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Le 7 décembre 2009
C. N. F. P. T. Pays de Loire
3ème conférence des Cadres Dirigeants
de la Fonction Publique Territoriale
du mardi 24 novembre 2009
Introduction
Bref, votre travail c’est de faire travailler les autres, et les autres, ils
préféreraient ne pas travailler : ce qu’ils cherchent, eux, ce n’est
pas le travail, c’est le bonheur. Pas de chance : ce que l’entreprise
leur propose, ce n’est pas du bonheur, c’est du travail ! Il semble
qu’il y ait maldonne dès le départ !
1. Le sens du travail
2. Bonheur et motivation : philosophie du désir
3. Désirer ensemble : management et solidarité.
Les ouvriers de la onzième heure... Même Martine Aubry n’est pas allée
aussi loin !
Les vacances : une valeur morale est sans repos ni cesse (pas de
congés pour la morale) ; le travail, non : cf. les congés payés.
Le salaire :
- Pour aimer, vous demandez combien ? Ce ne serait plus amour mais
prostitution !
- Pour être juste, il faut qu’on vous paye ? Ce ne serait plus justice mais
corruption !
- Pour être généreux, vous demandez combien ? Ce ne serait plus
générosité, mais égoïsme !
- Pour travailler, vous demandez combien ? C’est marqué sur votre
bulletin de salaire, votre note d’honoraires ou votre bilan (bénéfices,
profits ou dividendes).
Une valeur morale, c’est ce qui n’a pas de prix : ce qui n’est pas à
vendre ! Tout travail mérite salaire, tout travail salarié ou marchand a un
prix. Cela confirme que le travail n’est pas une valeur morale.
Ne comptez pas sur des "leçons de morale" pour motiver vos salariés,
ni pour tenir lieu de management !
d) Le sens du travail
Le travail n’est ni une valeur morale ni une fin en soi. C’est pourquoi il
doit avoir un sens.
Sens valeur. La valeur est intrinsèque (elle vaut en soi et par soi) ; le
sens est extrinsèque (il renvoie toujours à autre chose qu’à lui-même).
Les trois sens du mot "sens" :
• sensation ("les 5 sens")
• signification
• direction, orientation, but
Aucun des cinq sens ne peut se sentir lui-même (l’odorat est inodore,
l’ouïe est inaudible, etc.).
Le sens d’un mot n’est pas ce mot, mais ce qu’il désigne ou signifie.
La direction d’un mouvement n’est jamais l’endroit où l’on est : le sens,
ce n’est pas où l’on est mais où l’on va, et personne ne peut aller où il est
ni être où il va. Le sens est toujours ailleurs… et nous toujours ici.
Nos enfants : ce n’est pas parce qu’ils ont du sens que nous les
aimons ; c’est inversement parce que nous les aimons que notre
vie prend sens.
Il n’est sens que de l’autre : le sens du travail doit être autre chose que le
travail, et autre chose qu’on aime. Quoi ? D’abord, bien sûr, le salaire,
c’est-à-dire au fond non pas du travail mais du repos.
Cf. Pascal : "Tous les hommes recherchent d’être heureux ; cela est
sans exception ; quelques différents moyens qu’ils y emploient, ils
tendent tous à ce but. [Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et
que les autres n’y vont pas [que les uns vont à l’usine (ou au
bureau) et que les autres n’y vont pas, que les uns travaillent
beaucoup et que les autres travaillent peu, etc.], est ce même désir,
qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues.] La
volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est
le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui
vont se pendre" (Pensées, 148-425).
b) Motivation et management
J’entends par-là que l’intelligence à elle seule n’a jamais fait agir
personne. Il n’y a de but que pour et par le désir.
Je commence par Platon. Dans un de ses livres les plus célèbres "Le
banquet", Platon s’interroge sur l’amour. Qu’est-ce que l’amour ? La
réponse de Platon est la suivante : l’amour est désir et le désir est manque.
Et il enfonce le clou en écrivant : "Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce
dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour".
J’ajouterai simplement : et voilà pourquoi le bonheur, si souvent, est
manqué. Si Platon a raison, Aragon a raison aussi. Si l’amour est manque,
il n’y a pas d’amour heureux.
Pourquoi ? Qu’est-ce qu’être heureux ? Être heureux, - c’est la réponse de
Platon, de Kant plus tard, mais cela pourrait être la réponse de chacun
d’entre nous- être heureux, en gros, c’est avoir ce qu’on désire. Pas
forcément tout ce que nous désirons, parce que nous savons bien qu’à ce
compte-là nous ne serons jamais heureux, mais enfin avoir une bonne
partie, peut-être la plus grosse partie de que nous désirons, c’est cela être
heureux. Très bien. Mais si le désir est manque, on ne désire, par définition,
que ce qu’on n’a pas - puisque le désir est manque. Et si nous ne désirons
que ce que nous n’avons pas, par définition, nous n’avons jamais ce que
nous désirons. Donc, nous ne sommes jamais heureux, puisque être
heureux c’est avoir ce que nous désirons.
Si le désir est manque, vous ne désirez par définition que ce que vous
n’avez pas. Si vous vous ne désirez que ce que vous n’avez pas, vous ne
pouvez pas avoir ce que vous désirez. Non pas, bien sûr, que nos désirs ne
soient jamais satisfaits. La vie malgré tout n’est pas difficile à ce point, fort
heureusement.
Mais en ceci qu’à chaque fois qu’un de vos désirs est satisfait, il n’y a plus
de manque, puisque le désir est satisfait. Et s’il n’y a plus de manque, il n’y
a plus de désir, puisque le désir est manque. Si bien que vous n’avez pas
ce vous désirez, vous avez ce que vous désiriez, avant que le désir soit
satisfait.
Je suis désolé, mais être heureux, ce n’est pas avoir ce qu’on désirait, c’est
avoir ce qu’on désire. Or vous, vous n’avez pas ce que vous désirez, vous
avez ce que vous désiriez ; donc vous n’êtes pas heureux.
Quelques exemples, pour rendre cela plus concret. Je suis professeur de
philosophie. J’ai fait des études de philosophie assez longues et difficiles.
Cela veut dire que pendant cinq ans de ma vie, je me suis dit : qu’est-ce
que je serais heureux si j’étais reçu à l’agrégation de philo ! Ou qu’est-ce
que je serai heureux le jour où je serai agrégé de philosophie ! Autrement
dit, pendant cinq ans, l’agrégation de philosophie me manquait. Il se trouve
qu’au bout de cinq ans, la première fois où je passais le concours, j’ai été
reçu à l’agrégation de philosophie.
Vous vous diriez : cet homme est un imbécile. Et vous auriez raison.
Pourtant il est très vrai que, quand je ne l’avais pas, je désirais être agrégé
de philosophie puisque l’agrégation me manquait, et que je me disais, en
effet, que l’agrégation de philosophie ferait mon bonheur. Qu’est-ce que je
serais heureux si j’avais l’agrégation de philosophie ! Dès lors que je l’ai,
cela fait une trentaine d’années, elle ne me manque plus. Donc, elle est
incapable de me rendre heureux puisque je ne la désire plus, puisque je l’ai.
Cela veut dire une chose très importante, bien au-delà de l’agrégation de
philosophie, et qui touche au fond de la condition humaine, cela veut dire
que l’agrégation de philosophie, comme quelque diplôme que ce soit, ne
peut faire le bonheur que de ceux qui ne sont pas agrégés. Or elle ne fait
pas leur bonheur, puisqu’ils ne sont pas agrégés et que l’agrégation en
conséquence leur manque s’ils la visent. Et elle ne fait pas le mien puisque
je suis agrégé, et que l’agrégation, en conséquence, ne me manque pas.
Bref, il n’y a pas d’agrégation heureuse.
Le manque de travail est une souffrance. Et là, nous nous disons que le
travail serait un bonheur. Seulement, quand nous avons du travail, le travail
par définition ne nous manque plus, et nous ne sommes pas heureux pour
autant.
Ou bien vous désirez celle que vous n’avez pas et vous souffrez de ce
manque. C’est ce qu’on appelle un chagrin d’amour. Ou bien vous avez
celle ou celui qui ne vous manque plus, puisque vous l’avez. Vous vous
ennuyez. C’est ce qu’on appelle un couple. Je suis content que cela
vous amuse, parce que j’ai toujours un peu peur de blesser des gens. Si
cela vous amuse, c’est que vous sentez bien que cela a une part de vérité.
En réalité, il n’y a que la vérité qui fasse rire. Vérité au moins partielle.
Quand nous désirons ce que nous n’avons pas, c’est ce que Schopenhauer
appelle la souffrance. Je désire ce que je n’ai pas, je souffre de ce
manque : souffrance.
Il y a plaisir, il y a joie, toutes les fois où nous désirons ce que nous avons,
ce que nous faisons, ce qui est. Bref, toutes les fois où nous désirons ce qui
ne nous manque pas. Il y a plaisir, il y a joie, toutes les fois où Platon a tort.
Oui, bien sûr, puisqu’il nous dit qu’on ne peut désirer que ce qu’on n’a pas.
Et que nous constatons, nous, que nous avons du plaisir, de la joie, à
chaque fois que nous désirons ce que nous avons.
En vérité, je crois que les deux sont vrais. Il arrive assez souvent que nous
donnions raison à Platon ou à Schopenhauer. Il arrive que nous leur
donnions tort. Les beaux moments de notre vie sont ceux où nous leur
donnons tort. C’est-à-dire les moments où nous ne sommes plus
platoniciens mais où nous sommes spinozistes, puisque j’annonçais deux
façons de penser le désir.
Quand vous avez déjeuné ensemble ce midi, personne n’a souhaité à ses
convives : "Je te souhaite une bonne faim ; je te souhaite de bien manquer
de nourriture !" Personne n’a été platonicien, parce que c’est cela être
platonicien : c’est ne désirer manger que quand nous avons faim autrement
dit que lorsque la nourriture manque. À la limite c’est ne désirer manger que
lorsqu’il n’y a pas à manger. Mais vous ne vous êtes pas souhaité une
bonne faim : vous vous êtes souhaité un bon appétit. "Tu vois la nourriture
ne manque pas. Ils ont bien fait les choses aujourd’hui. Il y a de quoi
manger. Je te souhaite d’avoir la puissance de jouir de la nourriture qui ne
manque pas". La faim est une souffrance évidemment, nous pouvons
mourir du manque de nourriture. L’appétit est déjà un plaisir. Se mettre à
table, quand on sait que nous allons manger de bon appétit, qu’est-ce que
c’est bon !
Le désir est puissance, pour Spinoza, l’amour est joie. Déjà Aristote disait :
"Aimer, c’est se réjouir". Spinoza écrit, la formule est un peu plus
compliquée, mais cela revient au même : "l’amour est une joie
qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure". Aimer c’est se réjouir de…
Ceci est intéressant sur l’amour du métier… Parce qu’il y a deux façons
d’aimer. Vous aimez chez Platon ou chez Spinoza ? Vous aimez ce qui
vous manque ou ce qui vous réjouit ? Ce n’est pas du tout pareil.
C’est un peu comme dans le couple, il est très facile de tomber amoureux,
c’est à la portée de n’importe quel adolescent ou adolescente. Aimer celui
que nous n’avons pas, aimer celui ou celle qui manque.
Être amoureux, il n’y a rien de plus facile. Le couple, il n’y a rien de plus
difficile. Aimer celui ou celle qui ne manque pas.
Bref, mon idée est qu’il y a deux styles de marketing et deux styles de
management.
Il n’y a pas à choisir entre Platon et Spinoza, les deux disent une partie de
la vérité, mais ce n’est pas la même partie.
Le client, l’usager vient chez vous par désir, par amour. Par amour de vous
(j’en doute), par amour de lui-même, amour de l’argent, amour de ses
intérêts…
Même chose pour le management. Qu’est-ce qui fait courir vos salariés ?
Est-ce le manque, est-ce qu’ils courent après ce qu’ils n’ont pas, après le
salaire, la prime, l’augmentation, la promotion ? Ou est-ce que vous
développez en eux la puissance de jouir, la puissance de se réjouir, la
puissance de travailler ? Et donc l’amour de leur travail ?
Reconnaissons qu’il est plus facile de vendre à vos clients ce qu’ils n’ont
pas et qui leur manque que ce qu’ils ont déjà et qui ne leur manque pas.
C’est même tellement facile, qu’à la limite on n’a pas besoin de
Quand on vend des chemises, le problème c’est que le client qui arrive
dans le magasin torse nu, c’est quand même une formidable exception.
Le problème, quand on vend des chemises (en tout cas dans les pays
riches), c’est que les clients ont déjà des chemises !
Or, avoir les meilleurs salariés, c’est là l’intérêt majeur de l’entreprise (et
la seule façon, sur la durée, d’avoir les meilleurs clients), donc le cœur
de votre métier. Et dès lors que "tout homme veut être heureux", vous ne
recruterez et ne garderez les meilleurs salariés que s’ils ont le sentiment
qu’ils sont plus heureux (ou moins malheureux) dans votre entreprise
qu’ils ne le seraient dans une autre, que s’ils ont le sentiment de
progresser, un sentiment d’être utile, de participer à une aventure…
Bref, il s’agit de faire en sorte que des gens qui ne travaillent pas pour le
plaisir (mais pour gagner leur vie) trouvent du plaisir à leur travail. C’est
la marque du management réussi : quand on a créé des conditions telles
En résumé :
1) Le travail n’est ni une valeur morale ni une fin en soi
2) C’est pourquoi il doit avoir un sens
3) Ce sens (il n’est sens que de l’autre), c’est autre chose que le
travail.
4) Quoi ? Quelque chose que le travailleur désire ou aime (ce n’est pas
le sens qui est aimable, c’est l’amour qui fait sens) : l’argent,
certes, donc le repos, le loisir ou le confort qu’il permet, mais aussi
l’intérêt (qu’il soit financier ou intellectuel, humain ou professionnel,
individuel ou collectif…), l’utilité, une certaine équipe, un certain
métier (ceux qui aiment leur métier ont beaucoup de chance : ils
transforment une contrainte en bonheur ; mais c’est l’amour qui les
sauve, pas le travail), une certaine satisfaction professionnelle (le
travail n’est pas une valeur, mais l’amour du travail bien fait en est
une : par l’amour, et par le bien), une certaine aventure personnelle et
collective, une certaine reconnaissance, une certaine intégration dans
la communauté, un certain prestige, une certaine fierté ( dignité), un
certain épanouissement, bref…
-& .
-/ !
Aucune grande civilisation n' a célébré le travail comme valeur morale. Pas
de grands maîtres qui n' aient été des travailleurs (Bouddha, Socrate…)
Cependant, quelque chose a changé quand il y a eu alliance entre une
idéologie bourgeoise et une idéologie ouvrière pour célébrer le travail.
Historiquement, l'amour du travail bien fait reste une valeur morale. Il est
important de retrouver la fierté et l'
amour du métier.
+ - +
. . -
Les femmes travaillent car elles trouvent une vie plus épanouissante avec
le travail. Le travail des femmes est un plus pour la richesse culturelle et
intellectuelle de la société. Le marché du travail s'est beaucoup féminisé.
Beaucoup de managers n' ont pas réalisé que les meilleurs candidats sont
des femmes. Malheureusement, les femmes ne se retrouvent pas dans les
hautes responsabilités.
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. .
5 1 -
Ce qu' on trouve de moins en moins, ces sont des jeunes qui acceptent de
travailler dans des conditions qui ne leur donnent pas de plaisir. Le
problème, c' est aussi que l'
image de l'
usine, du chantier n'
est pas bonne.
Les lois AUBRY ont été critiquées pour des raisons morales, elles auraient
dû l'
être pour des raisons économiques.
. . .
6 6 !
Dans un certain, sens, une certaine forme d' assistanat fragilise notre
société. Comment conserver le système social français, ou européen, sans
mettre en cause certains aspects contre-productifs de ce système social ?
Attention à ne pas trop augmenter les minimas sociaux qui pourraient
dévaloriser économiquement le travail !
J'
ai tendance à dire qu' il existe trois choses que les managers doivent
apprendre à dire à leurs collaborateurs :