dãs morts
pauvre et précieux secret que les
I .r, ir"rr'r-ut le souvenir, <
ri
I bãorr""rr*, les ordonnurr""i, Ies autorités dites d'occupation'
ie Dépôt, t", .uråtttãr, t"t camps' l'Histoire' le temps ["'J
,, u.rroï pas pu trriìot"t ' (Doru Ëtudet, @ Éditions
Gallimard
L997, collectiõn Folio L999, p' L45)'
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
136
137

autres films ou téléfilms. De même son écriture


manifeste Littérature et histoire
I,influencecertaineducinémasiI'onenétudieleseffetsde
les effets
;;;iã; - le ieu des plans, les fondus enchaînés' li'""'ffi ilt:iii:ïîJ,îïli;î:"""ti:1t:o.parrickModiano
de surímpr"rrior, rythme le¡ coupes'
-, de' - les ellipses -' de
- les décaláges entre les images et les commen- u:*g:itrrïtîr,ri*ï';,*:"i"ji*i*,!"*ill*:*î
taites, les comportemen"ts et les discours' Mais tout cela
"o-potition maiJeres,endérie..B"g";ì.,ñ;äfriËî"iîHîåïå:î":
pãtti"ip" d'une assimilation de procédures initiées par des marqués par la production de nNouveãux
ã"tituit s comme André Malraux qui, dès les années trente' Roman;;, Ëg;"p-
çon porte sur deux modèles: le réalisme, a purtirirqrrjfå
Ies convertissent en éIéments d'une rhétorique littéraire privilégié du roman et de l,Histoi.À ,ru.,
renouvelée' PIus décisive, parce que recoupant ouvertement ,,urt-rrorre
l'engagement, gui sert de portotu-oriicielre
i"r iig""t essentielles de sã recherche, est.Ia.relation entre- ".,-irìì.jî"tu;
à une rittérature
I'Histoire'.celui désireuse d'assumer pleine,nent
i;;#;"t Patrick Modiano avec le champ dep-hilosophiqìes rur r"rporrsabilités, au lende-
main de la Seconde Cuerre mondiale,
ã; l; iry.tt"ttulyse et I'un des courants
aux exigences de sa reconstruction. par
d;"r;;;;yr'"îîrif".u
t""¡""* á" lu ptõmière moitié du xx" siècle' la phénoméno- Roman choisit d'en finir avec une
réaction, re Nouveau
losie.Bncoreconvient-ild'établilunedistinctionentrela urit otiq.r.
bt":.T?l-enée par les écrivai", ."ã¿*i", ""ii.rãi*ääeia
de ces relations, qui confronte directement l'écriture ãäîå-pïr_i.."
moitié du siècle et prône le désengagement
ã^;h;;r-champ littérairô, et les deux suivantes, qui-s'ins-
"rËãfer. face à l,histoire
Ju"antagã dans une histoire littéraire, dans une lignée
ses vicissitudes. À partir du
miliäîes années soixante_dix,et
la relation entre éciiture et histoirã.utron.ru
*lrrrr"ttt autouî du lien littérature/psychanalyse (Michel
"ri"""i
une légitimité nouvelles, suscitée, p",
une actualité et
ieiris) et phénoménologie/roman (Jean-Paul Sartre)' Si les t", crises de société
,o-"ä et histoire se tiennent au centre de marquant à répétition ra fin du xx"iiècle
interférences entre et ra ¿"
tirer un premier bilan du siècle finissant. "e"ãrrito
Ialittératuredepuisledébutduxlx"siècle,letravailaccompli
par Patrick Modiano à partir de la fin des années soixante sur
"1¡f,iË;i"d, du I'hirtoire particulière reste pour sa part inédit CASUISTIOUE DE L'HISTOIRE
I
iit t" parallèle avec celui que mènent alors certains C'est peu de dire que l,æuvre de patrick Modiano participe
"ir"-
historiens. Dans son rapport à Ia psychanalyse -- traitement d'un tel phénomène: dès rsos elle
de la mémoire, écritur" ãù ttao*atisme' rapport
à Ia stru.cture iïnitie, acquérant en ce
sens une dimension emblématique.
f"*itiut" ou au deuil - et à Ia phénoménologie - travail des sous-tend l'æuvre dans son
La questión historique
sensations,desrépulsions,desobietsetétatsdeconscience-' au temps: comment représenter "nru-br". BrË-áràrär;i;;;i.,
iùãri""i" déplace un certain nombre de figures littéraires un passé récent, donc un
présent sous influence?-Eile
de I'appro- décide d"'ron rapport à r,intime:
acquises. Sori approche est donc autre: elle relève qu'est-ce que signifie naître
en 1e4s r nile imfii!;;;
pti"ìiál ¿" t"oa¿t"t validés par-I'histoire du roman moderne à l'éthique: que'es responsabilités "ör,
temps
äont il appartient aux écrivains les-plus avisés de notre fait de la mémoire t'obiet et t'"n,L.,
échoierrt ä ,rü å"ìi"^"ìilî"i
d,actualisãr l,expression, éliminer les stéréotypes et
revivifier ãleäunt"ire d.e son travail
sans endosser pour åutant
Ia valeur.
la pósture aà I,i"tãir*i""i
en perte de crédit tens une ""äåse,
société doutant de ses valeurs?
Témoin paradoxal d'une rrir.oir"
q" iì;; ;;r" #"" ä"*"
tement mais qui le hante familiaiemànt, patrick
Modiano
138
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances

139

varie les angles d'approche. La question historique appelle Gallimard 1968, collection Folio 19ZS
celle de I'estÉétique: õomment représenter le passé depuis ses tupu.ro.,.,u,u] iäì."t",r.r.,imcmu;u;,å"Í?;"Ìr,ff
séquelles, psychiques et culturelles ? Comment mesutet' en ,irjrårrrîirå
arnont et en aval de leur déroulement, I'ampleur d'événements ff,äåiiiì:ili#'iJ::"ïîi,'"î"',î:,9ï:h:¡;,ïïJiïu.,
lslclleuse' les
comme Ia Collaboration, la déportation, Ie génocide? La rela- mes de la convärsation mondaine automatis-
tion nouée par l'écrivain avec le champ des études historiques très importanr pour vous mais il - 9: Madeja est
maintenant
participe de ces multiples préocclpations' "";:l;"^,IF
ver querqu,un qui vous mettelrrur-"o'u"orr trou-
Ses ãebntt sont cõntemporains des travaux menés sur ;p;
1" .q i, "' "l . ú"1ï r .p ". i*; .l';'i îî
I'Occupation qui mettent in avant la responsabilité des Gallima¡d 197b, coùection Fälio 1977, ":T,Jilî:å
; JË r'iî:
p. s+) ou Ã"J* _1"
autoritås politi[ues françaises dans_une étroite politique_de lui. ai.expriqué que Maurois était
un romancier juif très doux
Collaboration, entre autres dans la déportation des iuifs' Les qui s'intéressait à la psychologie féminin
trois premiers romans de Patrick Modiano ainsi que Lacombe
(Villa triste, Ibid,
p' 63)' Darrs prusieurs récits ".rrtéri",rrr, e->
Luciin entrent ainsi en résonance avec les travaux de I'his- re motif du déraci-
nement, des racines rurares absentes,
torien américain Paxton, suivis de ceux de l'historien fran- a" r" p.ã"i"ìä iä.a""
exprime à chaque fois ra rangueur
I'écrivain malmène d'une identit¿
çais Henry Rousso. Comme ces derniers, mélancolie du juif errant. C9 molif prend "pì,iiä", r"
ia lectureïfficielle de l'histoire - l'État français ne serait pas tour à tour la forme
d'une région mythologiquu (tu sologi"
resoonsable des crimes de I'Occupation puisqu'il n'y avait Poupée blonde, Fleuri ãe ruine,
dun, Livret de-ia-ü¡tt",
plus d'État français pendant cette période - et accompagne D"o", I;-;;ft'år"å"¡t"ir'r'årr"
rl
perdue), d'un nom de village à
I
ãrrt"rrt qu'il Ie rii-ni" Ie retour du refoulé vichyssois dans (Fossombronne,
la conso¡ance magique
I
la consdience nationale. Dans cette perspective, La Place de
dans ta eetit|Ai¡ouit A""¡a"nt
nocturne) ou
d'un oncle qui, en quête dasespe"ãe ãir.rr"
ll
I'étoile peut aussi se lire en parallèle inversé avec les travaux gne lui tenant lieu de maison ¿u
maison d"
du r"rr,und Braudel qnurd. ce dernier vise à atteindre les "u-pu_
ramiltu, bat rittéralement
lr
la campagne (Livret de
IL
couches profondes de u I'identité > de Ia France, inscrites famille,
est alors, chez les Français ¿" "rl.irorriu
du sort: la mode
ll
dans une durée qui traverse les siècles et modèle I'incons- ,orr"t a, à l,exotisme, et les
pierres et poutres des fermes à r'ancienne
I
cient collectif. Là où I'historien, confronté à la disparition à un mo.ulin d'inspiration asiatiqru,-",,
ont cédé ra prace
d'une France rurale vieille d'un millénaire, entend sauvel
I

grand désespoir de
ì
celui qui, en mal d'enracinement,'s'entend
de I'oubli certaines valeurs culturelles nostalgiquement vanter les mérites
lr
du dépaysement. Évoquant sa recture
ã.roqné"^r, I'écrivain entend rappeler comment, depuis
il
Ie adorescente des Déracinés
enraciné dans les menta- sous les conseils d,un professeur
Moyãn Âge, un antisémitisme s,est de français, patrick Modiano
écritdans un pedigree: <Avait_il senti

li litéä par lä biais d'imageries liées à la terre et au terroir, puis que ce qui me man_
quait un peu, c'était un vi]l¿gs
,'ert äp"noui dans la France de Vichy qui s'en fit.Ie chantre'
jl
I de Sologne ou du Valois, ou
Dans Lo place de l'étoile, il n'est d'invariant national qu'un gIÌ19, le rêve que je m,en faisäir ? lt; pedigree,o
Éditions
délire xénophobe dont le narrateur-locuteur se fait à son tour Gallimard 2oo5, collection potio" )oä0,
( p. 69_70). Encore
Ie porte-voii parodique et do_nt iI téIescope les clichés. : [...]
formule-t-il ainsi sur un mode autobiographique
ooi, ¡" dirige Ie juif mondial à coups de partouzes dence déjà prêtée trente un, pt,r, -tot la confi_
"o-plot sur un mode roma_
et dé millions. Oui, la guerre de 1939 a été déclarée par nesque au personnage-narrateur
de v,ra triste,
ma faute [...]. Oui, rêveãe ruiner toute Ia paysannerig.fan'
je avais rêvé de naître ã".,,
urr" petite "l¿oiir,i
r"i"
çaise et d,enjuiver le Cantal >
(La Place de I'étoile, o Editions comprenais pas qu'on pût reniôr "tii;H;;ã"rìåi,
re rieu d" ;"ri;;Ä;; j,
i-
140 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances

141

@ Éditions Gallimard 1975, collection Folío


(Villa triste, 1977, tion épistémologique de l,histoire, cr
n. iool. Et narrateur de détailler ces
Ie lieux: < [" '] les rues' les
þt"""t et les maisons qui composaient votre paysage originel' Ë;r'fi ÏxrïiärtriilT:"*rråïti:"*'*:""'iiËii,""*:
Votre assise. > (ViIIa ttiste, /bid, p. L69)' mertentenévidencu'i-po.iä;;;:i,#å*T:,iîr"'l*":
II faut attendre l,année 1995 pour qu'un Président de la Répu- et de subjectivité dans iélaboruiio.,
d,rr., .uråi" irîi#rq,ru,
blique en exercice, )acques chirac, reconnaisse officiellement alors même q"u q:I"r,_gi,,urrloog;;ps
p.ensé
la responsabitité de l'État français pendant l'Occupation et produit d'une vérité objective. cgi;; patrick "o**àî prn
national' La même scène, c,est, lié u",* Modiano met en
-Modiano de refoulement
achèvã ce long processus grqlgs que deå événements se sont dérou_
année, patricf publie Dora Bruder. D'un acte de lés, I'extrême vulnérabitite äesìrá"",
qrri en attestent. C,est
ããrrrruitt"ttce intellectuelle - fonder un savoit - à un acte de aussi I'extrême difficurté de r".o"ìtit"tion
et de la consulta_
réparation morale - juger les coupables - et d'une histoire tion des archives, à raquelre .rrÀq"iïe"it
confronte le recreur
an'alysée par d.es chórðheurs à une histoire écrite par des par le biais d,un personnage_narrateur
c,onsignant compul_
c'est un autre modèle -que le livre choisit: celui de sivement des traces, si fut"iles ,oiurrt_"tt",
(firt"-;;îo_r,
justice
serge Klarsfeld et des chasseurs des nazis aylnt fui l.a
"rrqrrêt.ntt, d'adresses, de numéro, *t.nrr""Ji.
Modiano peut en cela se *liru coinmãíne
pour ,o,rr roman de patrick
d.e iaprès-guerre. écrir e Dora Bruder, I'écrivain puise métaphore du travair
,
un côrtaiñ nombre des références dans les documents de l'historien, confronta a la tripìîricessité
de lutter contre
publiés par Klarsfeld d'après _les archives qu'il s'est consti- l'effacement de ses sources, de donstruire
un
tuées durant ses enquêtei. Il lui emprunte aussi un modèIe rétrospectivement sens aux événements, récit qui donne
I
de faire avec sa
de justicier par lequel il réoriente son rapport à I'his.toire propre implication dans le discours
dã vérité q",iiãorrriüit.
duns ,rr, t"ttt ethiqne, loin du traitement de choc qu'il lui Pour ces différentes raisons, l,æuvre
I

de patrick Modiano est


l réservait dans ses þremiers ouvrages et qui visait- à repgn- exemplaire de ra relation actueileme.rt
norrée entre histoire
I

ll
dre à la dénégation historique par la provocation littéraire. et littérature. Les deux guerr;;;ilì;i;;;;'1,"";ii:".
bien des romancier.r auJ-."pc*r -ããlär*i"ants
lt Dans ses auties livres, I'écìivain met en scène d'éphémè- en tant que
res personnages qui entretiennent Ia conscience de la faute foyers dépressionnaires. EË;;;q";t un retour en barbarie
I

et lË sens de"l'indignation: anciens collaborateurs que relie inscrit à même le développ"-;tãf;;;.civilisation


ll
portée par
ll
une même chape de plomb dès qu'il est question du passé les valeurs progressi-stes ãe ra
-"¿ãr"ite. certains écrivains
(Une leunesse,-Fleuri de ruine, Dans Ie café de 1a i-eunesse comme lean Rouaud, pierre Bergouniou*,
Syirriã Cî..ri"i"
perdúQ, vieux nazis exilés dans quelque pays dAméri mesurent ainsi la failrite du p_rincile
de civilisation au travers
que latine (Vestiaire de I'enfance), délateurs ou < préten- de scènes de-guerre types. patriåk
Uo¿iano, Robert Bober
(Quoi de neuf sur la gúerrel),
!i
áus témoins que j'avais interrogés pendant mes enquêtes Lydie i"l""y" øi"õî^ir7"r"
et qui n'avaient jamais rien compris à ce qu'ils-avai9lt."t' des spectresi tententä"
'l

une durée de civ'isation.-u*rJrìrrär"a,


des guerres dans
p"t'UOtit", méchãnceté ou indifférence >> (Dans Ie café de Ia Le iétrospectif porté sur re
p' 41)' xx" siècle concerne la communä"tJ "ugu.d
)uun"rr" perdue, @ Éditions Gallimard 2oo7, les séquelles des deux guerres
hirtg.ique, qui éprouve
d,autant plus fortement qu,elle
les refoule, et le sujet ilgi;ill"1i,i',u.u,rde
LE TÉMOIN PARADOXAL de filiation très souvent défait un sentiment
dans=ra memoire artérée de ces
ces échos entre littérature et histoire sont d'autant plus guerres. Patrick Modiano
est, avec Georfes perec, ,r, pioìJu.
rmurq"é, qu'ils s'inscrivent dans un contexte de redéfini- en la matière, non seulemeít
p"r* ä,ïa t,agrãuîieî_ilr,
Lire Patrick Modiano
142

de
ans, il met en scène certains aspects fréquemment-occultés
la Seconde Guerre mondiale, mais aussi parce qu'il invente un
mode de représentation romanesque approprié^ à. la deuxième
vie des événements, celle qui commence une fois qu'eux-mê-
mes s,achèvent. Les héros d" t"s lomans croisent des figures
énigmatiques qui les ramènent à I'univers chaviré des années
trerite Ftàurs ãe ruine), aux années sombres de I'Occupation
par de
@n Ciìque posse), à un temps d'exil rendu nécessaire ils
honteuses compromissions (Vesúi aire de I'enfanc e)' -quand
n'errent pas à Iä recherche d'une identité flouée par les années
sombres (-Rue des boutiques obscures).
Depuislemilieudesannéesquatre-vingt,Iamultiplication
de rornans abordant I'une et I'autre des deux guerres répond
à I'occultation dont elles furent I'une et I'autre successi-
vement l'objet. La première guerle' sujet littéraire type entre
le début dés années vingt et Ie milieu des années trente,
perdit son intérêt au fuiet à mesure que s'affirmait I'évi-
äut"" de la seconde. Celle-ci suscita dès les années cinquante
r.rrr" i-pottante littérature qui accompagna Ia version politi-
qn"rrr"rit correcte d'une France dans son ensemble résistante'
accréditée par les principaux acteurs concernés, gaullistes et
communisfus, et les deui présidents phares de la Cinquième
ñJpublique, le général de Gaulle et François Mitterrand: ll"t
le xx" siècle s'est acheminé vers sa fin, plus le temps du bilan
critique s'est imposé, à côté des omissions de circonstance
et des imageries publiques. sans doute la distance rend-elle
possible ,.ñ" uppienettãion à Ia fois synthétique et profonde
ã", grrrrr* Ioin des clichés partisans, gloire intouchable des
héro"s d'un côté, discours brocardé des anciens combattants
d.e I'autre. Mais cette distance, iI appartient aussi
aux romans
de la combler pour mettre en évidence les liens qui rattachent
J des époques et des tragédies commodément reléguées dans
o Ie passé r. Ch"qrr" gu"riu est ainsj pensée par les
romanciers
en tärmes de séquelies existentielles plutôt que $e-9éq1ences
historiques. DeJondes de choc se répercutent d'elles à nous
et leur saisie prévaut sur les reconstiiutions des scènes mili-
les
taires ou les exactions civiles qui les accompagnent' Dans
récits, différentes situations seJuxtaposent et se superposent'
I
144 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
145

Écriture et psychanalyse ARCHÉTYPES D'UNE GUVRE

L'ceuvre de Patrick Modiano entretient avec la psychanalyse


si les figures structurantes de r'æuvre
ments cl'ordre tt]ir-u, elles renvoient à des événe_
une relation manifeste. Rares sont les récits dans lesquels une recoupent aussi certains arché-
voix, parlant au présent de circonstances passées, ne tente pas types du discours..psychanalyriqie.
psychodrame famitiai, tout Tout se joue da's u'
d'élucider des événements qui résistent à la compréhension. ,å
ão'o".*, n äu, o.igr,,es. L e "å; å'åliäti
Des souvenirs oubliés resurgissent, accompagnant un malaise
qui voue l'être à vivre en porte-à-faux avec lui-même, Une frère mort constituen"t rur rigu;, n;;l:i J :#::'::] î:
se construit autour de
ãyì"-iq.,", d,une *.,"." qri
parole à la fois limpide et obscure, neutre et pourtant émotive, leur représentation ät d,.,""
sonde les états seconds de la psyché, dans des séquences ils constituent le obsessionnel. Sismographique,
;r;"h¿ ao,rt
loyau
ture détecte res failes au tu p"rronrrurité l,écri_
narratives qui s'apparentent volontiers à des énoncés cryptés. résurta't
évé'ements de l,enfan"". Eli;;;äiffnr" dã certai's
Il serait toutefois hasardeux d'assimiler la structure récurrente la représentatio', en
des récits à celle d'une cute, otientée vers la mise à jour d'un varie les versions, rendant
ainsi sensible un phénomène
résurgence comptexe. De ta de
traumatisme hérité de l'enfance. À la différence de certains ,;;"-;ii" fuir ã;r.;;äãåïr", o*
écrivains qui intègrent sciemment des dispositifs notionnels lefoulcment ct de défoul"lnunt
à*s
Deux états marquent le sujet,
issus de recherches psychanalytiques - ainsi Pascal Quignard
lité cn amonr - rå cuÌpabir¡ré
,,;""1åï,H,',offå:'"ïiî
ou Hélène Cixous, fins connaisseurs des théories de lacques ou rå, d'un passé roi'rain
Lacan -, Patrick Modiano entretient avec la psychanalyse (Dimanches cl'aottt, Accident "tLut,
no"iu'ri")_, I,autre la paralysant
une relation de seconde main. Il manipule des figures déjà en aval - I'anxiété ou l,appréhe"rior,
à,r'fr-rtur
Cirque posse, Lo petite Ì)ijrrl. immirrnrrt (u,
répertoriées par la littérature. L'usage et les cliscours de la Þ".ï""que le sentiment de Ia
psychanalyse se sont vulgarisés et ont généré des références, faute échappe à toute cause
comme cerui de r,anxiété
raison, le perso'nage devient à toute
sinon des clichés, qui sous-tendent aujourd'hui Ia représenta- de lui_même, tente
tion convenue de la personnalité et de I'enfance. La proximité d'énoncer sa propre Àirtoi."
J"p;ir"uìruìu.,.
i;;""""nir d,une situation
observable entre les démarches littéraire et psychanalytique posée comme originete. rr.ruir'"urr"-"i
rn f"it ,.,ür"nii"ää"",
s'inscrit donc dans un jeu de simulation par lequel le texte remonter vers une période
a'térieure, puis glisser vers des
et son auteur posent la question de leur identité respective: époques postérieures, les differàn,r
du passé se slrDer-
quels modòles littéraires régissent l'écriture de soi? Quels posanl cn une seure er nrêrne
volure. ""ì"r",
cadres culturels orientent la représentation du sujet à la fin ses aux questions
L"r" ¿:.ppã.äH*iiJ;- Jr

personnage se pose,
ce processus
du xx" siècle? Patrick Modiano déplace ces modèles en leur agit en retour sur le^Que,le
présent, traversZ par les multiples
attribuant une fonction romanesque qui les écarte de toute d'un temps en partie échos
aå, ;;;;J,",r""s : < senti
valeur standard et par là même en revivifie la valeur heuris- "mo"J
pression au creux de la poitrirru, J,ai une
.rìu fleur d";i'i;;;;;1",
tique. Cette inspiration s'obsetve à la fois dans l'imaginaire s'agrandissaient et me fåisaierrt'rrftoq.,er.
intime auquel les histoires empruntent, Ia composition des sol' Par bonheur ra présence J,étais cloué au
au -ã, iilres me rattachait
récits, l'usage des mots, le rapport à l'écriture conçue comme présent' > (Freurs cre-ruine,
o niiiiàïr du seuir 1991, corec-
an
processus inachevé. tion Points Roman 1995, p.
tZz), ntlá narrateur d,en suggé_
rer les raisons. < sinon
tous les a'ciens d;;är:;;,.,"T""
leur rentrég au pensionnat
submergé de leur odeur t...1 "*, ai-anches-rà m,auraient
a. f"Jìi", _ort", > (Ibid, p. 122).
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
146
147
banalité extérieure des événements
Arrache-cæur, pétrification, crucifixion, noyade' morte qui en i-p;;;i" récit. Elle ,o¡i"it^tTlltés' -l'u¡gence intime
saison... à l'inveise de I'euphorie proustienne et du fantasme
paysage iniérieur.éd"itr;-qu"ulqÏu'" It décor u¡bain et
ã on réconcilié avec lui-même depuis un temps présent un
"otpt
reiointé å quelque époque lointaine, Ia scène de réminiscence
to";o"tt Modiano d'une pui-ssa¡rcg morti
"ri "mpt"itttu-chez
fère, qúi puise Äes raisons dans le paysage désolé de la petite äåäí:.îil:l**iç*;1iäïïËï","çtË'i,{i::i,":n3;;
enfance.
certains romans de I'oubli comme villa ttiste et Rue'des þ:r*:;,í;:{f::r#¿fl",;ï"1rt,Tll,:,{rü;t:ii:*
ãi"i'u""iu'tåtee;;cãlrî*;#;ï"1"".u""Ti.'J'"ffi
boutiques obscures calquent alors les mouvements sous- ïJ:l:n:
ture ne dissocie þas les
iacents d,une mémoire e-n train de se reconstruire et d'une
aux différents degrés au tu"orrurãu*ia réalité "or.urpándunt
iá""tite en train de se ressaisir. Des sensations' des atmos- placés sous domlnation
.orr"ä;:. si certains roäits sont
phetut, des informations, des anecdotes, des scènes s'agrègent Je ia (Dora Brudãr,
ät des états de conscience partiels et éphémères'
Pedigree) alors oue d'autres
place de I'étoile, à" "äiïài""""
rmrì"* élats ¡o.¿u.iìrru
un
(¿o
patrick Modiano limite les personnages aux plocessus subli-
"orrrtitr.ent La Ronde. d; l9s
semi- nouvelle des lnco11ues), la""it,î;'petile Bijou,la deuxième
*i"""" qui les animent, Ies situations aux degrés del'æuvre -"iãriie des textes déplacent
imperceptibrement re curseur-ã1r.ï'¿ugré
ãåirài.""', que leurs acteurs en possèdent.Il compose
l'autre. <Nous n'a1ion1 p¡i de conscience à
à partir d'une énonciation en état de choc - une voix
que
trauma- allongés sur le parquet, à tu
ñ;ä la vilta. Nous restions
tråversent, et qui entretient, Ies échos assourdis d'un lirieru áe ra véranda. Le chien
dormait au mirieu. du canapé-
iirÀ". il déptaie l'histoire vers des à-côtés - détails, incises, et ensoreiué'> (virra triste,
clãiãit un après-midi paisibre
digressionsl suspensions, esquives,-prétextes - qui tiennent ó n¿rti""r c;ilfi;i'iäfååì,""_
tion Folio 1e77, n. rzo). sãquencäälil_o¡ifisarion,
neî de dérivatifs et de progreJsion à l'oblique. Ainsi le person- de rythme d'alexändri;fq,ìt sur fond
de Quàrtler perdu se- sent lui-même désaxé ért*"if" _ Les feuillages
""g"-""ttuteur des arbres osciltaient d",i;;;;; <<

par ses propres com-portem""t9 - Quelle chose étrange de


<<
r,'"',-a."_n,
ri"i""iãi"îääï.p",
une ouate très tendre> _ et
-e retróonår après vingt ans dans cette ville' seul' par une scandent l" Jé".o;ïöäïrn""
de la séquence -
nuittorri¿ede¡uittete-tsanspouvoirdétachermonregard - p:, î-0, ;;.Ë;;;,
I'avenue dans un bruissement cyctiste passait sur
d'un Japonais au costume clair' (Quartier perdu' O Éditions "n
d aireì. Bientôt nous n,entendî-
mes plus aucun bruit>. (Villaìiirø'iø¡A,
Gallimärd 1984, collection Folio 1988, p' 25) - et par les paro- ce sens, intégrées à^1ême p.1,26). On lira en
les qu'il prononce - < J'étais étonné moi-même que les mots un récit psychoréaliste, les scènes
petdu' d'amnésie, de rém
sortånt ,rãtr, bi"r, timúrés, de ma bouche >> (Quartier
tøid,p.94). Lécrivain expérimente de-la sorte quelque. s.céno- ü,;;;ã;;i";rräiiff ;*.iJi,,iîlåli;,,1,1åï;i:x,î,.Jiî
pour cela, il sollicite les !ff de faire
la Iigne narrative au. point
gruphi" romanesque de liinconscient. ùäuler l,histoire dans le
distinguer surréel dans Vr,l1a triste,
iranifestations psychiques de I'inconscient sans les Rue d*L;;;lq"es obscures,
nocturne, Dans Ie café de Accident
des événements relatés: présence dichotomique au monde' lo ¡"unuiie--p'urdue.
Sur le plan de la narration,
comme les phrases extrailes de Quattier perdu-le soulignent' phénomène de résurgeng"l ces iituations génèrent
un
mais aussi iêves, cauchemars, hallucinations, hypnose' rêve' et I'irruption d'un ñr.u
qyi -".qrru iu levée du refoulement
ries, états de déréalisation. a iirq"ãr=J"", ,rn p.ér"nt
le Les Boulevards de àeinture,. en crise.
La consignationãLne séquence de rêve met en condition bolique d'une écriture
irtãr"riïo__u le récit hyper_
évidente' derrière la
récit: elle permet au narratóur de rendre analogique ãu i,ì.r"orrcient.
L,histoire
148 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances

10
se ramène à une hallucination, celle du fils basculant dans la I'enfant devenu adulte se sent
cour
photo où figure le père et revivant à ses côtés, en état de trans- -1*-" q"'ull;;; cesse de le rrumpiriiable d'avoir rejetée alors
I'e fils file
þu.rrr", viãionnaiie, d.es scènes de l'Occupatiolt Ie présent ji,lì::*.:lationmè¡e-ri,s
îe père pour mettre à Ia raison un passé qui double
",il1":il3:'""JJi.1ä1;Ti":T
- tã ¿oü¡te doublement puisque I'histoire équivoque du père psvchanalyru, ru*¡iu;üJ#ff"*"Ïq:it
it héritées de
ta
se confond avec celle, tiouble, de la France. Dans Accident io;,ää;;il#i
ri c ité de c ette'erat
,#
à leur seu-le génératit¿. f,Ocriil;ät. ìï, ---."-' 3;
s.e,1 ra. sn
s' 5 €rt tenant a c i-

noctume, une séquence impose comme événement réel une ^.,- jouer
arors les sch6¡¡¿9
psychanalytíq"ur et refuse
scène de cauchemar alignée dans la suite des épisodes rela- toute sul
tés. une vieille femme, qui rappelle quelque théâtreuse alle- i,ri"" q"ii'pä.uit ele-même 3 unu-àir"i-
matricielle'
mande des années som6ter, fait le guet devant le domicile
àr, ""jlio]lit':l
"u,r"hu-"" tiu", autant du, ,u-rll
La mère
du narrateur, l,empêche de sortir de chez lui, I'agresse verba-
sionniste"ii"-""¿q"";;:?ilïti!ï:ilTr"r'#iiå""äïåî'j
Guignor' et ses écrats ïu.¡",r* urif.T","",
lement jusqu'au moment où, perdant son flegme, il la repousse la sorcière: sur fond archaTque a,x vociférations de
violemment. Derrière les traits de Ia délirante, ceux de la invente ainsi ouelq"u tigr.ã
¿ã'turrur., d,enfance, I écrivain
mère; Ie récit suivant, [Jn Pedigree, énoncera sur Ie mode du irreaì*"'q" ra malédiction
nelte. La libre äppropriaîion mater-
procès-verbal le sentiment de détestation éprouvé pour cette tiques et littéraires permet ainsi
àì_-"àäir", à ta fois pry"hãnuty_
i"--"; un récit antérieur, Voyage de noces, avait déjà institué deïettre en-formå1;;"g",
ta,psvché et de fijurer áäì
sur un mode romanesque Ie procès de la mère, en I'attribuant rîlf:r^":
qur prennent-d" I'asoect rrvpotrrèses identiraires
de scèñes roman€sques. Ailleurs,
à un personnage autre, sur un mode impersonneì, donc en le la figure ædipienne que r'écrivain c,est
N

l
tenanlt à distance: < Plus tard, quand il crevait de faim et de montrant qu,il n,est pai nécessairu
marm¿ne en iconociaste,
froid dans un collège des Alpes, la seule chose qu'elle avait pour souhaiter tuer son père,
d,ãt.u amoureux de sa
mère
voire que le patricide peut
cru bon de lui envoyer' c'était une chemise de soie > (Voyage
I

t ion n er com me u fonc_


I
n dérivati f d ;;ili;id ri d ;;-är";;drþ*",
de noces, @ Éditions Gallimard L990, collection Folio 1991, l'interpolation de rettres échangées
p.71). Dans le deuxième récit des Inconnues,le changement ànt.u ru père et re f's-à ra
majorité de ce derniu. p.u"J
u"aìã", äu.¿""î eprrr"r"ir"ì
ã,identité sexuelle (une personnage-narratrice), la variante s'achève sur la victoire ä"
riir,'*,]Jå"i justeise sa peauq",
apportée au scénario familial (une jeune fille, interne dans la troquant contre un destinãú.r"åi". ¿" en
,rï trirtu pensionnat des Alpes, vénère un père inconnu)' le figure ædipienne d"r, ¿", ¡o;h;;;;; ¡" même inveråe-t-'ra
d"
déplacemãnt final (elle tue ielui qui tentait de Ia suborner) met en scène une siruati* q.,,o.r_pu*r;i ""i;i;;;;;;ä;;",
cryptent une situation semblable (l'internat et ses vicissitudes) de Laïos: le père tente de Ë"u, õ;;Ëi"'åå'*:,.,
fã fif, en le précipitant sous
etïne douleur similaire (Ia jeune fille n'est pas aimée d'une une rame de métro. La tentative
de mãurt"u ai fiir.p;;-i;
mère qui s'en débarrasse). un Pedigree se charge d'authenti échappe toutefois a ru,i-piu
iuä;;;rychanatytique en ô."
fier ces éléments, du moins en termes de biographie littéraire. à quetque schéma *yir,"l"jiq"" se
Dans Ie cauchemar d'Accident nocturne,l'adulte se bat avec
:?t-1:Tti",
oevorant ses enfants, ici
la vieillarde, Ies deux se retrouvent au poste de police, scène assure aussi le bascureme"i¿u
"";;,Jiìö;;;",
happés pu. t"]uå¡r"rr" ãï _Lìräiä",
ptu' i.rti-"
qui se superpose en une même logique onirique à un épisode rique: une jeunesru,bar"r.tãì"*
,i"î"fn surgit";-pl;'hfi"_
des ténèbres,
,".rrrr"nf dans I'univers de Modiãno, Iié à sa relation problé' sous la pression de la
génér"ri""
matique avec Ie père. Le récit du cauchemar expose-iambi ra momä ,oï-;;ö; prêtan."ìì¿Ti"
valerùe du sentiment éprouvé face à une mère pitoyable que nage commentant lk"""nir. ";-JåiåïîiÏïiå5i:
épisode A" _ãtro George_V >, patrick
150 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances

'151
Modiano écrit: < Qu'un père cherche à tuer son fils ou à s'en traces, comme une charade
de la r
débarrasser me semble tout à fait symptomatique du grand la ieunes_se pàra""l ou un poids te café de
bouleversement des valeurs que nous vivons > (les Boulevatds tier perdu). Le récit ¿¿"Ëfãppî ¡'urr oe la consciencê (euo¡_
-"lr"i,î1jDol"
de ceinturc, @ Éditions Gallimard1972, collection Folio 1978, de guider le personnage précis q,ri,
vers ru ,a"lLTYllir toi.,
p. 154). Le pastiche de discours psychanalytique se poursuit: enroui au ronã a" tui,ìþå;;äî:i:':ji::de quetqu'e
périphériques et d"'";;;iJé;ffi;J' {eseau de circÀ''o*
secret
u Naguère [..] t"t fils tuaient leur père pour se prouver qu'ils
avaient des muscles. [.,.] Nous voilà condamnés, orphelins que ã" tåt.orpäioi. p.u'a forme,
o1.,rt,111u."t.
Èñiii'låii
nous sommes, à poursuivre un fantôme en reconnaissance de ,n àtät dl;;;;it,,i¿P"li",:.ffrsonnase
confronté^ a se trouve
paternité >> (Ibid, p. 154). Il est vrai que I'intrusion sous forme événements vécr
ãe discours direct d'un schéma interprétatif de la relation sonpropre*i"î,;,;ht;",,å:"1ïå*+Litl j:ïff ïå:*:
fiction r"rp*J*t Ià, comme certains ré"cits de
père-fils à I'intérieul d'une scène du roman suffit à contami- une é"i:T'
sans solutio''
cheminemånt vets une vérité
ner de romanesque le sens même de ce discours et lui faire ¿'o'¿tutl9Ïl Ieur
rejoindre la ronde de Ia fiction. Modiano désamorce ainsi les
sembrentvouosàr".,apotruù*-äiä?ïä.ïläff
velléités d'interprétations sauvages en la matière.
nel dont its ignorent ,u å;;;;
Läii q"r prend des a'uràs ïîXîîff :
matédiction (Vi,a
En jouant avec les standards psychanalytiques, I'écrivain ?irtg, A^;;;Å;; d,août, Du ptus toin de
de
I'o ubl i' ve s t i a i re d u I',
!; ;;:öffi
i1
fait d'une pierre deux coups. Tout cliché réducteur écarté, r récits, pru s à ire ctement
celui d'une psychologie à deux sous comme d'une psycha- marqués par ra ieuness"e "fo'd" r'é*i""ì;,
"
tée du temps. Lécriture accomprissent ra remon_
nalyse de drugstore, il préserve Ia part de I'émotion susci- t."r"til";äLit, une *uiièru
tée par les drames de la petite enfance (Remise de peine).II fo,,d, à;;f"*;*xquels "rr"iurrs,
.1ffi f,î::,1îï.,n certaines Jtua_
évitõ de ramener la personnalité intime à un ordre de carac-
posruresd,"xhibiiil;:tîi:ilåqJiäif
téristiques figées, de rationaliser I'inconscient en identifiant
des causes et des effets systématiques, laissant ainsi ouvert
du récit, un récit rtes originer,î.l,ri_ilr,écrit ,"A*,f:1i"ffi
bilité de cerui-ci' c urt depuis l,impåssi-
Ie travail d'analyse mené sur soi. Il propose, en un suspense
en effet les textes. "åtr
ie;t*-" ä: la iationfque tendent
ontologique jamais résolu, différentes variations autour de la part d'une réminiscen"u,
E" té_"i;;;i;;r:;ructure en échos: rout
figureãe l'être décalé. Se cacher/être découvert: Ie jeu de la tend vers un fover rr"r, du, situations passées,
"oñduit
fiótion rejoint ici, dans I'expression d'une vérité intime qui 9^"_*;1*i;Jr"ffi,u",
dale d'une histoire.pervertie ressassés, le scan_
ne s'accommode pas de solutions tranchées mais appelle des a l" rã.,rä, au, p"""r*;;ö",
de familte, rr.r. ro"ùté
approches multiples et des bifurcations, celui que Georges soi comme Livret de
*.1{pì; ääîä¿u_"nts. Des récits de
P"i"", grand amateur manipulateur de psychanalyse, met en des ¡omanr
fynillà,.R";;;';; pei1e, Fèeurs de ruine,
application et formule dans I4 ou Ie souvenir d'enfance. "o*-. .o" ,!composen"t
ou Accident nocturne.se
L;;;;;;;;çons, (Jn cirque posse
situations diffractées dil cåmme un imbroglio de
UN SUJET EN QUÊTE D'ÉNONCIATION situations romanesques
i;-å;;;''L* mo b'es premiers des
sont differ.s ãá.r, .,r, temps
Outre I'imaginaire intime, la composition des récits parti- archai.que
cipe de cette dynamique psychanalytique. L'énonciation ii;"îi,[ì*îil""qes. à r,opacitJãxi,tu.,ú;ii; ä. jäîär,
à ia première personne est celle d'une voix engagée dans "-.p ";äi'; äräi""|;ffJ ï1ilî;,in: *l * :
t,
,rr, du passé' Celui qui s'exprime tente de paroles
de figures qui ont i*A";
t""t"r ïãììä < démarche rente
"ãrrr-"ntaíre
comprendre le sens d'une expérience qui a laissé en lui des somnambule > prêté
à de
t,"" ¿u, irer", ää ¿" si braves garçons
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
152

153
(De si braves garçons, O Éditions Gallimard 1982' collection semblant de jouer _ posent
les éléments
Èolio L98Z p. ã01. 1," natrateut interprète ces événements à des dbnrance u,,tuoi[,iå ff;;l:i:giques d'une scène
processus "'"herypuiu
degrés variãbles selon sa propre implication dans le
de"d¿chiffrement, sans ;amais parvenir à un stade d'élucida- å,î5,TilH,1,îïX#¡Jj:J:i,Iîï*iJr"i.,,,ffi i:ï jå:
tion satisfaisant.
La condensation des souvenirs permet cependant à l'écri- LE PRINCIPE DU DÉPLACEMENT
vain d'exposer certains traits psychiques sous forme de scènes S'il est une catégorie issue de la
types, D'^un même geste littéraire, iI apprend à se connaître "":n,
ei's'invente une idãntité mythique' Dans 'Livret de famille'
r a q u e' e r b c *
",ï;;
qr. _
celle du déplacement,-telle ö ; ilå1" ï*; : {ff: ï,"1î
Ia série d.es nouvelles est traversée de thèmes récurrentsqui
q"àä; Je"r,g.r" p.our Freud

processus primaires de la vle l,un des
posent en soutetrain de la chronique autobiographique un psychique.
glisser'objer du réc* à côré aåläîå"a"reL,énonciation laisse
äertain nombre d'archétypes personnels - Ie déracinement' les temps forts de I'histoire érémenraire. À¡nsi
le sentiment d'apesanteur, la hantise, la figure du père' ;; ;;;;;
I'Occupation, I'esprit de manigance, Ìa confiance rompue'
se condãnsent dÀns d", liu,,;;;;;i;i*i:ï:ïïi:ï:"ii*: i:
scénographie de nomb.urr* ,orrårrïîe
Ici et aìlleurs les récits sont ponctués de scènes absolues' qui d'une opposition entre re construit ainsi autour
accomplissent des événements extrêmes et forment comme åi ia périphéri" ã" ìJî"pi-
tale' les arrondissements du"u.rtr"
paris historique (re
des hyþerboles de l'inconscient. Aux figures du couple
paren- sixième, cerui
de la jeunesse de r'écrivain pãrreä^ã",re
tal disparate et mal aimant s'oppose le couple d'outre-tombe saint-Germain-des-prés) et re's re euai de conti et
^par
formé l'enfant Modiano et son jeune frère' le mort qui XV" ou le XII", le XVIIIi, l" "*äirruments riminaires (le
XX;,;it"és rive droite,
hante i-teuvre, le vivant qui écrit avec Ie syndrome du rescapé' côté de ra seine' la traversée de l,autre
de iouer du fleuve constituant dans'ima-
< Et nous, mon frère et moi, nous faisions semblant ginaire de r'écrivain une étape
quelqu'un vienne nous cher- initiatrque). Les déamburations
dans le jardin en attendant-que des personnages dans ta ville
cher> (Remise de peine, O Éditions du Seuil 1988, collection de la crise qu''s traversent:
f";;;;'d"; r,e*äräî"t";;r",
à défaut de ra nommer, e,es
Points Roman 1996, P. 166)' lient l'errance identitaitu a'unïrË,ìît signi-
se fuil rui-même. De
Lécriture détecte des impressions d'enfance devenues avec même constituent-e'es tur figurä,
le temps des inflexions dela personnalité - un sentiment
de
qui mu.ttiplie tes dõï;;;;ts"=à¡r¿-"iiq"år'ã "î' ".,
déréliction, ici saisi à ia sourcd, Les deux frères sont unis dans '
1i_""îtextuel
espace clos.
de sens à même un
une même situation d'attente, suspendue de toute temporalité' Ainsi, boulevard de.Clichy, Jacqueline_Louki, la
donc élevée au rang de loi psychique' La division des corps héroïne de Dans café d.e Iã j;";;;r" perdue s,écarte
triste
(mon frère/moi) est niée pail,union répétée, encadrante, d'un \
lumières du XVIII" arrondisseá""i-;i des
cre.ses théâtres pour
seul et même sujet (nous/nous): l'écriture fixe ie couple frater- marcher dans l'ombre, du cOt¿
a, iii Jr.o',orrr*_ent. Sa mère
Le
nel, Ie découpe en filigrane du temps, s'en fait le tombeau' lattend sur le terre_plein
corps ,"r."pé devient le substitut du corps défunt' comme n";r*;;tä ¿u..* arrondissements
entre Le Moulin Rouge dr,n.côtå,1;
lñ;" Jules Ferry de l,autre.
dans les autres ouvrages ie récit se fait le tombeau des morts La jeune filte oscille pareillement
e;tre deux modèles de vie
oubliés de la déportãtion, des morts anonymes -des villes' qui lui semblent ésale;ent
t";"i;f;i;;nts,
jeux de cetur des pai'ertes
des morts inconnus du passé. Dans cette scène' les (Le Moutin Rorg*i
d"; ;;i;åî'ir"'ly"¿" ). Fteurs de ruine
la simulation et de ia dlssimulation - les deux frères font et Dans le café ãe la""tri
jeunerr; p;;;;re"xploitent
la géographie
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
'154
155

escarpée du XVIII" arrondissement pour énoncer'


I'un les Le sens circule ainsi par déplacement
à l,intérieur
jeune homme' I'autre les ou entre les différents ouvrages. Le d,un récit
élans et aspirations de l'écrivain pedisree q"i på,ì" rj

pìitio"t ,.ti"iduit", de Louki' La cyclothymie du person-


de la
su1 l_a ,,,pïr."ãu
de son enfance succède a ì,é"o.ãii.
iåiï:å"i::lJåflgi
ñ;; frojette dans le mouvement de I'ascension pru""nur,"o,rli(Ëaris,xvrrr""rr""ã;å'l;îTi"ì".."ïåfåï'i:
Butte Montmartre et celui, rhétorique, de la gradation
des
centtaux du roman' formule déj à employée vingt. a", pf
,éq.,ãrr""t auquel obéit I'un des chapitres ¿ur" ur-u"iJrä""",
elle: partant à l'intérieur d'une qïi "ìrutotae.o.,lu ãïåí"ä'ii"",
I-héroTne se dlssout dans les airs, et le récit avec
_

(même lieu): <le ponton "o,rrr".rãtion ^:;""::"111"^]l


ãe Ia Place de Clichy, elle monte Ia rue Cauiaincourt'
grimpe rr"r-o,rjrr, á"
dans t,aurru. nur* les deux ,tiiiå:r:i:' ;:l:ï:tt,
atteint le sommet de Mont-
;"tq"'a I'allée des Brouillards, haut> qu e I q u e s up p or r r o n g é, s,ap p ""r,
martte, (une rue, un peu plus puis <le bleu,du.ciel
passé corrompu, donc à .,.r" .,rìu menacée
r i qu e
- ã; Jp;;;iö: J"'"ini T",
et le vide >> (Dans Ie café de Ia jeunesse perdue' 'bdrtrons d,effondrement
-(9 puisque son socle même la trahit. Là où
Gallimard 2oo7, p' 94 à 97)' Linscription temporelle de cette lu ä,,r,
géographique'
Pedigree, tournant,la page de sa jeunesse, "ur.áiä.
affirme en fin de
scène est aussi signifiante que sa disposition récit qu'il <prend le large avant que le ponto;;;;;;;il
InséréeàI'intérieutd'unchapitrequiévoquerétrospective- s'écroule , (un pedigree, @ É¿itions carìimarJ ""
ment la ieune femme disparue, elle se lit aussi
comme une 2ó-0;,";11""_
tion Folio 2.q06, p. 126), la narratrice du ,o_"r,
anticipaiion de son suicide par défenestration' Comme mue
Louki, manifeste son désir de <couper les ponts (no'i, ,rriärr,,
par quetque ressott tragique, Ie personnage' plongeant
dans
cafe de la ieunesse perdue, o É¿itionå callimarà
, t"
o t" ¡i"n du ciel r, semblã voué à rejoindre
ce < vide > qui l'atti- Les ponts parisiens, qu,ils enjambent la
iórz o.'bO.
ainsi une scène d'antici- Seine à hauteur du
,uit a"prri, I'ad.olescence, En insérant Louvre ou le cimetière Montmartre à hauteur
clichy, permettent le passage d'une rive à l,autre ì"
¿á pìä"à ¿"
pationã l'intérieur d'une situation de remémoration' I'écrivain de la ville,
Lotr".,l" l'ordre chronologique et neutralise Ie cours du temps'>' comme de la vie de_celui qii 1", emprunte
et des livres de
II vise à rendre compte d'un phénomène dk éternel tetoutdu celui qui les écrit.
-Dans ,n
pedigreä, r" xvttt" arrondisse-
selon l'expression eåployée en quatrième de couverture ment est associé à deux événemenis fondateum du l";ur*"_
roman. nalité de l'écrivain sans que ce lieu parisien
superbe en constitue le
Lexpression a toutefois perdu chez Modiano de sa cadreou qu'il entretienne un .uppori direct
u"u" ã"*.^i".,r"
nietzsähéenne. Elle ne reivoie pas à i'idée d'un
temps des la situation d'énonciation un ¿crivain en
principe - train de travairrer
origines qui se rechargerait et rejaillirait sans cesse' la matière de sa vie dicte semblable àssociation.
- Le passage
et les êttes' d'une
d'éîergieìitaliste q.titru"u"e les saisons à l'âge adulte et la naissance à l,écriture
succèdent à l,évoca_
généraîion à l'autre, dont se souvient également un écrivain tion du dîner place Dancourt. prendre le rarge,
toxique de I'enfance, c,est fuir le centre
r"i, i"^Å"""¿"
ão--" Pascai Quignard dans son allégorie du |adis.(Dernier du
poui glisser au seuil
Royaume)' Léternãt tetour, c'est pour Modiano
passé de la capitale, rejoindre paradoxatuÃ".rtìu p;ir, ili,ì",
le Quartier.latin pour Àllontmartr", "rJi
Jeitu.e dans le présent, qui suscite au mieux des retrouvailles' fi"" áu-trãqïJ;;;,
sais lendemain autre que Ie hasard de nouvelles rencontres
une terre d'accueil. ""
je ."À, "i"åt ans, j,éprouvais un soul'age_
fortuites (Du plus \oin de I'oubli), au pire des résurgences ffltt, Urr"trd passais de la Rirr" gui"ire à la Rive droite'de
d'un ra òerne, en traversant le pont
fortement obsessionnelles (les spectres et les ombres des Arts [...]. Tous les quartiers
corrompre de la Rive gauche n,étaient que ta
passé délétère qui hante I'individu au point d'en de ruine, @ Éditions du seuil
pià"i""u de paris >> (Fleurs
i'intégrité mentále comme dans Vi11a triste)' ,nôrl *fluction points Roman
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
156
157
<trou>
1995, p. BB), <Quelle étrange impression de sortir du
- comme disait mon père I etqui de se retrouver dans l'une de
traverse lentement Paris en
ff Ï:""åiî"å:î1î"î"iî'å'åiäi:lsupportsderarogique
ces voitures au parfum de cuir co n sci ent. À iùt"r
direction de la Rive droite aprèJle couvre-feu' " > (Ibid' p' 112)'
::åifirïi:,J:î,
d
des
rr
" "ti;;;;,.il, ""1i1iå
J,iS iï,;:å:f
descriptiån,ïe,itant. entre ta mesure
í#f
Surrs i. signifier directement, ce déplacement de lieux
et dans
les lieux érrorr." qu'il n'est de dynamique fondatrice de soi correspond,,","*.:å,"ilJËiï,,Jåïîiîî,"iïJ\fî,,r"ffi",;
que par un acte de décentrement' Plus saisissant encore' ce Les subsrantifs
ierdent d" l;;;;;brtun"u : its ftorteni
purräg" dans lequel l'écrivain naïre sa découverte de la réalité ancrage sémantique à la surface
des phras.es. L,écriture
ru.,,
ä", de concentration à I'âge de treize ans' en compagnie un décalage entrå l";.;;;;;ãã,ì_,1" suscite
"J*pt
de son pèr" n Un après-midi de juin, -il faisait très chaud
et un effet de répétition.*ffii p;;;;å;oits", teur emptoi nar¡atif.
' Là' nous étions toute signification stable. À- à détacher le mot de
nous märchions [.. '] boulevard Rochechouart' ä""i ìì;;t'inquiàìãîiå åî.""r"ru
entrés, à I'abri du soleil, dans I'obscurité d'une petite- salle: du roman Dans te. cofé de l;l;;;"r';"
perduesinon
nes pages où il est question à certai_
le Delta > (tJn pedigree,@ Éditions Gallimard 2005, collection dô neige et d'éther tout
Folio2006,p.57).Modianoprécisealorsletitredufilmvu' éléments naturels etìubstancu, - à la f.ois
nåiir"irrogènes _, de blanche _
un < documôntaire, Le Procès de Nurember7, ar cinéma Geor- couleur, drogue, d: pl*;, p;;yme d,un illustre
ges V. ]e découvre à treize ans les images des camps d'exter-
cin dont ra maison "1-
jouxte IhtéLãä ri.""illards, méde_
le roman, qui soigna Nerval. lu évoquée dans
äin"tíor, > (Ibid, p. 57)' Le nom du cinéma le Delta' près de *iãiou,re, comme l,est l,hé_
Pigalle, XVIII" ariondissement, est accolé à celui du docu-
roTne du roman? Des-coupler'd;;;;'ront
être associés sinon de façon i""""räi""te,répétés sans jamais
mãntaire, Le Procès de Nuremberg, vLr au cinéma Georges V' mais il sufíit que
,r, I", Champs-ÉIysées, VIII" arrondissement' Par un effet < blanche > et <
neige >
pour que le merveilleux"lå.;*t
;;; < nuit > et < brouillard
>
de mécanisme assðciatif, Ie lieu où le ieune homme décou- se teinte d,Jpouvant e (Dans
Ie cofé
la jeunesse perdue, oÉaition, de
vre I'existence des camps se déplace du huitième au dix-hui- èäil1,iåra
titres des romans se prêtent eux-mêrnes 2oor, p.6e à z2j. Les
tième, de I'avenue Geoiges-V au boulevard de Rochechouart à plusieurs lectures,
à Louki, l'héroÏne de comme si différents foyers de
- celui même que l'écrivãin fait arpenterIngrid dans Voya7! de
sens ,ulo.r"urrtraient en eux
que chacun renvovait Í'irtoirrrà""orr"ti" et
Dans Ie café åe Ia ieunesse perdu, à a r., degré de recture
quartier de Ia différent, sinon contraire, num¡re
noces et, pär elle, i Dora Bruder, qui habite le
judiciaire dans une- histoire iu peine trouve un écho
Goutte-d'òr, XVIII" arrondissement' Le montage des informa- J" ;;;;"lages suivis de démê_
lés avec Ia jusrice. Mais ce,ii;";;;;;e
tions biographiques procède donc par un effet de télescopage du récit d'enfance: il se aussi les ambiguïtés
indépenãa"i ¿" ta i¿atit¿ de l'événement remémoré: ainsi libération - énoncer u,re ""-p*;;äme la promesse d,une
s'éndncent certains automatismes de la conscience adulte' de sa peine mais aussi
douieu. á,*ià.r"", purger une partie
dans un glissement de lieux trahissant, selon un degré d'in- -
son évocation même _ une
comm" t"iut-urì"u d,un mar anciËn par
tentionnãlité difficilement mesurable, une réelle densité peine .u_iro"ãã.i,t";;"äiäL"
elle l'est dans la corlsclence'
affective. une peine dont la mise est relan-
cée par les mots.
Ces états seconds de la langue constituent pour l,écrivain
LE JEU AVEC LES SIGNIFIANTS une façon d'écrire en phase
outre les modalités énonciatives et les structures de la nalra- 3,yt"
psychique. Dan¡ "y;;l* à;;rés non conscients de
d"; i;;;;'res obscures, cerrains
tion, Patrick Modiano manipule les signes linguistiques' rnots reviennent avec {ue
insistance - r" cåur*u. j;täïsä'ä"
"""ã,
158 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances

159
l'électricité, la neige -, s'entremêIant en un réseau suggestif mots, travaille la langue par
autosur
du travail souterrain de Ia mémoire' Modiano prête au narra-
teur des expressions n'offrant de signification que sensible, l,*"'ïå:îi:iï;åïî;"ïlå',:'üi:iii:'å""1äÏl;î[ì"'å:l;
comme ces < feuillages vert électrique > qui ne renvoient à
aucune réalité matérielle, mais à un processus mental d'ordre - L'écrivain dérivã äinsi'cãrtaines
la psychanalysä et en fait
synesthésique associant des termes en deçà de Ia logique' lu, ete-u,l"Pii.1T:tt majeures de
Dans la lignée des écrivains modernes qui s'intéressent aux
flux de conscience, l'écrivain expérimente une écriture en
prise sur I'inconscient. II joue à même effet des patronymes
i#*'"#:¡'*fu *q¡-ïii;¡¡il$,r,îä";
commentaire des événement, iniimu'
¡o.rflÏ?nnalité un
et toponymes, Les noms qui marquent I'enracinement généa-
logique et géographique sont I'objet, chez un écrivain obsédé iåïl;1"1:'¡¿1,::*';"rr';;:";îi+$9i,iî.',î":'JJ,ïï;
par le motif du nomadisme et la figure du paria, d'un vrai
travail d'appropriation poétique. Enigmes sonores aussi ; ;;iäi : :Ji;å::î'"ï1 9 "' Í y:r "* åii,"å; "
je uness e, r *
enrecharg"ruìãr,"r.rJ";;i;""u:",;"r""Xii_iåHî.:î:"ï,:
séduisantes qu'inquiétantes, ils ne valent que par les images ren-te à une gigantesque
qu'ils suscitent. Ils stimulent I'imaginaire de l'écrivain autant chambrå
se taçonne ainsi uneldentité
ã o"¡or. patrick MoJiuno
qu'ils cryptent I'inconscient de ses personnages. Les noms un texte mouvantli¡1t uf ,,ii.,rurrtu .,r, ..r'ttrå,^ãìq,r*f
des lieux se diluent ainsi hors de toute géographie, comme au ,.rfiort, selon un
nécessairement inachevé...]ieu. processus
lAllée des Brouillards, qui ne conduit plus le natlateur au phiJosophe paul Ricæu"
jusqu,jå" qrru mort s,ensuive.
Le
cæur de Montmartre mais à une tencontre nébuleuse avec i¿ir"rììäu"J'
conscience de soi-qui u""o-pãg"nïieslu ,u.-u dk ipsé*é > ra
son propre avenir (Fleurs de ruine, Dans Ie café de la ieunesse
d'une vie et cr¿e r'ilrustr";lrf;';nrt¿ différentes périodes
perdue). Les noms propres se dissolvent hors de toute iden- au la personnalité,
Seuls des récits oraux ou
tité comme d'obsédants fantômes:ainsi de <Jacqueline Beau- écrits travaillant u'pãr_u.rence
sergent >, nom écrit en lettres capitales dans un chapitre permettent à tout individu la
d'Accident nocturne et qui n'est pas sans faire chaîne avec
TiltÌi: lt"graphique
vorr comme le sujet,de de se conce-
:1 qropre u*i*u.r"u et d,acquérir une
rmage crairemenr identifiåbr"
I'image de Ia sentinelle, récumente dans l'ensemble de l'æu- a" lr,r-cme, qui dépasse
seuls événements vécus
vre. Ainsi de < Fossombronne-la-Forêt >, village associé à cette uttui,rtiïtat de durée inìime. Ies
travait, Modiano en fait"t
femme, dont le < fo > doublement répété en ouverture du nom
reprise de scènes ou de
;-;;i;;ütte.uiru qui appeile ce ta
n'est pas sans évoquer Ia faux, dans cette histoire d'accident _"tu, ãe;ä åipore, dans des ouvra_
potentiellement mortel, tout comme le < -sombr- > fait écho au ges antérieurs mais
dont un
< nocturne > du titre. Ainsi encore du mercure, qui revient, """;;;;;cit complète le sens en
,t,ud;;;i";*"";#""moinsãur,"*""iit,,¿u
associé au goût de I'eau, dans Vesúio ire de I'enfance, un roman åi,a;Jifr,ilff
où les figures de Ia mère se confondent en une même cure, vesqui"""u,,,,"-åiJn'.ili"r,ïî,iï:ï*ï,:l:ï,".1"il,ï:lî
au double sens de souci et de thérapie. L'onomastique est à ments dont ra seure vériìé
ru tiu"iãäilìu rru-ut-.rient
l'écriture littéraire de Patrick Modiano ce que le lapsus est à qui en infléchit Ie sens. littéraire
L,æuvreufiirãu donc une dimension
la langue du parleur ou l'image générée par un mot à celle du simultanément existentielre
et rira"*irì. Le sujet Modiano
rêveur: une manifestation de I'inconscient' Déclinaison se
sémantique, modulation phonique, effets de combinatoire,
tiä:liriff trt1,"å;iï1,îiî,',,,:it,*::l j*,0ãî"å'äî,'r
puissancã du signifiant: I'écriture décoIIe la signification des bée et ãe ta période
troubre
""ierlãrr"ì"riJ;iff:i å:Ti::
160 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances

l6rft
son identité campe de Ia sorte entre un effet de vérité et une elles nbnt jamais brilté
depuis, et t"T
ligne de fiction, selon la célèbre formule de Jacques Lacan' le s fleurs ¿å r-rriu..o.rniers bjÌr

tomb r"r1 :"


tier perdu, @ Éditions càliäüiäLl"li,"'épauresí _d,"", les j ard in s,
"
p. 15a). Début du chapitre,"t;;;,':i,
rq";;:
Écriture et phénoménologie 1orr,lu,"_,i?".Fotio rsaa,

Le succès d'une philosophie se mesure aux échos qu'elle ,H,iïll:"$:'.îj,îi::î:*_tä:i::þi,i::""',î.Tj::f lj:


suscite hors de sa seule sphère. Depuis les premières
décennies du xx" siècle, la phénoménologie a influencé de f : ;:** : *: ffi îjxäi" """,î æn: ry;:
nombreuses figures littéraires du sujet humain, dérivées de trarierse, ";":*:1"",n
-"ii ," "orrscience ur, aeruilfp_rendre ra criäe qu,il
de son ouie, au profit de ses
ses principales écoles philosophiques. La critique anticarté- de ,u p"ur, et les raisolsle yeux,
tivement iãu"ii "r; logique, ou;u"-
sienne de la raison comme fondatrice du sujet (Husserl), la ri
"f
r;;' ;;; r;;'j',.1^i9'"
dynamique des impressions comme mesure de Ia conscience
(Merleau-Ponty), Ia méditation poétique autour des éléments åå";;,il;,'rl,î:"r't""ü",11ä,iå""ilii'i,Í:ï3::îrïÍ"t:
sensibles (Bachelard), l'expérience de Ia nausée comme révé-
uu","o.,ào",,.uiîÌiiå:iï"tuui"ïiJ*"ent,euphá"iq"",îï""¿
latrice de Ia crise existentielle (Sartre): ces différents modèles tã"ãã"tîäi'i¡r' le sentime* o""ti: *lphoriques qìund
"lrut
< bri s e c a re s
s a nt
ne sont pas sans agir dans Ia vision de l'être au monde propre
à Patrick Modiano.
::l L-"
ment dans le silence.. Ìf*#äi
;h,ïJ :.:i,:#
.> (elartier pãrdu, Ibid, p.1SS). iîî:j::
ment impercepribre_ d'utrnòrp'ì"ãr Gtisse_
mélancorie
iigl""qtement re cède à ra
LA SCÈNE PHÉNOMÉNOLOGIQUE "oin-e'c,.r irãïää'ii'ur.u hors re monde.
. Dans Fleurs de ruine "" A;;;d;r;',
o
Liinfluence du modèIe phénoménologique se retrouve dans immanenteãã'ãrsesubstitu';i;,:"r:t"iï"åff-î""xro":.î*
la primauté des détails, la part des couleuts vives, des éclats et une suite de séquenc.es
airp".àt"r',à tout acte d,inierrtio'
roñot"t, des odeurs diffuses, qui constituent une petite signa- psychologique' Dans Livret
,ì"- ¡âÃ"ittu et (Jn pedigree,
létique de la personnalité intime. Leur notation exprime ce perceptions' res émotions,
les.¿""ii;;; immédiates aux événe- res
que le sujet retient du monde avec lequel il entre en contact, ments prévalent: le.récit
de soi
lãs traces sensibles d'une situation qui constituent aussi des procèdent jamais d'un acte "ilããir"o,rrs tenu sur soi ne
marqueurs de soi, < tache tendre de sa robe dans Ie crépus- nant, en situation de vie
d;;fi;"j"n posé comme domi-
ou de
cule n (De si braves garçons, O Éditions Gallimard 1982, feste ouvertement, l" ";;;-"ti"". euand elle se mani_
collection Folio 19BZ p. 104), < paquet rouge de cigarettes >, manque - absence de sens"";;";;;; "üio,r,o..r"s associée
_ ut .rrrrãiaperdition à un
_ effacement
< déclic du sac >, < odeur des Royales - odeur amère, un peu d'un motif. Lãnalvse. de soi
d;üã ìä., d,rrrr" nomenclature
écæurante du tabac blond français u (De si btaves 7aÍçons, d'événements s en sibtes p;-rfji]"[.ii,iJår
Ibid,p.125). Tendresse ou amertume: Ies termes, désignant à d'objets familiers apparemment r", ou d,u n en s embte
désinvestis
n'est donc pas, pouìiMo¿i"rro,-àu""ïïà"iu.r""d,importance. Il
ta foii Ia matérialité perceptible des choses et I'humeur éprou-
vée de I'être, ne distinguent pas la saisie des sensations.du manifeste une ôonsci"""u pure: seule se
singulières etprojetée
i_ptì[.iä'i"r* des expériences
profil psychologique. Le fragment sensoriel tient lieu de nota- du", ;i;;îiårrrru*unt qui la
iion iniimiste e1lã dimension analytique des récits se suffit a elle-même. Fusionnlla, révète
gu f"C"" e-iirO_O.u avec un
d'une telle approche. Fin de chapitre: < Ce soir-là, I'air était sensible' ra conscience
se décou"." p"ii.rt"rmittence.
obier
tiède, les lumières d.es Champs-ÉIysées brillaient comme récurrent du flottement te moiif
désigne *ãlåi¿,"ne conscience
sans
162 Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
'163

substance propre, qu'illustre aussi I'image de ia buée, particu-


Iièrement manifeste dans Rue des boutiques obscures' ,i:,r¿u""ïiï:l'"ï.î;:."1ilJ::î*ll'::l'unecriseexis_
conscience qu aËsen te à eue-mêm;
.:iiii""$ï'å; iff :i,i: J
L'EXPÉRIENCE D'UN DÉSAISISSEMENT
Parce que la scène phénoménologique est celle d'une saisie
äå" iiH'Ïåîåi :"iï t l"l *rur' u -' ull -"'; i;î'';
i
i

sur réag t"au" "


immanãnte de soi, ãlle alterne avec l'expérience inverse ¿u
ma ni resta ri
"", ;;i;,ì;;;; åî,;ï å::ä,rj l-:,'e x i
eres un parrait équ:"i:li
désaisissement. Comme aspiré par Ia suite des sensations cipe d'anéantissement, r'écrivain
ää; ,i;,ïj*:li"iii,:äJ;îål
qu,il éprouve sans avoir la fãculté de les réguler, l'être se fuit suscité par des circonstan""r
,irãrtr" Jãrt pu*
lul-tttOme en un incessant vertige. Juxtaposant des séquences "o--urriìî
mais pu. ,.r,ã
sition de la conscience à ,é";;;; "*i.o-"s äirpo_
laissées en suspend et des épisodes hétérogènes, à charge sensible. Des voix.de passant; dans un environnement
émotive intense mais au sens incertain, le texte se compose square' un dégradé de coureurs
;;à;, conversations dans un
en harmonie avec un état de déperdition identitaire. Lénergie entre
pierres des immeubres et ¿""."ráï.ågesdes arbres et re cier, res
sensible qui anime l'être, la dynamique narrative qui fait l'his- siphonner la conscien"", rui.u artificiers, suffisent à
toire inclut des temps vides - < trous noirs > dans iesquels les dans son environnement [iäitI ,,errupore et se difïuse
pã.ronn"g"s s'"bsoib"nl (Chien de printemps, O Éditions du chromatique et acoustique
Sans conscience de ,ol, l,otru immédiat.
'Seuil
fggã, collection Points Roman 1995, p. 117). Plusieurs de présence volatile, "rï:;;_" ramené à un mode
récits comme Accident nocturne, Fleurs de ruine ott chien des boutiques obscure.l,.nt...l
f"
"";;;ã"^ Jàtãr, rren,ir." ag ce chapitre de.Rue
de printemps en illustrent le principe. Dans le dernier de ces ;u
me traversaient, tantôt rointainås,ru.rto, mais des ondes
récits, I'éciivain prend à Ia lettre deux expressions commu- échos épars qui frottaient prr,, fortes et tous ces
nes, se < perdre dãns la foule > et se < fondre dans le décor >
¿u"r rui.ïå cristatisaient et cétait
moi. > (Rue des boutiques
(C[,¡en dà printemps, O Éditions du Seuil 1993, collection collection Folio 198a, p, na)"br;;*;: @Éditions Gallimard rgzg,
Points Roman 1995, p. 115) de sorte qu'elles énoncent une Cette atomisation, ìi se vit comme une épreuve,
même < perte progressive d'identité > (Ibid, p' 117)' Dans.un aussi parfois présentée"ttá
jardin, lã petsottnage-narrateur commente son propre effa- comme-r,r"-oau de présence est
monde neutre, dans lequef au
cement p* t" biais d'une scène de iéthargie proche d'une ontologiques: le fluirle
," .¿*i"ent les contradictions
,oiiaå, iu"fi*" et le mobile, l,espace
expérienìe de sommeil hypnotique ou d'un exercice d'endor- et le temps, le passé "tìu l" p;¿;;;iìi,
miissement de la conscience. Cette scène, placée dans I'avant- "t
et I'autre, t'être et t^e_1e¡nt. et
"o.p, de tes tieux, l,un
dernier chapitre, est préparée par des séquences antérieures de l'épisode du sorare dans 9lr.;;;;;"ndra Ia sorre la fin
qui décrivent en situation la porosité de I'être, son interdépen-
c¡lien dã')rintemps: < c,était fini.
Je n'étais ptus rien. i;;iil,;;;;;,
d"t"" aux objets et aux lieux, pour peu que ies circonstances jardin en direction d'une Ë å" glirruruis hors de ce
les disposení selon un effet éprouvé comme magnétique: d'un port' À la fermeture des
,i;ìi;;¿ _étro, puis d,une gare et
un cahier retrouvé, donc stimulateur d'émotions, un quai I'imperméable oue je portaisi;;iä
g.iitur,lïì" .urturait de moi que
désert en plein jour, donc vecteur d'anxiété, par exemple'
La (c h ie n d e p ri nie
-Èäï;;;'ä;", å., ¡ortu, sur un banå, ,
qui m;;,'o 1 ee3, co,ection
consciencã est altérée par des influx sensibies absorbent Points Roman rOOå. p, 1.18_1.1_9).
phéno- Cutìu-""it .
ses repères et les contours acquis du monde' Le postulat d'une neutru ri'utiã" de, soi
ménoiogique selon lequel il n'est de conscience que située' se
Le sujet est et n'est nas.(un
à. la roi s
""r;å:Hä:,
n;ur ru.rr,i'moir),
ïl JIJii"ï
saisissant elle-même par I'appréhension d'un certain nombre se glisse), son tempi il est un flux (il
a,."tioJLstî" son espace
"à"ationnel,
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
164
165
sentiment de stagnation,
ambiant un transport (métro, gare, port). S'il se sent êtte, c'est sinon de c-
par cette perméabilité au monde qui lui permet de se fondre marquent, sur fond superposé ces images
d., J::litsement.
ã"ns .rn envitonnement immédiat. r a g u e r r e, l a r
ésisran c ü ffi ; ;,r1"å', ,ii ", i å I î#J
:ï,*i:
Ce qui vaut pour I'être vaut pour le texte: I'idée d'une ".
consciånce de sói éparse dans des ensembles qui I'absorbent se äiliii:iffJi:i""ï,1*X:Lî"idu"ùi;'*o"u;;-o,,"
comprend aussi en termes littéraires' Chaque récit est comme m ai s au ss i
n s ire, i b, o ;;;'
aa
;öä
ir,t"", JrtJ, iÍ:;
aspire par un environnement intertextuel avec lequel il noue tion Folio dans les deux cas).ïåirä_¡1" å:l
des romans"rä;
,rn" t"lätion d'interdépendance décisive. Dans Cåien de prin- ainsi un imaginaire d" lu invente
;ilobi;;.": lequel des variãtions
temps, Patrick Modiano se tient quelque part entre entre le nauséeuses interfèrent avec
ã"r;
Sarire phénoménologue de ,Lo Nausée, confrontant avec effroi m ac abre s
- u n e d éro''"uiioï ä:,*'i:å:,
Antoine Roquentin, ãssis dans un sqì'rare, à l'expérience d'un (La petite Bijou, accideni rfJ ìiï;11îå
n;;r;;;;;: iï
et grotesque _ tes méta_
vertige idenlitaire, et le Rousseau des Rêveries du promeneur morphoses des êtres en créatures
hybrid-es, mixtes d,humains
solitãire éprouvant avec délices la perte de toute conscience et et d'animaux (villa triste,
tiirài a"'tfå^¡ila.
le sentiment d'une fusion dans le corps supérieur d'une natute
amniotique. De récits elliptiques en fictions minimales, de
Réception de l,æuvre
scènes épurées en phrases laconiques, l'écriture met en scène
,u proptã dissémination' mais, pour repre-ndre les images de Face à cette æuvre dont
la limpidité n.a dégale que la
nuà aes boutiques obscures, des ondes et des échos littéraires ticatjon, la critiou.e a mrltiplie sophis_
la traversent avec lesquels elle fait colps et génère ulle æuvle L'un des premierå
t", p.oporitjons de lecture.
substantielle. De Natura rerum: il est du Lucrèce dans < ces
;ournuririå, ã ,u*i, avec enthousiasme
Bernard pivor. ouí écrir à est
échos épars qui flottaient et se cristallisaient> et produisent
t;;;i."rüåaru..,o
rambique a la sótie de La plà""àîi:¿ror'1e, "i"i"uïïåììr,v_
un < c'éiait mõi, o.,, pour Ie moins, d'une vision atomiste du lièrement dans ses ¿misrionsìluér;ñr, puis .inviteìegu-
monde dont le poète l',rn des instigateurs et dont les échos, téléspectateurs qui dé"o";;;;iiiei.t""r" au grand bonheur de
"ìt
diffractés de Montaigne à Pascal Quignard, hantent la littéra- paratysé par le trac
et comme étranglé_pa.,tu
ture, p.op.u pá.11". pivot, bon
seur de la liltérature des fr"*urä, connais-
Chez Modiano le paradigme nauséeux prévauttoutefois, qui avisé des jeux de réécriture ui. à ce titre, tout à t.ait
régit à Ia fois I'exprãssion de la crise existentielle, I'évidence de provocation litté_
"iã-liir"ts to.,tufois
raire auxquers récrivai" u""uiru,ïu"räit
d'üne défection ontoiogique et Ie rapport de répulsion entre- mité parmi ses confrèrur, cu;ì;i;r pas r,unani_
tenu avec l,histoire, L-ouverture de Quartier perdu en concen- des premiers romans. n"-te-oìgrruia
,rîaig.r"nt de ra viorence
tre des indicescirculant aussi, de façon diffuse, dans les autres Lucien en 1974. Si <Le M""d;;:;;råi.ru,,., receptlo n d.e Lacombe
récits: Ia sensorialité déréglée, Ia dimension anxiogène des au film' plusieurs articres, très bon accueil
Iieux et des objets, I'amalgame d'éléments matériels et d'états ¿o"i
numéro de <teune cinéma, ""r.riä" l"un Dermas dans un
phobiques, la fôrmulation par le narrateur de termes psycho- ú;;;;;il, ,¿u¿iå,_,ì-î";';i""
U,la transgression d.un tr¡"rl
iogiq.,äs conventionnels nommant son malaise - angoisse' li:" guerre ne consiste
seconde nioquu, la période de Ja
u"ä"bl"ttt".tt, vacillement - pour tenter d'en comprendre, par- pur u;;i;lìemunt à grorifier
delà les raisons évidentes, i"t profondes' Dimanches roisme des Résistants,
maisä"r"i J aìïquer la face sombrel,hé-
"u,ls"s
différentes occullences d'un la Collaboration. L'cien de
d'aotttconcentre pour sa part les Aerriuni l" ri;r_ type du
n'esr pas voué à t;ir;J;;; collabora_
motif - le marécaþe, la vaie - auquei les autres récits font écho l"l'q{ ;"'."
de façon ponctuelle quand ils énoncent une répulsion - un nur u *r r u"'"",ïti¿,
;J ;;;Ëil,å,ä o x,":1 T:#iff::ï"#
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
166 167

d'e base auraient pu s'iilus-


qui s'éprouve comme foncièrement ar
ce sens, bien des collaborateurs sèule contraction ;;; Ë;;*'i;å'j,11:1,",0* "' à laqueìre ra
comme le montre Ie personnage
trer aussi dans l'autreãu-p' le cas de Lucien' tout est p;;;;sJià* i-e"istique et à ra n",iåiäi;:iffål:il:
principal de Lo n""'a""Aà'í"ii' Du''s lieu d,identité : Les efforts å:il
ologique, de fragilité intellec- < j,ávais
que rouln,is depuis
ãuestion de dénueri"rì"pry"t oui ront de lui un cas ans pour exelcer un métier, donner une cohé¡onô^ : _-trente
iJ;t;;ï i';;;;t';;;å"¿i"*"' 'n"o'äI
exceplion *o"'1".r"''tse' Une
dizaine tâcher de parler et d'écrire une langue tu
-iàí"'pT"rillfJ"i
d'espèce plutôt qo'""" d'être bien sûr de ma nationalité, toute ce^tte
rédaction daterait des années tension se rerâ_
d'années plus taro,îil;;i" une problématique chait brusquement> (c\en de printemps, g Édito"îiir'j"r,
de i'aprè s- guerr e' il;äg;"'ti )"1" "!:rde
o t
référence à sa propre expétl:1"Î
1993, collection Points Roman 1995, p. 1171. fvf6-"
à-"ïU",J Ou
voisine dans un tu"t"qî"i fait et qur régression, même constat d,une identité toujours
de résistant",
Jiu tort"re $ un jeune miiicien À ;;;i;;".,
"orrtroitää Douleut (1985)' Là encore' cettarns même hésitation entre I'attraction des origiíes *, ru
p"rr"lìä
forme l'un des 'é"iä;;t;
que suscitent de teiles situa-
I'atavisme dans Accident nocturne, avec-la ,"è"" à;;;;;ï"_¿u
critiques confondent Ie malaise æuvres littéraires et mar qui met en prise le_personnage-narrateur et une
tions historiques "i'f" t"nt"¡"tiån .d'es d'épouvante au visage de sa mère, pu, ,r, re_cours aux
.rãir.u
exposent ie mécanisme'
cinématogrupttiqrrá' q"i ""
images
les articles de archaïques du gouffre et du monstre : < D.une
À partir a" viiioui";;;";iïo" "*""ote
recourt,à u"ã apptoche à
domi- s'agrippait à mon épaule et, de l,autre, elle tentait de-"i",-if
me g.iff",
fu
certains critiques, i; ;;;;; la nostalgie' romans au vi,sage. ]e voulais me dégager, mais elle pesait vraimeit
très
nante psychologiõ"'- écrivain,d^e au charme désuet - et à lourd >> (Accident nocturne, O Éditions Gailimard zoos, p. ã+;.
pas¡é
empreints d'atmosihères du Ainsi Le sens allégorique de la scène s'énonce arors <Je såntais
tJpìa" -' la petite musique'
une appréciation ;i'**t* p9" à peu revenir les terreurs de mon enfance > -(Ibi'd, p. 64) _
I'idée- d'une littérature romanes-
est implicitement u"tt¿Ait¿" selon un mécanisme d'élucidation progressif _ ,.Depui, pì.,,
ies traditions et tourné la
page de
que qui aurait un de trente ans, j'avais fait en sorte que ma vie soit auJsi oråorr-
'"";;ä;;;c
lã modernité' Patrick Modiano
en serait Ia parfaite icône'
née qu'un parc à la française > (Ibid, p. 64) _ et une conclusion
enfin récon-
gendre idéal pour i; i;;lib
des Belles-Lettres
du roman classique' Plus qui s'impose: < Trente ans d'efforts. Et tout cela pour qu,une
ciliée autour o"';;i";î;^¿ï;;"il"t saisit pourtant'la part méduse m'attende une nuit dans la rue et
les récits ," "'t""jáä"ì' -i"""
I'on
(Ibid, p.64-65). -e ,a.,te dessus... >
I'expressio" ã't"t" mélancolie
de douleur i"ti-;;;;-åton*
sans objet fixe' Plus se cteuse
aussi la puissance d'un scan- . -sensible aux jeux de miroir et aux effets de réfraction propres
à la bibliothèque, la critique universitaire s'est pour sa
f'ubl"t porteuses 'd'un
daie historiq"" qti" iå"t-ãu"nt $9s on apprécie mieux' emparée du cas Modiano dès le milieu des années soixaite-
þart
sentiment ¿" "'ili"uùiirtã^
i"à.prable' dix, quand bien même son succès grand public semble avoir
aussi, le ieu *";d';;;;ì;
ä;;ùi;héritage du-roman classi- parfois joué en sa défaveur, r'ait significatif : là où les æuvres
Entre une pulsion
que et ¿" tu *oã""'it¿ expérimentale' fait de la ques- de Pascal Quignard, Sylvie Germãin, Jean Echenoz, Annie
cl'ertance ,t o¿li'ã'""'u"î""*ent' l'écrivain Ernaux, Pierre Michon appellent depuis les dernières années
"" au point de Ia dépla-
tion des otigi""' i"" áu '"' leitmotivs' au trar- du xx" siècle ce genre de rencont.ur, il fallut attendre I'année
aux modèles littéraires et
cer dans son rapport même 2008 pour que des colloques universitaires fussent consacrés
Iangue française^qu'il malmène
tement de Ia larig;à - """
avec jubilation d-ans ses
premie".iu"t"L' affine avec obsti- en France à celle de Modiano dont les débuts sont pourtant
antérieurs à la leur (colloque de Lyon 2, organisé par Claude
ies:;;""",;complit dans l,'un et I'autre cas'
nation dans Burgelin et Pierre-Yves Roche; colloque deÞaris t^0, organisé
elle est la garante d'une personnalité
Question d'u "'itii"''
-f
Lire Patrick Modiano Dialogues et résonances
168
'169

par Anne-Yvonne Julien). L"æuvre résiste, il est vrai, aux tenta- Aucune entrée critique prise
isolément De
iives de catégorisation appelées par l'histoire et la théorie litté- compte d'une ¿årrt"*
9,"-::11" arraisonner. pour
De.rr^* r^
î-""m.,hir^ pour ruurerois
raires. Faute de pouvoir la situer dans une filiation unique, alsement -^---'.sc t^r^-
êrre sa
t" auirão-'-u¡ru
qu'elle relève du classicisme ou de Ia modernité, les antholo- ""f d,
gies la classent volontiers parmi les inclassables. cela consti-
'rñ,';äns ra rigure dépr:":î,:ii":::l;"iåii:
frr" ,"tt doute Ie meilleur hommage qu'on puisse lui rendre iÏå'Xf ;1 iîiî
:f "
.' q u e' u n e t ; i:
"' r " " ll *1,"f
et, assurément, un symptôme de sa singularité. Elle s'y trouve
"m:
en compagnie illustre, quoi qu'éclectique: ainsi voisine-t-elle
avec les õrrrrr", de l,tichel lournier et Émile Ajar/Romain
Gary dans la première histoire littéraire qui, en pionnrère, lui
une présentation conséquente, le chapitre < Supplé-
"onãu.t"
ment: L968-1979 > composé par )acques Lecarme et Bruno
Vercier dans le tome < Littérature xx" siècle > du Lagarde et
Michard (1979). De même, si I'on se reporte au panorama litté-
raire que Bruno Vercier propose en L996, elle voisine avec les
æurrrei de Jean-Marie Gustave Le Clézio et Georges Perec. Ces
écritures sont présentées comme classiques mais iibres par
rapport aux traditions, joueuses dans Ie rapport qu'elles insti-
tuãnt avec I'histoire de la littérature tout en se montrant ambi-
tieuses dans leur propos.
Quant aux multiples études critiques de l'æuvre, dont on
trouvera une sélection en annexe' elles empruntent parfois
une perspective structuraliste, souvent un prisme herméneu-
tique. Ceitaines analyses s'intéressent à I'application de procé-
dures formelles qui produisent du texte et de la fiction en
mode organique, loin de toute reconstitution psychoréaliste
d'un milieu d'rrne époque donnés' D'auttes mettent en relief
I'importance"fde I'intertexte dans une écriture opportuniste,
qui þastiche différents modèles pour faire entendre une voix
hantée par celle des autres, cherche à les dominer
"o-rn"
mais se laisse altérer par eux, répercutant dans cette énoncia-
tion un trouble Iié à la question de l'identité. Les partis pris
i
critiques les plus fréquents relèvent toutefois d'une herméneu-
tique à dimension hlstorique qui interprète non sans -talent
I'æuvre dans son rapport à1'Occupation (Baptiste Roux) ou la
Shoah (Myriam Ruãniewski-Dahan), et à dimension philoso-
phique, qr.i pot" la question du sujet, de ses défections, de ses
ientatives de refondation (Daniel Parrochia).
-f

Conclusion

patrick Modiano
.est l,un des rares écrivains français
:ül;;ii :iîJli' i,äï: X ;,t'::i au, ib"a riu ;;;î'"I "n,"à i

,T : J li åï;ll î:ï
ù# m:l;¿ n;-' ï Tx:'"î:ï " - ; ;auteur.que
îï
instituiion,
"
iä-nr""t d,honneu.r. ¡:r1T":; res
t'ét o i t e t rerusã a p.u_iÁ,ã l;;d;".;å""i
es

vitåìJå;e,
bien
ii::r:fff
Íf ,

#ll'¿m*Jîï'";l ""-i;ä, ii.å*,, r"


r i" a ä J,::,:Ë ",jtr Ífl", ï,fff
préside",ïï
alors lAcadémie ï
ö C"""à"ìì,"en îi Xl ",
; iil\l
buer le grand prix national 1996, il se voit attri_
des f",ìrà, et lAcadémie
lui fait vainement savoir q"'"rr"'iåräit franÇaise
Immortel. Cette unanimité volontiers de ,ul un
s,exfiiir" par I,aisance apparente
d'une æuvre sobre dans ,on
ressorts de sa composition,
e"iiirämars complexe dans les
les rouages des référen""r
t", .o,r".iu, ¿" ,ãîl_"Ëîrrïrru,
Modiano sarisfair
iìi¿;i;;;"" resqueiles eue joue.
charme subtii de ses
_oÀlìïäänd
liî histoires
là public, sensibíe au
Ouun3r"
n age s i n dé c i s, ui
jeux intertextuels
*i
qrr,,r' r r-T:: ili*: ;ff"T"ïîî;
" ""."'pr"
a'u*peri*ã"]'i5rä"'es.
"t
ces publics se retrouverri L,un et l,autre de
du.r, fu
et orientée de I'hist "iri"r, à la fois tourmentée
cedernieril;;iJi:":,:ifi i,i::iiîiî¡åi;""::"ll;Xl;
la fois en variant res.
effets à-"îpiirri"-et de distanciation.
place le lecteur en situation-.ãää;; Ir
réception de son æuvre calquant de la sorte la
sur l,objet au ü"tio., privilégié
affectionne. L,histoire qu,elle
a", ,"_åJ, ,1"ffu"" aussi vitã des
-l
Lire Patrick Modiano Conclu sio n
172
173

en effet un rapport habité par res ombres des morts dont


esprits qu'elie les séduit' Lécrivain institue _ et son æuvre la sépulture. il se fait l,intercesseur
ellipses' qui place le Habité p:r.ll autre temps,
souterrain au sens, tout en échos et en n'a de passé que le nom puisque ses qui
après coup
i""t;;; ;; état d'oubii partiel et suscitemême $e.s,gné.no-
ordre' à défaut rle façon sous-jacente dans lã préient, le r
J.rou. agissent enõore
de
mènes d'amnésie ut-ãu"Ornuttence du rarrateur écrit depuis
Mais simultané- sentiment á,.,rr" icrentité fantôme. le
iã -O-" proportion, qt" "urr* qu'il.raconte' En malmenant la fiction puis en la décantant,
ment, Ies romans -å,ì""t "t '"è"u la
situation iittéraire elle- l,æuvre de
construisant Ie Patrick Modiano atteste de sa puissance
même, par Ie biais d'un personnage-natrateur et la revivifie. sur
un plan esthétique, ra fiction ,"ièrru d'.,r gunru
du récit
sens de l'histoire qu'il a vécue "iit't"ttog"9"t.9"1Yi et de éprouvée pour peu qu'on en assimile res
Jr" pìärir"r,e
figuré de I'écrivain
qu'il compose' Cette ¿o"¡tt"" de Ia modère, JãJ""u
celle du lecteur ,rrfiit u áiablir une diJance
entre ia lettre clu les codes: ie roman. Þiltr¿e d'r., or.rr."g;
;ì,""ö "i
iå äJúur"
romanesque tend à produire des récits allégoriquer.
récit et son sens.
de l'æuvre'
f"".ìU;",
gravite autour de la question des identitésä""trurieur,îrr"-"r
Lénonciation est le siège de l'évidence trompeuse de modèles cultureli qui constitueraient
et témoignage' le
Hésitant entre fiction "it¿"it de soi' æuvre de,
Certains ouvrages comme en peine de référents intimes qui offriraiu.ri "udr"r'riuït*r,
texte met en jeu son propre statut littéraire' contours stabres. par là.même l usage de ra fictio" d",
à la première personne dans ãepálì" r",
se présenterrt
"o*-"'áui 'o-u"' un"re la fiction dans un seuls enjeux de la créationesthétiq;, par le
i"rq.,"f, la voix centrale, ceile qui voix, atopique' la fiction vise à exprimer la réariié impalpable
détour aär" tu¡ru,
esDace narratif homogène, est parasitée
par une
de lTmaginaire et res états non conscients mais -urr-Jà"irirru
;i'Ïî#;il;;;;;;i; différent' tls v reioignent les érémentai-
"'p"* de ceux qui suivent r,es de la vie psychique. En eile se nouent
les ressorts irrii-",
i;,å; äãiJpï¡irãs et prépärent Ia-placeI'ensemble des récits d'une personnalité et ceux, historiques, d'une
qu'il englãbe
- ;tp";;'"irtuel "rr. "åluailieu" ro"iete t".ì.,âe"
q"'à leur transversale' Tous par des phénomènes de refoulemeni et de résurgen;;.
sans jamais être tracé une æuvre le devient quand eile incite à la coñsci".r""
üd;r",
ces textes racontent une histoire par
défaut' avec ses nceuds ãã
I'oubli' I'Occupation' Ia déterminations entrecroisées autant qu'eile en
de thèmes ,"rrurrã' - la mémoire et divertit."u,
la culpabilité-- et lui suffit pour cela de les transposer dãns les to.-ur-àlr.ruIr
famille et les groupes, Ia ieunesse' I'illicite' langue et les_figures d,un imaginaire qui se cultivent
ses dispositior., ,å,ipt"'áI"' - I'art
du moindre trait et de Ia comme
énoncés' Ia répé- art pauvre, donc comme vision
constructior, ¿rruri,,Ë, la fragmentation des "o-plu*" de soi ,rrãrr¿u.
"., rimité
le sens clu < J'avais lu que le hasard
tition de termes itãûfe*"tiques' I'effet de liste' Dans d'autres de rencontres > affirme le
ne produit qu^'un nombre assez
-personrräg"_rrurru
ä;i;il matériel, f interpolatioì de do,cuments' d'emblée comme nocturne avant de souligner combien les < mêmes
le.tr d,Accident
o.rrrr"g"r, la premièr"'pu"ottt* s'affirme la ou < les mêmes visages reviennent, et l,on dirait fu"
situations >
propre altération^sous frãgå;"t,
autobiographique mais expose sa
de verre coloriés deskaléidoscopes, avec ce jeu
de spectres' Spectres de _ñi, l,,i
fotÀ", pîtyptto"iq"e, d'une-voix habitée donle I'illusion que les combinãirorm peuvent varier jusqu,à
de lettres, *urqtå par ses lectutes' celui
qui écrit est
"gP-t I'infini-> puis de conclure, laconiquement: < Mais elles
tatoué d'empreintã"ìo""1"', tonales' stylistiques'.symboliques sont
;; p-;;uï"" ¿" ses prédéc"""tt"' ombies des Hussards pt,Tl:t limitées, le,s çsm6lraisons. > (Accident nocturne, @
(Dons Ie café de Editions Gallimard 20o3, p. 29).
(La Place de t'¿to¡lã) át' A"t situationnistes
(Rue des boutiques
n"¡à"ï"ti" perdu"j, esprits de.ProustSpectres de.vie:.clans
obscures)ou de S#;""ti (lJn Pedigree)'
la tradition au r" Jli¿tui"'u o"Jttitiste; celui
qui écrit est
-1

Repères biographiques

1945 : Naissance à Boulogne_Billancourt le 30 juillet. Fils


dAlbert Modiano, d'origìne itarienne, issu d'úne aîné
installée en Égypte, et de "Luisa fam'le iurve
Colpu;,-;;tri; ;ü* ä; i;iJ;
Son deuxième prénom est "r.
fean, p.årro.., n:,Li n**
narrateur de Vestiaíre de I'enfaÀce "*;;;åi"r"_
trsaé), iuär, vo.uiã,"i"" ¿",
récits dans resquers r'écrivain joue le plu, avác
tu p.utiq.,ã'a"ìä,rto-
fiction.

ttÍí¿*å:r"nce de son frère Rudy. La famiile vit à paris au 1b quai

1949-1950: Les deux frères vivent à Biarritz. patrick


baptisé en septembre 19b0. Ses parents sont
Modiano est
absents.

1952-1'g5s: Les deux frères vivent à


louy-en-Josas chez une amie de ra
mère.

1953-1's56: Retour à paris. patrick Modiano


fait sa scorarité à r,écore
primaire de la Rue du pont_de_Lodi.

:
1957: Mort de Rudy.
I

1956-1960: Pensionnaire à l'école de MontceÌ (Jouy_en_Josas).


Dernière
L année, première fugue: ne rejoint pas l,internat.
I
il 1960-1962; Pensionnaire dans un internat
I
de Haute-savoie, re coilège
I Saint-Joseph à Thônes.
I

r,l

1962-1966: Passe son hacç¿l¿-¡réat au lycée


il d,A.nnecy, s,inscrit en
hypokhâgne au lycée Henri-IV a faris, pìis en
fäculté de Lettres à
la Sorbonne.
-t

176 Lire Patrick Modiano Repères biographiques

177

1965-1970: Écrit d.es textes de chanson dont Hughes de Courson


signe les titres : La polka des grosses
dames,
les musiques. Françoise Hardy enregistre plusieurs d'entre elles,
dont Ie .étèb." Etonner-moi Benoît, où la muse des yéyés met à
l'épreuve d'une voix languide un prétendant-trop sage: <Etonnez-
g,l,#*i:i6il*i*ä+11,,.",,*f ru*i*F,*ffi
måi, Benoît/Coupez vos oireilles/Mãngez des abeilles/Etonnez-moi
>.

Autres titres: So^n Salvador, le fais dãs puzzles, À cloche-pied sut la


Grande Muraille de Chine' 1983: Sortie du film [Jne
leuness" d" y^or,h3 Mizrahi, adapté
roman de l,écrivain, coauteur Au du
r.¿nu.io et des dialo€uur, ui intu._
1968: Publie son premier roman' La Place de I'étoile' Succès immé- prété par /acques Dutronc, c'".lur arn"vour, Michaeil Lonsdare.
diat.
IOBB: publie en coo¡31ation.avec
Sempé un livre de littérature pour
1970: Mariage avec Dominique Zehrfuss' Témoins: Raymond Queneau
äJ,Tüü; äîï#å": ".
c ertaines ;iti;ì"", d", _ ñ;;;;. ;L""",
et André i4alraux. Écrirá trois ouvrages en coopération avec son
(1986)' Une
épouse, graphiste et styliste : (Jne Aventure de Choura
f'ianc¿áþoir Choura (r"SAZ), deux albums rle bande dessinée dont il 1990: pa¡ticipe re 6 novembre à r'émission
.o-por" lu texte et qui mettent en scène un labrador aux yeux bleus' animée par Frédéric Mitterrand. de térévisio n cinémas
ããfrãþ""t au spleen domestique par la.puissance de ses rêves et Ia
Iiberié de son imagination ; ZB paiadis,livre dans lequel,_à chacune 1994: Publie le 2 novembî:
ães vingt_huit miniatures d.e l,artiste illustrant sa vision du
paradis, tü, leOõ;;
<Avec Klarsfeld, contre l,oublir.
quotidrcn Libération un texte,
1978 l,écrivain entretient
pleine ãe fauves et d'animaux magiques, correspond un poème de une correspondance régu I ière_ av-ec serge rl".rtuld,-q.,ì
de précieux documentã lors de ïii;;ï;_"
I'écrivain. l"-*áläion de Dora Bruderet cite
lettres de l'¿crivain"J""r ¿" Mémoriat
1974: Sortie du film de Louis Malle, Lacombe Lucien, dont il a écrit ,i:;"#*:de des enfants
Ies dialogues.
"plO"" d. théâtre, La polka, iouée en mai au théâtre clu 1995 : Écrit le scénario
É".it d'un téréfirm diffusé sur Arte, < Le
""" dans une mise en scène de Jacques Mauclair' avec entre
Gymnasá, Gascogne >. Firs de
uúttu, comédiens Hélène Duc' Le spectacle, dont le personnage
principal, inspiré du Docteur Petiot, se suicide a:ugaz' hanté par ses 1996: Obtient le grand prix national
des Lettres pour l,ensemble de
nombreuses vlctimes, connaît un franc insuccès' son æuvle.
Naissance de sa première fille, Zina.
2000: Membre du jury du festivar
de cinéma de cannes.
le
197b: Écrit le scénario d'un épisode de la série télévisée Madame
principãle est inter.prétée par Simone Écrit le scénario d?.!?"_voyage,film
iuge d.ont l'héroine ftC"o- 20OB:
de /ean-paul Rappeneau
."i. t Opiroae est réálisé pãr Nadine Trintignant et interprété par déroulant pendant Ia débâcle. se
plusieürs acteurs dont philippe Léotard, Nadine Trintignant et Publie avec Gérard Garouste un ouvrage
de collection tiré à
Luisa Colpen, sa mère' 160 exemptaires, Dieu prend_it
so¡n disLã"yrr C" lì;;;'ã;;;t,îà"t
Mort du père, qu'il n'a pas revu depuis de nombreuses années' les droits d,auteur sont versés à
une æuvìe caritative, se présente
sous la forme de deux cahierr, t;;;
Garouste et une fi,iiupor".rt des lettrines de
1978: Prix Goncourt pour Rue des boutiques obscures' nouvere ¿" rr¿"áiu"o, íä;ì;" des rithographies dans
Naissance de sa seconde fille, Marie' lesquelles textes et images s,entremêÌent.

Lg7g: sort un disque, Fonds de tiroir L967, contenant neuf chansons 20o5,: Fait
partie des cent écrivains qui,
interprétées par Hr.ghes de courson et trois instrumentaux. Parmi Volodine, Sophie Calte, Franç"1;-ã";, avec Le clézio, Antoi'e
;;manuet Carrère, Annie
-t

178 Lire Patrick Modiano

Ernaux, Éric Chevillard, )ean-Philippe Toussaint, William Boyd


écrivent chacun un bref texte de soutien à Florence Aubenas, otage Bibliographie
française détenue en Irak' Le recueil est publié par le Comité de
soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun sous le titre Cenf
jours sans.

2006: Signe la pétition <Ne censurez pas-l'ceuvre de Peter Handke>'


publiéõ dans tre Monde à l'instigation d'Anne Weber, elle conteste
la déprogrammation par l'administrateur.de la Comédie-Française
d'une piËce de l'écrivãin autrichien, qui s'était rendu aux obsèques
de slobodan Milosevic. Parmi les autres signataires, Pierre Michon, La prace de r'éto,e, roman,Éditions
Elfriede Jelinek, Pierre Nizon, Luc Bondy, Bulle Ogier' Peter Handke Gatimard, 1968. Nouvere édition
a traduii en allemand [-Ine leunesse eI La Petite Bijou de Patrick ,Lorevue.et corrigée en 1995. (Folio, 698).
ñonde de nuit, rom.on, Éditions
Modiano, Iequel lui a dédié Du plus \oin de I'oubli' Galíimard, j969 (Folio,835).
Leffilevards de ceinture,.r;;", Ëåiìiäns Galtima ñ,, tsz2(Folio,
2007: Avec cinquante personnalités, écrit en décembre, dans le Maga- Lacombe Lucien, scénario en
zine Elle,.rtr lll"rrug-" de soutien à Ingrid Betancourt, otage franco-
coraboration avec Louis Mare,
Gattimard, 1e74. Le fitm Éditions
colombienne des Farc' en bonus une rectrrre par"1n1.y 9i nîö, a.r" Video, 200b. il inctut
pairick Modiario
d'un texte dans requer ir
son travail aveì Louis Malle.
Z0OB: Édition du /ournol d'Hélène Berr, jeune fille juive morte en _-g¡zoque
vilta triste, roman,É¿itior,,
déportation. Patrick Modiano en écrit la préface' Emmanuel Berl, interrogafor¡e
Culüil, 1e7b (Folio, 9b3).
interview, préface
suivi de tl jait allon.s au cimetière,
mard, 1s26. Nouvelte -oaitíot d; p;;;i;i Modiano,Éditions Galli_
2t"p.2ytface
-beau

L iv ret d e fa mj11e, Éditions


.""";;;;;;i igée en 2007,
catuma.a",.ìäiä ir,otio, r, nrl.
boutiques obscures, roman,Éditions
"i:í;): Gailimard, lezB (Fotio,
Une leunesse, roman,,Édiji?:r_
Gallimard, 1981 (Folio, 1629; Folio
plus, S, dossier et notes réalisés
pu. frl"iËanne Macé).
,iW;: Lane, en coltaboratio; il; ;i;.;e Le_ran, Éditions por,
De si braves g,aryons, t7\an,Éditions
Gallimard, 1982 (Folio, 1811).
o"rT{uni btonde, en co,aborãti;;
;;;.-Ëiui.u r"_r"r,, Éditions pôr,
Quartier perdu, roman,Edrji:",, Gallimard,
Dimanches d'août, roman,Éditions 1984 (Folio, 1942).
Une Aventure de Choura,
Cãiii*ì.a, 1eB6 (Folio, 2042),
(<< Albums .Illustrati;;;'ä" Dominique Zehrfuss,
-_ /eunesse >), n¿iti"", êãTii-åialìnu
Une Fiancée pour Chouro,. Illustrãìlånrìu u.
loml.rique Zehrfuss,
* k< Albums /eunesse >), n¿iiio"ì cìrrì-äralìnur.
Aemjse de peine,Éditio¡s du seuil,
iéäu rËåirra, Roman, 367).
"rl"!:í::"rf;rr.titude'IlIustrationsì;ï;;;,cauimarã,isäe(F,olio
Vestiaire de I'enfance, romon,Éditions
Gallimard, 1989 (Folio, 2258).
1

Lrre Patrick Modiano Bibliog raph ie


181
180

1990 (Folio' 2330)' pour la mention d'un personnage qui s'allonge dans'ne pièce
de noces, roman'Éditions G-aìlimard' vide
Vovage
it io n s Hoëbecke' 1e e0'
sur un lit de camp (Du ptus loin de I'oubli).
;".'";:+;; ¡ ;;rr", pnot oeìuph ies d e Bra ssai' Éd
< rì.octeur weitz >>, publié dans re Monde,lô
;i ;:", : "o::;; ;;;,' ñá rii;;; il se ui I' 1se 1 (Poin I1ee2
s Rom a n' 1 62)'
(Folio' 262B)' d'un chapitre de De si braves garçons.
septembr e 1929, éba'che

un cirque posse' ro^oï,Èaiiio"t-c"rlima¡^d' (Points Roman' iu)'^^^ < La Seine >, publié dans lo Nouvelle Revue
Française,341, Gallimard,
Chien de printemps,Eäìii""t du
Seuil' 1993
1ee6 (Folio' 3005)' 1981' Première ébauche d'un chapitre de De si braves gaLrçons (t982)
Gallimard'
Du plus loin de 1'"rbli:;;;;"' n¿ltiã"t avec Catherine Deneuve'
lequel constitue une version minìaturisée de La peütí a¡iou
rzoorl,
ElJe s'appelait Françoisi, en collaboration < LAngle mort >, roman policier collectif
publié pu, f,nren"À"nl du
Canal + Éditions, 19s6' Teudi durant l'été 1991. B écrivains rédigent un chapitre. Duns l,or-
(Folio, 3181l i a c c o mp a sn e me nt
D;;;';; ;;;,Èà-i i""' äãtt i*u. a, 1e e 7,la.pa,t"ticipation de Marc-Henri dre: Frédéric Dann, Daniel Bour,nNcEn, patrick Mãu¿¡ro, Michel
critique pat Bruno ;;;;;; l.:9c Iu pat Didier Sondre GRrsolla, Régis Dunnav, lean-Marc RoenRrs, Jean VaurRrN, Didier
Ar[eux'La Bibliothãq"å ô"fli*ard" 1'44"
DanrrlrNcrx. Livre publié au Mercure de France, 1991.
';:;";;;;s"; p,' Ë"å"'iqui o'igi","te de Morie-leonne sétéro'
"c < Villes du sommeil >, publié dans Epaves et
É c outez lire >)' débris sur la plage,album
ï;;;; ; t å; s*pni q" " i É t is ab e t h o h at' 19ee<
(Folio' 3 408)' de_Pierre I,'-T1N, qui y dessine re vietnam de sa jeunàssã et de
sa
D e s inco nnu"r,, o^o i,"Étãli;;t
Gallimard' mémoire' sur fond de paysage urbain désert, l'écrivain imagine un
(Folio' 3766; Lu par
La Petite Biiou, romaÅ, ?ãiii""t
Gaìlimard' 2001
de Patúck Liegebel. homme poursuivi par une police secrète à r'identité poritrquË incer-
va¿érie Karsenty "t"liå^ii¡ens. Réalisation taine,
Musique originale ai'ãlitl" Aboulket'
co""iptio" graphique d'ÉIi' < Les chiens de la rue du soleil >, pubÌié dans l'ouvrage collectif signé
sabeth Cohat, < Écoutez lire >)' par neuf écrivains, dont J-M. G. Lu clnzro, Tahar Bnñ;nlr.ouN et E'rik
p' anc'e' 2OO2 Le Petit Mercure >)'
(<<
Ephéméride, tutu,""tu*d" oRsrruNR, dans .Roconf e-moi la vie. Neuf contes pour lutter contre
Accident noctume,t;;;;, Èãiúns
Gaìlimard' 2003 (Folio' 3766)' sida, Disney Hachette Éditions, 1994. Une rru.rio., des contes enre_
le
'ù""" avec Gérard Garouste'
pr:;; i ii ioin a" t^ l*if t r en collaboration gistrée par des comédiens est simuÌtanément éditée.
Mercure de France, 2003' <Aux jours anciens>, publié dans le mensuel 811e, juillet 1998. Le
(Folio' 4377)'
u;';;di;;"L eirti""á Gallimard'á 2005 ns de deuxième récit des Inconnues en reprend le texte, légèrement modi-
;; ;"; ;':
;;; ;;
r" ù l" I o
" - i " i qu e Z eh r f u s s' É d i t i o fié.
l'olivier' 2005' "u "' "tiã" <Mon grand-père est né,..), texte sans titre publié dans un ouvrage
t'oman' Éditions Gallimard' zooz'
Dans Ie café de }a ieunesse perdue' que Marie Mooraruo consacre à sa généalogie. Accessible sur www
themodianos.gr.
< Ephéméride >, première version du récit ainsi intituré, lequel sera
Autres textes publiés par Patrick Modiano' à son tour repris et amplifié dans un pedigree. publiée dans
¿e
ñäi iñcrúi íahó st bibliographie officielle Monde,30 juin 2001.
< t5 Quai conti > récit publié comme un avant-propos
aux Nouvelles
peu exemplai¡es de François VnRNnr, Éditions TirZsias, 2002.
RÉclrs enrrs Texte sur l'ceuvre de Pierre Le-Tan publié dans re cataÌogue de l,ex-
Galli
< Courrier du cceur >, publié dans Les Cahiers du chemin' 20' position Pierre L¡-Taru (Madrid, 19 février-3 mai 20Oai Ediciones
Aldeasa, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, 2004.
tifii;iltti;blié dans Nouvelle Revue Française' 307' Gallimard'
La
" 'isl8.'ÉU*ched'un chapitre de De si braves eorÇons'
23 décembre
( 1 rue Lord Byron '' oJ;ii;'å;;* l" Ño"'ul oË'"'ïorcu'' PnÉrncrs/posTFAcES
différents' dont Claude
1978, numéro propoä"i"';;;i"t
d'écrivains
Certains person- Préface au Livre blanc de Jean cocrnau, Éditions de Messine, 1983.
Rnr¡ etl)aniel Boulanger. autour du thème de Noël' Préface à Poris de ma jeunesse de pierre L¡-TaN, Aubier, 1988.
l
I I Ï:å.i iï:i* il;il ;ii;:;'e¿uit une adresse < proression-
la nouvelle' apparaîtront dans
Préface à cinq nouvelles de Marcel AvvrÉ, Gallimard, 1989,
nelle > à l'endroit dolnant'son titre à Postface à lusqu'au bout du hasard dAnna KaRlru¡, Grasset, 1998.
L

I
cì'autreslivres,dontDesibravesgarçonsel(JnPedigree'Dememe'
I
-t

Lire Patrick Modiano Bibliographie


182
183

livre de photographies de Jean-Marie Dnl,rnysRn Annie, portraitsde ],artiste


préface à Mes années 60, Mrdi;;",ldiììä", r,u".-attan, 2003. dans I'rnuvre de patrick
PrRnieR, FiliPPacchi, r9o9' Fr,ow¡R John (sous la direction dei¡, t
Préface à Automne a nirlin de foseph Rors' La Quinzaine Littéraire- p".,ì, po¿lru atrick
cnu"rNcs et mythe aon, l,nrr#11'::.',Rodopi, 2007.
Louis Vuitton' 2000.
Préface à Po¡is et 1a photogtaphie de
Virginie CsRnuru' Éditions far
"SS
deau a u'n o Ãã a u, Miia.ã LULLTEù
ilii;;Jü::^ :: ::': :* M o d i a n o. Le
rvruuernes' 2000 (( Situation,
r;.
Parigramme' 2003. Guyor-B¡NlnR Martine, Mémoire en dériv,
pøi""îa La Malice des anges de Claude MRnlas' Éditions du Rocher' *
t, a m b i g u ï t é n l o t, ¡ t M o d i a n o. r ; ï:! iT::?: "r ";f;',t,
2005.
préface à se¡ons-nou s vivantes le 2 janviet 1950? de Françoise V¡Rtttv'
temps, Minard "
Lettres " i
Modernes, 199s (< A."h;;'ä;, åz;,tr_
îT..u,
Modernes, 276 >).
Grasset, 2005' Hu¡sroru pénélope Anne et NETTELBECK
Préface lournal d'Hélène Bnnn, Éditions Tallandier, 2ooB colin wilriam, patrick
att Modiano, pièces d'identité: écrire
Minard Lettres
-Modernes, 19B6 ft<Archives des Lettres tvto¿"rrrår,'z;;;1.'" ""'
',entre_.temp.ç,
LnunENr.Thie*y, L'rnuvre de patrick Modiano: une autoficfion, pres-
ARrtclrs ses Universitaires de Lyon, 1g97.
Gracq pubtié dans Q.ui.vive? MoRRrs Alen, paf¡jck Modiano, Rodopi,
<Pour Julien Gracq>, article sur Julien
-Ãio'u, 2000.
de luliei Grocq (Corti, 19Bs)' Cet ouvrage collectif inclut PRRRocHra Daniel, on.torogie fantôme: essoi su¡ r'æuvre
de patrick
é'gñ;";i áes contribuiiàttt a" Maurice BraNcsor' Hubert Harrar' Modiano, Encre marin., issô.
A"ndré -P ieyre on M ¡,NIIRRGUES, P as c al QutcNnnl' Roux Baptiste, Frgu,r-e_s de Ì'occupation dans
l,ceuvre de patrick
ãå, ¿toit"t >, article publié dlll ¿u Nouvel observateut'
-'
Å;;;;; Modío no, Éd irions I'Ha rmarran. résìl
"
1l au' 17 décembre ztio¡, presentant l'album Mes stars de Willy
"t Filipacchi' 2.093'. -
Ruzrurnwsxr-DRHRl Myriam, Romanciers de
" la shoah, si |écho de leur
Rrzzo et Jean-Pierre ns LucovlcH, Éditions voix faiblit, É¿itio.rã l,Harmattan, iésl.
go"'-n"fants article sur Gérard de Nerval et
Càtã.d, i" lu ..t" d", >'
"
frt du
fiircs publié d'ans Le Monde' 2 juillet 2004'
feu,
OuvnRe¡s eoRTANT suR LA LITTÉRATURE FRANÇAIsE
DEPUIS LES ANNÉES 1968
CoRnrsporuonrucr
dans Le Mémotial
Kt"tnsrrll BL¿¡¡crEn¿airl Bruno:
*ì"t à Serge Ktarsfeld, citées par Serge
Lettres
Shoah en France' Les Récits indécidables: lean Echenoz, Hervé Guibert, pascal
juifs de Ft'ance,quatrième tome de La -Quignard, Presses universitaires du septent¡ion, 2000 (réédiiion:
""¡áiå
1994. 2008),
à Thierry Laurent, incluse dans l'essai de
Thierry LRunsNr'
Lettre
"-i;nuiru
de pairick tutiaiono, une autofictjon, Presses Universitaires rut Fic.tlgns singulières (étude du roman
:Prétexte français contenporain),
éditeur, zOO2 béédition: 2004).
de Lyon, 1,997' BLRwcxErr,rRru Bruno (sous la direction dej
Le. Roman français aujourd'hui: transformotions, perceptions,
-my.thologies (en colraboration avec leán-christopire rr¿iüãirr,
Références critiques (selection) Prétexte éditeur, 2004,
-,Le.Roman français au tournant du vingt et unième sièc1e (en
0uvnne¡s suR L'oEUVRE DE PATRIcK MootRtilo collaboration avec Aline Mura-Bruner et Mãrc Dambre), presses'de
ì

I'histoite avec Patrick ia Sorbonne Nouvelle, 2004.


AvNt Ora, D'un passé l'autrc: aux poúes de BoucriaRt Thierry, GutcuaR¡ Thierry, Rlcor,lnr
Modiano,Éditiont l'Harmattan, 1997' Marie_pierre, SERoN
I

du Rocher' 1999' lean-François (sous la direction)i Rencontres de chédigny lsso.


ìi B¿.nRor Olivier, Pages pour Modiano' Éditiont La
(Crin' contemporaine, Centre Régional"di Livre,
B;;;. luLt, patrñk Modiano, Rodopi' 1ee3. 26)'
-Littérature française
I

1,957.
stt^""Ñ"a ia, Patrick Modiano,Texiuel-Culturesfrance Ina'
I
2008'
ì
Lire Patrick Modiano Bibliographie
184 185

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Dominiqtr e: Le Roman français co.ntempolain' une thèse ne suffirait pas à res recenser. on se limitera à dix
d'auiourd'hui: essai sur la litté- d,entre
"-;;i;;; Pierre: La Littéiaíure irançaise
BRuN¡r,
du xxo sièc,e, Vuibert, 1ee7. eux qui marquent, outre reur intérêt spécifique et par la ai"urrrtã
f;r;ç;aise dans to ,eloni" moitié Seuil' lggB' leur provenance, l'intérêt général ,.,róité par Ì'æuvre.
¿"
Funrnn iaurént: Le Roman français contemporain' Assouurun Pierre, < Modiano, lieux de mémåire r, Lire, 126,
des années 1970' Presses "i",
mai 1990.
løiJ lturi"-Anne : Le Ro'man ftançais Bo_uRNow Sylvain, < tJn pedigree de patrick fvfo¿iutrol,
Universitaires de Rennes, 19S5'
Inrockuptibles, 62O, 1.5 at 22 oclobre 2005.
PnÉvosrClaudeetLnsRuNJean-Claude NouveauxterritoircslomInes- BturlcouRr André, <Rue des Boutiques obscures >,
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VIaRr Dominique; VlncrrR Bruno: EzrNr /ean-Louis, < sur la lettre: patrick Modiano ou re passé
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2ooB). GRRcTN Jérome, Le Nouvel Observateur, entretien avec l,auteur,
Vtnnr Dominique (sous la direction de) : 2 octobre 2003.
Ecritures ,ont"^p-oin"', 'olu^e t' mémoires du récit' Minard LnNcoN.Philippe, Libération, dossier Emmanuel Berl, <Berl rare>,
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contempotaines, volume n' Etats du roman contempo- L¡slruN lean-Claude, L'Humanité, <Un temps siígulier>, 16 octobre
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SavlcNnRrr Josyane, Le Monde, portrait-conversation, 30luin
MoolRltlo 2001.
Anrtclrs suR PATRIcK
PARUS DANS DES OUVRAGES COLLECTIFS

BLRNcrsN4aN Bruno, < Patrick Modiano, à corps perdu(s),> dans Ewrrsslorus DE TÉLÉvtstoN
de fean-
Portraits de I'écrivain contemporain' sous la direction Vallon' < Patrick Modiano >, film dAntoine de Gaudemar et paule Zajdermann,
Rog"'-V"es Roche' Éditions Champ
François Louette collection < Écrivains de toujours >, dirigée par Bernard näpp, ,r. áa,
2003.
"i
1996.
Douzou Catherine, <<Dora Brudet>, Protée' 2008' <Patrick Modiano: je me souviens de tout>, entretien avec
boutiqu-es obscures de Bernard
Gournr Alain, < les Lieux du moi dans .Rue des Pivot, Arte, 2007,
Le moi et ses espaces' sous Ia direction rle
Patrick Modiano >, dans
Gascoigne, Presses Universitaires de Caen'
1997'
barrid
lo"u lãã"-Cfurlã", nrypi"ltO modianienne,de Quorfier perdu> dans Srr¡ lrurenrurr
Berne, Peter Lang, 1990'
publications universitaires européennes,
P¡emieÍs tomans < Le Réseau Modiano, un site pour lire entre res rignes de patrick
L¡cRntrr Jacques, < 1968, La Place de l'étoi-I.e> dans Modiano >. Concepteur: DeniJ Cosnard,
'1945-2003,sous la airätiot' d'e Marie-Odile André et fohan Faerber'
< Au Temps, Dictionnaire patrick Modiano >, par Bernard Obadia.
Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2005'
autofiction-
I.tz Tersv. <Dévoiler etTou deguiser, À propos des récits
ïJir;,;;;É;;li;", de sõi: secrets et réticences, sous l¡ direc- DVD
tion de Marie ii'fig"J-Offugnier et Bertrand Degott' Éditions
L'Harmattan ' 2OO3. LACOMBE LUCIEN, Arte video, 200b. Inclut en bonus une recture
Mrcunr-Ollagnier Marie, < Métamorphoses d'un
mythe
" Y"149ltf"'
par Patrick Modiano d'un texte dans lequel il évoque son travaiì
dans Chien ptintemps>' dans Annales litté- avec Louis Malle et ce que représente re film lors de sa sortie.
de Patrick Modiano d'e
l
raircs de Besançon,628, Les Belles-lettres' 1997'
Index des æuvres
de Patrick Modiano citées

Accident nocturne,.J.B, 84, 45, L'J.9 -1.20,'1,23 _.1.25, 127 _13 4,


47, 52-53, 55, 70, g0, B2_g3, 140,147
86,96,98-99, L0L-102, Du plus loin de I'oubli,1.z, zz,
105-106, 109-109, 1..1.L, 1,26, 37, 45,52_53,58_59, g0, 86,
1.39, 1,45, 1.47_148,151, 15g, 96, gB, 'Loo, 1,24, 1"51, 154
L6'J,-1,62, 1.65, 1,67, 17 3 Elle s'appelait Françoise, 38,
Chien de printemps,IT,22, 81,, 44, 54, 73, 90,90, 101
43, 53, 55, 93, gg_gg, 11,2, Fleurs de ruine, Lg-1,9,22,45,
114, 11,6, L1.9, 162_164, 167 45, 53, 72_73,75,91, 90_92,
Dans Ie café de la jeunesse 96, 98-99, 101_102, 110,
perdue,6, 1T-'J.g, B5-BT, 48, 118_119, 124, 126,
11.4-1'1,6,
52, 55-56, 70,78,94, 96-97, 128, 139-140, 142, 1.45, 1,47,
100,126, 1.39_1,40, 1.47, 1,5L, 151, 153, 155, 158, 161_162
'J.53-1,58, 1.72
Lacombe Lucien, 7,'1.2, Sg, 72,
I
De si braves garçons,22, 102, 135,138, 165
24-25, 40, 45_48,52, 60,70, Livret de
81, 93, gg, 111, 1-L3, 1,51,_152,
famille,6-7, \B-1,g,
22, 26,37-39, 4.J., 43_44, 47,
160, 165 53, 58, 67, 70, 73, 79,81, g0,
Des inconnues, 42, 46, 53,78, 94, 96, gg-gg, 1O2, 119_1,20,
9Z 99-101, 112_L1,3, 124, 1.25, 1,39, 151_152,161, 165
147-148 Memory Lane,46, b2, 56, bg,
Dimanches d'aottt, 18, 34, 36, 69-70, 75, 94-96, 108, 111
45, 52, 55, 67_70, 75, 7 7_7 g, Paris Tendresse, 31.,54, gg,
80-81, 92, 95, 98, 108_110, 108-109, 120
'1"16, 119, 145, 151, 164 Petite Bijou (La), Jz,47,52-53,
Dora Bruder, 1,6-LT, ZO-28,2g, 55, 75, 77-79, 93, gg, 101,
36, 40, 44,53,55, 58, 72_73, 106, 112, 11.8,126,1.39, .J.45,
90, 97-99, 107 -108, 114-117, 'J.47, 1,65
188
Lire Patrick Modiano

Place de I'étoile (L0),7, g-1o' 105-106, 124, 1.26,142, L45,


l4-1-ô, 20, 52-53, 57-58, 151. Table des matières
60-61, 63-64, 7 1, 97, 10],-102' Un Pedigree, 5, 16, 2'L-22,26'
L23, 130, 1.38, 147, '165, 41.-44, 46-47,49, 53, 55' 57'
171-172 62, 66, 70-7 2, 74, 77-7 B' BO,
Poupée blonde, 70, 77, 95,'L24, 82-83, 86, 90, 93, 97-99, 102,
139 109, 113-115, \17, 119,',J'24,
Quartier Perdu, 22-23, 40, 42, 139, 143, 1.47 -149, 155-156,
48, 52, 55, 68, 71, 73-74, BO' L6'1,172
82, 86,92, 94-96,99, 109, [Jne Aventure de Choura,54 Introduction
113, 118-119 ,126, 146, 1'51, une Fiancée de Choura,54 5

L61,,164 [Jne leunesse, 32-34, 37, 46, 52, Chapitre 1. Contexte et enjeux
Remise de Peine, 40,44,47' 58, 69, 72-75, 77, 80, 92-59' I
Noissonce d'un trublion
49, 53, 57, 70,81", 91, 98-99, 113,120, L40, L47,155
I
L'année 68
106, 150-1,52, 157 I
Vestiaire de I'enfance, 1L, 22, Hier plutôt que demain
Ronde de nuit (La),1.2,14-15, 43-44, 48, 52, 58, 67, 69, 73, Le contemporain décalé d'une modernité radicale
10
44, 52,56, 58, 60, 64, 66, 72, 13
77, BO,83, 86, 90, 99, 1-31, Les avant-gardes textualistes 13
95, \47,166 Le surréalisme
L40,142,151,158 15
Rue des boutiques obscu-
ViLla triste,15-16, '18, 20,31' L'héritier détaché d'une modernité expérimentale 19
res, 26, 35, 37, 44-45' 47' Le jeu spéculaire
33-35, 52-53, 55, 58, 68-69' 22
49, 58-59, 76,81,83, 93, La suspension dLr sens de Ia fiction
8L, 94,96, 100, 1o2, 1O8, ac
99, 101-102, 104, L08, L10, Une écriture pénélopéenne
1.!O, 1L6,'1,21.,'1"24, 139-140, 26
116, 1,21, 1,24, 142, 147, 157' Un contemporain capital
146-1.47, 151., 1.54, 165 -166 ¿o
162-163, 165, 171-172 Lécriture minimale
'tJn
Cirque plsse, 5, 22, 34, 37, Voyage de noces, 20, 55-56, 72' 2S
L'autofiction : l'année'1,972 ; lapartition autofictionnelle
44-45, 47-48, 55, 70, 72-73' 75, 93,96, 100, 114, 1.17, 124' 3B

79-80, 82, 86, 94-95, 99, 102, L27, L48,'1.56


Chapitre 2. Territoires et trajets 51
Périodes et cycles de I'rnuvre 52
Ligne historique: une mémoire occupée,
une écriture résistante 54
Omniprésence du passé 54
Arrêt sur ouvrages : La Place de I'étoile
et La Ronde de nnit 60
Ligne existentielle: figures du mal-être 6B
Une mise en situation: la fuite et sa scénographie 6B
Une topique: l'adolescence et ses motifs 71,
Un état singulier: Ie désaisissement 74
A¡rêt sur ouvrage : Vestiaire de I'enfance OJ
Ligne ontologiqtte: des identités en crise o/
Éléments pour une contextualisation culturelle
190
Lire Patrick Modiano

Décomposition des modèles privés et des référents


90
collectifs (famille, Eroupe, còuple, institutions' société)
100
Une ontoÌogie du vide: l'être en perdition
Arrêt sur ouvrages : Rue des boutiques obscures'
1,02
Un Cirque pcrsse et Accident noctutne
107
Ligne éthique: l'éctiture contrc l'oubli
108
États seconds de la mémoire
118
I-iécrivain scribe
123
Ijécrivain PsYchoPomPe
L27
Arrêt sur ouvrage i Dora Bruder
135
Chapitre 3. Dialogues et résonances
135
Préambule
137
Littératurc et histoire
137
Casuistique de I'histoire
140
Le témoin Paradoxal
L44
Ecriture et P sYchanalYse conception
L45 réalisation
Archétypes d'une ceuvre m'rse en page
150
Un sujet en quête d'énonciation
L53
Le princiPe du déPlacement 44405 Aèzé cedex
156
Le ieu avec les signifiants
160
Ecriture et PhénoménoÌogie
160
La scène Phénoménologique
1,62
L-expérience d'un désaisissement
165
Réception de I'reuvre

1,7L
Conclusion
1,75
Repères biograPhiques
L79
Bibliographie
187
IndexãeJ æuvres de Patrick Modiano citées

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