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Droit de

REVUE LAMY

l’immatériel
Le droit en datas : comment l’intelligence
artificielle redessine le monde juridique
Partie I : La dictature des algorithmes ou
l’intelligence artificielle à la source du droit
Par Boris BARRAUD

– Droit voisin : la presse réplique à Google Par Lionel COSTES


– Les salaires de la peur ou le retour à l’ordre des directeurs de collection Par Pierre NOUAL
– La qualification de responsable conjoint de traitement appliquée à l’utilisation d’un module de
partage sur un réseau social : quelle effectivité pour la protection des données personnelles ?
Par Guillaume BUSSEUIL
– Distribution de la presse
Apports de la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de
la presse Par Emmanuel DERIEUX
– Les pirates sont des personnes concernées comme les autres - Le RGPD à l’abordage !
Par Claude-Étienne ARMINGAUD et Violaine SELOSSE
– Le darkweb, un terrain cybercriminel d’investigation Par Myriam QUÉMÉNER

164 MENSUEL
NOVEMBRE 2019
La référence en matière
de droit de l’immatériel
Droit de
REVUE LAMY

l’immatériel
La lutte contre les fausses informations
sur internet : un jeu de lois  Tous les mois, restez informé des dernières
Par Boris BARRAUD

– L’acheteur peut aussi supporter la charge du droit de suite : retour sur une tragi-comédie
évolutions du droit de l’immatériel et leurs
juridique en cinq actes Par Pierre NOUAL
– Conformité logicielle – Licence Management Par Sophie HADDAD et Antoine CASANOVA conséquences pratiques :
– Haine sur internet : quelles nouvelles préconisations ? Par Myriam QUÉMÉNER

- sur les créations immatérielles (droit commun,


– Le soutien partiel de la Cour de Strasbourg à ceux qui professent la protection et le respect
des droits de l’Homme Par Walter JEAN-BAPTISTE
– La consécration de l’exploitation de l’image des sportifs par les sociétés sportives

propriété littéraire et artistique, propriété


au titre de l’exécution d’un contrat de droit à l’image : une opportunité à saisir pour les clubs
professionnels Par Smaïn GUENNAD
– Du « régime commun » au « cadre normatif minimal » : retour sur la supranationalité
du texte de l’OAPI sur la propriété littéraire et artistique Par Laurier Yvon NGOMBÉ
– La convergence numérique des données personnelles : le temps et l’espace au cœur des
problématiques juridiques liées à l’innovation numérique.
intellectuelle)
L’exemple du principe de la Privacy by design (I) Par Orianne THIBOUT

- sur les activités de l’immatériel (audiovisuel,


154 MENSUEL
DÉCEMBRE 2018 presse, édition, musique, publicité, informatique,
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travers d’études, réflexions croisées, illustrations,
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Éditorial

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Lionel COSTES
Docteur en droit
Rédacteur en chef
Directeur de collection
Lamy Droit de l’Immatériel

Droit voisin : la presse réplique à Google »

L
a presse française a précisé sa riposte face à Google. L’Al- à ses questions ( ). La loi n'impose pas une rémunération pour
liance de la presse d’information générale (APIG) a annoncé, l'affichage de liens, et les éditeurs de presse Européens tirent
le 24 octobre dernier, le dépôt de plaintes auprès de l’Auto- déjà une valeur significative des 8 milliards de visites qu'ils re-
rité de la concurrence pour dénoncer un abus de position domi- çoivent chaque mois des internautes qui font des requêtes sur
nante du leader mondial de la recherche en ligne. Google ».
Elle espère forcer Google à négocier le droit voisin instauré par la La bataille est aussi politique d’autant que le débat intègre désor-
loi du 24 juillet 2019 qui leur donne la possibilité de s’accorder sur mais un deuxième protagoniste avec Facebook. L’entreprise de Mark
une rémunération pour la reprise d’extraits de leurs articles  ; ce Zuckerberg a ainsi annoncé qu’elle ne comptait pas plus que Google
que Google a refusé.
payer pour le droit voisin au motif suivant « les dispositions de cette
Elle a ainsi demandé à l’Autorité de la concurrence de prendre des « loi prévoient notamment l'autorisation des éditeurs de presse pour af-
mesures conservatoires » : ordonner à Google de proposer une offre ficher, dans un format enrichi, les liens vers leurs contenus. C'est déjà
tarifaire pour la reprise des contenus, désigner un expert de l’Auto- le cas sur Facebook. Les éditeurs de presse décident, en effet, de la
rité sous l’égide duquel la négociation se mènera, fixer un délai de publication de leurs contenus sur notre plate-forme ».
négociation de trois mois et imposer que le prix s’applique de façon
rétroactive à partir du 24 octobre, date d’entrée en vigueur de la loi. Quid pour les articles que les utilisateurs de Facebook partagent
sur le réseau social ?
Les plaintes sont déposées par l’APIG et ses membres, les syn-
dicats de la presse quotidienne nationale, quotidienne régionale, Ceux-ci ne représentent qu’une « très petite part des contenus »
magazine ou hebdomadaire régionale. L’Agence France-Presse a de presse vus sur Facebook, a assuré l’entreprise pour qui « si les
déposé un recours similaire. France Télévisions, Radio France et éditeurs souhaitent que les liens publiés par les utilisateurs s'af-
M6 soutiennent la démarche. fichent dans un format enrichi sur Facebook, ils auront la possibilité
de nous donner leur accord ».
Ce combat est soutenu, au niveau de l’Europe, par l’ENPA (Eu-
ropean Newspaper Publishers Association) et, au niveau mondial, Facebook semblait cependant se distinguer de Google pour les
par la WAN-IFRA (World Association of Newspapers and News éditeurs de presse dans la mesure où il a annoncé un nouvel onglet
Publishers). réservé aux contenus de médias de qualité qui seront rémunérés
« Google nous a laissé le choix entre la peste et le choléra », a par la plate-forme.
justifié Jean-Michel Baylet, président de l’APIG. En effet, l’entre- Si cette initiative est réservée aux Etats-Unis, il a dit « engager des
prise américaine a refusé la logique du droit voisin en annonçant, discussions avec les éditeurs français ». « Cela revient au principe
le 25 septembre, qu’elle cesserait d’utiliser des extraits d’articles
de payer pour du contenu. L'attitude de Facebook est différente
– les quelques lignes de texte citant le contenu ainsi que les pho-
de celle de Google », a estimé Marc Feuillée, directeur général
tos – sur le moteur de recherche et sur Google Actualités. Elle ne
du Figaro » et ce, tout en mettant en garde : « le partenariat de
laisserait qu’un titre et un lien à moins que les éditeurs lui donnent
l’autorisation de les afficher gratuitement. Facebook aux Etats-Unis exclut certains éditeurs et il ne vaut pas
mise en conformité avec le droit voisin. Nous sommes ouverts à la
Les éditeurs de l’APIG ont répondu qu’ils ne pouvaient pas « s'am- discussion, mais il y a une loi ».
puter eux-mêmes » d’une part des clics apportés par Google, plus
nombreux quand les extraits sont enrichis et lui, ont donc deman- On rappellera que ce «  droit voisin  » a été créé par la directive
dé de ne rien enlever, et ce tout en faisant savoir qu’ils « ne renon- européenne du 17 avril 2019.
çaient en rien » à leur droit voisin.
Il doit permettre aux éditeurs de presse de négocier avec les
De son côté, Google a rappelé ses arguments, affirmant se tenir géants du numérique une rémunération en contrepartie de la réu-
« à la disposition de l'autorité de la concurrence pour répondre tilisation de leurs contenus sur le Web.

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I3


1http://lamyline.lamy.fr

La France est donc le premier membre de l’Union européeenne à Dans ce combat, les éditeurs de presse comptent sur la mobilisa-
avoir transposé ce texte avec la loi n° 20196-775 du 24 juillet 2019 tion des autorités. Une tribune signée par plus de 900 profession-
qui est entrée en vigueur le 24 septembre dernier. nels des médias et d’autres personnalités européennes les a appe-
lées, le 23 octobre, à une « contre-attaque » les invitant à « muscler
On rappellera également qu’avant même son application effec-
les textes pour que Google ne puisse plus les détourner  » et à
tive, ce droit voisin, déjà objet d’une intense bataille de lobbying
« utiliser tout l’arsenal des mesures qui permettent de lutter contre
auprès des instances européennes, s’est transformé en veritable
l’abus de position dominante » que commet selon eux le groupe
pomme de discorde entre la presse française et l’un des principaux
américain.
groupes concernés, Google.
Ils en appellent également à l’opinion publique, estimant que l’en-
Celui-ci a en effet refusé d’emblée toute négociation avec la
jeu de leur combat, «  c’est la survie de médias indépendants et
presse française en vue d’une rémunération de ses contenus, et,
pluralistes, et in fine la vitalité de notre démocratie ».
pour se mettre en conformité avec la loi française, il a imposé de
nouvelles règles. « Nous ne laisserons pas faire », a d’ores et déjà prévenu le pré-
sident Emmanuel Macron mi-octobre, appelant à renforcer la ré-
Pour les éditeurs de presse, celles-ci constituent un « diktat inaccep-
gulation des plateformes et à accélérer les sanctions lorsqu’elles
table » dans la mesure où les sites d’infos doivent accepter que le
commettent des abus.
moteur de recherche utilise gratuitement des extraits de leurs infos
dans ses résultats. A défaut leurs informations seront référencées dé- Le ministre de la Culture, Franck Riester, a pour sa part rencontré
sormais de manière dégradée par le moteur de recherche dès lors des responsables de Google à New York et entend mobiliser ses
qu’il n’y aura plus qu’un simple titre et un lien. La plupart des éditeurs homologues lors du prochain Conseil des ministres de la Culture
de presse n’ont cependant pas d’autre choix que de s’y soumettre européens qui devait se tenir le 21 novembre à Bruxelles afin d’étu-
pour ne pas perdre une part importante de leurs internautes. dier les leviers à leur disposition pour contrer Google. A suivre… n

4 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


La référence en matière
de droit du numérique

Statut des outils d’ intelligence artificielle,


contrats informatiques, traitement des
données à caractère personnel, droit du
e-commerce…sont autant de problématiques
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Sommaire
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1 ACTUALITÉS

DROIT DES CRÉATIONS IMMATÉRIELLES

„ ÉCLAIRAGES
„ Les salaires de la peur ou le retour à l’ordre des directeurs de collection ................................................ 10
„ Par Pierre NOUAL
„ La qualification de responsable conjoint de traitement appliquée à l’utilisation d’un module de partage
sur un réseau social : quelle effectivité pour la protection des données personnelles ? .......................... 13
„ Par Guillaume BUSSEUIL

„ ACTUALITÉS DU DROIT DES CRÉATIONS IMMATÉRIELLES


„ Action en contrefaçon de droits d’auteur et demande de sursis à statuer formée par le réseau privé
virtuel avocat ......................................................................................................................................................... 18
„ La rémunération de directeurs de collection analysée à tort en droit d’auteur.............................................. 18
„ La marque semi-figurative « vente-privee » annulée pour dépôt frauduleux ................................................. 19

DROIT DES ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL

„ ÉCLAIRAGES
„ Distribution de la presse
„ Apports de la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la
presse.......................................................................................................................................................... 24
„ Par Emmanuel DERIEUX
„ Les pirates sont des personnes concernées comme les autres - Le RGPD à l’abordage !........................ 32
„ Par Claude-Étienne ARMINGAUD

„ ACTUALITÉS DU DROIT DES ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL


„ Dessin humoristique d’une personnalité politique : les limites de la liberté d’expression jugées non
dépassés................................................................................................................................................................ 36
„ Pas de violation du droit à la vie privée de caissières de supermarché espagnoles filmées à leur insu par
des caméras de sécurité ...................................................................................................................................... 37
„ Diffamation : l’action déclarée prescrite à tort................................................................................................... 38
„ Mise en œuvre des critères pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie
privée et le droit à la liberté d’expression .......................................................................................................... 38
„ Diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public : le refus de l’exception de bonne foi
écarté à tort........................................................................................................................................................... 39
„ Délit de diffamation publique raciale caractérisé .............................................................................................. 40
„ Délits de provocation à la haine raciale et d’injures publiques raciales constitués........................................ 40
„ Publicité ciblée sur internet : rejet par le Conseil d’État des recours contre le plan d’action de la CNIL ... 41

1 PERSPECTIVES

ANALYSE

„ Le darkweb, un terrain cybercriminel d’investigation ................................................................................ 45


„ Par Myriam QUÉMÉNER

6 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


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ÉTUDE
„ Le droit en datas : comment l’intelligence artificielle redessine le monde juridique
Partie I : La dictature des algorithmes ou l’intelligence artificielle à la source du droit............................ 49
„ Par Boris BARRAUD

CONSEIL SCIENTIFIQUE
1 Président d’honneur 1 Joëlle FARCHY 1 Yann PADOVA
Jean FOYER (†) Professeur à l’Université Ancien secrétaire génétal de la CNIL
Ancien ministre Paris I Panthéon-Sorbonne Commissaire à la Commission de la Régulation
1 Président 1 Christiane FÉRAL-SCHUHL de l'Energie
Michel VIVANT Ancien Batônnier de Paris 1 Alice PÉZARD
Professeur à Sciences-Po Paris 1 Jean FRAYSSINET Conseiller à la Cour de cassation
1 Lucien RAPP
Professeur à l’Université Paul Cézanne
1 Tristan AZZI Professeur à l’Université de Toulouse
Aix-Marseille Avocat au Barreau de Paris
Professeur à l'Université 1 Christophe GEIGER 1 Thierry REVET
Paris I Panthéon-Sorbonne
Professeur au Centre d'Etudes Internationales de la Professeur à l’Université Paris I
1 Valérie-Laure BENABOU Panthéon-Sorbonne
Propriété Intellectuelle
Professeur à l’Université de Versailles 1 Michel TROMMETTER
1 Alain GIRARDET
Saint-Quentin Chercheur à l’UMR/GAEL de Grenoble
1 Adrien BOUVEL Conseiller à la Cour de cassation
1 Gilles VERCKEN
Maître de conférences à l'Université de Strasbourg 1 Luc GRYNBAUM Avocat au Barreau de Paris
1 Guy CANIVET Professeur à l’Université René Descartes 1 Pierre VÉRON
Membre du Conseil constitutionnel Paris V Avocat au Barreau de Paris
1 Charles de HASS 1 Patrice VIDON
1 Lionel COSTES
Conseil en propriété industrielle
Directeur de la Collection Avocat au Barreau de Paris
1 Bertrand WARUSFEL
1 Christian DERAMBURE 1 Marie-Françoise MARAIS Avocat au Barreau de Paris
Conseil en propriété industrielle Conseiller à la Cour de cassation Professeur à l’Université de Lille II

Directrice de la rédaction : Bernadette Neyrolles Imprimerie : BIALEC


Directeur scientifique: Michel Vivant 23 allée des Grands Pâquis, 54180 Heillecourt
Rédacteur en chef : Lionel Costes (01 85 58 32 89) Origine du papier : Suède - Taux de fibres recyclées : 0%
N° Commission paritaire : 0222 T 86065 Certification : PEFC N°2011-SKM-PEFC-43
Dépôt légal : à parution - N° ISSN : 1772-6646 Eutrophisation : Ptot 0,01 kg / tonne
Èditeur : WOLTERS KLUWER FRANCE Parution mensuelle Cette revue peut être référencée de la manière suivante :
SAS au capital de 75 000 000 € Abonnement annuel : 640,16 € TTC RLDI 2019/164, n° 5588 (année/N° de la revue, n° du commentaire)
Siège social : 14, rue Fructidor - 75814 Paris cedex 17 Prix au numéro : 58,19 € TTC
RCS Paris 480 081 306 Service Clients : contact@wkf.fr
Directeur de la publication/Président Directeur Général
de Wolters Kluwer France : Hubert Chemla
Associé unique : Holding Wolters Kluwer France Internet : http://www.wkf.fr
Actualités | Index
INDEX THÉMATIQUE DES SOURCES COMMENTÉES
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„ DROIT DES CRÉATIONS DONNÉES PERSONNELLES – RGPD – CONTREFA-


IMMATÉRIELLES CON – VIE PRIVÉE
TGI Paris, réf., 2 août 2019 ................................................ 5594
ÉCLAIRAGES

DIRECTEURS DE COLLECTIONS – ARTISTES- LES GRANDS SECTEURS DE L’IMMATÉRIEL


AUTEURS –SÉCURITE SOCIALE
CE, 21 oct. 2019, n° 424779 .............................................. 5588
DROITS FONDAMENTAUx
RÉSEAUX SOCIAUX – DONNÉES PERSONNELLES -
RESPONSABILITÉ DESSIN HUMORISTIQUE – LIBERTÉ D’EXPRESSION
CJUE 29 juill. 2019, aff. C-40/17........................................ 5889 – ATTEINTE (NON)
Cass. ass. plén., 25 oct. 2019 ............................................ 5595

LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE VIDÉOPROTECTION – DROIT A LA VIE PRIVÉE – AT-


TEINTE (NON)
RèGLES GÉNÉRALES CEDH, 17 oct. 2019, n° 1874/13 et 8567/13..................... 5596

DROIT D’AUTEUR - CONTREFACON – DEMANDE PRESSE


DE SURSIS A STATUER – RÉSEAU VIRTUEL AVOCAT
Cass. civ. 2è, 17 oct. 2019, nº 18-19.235 ............................ 5590 ACTION EN DIFFAMATION – PRESCRIPTION (NON)
DROIT D’AUTEUR – DIRECTEURS DE COLLECTION Cass. 1re civ., 10 oct. 2019, n° 18-23.026 ........................... 5597
- RÉMUNUNERATION – AGESSA
Cass. civ. 2è, 10 oct. 2019, n° 18-17.877............................ 5591 DIFFAMATION – DROIT A LA VIE PRIVÉE – LIBERTÉ
D’EXPRESSION
Cass. civ. 1ère, 10 oct. 2019, n° 18-21.871 .......................... 5598
LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE
DIFFMATION – CITOYEN CHARGÉ D’UN MANDAT
MARqUES PUBLIC – BONNE FOI
Cass. crim. 15 oct. 2019, n° 18-83255 ............................... 5599
MARQUE SEMI FIGURATIVE – DEPÔT FRAUDU-
LEUX -ANNULATION DIFFAMATION PUBLIQUE RACIALE – LIBERTÉ
TGI Paris, 3è ch., 1ère sec., 3 oct. 2019 ............................... 5592 D’EXPRESSION
Cass. crim. 15 oct. 2019, n° 18-85.366 .............................. 5600

PROVOCATION A LA HAINE RACIALE – INJURES


„ DROIT DES ACTIVITÉS DE PUBLIQUES RACIALES (OUI)
L’IMMATÉRIEL Cass. crim, 15 oct. 2019, n° 18-85.365 .............................. 5601

ÉCLAIRAGES RÉSEAUx/INTERNET

PRESSE – DISTRIBUTION - NUMÉRIQUE INTERNET – PUBLICITÉ – CNIL


L. n°2019-1063, 18 oct. 2019 ............................................. 5593 CE, 16 oct. 2016, n° 433069 .............................................. 5602

Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit de L’Immatériel

8 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Créations immatérielles
SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DE
Michel Vivant, Professeur à Sciences Po Paris

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L
’OCDE a relancé, le 9 octobre dernier, les négociations sur la taxation des géants du numérique et des multi-
nationales, qui butaient sur des positions divergentes, en présentant une « approche unifiée » afin d’obtenir
un « accord politique » avec les Etats d’ici le mois de juin.
« Nous nous rapprochons de notre but suprême: que toutes les multinationales paient la part qui leur corres-
pond », a affirmé le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria.
On rappellera que la taxation des géants du numérique et des multinationales constitue un enjeu majeur pour
adapter la fiscalité mondiale à la numérisation de l’économie de ces dernières décennies, afin que les Etats puissent
percevoir des taxes même si les groupes ne sont pas physiquement présents sur leur territoire.
Les négociations, qui s’étaient ouvertes au sein de l’OCDE en janvier après plusieurs années d’atermoiements,
étaient à nouveau bloquées par la présence de trois positions divergentes et «  concurrentes  » issues de la
Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de l’Inde.
Face à cette situation, l’OCDE a donc cherché un compromis en présentant sa propre « approche unifiée ».
Pour Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de OCDE, « si le G20 et les
autres pays acceptent de négocier sur cette base, nous pourrions avancer assez vite vers un accord politique ».
Et d’ajouter que « si nous sommes capables de faire en sorte qu’il y ait une vraie négociation, un accord politique
pourrait être conclu, pourquoi pas en janvier, même si ça me paraît trop ambitieux, mais assurément en juin »,
convaincu que « la dynamique est plutôt positive, même si c’est extrêmement compliqué ».
M. Gurria a précisé que « si nous ne parvenons pas à un accord en 2020, cela renforcera le risque que des pays
agissent unilatéralement » faisant ainsi allusion à la France qui a décidé d’imposer les géants du numérique sur
leur chiffre d’affaires dès cette année.
La proposition de l’institution internationale se fonde sur trois piliers. Le premier délimite le champ d’application
de la nouvelle taxe. Elle prévoit que les multinationales qui « ont une interaction significative avec les consomma-
teurs finaux » soient incluses.
En revanche, seraient exclus celles qui n’ont pas de lien direct avec le public, comme par exemple les équipemen-
tiers automobiles, qui vendent leur production à des fabricants.
Le deuxième pilier prévoit un système pour déterminer un pays pourra ou non imposer une multinationale en
fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise. « C’est le volume de chiffre d’affaires qui déterminerait un nouveau
droit d’imposer pour les pays », a précisé M. Saint-Amans.
Le troisième fixe la « garantie juridique » pour les multinationales avec un mécanisme d’arbitrage en cas de litige
entre Etats et grands groupes afin d’éviter une double imposition.
Selon l’OCDE, les pays dits de marché et les pays en développement seraient les gagnants de cette réforme fis-
cale. Les perdants seraient les paradis fiscaux qui hébergent les sièges sociaux des multinationales.
Les réactions après la publication de l’initiative de l’OCDE sont sans surprise. Ainsi, en France, le ministère des
Finances s’est félicité de « cette base de travail prometteuse (…). Nous souhaitons que cette discussion donne la
dynamique politique nécessaire » pour trouver un accord mondial.
L’ONG Oxfam par exemple s’est déclarée déçue. « C’est une montagne qui a accouché d’une souris », a regretté
Quentin Parrinello, expert de ces questions fiscales, qui a qualifié la proposition de l’OCDE d’«  extrêmement
complexe. On va prendre modestement de l’argent aux paradis fiscaux pour le redonner aux pays riches. Il y a un
véritable problème de justice dans cette solution ».
De son côté, Amazon a qualifié cette proposition « d’important pas en avant » et renouvelé son soutien aux tra-
vaux de l’OCDE. A suivre…
Lionel COSTES

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I9


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Par Pierre NOUAL


Docteur en droit de l’Université Toulouse 1
Capitole
Historien de l’art

ÎRLDI 5588

Les salaires de la peur ou le retour à l’ordre des


directeurs de collection
Le Conseil d’État vient rappeler que les directeurs de collection ne sont susceptibles d’entrer
dans le champ du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs que dans la mesure où leur
activité permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des ouvrages de la collection
qu’ils dirigent. Un juste retour à l’ordre qui n’est pas sans questionner l’avenir des directeurs de
collection.
CE, 21 oct. 2019, n° 424779, Syndicat national de l’édition c/ Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs

C
’est une drôle de guerre qui agite depuis quelques mois le ne relevait pas d’un changement d’interprétation quant à la situa-
Boulevard Saint-Germain, fief du Syndicat national des édi- tion des directeurs de collection mais une clarification, dès lors
teurs (SNE), et le Faubourg Poissonnière où réside l’Asso- que «  la précédente référence aux directeurs de collection était
ciation pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) source d’insécurité juridique, dans la mesure où, finalement, leur
après que celle-ci ait mis le feu aux poudres en refusant la qua- admission au sein de l’Agessa ne peut concerner que ceux pou-
lité d’auteurs aux directeurs de collection. Une «  réforme  » bru- vant être considérés comme co-auteurs des ouvrages de la collec-
tale, non négociée, contre l’un des maillons essentiels du monde tion, notamment par leur participation au travail d’écriture ou à la
du livre selon l’éditeur Antoine Gallimard(1). Il est vrai que jusqu’à restructuration des ouvrages, par la rédaction de préfaces, ou [...]
présent, l’Agessa estimait que les directeurs de collection dont le l’établissement d’index, et pour lesquels il devrait être établi un
niveau de participation intellectuelle à la création des œuvres était contrat d’auteur et non un contrat de directeur de collection »(4).
suffisamment établi pouvaient être rémunérés sous la forme de
Après un arbitrage ministériel en faveur de l’Agessa, rapidement
droits d’auteur. Or, en mai 2017, celle-ci a actualisé sa fiche pra-
suspendu par le Conseil d’État(5), le SNE a demandé à ce dernier
tique dédiée à la « branche du livre » en faisant figurer les activités
d’annuler pour excès de pouvoir l’interprétation impérative à ca-
des directeurs de collection parmi les «  activités qui ne relèvent
ractère général de l’Agessa. Par un arrêt du 21 octobre 2019, les
pas du régime des artistes auteurs »(2). En cause ? « Une stratégie
juges du Palais-Royal – après avoir admis l’intervention de la So-
d’évasion de cotisations sociales »(3) menés par le SNE car les coti-
ciété des Gens de Lettres(6) et précisé que le courrier de l’Agessa
sations sociales des éditeurs seraient bien moindres lorsqu’il s’agit
devait être regardé comme une instruction de portée générale(7)
de droits d’auteur – à la différence des salaires – alors même que
– se sont déclarés compétent pour trancher ce délicat nœud gor-
l’activité créative, au sens du droit d’auteur, du directeur de collec-
dien. Pour ces derniers, il en résulte que les directeurs de collec-
tion serait jugée bien souvent illusoire.
tion ne sont pas susceptibles d’entrer dans le champ du régime
Face à ce revirement, le SNE a pris langue avec l’Agessa qui lui de sécurité sociale des artistes-auteurs que dans la mesure où leur
a répondu, par un courrier de juillet 2017, que cette actualisation activité permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des

(1) Voir not. Gallimard A., Pas de livres sans directeurs de collection !, Le (4) Extrait mentionné dans l’arrêt rapporté.
Figaro, 15 mars 2018 (en ligne). (5) CE, 7 nov. 2018, n° 424479.
(2) Voir la fiche pratique : Agessa, Auteurs du livre. qui est concerné et (6) Dont la création fait suite à une idée d’Honoré de Balzac. Plus large-
pour quelles activités ? La branche du livre, mars 2019. ment, voir Le Cam S., La propriété intellectuelle, in Dissaux N. (ss dir.),
(3) Vulsar N., Le statut des directeurs de collection en question, Le Balzac, romancier du droit, LexisNexis, 2012, p. 311.
Monde, 24 oct. 2018 (en ligne). (7) Au sens de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative.

10 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


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ouvrages de la collection qu’ils dirigent. Si cette clarification est En outre, derrière le travail du directeur de collection, il y a égale-
bienvenue face à une pratique juridique ancrée de longue date (I.) ment l’idée d’une « collection » pour laquelle le droit s’avère peu
elle n’est pas sans soulever de nombreux interrogations quant à protecteur bien que les juges aient pu affirmer qu’un collection-
l’avenir des directeurs de collection (II.). neur pouvait y prétendre mais cette solution s’avère incertaine(12).
Si certains auteurs soutiennent que rares seraient les arguments
I. – LA RECHERCHE DE L’ACTIVITÉ DU DIRECTEUR DE pouvant être invoquées à l’encontre d’une création reposant sur
COLLECTION la seule sélection(13), il y a – en l’occurrence – indubitablement la
prémonition d’Henri Desbois selon laquelle le travail du directeur
Avant tout : que faut-il entendre par « directeur de collection » ? de collection, de grands traités ou d’encyclopédie est essentiel,
À suivre Emmanuel Pierrat : « Il n’existe pas de définition juridique doit être rémunéré et respecté, mais ce n’est pas une œuvre, sauf
des directeurs de collection, bien que la plupart des maisons preuve contraire(14). Il faut donc certainement analyser au cas par
d’édition fassent appel à leurs services. Leur statut juridique est cas le travail réel du directeur de collection car certains sont véri-
aujourd’hui le fruit d’une alchimie où dominent la pratique pro- tablement des auteurs tandis que d’autres ne sont que de simples
fessionnelle – qui a élaboré ses propres contrats types – et une exécutants(15). Alors que les pourparlers entre le SNE et le ministère
jurisprudence émanant aussi bien des chambres spécialisées en de la Culture avaient été initiés il y a quelques mois pour proposer
propriété littéraire et artistique que du tribunal des affaires de la un statut juridique propre aux directeurs de collections, les que-
Sécurité sociale. La fonction de directeur de collection n’est en rien relles de clochers ont réduit à néant cette possibilité – et explique
mentionnée par la Convention collectivité nationale de l’édition. peut-être la volteface de l’Agessa pour imposer un réel retour à
La nomenclature officielle ne cite que le ‘‘directeur éditorial’’ ou l’interprétation des textes.
encore le ‘‘directeur littéraire’’ »(8).
De quoi le « directeur de collection » est-il alors le nom ? En gé- II. – LE RETOUR à UNE LECTURE RESTRICTIVE DES
néral, le directeur de collection est dans certains cas salariés de la TEXTES
maison d’édition, et donc lié par un contrat de contrat de travail, En effet, à suivre l’article L. 382-1, et plus précisément l’article R.
mais il est le plus souvent une personne extérieure liée à l’éditeur 382-2 du Code de la sécurité sociale, « entrent dans le champ d’ap-
par un contrat particulier qui ne comporte généralement pas de plication du présent chapitre les personnes dont l’activité, relevant
lien de subordination vis-à-vis de ce dernier mais au contraire une des articles L. 112-2 ou L. 112-3 du Code de la propriété intellec-
grande part de liberté et d’initiative pour le directeur de collec- tuelle, se rattache à l’une des branches professionnelles suivantes :
tion(9). En pratique, ce dernier va assurer à la fois l’activité d’un / 1°) Branche des écrivains : / - auteurs de livres, brochures et autres
auteur – au sens du droit d’auteur en rédigeant les préfaces, les écrits littéraires et scientifiques ; / - auteurs de traductions, adap-
quatrièmes de couvertures, traduire un texte, écrire une partie tations et illustrations des œuvres précitées ; / - auteurs d’œuvres
ou la totalité d’un ouvrage  – et réaliser une activité d’exécutant dramatiques ; / - auteurs d’œuvres de même nature enregistrées
– en récupérant les manuscrits auprès des auteurs, en assurant le sur un support matériel autre que l’écrit ou le livre [...]  ». On le
suivi de conception des ouvrages de la collection ou encore en devine bien : les directeurs de collection ne sont susceptibles d’en-
participant à la campagne promotionnelle. Cependant, ces acti- trer dans le champ de ce régime que dans la mesure où leur ac-
vités suffisent-elles pour considérer que le directeur de collection tivité permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des
puisse être seulement rémunéré en droit d’auteur ? Le juriste sait ouvrages de la collection qu’ils dirigent. Aussi, en interprétant les
que « l’apport est défini comme une contribution positive et condi- dispositions du code « comme ne régissant pas en principe l’ac-
tionne l’attribution de la qualité d’auteur tandis que la participation tivité de directeur de collection et comme devant conduire, dans
intellectuelle assimilable à une prise de décision, paraît insuffisante le cas où celle-ci comporterait une activité d’auteur, à distinguer,
pour la revendiquer »(10). Néanmoins, c’est cette vision que soute- notamment lors de la conclusion du contrat, l’activité salariée ou
nait antérieurement l’Agessa puisque, selon cette dernière, le di- indépendante de directeur de collection de l’activité d’auteur,
recteur de collection dont le niveau de participation intellectuelle pouvant seule donner lieu à une rémunération en droits d’auteur
est suffisamment établi est protégé au titre du droit d’auteur. Pour et aux charges sociales qui y sont attachées, les ministres intéres-
autant, les juridictions ne sont jamais arrivées à un consensus sur la sés et l’Agessa se sont bornés à interpréter les articles L. 382-1 et
qualité d’auteur du directeur de collection(11). R. 382-2 du Code de la sécurité sociale, sans en méconnaître le

(8) Pierrat E., Le droit d’auteur et l’édition, Éd. du Cercle de la Librairie, (12) En ce sens à propos de la collection Henri Langlois (CA Paris, 2 oct.
2013, 4e éd., p. 283. 1997 : D. 1998, p. 312, note Edelman B. ; D. 1999, p. 64, obs. Colom-
(9) Voir not. Le Lamy droit des médias et de la communication, n° 360-10. bet) ou de la sélection de cartes postales (CA Paris, 14 oct. 1993  :
Bien que dans les faits, la liberté ne soit pas totale : la plupart des di- RIDA 1994, n° 160, p. 240). Sur la question, voir not. notre thèse, L’être
recteurs disposent d’un bureau et doivent se conformer aux souhaits et l’avoir de la collection. Essai sur l’avenir juridique des corpus artis-
des éditeurs. tiques, Université Toulouse 1 Capitole, 2016, n° 373.
(10) Le Cam S., L’auteur professionnel. Entre droit d’auteur et droit social, (13) Vivant M. et Bruguière J.-M., Droit d’auteur et droits voisins, Dalloz,
LexisNexis-IRPI, 2012, n° 264. coll. Précis, 2019, 4e éd., n° 124.
(11) En ce sens, bien qu’à propos d’un éditeur, Cass. com., 27 févr. 1990, (14) Desbois., Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978, 3e éd., p. 211.
n° 88-19.194 : JCP 1990, II, 21545, obs. Pollaud-Dulian F. ; RTD com Voir égal. Gautier P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF, coll. Droit
1990, p. 208, obs. Françon A. Contra CA Paris, 17 sept. 2014, n° fondamental, 2019, 11e éd., n° 690.
11/07677 : RLDI 2014/108, n° 3581. (15) Récemment CA Paris, 23 mars 2018, n° 14/05304.

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 11


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sens et la portée ni y ajouter aucune règle nouvelle ». Suivant cette d’État, et l’Agessa, n’auraient-il pas ouverts la boîte de Pandore
interprétation littérale des dispositions, les prétentions du Syndicat des agents littéraires ? Cette pratique, qui prend sa source dans
ne pouvaient qu’être rejetées. les milieux littéraires américains, peine encore à s’immiscer dans
l’Hexagone même si des écrivains, comme Michel Houellebecq,
Toutefois, ce juste rappel interprétatif des textes n’est pas sans consé-
ont pu impulser le mouvement il y a quelques années. En ce sens,
quence. En effet, quel va être le sort des anciens contrats qui auraient
l’arrêt rapporté tendrait à sonner le glas des directeurs de collec-
dû être des salaires et non des rémunérations en droit d’auteur  ?
tions au profit des agents littéraires. Forts d’importants carnets
Comment les nouvelles dispositions de l’Agessa vont-elles être appli-
d’adresses, d’auteurs et de nombreuses expériences éditoriales,
quées ? quel va être l’avenir des directeurs de la collection ?
ces derniers seraient en mesure de proposer des ouvrages clés
Il est vrai que l’ancien régime des directeurs de collection était ap- en main que les éditeurs n’auraient plus qu’à imprimer et diffuser.
précié de ces derniers en raison de la souplesse que leur octroyait L’avenir des directeurs de collection résiderait-il dans cette nou-
la rémunération en droits d’auteur. Or, ces derniers accepteront-ils velle profession que tout un chacun, même fonctionnaire, pourrait
de devenir salariés ? Il est certain que la délicate économie des mai- exercer ? L’idée n’est pas si saugrenue alors même qu’un syndicat,
sons d’éditions ne pourra pas conduire à salarier tous les directeurs L’Alliance des Agents Littéraires français (AALF), a été créé en 2016.
de collections. Si les « grosses structures » le pourront, les « petites
structures » devront-elle abandonner ce personnage essentiel à la CONCLUSION
création ? Si ce revirement est susceptible de créer des emplois,
il ne faut pas perdre de vue que, bien souvent, le rôle des direc- L’arrêt rapporté, bien loin d’être un signe de mauvais augure pour
teurs de collections étaient assurés par des intellectuels-universi- l’édition française, doit être compris comme une avancée majeure
taires (fonctionnaires) notamment auprès des éditeurs en sciences pour rétablir les directeurs de collection dans leurs vrais droits.
humaines et sociales – et a fortiori des éditeurs juridiques(16). Mais Reste à savoir si les nouveaux contrats acteront cette dualité entre
une incompatibilité des statuts pointe irrémédiablement son nez : le travail salarié et le travail d’auteur ou de co-auteur(17) car, à dire
comment réagir face à la prohibition de directeurs de collection vrai, il y a bien derrière ce litige le rappel d’une évidence : le droit
déjà salariés d’une autre activité ? Le Conseil d’auteur n’est que le droit des auteurs. n

(16) Voir Matutano E., Un acteur méconnu de l’accessibilité du droit écrit : (17) Voir not. Pierrat E., Le statut juridique du directeur de collection,
l’éditeur juridique, in Piotraut J.-L. et Evrard S. (ss dir.), Le droit et entre l’auteur et l’éditeur, Légipresse 2002, n° 192, p. 77. Plus large-
l’édition. Regards français et étrangers sur les mutations engagées, ment, voir égal. Caron Ch., Droit d’auteur et droits voisins, LexisNexis,
L’Harmattan, coll. Socio-économie de la chaîne du livre, 2016, p. 87. coll. Manuels, 2017, 5e éd., n° 430.

12 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


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Par Guillaume BUSSEUIL
Maître de conférences à l’Université de
Bourgogne
Avocat au barreau de Paris
Iliana BOUBEKEUR Avocats

ÎRLDI 5589

La qualification de responsable conjoint de


traitement appliquée à l'utilisation d'un module de
partage sur un réseau social : quelle effectivité pour
la protection des données personnelles ?
Dans ce nouvel arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne affine la qualification et le régime
juridique de la responsabilité conjointe de traitement avec pour objectif de rendre plus effectifs
le consentement et l’information des personnes concernées par les traitements de données
personnelles générés par un bouton de partage sur les réseaux sociaux. On peut s’interroger sur
la mise en œuvre pratique de cette solution.
CJUE 29 juill. 2019, aff. C-40/17, Fashion ID GmbH & Co. KG

L
a navigation sur Internet expose l’internaute à un risque réel qués à l’installation par l’éditeur d’un site Internet d’un plugiciel de
de perte de contrôle sur ses données personnelles : collecte partage sur un réseau social.
à son insu, réutilisation pour des finalités qui n’ont pas été an-
Les boutons de partage ou plug-ins proposés par les principaux
ticipées, transmission à des tiers (réseau social par exemple), etc.(1).
réseaux sociaux – le bouton « j’aime » de Facebook par exemple
Le risque est d’autant plus accru lorsque plusieurs professionnels – permettent aux éditeurs de sites Internet d’ajouter facilement à
interviennent dans la chaîne de traitements, professionnels dont il leur interface des fonctionnalités de partage du contenu de leur
est parfois bien difficile de déterminer les responsabilités respec- site sur ces réseaux sociaux, en vue d’accroître la visibilité de leurs
tives. Ces situations nécessitent d’affiner la notion de responsable contenus et l’audience de leur site Internet.
de traitement, ce à quoi s’emploie la Cour de justice de l’Union
Tandis que le réseau social se fait le relais efficace des contenus
européenne (« CJUE » ou « Cour ») dans sa jurisprudence récente
de l’éditeur du site Internet sur ses pages, il collecte en échange
relative à la responsabilité conjointe de traitement(2).
des données relatives aux utilisateurs du site concerné, incluant
Un nouvel arrêt en date du 29 juillet 2019(3) mérite une attention des données à caractère personnel (notamment l’adresse IP du
particulière en ce qu’il apporte des précisions à la qualification et terminal). Les modules sociaux se fondent désormais dans le pay-
au régime juridique du responsable conjoint de traitement, appli- sage numérique sans pour autant que l’internaute maîtrise com-
plétement les conséquences de son clic de partage sur le réseau
social, faute d’être informé de la collecte et du traitement de ses
données. 
(1) C. DE TERWANGNE, Internet et la protection de la vie privée et des
En l’espèce, la société Fashion ID, qui commerciale des vêtements
données à caractère personnel, in q. VAN ENIS, C. DE TERWANGNE
(ss. dir.), L’Europe des droits de l’homme à l’heure d’internet, Bruylant, en ligne, a inséré sur son site Internet le module social « j’aime »
2019, p. 326. du réseau social Facebook. Ainsi, les données à caractère person-
(2) CJUE, 5  juin 2018, Unabhängiges Landeszentrum für Datenschutz
nel des visiteurs de son site sont transmises systématiquement à
Schleswig-Holstein contre Wirtschaftsakademie Schleswig-Holstein Facebook Ireland, indépendamment du fait qu’ils soient membres
GmbH, en présence de Facebook Ireland Ltd, aff. C-210/16 ; CJUE, du réseau social ou même qu’ils aient cliqué sur le bouton de
10 juillet 2018, Jehovan Todistajat, C-25/17. partage. Facebook dépose également par ce biais différents té-
(3) CJUE, 29 juill. 2019, Fashion ID GmbH & Co. KG, aff. C-40/17. moins de connexion (cookies) sur le terminal de l’utilisateur. En

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 13


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pratique, c’est le navigateur du visiteur qui communique à Face- Par conséquent, l’article 22 de la directive 95/46 précitée(8) ne s’op-
book l’adresse IP de l’ordinateur du visiteur, ainsi que les données pose pas à ce que les Etats membres introduisent dans leur droit
techniques du navigateur, afin que le serveur puisse déterminer national un recours des associations de consommateurs agissant
le format sous lequel le bouton «  J’aime  » est délivré sur le site au nom de l’intérêt collectif des consommateurs, ce qui est le cas
Internet de Fashion ID. en droit allemand. L’article 22 de la directive est en effet rédigé en
termes généraux et n’opère pas une harmonisation exhaustive des
Une association allemande de consommateurs, reprochant à dispositions nationales relatives aux recours juridictionnels(9).
Fashion ID de transmettre à Facebook Ireland des données à ca-
ractère personnel sans le consentement et l’information des per- En outre, le fait que la directive opère une harmonisation complète
sonnes concernées, a intenté une action en cessation devant les – sur le fond de la règlementation – ne prive pas davantage les
juridictions allemandes afin que Fashion ID mette un terme à cette Etats membres de leur marge nationale d’appréciation en matière
pratique. procédurale(10).

Après avoir reconnu sa qualité à agir, la juridiction allemande de Enfin, l’article 82 alinéa 2 du Règlement Général sur la Protection
première instance a partiellement fait droit aux demandes de l’as- des Données («  RGPD  »), qui autorise les Etats membres à per-
mettre aux associations de défense des intérêts des consomma-
sociation de consommateurs.
teurs d’agir en justice contre l’auteur présumé d’une atteinte à la
Devant la juridiction d’appel, qui a transmis les questions préjudi- protection des données, indépendamment de tout mandat confié
cielles à la CJUE, Fashion ID soutenait, d’une part, que la directive par une personne concernée, conforte cette interprétation(11).
95/46/CE relative aux données à caractère personnel(4), applicable
Sur le fond, l’arrêt de la Cour appelle deux séries de remarques,
au moment des faits(5), prévoit un recours uniquement en faveur
s’agissant de la qualification de responsable conjoint de traitement
des personnes concernées et des autorités de contrôle compé-
(I) et du régime juridique applicable (II).
tentes, à l’exclusion des associations de consommateurs, de sorte
que l’action en justice introduite en l’espèce était irrecevable à dé-
I. LA QUALIFICATION DE RESPONSABLE CONJOINT
faut de qualité à agir.
DE TRAITEMENT
D’autre part, Fashion ID arguait du fait qu’elle ne pouvait être
Elle juge que l’éditeur d’un site Internet, qui insère un module so-
qualifiée de responsable de traitement des données transmises
cial permettant au navigateur de transmettre les données à carac-
à Facebook Ireland dans la mesure où elle n’a aucune influence
tère personnel du visiteur du site au fournisseur du module, doit
sur les données collectées via le navigateur du visiteur de son site
être considéré comme responsable conjoint de traitement. Toute-
Internet, ni sur les finalités de la collecte, qui sont déterminées ex-
fois, cette responsabilité est limitée à l’opération ou à l’ensemble
clusivement par Facebook. d’opérations de traitement dont il détermine effectivement,
Facebook Ireland est intervenu volontairement en appel au soutien conjointement, les finalités et les moyens, à savoir la collecte et la
de Fashion ID. communication par transmission des données en cause.

Sur l’aspect procédural de l’arrêt, l’on ne s’attardera guère sur la On rappellera que le responsable de traitement au sens de la
réponse de la CJUE relative à la qualité à agir des associations de directive 95/46 est la personne physique ou morale, qui, seul ou
consommateurs, tant elle était attendue(6). conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens
du traitement (cette définition étant reprise à l’article 4 du RGPD).
En effet, en application du principe d’autonomie procédurale des
Etats membres, ceux-ci disposent d’une large marge d’apprécia- En l’espèce, l’application de cette qualification à l’éditeur du site
tion quant au choix des voies et des moyens destinés à assurer la Internet n’allait pas de soi, tant au regard de la mise en œuvre des
moyens de traitement que de la détermination de la finalité des
mise en œuvre de la règlementation européenne au regard des
traitements.
objectifs recherchés par le législateur de l’Union européenne. Ain-
si, le fait pour un Etat membre de prévoir, dans sa réglementation Sur le premier aspect de la définition, la Cour considère qu’en in-
nationale, la possibilité pour une association de défense des in- sérant le plugiciel sur son site Internet, l’éditeur du site a permis
térêts des consommateurs d’intenter une action en justice contre à Facebook Ireland d’obtenir des données à caractère personnel
l’auteur présumé d’une atteinte à la protection des données contri- des visiteurs de son site, la collecte et la transmission des données
bue efficacement à la réalisation d’un objectif de protection des à Facebook étant déclenchée par la seule consultation du site In-
personnes concernées(7). ternet, indépendamment du fait que les visiteurs sont membres ou
du réseau social Facebook ou même qu’ils aient cliqué sur le bou-

(4) Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 oc-


tobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard (8) Lequel oblige les Etats membres à prévoir que « toute personne dis-
du traitement de données à caractère personnel et à la libre circula- pose d’un recours juridictionnel en cas de violation des droits qui lui
tion de ces données (JOCE 1995, L 281, p. 31). sont garantis par les dispositions nationales applicables au traitement
(5) Le RGPD n’était pas encore en vigueur au moment des faits. en question ».
(6) Voir notamment, L. SINOPOLI, I. OMARJEE (ss. dir.) L’action en justice (9) Ibid. n°52 et s.
au-delà de l’intérêt individuel, Dalloz 2014. (10) Ibid. n°52 et s.
(7) CJUE, 29 juill. 2019, Fashion ID GmbH & Co. KG, aff. C-40/17, n° 43 et s. (11) Ibid. n°62.

14 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


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ton de partage(12). La CJUE semble prendre en compte, d’une part, Sur le fondement de cette interprétation téléologique, quel est le
le fait que Fashion ID était « conscient » que le module social en critère de qualification du responsable conjoint de traitement re-
cause sert d’outil de collecte et de transmission de données des vi- tenu par la Cour ?
siteurs de son site, qu’ils soient membres ou non du réseau social.
Le critère matériel de l’accès aux données personnelles par le res-
D’autre part, la CJUE ajoute qu’en insérant un tel module social,
ponsable conjoint de traitement étant exclu, cela signifie qu’une
Fashion ID a une influence déterminante sur la collecte et la trans-
personne peut être qualifiée de responsable conjoint de traite-
mission, qui n’auraient pas lieu en l’absence d’une telle insertion.
ment quand bien même elle ne consulterait pas les données à
quant aux finalités des traitements de données à caractère per- caractère personnel en vue d’une exploitation quelconque. En
sonnel qui ont été mis en œuvre, l’insertion du module social per- l’espèce, Fashion ID se bornait à collecter les données des utili-
met à l’éditeur du site Internet d’optimiser la publicité pour ses sateurs du site et à les transmettre à Facebook sans les exploiter
produits sur Facebook : « c'est afin de pouvoir bénéficier de cet ultérieurement.
avantage commercial consistant en une telle publicité accrue pour
Un critère technique tenant au design du traitement – au sens de
ses produits que Fashion ID, en insérant un tel bouton sur son site
l’article 25 du RGPD (« Privacy By Design » et « Privacy By Default »)
Internet, semble avoir consenti, à tout le moins implicitement, à
– ou au paramétrage des moyens de traitement semble égale-
la collecte et la communication par transmission des données à
ment inopérant. En l’espèce, l’éditeur du site Internet se bornait
caractère personnel des visiteurs de son site, ces opérations éco-
à placer sur son site un lien ou code programme vers le module
nomiques étant effectuées dans l’intérêt économique tant de
social conçu par Facebook, de sorte qu’il n’avait pas la main sur la
Fashion ID que de Facebook Ireland, pour qui le fait de pouvoir
conception du traitement de données à caractère personnel (type
disposer de ces données à ses propres fins commerciales constitue
de données collectées, type de cookies, éventuelle pseudonymi-
la contrepartie de l'avantage offert à Fashion ID »(13). De ce fait, la
sation, etc.).
CJUE considère que Fashion ID détermine les finalités conjointe-
ment avec Facebook Ireland. Par ailleurs, l'éditeur du site Internet n’effectuait aucun paramé-
trage complémentaire sur le plugiciel contrairement au cas d'es-
Or, s’agissant d’un plugiciel standard, mis à disposition par Face-
pèce visé par un arrêt en date du 5 juin 2018, dans lequel la CJUE a
book, et dont l’éditeur du site se borne à accepter les conditions
retenu la qualification de co-responsable de traitement avec Face-
générales, il est permis de douter du degré réel d’implication et
book de l'administrateur d'une fan page sur le réseau social(16).
de décision dans la détermination des moyens et des finalités de
traitement, en raison du déséquilibre contractuel intrinsèque exis- En réalité, la qualification de responsable conjoint retenue par la
tant entre les parties, et du fait que l’outil de collecte n’est pas Cour repose sur un intérêt économique commun et la contrepartie
conçu conjointement par l’éditeur et Facebook Ireland. L’argument qu'en tire chacun des co-responsables de traitement, quand bien
n’a toutefois pas convaincu le G29 (devenu EDPB), qui a considéré même l'un des co-responsables de traitement n'obtient pas néces-
qu’un éventuel déséquilibre du rapport de forces entre le fournis- sairement une contrepartie résultant de l'exploitation effective des
seur et le preneur du service ne fait pas obstacle à ce que ce der- données personnelles des utilisateurs ou de données agrégées.
nier puisse être qualifié de responsable du traitement(14).
Par conséquent, la Cour consolide dans cet arrêt une conception
Comment comprendre la solution retenue par la CJUE  ? Pour large de la notion de responsable de traitement fondée sur l’in-
qu’une personne puisse être qualifiée de responsable conjoint de térêt économique direct ou indirect au traitement des données
traitement, il n’est pas nécessaire que cette personne dispose d’un personnelles, dans la continuité de l’arrêt du 5 juin 2018 précité,
pouvoir de contrôle complet sur toute la chaîne du traitement, un mais également de l’arrêt Google Spain du 13 mai 2014. En effet,
tel contrôle existant de moins en moins en pratique. En effet, dans dans cette dernière affaire (qui ne portait pas sur la responsabili-
le cadre de traitements complexes, plusieurs professionnels inter- té conjointe de traitement), la Cour a mis en exergue une chaîne
viennent dans une même chaîne de traitements et exercent dif- de traitements, dans le cadre de laquelle le moteur de recherche
férents degrés de contrôle. Par conséquent, l’interprétation de la intervient afin de collecter, extraire, organiser, conserver des infor-
notion de responsable de traitement privilégiant l’existence d’un mations, en ce compris des données à caractère personnel, qui
pouvoir de contrôle complet sur tous les aspects du traitement ont été préalablement publiées par des tiers (éditeur de presse en
pourrait remettre en cause l’effectivité de la protection des don- l’espèce) eux-mêmes responsables de traitement. La plateforme
nées à caractère personnel(15). de moteur de recherche trouve également un intérêt économique

(16) CJUE, 5  juin 2018, Unabhängiges Landeszentrum für Datenschutz


(12) CJUE, 29 juill. 2019, Fashion ID GmbH & Co. KG, aff. C-40/17, n° 75 et s. Schleswig-Holstein contre Wirtschaftsakademie Schleswig-Holstein
(13) Ibid. n°81. GmbH, en présence de Facebook Ireland Ltd, aff. C-210/16, n°36, 37 :
la création d'une page fan sur Facebook implique de la part de son
(14) Avis G29 1/2010 sur les notions de « responsable du traitement» et de administrateur une action de paramétrage, en fonction notamment
«sous-traitant», 16 février 2010, p. 28. de son audience cible ainsi que d'objectifs de gestion ou de promo-
(15) Conclusions de l’Avocat Général YVES BOT présentées le 24  oc- tion de ses activités, qui influe sur le traitement de données à carac-
tobre 2017  dans l’affaire C-210/16 Unabhängiges Landeszentrum tère personnel aux fins de l'établissement des statistiques établies à
für Datenschutz Schleswig-Holstein contre Wirtschaftsakademie partir des visites de la page fan. L'administrateur peut à l'aide des
Schleswig-Holstein  GmbH, en présence de Facebook Ireland  Ltd, filtres mis à sa disposition par Facebook, définir les critères à partir
Vertreter des Bundesinteresses beim Bundesverwaltungsgericht, desquels ces statistiques doivent être établies et même désigner les
n°62. catégories de personnes dont les données vont être traitées.

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 15


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direct à l’agrégation de données en vue de leur mise à disposition d’acteurs, chaque co-responsable reportant sa responsabilité sur
des utilisateurs. les autres(19).
Cette approche n’est pas sans rappeler celle du Conseil d’Etat Toutefois, le régime juridique de la responsabilité conjointe est
dans un arrêt rendu le 6 juin 2018. Ainsi, les éditeurs de site qui au- contraignant, d’une part au regard de la nécessité de légitimer le
torisent le dépôt et l’utilisation de cookies par les tiers à l’occasion traitement.
de la visite de leur site doivent également être considérés comme
A cet égard, la Cour envisage deux hypothèses en réponse aux
responsables de traitement, alors même qu’ils ne sont pas soumis
questions préjudicielles  : (i) l’intérêt légitime des responsables
à l’ensemble des obligations qui s’imposent au tiers qui dépose conjoints de traitement et (ii) le consentement de la personne
le cookie, notamment lorsque ce tiers conserve seul la maîtrise concernée recueilli par le responsable conjoint en amont de la
de sa finalité ou de sa durée de conservation. Au titre des obli- chaîne de traitement, à savoir l’éditeur du site Internet.
gations qui pèsent sur l’éditeur de site dans une telle hypothèse,
outre l’information des personnes concernées, figure l’obligation La CJUE juge que, pour pouvoir fonder le traitement sur l’intérêt
de s’assurer auprès de ses partenaires qu’ils ne déposent pas, par légitime, il faut que chaque responsable conjoint de traitement
l’intermédiaire de son site, des cookies qui ne respectent pas la puisse démontrer un tel intérêt légitime(20). Cette base légale étant
règlementation applicable en France et celle d’effectuer toute dé- d’interprétation stricte, il pourrait s’avérer difficile en pratique de
marche utile auprès d’eux pour mettre fin à leurs manquements(17). l’invoquer, en particulier lorsque des cookies sont déposés sur le
terminal de l’utilisateur.
Si cette approche a le mérite d’affiner la compréhension des trai-
tements complexes de données personnelles et sans doute de Par ailleurs, dans l’hypothèse où l’insertion du plugiciel permet
renforcer l’effectivité de la protection des données personnelles, effectivement à un tiers de déposer des cookies sur le terminal
le régime juridique applicable à la responsabilité conjointe de trai- du visiteur du site Internet, l’éditeur du site doit nécessairement
tement soulève des difficultés pratiques de mise en œuvre. recueillir le consentement préalablement au dépôt des cookies(21),
étant entendu que le consentement est limité aux opérations de
traitement auxquelles il participe (en l’espèce, la collecte et la
II. LE RÉGIME JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITÉ
communication par transmission des données à caractère person-
CONJOINTE DE TRAITEMENT nel). Il appartient ainsi à l’éditeur du site, et non à Facebook Ire-
Bien que la CJUE précise que la responsabilité de l’éditeur du site land, d’obtenir ce consentement.
est limitée à la collecte et à la communication par transmission des Par ailleurs, le régime juridique de la responsabilité conjointe est
données à Facebook, à l’exclusion des traitements ultérieurs(18) contraignant au regard de l’obligation d’information, qui pèse
(dont les moyens et les finalités sont déterminés exclusivement par également sur l’éditeur et non sur Facebook Ireland. Cette obliga-
Facebook), la qualification de responsable conjoint de traitement tion d’information des personnes concernées conformément à l’ar-
n’en demeure pas loin lourde de conséquences pour les éditeurs ticle 13 du RGPD(22) devra en effet s’appliquer, avec les limitations
de site au regard du régime juridique prévu par l’article 26 du précitées, dans les mêmes conditions.
RGPD.
Comment l’éditeur du site pourra en pratique obtenir un consen-
Pour rappel, les responsables conjoints du traitement définissent tement éclairé et fournir une information transparente lorsqu’il ne
de manière transparente leurs obligations respectives aux fins connait pas lui-même les modalités de la collecte et du traitement
d’assurer le respect des exigences du RGPD, notamment en ce qui par Facebook Ireland ?
concerne l’exercice des droits de la personne concernée, et leurs
obligations respectives quant à la communication des informations Par ailleurs, est-ce que cela signifie que les obligations de l’éditeur
visées aux articles 13 et 14 du RGPD, par voie d’accord entre eux. du site sont limitées au recueil du consentement et à l’informa-
Indépendamment des termes de cet accord, la personne concer- tion de la personne concernée ? Certaines obligations de mise en
née peut exercer les droits que lui confère le RGPD à l’égard de et conformité – obligation de limiter la conservation des données,
contre chacun des responsables du traitement. obligations de mettre en œuvre des analyses d’impact le cas
échéant – devraient être inopérantes en l’espèce à l’égard de l’édi-
Par ailleurs, l’article 82 al. 4 du RGPD a instauré une responsabilité teur du site, lequel ne détermine ni le type de données collectées,
solidaire obligeant chaque responsable conjoint de traitement à ni leurs conditions de conservation.
entièrement réparer le dommage subi par une personne concer-
née causé par un traitement mis en œuvre en violation du RGPD.
Le responsable conjoint ne pourra être exonéré que s’il apporte
(19) Avis G29 1/2010 sur les notions de « responsable du traitement » et
la preuve que le dommage ne lui est pas imputable. En cas de
de «sous-traitant», 16 févr. 2010, p. 24 ; C. DE TERWANGNE, K. RO-
partage de responsabilité, le responsable conjoint ayant assumé SIER (ss. dir.), Le règlement général sur la protection des données
la réparation totale dispose, en revanche, d’une action récursoire. (RGPD/GDPR), analyse approfondie, Bruylant, 2018, p. 378.
Un tel régime juridique est certes de nature à pallier le risque pour (20) CJUE, 29 juill. 2019, Fashion ID GmbH & Co. KG, aff. C-40/17, n°97.
les personnes concernées d’être confrontées à une multiplicité (21) A ce sujet, en dernier lieu, voir Délibération n° 2019-093 du 4 juillet
2019 portant adoption de lignes directrices relatives à l’application
de l’article 82 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée aux opérations de
lecture ou écriture dans le terminal d’un utilisateur (notamment aux
(17) CE, 6 juin 2018, n° 412589, consid. n°11. cookies et autres traceurs).
(18) CJUE, 29 juill. 2019, Fashion ID GmbH & Co. KG, aff. C-40/17, n°85. (22) CJUE, 29 juill. 2019, Fashion ID GmbH & Co. KG, aff. C-40/17, n°106.

16 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


actualités | éclairages
Créations immatérielles

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En revanche, dans la relation avec la personne concernée, dans le sérer dans le contrat qui lie les co-responsables de traitement une
cadre d’une demande de droit d’accès notamment, celle-ci serait clause de garantie de conformité à la législation sur les données
légitime à s’adresser en priorité à l’éditeur du site, qui est le res- personnelles et une obligation d’assistance mutuelle, notamment
ponsable de traitement le plus visible pour le visiteur du site. en cas de demande d’une personne concernée (accès, rectifica-
tion, effacement, limitation, portabilité). Toutefois, la négociation
Compte tenu des risques que fait peser sur l’éditeur du site la res- d’une telle clause pourrait rester un vœu pieux lorsque, comme en
ponsabilité conjointe de traitement (et son absence de maîtrise du l’espèce, il existe un déséquilibre contractuel entre les co-respon-
traitement mis en œuvre via le plugiciel), il est recommandé d’in- sables de traitement. n

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Les de l’abonnement : droit du numérique. séparément. Les abonnements sont automatiquement renouvelés d’une année sur l’autre sauf avis contraire de votre part signifié
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Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 17


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1 CRÉATIONS IMMATERIELLES
Par Lionel COSTES
Docteur en droit
Rédacteur en chef

PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE OBSERVATIONS


On rappellera que des conclusions de réinscription au rôle, qui
manifestent une volonté de poursuivre l’instance, produisent un
RÈGLES GÉNÉRALES effet interruptif de péremption. Aussi, en retenant que les conclu-
sions de rétablissement de en date du 10 janvier 2016 ne por-
ÎRLDI 5590 taient pas sur le fond mais rappelaient le conflit ayant opposé le
plaignant à son avocat et sa renonciation à l’aide juridictionnelle
Action en contrefaçon de droits après avoir relevé pourtant que lesdites conclusions avaient été
d’auteur et demande de sursis à déposées aux fins de rétablissement après radiation, et qu’elles
informaient la juridiction de la constitution de son nouveau
statuer formée par le réseau privé conseil, ce dont il résultait que ces conclusions manifestaient sa
volonté de poursuivre la procédure, les juges d’appel ont mani-
virtuel avocat festement violé les articles 383, alinéa 2 et 386 du Code procé-
dure civile.
Pour la Cour de cassation, une demande de sursis
à statuer, même formée par une lettre transmise On rappellera également que l’effet interruptif d’une diligence,
lorsqu’elle consiste en un acte de procédure, est sans lien avec la
par le réseau privé virtuel avocat est susceptible de
validité de cet acte. n
constituer, dès lors qu’elle manifeste la volonté de
son auteur de poursuivre l’instance, une diligence ÎRLDI 5591
interruptive du délai de péremption.
Cass. civ. 2è, 17 oct. 2019, n° 18-19.235, P La rémunération de directeurs de
Le plaignant par acte du 12 juin 2013 a fait assigner la société collection analysée à tort en droit
L’Oréal en nullité de marque et en contrefaçon de droits d’auteur d’auteur
devant un tribunal de grande instance. Il a sollicité la production
de pièces par conclusions d’incident, notifiées le 14 janvier 2014, La Haute juridiction a considéré que les juges d’appel
auxquelles la société L’Oréal a répondu le 3 février 2014. Il a été en se bornant à affirmer que la rémunération de
invité à conclure sur l’incident les 4 février et 4 mars 2014. Par une deux directeurs de collection doit s’analyser en un
lettre du 25 avril 2014, adressée par le réseau privé virtuel avocat, droit d’auteur soumis à cotisations auprès du régime
son avocat a informé le tribunal de son dessaisissement et a sol-
spécifique des auteurs de l’AGESSA sans en justifier,
licité un sursis à statuer.
ont procédé par voie de simple affirmation.
Par une ordonnance du 7 juillet 2016, le juge de la mise en état a
Cass. civ. 2è, 10 oct. 2019, n° 18-17.877, P
constaté que l’instance était périmée à la date du 3 février 2016
et, en conséquence, éteinte. Une société a fait l’objet d’un contrôle portant sur 2008 et
2009 par l’l’URSSAF ayant donné lieu à une lettre d’obser-
Pour la confirmer l’arrêt d’appel a retenu que si le requérant fait vations du 1er février 2011 visant plusieurs chefs de redresse-
état d’une demande de sursis à statuer, celle-ci a été formulée par ment dont l’affiliation au régime général de deux directeurs
simple lettre et non par voie de conclusions de sorte qu’elle ne de collection (M. B. et M. H.) ainsi que la réintégration dans
peut constituer un acte interruptif du délai de péremption. l’assiette des cotisations sociales des rémunérations qui leur
Il est cassé au visa de l’article 386 du Code de procédure civile. ont été versées.

En effet, pour la Haute juridcition, «  en statuant ainsi, alors Après avoir saisi la commission de recours amiable, la société a
qu’une demande de sursis à statuer, même formée par une lettre saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.
transmise par le réseau privé virtuel avocat, est susceptible de Après avoir énoncé que la rémunération de directeurs de collec-
constituer, dès lors qu’elle manifeste la volonté de son auteur de tion devait s’analyser en droit d’auteur soumis à cotisations au-
poursuivre l’instance, une diligence interruptive du délai de pé- près du régime spécifique de l’AGESSA, l’arrêt d’appel a confir-
remption, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». mé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale qui

18 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Actualités jurisprudentielles commentées
DROIT DES CRéaTIOnS ImmaTéRIEllES

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avait jugé que ceux-ci n’avaient pas la qualité d’auteurs sur la annulée estimant qu’elle a fait l’objet d’un dépôt
période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009 en exécution de frauduleux.
leur contrat de directeurs de collection.
TGI Paris, 3è ch., 1ère sec., 3 oct. 2019, Sté. Showroomprive.com c. /
La Cour de cassation censutre ledit arrêt au visa de l’article 455 Sté.Vente-privee.com, Legalis
du Code de procédure civile : « en statuant ainsi, la cour d’appel
Il a ainsi considéré que l’expression « ventes privées » a toujours
a entaché sa décision d’une contradiction entre les motifs et le
désigné des ventes événementielles à un public d’invités. La
dispositif et violé le texte susvisé ».
société Vente-privée.com ne pouvait donc pas s’approprier ces
Pour rejeter le recours de l’URSSAF, l’arrêt d’appel a retenu que termes génériques.
M. B. et M. H., en tant que directeurs de collection faisant oeuvre
La société Showroomprive.com avait fait assigner son concurrent
de création, rémunérés par un pourcentage sur les ventes sans
pour demander l’annulation de la marque semi-figurative « vente
être en situation de subordination avec la société, doivent être
privee » associée à un dessin de papillon, qui avait été déposée
considérés comme co-auteurs d’une oeuvre qu’ils ont concouru
en 2013.
à créer ou à mettre au point ; que leur rémunération doit s’ana-
lyser en un droit d’auteur soumis à cotisations auprès du régime Elle faisait valoir l’absence de caractère distinctif de la marque,
spécifique des auteurs géré par l’AGESSA. du fait qu’en 2013 cette expression était usuelle pour désigner
des événements de ventes de biens de marque en déstockage,
Ce n’est pas l’analyse des Hauts magistrats qui cassent ledit arrêt
d’une durée limitée et s’adressant à un public restreint et invité.
au visa des article 14 du Code de procédure civile et L. 311-2 du
Code de la sécurité sociale au motf suivant : « en statuant ainsi, Le Tribunal a admis que l’expression « vente privée » est usuelle
sans que soient appelés dans la cause les directeurs de collec- et générique de l’activité désignée dans la classe 35 et que le
tion, alors qu’elle était saisie d’un litige portant sur la qualifica- papillon de faible dimension est exclusivement décoratif. Il re-
tion des relations de travail liant ces derniers à la société, la cour connaît toutefois que la marque a acquis un caractère distinctif
d’appel a violé les textes susvisés ». par l’usage. En effet, le site associé est leader dans le secteur des
ventes événementielles avec 90 % de parts de marché. De plus,
OBSERVATIONS
l’exploitation de la marque en France est particulièrement inten-
Cette décision peut être utilement rapprochée de l’arrêt du sive ; ce qui, pour le Tribunal, compense la relative brève durée
Conseil d’Etat du 21 octobre 2019 qui a rappellé que les direc- de cette exploitation.
teurs de collection ne sont susceptibles d’entrer dans le champ
Il a cependant estimé que le dépôt avait été frauduleux au motif
du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs  que dans
que le site « ne saurait s’approprier des termes génériques qui
la  mesure où leur activité permet de les regarder comme au-
doivent rester disponibles pour tous les acteurs économiques de
teurs ou co-auteurs des ouvrages de la collection qu’ils dirigent
ce secteur et n’a aucune légitimité à monopoliser à son seul pro-
(CE., 21 oct. 2019, n° 424779  ; voir comm. Noual P., supra n°
fit les termes “vente-privee”, extrêmement proches de “vente
5588). n
privée”, à titre de marque et à priver ses concurrents de l’usage
de ces mots sauf à introduire une distorsion dans les règles de
libre concurrence ».
PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE Et d’ajouter que la connaissance du caractère générique du
terme et les intentions d’appropriation de ce terme sont établies
MARQUES et même assumées par le dirigeant de la société.
OBSERVATIONS
ÎRLDI 5592
La Cour de cassation avait par un arrêt du 6 décembre 2016,
La marque semi-figurative « vente- considéré pour la marque verbale « vente-privee.com », qu’elle
« avait acquis par l’usage un caractère distinctif au regard des
privee » annulée pour dépôt services de promotion des ventes pour le compte des tiers et de
présentation de produits sur tout moyen de communication pour
frauduleux la vente au détail ainsi que des services de regroupement pour
Alors que le Tribunal de grande instance de Paris a le compte de tiers de produits et de services, notamment sur un
site web marchand, désignés à son enregistrement » (Cass. com.
reconnu que la marque semi-figurative « vente-privee
6 déc. 2016, n°15-19-48, RLDI 2016/133, n° 4418, nos obs.). n
» a acquis un caractère distinctif par l’usage, il l’a

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 19


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En brefs…
Création du Centre national de la de prospective, d’innovation et de déve- Le décret prévoit cependant dans chaque mi-
loppement des compétences ; nistère la création de directions du numérique,
musique évolution des actuelles DSI ministérielles, avec
– assurer une veille des technologies et des
La loi du 30 octobre 2019 relative à la création une forte dimension donnée aux usages, à
usages et soutenir l’innovation en accom-
du Centre national de la musique a été pu- la transformation numérique de l’action pu-
pagnant le secteur dans ses transforma-
bliée au Journal officiel. blique et à la valorisation des données.
tions ;
Elle créé un établissement public à caractère La DINUM se voit ainsi confier des responsa-
– valoriser le patrimoine musical ;
industriel et commercial placé sous la tutelle bilités renforcées, notamment en tant qu’opé-
du ministre chargé de la culture dénommé – participer au développement de l’éduca- rateur de projets partagés et plus seulement
« Centre national de la musique ». tion artistique et culturelle dans son champ comme organisateur d’une mutualisation
de compétences, en complément du rôle douce et ponctuelle (D. n° 2019-1088, 25 oct.
Il exerce, dans le domaine de la musique et
joué par l’Etat et les collectivités territo- 2019, JO 27 oct.).
des variétés, sous forme d’enregistrement et
riales en la matière.
de spectacle vivant, les missions suivantes :
Il associe les collectivités territoriales et leurs
– soutenir l’ensemble du secteur profes- Lancement du « French Tech 120 »
groupements à l’exercice de ses missions. Il
sionnel, dans toutes ses pratiques et dans Le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O,
peut conclure des contrats et nouer des parte-
toutes ses composantes, et en garantir la a dévoilé un nouveau programme piloté par la
nariats avec ces collectivités et groupements
diversité, dans le respect de l’égale dignité Mission French Tech : le « French Tech 120 ».
ainsi qu’avec les différents acteurs de la filière
des répertoires et des droits culturels énon- Le dispositif offre un accompagnement prio-
musicale.
cés par la convention de l’Organisation des ritaire aux 120 startups les plus prometteuses
Nations unies pour l’éducation, la science Le ministre chargé de la culture peut confier du pays, pour les aider dans leur relation avec
et la culture sur la protection et la promo- au Centre national de la musique, par conven- les services publics. Il englobe les lauréats du
tion de la diversité des expressions cultu- tion, l’instruction et la gestion de dispositifs « Next 40 », le nouvel indice des plus grands
relles du 20 octobre 2005 ; d’aides pour la sécurité des sites et manifesta- champions français de la tech.
tions culturelles du spectacle vivant, y compris
– soutenir l’écriture, la composition, l’inter- Plus précisément, « French Tech 120 » est un
ceux n’entrant pas dans son champ de com-
prétation, la production, l’édition, la pro- programme d’accompagnement sur-mesure.
pétences.
motion, la distribution et la diffusion de la Les startups sélectionnées bénéficieront ainsi
musique et des variétés sous toutes leurs On rappellera que le Gouvernement avait en- d’un accès prioritaire dans leur relation avec
formes et auprès de tous les publics, aux ni- gagé la procédure accélérée sur ce texte le 2 les administrations et les services publics.
veaux national et territorial, en complémen- avril 2019 qui a été définitivement adopté le
16 octobre 2019. La présente loi entre en vi- Pour créer ces ponts, la Mission French Tech,
tarité des dispositifs directement déployés
dirigée par Kat Borlongan, s’est réorganisée.
par le ministère chargé de la culture ; gueur le 1er janvier 2020 (L. n° 2019-1100, 30
45 «  correspondants French Tech  » ont ainsi
oct. 2019, JO 31 oct.).
– favoriser le développement international été désignés dans chaque administration, mi-
du secteur de la musique et des variétés, nistère ou organisme public, avec la mission
en accompagnant et en soutenant l’ex- La DINSIC devient officiellement de répondre rapidement à un problème ren-
portation des productions françaises, le la DINUM contré par une startup du dispositif.
rayonnement des œuvres et la mobilité des Une série de services d’accompagnement
La DINSIC (Direction Interministérielle du
artistes ; sont également au programme. De l’étude de
Numérique et du Système d’Information et
– favoriser un égal accès des femmes et des de Communication de l’État), la « DSI groupe marché d’un pays (avec Business France par
hommes aux professions musicales et la de l’Etat », est devenue la DINUM (Direction exemple), à l’aide pour les Visas, en passant
contribution du secteur de la musique et Interministérielle du Numérique) avec la paru- par du conseil pour la levée de fonds, le suivi
des variétés à la politique de l’Etat en ma- tion au Journal officiel du décret du 24 octobre de dossier Urssaf, un accompagnement pour
tière de protection de l’environnement et 2019. s’introduire en Bourse sur Euronext, ou encore
de développement durable ; l’adaptation de cotation bancaire.
Désormais directeur interministériel du numé-
– gérer un observatoire de l’économie et des rique, Nadi Bou Hanna reprend également A suivre Kat Borlongan, « Chacun propose un
données de l’ensemble du secteur et, à ce de plein droit la fonction d’administrateur gé- service spécifique pour faciliter la vie aux en-
titre, recueillir toutes informations utiles, néral des données (« CDO d’Etat »), les deux trepreneurs dont la startup présente un grand
notamment commerciales et financières, fonctions étant désormais rassemblées. potentiel en matière d’innovation sur un mar-
et diffuser une information économique et ché, et d’emplois pour la France ».
La responsabilité du système d’information
statistique, dans le respect des législations qui sont les 120 entreprises concernées ? 40
de l’État, comme prévu, est désormais ex-
relatives à la protection des données à ca- sont déjà celles qui composent le premier
plicitement centralisée au niveau du Premier
ractère personnel et au secret des affaires ; « Next 40 », un nouvel indice symbolique pour
Ministre, les ministres n’agissant que par délé-
– assurer une fonction d’information péda- gation. Le pilotage quotidien de la DINUM re- mettre en avant les 40 pépites les plus pro-
gogique, d’orientation et d’expertise sur le vient cependant toujours au secrétaire d’État metteuses de la French Tech (voir notre édito,
secteur ; au Numérique, toujours doublement rattaché «  Next40 : les futurs leaders technologiques
– assurer un service de formation profession- à Bercy. Des domaines, comme les infrastruc- mondiaux », RLDI 2019/163, p. 3).
nelle à destination des entrepreneurs ou tures, ne pouvant faire l’objet que de délé- Les 80 autres startups ne sont pas encore
des porteurs de projets du secteur ainsi gations spécifiques, étant a priori exclus des connues. Un appel à candidatures va être
qu’une fonction d’ingénierie en formation sujets pouvant être gérés séparément dans lancé pour une sélection en décembre. Les
professionnelle s’appuyant sur une activité chaque ministère. critères seront les fonds levés et le chiffre d’af-

20 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Les brèves
DROIT DES CRéaTIOnS ImmaTéRIEllES

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faires étant précisé qu’il faudra au moins présen- pétences propres en raison de son tissu écono- le site officiel du service des impôts pour arna-
ter 3 millions d’euros de revenus. mique (industriel et scientifique) ainsi que de sa quer des contribuables a été détecté et fermé.
Selon Kat Borlongan, « le programme s’appelle vie locale (acteurs locaux, collectivités et élus). La Direction générale des finances publiques
French Tech 120 mais c’est une estimation, l’ob- Pour le Conseil, le sujet de l’identité numérique (DGFiP) a précisé qu’«  un site frauduleux im-
jectif est que toutes les entreprises éligibles y doit être abordé en prenant en compte plu- pots.gouv.app imitant l’accès à l’espace parti-
participent. Il pourra donc y en avoir 110 ou 130, sieurs enjeux : culier du site officiel impots.gouv.fr a tenté de
voire davantage ». – le sentiment de confiance et l'accessibilité subtiliser des informations personnelles des
Le French Tech 120 et le Next 40, dont les noms qu’ont les citoyens sont les conditions sine usagers pour voler les coordonnées de carte
font référence au CAC 40 et au SBF120 pour les qua non pour construire l’identité numérique bancaire ».
entreprises cotées en Bourse, sont aussi conçus de demain : tant en termes d’outils, que de L’utilisateur devait ainsi rentrer ses coordon-
comme des labels pour renforcer la notoriété et transparence et d’usage des données ; nées bancaires qui se retrouvaient ensuite en
l’attractivité des startups qui y participent. possession des hackers. La seule distinction
– face à la dématérialisation croissante, penser
avec le site gouvernemental était l’ajout de
l’accessibilité de l’identité numérique, afin de
<.app> dans l’URL de ce dernier.
CNNum : « Lancement des fournir un service aux bénéfices de tous ;
La DGFiP n’ a pas précise pas le nombre de per-
consultations sur l’identité – à l’aune de l’apparition de la carte nationale
sonnes ont été piégées par ce site frauduleux,
numérique : données, usages, d’identité électronique, des enjeux de sou-
ni combien de temps il est resté accessible. Elle
veraineté numérique et du déploiement en
inclusion : n’oublions pas l’avis des Europe de moyens d’identification électro-
a induqué que des actions ont été engagées
citoyens ! » « très rapidement » pour « faire fermer ce site
nique, il est nécessaire que la France renforce
malveillant », qui est « désormais inopérant ».
Le Conseil national du numérique (CNNum) ses efforts sur l’identité numérique tant pour
organise jusqu'à mi-décembre une série de répondre aux échéances des règlements eu- Elle appelle dans un communiqué les contri-
consultations à Montpellier, Lyon et Paris pour ropéens que pour soutenir un écosystème buables à « rester vigilants » et à ne jamais don-
réfléchir au modèle d'identité numérique le plus grandissant et des industriels mondialement ner les références de leur carte bancaire pour
proche des usages et des besoins de chacun. reconnus. L’identité numérique est un vecteur payer un impôt, obtenir un remboursement
de développement économique avec un po- ou compléter des coordonnées personnelles.
Saisi par Cédric O, secrétaire d’État chargé du Nu- «  Il s’agit là de tentatives de fraude à la carte
mérique, sur l’identité numérique en juillet 2019, le tentiel de croissance considérable, au vu des
nombreux services qui en découlent ; bancaire, le plus souvent via la promesse d’un
Conseil a pour mission me mettre en lumière les remboursement d’impôts ».
usages et l’imbrication du futur dispositif d’iden- –il faut faire de l'identité numérique un objet
tité numérique avec la dématérialisation des ser- politique concret, loin des imaginaires et La Direction générale de la concurrence, de la
vices publiques. Pour répondre à cette mission, il des fantasmes, en décloisonnant le sujet des consommation et de la répression des fraudes
conduit une série de consultations qui ont pour enjeux régaliens et sécuritaires pour créer un (DGGCRF) avait alerté également en 2017
vocation d’alimenter les recommandations que le dialogue citoyen (CNNum, 6 nov. 2019). sur l’existence de copie des pages internet du
Conseil présentera au Gouvernement début 2020. Service Public. Elle en avait, à l’époque, dénom-
bré pas moins d’une soixantaine (DGFiP, Com-
Lors de son avis sur le Fichier des Titres Électro- Code.etalab.gouv.fr : les codes muniqué, 11 oct. 2019).
niques sécurisés (décembre 2016), les membres du
sources de logiciels publiés par des
CNNum avaient recommandé d’initier un débat
public avec les citoyens, les acteurs de la société ci- organismes publics Open data : publication par la CNIL
vile, le secteur privé et le secteur public sur les sujets Etalab a lancé, le 9 octobre, <code.etalab.gouv. et la CADA d’ un guide pratique
de l’identité administrative et de l’identité en ligne. fr>, un site permettant de parcourir la liste des de la publication en ligne et de la
codes sources publiés par des organismes pu-
Ainsi le CNNum a choisi d’aller à la rencontre réutilisation des données publiques
des citoyens pour aborder le sujet de l’identité blics.
À la suite de la consultation publique qui s’est
numérique à travers leurs usages et leurs be- En mai 2018, la DINSIC a lancé la politique de
tenue au printemps 2019, la CADA et la CNIL, en
soins. Afin de profiter de l’expérience de cha- contribution de l’État aux logiciels libres qui a
partenariat avec les services d’Etalab, ont finali-
cune et chacun, deux formats de consultation énoncé les deux principes suivants .
sé un guide pratique de la publication en ligne
vont avoir lieu pour ces rencontres sur l’identité Les agents publics qui le souhaitent peuvent et de la réutilisation des données publiques. Ce
numérique : librement contribuer à des logiciels libres exis- guide est composé d’une présentation du cadre
– les consultations avec les professionnels du tants, ils sont encouragés à le faire avec leur juridique et d’une fiche pratique sur l’anonymi-
secteur seront l’occasion d’échanger sur des adresse professionnelle. sation.
thématiques allant du modèle de gouver- Les organismes publics doivent publier les co- Lors du collège unique CADA-CNIL du 17 jan-
nance à la sécurité des systèmes de l’identité des sources des logiciels qu’ils développent ou vier 2019, les membres des deux institutions ont
numérique (sur invitation uniquement) ; font développer, ces codes sources sont consi- décidé d’engager une consultation publique sur
– les consultations avec les citoyens seront l’oc- dérés depuis la loi pour une République numé- le premier volet du guide afin de confronter les
casion de travailler sur des cas concret d’une rique comme des « documents administratifs » travaux engagés pour la présentation du cadre
part, en vue de sensibiliser les publics sur et sont soumis aux mêmes obligations que les juridique de l’open data aux attentes concrètes
ce sujet complexe, et de tester en situation bases de données (Etalab, 9 oct. 2019). des acteurs concernés.
réelle les usages liés à l’identité numérique Cette consultation, qui a comptabilisé plus de
d’autre part (ouvert à tous).
Mise en garde de la DGFiP contre 220 contributions, a mobilisé une multitude
Différentes métropoles ont été ciblées pour d’acteurs aux profils très diversifiés issus des
les arnaques aux faux sites internet
organiser ces travaux afin de garantir la repré- secteurs publics et privés, professionnels et par-
sentativité territoriale des citoyennes et des ci- des impôts ticuliers. Son succès témoigne tant de l’intérêt
toyens consultés. Chaque métropole regroupe Le ministère de l’Economie et des Finances a in- du public porté à la question de l’open data que
en effet un écosystème de savoirs et de com- diqué, le 11 octobre, qu’un site internet imitant du besoin d’accompagnement des administra-

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 21


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tions diffusant en ligne des données publiques de jouets allemand, qui avait fait l’objet d’un Elle avait découvert que divers fournisseurs
ainsi que des réutilisateurs de ces données. recours devant le Tribunal de l’Union euro- vendaient sur Cdiscount.com différents
Les observations recueillies à cette occasion péenne. modèles de sacs à dos en provenance de
ont été prises en compte afin d’ajuster le Par un arrêt du 25 novembre 2014, la juridic- Chine et présentés comme étant des mo-
contenu et la forme du document composant tion de première instance de l’Union avait à dèles « Padded » de la marque Eastpak.
le premier volet du guide et d’amorcer la ré- son tour rejeté le recours. Devant l’impossibilité d’entrer en contact avec
daction des fiches pratiques. ces vendeurs, elle avait envoyé deux lettres
Simba Toys avait alors introduit un pourvoi
La publication de ce guide est accompagnée devant la Cour de justice l’Union européenne. de mise en demeure à Cdiscount avant de
d’une première fiche pratique relative à l’ano- Par un arrêt du 10 novembre 2016, la Cour a l’assigner en contrefaçon et en concurrence
nymisation des documents administratifs. De fait droit à la demande et a annulé tant l’arrêt déloyale. Cdiscount avait invoqué en défense
nouvelles fiches pratiques seront diffusées ul- du tribunal que la décision de l’EUIPO. son statut d’hébergeur.
térieurement afin d’apporter un éclairage spé- C’est également l’analyse du Tribunal pour
C’est dans ce contexte que l’EUIPO a ren-
cifique sur d’autres thématiques en lien avec qui « que la société demanderesse ne pro-
du une nouvelle décision concluant que la
l’open data. duit aucun élément de nature à démontrer
marque litigieuse avait été enregistrée en vio-
Afin de garantir sa pérennité, le contenu du lation du règlement n° 207/2009 sur la marque l’existence d’un rôle actif impliquant des
guide fera l’objet de mises à jour régulières de l’Union européenne et a annulé son enre- choix éditoriaux de la part de Cdiscount et
pour intégrer notamment les évolutions lé- gistrement. Cete décision est donc confirmée plus largement la connaissance ou le contrôle
gales et jurisprudentielles ainsi que les élé- par le Tribunal de l’Union européenne (TUE 24 des contenus litigieux. Au contraire, les fonc-
ments de doctrine développés par la CNIL et oct. 2019, aff. T-601/17, Rubik’s Brand Ltd c./ tionnalités précitées apparaissent constituer
la CADA (CNIL, 17 oct. 2019). Simba Toys GmbH & Co. KG). des opérations techniques qui participent de
l’essence du prestataire d’hébergement, les-
Annulation par le TUE de la quelles n’induisent en rien une sélection des
Contrefaçon de sacs de la marque contenus mis en ligne et sont justifiées par la
marque de l’UE représentant la « Eastpak » : statut d’hébergeur seule nécessité, encore en cohérence avec la
forme du « Rubik’s Cube » de la plateforme d’e-commerce fonction de prestataire technique, de rationa-
Le Tribunal de l’Union européenne a confirmé liser l’organisation du service et d’en faciliter
Cdiscount l’accès à l’utilisateur sans pour autant lui com-
l’annulation de la marque de l’Union euro-
péenne déposée par Seven Towns constituée Le Tribunal de grande instance de Paris a es- mander un quelconque choix quant au conte-
de la forme du « Rubik’s cube » au motif que timé que la plateforme d’e-commerce Cdis- nu qu’il entend mettre en ligne ».
les caractéristiques essentielles de celle-ci count n’intervenant pas de manière active
Dans la mesure où le site a immédiatement
sont nécessaires à l’obtention du résultat tech- dans le contenu des annonces publiées avait
retiré les annonces litigieuses suite aux mises
nique consistant dans la capacité de rotation le statut d’hébergeur. Elle bénéficie en consé-
en demeure, sa responsabilité ne pouvait pas
de ce produit. quence du régime de responsabilité civile limi-
être engagée pour n’avoir pas retiré ou ren-
Cette décision intervient suite à un long pro- tée prévu par la LCEN.
du impossible l’accès aux contenus en cause
cessus procédural. En effet, l’Office de l’Union La société JAC qui conçoit et commercialise (TGI, Paris, 3ème  ch., 2ème sec., 28 juin 2019,
européenne pour la Propriété Intellectuelle les produits de la marque « Eastpak » est donc Jansport Apparel / Cdiscount, Legalis).
(EUIPO) avait initialement émis une décision déboutée de son action en contrefaçon contre
de rejet de la requête en annulation présen- Cdiscount concernant la vente sur son site de Suivez l’actualité en temps réel du droit
tée par la société Simba Toys, producteur produits contrefaisants de la marque. de l’immatériel sur twitter : @RLDI_lamy

La référence en matière
de droit du numérique
A_LDN_165x60_N_01_19 [CC]

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22 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Activités de l'immAtériel
SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DE
Michel Vivant, Professeur à Sciences Po Paris

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L
a Commission européenne a publié le 23 octobre dernier, son rapport sur le troisième examen annuel du
fonctionnement du bouclier de protection des données UE-États-Unis.
Il confirme que les États-Unis continuent de garantir un niveau suffisant de protection des données à caractère per-
sonnel transférées de l’UE vers les sociétés participantes des États-Unis au titre du bouclier de protection des données.
Depuis le deuxième examen annuel, plusieurs améliorations ont été apportées au fonctionnement du cadre et des
nominations ont été effectuées dans des organismes clés de surveillance et de recours, comme celle du média-
teur du bouclier de protection des données. Alors que le bouclier en est à sa troisième année d’activité, l’examen
s’est concentré sur les enseignements tirés de sa mise en œuvre et de sa fonctionnalité quotidienne. Aujourd’hui,
quelque 5 000 sociétés participent à ce cadre de protection des données UE-États-Unis.
Vĕra Jourová, commissaire pour la justice, les consommateurs et l’égalité des genres, a précisé qu’« avec quelque
5 000 sociétés participantes, le bouclier de protection des données est une réussite. L’examen annuel nous permet
de vérifier que tout fonctionne correctement. Nous poursuivrons le dialogue sur la diplomatie numérique avec nos
homologues américains afin de rendre le bouclier plus solide, notamment en matière de contrôle, d’application de
la législation et, à plus long terme, pour améliorer la convergence de nos systèmes ».
Parmi les améliorations relevées, le troisième examen relève que le ministère américain du commerce assure la
surveillance nécessaire de manière plus systématique, en procédant par exemple à des vérifications mensuelles
auprès d’un échantillon de sociétés pour contrôler le respect des principes du bouclier de protection des données.
L’action répressive s’est améliorée grâce aux mesures adoptées par la commission fédérale du commerce pour
faire appliquer les principes du bouclier de protection des données dans plusieurs affaires.
Un nombre croissant de citoyens de l’Union font usage de leurs droits au titre du bouclier de protection et les
mécanismes de recours appropriés fonctionnent correctement.
Parallèlement à la nomination du médiateur permanent, les deux derniers postes vacants au Conseil de surveil-
lance de la vie privée et des libertés civiles ont été pourvus, ce dernier disposant ainsi d’un effectif complet pour
la première fois depuis 2016.
La Commission recommande cependant que certaines mesures concrètes soient prises pour mieux assurer le bon
fonctionnement du bouclier de protection des données dans les faits.
A la suivre, il convient notamment lieu de renforcer le processus de (re)certification des sociétés qui souhaitent
participer en réduisant la durée du processus de (re)certification; en élargissant les contrôles de conformité, y
compris en ce qui concerne les fausses déclarations de participation au cadre; et en élaborant des orientations
supplémentaires pour les sociétés liées aux données relatives aux ressources humaines.
La Commission s’attend aussi à ce que la commission fédérale du commerce renforce ses enquêtes sur la confor-
mité avec les exigences de fond du bouclier de protection des données et informe la Commission et les autorités
de protection des données de l’Union des enquêtes en cours.
On rappellera que la décision relative au bouclier de protection des données UE-États-Unis a été adoptée le
12 juillet 2016 et que son cadre est entré en vigueur le 1er août 2016.
On rappellera également qu'il protège les droits fondamentaux de tout citoyen de l’Union dont les données à
caractère personnel sont transférées à des fins commerciales vers des sociétés certifiées aux États-Unis, tout en
apportant de la clarté juridique aux entreprises qui ont recours à des transferts transatlantiques de données.
La Commission s’est engagée à procéder à un examen annuel du dispositif afin de s’assurer qu’il continue de
garantir un niveau de protection adéquat des données à caractère personnel. Les premier et deuxième examens
annuels ont eu lieu en septembre 2017 et en octobre 2018
On rappellera, enfin, qu'un litige est actuellement pendant devant la Cour de justice de l’Union européenne sur
les transferts de données UE-États-Unis ; ce qui peut aussi avoir une incidence sur le bouclier de protection des
données. Une audition a eu lieu en juillet dernier dans l’affaire C-311/18 (Schrems II). Une fois l’arrêt de la Cour
rendu, la Commission évaluera ses conséquences pour le bouclier de protection des données.
Lionel COSTES

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 23


Actualités | Éclairages
Activités de l'immAtériel
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Par Emmanuel DERIEUX


Professeur à l’Université
Panthéon-Assas (Paris 2)

ÎRLDI 5592

Distribution de la presse
Apports de la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019
relative à la modernisation de la distribution de la
presse
La loi du 18 octobre 2019, dite de « modernisation de la distribution de la presse », modifie
presque totalement le texte de la loi du 2 avril 1947, « relative au statut des entreprises de
groupage et de distribution des journaux et publications périodiques ».
Par des dispositions pourtant tout aussi complexes et détaillées, elle vise à en libéraliser le
régime, dans l’espoir de remédier aux difficultés économiques persistantes éprouvées par le
secteur, tout en prétendant garantir « l’indépendance et le pluralisme » de la presse et « le libre
choix des lecteurs ». Tenant compte de l’évolution des techniques, elle introduit quelques règles,
bien plus succinctes, concernant « la diffusion numérique de la presse ».
L. n° 2019-1063, 18 oct. 2019, JO 19 oct.

A
yant, selon son intitulé, pour objectif d’assurer « la moder- sieurs reprises déjà récemment modifiée et complétée par les lois
nisation de la distribution de la presse », la (très longue du 17 mai et du 20 juillet 2011 et du 14 novembre 2016), que, dans
et assez complexe et confuse) loi n° 2019-1063, du 18 oc- sa formulation si ce n’est dans son esprit et ses objectifs, il ne reste
tobre 2019, introduit tant de modifications dans la loi n° 47-585, presque plus rien du texte d’origine. Il aurait assurément été plus
du 2 avril 1947, « relative au statut des entreprises de groupage et simple et plus clair, pour le législateur lui-même (qui, lors du débat
de distribution des journaux et publications périodiques »(1) (à plu- et au moment de l’adoption du texte, aurait alors eu une plus juste
compréhension de l’apport de son intervention) et pour chacun (le
travail dit « de consolidation », et qui pourrait bien s’avérer être
(1) Sur les dispositions jusque-là en vigueur, voir notamment : Cadou E,
de « fragilisation », devant être effectué, par la suite, à partir de la
« Le système français de régulation de la distribution de la presse », loi nouvelle promulguée), de faire de la loi réformatrice, entière-
in Franceschini L et Broyelle C (ss. dir.), La loi Bichet sur la distribu- ment élaborée, et de sa date la nouvelle référence en la matière.
tion de la presse, 70 ans après, Editions Panthéon-Assas, 2018, p. 65- Il est vrai que, aux modifications ainsi introduites dans ladite loi
79 ; Derieux E, « Distribution de la presse », Droit des médias. Droit
français, européen et international, Lextenso-LGDJ, 8e éd., 2018, pp.
105-114 ; Granchet A, « Les principes de la loi Bichet », in Franceschi-
ni, L.  et Broyelle,  C. (ss. dir)., La loi Bichet  sur la distribution de la et solidarité, coll. « Les rapports du Sénat », 1994-1995, n° 152 ; Has-
presse, 70 ans après, Éditions Panthéon-Assas, 2018, p. 43-64. Et, sur san J-C, La distribution de la presse en France : la voie étroite d’une
le projet de réforme ou diverses autres propositions ou recommanda- réforme nécessaire, Rapport au ministre de la Culture, janvier 2000,
tions antérieures à cet égard, voir notamment : Cadou E, « « Réforme 38 p. ; Pasteur L, « Faut-il abroger la loi Bichet du 2 avril 1947 ? »,
de la loi Bichet sur la distribution de la presse  : une menace pour Legipresse 2007, n° 240.I.37-38 ; Schwartz M et Terraillot F, Dix pro-
le pluralisme ? », Legipresse 2019, n° 372, pp. 326-327 ; Carasco A, positions pour moderniser la distribution de la presse, Rapport au
« La presse ne sera plus distribuée comme avant », La Croix, 15 juil- ministre de l’Economie et des Finances et à la ministre de la Culture,
let 2019 ; Gouteyron A, La distribution de la presse entre rationalité juin 2018.

24 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Actualités | Éclairages
Activités de l'immAtériel

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de 1947 (en l’absence de Code des médias ou de la communica- publications) et « diffusion » (celle-ci concernant le stade ultime de
tion), s’ajoutent, celles, tout aussi nombreuses même si elles sont mise à disposition de chacun des exemplaires à l’usage des lec-
plus accessoires, du Code des postes et des communications élec- teurs) est-elle toujours rigoureuse et significative ? Comme cela est
troniques, du Code justice administrative, du Code général des parfois très utilement fait(2) et d’une manière qui mériterait d’être
collectivités territoriales, du Code général des impôts, du Code généralisée, une claire définition de chacun des termes utilisés
de la consommation et de la loi n° 91-1, du 3 janvier 1991, « pour n’aurait pas été superflue !
l’application du troisième plan pour l’emploi ».
Supposé déterminer l’objet du régime de «  distribution de la
Les dispositions ainsi modifiées ou nouvellement introduites dé- presse imprimée », le nouvel article 2 de la loi de 1947 vise « les
terminent, pour un avenir probablement provisoire, le système publications de presse telles que définies au premier alinéa de
de distribution de la presse (I) et instaurent des institutions et un l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du
mécanisme sans doute assez improprement dénommés, tant les régime juridique de la presse ». Y est ainsi désigné « tout service
normes et les contraintes en sont nombreuses et pesantes, de ré- utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposi-
gulation de la distribution de la presse (II). tion du public en général ou de catégories de public et paraissant
à intervalles réguliers ».
I.- SYSTÈME DE DISTRIBUTION DE LA PRESSE
Toutefois, le souci de « garantir l’indépendance et le pluralisme »
Tel qu’établi par la loi du 18 octobre 2019, modifiant celle du 2 avril de la presse imprimée, «  ainsi que le libre choix des lecteurs  »,
1947, le système de distribution de la presse se caractérise par la n’est, par l’article 4 de la loi modifiée, pertinemment formulé qu’à
formulation du principe de liberté de distribution (A) et, pour le l’égard de la « presse d’information politique et générale ». Elle
garantir, la désignation de nouvelles structures de distribution (B). seule y contribue, à l’exclusion du bien plus grand nombre des
titres de presse, n’ayant pas ce caractère, pour lesquelles ces pré-
A.- Liberté de distribution occupations ne revêtent pas la même importance et peut-être
même n’ont-elles pas de sens. Sont ainsi considérés « les journaux
A la formulation de l’énoncé et à la détermination de l’objet du
et publications périodiques qui apportent de façon permanente
principe (1°/) de liberté de distribution de la presse, s’ajoute celle
sur l’actualité politique et générale, locale, nationale ou interna-
des modalités de mise en œuvre (2°/) qui, pour mieux la garantir,
tionale des informations et des commentaires tendant à éclairer
l’encadrent rigoureusement, au point de paraître le contraindre ou
le restreindre. le jugement des citoyens, consacrent la majorité de leur surface
rédactionnelle à cet objet et présentent un intérêt dépassant d’une
façon manifeste les préoccupations d’une catégorie de lecteurs »(3).
1°/ Enoncé et objet du principe
Il y est ajouté qu’« un décret en Conseil d’Etat désigne l’autorité
Tel que modifié par la loi d’octobre 2019, l’article 1er de la loi d’avril
compétente pour reconnaître le caractère d’information politique
1947, qui constitue une sorte d’article préliminaire qui se veut de
et générale de ces journaux et publications dans des conditions
portée générale, pose désormais pour principe que « la diffusion
d’indépendance et d’impartialité  ». Peut-on penser que celle-ci
de la presse est libre ».
pourrait être la Commission paritaire des publications et agences
Alors que la version d’origine du même article énonçait que « la de presse-CPPAP (qui détermine les publications admises à cer-
diffusion de la presse imprimée est libre », sa rédaction nouvelle,
supprimant la référence à la presse « imprimée », contribue à dé-
terminer plus largement l’objet du principe et du régime ainsi ins-
(2) Voir, par exemple, la définition que l’article 2 de la loi n° 86-1067, du
tauré. Certaines dispositions concernent confusément la « distribu- 30 septembre 1986, donne des « communications électroniques », de
tion » et/ou la « diffusion » de la « presse imprimée » et d’autres la la « communication au public par voie électronique », de la « com-
« diffusion numérique de la presse ». Tenant compte de l’évolution munication audiovisuelle », de la « télévision », de la « radio », des
des techniques, ces deux supports d’information, imprimés et nu- « médias audiovisuels à la demande », et que l’article 1er de la loi n°
mériques, sont maintenant mais cependant différemment visés à 2004-575, du 21 juin 2004, donne de la « communication au public
cet égard. par voie électronique » (heureusement, mais il n’en est pas toujours
ainsi, identique à la précédente !), de la « communication au public
Bien que ne figurant que dans le Titre Ier de la loi modifiée, relatif à en ligne » et du « courrier électronique ».
la « distribution de la presse imprimée », le principe, repris du texte (3) Un écho partiel mais pas totalement identique est ainsi donné aux
d’origine, désormais énoncé par l’article 3 de la loi modifiée, selon dispositions de l’article 17 de l’annexe 2 du Code général des im-
lequel « toute entreprise de presse est libre d’assurer elle-même pôts qui pose que, « pour l’application de l’article 39 bis A du Code
la distribution de ses propres journaux et publications périodiques général des impôts » (relatif, au titre d’une des modalités d’aide de
par les moyens qu’elle jugera les plus appropriés à cet effet  », l’Etat à la presse, au régime de l’impôt sur les bénéfices des entre-
prises éditrices de presse), «  sont regardés comme consacrés pour
ne concerne évidemment pas que cette «  presse imprimée  », à une large part à l’information politique et générale les publications et
l’exclusion des supports numériques qui sont l’objet du Titre II de services de presse en ligne réunissant les caractéristiques suivantes :
ladite loi et pour lesquels ce principe de liberté n’est pas explici- 1° apporter de façon permanente et continue sur l’actualité politique
tement rappelé, alors que, pour eux, il s’agirait de « diffusion ». et générale locale, nationale ou internationale des informations et
des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens  ; 2°
Dans la formulation de l’intitulé de la loi modifiée et de certaines consacrer au moins le tiers de leur surface rédactionnelle à cet ob-
de ses dispositions, la distinction entre «  distribution  » (assurant jet ». Un regroupement et une harmonisation des textes seraient bien
le transport, entre les éditeurs et les revendeurs, de paquets de souhaitables !

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taines modalités d’aide de l’Etat(4)) ou une autre institution, et non 2°/ Modalités de mise en oeuvre
l’Autorité de régulation des communications électroniques, des
Posant, comme précédemment indiqué, que « toute entreprise de
postes et de la distribution de la presse, dont la compétence est
presse est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres
pourtant, par la présente loi, élargie à ce nouveau domaine sinon
journaux et publications périodiques », l’article 3 de la loi d’avril
à cette thématique de garantie d’indépendance et de pluralisme ?
1947, dans sa version nouvelle, dispose, s’agissant de la « presse
Un traitement différent est, par le nouvel article 5, envisagé pour imprimée » et pour en garantir la libre diffusion, que « lorsque deux
« la presse d’information politique et générale » et pour les « jour- entreprises de presse ou plus groupent la distribution de journaux
naux et publications périodiques bénéficiant des tarifs de presse et publications périodiques qu’elles éditent, en vue de leur vente
prévus par l’article 4 du Code des postes et des communications au public, elles doivent à cet effet adhérer à une société coopéra-
électroniques(5) autres que d’information politique et générale ». tive de groupage de presse ». Suite à sa révision, l’article 6 de la
même loi exige cependant que de telles « sociétés coopératives »
Cela entraîne donc, parce que le pluralisme de l’information n’y est
soient constituées d’« au moins trois associés » !
pas pareillement en cause, la détermination de diverses catégories
de publications périodiques soumises, en matière de distribution A la différence du principe énoncé dans la version d’origine de
(mais pas s’agissant du statut des entreprises éditrices(6) ou de l’ad- ladite loi de 1947 qui, mettant en place un système coopératif, pré-
mission à certaines des modalités d’aides de l’Etat), à des régimes voyait la possibilité, pour les sociétés coopératives, «  de confier
distincts. l’exécution de certaines opérations matérielles  » de distribution
« à des entreprises commerciales », le nouvel article 3 fait, de ce
Comme dans la loi d’origine, il est posé, par l’article 3, que « la
qui était alors envisagé comme étant une éventualité ou une op-
distribution des exemplaires aux abonnés n’est pas régie par les
tion (longtemps concrétisée avec les Nouvelles messageries de
dispositions du présent article » et, par voie de conséquence, de
la presse parisienne-NMPP), la norme et la pratique nouvelles. Il
l’ensemble de la loi telle que modifiée.
pose que «  la distribution groupée des journaux et publications
L’objet ou champ d’application du principe de liberté de « distribu- périodiques est assurée par des sociétés agréées de distribution
tion » et/ou de « diffusion » de la presse paraît donc déjà quelque de la presse ». quel est donc désormais le rôle des sociétés coo-
peu confus et incertain. Bien que ou parce qu’elles visent à en ga- pératives ? Leur existence n’est-elle pas que formelle ou illusoire ?
rantir la réalité, il risque fort d’en être de même de ses modalités
La « distribution » et la « diffusion » de la « presse imprimée » et la
de mise en œuvre.
« diffusion numérique de la presse » passent, officiellement pour
en garantir la liberté, par différentes structures auxquelles s’im-
posent, à cet égard, des obligations particulières.
(4) Derieux E, « Aides de l’Etat à la presse », Droit des médias, Lexten-
so-LGDJ, pp. 115-136.
B.- Structures de distribution
(5) Celui-ci pose que « les ministres chargés des postes et de l’écono-
mie homologuent, après avis public de l’Autorité de régulation des En application du principe de liberté de diffusion de la presse, les
communications électroniques, des postes et de la distribution de la dispositions nouvelles de la loi de 1947 envisagent différemment,
presse, les tarifs des prestations offertes à la presse au titre du service
public du transport et de la distribution de la presse, et soumises au en relation avec l’état des techniques ou supports d’information,
régime spécifique prévu par le présent Code. La structure tarifaire les structures de distribution de la presse imprimée (1°/) et de la
de ces prestations doit favoriser le pluralisme, notamment celui de diffusion numérique de la presse (2°/) et leurs droits et obligations.
l’information politique et générale ».
N’aurait-il pas été plus pertinent de se référer à l’article D. 18 du 1°/ Distribution de la presse imprimée
même Code qui dispose notamment que « les journaux et écrits pé-
riodiques présentant un lien direct avec l’actualité, apprécié au re- S’agissant de la distribution ou de la diffusion de la presse impri-
gard de l’objet de la publication et présentant un apport éditorial mée, il convient de distinguer : les sociétés coopératives de grou-
significatif, peuvent bénéficier du tarif de presse s’ils remplissent les
page, les sociétés agréées de distribution, les points de vente et le
conditions suivantes : 1° avoir un caractère d’intérêt général quant
à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information, ré- statut des vendeurs-colporteurs et porteurs de presse.
création du public ; 2° satisfaire aux obligations de la loi du 29 juillet
1881 sur la liberté de la presse (…) 3° paraître régulièrement au moins a) Sociétés coopératives de groupage
une fois par trimestre sans qu’il puisse y avoir un intervalle supérieur
à quatre mois entre deux parutions ; 4° faire l’objet d’une vente ef- Comme précédemment indiqué, l’article 3 de la loi de 1947 révisée
fective au public, au numéro ou par abonnement, à un prix marqué pose que « lorsque deux entreprises de presse ou plus groupent
ayant un lien réel avec les coûts, sans que la livraison du périodique
la distribution de journaux et publications périodiques qu’elles
s’accompagne de la fourniture gratuite ou payante de marchandises
ou de prestations de services ne présentant pas un lien avec l’objet éditent, en vue de leur vente au public, elles doivent à cet effet
principal de la publication (…) 5° avoir au plus les deux tiers de leur adhérer à une société coopérative de groupage ». Les nouveaux
surface consacrés à la publicité, aux annonces classées, sans que ces articles 6 à 10 de la loi ainsi modifiée en déterminent la constitution
dernières n’excèdent la moitié de la surface totale et aux annonces et l’organisation. Mais quel en sera le véritable rôle ?
judiciaires et légales » ?
(6) Derieux E « Entreprises de presse », Droit des médias, Lextenso-LG- Aux termes du nouvel article 6, «  les sociétés coopératives de
DJ, pp. 75-91. groupage de presse doivent comprendre au moins trois associés

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ne faisant pas partie du même groupe économique au sens de L’article 3 de la loi de 1947 révisée pose que « la distribution grou-
l’article L. 233-16 du Code de commerce »(7). pée des journaux et publications périodiques est assurée par des
sociétés agréées de distribution de la presse ».
Le même article 6 soumet ces sociétés coopératives aux articles
L. 231-1 à L. 231-8 du même Code déterminant les « dispositions Le nouvel article 12 de la loi d’avril 1947 dispose que « l’agrément »
communes aux diverses sociétés commerciales  »... cependant (dont l’article 18 détermine qu’il est accordé par l’Autorité de ré-
« sous réserve des dispositions de la présente loi ». gulation des communications électroniques, des postes et de la
distribution de la presse), dont doivent bénéficier les sociétés de
D’une formulation à peine différente de celle du texte d’origine,
distribution, « atteste de la capacité de la société à assurer la distri-
son article 7 pose que «  le capital social de chaque société de
bution des journaux et publications périodiques qu’elle se propose
groupage de presse ne peut être souscrit que par les personnes
d’acheminer selon un schéma territorial sur lequel elle s’engage »,
physiques ou morales propriétaires de journaux et publications pé-
couvrant « la totalité du territoire ou des parties cohérentes de ce-
riodiques qui auront pris l’engagement de conclure un contrat de
lui-ci », ladite société assurant « une desserte non discriminatoire
groupage avec la société ».
des points de vente ».
Il en est de même de son article 8 selon lequel, par principe et
Il y est précisé que ledit «  agrément est subordonné au respect
sauf cas de possible exclusion des publications ayant fait l’objet
d’un cahier des charges fixé par décret » (est ainsi annoncé l’élabo-
de condamnation pour « mise en péril des mineurs », du fait de la
ration d’un texte supplémentaire, émanant de l’exécutif et non de
diffusion de messages violents ou pornographiques, en applica-
l’Autorité de régulation dont la compétence est élargie au secteur
tion de l’article 227-24 du Code pénal, ou de mesures d’interdic-
de la distribution de la presse !) définissant « notamment les obli-
tion en application de l’article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les
gations auxquelles doivent satisfaire les sociétés candidates, dans
publications destinées à la jeunesse(8), « la société coopérative de
le respect des principes d’indépendance et de pluralisme de la
groupage de presse est tenue d’admettre tout journal ou pério-
presse, de transparence, d’efficacité, de non-discrimination et de
dique qui offre de conclure avec elle un contrat de groupage sur la
continuité territoriale de la distribution (…) les types de prestations
base des conditions générales et du barème des tarifs d’une ou de
et les niveaux de services attendus  » et «  les obligations spéci-
plusieurs sociétés agréées de distribution de la presse ».
fiques à satisfaire pour la distribution des quotidiens ».
Aux termes de l’article 9 de ladite loi révisée, « l’administration et
Par l’article 11 de la loi de 1947 ainsi modifiée, une limite de « 20
la disposition des biens des sociétés coopératives de groupage de
% des droits de vote » est, pour en garantir l’indépendance, fixée
presse appartiennent à l’assemblée générale, à laquelle tous les
à la participation, au sein d’une « société agréée de distribution de
sociétaires ont le droit de participer », chacun n’y disposant que
la presse », d’une personne (physique ou morale) non européenne
« d’une seule voix ».
ou non originaire d’un Etat avec lequel la France aurait passé un
Au nom des garanties du pluralisme, le nouvel article 10 interdit à accord « comportant soit une clause d’assimilation au national, soit
une même personne d’exercer une fonction d’administration dans une clause de réciprocité dans le domaine de la presse ». Il est à
plus d’une « société coopérative de groupage de presse ». relever que, contrairement à ce qui est posé par la loi du 1er août
1986 (article 7), pour ce qui est des entreprises éditrices de presse,
Dénuées de tout rôle concret, les «  coopératives de groupage de et, plus explicitement, par la loi du 30 septembre 1986 (article 40),
presse » ne sont-elles que des intermédiaires par lesquels les entre- pour ce qui est des entreprises privées de radio et de télévision,
prises de presse doivent cependant passer pour bénéficier des ser- qui, sous les mêmes réserves, limitent à « 20 % » la « part du capital
vices des « sociétés agréées de distribution de la presse » ? quelle en détenue par des étrangers » dans leur ensemble, la limite ici fixée
est la véritable utilité, sauf peut-être, par un tel regroupement, à peser concerne chacun d’entre eux. Plusieurs de ces étrangers pour-
davantage dans les relations et notamment les négociations tarifaires raient donc conjointement contrôler une société de distribution
avec les sociétés de distribution ? Cet échelon et cette forme coopé- de presse.
rative s’imposaient-ils vraiment ou ne sont-ils qu’illusion ?
Le nouvel article 13 de ladite loi pose enfin que « l’agrément n’est
b) Sociétés agréées de distribution pas cessible ».

Précédemment envisagées comme une possibilité, pour les « so- Les obligations desdites sociétés de distribution, sorte de transpo-
ciétés coopératives », de « confier l’exécution de certaines opéra- sition de celles qui pesaient précédemment sur les coopératives de
tions matérielles à des entreprises commerciales  » (comme cela messagerie, sont déterminées par le nouvel article 5 de la loi d’avril
fut longtemps le cas, à l’époque, des Nouvelles messageries de 1947. Il y est posé que « toute société agréée de distribution de
la presse parisienne-NMPP, devenues, par la suite, Presstalis), les la presse est tenue de faire droit, dans des conditions objectives,
«  sociétés agréées de distribution  » deviennent les véritables et transparentes, efficaces et non discriminatoires, à la demande de
seuls opérateurs du système. distribution des publications d’une entreprise de presse  ». Ces
conditions diffèrent cependant selon trois types de publications
pour lesquelles elles ne revêtent pas la même importance.

(7) Celui-ci détermine les modalités de constitution d’un «  groupe  » Pour ce qui est de « la presse d’information politique et générale »,
contrôlant «  de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs il est précisé qu’elle « est distribuée dans les points de vente et
autres entreprises ». selon les quantités déterminés par les entreprises éditrices de ces
(8) Derieux E, « Publications destinées à la jeunesse », Droit des médias, publications  » et que «  la continuité de sa distribution doit être
Lextenso-LGDJ, 8e éd., 2018, pp. 146-151. garantie ».

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Pour «  les journaux et publications périodiques bénéficiant des S’agissant de « la presse d’information politique et générale », il y
tarifs » postaux de presse(9), « autres que d’information politique est posé qu’elle « est distribuée dans les points de vente et selon
et générale », il est prévu qu’ils « sont distribués selon des règles les quantités déterminés par les entreprises éditrices de ces publi-
d’assortiment des titres et de détermination des quantités ser- cations » et que lesdits « points de vente ne peuvent s’opposer à la
vies aux points de vente définis par un accord interprofessionnel diffusion d’un titre » de cette catégorie.
conclu entre les organisations professionnelles représentatives des
entreprises de presse et des diffuseurs de presse et les sociétés Pour ce qui concerne les « journaux et publications périodiques bé-
agréées de distribution ou, le cas échéant, les organisations pro- néficiant des tarifs  » postaux de presse (pourtant étrangers à ce
fessionnelles représentatives de ces dernières  ». N’aurait-on pas mode de diffusion !), « autres que d’information politique et gé-
pu imaginer que les coopératives de groupage de presse jouent nérale », il est, comme précédemment indiqué, prévu qu’ils « sont
un rôle à cet égard ? distribués selon des règles d’assortiment des titres et de détermi-
nation des quantités servies aux points de vente définies par un ac-
« Pour les autres journaux et publications périodiques », il est posé,
cord interprofessionnel » et que celui-ci « tient compte des carac-
par le même article 5, que «  les entreprises de presse, ou leurs
représentants, et les diffuseurs de presse, ou leurs représentants, téristiques physiques et commerciales des points de vente ». Il est
définissent par convention les références et les quantités servies ajouté que « ceux-ci ne peuvent s’opposer à la diffusion d’un titre
aux points de vente ». qui leur est présenté dans le respect des règles » susmentionnées.

Les sociétés de distribution, ainsi constituées, acheminent, dans « Pour les autres journaux et publications périodiques », enfin, il
ces conditions, les paquets de publications périodiques jusqu’aux est posé que « les entreprises de presse, ou leurs représentants,
différents points de vente. et les diffuseurs de presse, ou leurs représentants, définissent par
convention les références  » (c’est-à-dire les différentes publica-
c) Points de vente tions) « et les quantités servies aux points de vente ».

Evoquant ce qui est relatif à la « diffusion de la presse imprimée », Par l’article 1458 bis du Code général des impôts, modifié par la
le nouvel article 14 de la loi d’avril 1947 modifiée dispose que « le loi du 18 octobre 2019, il est posé que «  les établissements qui
réseau de points de vente au public de la presse imprimée répond vendent au public des écrits périodiques en qualité de manda-
aux exigences de large couverture du territoire, de proximité et taires (…) sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises ».
d’accès au public et de diversité et d’efficacité des modalités com-
merciales de la diffusion  », et qu’«  un décret fixe les règles gé- d) Vendeurs-colporteurs et porteurs de presse
nérales relatives aux conditions d’implantation de ces points de
vente ». La loi du 18 octobre 2019 modifie encore les dispositions de l’ar-
ticle 22 de la loi n° 91-1, du 3 janvier 1991, prise « pour l’application
Certains des droits et des obligations desdits points de vente sont du troisième plan pour l’emploi ».
déterminés, par l’article 5 précité, en relation avec ceux des socié-
tés de distribution. Il y est posé que les «  vendeurs-colporteurs  de presse effec-
tuent sur la voie publique ou par portage à domicile, la vente de
publications » de presse. Ils ont, selon les cas, « la qualité de tra-
(9) Cette forme de distribution n’utilisant pas la voie postale, il serait
vailleurs indépendants » ou de « mandataire commissionnaire ».
assurément préférable de se référer à certaines des dispositions du quant aux « porteurs de presse », il est indiqué qu’ils « effectuent
Code général des impôts (articles 72 et 73 de l’annexe 3) déterminant
sur la voie publique ou par portage à domicile, la distribution de
les publications périodiques admises à certaines modalités d’aide de
l’Etat à la presse. Sorte de copié-collé de l’article D. 18 du Code des publications » de presse et que, si « les conditions juridiques de
postes et des communications électroniques (à moins que ce ne soit leur activité ne répondent pas à celles » des précédents, « ils ont
l’inverse, mais on ne se plaindra pas de cette cohérence assez inhabi- la qualité de salarié ».
tuelle des textes !), l’article 72 pose que « les journaux et écrits pério-
diques présentant un lien direct avec l’actualité, apprécié au regard Tel que modifié par la loi du 18 octobre 2019, l’article 298 undecies
de l’objet de la publication et présentant un apport éditorial significa- du Code général des impôts pose que « les opérations d’entre-
tif, bénéficient des avantages fiscaux prévus à l’article 298 septies du mise accomplies », à cet égard, « par des personnes justifiant de
code général des impôts s’ils remplissent les conditions suivantes : 1° la qualité de mandataires (…) ne donnent pas lieu au paiement
avoir un caractère d’intérêt général quant à la diffusion de la pensée :
instruction, éducation, information, récréation du public ; 2° satisfaire
de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’elles concernent des écrits
aux obligations de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse périodiques au sens de la loi du 29 juillet 1881 » (sans doute serait
(…) 3° paraître régulièrement au moins une fois par trimestre sans préférable, comme cela est fait par ailleurs, de se référer directe-
qu’il puisse y avoir un intervalle supérieur à quatre mois entre deux ment à la loi n° 86-897 du 1er août 1986… à laquelle ladite loi de
parutions ; 4° faire l’objet d’une vente effective au public, au numé- 1881 renvoie !), et que « les éditeurs de périodiques ainsi diffusés
ro ou par abonnement, à un prix marqué ayant un lien réel avec les
acquittent la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix de vente total au
coûts, sans que la livraison du journal ou périodique considéré soit
accompagnée de la fourniture gratuite ou payante de marchandises public ».
ou de prestations de services n’ayant aucun lien avec l’objet principal
Ne se préoccupant évidemment, depuis l’origine et jusque-là, que
de la publication (…) 5° avoir au plus les deux tiers de leur surface
consacrés aux annonces classées, sans que ces dernières excèdent la de la distribution de la presse imprimée, la nouvelle version de la
moitié de la surface totale, à la publicité et aux annonces judiciaires loi d’avril 1947 élargit son champ d’application et considère égale-
et légales ». ment désormais la « diffusion numérique de la presse ».

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2°/ Diffusion numérique de la presse nel, « ne peuvent s’opposer à la diffusion d’un service de presse
en ligne d’information politique et générale ou de la version nu-
Le nouvel article 15 de la loi d’avril 1947 détermine quelques obli- mérisée d’un titre d’information politique et générale, dès lors
gations qui pèsent désormais sur « les personnes qui proposent, à qu’elle serait réalisée dans des conditions techniques et finan-
titre professionnel, un service de communication au public en ligne cières raisonnables et non discriminatoires ». Mais ne s’agit-il pas
assurant la diffusion numérique groupée de services de presse en là davantage des « conditions techniques et financières » que les
ligne ou de versions numérisées de journaux ou publications pério- différentes plateformes doivent elles-mêmes assurer aux publica-
diques édités par deux entreprises de presse ou plus et dont l’un tions dont elles réalisent ainsi, sans discrimination ou de manière
au moins de ces services de presse en ligne ou l’une au moins de neutre, la diffusion ?
ces versions numérisées présente le caractère d’information poli-
tique et générale ». Dans le souci de protection des droits des consommateurs et de
leurs données personnelles, le même article 15 dispose que « les
Faute de mention faite ici des éléments de détermination du- opérateurs de plateformes en ligne » d’une certaine importance
dit caractère «  d’information politique et générale  », sans doute (qui est à préciser par décret) « qui proposent le classement ou le
convient-il de se référer à ce qui est posé, s’agissant de la presse référencement de contenus extraits de publications de presse ou
imprimée, par le nouvel article 4 de ladite loi. Il y est considéré que de services de presse en ligne d’information politique et générale
« présentent un caractère de presse d’information politique et gé- (…) fournissent à l’utilisateur », outre les obligations générales(11)
nérale (…) les journaux et publications périodiques qui apportent qui, à cet égard, pèsent sur ces prestataires, «  une information
de façon permanente sur l’actualité politique et générale, locale, loyale, claire et transparente sur l’utilisation de ses données per-
nationale ou internationale des informations et des commentaires sonnelles dans le cadre du classement ou du référencement de
tendant à éclairer le jugement des citoyens, consacrent la majorité ces contenus ».
de leur surface rédactionnelle à cet objet et présentent un intérêt
Répondant à une préoccupation générale toute différente, le
dépassant d’une façon manifeste les préoccupations d’une caté-
même article ajoute que, tant dans l’intérêt des éditeurs de presse
gorie de lecteurs ».
que du public, ces mêmes diffuseurs numériques «  établissent
Pour ce qui est de ce mode de diffusion de la presse, il est posé chaque année des éléments statistiques qu’ils rendent publics,
que ces opérateurs ou intermédiaires(10), agissant à titre profession- relatifs aux titres, aux éditeurs et au nombre de consultations de
ces contenus ». Si une rémunération est, pour cela, versée aux édi-
teurs, ces éléments doivent probablement servir à en déterminer
le montant.
(10) Compte tenu de l’incertitude relative à l’identification des personnes
ainsi visées, ne convient-il pas d’évoquer aussi, à cet égard : les dis- Pour assurer le respect de ces obligations, mention est faite de
positions (contestables, contre-productives et probablement mal « l’autorité administrative compétente », qui n’est alors pas davan-
inspirées  : Bruguière, J-M, «  Le droit voisin des éditeurs de presse tage identifiée, et qui peut ainsi être retenue parmi les diverses
dans la directive sur le droit d’auteur dans le marché numérique et sa
instances dites de « régulation de la distribution de la presse ».
transposition en droit français », Legipresse 2019, n° 371, pp. 90-94 ;
Derieux E, « Droit voisin des agences et éditeurs de presse », RLDI
2019/162, n° 5448, pp. 10-14) de la loi n° 2019-775, du 24 juillet 2019, II.- RÉGULATION DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE
« tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et
des éditeurs de presse » (introduisant les articles L. 218-1 à L. 218- Du fait des dispositions nouvelles, la mission de « régulation de la
5 du Code de la propriété intellectuelle et modifiant et complétant distribution de la presse » est spécifiquement confiée à une Auto-
divers autres articles du même Code) ; l’attitude (à peu près conco-
mitante à l’adoption de la loi de « modernisation de la distribution
de la presse  ») de Google décidant de ne plus afficher d’extraits
d’articles dont les éditeurs exigeraient une rémunération (Piquard A, de s’organiser en conséquence), le texte de la même « tribune » ou
« Droits d’auteur : Google prend à contre-pied la presse française », « pétition » contre Google (« Google une fois de plus au-dessus des
Le Monde, 27 septembre 2019, notant cependant que, contrairement lois ? », La Croix, 23 octobre 2019 ; « Il faut dénoncer sans relâche
à ce qu’indique le titre de cet article, il s’agit alors de « droits voisins » le cynisme de Google », Le Monde, 24 octobre 2019 ; Le Figaro, 23
et non de «  droits d’auteur  » qui auraient d’ailleurs probablement octobre 2019 ; Libération, 23 octobre 2019… et obtenant le relais et
été tout à fait suffisants à cet égard)  ; et les tentatives de réaction le soutien des médias audiovisuels). Pour être tout à fait complet à
des éditeurs (Carasco A, « Les éditeurs unis contre le ‘coup de force’ cet égard, probablement conviendrait-il de considérer également la
de Google », La Croix, 27 septembre 2019 ; « Les éditeurs portent question du «  droit d’exploitation des œuvres des journalistes  » et
plainte en riposte à Google », La Croix, 25 octobre 2019 ; Goubert les dispositions (tout aussi contestables) des articles L. 132-35 à L.
G, « Face à Google. Les éditeurs de presse vont attaquer le géant 132-45 du Code de la propriété intellectuelle, introduits par la loi,
du Web devant l’Autorité de la concurrence », La Croix, 25 octobre dite « Hadopi », du 12 juin 2009, largement favorables aux éditeurs
2019 ; Lefilliatre J, « Rémunération de la presse : Google menace, les (Derieux E, « Loi du 12 juin 2009. Restriction des droits d’auteur des
éditeurs portent plainte », Libération, 25 octobre 2019 ; Piquard A, journalistes  », RLDI 2009/51, n° 1698, pp. 96-102  ; «  Droit d’auteur
« Droit d’auteur : la stratégie de riposte face à Google », Le Monde, des journalistes  », Droit des médias, Lextenso-LGDJ, pp. 645-666  ;
18 octobre 2019  ; Woitier Ch et Enguerand R, «  Droits voisins  : la Hassler Th, « ‘Loi Hadopi’ et la cession légale des droits d’auteur des
presse attaque Google devant l’Autorité de la concurrence », Le Fi- journalistes », RLDI, 2009/52, n° 1733, pp. 74-79 ; « La protection des
garo, 25 octobre 2019… « Droit voisin : Google doit aussi appliquer la journalistes auteurs, personnes physiques, lors des cessions de droits,
loi » (éditorial), Le Monde, 25 octobre 2019) qui -au nom de la défense existe-t-elle encore ? », RLDI, 2010/60, n° 1969, pp. 10-13).
du pluralisme de l’information !- ont, sous des titres différents, tous (11) En application de la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, relative à l’infor-
publié, le même jour (veille de la date d’entrée en vigueur de ladite matique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par l’ordonnance n°
loi, telle qu’elle l’a elle-même fixée pour donner à chacun le temps 2018-1125, du 12 décembre 2018.

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rité de régulation (A), dont la compétence est élargie à ce secteur L’article 24 concerne l’exercice du pouvoir de sanction, de l’Auto-
de la distribution de la presse, et à une Commission du réseau de rité de régulation, « à l’encontre d’une entreprise de presse, d’une
diffusion (B). Dans un souci de clarification, celles-ci prennent no- société coopérative de groupage de presse, d’une société agréée
tamment la place du Conseil supérieur des messageries de presse de distribution de la presse ou de l’une des personnes » assurant
et de la précédente Autorité de régulation de la distribution de la diffusion numérique de la presse. Y sont envisagés : mise en de-
la presse, au partage de compétences alors bien incertain, de la meure, avertissement, suspension de l’agrément, retrait de l’agré-
précédente version de ladite loi de 1947, telle que modifiée et ment, sanction pécuniaire.
complétée par celle du 20 juillet 2011. Aussi impropre qu’en soit la L’article 25 est relatif au rôle de ladite Autorité de régulation en
dénomination, tant la notion devrait, par rapport à celle de « régle- matière de règlement de différends entre entreprises de presse,
mentation », signifier allègement et adaptabilité des règles et des sociétés coopératives et sociétés de distribution.
obligations, quelques autres institutions, auxquelles la présente loi
se réfère, peuvent également être considérées comme constituant
B.- Commission du réseau de diffusion
d’autres instances de régulation (C). Leur multiplication et leurs
compétences constituent-elles des gages de liberté en la matière ? L’article 26 de la loi de 1947 ainsi révisée concerne ladite « Com-
mission du réseau de diffusion de la presse », son organisation et
A.- Autorité de régulation de la distribution de la presse ses compétences. Elle peut être ainsi considérée comme consti-
tuant une instance de régulation locale du système de diffusion
L’extension, au secteur de la distribution de la presse, de la com- de la presse.
pétence de l’Autorité de régulation des communications électro-
niques et des postes (ARCEP) entraîne le changement de sa déno- Il y est notamment posé qu’elle « décide (…) après avis du maire
mination. Nécessitant la modification notamment de nombreuses de la commune, de l’implantation des points de vente de presse »
dispositions du Code des postes et des communications électro- et qu’elle « délivre un certificat d’inscription aux agents de la vente
niques, elle devient l’Autorité de régulation des communications de presse ».
électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
C.- Autres instances de régulation
La loi de 1947 modifiée consacre désormais ses articles 16 à 25 aux
compétences de ladite Autorité en matière de « régulation de la L’idée même et la dénomination d’autorités dites « de régulation »
distribution de la presse », notamment imprimée. étant sans doute assez contestables, peuvent y être rattachées
quelques autres instances ou institutions, aux compétences com-
L’article 16 dispose qu’elle « est chargée de faire respecter les prin- plémentaires, telles que mentionnées par les dispositions nou-
cipes énoncés dans la présente loi  »  ; qu’elle «  veille à la conti- velles du statut de la distribution de la presse.
nuité territoriale et temporelle, à la neutralité et à l’efficacité éco-
Posant que « le capital social de chaque société » coopérative « de
nomique de la distribution groupée de la presse ainsi qu’à une
groupage de presse ne peut être souscrit que par les (…) proprié-
couverture large et équilibrée du réseau des points de vente » ; et
taires de journaux et publications périodiques qui auront pris l’en-
qu’elle « concourt à la modernisation de la distribution de la presse
gagement de conclure un contrat de groupage avec la société »,
et au respect du pluralisme ».
le nouvel article 7 de la loi de 1947 révisée dispose, de façon plus
Aux termes de l’article 18, l’Autorité de régulation, parmi ses classique et conforme à un régime de liberté, que toute infraction
principales compétences : « agrée les sociétés assurant la distri- à ces dispositions est, sur décision de justice, passible d’une peine
bution de la presse » ; « est informée par chaque société agréée d’amende et/ou de prison, « sans préjudice de la dissolution de la
(…) des conditions techniques, tarifaires et contractuelles de ses société, qui pourra être prononcée à la requête du ministère pu-
prestations », au regard desquelles elle peut prendre diverses me- blic ». Mais quel est le rôle concret desdites coopératives ?
sures ; au nom de ladite solidarité, « fixe les règles de répartition, L’article 15 de la même loi attribue à «  l’autorité administrative
entre toutes les entreprises de presse (…) des coûts spécifiques mentionnée à l’article L. 111-7-1 » du Code de la consommation
(…) induits par la distribution des quotidiens », au prorata de leur (par renvoi à l’article L. 511-6 du même Code  : les agents de la
chiffre d’affaires  ; définit «  les circonstances dans lesquelles une concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes),
entreprise de presse peut (…) recourir à une distribution groupée le soin de veiller à l’application, par «  les opérateurs de plate-
sans adhérer à une société coopérative de groupage  »  ; précise formes en ligne  » contribuant à la «  diffusion numérique de la
les règles « relatives aux conditions d’implantation des points de presse », des obligations d’information à fournir, aux utilisateurs,
vente et fixe (…) les conditions de rémunération des diffuseurs de sur l’exploitation de leurs données personnelles (pouvant justifier
presse ». l’intervention, à cet égard, d’une autre instance dite « de régula-
L’article 19 détermine les conditions dans lesquelles l’agrément est tion » telle que la Commission nationale de l’informatique et des
délivré, par l’Autorité de régulation, aux entreprises de distribu- libertés-CNIL), et d’établissement et de publication de statistiques
tion. relatives « aux titres, aux éditeurs et au nombre de consultation de
ces contenus ».
L’article 20 est relatif au contrôle, par l’Autorité de régulation, du
Par le nouvel article 23 de la loi de 1947, une coopération est éta-
respect des obligations de ces sociétés de distribution.
blie entre l’Autorité de régulation des communications électro-
L’article 22 l’investit des moyens d’assurer « la continuité de la dis- niques, des postes et de la distribution de la presse (selon sa nou-
tribution de la presse d’information politique et générale ». velle dénomination) et l’Autorité de la concurrence. Il y est posé

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que le président de la première saisit la seconde « de faits dont il a « contre les décisions de sanction prises par l’Autorité de régula-
connaissance et susceptibles de contrevenir aux articles L. 420-1, L. tion des communications électroniques, des postes et de la distri-
420-2 et L. 420-5 du Code de commerce », relatifs aux « pratiques bution de la presse ».
anticoncurrentielles », et qu’il « peut également la saisir pour avis
de toute autre question relevant de sa compétence ». En sens in-
verse, il y est prévu que « l’Autorité de la concurrence communique CONCLUSION
à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des
La loi n° 2019-1063, du 18 octobre 2019, « relative à la modernisa-
postes et de la distribution de la presse, pour avis, toute saisine
tion de la distribution de la presse », ne parvient pas à alléger et à
entrant dans le champ des compétences de celle-ci et peut égale-
clarifier le dispositif législatif, tel qu’il découle de la loi n° 47-585,
ment la saisir, pour avis, de toute question relative au secteur de la
du 2 avril 1947, « relative au statut des entreprises de groupage et
distribution de la presse ».
de distribution des journaux et publications périodiques  », que,
Déterminant les sanctions pécuniaires susceptibles d’être pronon- tout en maintenant cette référence, elle modifie presque complè-
cées, par la « formation restreinte » de l’Autorité de régulation des tement. Le système semble assez éloigné du principe coopératif,
communications électroniques, des postes et de la distribution de auquel il est continué de faire référence mais qui paraît vidé de
la presse(12), à l’encontre d’une entreprise de presse, d’une société toute portée ou réalité, et de l’idée de « régulation » à laquelle la
coopérative de groupage de presse, d’une société agréée de dis- loi nouvelle consacre pourtant de longs développements. Confor-
tribution de la presse, ou d’un service de communication au public mément à l’objectif officiellement visé, conduira-t-elle à en libérali-
en ligne assurant la diffusion numérique groupée de services de ser le régime, dans l’espoir notamment de remédier aux difficultés
presse en ligne ou de versions numériques de journaux ou publi- économiques persistantes éprouvées par le secteur, tout en pré-
cations numériques, le nouvel article 24 de la loi de 1947 prévoit tendant, en même temps, garantir la « neutralité » de la distribu-
que, lorsque ladite sanction est « devenue définitive avant que le tion, « l’indépendance et le pluralisme » de la presse et « le libre
juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits choix des lecteurs » ?
connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s’im-
Pour certaines catégories de publications périodiques au moins,
pute sur l’amende qu’il prononce ». L’intervention, à l’encontre des
et notamment les quotidiens, l’avenir est-il celui de la presse im-
mêmes faits, de deux institutions investies d’un pouvoir de sanc-
primée, utilisant un réseau complexe et coûteux de distribution
tion continue d’être problématique !
et de diffusion, objet de cette réglementation renouvelée et dé-
Complété par la loi du 18 octobre 2019, l’article L. 311-4 du Code taillée, ou bien est-il celui d’une « diffusion numérique », pour les-
justice administrative précise que «  le Conseil d’Etat connaît, en quelles ne sont ainsi adoptées que des dispositions succinctes et
premier et dernier ressort, des recours de pleine juridiction qui qui appelleraient alors probablement, assez prochainement, une
lui sont attribués en vertu (…) de l’article 24 de la loi  » de 1947 nouvelle intervention du législateur ? n

(12) Dans les conditions déterminées par l’article L. 130 du Code des
postes et des communications électroniques modifié et complété
par la loi du 18 octobre 2019.

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Par Claude-Étienne ARMINGAUD Et Violaine SELOSSE


Avocat associé K&L Gates LLP Avocate collaboratrice K&L Gates LLP

ÎRLDI 5594

Les pirates sont des personnes concernées comme


les autres - Le RGPD à l’abordage !
Retour sur l’ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Paris du 2 août 2019 rendue
dans le contentieux ayant opposé la société Mile High Distribution à la société Orange S.A. Que
faut-il en retenir ?
TGI Paris, réf., 2 août 2019

S
i, et notamment depuis la publication du Règlement Géné- net («  FAI  ») auxquels se rattachent les adresses IP. Une liste de
ral sur la Protection des Données n°2016/679 («  RGPD  »), 895 adresses IP, à l’origine selon MHD d’opérations de télécharge-
la vie privée occupe toujours une place prépondérante, le ments massifs constitutifs de contrefaçon, a ainsi été établie, entre
considérant 4 du RGPD relativise la portée de ce texte : « le droit à novembre 2017 et décembre 2018.
la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit
absolu  ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la La société Orange S.A. (« Orange ») a été identifiée comme l’un
société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, des FAI ayant permis l’accès par l’un de ses abonnés aux contenus
conformément au principe de proportionnalité ». Ainsi, la protec- distribués en ligne. Par ordonnance du 8 avril 2019, le juge des
tion des données personnelles continue-elle d’être mesurée à ces requêtes du TGI de Paris a ordonné à Orange de conserver les
autres droits fondamentaux, et notamment la liberté d’expression données en l’attente d’une décision au fond.
et la liberté d’entreprise. Par acte d’huissier en date du 11 mars 2019, MHD a donc cité
Par une ordonnance du 2 août 2019 (« l’Ordonnance »), le Tribu- Orange en urgence devant le juge des référés afin d’obtenir les in-
nal de grande instance (« TGI ») de Paris a dû mettre en balance formations utiles permettant d’identifier les titulaires des adresses
cette même protection des données à caractère personnel avec IP collectées par la société Media Protector.
la lutte contre la contrefaçon et, en particulier, dans le cadre de Orange a, pour sa part, refusé de s’exécuter et demandé la rétrac-
données relatives à des infractions et leur transfert en dehors de tation de l’ordonnance. Elle estimait, en effet, que la collecte des
l’Union européenne (« UE »). Finalement, le Tribunal a tranché en adresses IP était illégale, dans la mesure où MHD n’avait pas versé
faveur de la vie privée des pirates, au détriment des auteurs et de suffisamment d’éléments au débat pour justifier de la licéité d’une
leurs ayants droit. telle collecte.

I.- RAPPEL DES FAITS L’Ordonnance a donné raison à Orange et déboute ainsi la société
canadienne de ses demandes. Le TGI de Paris a notamment consi-
Mile High Distribution (« MHD »), une société de droit canadien, déré que le RGPD était applicable à la collecte des adresses IP, et
se présente comme productrice d’œuvres audiovisuelles. Elle les que MHD en était le responsable du traitement.
commercialise sur différents supports, tels que des DVDs ou des
téléchargements en ligne payants. Elle confirme, par certains aspects, des jurisprudences établies, et
apporte des précisions complémentaires sur des notions encore
Ayant constaté la présence de ses œuvres sur des plateformes floues du RGPD.
d’échange de fichiers et de téléchargement illégal, MHD a fait
appel à une société de droit allemand, Media Protector, afin que II.- L’ADRESSE IP EST UNE DONNÉE à CARACTÈRE PER-
celle-ci collecte des données en lien avec les téléchargements
SONNEL
qu’elle estimait illicites. Ces données comprennent notamment
l’adresse IP à l’origine du téléchargement, les date et heure du Cette information n’est pas nouvelle. Déjà, en 2011, la Cour de
téléchargement ainsi que le nom des fournisseurs d’accès à Inter- Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») avait considéré que les

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adresses IP des utilisateurs d’Internet constituaient des données condamnations pénales et aux infractions ou aux mesures de sûre-
protégées à caractère personnel, dans la mesure où elles permet- té connexes » (Article 10 RGPD).
taient l’identification précise des utilisateurs (CJUE, 24 nov.2011,
Si les données d’infraction ne constituent pas des données dites
Scarlet Extended, C-70/10).
« sensibles » (dont la liste limitative figure à l’Article 9), elles font
Il s’agissait alors de l’hypothèse dans laquelle la collecte et l’iden- cependant l’objet de restrictions spécifiques. En effet, le traite-
tification des adresses IP des utilisateurs d’Internet seraient effec- ment de données d’infraction « ne peut être effectué que sous le
tuées par les FAI auxquels ces utilisateurs étaient abonnés. contrôle de l’autorité publique, ou si le traitement est autorisé par
le droit de l’Union ou par le droit d’un État Membre qui prévoit
En 2016, la CJUE a étendu cette hypothèse au cas de figure où un des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes
fournisseur de services tiers (en l’espèce, la République fédérale concernées ».
d’Allemagne) enregistrait les adresses IP d’utilisateurs d’un site
Internet que ce fournisseur rendait accessible au public, sans dis- Sur ce point, la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978,
poser d’informations supplémentaires nécessaires à l’identification modifiée par la loi n°2018-493 du 20 juin 2018 relative à la pro-
des utilisateurs. Une difficulté supplémentaire s’ajoutait ici, dans tection des données personnelles (la «  LIL  »), souligne que les
la mesure où il s’agissait d’adresses IP dites « dynamiques », c’est- données d’infraction peuvent être traitées par les personnes phy-
à-dire des identifiants provisoires attribués à chaque connexion siques ou morales, aux fins de leur permettre de préparer et, le cas
Internet et remplacées lors de connexion ultérieures, et non échéant, d’exercer et de suivre une action en justice en tant que
d’adresses IP «  statiques  », invariables et permettant l’identifica- victime, mise en cause, ou pour le compte de ceux-ci et de faire
tion permanente du dispositif connecté au réseau. exécuter la décision rendue, pour une durée strictement propor-
tionnée à ces finalités.
Ainsi, une adresse IP dynamique, même associée à la date et
Ainsi, le simple fait de traiter ces données n’est pas, en soi, illicite.
l’heure de la session de consultation d’un site Internet, ne permet-
tait pas, à elle-seule, d’identifier l’utilisateur qui aurait consulté un En revanche, et ainsi que le confirme le TGI de Paris, la collecte
site Internet. En revanche, le FAI disposait quant à lui de ces infor- d’adresses IP soupçonnées d’être à l’origine de téléchargements
mations supplémentaires qui, une fois combinées aux informations illégaux constitue un traitement de données à caractère personnel
précitées, permettaient l’identification. relatif au suivi du comportement de personnes sur le territoire de
l’Union Européenne.
Une personne peut-elle être identifiable si les informations permet-
tant l’identification sont détenues par deux entités différentes ? Le TGI de Paris a écarté, sur ce point, les arguments de MHD, qui
estimait que le RGPD ne saurait s’appliquer dans la mesure où elle
La CJUE a répondu par l’affirmative à la juridiction allemande, en ne procède à aucun profilage.
déterminant que la combinaison de l’adresse IP dynamique avec
les informations supplémentaires détenues par le FAI constituait Le profilage est défini à l’Article 4 RGPD comme «  toute forme
un moyen susceptible d’être « raisonnablement mis en œuvre ». de traitement automatisé de données à caractère personnel
Par conséquent, elle a pu estimer qu’une adresse IP dynamique consistant à utiliser ces données à caractère personnel pour éva-
était susceptible de constituer une donnée à caractère personnel luer certains aspects personnels relatifs à une personne physique,
lorsque le fournisseur de services disposait de moyens légaux lui notamment pour analyser ou prédire des éléments concernant le
permettant de faire identifier la personne concernée grâce aux in- rendement au travail, la situation économique, la santé, les pré-
formations supplémentaires dont dispose le FAI de cette personne férences personnelles, les intérêts, la fiabilité, le comportement,
(CJUE, 19 oct. 2016, C-582/14). la localisation ou les déplacements de cette personne physique ».

L’adresse IP a donc été reconnue par la jurisprudence, de façon Dans ses lignes directrices du 3 octobre 2017, modifiées le 6 février
répétée, comme une donnée à caractère personnel. Le RGPD, 2018, le G29 (devenu depuis le Comité Européen de la Protection
dans son Considérant 30, a entériné cette position en affirmant des Données, ou « CEPD »), précise trois critères qui permettent
que les « adresses IP et des témoins de connexion (« cookies ») ou de caractériser le profilage :
d’autres identifiants, par exemple des étiquettes d’identification – il doit s’agir d’une forme de traitement automatisé (mais pas
par radiofréquence […] peuvent laisser des traces qui, notamment nécessairement exclusivement automatisé) ;
lorsqu’elles sont combinées aux identifiants uniques et à d’autres
– il doit être effectué sur des données personnelles ;
informations reçues par les serveurs, peuvent servir à créer des
profils de personnes physiques et à identifier ces personnes ». – son objectif doit être d’évaluer les aspects personnels d’une
personne physique (par exemple, leur capacité à effectuer une
III.- UNE CONFUSION DANS LES CRITÈRES D’APPLICA- tâche ou leur comportement probable).
BILITÉ : DONNÉES D’INFRACTION, SUIVI DU COM- Il serait difficile de nier que la collecte d’adresses IP effectuée par
PORTEMENT ET PROFILAGE MHD n’entrait pas dans ces critères et, ainsi, ne constituait pas un
Dans l’affaire visée dans l’Ordonnance, les données concernées profilage. Cependant, en invoquant l’absence de profilage pour
étaient non seulement des adresses IP, mais surtout des adresses tenter de s’affranchir des règles du RGPD, la société canadienne
tentait d’opérer un mélange entre les conditions d’applicabilité du
IP soupçonnées d’être à l’origine de téléchargements illégaux.
RGPD et les obligations spécifiques qui incombent à un responsable
Ces données entrent ainsi dans le cadre des données d’infrac- de traitement dans le cadre de certains traitements faisant peser des
tion, identifiées par le RGPD comme des données « relatives aux risques particuliers sur les droits des personnes concernées.

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 33


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En résumé, il faut rappeler que tout suivi du comportement ne glais, « DPO ») et, d’autre part, déclencher la nécessité de mener
constitue pas du profilage. Et qu’en tout état de cause, le profilage une étude d’impact préalable au traitement considéré.
ne figure pas parmi les critères déterminant l’application du RGPD.
Cet apport est intéressant, dans la mesure où la lettre du RGPD
Ainsi que le rappelle le TGI de Paris, l’Article 3 RGPD, consacré à
ne donnait que peu d’informations permettant de déterminer un
son application territoriale, se contente d’évoquer le suivi du com-
palier, se contentant de définir les traitements à grande échelle
portement des personnes concernées.
comme des traitements « qui visent à traiter un volume considé-
C’est donc sans surprise que le TGI a conclu à l’applicabilité du rable de données à caractère personnel au niveau régional, natio-
RGPD dans le cadre de l’espèce. nal ou supranational, qui peuvent affecter un nombre important
de personnes concernées et qui sont susceptibles d’engendrer
IV.- RESPONSABILITÉ DU RESPONSABLE DU TRAITE- un risque élevé, par exemple, en raison de leur caractère sensible,
MENT : QUELLES OBLIGATIONS ? lorsque, en conformité avec l’état des connaissances technolo-
giques, une nouvelle technique est appliquée à grande échelle,
Une fois établi que le RGPD s’applique à une telle collecte, à quoi ainsi qu’à d’autres opérations de traitement qui engendrent un
était tenue la société canadienne ? risque élevé pour les droits et libertés des personnes concernées,
Le TGI de Paris a considéré que MHD avait agi en qualité de res- en particulier lorsque, du fait de ces opérations, il est plus difficile
ponsable du traitement, dans la mesure où elle avait déterminé la pour ces personnes d’exercer leurs droits » (Considérant 91 RGPD).
finalité de la collecte de données. De leur côté, les lignes directrices concernant les délégués à la
Il souligne, sur ce point, que la société allemande a procédé à la protection des données(1) indiquent que, pour déterminer si un
collecte uniquement sur les directives et pour le compte de MHD, traitement est à grande échelle, il faut tenir compte :
ce qui caractérise un sous-traitant au regard du RGPD. Ainsi, les – du nombre de personnes concernées (en valeur absolue ou en
pièces communiquées au soutien de la conformité de Media Pro- valeur relative par rapport à la population concernée).
tector au RGPD, bien que nécessaires, ne pouvaient suffire. En
effet, il n’est pas suffisant que le sous-traitant soit conforme au – des catégories de données traitées (leur volume et/ou leur na-
RGPD  : encore faut-il que son responsable de traitement, des- ture).
tinataire des données et surtout, initiateur du traitement, le soit – de la durée ou de la permanence des activités du traitement.
également.
– de l’étendue géographique des activités du traitement.
En sa qualité de responsable du traitement situé en dehors de
l’UE, MHD se devait en premier lieu de désigner un représentant Cependant, elles ne fournissent aucune information précise sur
sur le sol européen, ainsi que le prévoit l’Article 27 RGPD. Ce re- le nombre ou la nature des données traitées ou la zone géogra-
présentant a pour rôle d’agir comme point de contact pour les au- phique que doit concerner le fichier, pas plus que sur la durée des
torités de contrôle ou les personnes concernées, en plus ou à la activités de traitement.
place du responsable de traitement, pour toute question relative
La décision du TGI nous fournit ainsi un exemple de traitement de
au traitement.
données à grande échelle, qui cumulé à la qualification de don-
Outre cette obligation de représentation (par trop méconnue de nées d’infraction, imposait in fine la désignation d’un DPO.
l’ensemble des acteurs étrangers soumis au RGPD), MHD aurait dû
Or, MHD n’a produit aucun élément permettant de considérer
également être en mesure de communiquer un registre de traite-
qu’elle se serait conformée aux obligations précitées. Au titre du
ment, dans lequel elle aurait, elle-même ou par son représentant,
principe de responsabilisation («  accountability framework  »), in-
documenté les traitements effectués sous sa responsabilité, et no-
troduit par le RGPD, la conformité intrinsèque n’est rien si elle ne
tamment, les finalités du traitement, les catégories de personnes
peut être démontrée.
concernées et de données traitées, les durées de conservation pré-
vus, les catégories de destinataires auxquels les données person-
nelles seront communiquées, ainsi que tout transfert de données V.- LE CARACTÈRE LICITE DE LA COLLECTE : LE PRÉA-
hors de l’UE et les garanties mises en place. Cette obligation fixée LABLE NÉCESSAIRE à UN TRANSFERT LICITE
à l’Article 30 RGPD demeure en effet applicable, sauf à démontrer Ainsi que prévu par les articles 44 RGPD et suivants, il est possible
que quatre critères cumulatifs s’appliquent  : (i) l’entreprise visée de transférer des données hors de l’Union Européenne dès lors
compte moins de 250 employés, (ii) le traitement visé n’est pas que leur niveau de sécurité est garanti. La sécurité est considérée
susceptible de comporter un risque pour les droits et des libertés comme assurée dans plusieurs cas de figure, et notamment dans
des personnes concernées, (iii) le traitement visé est occasionnel le cadre d’une décision d’adéquation rendue par la Commission
et (iv) le traitement visé ne porte pas sur des données sensibles ou Européenne. À ce jour, un nombre limité de pays (dont le Canada)
relatives à des condamnations pénales et à des infractions visées ont fait l’objet d’une telle décision, qui reconnaît que le pays en
à l’Article 10 RGPD. question présente des garanties suffisantes.
En périphérie du sujet, il importe de souligner que le TGI a estimé
que le traitement de 895 adresses IP constituait un traitement à
grande échelle. Cette information a deux impacts : elle peut, d’une (1) Lignes directrices concernant les délégués à la protection des don-
part, rendre obligatoire la désignation d’un délégué à la protection nées (DPD) du G291 6/FR, WP 243 rev.01, adoptées le 13 décembre
des données (plus communément connu sous son acronyme an- 2016 et révisées le 5 avril 2017

34 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


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Pourtant, si le Canada bénéficie bien d’une telle reconnaissance d’adé- en œuvre par MHD aurait nécessité d’être encadré par des ou-
quation(2), elle n’est pour l’heure que partielle, et concerne uniquement tils de transfert tels que des clauses contractuelles types(3). Pour-
les traitements réalisés dans le cadre d’activités commerciales, dans le tant, ces dernières n’ayant pas encore été révisées pour prendre
cadre de l’application de la loi canadienne de protection des données, en compte le RGPD, il n’existe pas de modèle pertinent pour les
la loi PIPEDA (ou LPRPDE dans sa version francophone). transferts depuis un sous-traitant établi dans l’UE vers son respon-
sable du traitement établi à l’étranger… Peut-être un débat pour
La loi PIPEDA s’applique, plus spécifiquement, aux entreprises pri-
un autre jour !
vées canadiennes, qui collectent, utilisent ou communiquent des
données personnelles dans le cadre de leurs activités commer-
ciales (paragraphe 4 (1 a) PIPEDA). CONCLUSION
Les activités commerciales sont définies comme «  toute activité Par cette Ordonnance, la justice française envoie un signal tout
régulière ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère com- aussi fort que pédagogue aux entreprises qui ne présenteraient
mercial de par leur nature, y compris la vente, le troc ou la location pas de garanties suffisantes en terme de protection des données à
de listes de donneurs, d’adhésion ou de collecte de fonds » (para- caractère personnel, notamment lorsqu’elles ne sont pas établies
graphe 2(1) PIPEDA). sur le territoire européen. Au regard des intérêts hétérogènes des
industries culturelles face à la contrefaçon en ligne, le développe-
Et en l’espèce, la collecte d’adresses IP, en vue de faire respecter
ment d’un code de conduite, à l’instar de ceux récemment validés
le droit d’auteur, ne revêt pas ce caractère commercial nécessaire.
en Italie dans l’industrie du crédit, pourrait être une voie à suivre
Ainsi, comme tous les transferts de données personnelles vers le pour éviter que ne se multiplient les pavillons noirs sur les océans
Canada non couverts par la décision d’adéquation, le transfert mis numériques…. n

(2) Décision de la Commission du 20 décembre 200122 002/2/CE consta-


tant, conformément à la directive 95/46/CE du Parlement européen
et du Conseil, le niveau de protection adéquat des données à ca- (3) Décision de la Commission du 27 décembre 20042 2 004/915/CE mo-
ractère personnel assuré par la loi canadienne sur la protection des difiant la décision 2001/497/CE en ce qui concerne l’introduction d’un
renseignements personnels et les documents électroniques [notifiée ensemble alternatif de clauses contractuelles types pour le transfert
sous le numéro C (2001) 4539], modifiée par la décision d’exécution de données à caractère personnel vers des pays tiers [notifiée sous le
(UE) 2016/2295 de la Commission du 16 décembre 2016 numéro C (2004) 5271]

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 35


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ACTIVITÉS DE
1 ACTIVITÉS
1 DE L
L’IMMATÉRIEL
’IMMATÉRIEL
Par
Par Lionel
Lionel COSTES
COSTES Et Joséphine de ROMANET
Docteur
Directeuren
dedroit
collection Secrétaire générale de la rédaction
Rédacteur
Lamy Droitendechef
l’immatériel Formulaire Lamy Droit de l’immatériel
Lamy Droit international Lamy Contrats internationaux

LES GRANDS SECTEURS DE L’IMMATÉRIEL public, fait partie de son identité personnelle et de son intégrité
morale et, dès lors, relève de sa vie privée au sens de l’article 8 de
la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des liber-
DROITS FONDAMENTAUX tés fondamentales (CEDH, arrêt du 15 novembre 2007, Pfeifer c.
Autriche, n° 12556/03, § 35).
ÎRLDI 5595
Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’ex-
Dessin humoristique d’une pression ayant la même valeur normative, il appartient au juge
saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces
personnalité politique : les limites deux droits.
de la liberté d’expression jugées La dignité de la personne humaine ne figure pas, en tant que
telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, para-
non dépassées graphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
La Cour de cassation réunie en assemblée plénière a et des libertés fondamentales.
considéré que la publication litigieuse ne dépasse pas Si elle est de l’essence de la Convention (CEDH, 22 novembre
les limites admissibles de la liberté d’expression.  1995, S.W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92, § 44), elle ne saurait être
érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’ex-
Cass. ass. plén., 25 oct. 2019, n° 17-86.605 pression ».
Une chaîne de télévision a diffusé dans l’une de ses émissions Il en résulte que « pour déterminer si la publication litigieuse peut
une séquence au cours de laquelle, à l’issue de l’interview de l’un être incriminée, il suffit de rechercher si elle est constitutive d’un
des candidats à l’élection présidentielle, ont été montrées des abus dans l’exercice du droit à la liberté d’expression ».
affiches, publiées trois jours auparavant par le journal «  Charlie
Hebdo », concernant ces candidats. Or, « l’exigence de proportionnalité implique de rechercher si, au
regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication
L’une de ces affiches représentait un excrément fumant surmonté litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expres-
de la mention « X., la candidate qui vous ressemble ». Elle a dé- sion. En l’absence de dépassement de ces limites, et alors même
posé plainte avec constitution de partie civile en soutenant que que l’injure est caractérisée en tous ses éléments constitutifs, les
cette comparaison constituait, à son égard, l’infraction d’injure faits objet de la poursuite ne peuvent donner lieu à des répara-
publique envers un particulier. tions civiles ».
Rejetée par les juges du fond, son action l’est également par la Les Hauts magistrats relèvent à cet égard que l’arrêt d’appel a
Cour de cassation réunie en assemblée plénière retenu que l’affiche, qui a été publiée dans un journal revendi-
Pour se prononcer en ce sens, elle rappelle que «  la liberté quant le droit à l’humour et à la satire, comporte une apprécia-
d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une tion du positionnement politique de la requérante à l’occasion de
société démocratique » et qu’« elle ne peut être soumise à des l’élection présidentielle et a été montrée avec d’autres affiches
ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des me- parodiant chacun des candidats à l’élection présidentielle, dans
sures nécessaires au regard de l’article 10, paragraphe 2, de la la séquence d’une émission polémique s’apparentant à une re-
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des liber- vue de presse, mention étant expressément faite que ces affiches
tés fondamentales ». émanent d’un journal satirique et présentent elles-mêmes un ca-
ractère polémique.
Elle rappelle également que « la restriction qu’apportent à la li-
A les suivre, « la cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens
berté d’expression les articles 29, alinéa 2, et 33 de la loi du 29
et la portée de cette affiche à la lumière des éléments extrin-
juillet 1881, qui prévoient et répriment l’injure, peut donc être
sèques qu’elle a souverainement analysés, en a déduit, à bon
justifiée si elle poursuit l’un des buts énumérés à l’article 10, pa-
droit, que la publication litigieuse ne dépassait pas les limites
ragraphe 2, de cette Convention. Parmi ces buts, figure la protec-
admissibles de la liberté d’expression ».
tion de la réputation ou des droits d’autrui ».
OBSERVATIONS
Elle rappelle, enfin, qu’« il résulte de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme que la réputation d’une per- Ainsi qu’il est précisé par la Cour de cassation dans sa note ex-
sonne, même lorsque celle-ci est critiquée au cours d’un débat plicative du présent arrêt, l’assemblée plénière se prononce ainsi

36 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Actualités jurisprudentielles commentées
DROIT DES AcTIvITéS DE l'ImmATéRIEl

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sur le point de savoir si la diffusion de l’affiche incriminée Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, elles se plaignaient
a dépassé ou non les limites admissibles de la liberté d’ex- de l’admission comme preuves au cours de la procédure des en-
pression. registrements obtenus au moyen de la vidéosurveillance
Elle approuve donc l’analyse en proportionnalité qui a Pour se prononcer, la Cour a vérifié si le droit interne et en parti-
conduit la cour d’appel à retenir que ces limites n’avaient culier l’application qui en a été faite par les juridictions du travail
pas été franchies. saisies par les requérantes ont offert, dans leur mise en balance
des intérêts en jeu, une protection suffisante à leur droit au res-
Conformément à la grille de lecture élaborée par la Cour pect de leur vie privée.
européenne des droits de l’Homme, l’appréciation de l’exis-
tence d’un besoin social impérieux justifiant une ingérence Elle estime ainsi plus spécialement vu du degré d’intrusion dans
dans la liberté d’expression suppose la combinaison de plu- la vie privée des requérantes et aux raisons légitimes ayant mo-
sieurs critères permettant de déterminer si les motifs invo- tivé la mise en place de la vidéosurveillance, que les juridictions
qués pour justifier la restriction sont pertinents et suffisants. du travail ont pu, sans dépasser la marge d’appréciation dont
disposent les autorités nationales, considérer que l’atteinte à la
La solution retenue est aussi l’occasion de préciser les consé- vie privée des requérantes était proportionnée.
quences attachées au constat de l’absence d’abus dans
l’exercice de la liberté d’expression et à la « neutralisation » En effet, si elle ne saurait accepter que, de manière générale,
des dispositions nationales à l’origine de l’ingérence. le moindre soupçon que des détournements ou d’autres irré-
gularités aient été commis par des employés puisse justifier
L’arrêt apporte par là même une confirmation sur la nature la mise en place d’une vidéosurveillance secrète par l’em-
et l’intensité du contrôle qu’opère la Cour de cassation en ployeur, l’existence de soupçons raisonnables que des irrégu-
matière d’infractions de presse. larités graves avaient été commises et l’ampleur des manques
constatés en l’espèce peuvent apparaître comme des justifi-
En posant le principe d’une appréciation en proportionnali-
cations sérieuses.
té, y compris au stade de la cassation, l’assemblée plénière
tient compte de la limitation de la marge d’appréciation des Cela est d’autant plus vrai dans une situation où le bon fonc-
autorités nationales, notamment en présence de questions tionnement d’une entreprise est mis à mal par des soupçons
d’intérêt général, et montre l’importance qu’elle attache à la d’irrégularités commises non par un seul employé mais par
protection de la liberté d’expression. n l’action concertée de plusieurs employés, dans la mesure où
cette situation a pu créer un climat général de méfiance dans
l’entreprise.
ÎRLDI 5596 Aussi, eu égard aux garanties importantes offertes par le cadre
normatif espagnol, y compris les voies de recours que les re-
Pas de violation du droit à la vie quérantes n’ont pas empruntées, ainsi qu’au poids des consi-
privée de caissières de supermarché dérations, prises en compte par les juridictions internes, ayant
justifié la vidéosurveillance, la Cour conclut que les autorités
espagnoles filmées à leur insu par nationales n’ont pas manqué à leurs obligations positives au
titre de l’article 8 de la Convention EDH de manière à outre-
des caméras de sécurité passer leur marge d’appréciation et qu’ il n’y a donc pas eu
La Cour européenne des droits d’Homme (CEDH) violation de cette disposition.
considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de Elle estime également qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’Homme. la Convention à raison de l’utilisation comme preuves des enre-
gistrements obtenus au moyen de vidéosurveillance.
CEDH, 17 oct. 2019, n° 1874/13 et 8567/13, aff. López Ribalda et
autres c/. Espagne
OBSERVATIONS
Les requérantes, caissières travaillant pour la chaîne de super-
marché M.S.A., avaient été licenciées pour motif disciplinaire, à Le présent arrêt s’inscrit dans le prolongement de celui rendu le
l’issue d’une procédure dans laquelle des enregistrements vidéo 5 septembre 2017 (CEDH, 7 sept. 2017, n 61496/08, Bărbulescu c.
les montrant en train de prendre part à des vols, avaient été ad- Roumanie, « arrêt Bărbulescu ») par lequel la Cour a défini un cer-
mis comme éléments de preuve. tain nombre de critères auxquels les mesures de contrôle de la
correspondance et des communications des employés doivent se
Devant la CEDH, elles soutenaient que la décision par laquelle conformer pour ne pas enfreindre l’article 8 de la Convention. Elle
leur employeur les avaient licenciées était fondée sur une vidéo- avait également estimé que, pour assurer le respect effectif de ces
surveillance effectuée en méconnaissance de leur droit au res- exigences, les employés concernés doivent bénéficier d’une voie
pect de leur vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention de recours devant un organe juridictionnel indépendant ayant com-
EDH, et que les juridictions internes avaient manqué à leur obli- pétence pour examiner, au moins en substance, le respect de ces
gation d’assurer une protection effective de ce droit. critères. n

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PRESSE crivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront
été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de pour-
ÎRLDI 5597 suite s’il en a été fait ». La présente décision peut être utilement
rapprochée de celle rendue le 19 février 2019 (Cass. crim., 19 févr.
Diffamation : l’action déclarée 2019, RLDI 2019/158, n° 5378 ; voir égal. Cass crim., 4 sept. 2018,
RLDI 2018/152, n° 5260). n
prescrite à tort
Pour la Cour de cassation c’est à tort que les juges ÎRLDI 5598
d’appel ont constaté l’extinction de l’action en
Mise en œuvre des critères pour
diffamation par la prescription.
Cass. 1re civ., 10 oct. 2019, n° 18-23.026, P+B+I*
procéder à la mise en balance
Soutenant que deux articles publiés par l’Association des res-
entre le droit à la protection de la
ponsables de copropriété (l’ARC) de Paris sur le site Internet de vie privée et le droit à la liberté
l’Union nationale des ARC, dont l’un avait été communiqué à ses
adhérents par l’ARC du Languedoc-Roussillon, au moyen d’un d’expression
courrier électronique, présentaient un caractère diffamatoire à
La Cour de cassation considère que l’atteinte portée
leur égard, les requérants ont assigné l’ARC de Paris, l’ARC du
Languedoc-Roussillon devant le juge des référés, sur le fonde- à la vie privée du président de Lactalis en raison
ment de l’article 809 du Code de procédure civile aux fins d’ob- de la divulgation du nom et de la localisation de
tenir des mesures d’interdiction, de suppression, de publication sa résidence secondaire est justifiée par le droit à
judiciaire, ainsi que le paiement de provisions. l’information du public.
Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l’action exercée par Cass. civ. 1ère, 10 oct. 2019, n° 18-21.871, F-P+B+I
les plaignants, l’arrêt d’appel après avoir relevé que l’arrêt rendu
le 1er mars 2017 par la Cour de cassation a remis les parties dans France Télévisions a diffusé un reportage dans une de ses émis-
l’état où elles se trouvaient après le prononcé du jugement, a sions consacrée à la crise de la production laitière intitulé « Sé-
retenu que les notifications d’avocat à avocat et les significations rieusement ?! Lactalis : le beurre et l’argent du beurre ».
de cette décision par les plaignants ne manifestent nullement
Le président de Lactalis avançait qu’une séquence de ce re-
la volonté de ces derniers de poursuivre l’action devant la cour
portage faisait mention du nom de sa résidence secondaire,
d’appel de renvoi et ne peuvent constituer un acte de poursuite,
de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes.
au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881.
Invoquant l’atteinte portée à sa vie privée, il a assigné France
Ce n’est pas l’analyse de la Cour de cassation pour qui « en sta- Télévisions sur le fondement des articles 8 de la Convention eu-
tuant ainsi, alors que l’acte de notification préalable d’un arrêt de ropéenne des droits de l’Homme et 9 du Code civil afin d’obtenir
cassation par l’avocat de la partie poursuivante à l’avocat de la réparation de son préjudice ainsi que des mesures d’interdiction
partie adverse, en application de l’article 678 du code de procé- et de publication judiciaire.
dure civile, et l’acte de signification à partie de cet arrêt sont des
actes de poursuite interruptifs de la prescription, la cour d’appel Ses demandes ayant été rejetées par les juges d’appel, il a formé
a violé le texte susvisé ». un pourvoi en en cassation qui est jugée infondé.

Pour se prononcer en ce sens, l’arrêt d’appel a énoncé que la sai- La Cour de cassation rappelle que, pour effectuer la mise en ba-
sine de la cour d’appel intervenue le 28 août 2017 à l’initiative de lance des droits en présence, il convient de prendre en consi-
l’ARC de Paris et de l’ARC du Languedoc-Roussillon n’est pas de dération la contribution de la publication incriminée à un débat
nature à caractériser la volonté des plaignants de poursuivre l’ac- d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du re-
tion qu’ils avaient initiée devant le tribunal de grande instance portage, le comportement antérieur de la personne concernée,
de Montpellier. le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication,
ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des pho-
Pour les Hauts magistrats, « en statuant ainsi, la cour d’appel a tographies.
violé le texte susvisé ».
Il revient au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de
Ils ont rappelé à cette fin que «  la saisine de la juridiction de chacun de ces critères.
renvoi après cassation interrompt, dès sa déclaration, la courte
prescription édictée par ce texte, quelle que soit la partie dont Elle constate ainsi qu’après avoir retenu que les indications four-
elle émane ».  nies dans la séquence litigieuse, qui permettent une localisation
exacte du domicile du requérant caractérisent une atteinte à
OBSERVATIONS
sa vie privée, l’arrêt d’appel a relevé que le reportage en cause
On rappellera que l’action publique et l’action civile résultant évoque, notamment, la mobilisation des producteurs laitiers
des crimes, délits et contraventions prévus par ladite loi se pres- contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des prix trop bas,

38 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


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DROIT DES AcTIvITéS DE l'ImmATéRIEl

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et compare la situation financière desdits producteurs à celle du d’une de la base factuelle suffisante, n’ont pas justifié
dirigeant du premier groupe laitier mondial. sa décision.
Elle relève également qu’il a précisé que l’intégralité du patri- Cass. crim. 15 oct. 2019, n° 18-83255, P
moine immobilier du requérant n’est pas détaillée, les informa-
tions délivrées portant exclusivement sur le bien que ce dernier Le maire d’une commune a fait citer le prévenu devant le tribu-
possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans nal correctionnel pour diffamation publique envers un citoyen
le reportage  ; ces informations s’inscrivant ainsi dans le débat chargé d’un mandat public, pour avoir mis en ligne, sur un site
d’intérêt général abordé par l’émission. internet , dont il est le directeur de la publication, un texte intitulé
« Scandale financier à [...] », qui relate le litige, pendant devant le
Elle relève dans le même sens que ledit arrêt a énoncé que le juge, opposant le maire, président du centre communal d’action
plaignant, en sa qualité de dirigeant du groupe Lactalis, est un sociale (CCAS) propriétaire de cette résidence pour personnes
personnage public et que, bien que le nom et la localisation de âgées, à certains résidents qui se plaignent d’augmentations se-
sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués lon eux indues de leurs loyers.
dans la presse écrite, il n’a pas, par le passé, protesté contre la
diffusion de ces informations. Il a interjeté appel du jugement qui l’a déclaré coupable de ces
faits.
Elle note enfin qu’ il a constaté que la vue d’ensemble de la pro-
priété du requérant peut être visionnée grâce au service de carto- Pour le confirmer l’arrêt d’appel a énoncé que ceux-ci contiennent
graphie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage les imputations, visant la partie civile en sa qualité de maire de la
incriminé, le journaliste n’a pas pénétré sur cette propriété privée. commune, d’un acte d’appropriation indue, susceptible de rece-
voir la qualification pénale de vol commis, de surcroît, au détri-
Et les Hauts magistrats d’en déduire que « les juges d’appel ont ment de personnes âgées pouvant être vulnérables, et d’abus de
ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre
pouvoir par un détenteur de l’autorité publique.
en oeuvre pour procéder à la mise en balance entre le droit à la
protection de la vie privée et le droit à la liberté d’expression et Pour la Cour de cassation, « la cour d’appel, qui ne devait, pour
ont en conséquence légalement justifié leur décision de retenir déterminer le caractère diffamatoire des propos poursuivis,
que l’atteinte portée à la vie privée (du requérant) était légitimée prendre en considération ni le sujet d’intérêt général dont ils
par le droit à l’information du public ». pouvaient traiter, ni leur éventuelle base factuelle, a exactement
apprécié leur sens et leur portée et en a déduit à bon droit qu’ils
OBSERVATIONS
contenaient l’imputation de faits précis, susceptibles d’un débat
La présente décision peut être utilement rapprochée de celle ren- sur la preuve de leur vérité, et contraires à l’honneur ou à la consi-
due le 21 mars 2018 qui a censuré un arrêt d’appel pour n’avoir dération de la personne visée ».
pas procédé, de façon concrète, à l’examen de chacun de critères
Cet arrêt est cependant censuré au visa des articles 10 de la
en cause, et, notamment, n’avoir pas recherché, comme il le lui
Convention européenne des droits de l’Homme, 29, alinéa 1er,
était demandé, si le public avait un intérêt légitime à être informé
de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale.
du mariage religieux d’un membre d’une monarchie héréditaire et
du baptême de son fils (Cass. 1ère civ., 21 mars 2018, n° 16-28.741). Pour confirmer le jugement qui a refusé au prévenu le bénéfice
La Cour de cassation rappelle que, pour effectuer la mise en ba- de la bonne foi, l’arrêt d’appel a estimé que, si le débat local
lance des droits en présence, il convient de prendre en considéra- entre les élus et les animateurs du site internet en cause est par-
tion la contribution de la publication incriminée à un débat d’inté- ticulièrement virulent et marqué par la mise en cause récurrente
rêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, de l’action des élus locaux, aucune recherche sérieuse tenant à
le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la nature de la convention d’occupation liant les pensionnaires
la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas de la résidence pour personnes âgées et le CCAS, à l’évolution
échéant, les circonstances de la prise des photographies. législative et réglementaire affectant cette matière, aux obliga-
tions incombant aux personnes morales de droit public et aux
Il revient ainsi au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen collectivités territoriales n’a manifestement été menée.
de chacun de ces critères. n
Ce n’est pas l’analyse de la Haute juridiction pour qui « en se dé-
ÎRLDI 5599 terminant ainsi, alors que, d’une part, le texte litigieux participait
d’un débat d’intérêt général relatif à l’exercice par le maire de ses
Diffamation publique envers un responsabilités dans la gestion d’une résidence pour personnes
âgées, d’autre part, le prévenu, qui n’est pas un professionnel
citoyen chargé d’un mandat public : de l’information, n’était pas tenu aux mêmes exigences déon-
tologiques qu’un journaliste, la cour d’appel, qui devait analyser
le refus de l’exception de bonne foi précisément les pièces produites par le prévenu au soutien de
écarté à tort l’exception de bonne foi, pièces qui avaient seulement été énu-
mérées par les premiers juges en tant qu’elles avaient été jointes
La Cour de cassation estime que les juges en refusant à l’offre de preuve, afin d’apprécier, au vu de ces pièces et de
au prévenu le bénéfice de la bonne foi, en l’absence celles produites par la partie civile pour combattre cette excep-

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tion, et en considération de ce qui précède, la suffisance de la Il a interjeté appel du jugement qui l’a déclaré coupable de ces
base factuelle, n’a pas justifié sa décision ». deux infractions et lui a refusé le bénéfice de la bonne foi. Pour
écarter l’exception de nullité de la citation tirée de ce que le
OBSERVATIONS
même propos était poursuivi sous une double qualification,
On rappellera que la liberté d’expression ne peut être soumise à l’arrêt d’appel a considéré que le délit de diffamation aggravée
des ingérences que dans le cas où celles-ci constituent des me- vise à protéger l’honneur et la considération d’une personne ou
sures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la d’un groupe de personnes, tandis que le délit de provocation à
convention EDH. la haine, à la discrimination et à la violence a pour objet de pré-
server une valeur sociale et la paix civile, de sorte que les deux
On rappellera également que, si c’est au seul auteur d’imputations délits, qui ne sont pas incompatibles entre eux, visent la protec-
diffamatoires qui entend se prévaloir de sa bonne foi d’établir les tion d’intérêts distincts.
circonstances particulières qui démontrent cette exception, celle-ci
ne saurait être légalement admise ou rejetée par les juges qu’autant Il est confirmé par les Hauts magistrats au motif suivant : « en pronon-
qu’ils analysent les pièces produites par le prévenu et énoncent pré- çant ainsi, et dès lors que, ces deux infractions visées à la prévention
ne comportant pas d’éléments constitutifs inconciliables entre eux, il
cisément les faits sur lesquels ils fondent leur décision.
n’a pu résulter de cette qualification cumulative aucune incertitude
Il est donc fait application du principe bien connu selon lequel la dans l’esprit du prévenu quant à l’étendue de la poursuite, la cour
liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que d’appel a fait une exacte application du texte visé au moyen ».
dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au
Pour confirmer le jugement concernant le délit de diffamation
regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention EDH.
publique raciale, l’arrêt d’appel a estimé que la couverture incri-
Les illustrations jurisprudentielles sont nombreuses (voir par ex., minée, qui associe notamment les mots « juifs » et « escrocs »,
Cass. crim. 30 oct. 2018, n°18-81.663, RLDI 2018/154, n°5301, qui mais qui doit se comprendre dans sa totalité, ne vise pas seule-
a considéré que l’état de santé d’un élu, s’il concerne sa vie pri- ment des « escrocs juifs », mais, par la généralisation qui résulte
vée, est aussi une question relevant d’un débat d’intérêt général de la composition de la page, vise l’ensemble des Juifs auxquels
pour ceux dont il est le représentant). n elle impute de s’enrichir de manière illégale au détriment des
personnes non-juives  ; ce qui constitue un fait susceptible de
preuve et attentatoire à l’honneur pénalement répréhensible.
ÎRLDI 5600
Pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi et dès lors que ce pro-
Délit de diffamation publique pos, figurant en couverture d’un ouvrage censé l’illustrer, renfermait
l’imputation de faits contraires à l’honneur ou à la considération, suf-
raciale caractérisé fisamment précis, qui visait un groupe de personnes pris en raison
Pour les Hauts magistrats, le propos incriminé de leur seule appartenance à une religion déterminée, et excédait
les limites admissibles de la liberté d’expression, la cour d’appel,
renferme l’imputation de faits contraires à l’honneur devant laquelle il n’était pas soutenu que le corps de l’ouvrage
ou à la considération, suffisamment précis, qui visait contredirait la définition du groupe visé qui résultait de l’examen de
un groupe de personnes pris en raison de leur seule la seule couverture, n’a méconnu aucun des textes visés au moyen ».
appartenance à une religion déterminée, et excède les OBSERVATIONS
limites admissibles de la liberté d’expression
De fait, s’il appartient aux juges de relever toutes les circonstances
Cass. crim. 15 oct. 2019, n° 18-85.366, P qui sont de nature à leur permettre d’apprécier le sens et la por-
tée des propos incriminés et de caractériser l’infraction poursuivie,
Le procureur de la République a fait citer devant le tribunal cor-
c’est à la condition, s’agissant des éléments extrinsèques auxdits
rectionnel le prévenu pour diffamation et également pour pro-
propos, qu’ils aient été expressément invoqués devant eux.
vocation à la discrimination, la haine ou la violence envers un
groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appar- La Cour de cassation applique ainsi cette règle procédurale au
tenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, délit de diffamation publique raciale. n
une race ou une religion déterminée, en raison de la couverture
d’un livre écrit ainsi décrite : « Le titre « Les milliards d’lsraël », ÎRLDI 5601
suivi du sous-titre « Escrocs juifs et financiers internationaux »
sont inscrits dans une typographie et sur un fond de couleur vert Délits de provocation à la haine
évoquant un billet de dollar américain. Ils surmontent le portait
encadré d’un homme brun en costume fumant un cigare. Cet
raciale et d’injures publiques
homme tient dans sa main gauche aux doigts recroquevillés un raciales constitués
sac estampillé du symbole monétaire du dollar, tandis qu’il tend
sa main droite qui sort du cadre juste au-dessus d’une banderole La Cour de cassation considère que les juges d’appel
supportant l’inscription suivante « Comment prendre l’argent ont à juste titre relevé que les propos incriminés
dans la poche des goys ». portent atteinte à la dignité humaine des personnes.

40 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Actualités jurisprudentielles commentées
DROIT DES AcTIvITéS DE l'ImmATéRIEl

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Les prévenus ne peuvent de sorte se prévaloir d’un d’un groupe de personnes définies par leur appartenance reli-
quelconque caractère humoristique et ont excédé les gieuse, a fait l’exacte application des textes visés au moyen ».
limites admissibles de la liberté d’expression. OBSERVATIONS
Cass. crim, 15 oct. 2019, n° 18-85.365, D On rappellera que le délit d’injure raciale implique, outre la ré-
Le procureur de la République a fait citer le prévenu devant le tri- union des éléments constitutifs de l’injure, une expression ou-
bunal correctionnel pour provocation à la haine raciale pour avoir trageante, un terme de mépris ou une invective, ne comportant
notamment mis en ligne, sur Twitter, des messages contenant les l’imputation d’aucun fait, visant une personne ou un groupe de
propos « trop de Noirs dans l’équipe de France. Trop de juifs à la personnes.
télé ! », « si on les obligeait à porter l’étoile jaune, ce serait plus
Il comporte également un élément spécifique qui est l’atteinte à
simple pour tout le monde. Lire notre Psycha du judaïsme » et,
la dignité ou à l’honneur d’une personne ou d’un groupe de per-
sur le réseau Facebook, le texte « Le 4 mars 2011, en effet, dans
sonnes injuriés en raison de leur origine ou de leur appartenance
un article publié dans l’hebdomadaire Rivarol, nous écrivions que
ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une
nous préconisions : « le port d’une combinaison fluo et d’un gyro-
phare sur la tête, en plus de la crécelle à lépreux, afin que le plus religion déterminée.
naïf des goys puisse être prévenu bien à l’avance de la chose qui Les décisions de la Cour de cassation qui ont considéré ce délit
s’avance vers lui ». comme caractérisé sont nombreuses (voir par ex. Cass. crim. 20
Il l’a également fait citer pour injures publiques raciales, pour sept. 2016, RLDI 2016/130, n° 4063 ; Cass. crim. 14 nov. 2017, RLDI
avoir mis en ligne, sur Twitter, une fausse publicité représentant 2017/143, n° 5122  ; Cass. crim. 6 mars 2018, RLDI 2018/147, n°
un médecin exhibant une boîte de médicaments «  Judéotri  » 5199). n
accompagnée des termes suivants : « Un nouveau médicament
pour guérir du judaïsme. #quenelle #antisémitisme Anxiété,
fragilité émotionnelle, paranoïa, égocentrisme, mégalomanie,
amnésie sélective, intolérance à la frustration, tendances à la fa- RÉSEAUX/INTERNET
bulation et à la calomnie, etc. On peut enfin guérir du judaïsme.
Prévient les dérives incestueuses ». ÎRLDI 5602
Les juges du premier degré l’ont déclaré coupable de ces deux
délits. Le prévenu a interjeté appel de cette décision.
Publicité ciblée sur internet : rejet
Pour confirmer le jugement qui a retenu la provocation à la haine par le Conseil d’État des recours
raciale, en raison des seuls trois passages précités, l’arrêt d’appel contre le plan d’action de la CNIL
a estimé que ce délit suppose, pour être constitué, un appel ou
une exhortation à la discrimination, la haine ou la violence, qui Le Conseil d’État a estimé légale la décision de la CNIL
peuvent être implicites. d’engager une concertation pour définir les nouvelles
Il a ajouté que deux des propos contiennent un appel explicite modalités pratiques d’expression du consentement en
à la discrimination envers les Juifs par l’imposition du port d’un matière de publicité ciblée et de laisser aux acteurs du
signe distinctif, et que le troisième, par lequel le prévenu, affir-
secteur une période d’adaptation pour s’y conformer.
mant péremptoirement qu’il y a « trop de Noirs » et « trop de
juifs », laisse clairement entendre qu’il faut qu’il y en ait moins, CE, 16 oct. 2016, n° 433069
renferme, de façon implicite, un tel appel, à la discrimination en-
Le nouveau règlement européen relatif à la protection des don-
vers les groupes ainsi visés.
nées personnelles (RGPD) et la loi du 6 janvier 1978 modifiée ont
Pour la Cour de cassation « en statuant ainsi, et dès lors que les renforcé les exigences attendues des acteurs numériques, qui
propos exhortaient le public, explicitement ou implicitement, à la doivent s’assurer que l’internaute consent explicitement à ce que
discrimination envers des groupes de personnes visées en raison des «  cookies  » ou d’autres traceurs soient déposés dans son
de leur appartenance raciale ou religieuse, la cour d’appel a fait ordinateur ou téléphone, à des fins de publicité ciblée, lorsqu’il
l’exacte application des textes visés au moyen ». consulte des sites internet.
Pour confirmer le jugement qui a retenu le délit d’injures raciales, Pour tenir compte de ce nouveau cadre juridique, la Commission
l’arrêt d’appel a relevé que les propos sont outrageants envers nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a adopté, en
les adeptes de la religion juive, présentés comme atteints de juillet dernier, une délibération explicitant les nouvelles règles de
troubles et de maladies qui ne s’appliquent qu’aux personnes consentement en matière de publicité ciblée. Elle a par ailleurs
et qu’ils ne visent donc pas seulement les préceptes religieux décidé d’engager une concertation en vue de définir, au premier
du judaïsme. trimestre 2020, les modalités pratiques de recueil du consente-
Cette analyse est également partagée par la Cour de cassation ment. Elle a également indiqué que les acteurs du secteur, une
pour qui « en se déterminant ainsi, la cour d’appel, qui a exacte- fois ces modalités arrêtées, auraient six mois pour s’y conformer.
ment apprécié que le message poursuivi était injurieux à l’égard Plusieurs associations ont attaqué ces décisions. 

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 41


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Le Conseil d’État rappelle, tout d’abord, que la CNIL, qui est une nés de s’approprier ces nouvelles règles, dont la CNIL a correc-
autorité administrative indépendante, dispose d’un large pou- tement explicité la teneur, et ainsi de respecter pleinement les
voir d’appréciation dans l’exercice de ses missions. Il en déduit exigences fixées par le RGPD à l’horizon de l’été 2020. 
que la CNIL pouvait élaborer un tel plan d’action et le rendre
public, afin de parvenir à un meilleur respect effectif du droit de  Il considère, enfin, que la stratégie de la CNIL ne méconnaît pas
la protection des données personnelles.  le droit au respect de la vie privée car elle contribue à remédier
 Il estime, ensuite, que, dans le cadre de ce plan, le délai laissé aux pratiques prohibées de publicité ciblée, et n’empêchera pas
aux acteurs du secteur pour se conformer aux règles qui seront la Commission de réaliser des contrôles pendant cette période
publiées à l’issue de la concertation n’est pas illégal. Il estime en transitoire, en sanctionnant le cas échéant les manquements les
effet que cette tolérance vise à permettre aux acteurs concer- plus graves à ce nouveau cadre juridique. n

En bref…
Création du traitement automatisé la sûreté de l’Etat enregistrées dans le traite- scolaire, devait permettre d’assister les agents
ment ACCReD. en charge du contrôle d’accès aux lycées
de données à caractère personnel
Sont concernés par le présent texte les pou- afin de prévenir les intrusions et les usurpa-
ACCReD  voirs publics, la police et la gendarmerie na- tions d’identité et de réduire la durée de ces
Le décret n° 2019-1074 du 21 octobre 2019 tionales, les agents des services spécialisés contrôles.
modifiant le décret n° 2017-1224 du 3 août de renseignement du ministère de la défense La solution envisagée a fait l’objet d’une
2017 porte création d’un traitement automati- chargés de la réalisation d’une enquête ad- analyse d’impact relative à la protection des
sé de données à caractère personnel dénom- ministrative. Il est en vigueur depuis le 24 oc- données (AIPD) par la région PACA et les deux
mé « Automatisation de la consultation cen- tobre. (D. n° 2019-1074, 21 oct. 2019, JO 23 lycées expérimentateurs, dont la version fina-
tralisée de renseignements et de données ». oct). lisée a été transmise à la CNIL fin juillet 2019.
On retiendra qu’il étend l’utilisation du traite- La Commission a donc considéré que le dis-
ment ACCReD aux enquêtes administratives Expérimentation de la positif projeté est contraire aux grands prin-
prévues par l’article 17-1 de la loi n° 95-73 du reconnaissance faciale dans deux cipes de proportionnalité et de minimisation
21 janvier 1995 d’orientation et de program- des données posés par le RGPD (Règlement
lycées : position de la CNIL
mation relative à la sécurité. général sur la protection des données).
La Commission nationale de l’informatique
Il modifie les données pouvant être enregis- et des libertés (CNIL) a estimé, le 17 octobre, En effet, les objectifs de sécurisation et la flui-
trées ainsi que les catégories de destinataires. que le recours à un dispositif de reconnais- dification des entrées dans ces lycées peuvent
Il autorise la consultation automatique du sance faciale pour contrôler les accès à un être atteints par des moyens bien moins in-
N-SIS II ainsi que la mise en relation avec les lycée apparaît disproportionné. trusifs en termes de vie privée et de libertés
traitements de données à caractère personnel individuelles, comme par exemple un contrôle
Plus précisément, elle a considéré que ce dis-
dénommés « SIREx » et « fichier de la DGSE ». par badge.
positif concernant des élèves, pour la plupart
Il modifie également les droits des personnes La Commission a rappelé que les traitements
mineurs, dans le seul but de fluidifier et de
concernées pour les mettre en conformité sécuriser les accès n’apparaît ni nécessaire, ni de données biométriques sont d’une sensibili-
avec la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à proportionné pour atteindre ces finalités. té particulière, justifiant une protection renfor-
l’informatique, aux fichiers et aux libertés. cée des personnes et qu’une vigilance stricte
Elle a été saisie par la région PACA d’une de-
Il autorise la consultation du N-SIS II pour la mande de conseil portant sur l’expérimenta- s’impose compte tenu des dommages que
réalisation des enquêtes administratives pré- tion d’un « portique virtuel » de contrôle d’ac- pourraient entraîner d’éventuels incidents de
vues à l’article L. 211-11-1 du Code de la sé- cès par reconnaissance faciale à l’entrée de sécurité sur de telles données biométriques.
curité intérieure. deux lycées de la région (lycée les Eucalyptus Dans ce contexte, et en présence de moyens
ll modifie aussi l’article R. 841-2 du Code de la à Nice et lycée Ampère à Marseille). alternatifs moins intrusifs, comme un contrôle
sécurité intérieure pour soumettre à la forma- Ce dispositif, qui ne devait concerner que par badge, le recours à un dispositif de recon-
tion spécialisée du Conseil d’Etat le conten- les lycéens ayant préalablement consenti, naissance faciale pour contrôler les accès à un
tieux du droit d’accès aux données intéressant et être expérimenté durant toute une année lycée apparaît disproportionné.

42 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Les brèves
DROIT DES AcTIvITéS DE l'ImmATéRIEl

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Et d’en conclure qu’un tel dispositif ne saurait en raison de la gravité de ces propos et au vu Ainsi que l’a rappelé la CJUE dans son arrêt
être légalement mis en œuvre. de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 sep- « UsedSoft » (CJUE 2 juill. 2012, aff. C-128/11,
Il appartient en conséquence à la région et tembre 2019, de transmettre au procureur de UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp),
aux lycées concernés, responsables du dispo- la République de Paris, sur le fondement de l’épuisement des droits s’applique quel que
sitif envisagé, d’en tirer les conséquences. l’article 40 du Code de procédure pénale, les soit le mode de distribution du jeu vidéo
éléments en sa possession, en particulier les comme en l’espèce le téléchargement.
Sur ce même terrain, on relèvera que le secré-
saisines pouvant être utiles à l’enquête ou- Il a également invalidé une clause qui confère
taire d’État chargé du numérique, Cédric O,
verte pour « injures publiques » et « provoca- à la plateforme un droit non exclusif, mon-
a précisé, le 27 octobre, qu’il faut « poser le
débat » autour de la reconnaissance faciale : tion publique à la discrimination, la haine ou dial et pendant toute la durée de validité des
« il faut d’abord qu’on expérimente et ensuite la violence ». droits de propriété intellectuelle sur les conte-
qu’on ait un débat public ». A suivre.. L’éditeur engageant par ailleurs sa responsa- nus générés par l’utilisateur, sans que soit pré-
bilité au titre de la loi de 1986 sur la liberté cisé le contenu visé, les droits conférés ainsi
de communication, le Conseil a estimé que que les exploitations autorisées ; celle-ci étant
« Outil PIA : téléchargez et installez contraire aux articles L 131-, L 131-2 et L 131-3
le format de l’émission, exceptionnel s’agis-
le logiciel de la CNIL » sant de la retransmission en direct de l’entière du Code de la propriété intellectuelle.
La Commission nationale de l’informatique et intervention d’une personnalité  n’exerçant Il a aussi déclaré illicites cinq clauses relatives
des libertés (CNIL) a annoncé, le 31 octobre, aucun mandat électoral, n’avait permis ni de à la protection des données personnelles, ins-
la sortie de la version 2.2 de l’outil d’analyses mettre en contexte de façon appropriée les crites dans la Privacy Policy de la plateforme.
d’impact relatives à la protection des données. propos tenus, ni d’apporter une contradiction
L’Association invoquait le fait qu’il était im-
Le logiciel open source PIA facilite la conduite adéquate.
possible de comprendre la référence faite aux
et la formalisation d’analyses d’impact rela- Il a en conséquence fermement mis en garde « lois applicables sur le marketing par email
tives à la protection des données (AIPD) telles LCI contre le renouvellement de manque- ». Le Tribunal a de fait estimé que la clause
que prévues par le RGPD. ments aux dispositions de sa convention n’était ni claire ni compréhensible, donc abu-
Il s’inscrit dans une démarche d’accompagne- visant «  à ne pas encourager des comporte- sive.
ment des responsables de traitement dans la ments discriminatoires en raison de la race, du Il a également invalidé la clause qui soumet
mise en œuvre des obligations du RGPD. sexe, de la religion, ou de la nationalité […] », les contestations à la juridiction et aux procé-
Disponible en français et en anglais, il facilite et à conserver «  en toutes circonstances la dures américaines, en vertu des engagements
et accompagne la conduite d’une analyse maîtrise de son antenne ». pris par la plateforme au titre du « bouclier de
d’impact relative à la protection des données Enfin, au vu « des tensions qui affectent la so- protection des données » au motif suivant : «
(AIPD), qui deviendra obligatoire pour certains ciété française », le Conseil supérieur de l’au- la clause n° 9 de l’ « Accord sur la protection
traitements à partir de Mai 2018. Cet outil vise diovisuel en a appelé à « la responsabilité des de la vie privée  » des conditions générales
aussi à faciliter l’appropriation des guides médias audiovisuels ». d’utilisation de la plate-forme Steam, qui at-
AIPD de la CNIL. tribue compétence, dans l’éventualité d’un
Et de rappeler que « La liberté d’expression,
Il s’adresse principalement aux responsables y compris sous des formes polémiques, tout litige opposant l’utilisateur à la société Valve,
de traitement n’étant pas ou étant peu fami- comme la liberté éditoriale, ne saurait justifier à la « Commission fédérale du commerce » si-
liers avec la démarche d’AIPD. Il s’agit d’une la diffusion de propos susceptibles d’inciter à tuée aux Etats-Unis, dont l’éloignement est de
version «  prêt à l’emploi  », se lançant facile- la haine ou aux discriminations  ». Ce rappel nature à dissuader l’utilisateur, en raison des
ment sur un poste de travail. du CSA s’impose plus que jamais au vu des difficultés pratiques et du coût relatifs à leur
Il est aussi possible de déployer l’outil sur des récentes et nombreuses polémiques Il reste à accès, d’exercer toute action et de le priver de
serveurs afin de l’intégrer dans les outils déjà espérer que cet appel à la vigilance soit suivi fait de tout recours de nature judiciaire à l’en-
déployés en interne dans une entreprise. effectivement par les médias. A suivre… contre du fournisseur du service ».
Il a par ailleurs censuré la clause qui limite le
Sévère mise en garde du Des clauses des conditions bénéfice des droits d’accès, de correction, de
suppression ou de modification des données
CSA contre LCI et appel à générales de la plateforme Steam aux seuls utilisateurs du site, à l’exclusion des
la responsabilité des médias déclarées illicites ou abusives utilisateurs passifs alors que les données de
audiovisuels Le Tribunal de grande instance de Paris a dé- ces derniers peuvent être collectées au moyen
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a adres- claré illicites ou abusives quatorze clauses des des cookies.
sé, le 23 octobre, une sévère mise en garde à conditions générales de la plateforme Steam Sept autres clauses des conditions générales
LCI et a appelé à la responsabilité des médias de distribution en ligne de contenus numé- ont été invalidées. Il a ainsi invalidé la clause
audiovisuels. riques suite à une plainte de l’Association UFC qui oblige un consommateur en conflit avec
Il ainsi a relevé que dans l’émission «  LCI que Choisir. la plateforme à recourir obligatoirement à la
tout info  » consacrée à la réunion publique Il a ainsi sanctionné trois types de clauses por- médiation avant toute saisine d’un juge. Il a
«  La convention de la droite  », la chaîne LCI tant sur les conditions générales d’utilisation estimé illicite la clause qui supprimerait le
(Groupe TF1) a diffusé le samedi 28 sep- de la plateforme, les règles de protection des droit à réparation du consommateur pour la
tembre 2019, en direct et en intégralité, le dis- données personnelles et celles relatives à la mise à disposition à titre onéreux de logiciels
cours prononcé par M. Eric Zemmour, précédé propriété intellectuelle. Il a plus précisément bêta non finalisés et bogués, susceptibles de
et suivi d’un débat en plateau. estimé illicite la clause qui interdit aux utilisa- créer des dysfonctionnements de l’ordinateur.
La responsabilité de l’auteur des propos pou- teurs de revendre ou de transférer les droits La clause qui prévoit la possibilité de modifier
vant être engagée au titre de la loi de 1881 d’accès et d’utilisation des jeux vidéo qu’ils unilatéralement les conditions de souscription
sur la liberté de la presse, le CSA a décidé, ont acquis sur la plateforme. est réputée non écrite.

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 43


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Concernant les règles de comportement ne pas restituer les crédits restants lorsque Aussi, en prévoyant que les fonds ne sont
qui peuvent donner lieu à une résiliation du le souscripteur refuse les nouvelles modifica- ni remboursables ni transférables, la clause
compte sans préavis, le Tribunal a considéré tions mises en place par Steam. est illicite au regard du Code monétaire et
les termes employés imprécis et équivoques A suivre le Tribunal, elle met en place un « financier. La plateforme a interjeté appel. A
qui ne permettent pas au consommateur de substitut électronique » de la monnaie fidu- suivre… (TGI 17 sept. 2019, UFC - Que choisir
déterminer sa conduite en ligne. ciaire, pour une valeur égale à celle des fonds c./ Valve & Valve Corporation, Legalis).
L’Association contestait aussi les règles de remis. Cette substitution provisoire fait naître
fonctionnement du porte-monnaie électro- une créance de remboursement au profit de Suivez l’actualité en temps réel du droit
nique Steam  ; la plateforme s’autorisant à l’utilisateur. de l’immatériel sur twitter : @RLDI_lamy

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sur internet : un jeu de lois N° Siret : aze aze aze azzze Code NAF : azzze
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l’immatériel et leurs conséquences
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juridique en cinq actes Par Pierre NOUAL pratiques :
– Conformité logicielle – Licence Management Par Sophie HADDAD et Antoine CASANOVA
– Haine sur internet : quelles nouvelles préconisations ? Par Myriam QUÉMÉNER  Je règle par virement sur le compte Date : _____/_____/_____
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des droits de l’Homme Par Walter JEAN-BAPTISTE
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– La consécration de l’exploitation de l’image des sportifs par les sociétés sportives

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au titre de l’exécution d’un contrat de droit à l’image : une opportunité à saisir pour les clubs
professionnels Par Smaïn GUENNAD
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du texte de l’OAPI sur la propriété littéraire et artistique Par Laurier Yvon NGOMBÉ
– La convergence numérique des données personnelles : le temps et l’espace au cœur des
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44 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Perspectives
AnAlyse

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Le darkweb, un terrain cybercriminel d’investigation
Que recouvre précisément le darkweb qui constitue la face cachée d'internet ? Comment
sanctionner les activités illégales qui s'y déroulent ?

Par Myriam QUEMENER


Magistrat
Docteur en droit

ÎRLDI 5603

A
l’heure où l’on mesure l’ampleur de la cybercriminalité (1) y accéder, on peut par exemple utiliser les réseaux TOR (The
qui est devenue un véritable défi tant pour les services en- onion router), I2P (Invisible Internet Project) ou Freenet. Il est
quêteurs que pour la justice, il apparait pertinent de faire utilisé aussi bien à des fins légitimes que pour réaliser des acti-
un point d’actualité sur le darkweb, cette face cachée d’internet. vités illicites. Toutefois, seules les personnes averties peuvent
y accéder ou celles ayant fait preuve de leur « bonne foi » cri-
On rappellera que le darkweb est comme tout usage du numé-
minelle(6).
rique ambivalent et qu’il a été conçu à l’origine comme un espace
sécurisé permettant de communiquer et échanger des informa- Le darknet est donc un lieu pratique et anonyme pour les cy-
tions en toute confidentialité pour résister à la surveillance de bercriminels qui recrutent sur ce marché parallèle les hackers
masse et la censure sur Internet. Il est devenu le canal de commu- les plus performants. Il doit être une cible pour les États afin de
nication privilégié des lanceurs d’alertes, des dissidents politiques lutter contre des activités illégales encore trop souvent impu-
et des ONG. Il est à la fois espace de liberté d’expression devenu nies. Il continue de fournir une assistance aux cybercriminels à
indispensable aux lanceurs d’alertes et journalistes d’investigation la recherche d’un réseau de contacts et des outils nécessaires à
mais aussi haut lieu de délinquance. Il fait l’objet d’un intérêt accru la commission des infractions. Il demeure une plateforme essen-
(2)
des délinquants en tant que lieu de marché illicite(3) . tielle dans l’organisation de nombreux trafics et constitue l’inter-
face de revente des données personnelles grâce à des cyberat-
Il convient, tout d’abord, de rappeler ce à quoi correspond le taques(7).
Darkweb, cerner les activités illicites qui s’y développent et enfin
présenter les opérations récentes ayant permis de démanteler des Le darknet(8), partie de l’internet inaccessible par les moteurs de re-
plateformes illégales qui démontrent que la répression dans le cherche classiques nécessite des outils de navigation spécifiques,
Darkweb n’est pas une zone de non -droit(4). repose sur la caractéristique commune d’assurer l’anonymat de
l’internaute. Le navigateur TOR – acronyme de The Onion Routeur
– est un outil numérique inventé puis diffusé par le Pentagone.
I.- DÉFINIR LE DARKWEB
Il est le plus connu, mais il en existe d’autres (I2P). TOR(9) cache
Le darkweb(5) regroupe l’ensemble des réseaux darknets ano- toutes les adresses IP et crypte tout ce qui s’échange sur le web,
nymes, et accessibles seulement sur le Deepweb. De par leur à travers lui et à chacune des couches de l’oignon. Aucun nœud
nature, ils sont le plus souvent utilisés à des fins illégales. Il du réseau ne connaissant la source, la destination ni le contenu
représente la face obscure ou cachée d’internet, où agissent des messages qui le traversent, l’internaute dispose sur TOR d’un
de nombreux réseaux criminels et activités malveillantes. Pour anonymat presque parfait. Il y a d’ailleurs parfois des confusions
dans l’usage des termes(10).

(1) quéméner M., Un nouveau rapport sur l’état de la menace liée au


numérique, RLDI 2018/n° 150. (6) quéméner M., Le droit face à la disruption numérique , Gualino
(2) Touillier M., Lumière sur un arsenal de lutte contre une délinquance Lextenso 2018 n°217.
tapie dans l’ombre, AJ pénal 2017. 312 (7) Rapport Etat de la menace liée au numérique 2019 , ministère de
(3) Berthelet P. , Aperçus de la lutte contre la cybercriminalité dans l’intérieur
l’Union européenne, RSC 2018. 59 (8) Voir le dossier, Le darkweb. La face cachée d’internet, D. IP/IT 2017, p.
(4) Jomni A., Le Darknet est-il une zone de non droit ?, Sécurité globale, 70 et s.
2018/3, n° 15, p. 17-23. DOI : 10.3917/secug.183.0017. URL : https:// (9) TOR est le navigateur le plus réputé mais d’autres existent tel que I2P
www.cairn.info/revue-securite-globale-2018-3-page-17.htm (Invisible Internet Project), freenet ou encore GNUnet.
(5) Petit A., Visite guidée du Darkweb cybercriminel, D. IP/IT 2017, p. 86. (10) Barraud B. Le darknet et le droit, JCP 2018, pp.6-10.

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II.- LES INVESTIGATIONS DANS LE DARKWEB police ou à la presse . Les Etats ont encouragé ces synergies en
facilitant l’alerte des autorités, à l’image de la plate-forme pharos,
Les activités illégales sur le darkweb font et doivent faire l’objet développée afin de faciliter le signalement des cyberinfractions.
de poursuites judiciaires souvent longues et complexes(11) certes
mais efficaces contrairement à ce que pensent certains auteurs(12)
III.- LES OPÉRATIONS INTERNATIONALES DE DÉMAN-
. Il est évident qu’il arrive cependant que ces réseaux anonymes
défient le droit(13) TÈLEMENT DES PLATES FORMES
La lutte contre la délinquance dans le darkweb nécessite une mo-
Afin d’atteindre ce monde parallèle, les procédures intrusives
bilisation internationale importante des service d’enquête spé-
semblent adaptées(14) car les enquêtes dans le darkweb(15) sont
cialisées et des douanes(18). Ainsi en témoigne la première affaire
complexes pour localiser les preuves numériques (16). Il convient
Silk Road, site de vente de drogues générant en trois ans un trafic
de citer l’action de la cellule cyberdouane dédiée à la lutte contre
évalué à 1,2 milliard de dollars avec des commissions de l’ordre
la cybercriminalité qui peut réaliser des investigations sous cou-
de 80 millions de dollars et qui a été démantelé en 2013 au terme
verture, c’est- à dire des infiltrations des organisations de fraude
de deux ans d’enquête. Le créateur du site <Ross Ulbricht>, alias
agissant sur internet, sur la base de l’article 67 bis 1 du Code des
Dread Pirate Roberts, a été condamné en 2013 et la décision fut
douanes. Cartographie de réseaux, cyber-infiltration de la toile
confirmée en appel le 31 mai 2017(19) Par la suite, plusieurs autres
sont désormais des pratiques indispensables avec des équipes
affaires ont abouti à des condamnations similaires d’acteurs du
formées et compétentes. dark web comme en 2014 la fermeture du site Utopia par la police
Le Code pénal s’applique au darkweb avec par exemple l’article hollandaise, en 2017, la saisie des sites AlphaBay et Hansa Market
226-18 sur la collecte de données à caractère personnel par des ou encore l’arrestation d’un trafiquant de drogue vendant des pro-
moyens illicites, déloyaux ou frauduleux. Le commerce de données duits illicites sur l’internet.
ou de biens matériels sera illicite dès lors qu’ils proviennent de vols En juin 2018(20), une opération d’ampleur a conduit au démantè-
ou d’autres incriminations. L’article 323-3 réprime l’extraction, la lement du forum « Black Hand »(21), où de nombreux produits et
détention, la reproduction et la transmission frauduleuse de don- services illicites comme les drogues, armes, faux papiers, données
nées (5 ans de prison et 150.000 euros d’amende). La détention bancaires volées...) étaient disponibles à la vente depuis deux ans.
ou le commerce de données illicites peut encourir la qualification quatre personnes avaient été mises en examen, près de 4.000
de recel passible de 5 ans de prison et 375.000 euros d’amende. euros en liquide et environ 25.000 euros dans diverses monnaies
Cela peut concerner aussi bien le «commerçant» sur le Dark Web virtuelles avaient été saisis. L’administratrice de cette plateforme
qui détient ou transmet en connaissance de cause, les données illégale, connue sous les pseudonymes Anouchka ou Hadès, était
que la personne qui bénéficie en connaissance cause du produit une mère de famille de deux enfants, âgée de 28 ans à l’époque,
d’un délit. La présence de donnée sur le dark web ne laisse planer sans casier judiciaire et sans emploi, selon une source à la douane.
aucun doute quant à leur origine délictuelle. Deux modérateurs-vendeurs avaient également été arrêtés et mis
Il a même fait son entrée à la Cour de cassation qui le qualifie de en examen, ainsi qu’un « simple vendeur », parmi « des dizaines »
réseau criminel(17) . sur le forum qui comptait 3.000 membres.

Enfin, il faut indiquer que les acteurs du darkweb ont développé Ciblé depuis  2018  par la douane, FDW-M permettait de mettre
en relation près de 6.000 utilisateurs et 750 vendeurs de drogues,
une autorégulation encourageant la lutte contre les pratiques illi-
d’armes, de faux papiers, de coordonnées bancaires et d’outils
cites. Des amateurs confirmés et professionnels des systèmes de
de piratage informatique L’opération contre la plateforme, créée
sécurité informatisée, baptisés « White Hats » poursuivent, seuls
en 2012, a été déclenchée après quelque 18 mois de surveillance
ou sous la forme de communautés les utilisateurs et prestataires
réalisée par l’unité cyberdouane de la direction nationale du ren-
de services illégaux et immoraux, les dénonçant aux services de
seignement et des enquêtes douanières (DNRED).de mettre hors
ligne une grande majorité des places de marché illicites du darknet
français», selon le ministère public. Soupçonnés d’être «les anima-
(11) Caprioli E. A., Une première condamnation aux USA pour la commis- teurs techniques» du forum, ils ont été mis en examen pour compli-
sion d’infractions sur le Dark Web, Comm. com. électr. 2017, nº 7-8, cité de trafic de stupéfiants, de vente et achat d’armes de guerres
comm. 68. et de munitions en réunion, d’escroquerie et de fourniture de faux
(12) Desmarais P., Darknet, zone de non-droit ou terra incognita pour le ju- documents administratifs. Ils se voient également reprocher des
riste <https://www.legalis.net/legaltech/cybercriminalite-3/#_ftn18> infractions douanières, la mise à disposition d’équipements spé-
(13) Barraud B. Le darknet et le droit, précité. cialement conçus pour commettre des atteintes à des systèmes de
(14) Voir par exemple, Lamy Droit du numérique n°382, «  L’infiltration traitement automatisé de données (STAD) et une «entente formée
électronique ». en vue de commettre des atteintes aux STAD».
(15) Chomiac de Sas P-x, Le dark web ou l’internet clandestin et son enca-
drement juridique, RLDI 2019/149, n°5441.
(16) quéméner M, La preuve numérique pénale à l’épreuve de la loyauté, (18) <https://www.douane.gouv.fr/actualites/la-dgccrf-et-la-douane-se-
5e rencontre de la cour d’appel de Paris et de la Faculté de droit de mobilisent-pour-la-securite-et-la-loyaute-des-produits-vendus>
Sceaux a eu lieu le 20 juin 2019 à la Cour d’appel de Paris autour
du principe de loyauté de la preuve , Actualité du droit , Lamyline , (19) United States of America v. Ulbricht, May 31, 2017, 15-1815-cr
27.août 2019 (20) Démantèlement du forum « Black Hand », RLDI 2018/ 150, p. 17.
(17) Cass. crim. 16 mai 2018, n° 17-81.686 (21) La main noire

46 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


Perspectives
AnAlyse

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En juillet 2018, le centre de la gendarmerie C3N a interpellé dans étant principalement provoquée par la fermeture des marchés Al-
les Hauts-de-France l’administrateur du site <Wolfshop> sur le phaBay et Hansa pour remonter ensuite en 2018.
darkweb, proposant à la vente plus de 550 000 identifiants (adresse
D’autres cryptomonnaies comme  Monero seraient en place pour
mail, pseudo, mot de passe) de comptes de messagerie, de
tenter de remplacer le Bitcoin. Monero se démarque en effet du
comptes clients sur les plateformes de grande distribution en ligne
Bitcoin pour deux raisons  : sur chacun des relevés bancaires pu-
ou encore de cartes bancaires. D’autres services étaient également
blics, les noms de l’expéditeur, du destinataire et du montant trans-
proposés sur le site comme du mail <bombing> ou encore une
féré sont absents ; et les chaînes utilisées pour relier chacun de ces
liste de vulnérabilités informatiques de grands sites commerçants.
relevés sont toutes distinctes.
Ce « black market » qui comptait 2 800 utilisateurs est aujourd’hui
fermé. Ces caractéristiques d’anonymat et de fongibilité font de Monero
une crypto-monnaie absolument parfaite pour les marchés du dark
En mai 2019, le site Wall Street Market (WSM), était l’une des plate-
web, où la nature publique du Bitcoin s’est avérée très domma-
formes les plus populaires du dark web, une sorte d’Amazon de
geable pour la Silk Road – un marché noir du dark web. Monero
la face sombre d’internet où l’on pouvait acheter toutes sortes de
est une cryptomonnaie très volatile et remplaçable. Ceci est princi-
produits et de documents illégaux ou encore des virus informa-
palement dû au fait que toutes les transactions sur son réseau sont
tiques. Le site était géré par trois Allemands âgés de 22, 29 et 31
anonymes par défaut. Contrairement à d’autres monnaies de confi-
ans. Ils ont tous été arrêtés en Allemagne après une action coor-
dentialité comme ZCash où l’anonymat représente un paramètre
donnée de la police locale, d’Europol, mais aussi des services de
facultatif. La monétisation des informations privilégiées subtilisées
renseignement néerlandais. La justice allemande a précisé dans un
se faisait directement par l’emploi de celles-ci sur les marchés fi-
communiqué que Wall Street Market regroupait plus de 5 400 ven-
nanciers. Néanmoins, la cybercriminalité ayant ses propres ser-
deurs et plus d’un million de comptes clients(22).
vices, la monétisation de ces IP peut aussi passer par leur revente
Le 7 mai, le FBI et Europol ont annoncé la fermeture de <Deep- sur le Dark Web (25). Dans l’étude « Monetizing the Insider by Re-
DotWeb>, un site qui proposait des offres promotionnelles à des- dOwl » de 2017, les auteurs avancent qu’il est de plus en plus utilisé
tination du marché noir.Le 12 juin 2019, à l’issue d’investigations par les cybercriminels pour l’achat d’informations privilégiées. Ces
complexes, cyberdouane, l’unité de la direction nationale du ren- informations émanent souvent d’employés de la société concer-
seignement et des enquêtes douanières (DNRED), a lancé une née par l’IP. Il sert aussi pour recruter directement des employés
vaste opération de démantèlement de <French Deep Web-Mar- internes à la société (« insiders» ) capables de leur fournir un accès
ket> (FDW-M), plateforme historique du darkweb francophone au réseau informatique interne de cette dernière, voire de les aider
créée en 2012. Ce site, fréquenté par des milliers d’utilisateurs et à introduire un malware.
des centaines de vendeurs, proposait à la vente de nombreux pro-
Ainsi l’activité sur le Darkweb aurait doublé entre 2015 et 2016.
duits et services illégaux tels que stupéfiants, armes, faux papiers,
Deux exemples de forums très actifs et auto-proclamés très exi-
etc. Cette opération s’est déroulée simultanément dans plusieurs
geants sur la qualité des informations collectées, aux titres évoca-
villes et a mobilisé près d’une centaine d’agents de la DNRED, du
teurs comme <Kick Ass Market Place> ou <The Stock Insiders>,
RAID et d’experts de la sous-direction de la lutte contre la cybercri-
fourniraient explicitement des IP monétisables sur le marché bour-
minalité du ministère de l’Intérieur.
sier même si certaines informations disponibles sur le dark web ne
sont pas en tant que telles des IP, elles peuvent constituer une des
IV.- DARKWEB ET CRYPTOMONNAIES briques nécessaires à un cybermanquement d’initié.
La cryptomonnaie a contribué au développement des marchés Ainsi, à titre d’exemple, une société de sécurité informatique an-
noirs du dark web. Anonyme et intraçable, cette monnaie virtuelle glaise, dans un rapport de janvier 2018, intitulé « Securing the Law
est devenue le moyen de paiement le plus utilisé pour toutes sortes Firm : Dark Web foot print analysis of 500 UK legal firms » a mon-
de trafics illégaux sur le réseau et de nombreuses places de places tré que chacun des 500 plus importants cabinets d’avocats britan-
de marché affichent leur prix en bitcoins et acceptent seulement niques avait en moyenne 2 000 adresses email avec mot de passe
ce type de paiement. Selon une étude publiée par la firme de cy- disponibles sur le dark web.
bersecurité Chainalysis(23) l’utilisation du Bitcoin dans le Darknet a
presque doublé en 2018 atteignant une moyenne de deux millions Ces données proviennent en majorité de la perte des données
de dollars par jour. En 2017, l’agence européenne de police Euro- d’un tiers, sur le site duquel on imagine des employés de ces cabi-
pol a publié un rapport sur la cybercriminalité qui alerte sur le rôle nets d’avocats s’être inscrits avec leur adresse mail professionnelle
croissant de Zcash, Monero et l’Ether sur le darknet(24). Le volume et un mot de passe. Ces données peuvent être à la source d’un
de bitcoins  envoyé vers des  places de marché illégales  a atteint hameçonnage ciblé et pertinent sur l’employé du cabinet d’avo-
un peu de plus de 707 millions de dollars en 2017 pour finalement cat détenteur de l’adresse ou d’une attaque de type « credential
baisser l’année dernière à 603 millions de dollars). Cette rechute stuffing (26)»

(25) Etude sur la cybercriminalité boursière : définition, cas et perspec-


(22) <https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/05/07/le-fbi- tives, oct. 2019, site de l’AMF
fait-tomber-deep-dot-web-un-important-annuaire-du-dark-
web_5459451_4408996.html> (26) Pratique consistant à utiliser les identifiants volés d’un compte pour
accéder de manière automatisée à plusieurs comptes sur divers sites.
(23) <https://blog.chainalysis.com/reports/decoding-darknet-markets> Cet exploit peut permettre aux pirates et à ceux qui achètent les iden-
(24) <https://www.europol.europa.eu › publications-documents> tifiants volés d’accéder non seulement aux comptes sur les sites pira-

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Enfin, si les informations déjà en vente sur le dark web ne sont pas afin d’effectuer une veille et une surveillance, même si les tech-
suffisantes, il semble possible, selon certains articles, d’embaucher niques d’infiltration nécessaires dans les forums ne leur sont sou-
directement « à la carte » un hacker pour compromettre un compte vent légalement pas autorisées et que certaines sources avancent
mail personnel, professionnel ou d’un réseau social d’une cible qu’il perdrait en attrait au profit de media de type Telegram.
potentielle. Ainsi, même s’il est difficile de connaître exactement
En conclusion, il apparait clairement que le traitement de ces pro-
l’étendue des IP (au sens boursier du terme) disponibles sur le Dark
cédures d’envergure nécessite une augmentation des moyens
Web, il semble légitime pour les régulateurs boursiers de s’armer a
humains et matériels ainsi qu’un renforcement de la coopération
minima de moteurs de recherche capables d’explorer le dark web
internationale. n (27)

GLOSSAIRE DU DARkwEB (27)


• Dark web : ensemble de réseaux conçus pour assurer l’anonymat des utilisateurs par la mise en œuvre d’une architecture décentralisée ainsi que
de logiciels et d’autorisations d’accès spécifiques
• web surfacique : partie visible du World Wide Web, c’est-à-dire le Web indexé par les moteurs de recherche comme Google, Bing, Yahoo!, etc.
Elle ne représente qu’une toute partie du Web.
• Deep web (web profond ou invisible) : partie de la toile qui n’est pas accessible aux internautes au moyen des moteurs de recherche usuels
• TOR (The Onion Router ou le routeur en oignons) : réseau informatique superposé et décentralisé permettant de naviguer de manière anonyme et
confidentielle via le navigateur Tor Browser.. Il est constitué de milliers de serveurs (appelés nœuds de réseau) répartis à travers le monde gérés par
des bénévoles. La connexion qui transite en permanence de manière aléatoire à travers trois serveurs permet de masquer l’adresse IP d’origine et
chiffrer les échanges.
• Darknet : réseaux superposés hébergeant des sites non indexés par les moteurs de recherche traditionnels et comprenant des noms de domaines
spécifiques en «.onion ». Basés sur une architecture décentralisée de type pair à pair, ils sont principalement accessibles via TOR et son navigateur
dédié Tor Browser, mais également Freenet et i2p. Ces réseaux cachés disposent de fonctionnalités d’anonymisation et de confidentialité qui
permettent de dissimuler l’adresse IP des utilisateurs et de chiffrer leurs échanges.
• Escrow : intermédiaire chargé d’assurer une transaction en bitcoins ou une autre monnaie virtuelle entre un vendeur et un acheteur. Concrètement,
ce tiers de confiance ne débloque l’argent pour le vendeur que lorsque l’acheteur lui confirme avoir bien reçu le produit et que tout est en ordre.

(27) Vocabulaire de l’informatique et de l’internet (liste de termes, ex-


pressions et définitions adoptés), 26 nov. 2017, <https://www.le-
tés, mais également à tous les comptes pour lesquels la victime utilise gifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTExT000035638782&-
le même mot de passe. date-Texte=&categorieLien=id>.

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Perspectives
ÉTUDE

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Le droit en datas : comment l’intelligence artificielle
redessine le monde juridique
PARTIE I : La dictature des algorithmes ou l’intelligence artificielle
à la source du droit
Si le droit saisit l’intelligence artificielle, afin d’encadrer son progrès et limiter ses dérives, il est
encore plus vrai que l’intelligence artificielle saisit le droit. Elle le remodèle, le redessine, mais
ce nouveau monde juridique qui apparaît présente des contours encore flous. L’intelligence
artificielle change à la fois les métiers et les marchés du droit, les méthodes des juristes et les
normes qu’ils appliquent ou étudient. L’influence des algorithmes sur le droit est telle que la
plupart des juristes sont (ou seront bientôt) touchés et donc concernés par les nouvelles « lois »
produites par les traitements automatisés de données. En ces lignes, sera abordée la question de
la « dictature des algorithmes », c’est-à-dire de l’intelligence artificielle comme source insidieuse
et originale mais pourtant réelle de normes. Puis, au sein de la seconde partie, à paraître
de prochain numéro de la Revue Lamy Droit de l’Immatériel, il s'agira d'observer comment
l'intelligence artificielle permet par ailleurs l'avènement de nouveaux instruments d'application
du droit, notamment grâce aux legaltechs et legal start-up, acteurs émergents du monde
juridique qui le remodèlent en partie.

Par Boris BARRAUD


Docteur en droit
Enseignant-chercheur à l’Université Grenoble-
Alpes
(Centre de Recherches Juridiques)

ÎRLDI 5604

C
’était il y a trente ans : Tim Berners-Lee inventait le web, for- rations logiques, des comparaisons statistiques ou des analogies.
midable innovation qui, aux côtés de l’internet, a donné et Depuis peu, « l'IA, à juste titre d’ailleurs, obsède les juristes »(1).
donne encore lieu à des révolutions de même nature que
Les origines de l’intelligence artificielle sont anciennes — même
les inventions du langage, de l’écriture ou de l’imprimerie. Organi-
si elle ne peut, aujourd’hui, se passer d’électronique. Les premiers
sées autour du web et de l’internet, les technologies numériques,
automates ont été inventés durant les antiquités égyptienne puis
notamment les algorithmes et l’intelligence artificielle, mais aussi
grecque, tandis que la création de machines à calculer au xVIIe
de nouveaux outils tels que les chaînes de blocs (« blockchains »),
siècle, notamment par Blaise Pascal, a constitué une étape im-
engendrent de nombreux changements dans beaucoup de do-
portante, alors que Léonard De Vinci, un siècle et demi plus tôt,
maines. Et, souvent, il s’agit même de ruptures. Ces technologies
avait construit ou au moins pensé nombre d’automates originaux.
sont « disruptives », pour reprendre un terme à la mode.
Surtout, au milieu des années 1950, alors que l’informatique com-
En aucune façon le droit ne saurait échapper à ces mutations, qu’il mençait à progresser à grands pas, l’intention d’élaborer des « ma-
s’agisse du droit compris comme ensemble de normes ou lois po- chines à penser  » se rapprochant dans leur fonctionnement de
sitives ou du droit compris comme monde des juristes. Le droit, l’esprit humain est apparue. Pionnier de la théorie informatique,
sous tous ses aspects, est renouvelé et perturbé par les nouvelles le mathématicien britannique Alan Turing proposa le concept d’in-
technologies informatiques et, en particulier, par l’intelligence arti-
ficielle, par l’utilisation d’algorithmes permettant, à partir de don-
nées (les entrées), d’aboutir à des résultats pertinents (les sorties) (1) Ch.  Caron, « L’IA ou le retour de HAL », Comm. com. électr. 2018,
en suivant différentes étapes qui requièrent des calculs, des opé- n° 5, p. 1.

Numéro 164 I Novembre 2019 RLDI I 49


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telligence artificielle dès 1950, à l’occasion de ses travaux sur le D’autre part, il y a la problématique du droit saisi par la techno-
« jeu de l’imitation »(2). logie. L’intelligence artificielle, de diverses manières, chamboule
— ou va chambouler — le milieu juridique. Cela soulève des in-
L’intelligence artificielle désigne les dispositifs technologiques vi-
terrogations relevant de la philosophie du droit et du droit public
sant à simuler et, in fine, remplacer l’intelligence humaine, donc
fondamental, mais aussi de la science administrative ou encore de
à reproduire les capacités de l’homme à percevoir, discerner,
la science politique.
comprendre, apprendre, raisonner, calculer, mémoriser, compa-
rer, choisir etc. L’«  artificiel  » correspond à l’usage d’ordinateurs Les technologies numériques sont l’objet d’un droit et, en même
ou autres procédés électroniques, tandis que l’ « intelligence » se temps, le droit est l’objet de ces technologies. Seul ce second
rapporte au but d’imiter le comportement humain ou animal. L’in- aspect sera abordé en ces lignes. Le droit des technologies sera
telligence artificielle emprunte ainsi à l’informatique, à la logique, ignoré afin de se focaliser sur les technologies du droit, sur l’impact
aux mathématiques, à l’électronique, aux sciences cognitives, aux qualitatif et quantitatif de l’intelligence artificielle sur le monde ju-
sciences de la communication et même à l’éthologie et à la neu- ridique. Sous cet angle, les algorithmes sont à la fois une nouvelle
robiologie — avec les techniques d’apprentissage profond inspi- source du droit (première partie) et un nouvel outil d’application
rées des réseaux neuronaux interconnectés. Profitant du progrès du droit (seconde partie, Revue Lamy Droit de l’immatériel, n°165,
constant des technologies informatiques (puissance de calcul) et à paraître). Ils font le droit, à travers une normativité fort originale ;
des techniques algorithmiques (notamment l’apprentissage pro- et ils sont au service du droit lorsqu’ils sont créés et utilisés par
fond ou deep learning), elle a déjà produit de nombreux résultats des legaltechs et legal start-up. Mais ils ne sont pas forcément une
spectaculaires, battant par exemple l’homme au jeu d’échecs, au chance pour le droit, pas nécessairement les moyens d’un perfec-
jeu de go, au poker et dans d’innombrables jeux vidéo. tionnement de la qualité des normes ni de la pertinence et de l’ef-
ficacité du travail des légistes, des juges, des avocats et de tous
Toutefois, si une machine peut être capable de restructurer sa
ceux qui écrivent ou appliquent le droit. Aussi importe-t-il d’inter-
connaissance initiale à l’aune de nouvelles informations reçues ou
roger les limites des algorithmes juridiques et même les menaces
perçues, aucun ordinateur ne pense ni n’est intelligent à propre-
qui peuvent accompagner leur déploiement. Il semble, en droit du
ment parler — sa capacité d’apprentissage et de décision est pro-
moins, que si l’intelligence artificielle est capable de prouesses,
grammée, donnant seulement une illusion d’intelligence — ; car il
elles ne sauraient faire des miracles et, par exemple, sauver à elle
n’a pas conscience de lui-même et il ne peut pas décider en toute
seule le service public de la justice. En revanche, mal utilisée, elle
autonomie de ses buts ni concevoir de nouvelles représentations du
peut au moins troubler le droit et peut-être même aller jusqu’à lui
monde qui le guideraient dans ses raisonnements. Toujours est-il
faire perdre son sens.
que l’intelligence artificielle envahit aujourd’hui la vie quotidienne
sous la forme d’outils de reconnaissance des formes ou de la voix, Deux remarques peuvent encore être formulées. Tout d’abord,
d’instruments d’aide à la décision, d’assistants personnels intelli- il paraît indispensable que les juristes, notamment dans le cadre
gents ou de robots en tous genres. Et, progressivement mais rapi- universitaire (enseignement comme recherche), se préoccupent
dement, elle gagne aussi la vie quotidienne des juristes, leur posant de ces sujets brûlants. Sans cela, ils risquent de se retrouver ra-
des problématiques inédites et largement porteuses d’avenir(3). pidement décramponnés, à la traîne, essayant de prendre le train
en marche mais ne pouvant que le suivre de loin. Mieux vaut être
Les rapports entre intelligence artificielle et droit peuvent être envi-
moteur que frein. Or ce sont la plupart des métiers du droit qui
sagés de deux points de vue différents. D’une part, se pose la ques-
sont ou seront impactés, certes à des degrés divers, par le déve-
tion du droit saisi par la technologie, c’est-à-dire du droit des algo-
loppement de l’intelligence juridique artificielle. Aussi faut-il se ré-
rithmes ou du droit des robots ; ou bien encore, pour prendre des
jouir que, depuis quelques années, les formations spécialisées en
exemples plus précis, du régime juridique des voitures autonomes
« droit du numérique » — expression générique qui s’est imposée
ou des moteurs de recherche en ligne. Ce sont des sujets de droit
dans les facultés de droit françaises —, séminaires, congrès, col-
privé, touchant en particulier aux enjeux de responsabilités en cas
loques, mais aussi revues et ouvrages ad hoc se multiplient.
de préjudice causé, d’une manière ou d’une autre, par un robot(4).
Cependant — seconde remarque, prenant le contrepied de la
première —, il importe également de ne pas exagérer les mouve-
ments en cours, s’agissant d’un objet d’étude touchant à l’actualité
(2) A. Turing, « Computing Machinery and Intelligence », Mind oct. 1950.
du droit mais aussi et surtout à son avenir, appelant des réflexions
(3) Se posent des questions de pur droit positif mais aussi et peut-être prospectives. L’intelligence artificielle donne lieu à beaucoup de
surtout des questions éthiques et morales. En témoigne par exemple
spéculations, de sensationnalisme, d’espoirs et de craintes qui ne
le fait que, le 28 septembre 2016, les principaux acteurs du secteur de
l’intelligence artificielle ont signé un « partenariat pour l'intelligence sont pas toujours fondés ou, du moins, qui sont souvent exces-
artificielle au bénéfice des citoyens et de la société », tandis que, l’an- sifs. Certains textes en la matière relèvent plus de la science-fic-
née suivante, Google DeepMind s’est muni d’une unité en interne tion et traitent d’une intelligence artificielle qui n’existe pas et ne
chargée d’étudier les questions éthiques liées à cette intelligence pourra jamais exister. Pour l’heure, les legaltechs impactent peut-
artificielle. être plus l’imaginaire des juristes que leurs pratiques effectives et
(4) Par exemple, C. Coulon, « Du robot en droit de la responsabilité ci-
vile : à propos des dommages causés par les choses intelligentes »,
Responsabilité civile et assurances 2016, n° 4, p. 17 ; L. Godefroy, « Les
algorithmes  : quel statut juridique pour quelles responsabilités  ? », LPA 2018, n° 107, p. 3 ; M. Monot-Fouletier, « Véhicule autonome :
Comm. com. électr. 2017, n°  11, p.  16  ; S.  Migayron, « Intelligence vers une autonomie du régime de responsabilité applicable  ? », D.
artificielle : qui sera responsable ? », Comm. com. électr. 2018, n° 4, 2018, p. 129 ; R. Fassi-Fihri, « quel droit pour les réseaux sociaux ? »,
p. 118 ; D. Bauer, « Intelligence artificielle : qui sera responsable ? », RDP 2018, p. 685.

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Perspectives
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concrètes(5). Elles sont un sujet « à la mode » — si ce n’est « le » et bien guider la vie en ligne de chacun (B). Ainsi des puissances
sujet « à la mode » —, mais leurs réalisations pratiques demeurent privées concurrencent-elles la puissance publique, tandis que se
limitées et plutôt décevantes, quoiqu’il faille distinguer la situation pose la question d’une souveraineté technologique s’élevant face
aux États-Unis, très en avance en la matière, et la situation en Eu- à la souveraineté politique. C’est donc l’État, dans son essence
rope et notamment en France. même, qui se trouve malmené par certaines formes d’intelligence
artificielle (C), tandis qu’il tente par ailleurs de profiter des oppor-
Reste que, si la problématique de l’intelligence artificielle dans ses
tunités que d’autres lui offrent. Enfin, sous un angle théorique, la
rapports avec le droit est ainsi « à la mode », ce n’est assurément
juridicité de la « loi des algorithmes » — à condition de l’accepter
pas pour de mauvaises raisons(6). Certes, le trop peut être l’ennemi
— repose essentiellement sur l’effectivité, ce qui la rend fragile
du bien et il faut prendre garde à ne pas délaisser la scientificité
au profit du sensationnalisme — ce qui est assez difficile s’agissant
d’un tel sujet réveillant toutes les tendances technophobiques et A.-  La normativité algorithmique  : personnalisation et
technophiliques — ; mais en tout cas ce bouillonnement est pré- factualisation du droit
férable à toute forme d’attentisme ou même de passéisme. Car le Les nouvelles technologies changent les modes de création du
risque, en ignorant ces mouvements et enjeux ou en feignant de droit. Elles renouvellent aussi les modes d’exécution du droit. Et
les ignorer, serait de devenir comme ces individus trop conserva- cela tant dans l’espace des normativités publiques que dans celui
teurs que Jean-Jacques Rousseau décrivait en ces termes : « De- des normativités privées. Les nouvelles technologies numériques
venus pauvres sans avoir rien perdu, simplement parce que tout réalisent une transformation majeure des formes de régulation des
changeait autour d’eux et qu’eux n’avaient point changé »(7). conduites individuelles et sociales(9). Si le droit est un ordonnance-
ment, les algorithmes produisent un nouvel ordonnancement du
I. - LA DICTATURE DES ALGORITHMES OU L’INTELLI- monde(10). Et les normes algorithmiques entrent en concurrence
GENCE ARTIFICIELLE à LA SOURCE DU DROIT avec les normes délibérées au sein des hémicycles publics —
d’aucuns diront « avec le droit », si l’on s’en tient à sa définition
La normativité issue de l’intelligence artificielle interpelle à plu-
positivo-normativiste classique. Ainsi la normativité étatique et
sieurs titres. En premier lieu, elle va de pair avec des mouvements
sa nature délibérée dans le cadre d’un Parlement se trouve-t-elle
de personnalisation et de factualisation qui font dire que le pro-
concurrencée par la normativité algorithmique, par des normes
grès technologique s’accompagne ici d’une régression normative
dictées par des traitements automatisés de données(11). Les règles
(A). Ensuite, encore faut-il accepter de qualifier cette normativité
générées par l’intelligence artificielle viennent compléter, d’autres
de « juridique », ce qui ne va assurément pas de soi(8) mais est in-
fois remplacer les règles pensées par l’intelligence humaine.
dispensable si l’on veut en faire un objet d’étude des juristes et ne
pas l’abandonner à d’autres sciences sociales. Plus encore, il faut Or il y a dans la délibération une humanité qui est peut-être néces-
admettre que les phénomènes en cause constituent des normes saire à l’élaboration des normes régissant les comportements et
véritables en ce qu’ils dictent effectivement les conduites indivi- les relations sociales. Parce qu’elle garantit la discussion et la pe-
duelles et sociales. Or, pour prendre cet exemple, les algorithmes sée des arguments contraires, parce qu’elle permet d’aboutir à des
des « réseaux sociaux » et autres services du web semblent bel compromis politiques et parce qu’elle est supposée poursuivre
l’intérêt général. Il est certainement alarmant que des puissances
privées, davantage préoccupées par des intérêts particuliers,
dominent la puissance publique sur le marché de ce « nouveau
(5) A.  Garapond, « La legaltech, une chance ou une menace pour les
droit ».
professions du droit ? », LPA 2017, n° 186, p. 4. La loi des algorithmes témoigne d’un glissement progressif d’un
(6) Ainsi, en janvier 2017, dans le cadre de sa mission de réflexion sur les gouvernement politique délibéré et vertical vers une gouvernance
enjeux éthiques et les questions de société soulevés par les techno- mathématique automatique et horizontale. Cela ne profite guère
logies numériques, la Commission nationale de l’informatique et des aux droits subjectifs de chacun ni à l’intérêt général. Avec un tel
libertés (CNIL) a annoncé l’organisation d’un grand débat public sur
mouvement, il ne s’agit plus d’imposer des devoir-être à des être,
les algorithmes et l’intelligence artificielle. Le 15 décembre 2017, elle
a publié son rapport significativement intitulé « Comment permettre afin de corriger les éventuels égarements nuisibles de ces être ; au
à l’Homme de garder la main ? », soit un ensemble de recommanda- contraire, les être s’imposent aux devoir-être, donc les faits s’im-
tions pour la construction d’un modèle éthique d’intelligence artifi- posent aux normes, deviennent normes. Telle est la conséquence
cielle. En septembre 2017, Cédric Villani, premier vice-président de de la généralisation des pratiques statistiques et des corrélations
l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techno- de données. De ce point de vue, la «  loi des algorithmes  » est
logiques (OPECST), a été chargé de conduire une consultation pu- significative de la factualisation du droit, ce qui peut difficilement
blique sur l’intelligence artificielle. Son rapport a été remis le 28 mars
2018. Le lendemain, le Président de la République Emmanuel Macron
a dévoilé la stratégie de la France dans ce domaine et présenté un
plan de 1,5 milliard d’euros sur l’ensemble de son quinquennat, ainsi
qu’une évolution de la législation française afin de permettre la mise (9) É. Geffray, « Droits fondamentaux et innovation : quelle régulation à
en application de l’intelligence artificielle, en particulier concernant la l’ère numérique ? », Cah. Cons. const. 2016, n° 52, p. 7.
circulation des véhicules autonomes. (10) J.-B. Duclercq, « Les effets de la multiplication des algorithmes infor-
(7) J.-J. Rousseau, « Discours sur l’inégalité », in Œuvres complètes, Le matiques sur l’ordonnancement juridique », Comm. com. électr. 2015,
Seuil, 1971, p. 228. n° 11, p. 15.
(8) D. Bourcier, « Le droit va-t-il disparaître dans les algorithmes ? », LPA (11) G. Chantepie, « Le droit en algorithmes ou la fin de la norme délibé-
2018, n° 223, p. 8. rée ? », D. IP/IT 2017, p. 522.

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profiter à sa qualité et à sa pertinence. Normalement, le droit a vo- gagne du terrain, notamment en raison de l’effet prescripteur ma-
cation à montrer le chemin aux faits et, en démocratie, les citoyens jeur de certaines formes d’intelligence artificielle. En l’occurrence,
votent afin de choisir collectivement ce chemin. Ici, au contraire, il ne semble pas exagéré de dire que Facebook, Twitter, Google
ce sont les faits qui guident le droit. De la sorte, le droit passe de ou encore Instagram dictent leur loi. Les algorithmes dont il est
la causalité normative à la corrélation pratique. La réalité des faits ici question sont donc ceux des multinationales du web, dont
l’emporte sur la fiction des textes. les services sont devenus indispensables à la vie en société nu-
La dictature des algorithmes se rapproche ainsi des usages, des mérique. Les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et même
traditions et de toutes les normativités immanentes et spontanées, tous les algorithmes du web décident pour les hommes — qui bien
qui ne s’imposent pas de l’extérieur mais de l’intérieur, loin de souvent ne s’en aperçoivent guère. Leurs modèles économiques
toute délibération et de toute évaluation. C’est dans le for intérieur supposent de connaître parfaitement chacun de leurs utilisateurs.
de chacun que la normativité se joue, non au cours de discussions Grâce à leurs algorithmes, ils sont capables d’analyser des sommes
et de votes dans des assemblées. faramineuses de données afin de dicter les choix de chacun au
profit de leurs annonceurs. De cette manière, ils génèrent des
L’algorithme « auto-apprenant » par rapprochements successifs, en normes véritables en ce qu’elles sont massivement suivies.
dégageant des corrélations, fait émerger des normes. Il produit
donc des règles à partir des régularités et des coïncidences qu’il Ce sont donc des intelligences artificielles qui encadrent dans une
identifie dans un corpus de données. C’est pourquoi le droit tend large mesure les activités sur les plateformes numériques. Or, si les
à se résumer à un ensemble de données : l’heure est au « droit en données personnelles sont le nouvel Eldorado, leur exploitation
datas ». Et ce droit là ne ressemble guère au droit que l’on a connu par des algorithmes hypersophistiqués et non désintéressés idéo-
et que — certainement pour de bonnes raisons — on aimerait logiquement risque d’aboutir à la constitution de formes nouvelles
connaître encore longtemps. La « loi des algorithmes » ne partage d’esclavagisme ou, du moins, de téléguidage des comportements
que peu de choses — i.e. seulement son effet normatif — avec collectifs et individuels. Il s’agit là d’une régulation technologique
la loi au sens strict, c’est-à-dire la loi produite par les parlemen- qui menace le libre-arbitre de chacun. Les algorithmes emportent
taires en suivant une procédure constitutionnelle. Cette dernière des effets normatifs redoutables bien que plutôt imperceptibles.
loi a une portée générale et impersonnelle qui assure l’absence Leur force réside dans la performativité des résultats individualisés
de toute discrimination ; et, par souci d’impartialité, elle ne prend qu’ils produisent. Leurs prophéties auto-réalisatrices sont telles
que très peu en compte les situations individuelles. Il n’existe en que, de fait, la technologie choisit pour l’humain ; et l’humain s’en
revanche guère d’égalité devant la « loi des algorithmes ». Celle-ci, remet assez aveuglément à elle.
au contraire, impulse un mouvement d’individualisation des règles
de droit. Cependant, le mouvement est pour une part réciproque : l’humain
choisit pour la technologie tant que celle-ci se borne à suggérer
Pourtant, depuis la Révolution française de 1789, le légalisme
des choix en accord avec les préférences et tendances de l’utilisa-
conduisait à soumettre les personnes à des normes générales et
teur. Cela n’en est pas moins problématique car les mécanismes
abstraites évitant qu’ils se retrouvent enfermés dans des dépen-
de filtrage des réseaux sociaux enferment les individus dans une
dances personnelles caractéristiques des rapports inégaux de
certaine vision du monde qui s’auto-entretient et donc se renforce,
l’Ancien Régime. L’hyper-personnalisation par l’intelligence arti-
sans possibilité d’être confronté à une quelconque contradiction.
ficielle aboutit à recréer de telles dépendances. La dictature des
algorithmes engendre par principe des discriminations. L’objet Internet était censé offrir un accès formidable à la diversité et à l’in-
même de ces outils technologiques est en effet de traiter diffé- finité du monde, mais les multinationales du web, à la recherche de
remment chaque utilisateur, par exemple en lui soumettant des toujours plus de clics sur des publicités personnalisées, enferment
contenus personnalisés. Ensuite, l’effet performatif de ce qui peut les individus sur eux-mêmes. De ce point de vue, le web de Tim
sembler n’être qu’une suggestion fait le reste. Et les algorithmes Berners-Lee a été trahi.
parviennent bel et bien à orienter les individus vers certaines Et, lorsque les algorithmes sont modifiés afin d’exposer les utili-
conduites plutôt que d’autres. sateurs à des contenus autres que ceux vers lesquels ils iraient le
L’automaticité de cette nouvelle forme de droit s’associe donc à la plus spontanément, par exemple afin de tempérer les ardeurs de
personnalisation en plus de la factualisation. Or, en France, l’article quelqu’un ayant tendance à suivre une ligne de pensée et même
225-1 du Code pénal incrimine toute forme de discrimination fon- de conduite extrémiste et dangereuse, leur aspect normatif et
dée notamment sur l’origine, le sexe, la situation de famille, l’ap- prescripteur n’en est que plus réel puisque, cette fois, le mouve-
parence physique, le patronyme ou le lieu de résidence. Pourtant, ment devient unilatéral : la machine ne décide plus pour l’homme
discriminer sur la base de critères illicites, les algorithmes ne font après que l’homme a décidé pour la machine ; simplement, la ma-
que cela. chine décide pour l’homme.
Dans le monde immatériel, les conduites sont orientées, les es-
B.-  La mise en pilotage automatique des vies numé- prits formatés, les désirs définis et les besoins standardisés par
riques : performativité et disparition du libre-arbitre des intelligences artificielles. Et ces dernières ne le font pas de
Aujourd’hui, les vies et les sociétés deviennent de plus en plus des manière neutre, bien au contraire. Elles favorisent le suivisme, le
vies et des sociétés numériques. Accompagnant ce mouvement, le panurgisme, et tendent à limiter au maximum les envies et les mo-
droit se fait immatériel. D’une part, le droit de l’immatériel s’avère des de vie alternatifs. En effet, ceux-ci sont trop peu monétisables,
de plus en plus indispensable à mesure que le monde physique s’agissant d’une demande avec peu d’offre pour y répondre, loin
s’efface au profit du cyberespace ; d’autre part, le droit immatériel des standards de la société de consommation de masse actuelle.

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Chaque utilisateur se trouve donc placé dans un silo de comporte- qu’elles proposent. Au sein de sociétés démocratiques et libérales,
ment et de consommation. La normalité devient normativité. cela ne peut laisser indifférent. Pourtant, la prise de conscience
demeure encore faible. qu’une liberté fondamentale telle que la
À mille lieues de l’ouverture sur le monde que le web était censé
liberté d’expression ne soit plus régie par les lois des représentants
permettre à chacun des habitants de la planète, constituant ainsi
du peuple mais par des entreprises privées est peut-être significatif
la plus formidable invention de l’histoire de l’humanité avec l’im-
d’une migration de la puissance du public vers le privé, ce dont il
primerie, il enferme, il réduit en données à exploiter commercia-
faudrait s’inquiéter. Alors que les hommes et les sociétés sont pris
lement, il porte atteinte à la liberté d’opinion et au pluralisme des
à la fois dans un mouvement de division et de désunion et dans
courants d’idées. Dès lors, se pose la question de la capacité de
un mouvement de standardisation qui peuvent l’un et l’autre lais-
la société numérique à être une société démocratique et ouverte
ser craindre le pire, le fonctionnement de nombreuses plateformes
plutôt qu’une société tyrannique et fermée. La démocratie, partout
numériques, qui sont au cœur des sociétés contemporaines, fait
dans le monde, connaît des crises majeures. Et il semble que le
redouter une large érosion du pouvoir de ces hommes et de ces
web soit au cœur de ce mouvement dangereux et préoccupant.
sociétés sur leurs destins individuels et collectifs.
Le cas des fausses informations en ligne est significatif. La désin-
Le gouvernement par l’intelligence artificielle — derrière laquelle
formation est, depuis l’invention du langage, un moyen de faire
se cachent des intelligences humaines non désintéressées idéo-
l’histoire en influençant les opinions et les sentiments populaires. logiquement — a pour finalité d’anticiper les comportements et
Avec internet, ce phénomène change de dimensions et pose des de les orienter dans une direction prédéterminée, comme toute
questions inédites. Les nouvelles technologies permettent aux forme de gouvernement. Ainsi les algorithmes redessinent-ils le vi-
diverses formes de manipulation de l’information de toucher de sage du monde, affirment-ils des légitimités nouvelles, décident-ils
vastes publics. Chaque citoyen-internaute devient un acteur des des succès et des échecs, y compris au moment de scrutins dé-
manœuvres de désinformation, en particulier en les relayant sur mocratiques visant à élire un président ou à décider de sortir ou
les réseaux sociaux. Internet constitue ainsi une révolution de l’in- non d’une organisation économique et politique interétatique. Ils
formation, mais aussi une révolution de la désinformation. Or la déterminent ce qui est « bien » et de ce qui est « mal ». Ils écrivent
mécanique démocratique est mise en danger par les fausses infor- le projet de société de demain.
mations, par les « fake news ». La désinformation 2.0 est à la fois un
symptôme de la crise de la démocratie et un appel à reconstruire la La puissance des réseaux sociaux et des grandes plateformes de
démocratie(12). Et tout cela n’existerait pas sans l’effet prescripteur partage de contenus est devenue immense, en même temps que
majeur des algorithmes du web. celle des quelques hommes qui les font fonctionner en élaborant
leurs algorithmes. Cela soulève de nombreuses interrogations au
C.-  Puissance privée contre puissance publique, souve- regard de la démocratie et des libertés fondamentales. Car il s’agit
raineté technologique contre souveraineté politique bien de puissance : une puissance concurrente à la puissance éta-
tique, tandis qu’une autre souveraineté, une souveraineté techno-
Un exemple significatif réside parmi les algorithmes du web qui logique et économique, s’élève face à la souveraineté politique.
filtrent les contenus et censurent certains d’entre eux quand ils ne On imagine déjà que les jours de l’État, du droit et de la justice mo-
répondent pas à des canons qui ont été arrêtés a priori par des dernes seraient comptés, qu’ils ne seraient plus que des pis-allers
hommes. Une telle tâche, normalement, incombe aux institutions historiques voués à être progressivement remplacés par des mo-
publiques, garantes de l’ordre public et de l’intérêt général. Et la des de régulation scientifiques, mathématiques. Cette évolution
détermination de l’étendue et des limites de ce qui est culturelle- est peut-être réelle, mais elle n’est pas irrésistible ni irréversible.
ment acceptable devrait revenir à des autorités publiques reflé- Encore faut-il cependant en prendre conscience pour pouvoir pro-
tant les choix de la majorité des citoyens. Or, de fait, celles-ci sont poser et mettre en œuvre quelques solutions afin de préserver « le
subrogées par des technologies façonnées dans la Silicon Valley pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple » et lui éviter de
afin de défendre partout dans le monde une vision particulière laisser la place à un « pouvoir du peuple, par quelques puissances
de l’homme et de la société. Les multinationales du web reflètent privées et pour quelques puissances privées ».
moins les normes sociales en vigueur qu’elles les façonnent à leur
À l’aune de la « loi des algorithmes », on peut craindre que les nouvelles
guise. Et les algorithmes deviennent les nouveaux gardiens du
technologies servent moins les hommes qu’elles les asservissent — ou
temple, en lieu et place des hommes politiques, de la police, des
qu’elles permettent à quelques hommes d’asservir tous les autres. Il est
philosophes, des journalistes etc.
douteux que l’ « homme augmenté » le soit y compris dans son pouvoir
La puissance de Facebook ou de Google s’exprime normativement, politique et dans ses droits individuels et collectifs. Politiquement et ju-
à travers leurs conditions générales d’utilisation mais aussi leurs ridiquement, il pourrait être plutôt un « homme diminué », un homme
intelligences artificielles qui, souvent, disposent en même temps réduit en données, un homme écrasé par son ombre numérique, un
homme soumis à la loi de ses objets connectés, un homme dont la
vie serait mise en pilotage automatique par des normes d’un genre
nouveau, par la dictature de l’intelligence artificielle.
(12) B. Barraud, Désinformation 2.0 – Comment défendre la démocratie ?,
L’Harmattan, coll. questions contemporaines, 2018. En février 2019,
l’institut de recherche OpenAI a annoncé avoir créé un programme D.-  La «  loi des algorithmes  »  : droit, non-droit, hy-
d’intelligence artificielle capable de générer des textes tellement ré- per-droit, sous-droit, anti-droit ?
alistes que cette technologie pourrait s’avérer dangereuse. En effet,
si le logiciel est utilisé avec une intention malveillante, il peut générer Sous un angle théorique, la normativité algorithmique dépend
facilement de fausses informations très crédibles. uniquement de sa forte effectivité. Elle se résume à son efficacité.

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Elle n’est ni valide dans un ordre juridique, ni conforme à quelques managériales, les normes techniques, mais aussi les modes alter-
exigences de droit naturel, ni associée à des normes de sanction natifs de résolution des conflits, les labels, les standards, les pro-
organisée, ni appliquée par de quelconques tribunaux. Cette dé- tocoles, les meilleures pratiques, les statistiques, les sondages, les
pendance à l’égard de son effectivité la rend fragile. Comme un indicateurs de performance, les rankings, les lois économiques des
usage ou une tradition, elle n’existe qu’en raison de sa réception marchés, les nudges etc. Et la « loi des algorithmes » n’est sans
— en l’occurrence très souvent inconsciente et involontaire — par doute pas le moins extraordinaire de ces nouveaux phénomènes
ses destinataires. Ceux-ci ont donc son sort entre leurs mains — normatifs. Elle montre qu’un autre langage du droit est en train de
contrairement aux apparences. Ils peuvent s’en émanciper, à s’élaborer et qu’il est urgent que les scientifiques du droit créent
condition de le vouloir, condition qui interroge tant beaucoup de une pierre de Rosette adaptée afin de le déchiffrer.
personnes développent une véritable addiction aux réseaux so-
ciaux et vivent désormais au moins autant dans le monde imma- La normativité algorithmique témoigne du fait que la normativité
tériel que dans le monde physique. Les géants du web peuvent descendante, provenant d’une autorité en surplomb, est mise en
être tentés d’aliéner les libertés en plaçant leurs utilisateurs dans ballotage par une normativité immanente issue de la technologie.
des silos de comportement. Mais chacun devrait être en mesure La normativité publique, faite de normes générales, abstraites et
de peser les enjeux et de reprendre, s’il le souhaite, la main sur impersonnelles, est concurrencée par une normativité paradoxa-
lui-même. lement à la fois individualisée et à prétention universelle, une nor-
Reste que les algorithmes peuvent s’analyser telles des sources mativité rendue possible par la collecte des données personnelles
de droit dès lors que le droit se définit comme ce qui modèle ef- et leur analyse par des algorithmes, autour desquels s’ordonne le
fectivement les comportements des hommes en société — peu monde actuel. C’est ainsi que les règles de droit publiques, trans-
important que cette société devienne une société numérique, une parentes et conscientes, sont remplacées insidieusement mais
société des données et de leur traitement par des algorithmes hy- dans des proportions non négligeables par des normes privées,
per-sophistiqués. Cette intelligence artificielle produit des effets opaques et inconscientes.
normatifs qui n’ont rien à envier à ceux de beaucoup de lois et
L’automaticité du traitement des données et donc de la « loi des
règlements public. Cela invite les juristes à repenser leur objet
algorithmes » semble indiquer de profonds changements en cours
d’étude, leurs pratiques et leurs habitudes loin des sentiers battus
et à venir dans la façon de créer et d’appliquer le droit. Peut-être
du droit moderne, où « droit » rime avec « État » à la fois en théorie
et en pratique. même signale-t-elle une tendance du droit à se passer de l’humain,
à se robotiser. Et ce n’est pas qu’en tant que foyer original de nor-
Si les juristes préféraient ignorer de tels objets normatifs ou se- mativité que l’intelligence artificielle remodèle le droit ; elle le fait
mi-normatifs, par conservatisme ou par aveuglement, ils se cou- aussi en offrant aux juristes — et aux non-juristes — des moyens
peraient peut-être des tendances les plus remarquables en même originaux de saisir et de mettre en œuvre les règles de droit.
temps que les plus problématiques du droit contemporain. À se
focaliser toujours sur la loi et sur la jurisprudence, on risque de pas- Tel sera l’objet de la seconde partie de cette étude, consacrée aux
ser à côté de la réalité des phénomènes normatifs d’aujourd’hui « nouvelles technologies juridiques ou l’intelligence artificielle au
que sont les codes privés, les chartes, les conditions générales service du droit », à paraître dans le prochain numéro de la Revue
d’utilisation, les contrats-types, les normes comptables, les normes Lamy Droit de l’immatériel. n

54 I RLDI Numéro 164 I Novembre 2019


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Statut des outils d’ intelligence artificielle,


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