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JURISPRUDENCE DE LIEGE, MONS ET BRUXELLES 1995 - 233

La loi du 24 décembre 1993 participe de la volonté du législateur de donner des


moyens pour rechercher, poursuivre et réprimer les actes infractionnels 33 • Le délai de
prescription est prolongé pour compenser, en quelque sorte, l'insuffisance des cadres
du ministère public mais aussi pour favoriser des investigations plus profondes en rai-
son de la complexité de certaines matières.
«Un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage; il doit veiller à
son intérêt, prendre les informations convenables et ne pas négliger ce qui est utile.
L'office de la loi est de nous protéger contre la fraude d'autrui, non pas de nous dis-
penser de faire usage de notre propre raison. S'il en était autrement, la vie des
hommes, sous la surveillance des lois, ne serait qu'une longue et honteuse minorité; et
cette surveillance dégénérerait elle-même en inquisition». Cet enseignement de POR-
TALIS ne peut laisser indifférent face à la recrudescence actuelle des dispositions légis-
latives. Notre ordre juridique entend poser les règles susceptibles de s'appliquer à tous
les comportements de la vie active: inspiré par une volonté d'établir un climat de
sécurité, le législateur .recourt de manière quasi systématique au droit pénal.
Le droit pénal est une source d'humiliation qui doit se justifier34 • Le délai de prescrip-
tion doit continuer à renforcer cette idée. Faut-il admettre comme THOMAS MORE que
le droit pénal que l'on applique reflète la morale d'une classe politique dominante?
Il y a plus de dix ans déjà , le Professeur KELLENS écrivait qu '«il y a dans notre poten-
tiel d'incriminations, de peines et de mesures, tout ce qui suffit à un régime fort» 35 •
La vigilance accrue à l'égard de la délinquance semble, aujourd'hui, inhérente au
développement de la société, de ses structures et de ses citoyens. La prescription est
utilisée comme «un moyen de renforcer les possibilités de persuasion et de permettre
une instruction moins hâtive des affaires sans perdre la possibilité de sanctionner» 36 •
Face à ce mouvement répressif, il convient de veiller au respect des droits de chacun
et spécialement aux droits de la défense qui constituent aussi une exigence de correc-
tion juridique et de moralité.
Luc BIHAIN.

Tribunal correctionnel de Neufchâteau


21 juin 1994
I. Action en justice - Intérêt - Action civile - Recevabilité - Société protectrice
des animaux.
II. Responsabilité - Réparation du dommage - Perte d'un animal - Dommage
moral - Evaluation.
1. La S.P.A. ne peut se voir accorder de dommage moral en cas d' inji·action à la loi
du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, car elle ne pour-
suit pas un but distinct de l'intérêt public dont la défense est assurée par le ministère
public.
2. Il y a lieu d'évaluer le dommage moral lié à la perte d'un chien à un franc.
(Legendre, S.P.A. et M.P. / K.)
33. Voy. articles 112 et I 13 de la loi du 4 août 1986 modifiant l'article 151 du code judiciaire et créant un article
15lbis relatifs aux substituts spécialisés en matière fiscale; loi du l" juin 1993 relative au développement du
taux des amendes administratives; articles 42 et 43his du code pénal sur la confiscation spéciale (loi du 17
juillet 1990 et arrêté royal du 9 août 1991); création de structure policière ad hoc au sein du commissariat
général de la police judiciaire (O.C.D.E.F.O.).
34. G. KELLENS, "La pénalisation des activités économiques" in Le risque pénal dans la gestion des entreprises,
Story-Scientia, 1992, p. 176.
35. "Diversifications des sanctions" Ann. dr. Liège, 183, p. 121.
36. Rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 15 du 23 octobre 1978, M.B., 9 novembre 1978, p. 13.625.
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K. inculpé de : à L., le 13 août 1992 :

1. En contravention avec l'article premier de la loi du 14 août 1986 relative à la pro-


tection et au bien-être des animaux, s'être livré sciemment à des actes non visés par la
présente loi, qui ont ou pour but de faire périr inutilement un animal ou de lui causer
une mutilation, une lésion ou des souffrances.
2. Avoir, .sans nécessité, méchamment tué un animal domestique autre que ceux qui
sont mentionnés dans l'article 538 du code pénal ou lui avoir causé une lésion grave
dans un lieu dont celui à qui cet animal appartient est propriétaire, usager, locataire,
colon ou fermier ou commis méchamment ces faits sur un animal domestique au
moment où il était employé au service auquel il était destiné et dans un lieu où son
maître avait le droit de se trouver, en l'espèce avoir empoisonné au «Temick» un
chien de race Irish Wolfuound appartenant à Legendre Jean-Claude.
Article 541 du code pénal.
3. En contravention avec l'article 46 de l'A.E.R.W. du 21 mai 1992, avoir fait usage
de poisons pour procéder à la destruction d'animaux sauvages ou domestiques.
4. En contravention avec l'article 8 de l'arrêté royal du 5 juin 1975 relatif à la conser-
vation, au commerce et à l'utilisation des pesticides et des produits phytopharmaceu-
tiques, avoir mis dans le commerce, acquis, offert, exposé ou mis en vente, détenu,
préparé, transporté, vendu, remis à titre onéreux ou à titre gratuit, importé ou utilisé
des pesticides à usage non-agricole qui n'ont pas été autorisés préalablement par le
ministre qui a la Santé publique dans ses attributions, en l'espèce du «Temick».
Loi du l l juillet 1969, arrêté d'exécution du 5 juin 1975.

Attendu que le 13 août 1992 à neuf heures trente, la partie civile Legendre Jean-
Claude promenant son chien en laisse longue, vit celui-ci s'engager dans un champ de
céréales appartenant à L. Joseph, voisin d'une sapinière appartenant au prévenu; que
la partie civile fit revenir le chien qui voulait s'engager dans la sapinière;
Que la partie civile laissa le chien à son domicile pour le retrouver une heure quart
après la promenade, étendu, occupé à râler, les pattes raides et ayant déféqué et vomi;
que le vétérinaire Vicaire diagnostiqua un empoisonnement; que l'animal fut conduit
à la clinique vétérinaire d'Arlon où un empoisonnement à la strychnine associé à un
autre produit de type insecticide fut diagnostiqué; que le chien étant décédé au cours
de la nuit, la partie civile préleva des vomissures en vue d'analyse et remarqua dans
celles-ci des grains rose-rouge;
Que l'après-midi, Legendre Jean-Claude, retourné sur les lieux, découvrit à l'endroit
où le chien s'était rendu le matin, un morceau de boudin contenant des grains roses
également et ce, en bordure du champ de céréales, à la lisière de la sapinière du pré-
venu;
Attendu que la gendarmerie ayant pris contact avec la firme Sabfran appris que le pro-
duit Temick avait déjà occasionné des problèmes car il avait été utilisé pour tuer des
chiens et que le Temick était constitué d'aldicarb à neuf et demi ou dix pour-cent;
Attendu que Body Joëlle déclara que trois ans avant les faits, alors qu'elle promenait
son chien au même endroit, le nommé K. l'avait interpellée en lui disant de ne pas le
laisser en liberté dans la sapinière car il y avait des appâts;
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Attendu que Lambrechts Joseph déclare ne jamais utiliser de Temick;

Attendu que Bertemes Jacky déclara que lors de l'hiver 1984-1985, alors qu'il tra-
vaillait dans la sapinière du prévenu, celui-ci lui avait dit de faire attention à ses
enfants car il avait déposé des appâts empoisonnés dans sa sapinière pour protéger son
élevage de lapins;

Attendu que le docteur Hustinx de la clinique vétérinaire d'Arlon transmit des échan-
tillons du contenu stomacal du chien à l'I.N.R.V. pour recherche du poison éventuel;

Attendu qu'une perquisition fut effectuée chez le prévenu le 29 septembre 1992 et


qu'un bocal contenant des granulés rouges fut découvert ainsi que deux cuillères
ayant servi à la manipulation du produit; que le prévenu reconnut tout de suite que le
produit était du Temick et déclara qu'il l'utilisait pour la destruction des nuisibles en
son domicile;

Attendu que réentendu le 25 novembre 1992, K. déclara que contrairement à ce qu'il


avait déclaré précédemment, il ignorait si le produit saisi était du Temick et affirma ne
pas être l'auteur de la pose d'appâts;

Attendu qu'il résulte de la lettre du ministre de l' Agriculture que le Temick est un
produit très toxique et qu'en dehors des pommes de terre, la culture de plantes comes-
tibles sur les sols traités au Temick n'est admise qu'après un délai de cinq mois après
le traitement du sol;

Attendu que l'Institut national de recherches vétérinaires fit savoir que les vomisse-
ments du chien comprenait bien du Temick;

Attendu que le docteur Noirfalize, désigné comme expert, déposa un rapport d'exper-
tise toxicologique concluant que le flacon saisi chez le prévenu contenait de l'aldicarb
(Temick) ainsi que les particules prélevées sur les deux cuillères; que le morceau de
boudin desséché et moisi ne permit pas une conclusion définitive vu son état;

Attendu que le prévenu à l'audience déclara que son épouse se servait du produit pour
tuer les rats et les mulots dans le jardin et qu'il avait déclaré à des personnes qu'il pla-
çait des appâts pour que personne n'aille au bois;

Attendu qu'il résulte de l'enquête effectuée par la police judiciaire que le produit n'est
délivré normalement que si l'acheteur donne son identité mais qu'en France aucun
contrôle n'est effectué et que, dès lors, il est possible d'en acquérir sans problème;

Attendu qu'il est évident et incontestable que le chien de la partie civile est mort suite
à un empoisonnement au Temick, produit extrêmement toxique; que l'Université de
Gand, Faculté de médecine vétérinaire fit savoir au docteur vétérinaire Fontaine que
le chien avait été empoisonné à l'aldicarb (Temick) et que la présence d'aldicarb sou-
lignait la volonté malveillante d'empoisonner des animaux;

Attendu qu'il est également évident que le chien a absorbé le produit lors de la prome-
nade vers neuf heures trente le matin, la partie civile l'ayant retrouvé agonisant vers
dix heures quarante-cinq; qu'il est également certain que le chien a absorbé le produit
lorsqu'il s'est éloigné de son maître dans le champ de céréales jouxtant la sapinière du
prévenu; que l'animal, selon les dires de son propriétaire, avait reniflé à l'endroit où
un chat avait été découvert mort l'avant-veille;
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Attendu qu'un boudin comprenant un produit semblable, en apparence du Temick, fut


découvert par la partie civile à la lisière de la sapinière du prévenu, boudin qui ne peut
pas être analysé en raison de son état;
Attendu qu'il est également incontestable que le prévenu possédait chez lui du
Temick, lequel fut saisi; que deux cuillères contenant du produit établissent que celui-
ci était utilisé;
Attendu que l'explication du prévenu selon laquelle le produit était utilisé dans son
jardin ne semble pas plausible en raison du danger qu'il représente pour les récoltes et
produits comestibles; que le prévenu déclara lui-même, lors de sa première audition à
la gendarmerie, que le produit était du Temick; qu'il n'en ignorait dès lors pas les pro-
priétés;
Attendu que le prévenu pouvait se procurer illégalement du Temick facilement
comme il résulte du procès-verbal de la police judiciaire;
Attendu de plus qu'il résulte des témoignages de Body Joëlle et de Bertemes Jacky
que K. se vantait lui-même de placer des appâts empoisonnés dans sa sapinière;
Attendu, dès lors, qu'il résulte des pièces du dossier et des éléments certains y relevés
que K., en possession illégale de Temick, plaçait des appâts empoisonnés destinés à
empêcher l'accès à sa sapinière aux animaux qui voulaient y entrer et que le chien de
Legendre Jean-Claude ayant absorbé un de ces appâts mourut victime d'un empoison-
nement; que les préventions sont dès lors établies telles que qualifiées;
Attendu que le prévenu plaçait le Temick pour éliminer les animaux d'une taille cer-
taine, d'autres produits existant en vente libre pour l'élimination des petits rongeurs;
qu'il résulte du rapport du docteur Hustinx que si le poison n'avait pas été aussi
toxique, l'animal aurait probablement pu être sauvé;
Attendu que les préventions 1 et 2, d'une part, et 3 et 4, d'autre part, sont le résultat
d'une même intention délictueuse et seront sanctionnées par une seule peine;
Attendu qu'il y a lieu de sanctionner de manière sévère les faits commis en raison de
leur gravité; que le prévenu non content de provoquer la mort d'animaux dans des
souffrances terribles, n'a eu aucun scrupule à déposer un produit excessivement dan-
gereux pour les récoltes de ses voisins; que de plus, les appâts mortels ont été placés
dans le seul but de détruire, sans tenir compte du danger menaçant notamment des
enfants qui auraient pu jouer à cet endroit; qu'une telle attitude doit être sanctionnée
gravement;
Attendu que le prévenu remplit les conditions légales pour bénéficier du sursis et qu'il
y a lieu d'espérer que l'octroi de cette faveur provoquera son amendement;
Attendu qu'il y a lieu d'ordonner la confiscation du bocal et des deux cuillères saisis
et déposés au greffe sous le n° 271/92 ainsi que du morceau de boudin saisi et déposé
au greffe sous le n° 232/92.
Au civil
Vu les constitutions de partie civile de Legendre Jean-Claude et de la Société royale
protectrice des animaux;
Attendu que la constitution de la Société royale protectrice des animaux doit être
déclarée irrecevable, cette partie réclamant un franc à titre de dommage moral;
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Que pour être recevable à se constituer, la partie civile doit non seulement se pré-
tendre lésée mais aussi alléguer une lésion exactement précisée et qui lui est person-
nelle; que celle qui se prévaut seulement d'un préjudice subi par autrui et non d'avoir
été lésée matériellement et moralement dans son patrimoine ou dans son honorabilité
ou qui allègue un dommage occasionné à l'intérêt général dont la sauvegarde n'appar-
tient qu'au ministère public est irrecevable (Liège, ch. mises en ace., 19 octobre 1964,
IL., 1964-1965, p. 50, et Cass., 24 novembre 1982, Pas., 1983, I, 361);
Qu'il ne peut être accordé de dommage moral à une société protectrice des animaux
en cas de contravention à la loi du 2 juillet 1975 1, cette association ne poursuit pas un
but distinct de ! 'intérêt public dont la défense est assurée par le ministère public
(Bruxelles, 14e ch., 24 janvier 1986, Pas., 1986, II, 54);
Attendu que cette partie civile ne précise pas le préjudice qu'elle aurait subi; que sa
constitution n'est pas recevable;
Attendu que la constitution de partie civile de Legendre Jean-Claude est recevable;
Attendu que la partie civile réclame une somme de 88.670 francs à titre de dommage
matériel et de trente mille francs à titre de dommage moral;
Attendu que la partie civile justifie avoir payé trente mille francs pour l'achat du
chien Irish Wolfuound, qu'elle expose également avoir supporté des frais d'élevage
du chien soit 10.850 francs (sacs de nourriture, achat de viande (indéterminé), lait
(évalué à 4.850 francs), crème (évalué à 3.324 francs), œufs (évalué à 1.125 francs),
biscuits (8.730 francs et 1.512 francs), laisse (739 francs), collier (399 francs) et des
notes vétérinaires pour un montant de 5.170 francs ainsi que des frais pharmaceu-
tiques pour 18.621 francs;
Qu'il y a dès lors lieu d'accorder la somme de septante-cinq mille francs réclamée
pour le prix du chien et les frais d'élevage; qu'il y a lieu d'accorder à la partie civile
la somme de 13.670 francs réclamée pour les frais vétérinaires consécutifs à l'empoi-
sonnement du chien; que la somme de 88.670 francs réclamée à titre de dommage
matériel sera dès lors accordée à la partie civile;
Attendu qu'il est indéniable que la partie civile a souffert de la perte de son chien, ani-
mal de compagnie de toute la famille et a dû assister impuissante aux souffrances de
l'animal;
Attendu que la valeur sentimentale accordée à un animal ne peut pas être calculée
comme la perte d'une personne; qu'il y a dès lors lieu d'accorder à la partie civile un
franc à titre de dommage moral, celle-ci n'apportant pas la preuve que le décès du
chien lui a causé des problèmes de santé ou autres.
Dispositif conforme aux motifs.
Du 21 juin 1994 - Corr. Neufchâteau J.L.M.B. 94/929
Siég.: Mme J. Moreau. Greffier: M. J. Forthomme.
M.P. : M. D. Gérard.
Plaid. : Mc, Adant et J. Mignon.

N.B. : cette décision n'est pas définitive.

1. Actuellement loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux.

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