La scène 1 de l’acte I montre l’arrivée de Dorante dans la maison d’Araminte, une ouverture apparemment anodine dont l’importance dramaturgique est en réalité décisive. Le jeune homme, qui se présente au poste d’intendant, vient en réalité dans l’intention de mener un siège : il entend conquérir le cœur de la jeune veuve pour mieux s’emparer de sa fortune. Comment les quatre extraits présentés suggèrent-ils les intentions de Dorante ? Par quels moyens les différentes mises en scène construisent-elles l’image d’un jeune homme moins lisse qu’il y paraît ? L’entrée de Dorante BONDY : L’extrait présente un espace de transition : portes vitrées, vaste hall et escalier, il s’agit de souligner l’introduction de Dorante dans la demeure d’Araminte, espace qu’il entend conquérir. BEZACE : Arlequin et Dorante entrent par la salle, par une porte située derrière les spectateurs qui entendent leur voix avant de les voir. Cette entrée provoque la surprise et l’amusement du public qui doit se retourner pour voir ce qui se passe dans son dos. Elle donne à l’arrivée de Dorante un aspect incongru : il vient de la salle, c’est-à-dire de l’extérieur absolu par rapport à la scène, du côté du public et non de celui des acteurs. Ce jeu sur le rapport scène/salle suggère tout ce qui le sépare d’Araminte et toute la difficulté de son entreprise, le metteur en scène souligne le caractère transgressif de son entrée, il lui fait franchir une limite symbolique (salle/scène) qui renvoie à la transgression sociale qu’il prépare. Le costume de Dorante BONDY : Dorante entre vêtu d’un manteau noir de coupe contemporaine, il affiche une certaine élégance, ce qui souligne d’emblée son intention de séduire. BEZACE : À son arrivée, Dorante a une apparence de bandit de grand chemin, ou d’aventurier : loin d’apparaître comme un amoureux innocent et intimidé, il porte un grand manteau, un foulard et un tricorne qui lui donnent des airs inquiétants de voyageur cherchant à dissimuler son identité. Son costume ne l’inscrit pas dans une époque et il semble pauvre, comme s’il portait tout ce qu’il possède sur son dos. Ce costume est chargé de nous mettre en garde : les intentions de Dorante sont moins pures qu’il y paraît, c’est en aventurier qu’il pénètre dans cette maison, pour y chercher fortune. (Dubois lui remet plus tard une housse et Dorante disparaît en coulisse pour réapparaître vêtu d’un élégant habit de soie du XVIIIe siècle. Ce changement met en avant sa métamorphose, son travestissement, et donc son statut de comédien : il se déguise pour jouer un rôle, celui d’intendant.) L’escalier BONDY : L’attention de Dorante est attirée par un escalier : Luc Bondy situe l’ouverture de la pièce dans le hall du théâtre de l’Odéon qui donne accès à un vaste escalier de marbre au pied duquel le jeune homme est invité à s’asseoir ; il s’agit de la voie d’accès concrète à la demeure d’Araminte et, dès qu’Arlequin le quitte, Dorante s’empresse d’en gravir les marches pour accéder à l’étage, signalant son ambition. BEZACE : Le plateau est nu à l’exception d’un grand escalier situé au centre, dans la pénombre. On entend résonner des rires féminins qui semblent provenir du haut de l’escalier. Dorante découvre cet escalier, monte sur scène pour s’en approcher mais, au moment où il va le toucher, Dubois descend un rideau noir qui fait disparaître l’escalier. Cet escalier fonctionne comme une vision, comme un fantasme de Dorante : c’est la projection de sa subjectivité sur scène, nous voyons ce dont il rêve : une ascension sociale, un accès à la chambre, à l’intimité d’Araminte, un rêve de mariage, de plaisir, de richesse. En baissant le rideau sur ce doux spectacle, Dubois ramène Dorante à la réalité comme pour lui dire : « Chaque chose en son temps ! ». Il est récurrent dans cette mise en scène que Dubois actionne une machinerie, ordonne un déplacement, joue avec le public… Il apparaît ainsi d’emblée comme l’auteur de l’intrigue (qu’il expose lors de sa première apparition), comme le metteur en scène de la pièce (il donne des consignes de jeu à Dorante, observe les agissements de chacun à travers la vitre ou depuis les coulisses, fait venir Marton pour qu’elle surprenne un geste d’affection entre Araminte et Dorante), et comme le régisseur (il commande l’installation d’un rideau noir, donne à Dorante son costume, actionne les guindes, déplace un élément de décor). Arlequin Ces deux extraits ont l’intérêt de montrer aux élèves tout le parti que l’on peut tirer du personnage d’Arlequin et la manière dont son jeu colore la tonalité de la pièce. La lenteur de l’Arlequin de Bondy (qui marche sans hâte et semble n’avoir d’autre objectif que de se rasseoir) contraste avec l’énergie de l’autre interprète. L’Arlequin de Didier Bezace se montre moins obséquieux et plus ironique, lui qui réclame par gestes un pourboire à Dorante (motif de l’argent que l’on retrouve à la toute fin de la pièce) avant de signifier son mépris pour l’apparence du nouveau venu.