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René THOMAZEAU

Le 7 décembre 2009

C. N. F. P. T. Pays de Loire
3ème conférence des Cadres Dirigeants
de la Fonction Publique Territoriale
du mardi 24 novembre 2009

"Sens du travail, bonheur et


motivation : philosophie du
management"
André COMTE-SPONVILLE

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3ème conférence des Cadres Dirigeants du mardi 24 novembre 2009
1. PRÉSENTATION DE L'INTERVENANT

André COMTE-SPONVILLE est né à Paris, en 1952. Ancien élève de


l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, agrégé de philosophie,
docteur de troisième cycle, Docteur Honoris Causa de l’Université de
Mons-Hainaut, en Belgique, il fut pendant longtemps Maître de
Conférences à la Sorbonne (Université Paris I). Il ne vit plus, désormais,
que de ses livres et de ses conférences. Il intervient auprès d’un certain
nombre d’associations (spécialement l’Association Progrès du
Management) ou d’entreprises (le Crédit Agricole, les AGF, Thomson,
PSA, Total, EDF, Groupama, Vivendi, Azur GMF, Galeries La Fayette,
Sopra, Crédit Mutuel, Crédit coopératif, AXA, DEXIA, Vinci, KPMG,
Castorama, Accor, 3 Suisses International…). Il a publié d’abord un Traité
du désespoir et de la béatitude, ainsi que trois recueils d’articles : Une
éducation philosophique, Valeur et vérité (Études cyniques), et
Impromptus. Ces quatre livres, qui connaissent un grand succès (le Traité
du désespoir et de la béatitude, publié en 1984, en est à sa quinzième
édition), sont édités aux Presses Universitaires de France.
André COMTE-SPONVILLE participe régulièrement à un certain nombre
de colloques ou de publications universitaires. Il a notamment dirigé trois
numéros de la Revue internationale de philosophie, consacrés
respectivement à Montaigne (n° 181, 1992), à Pascal (n°199, 1997), et à
Alain (n° 215, 2001). Mais il écrit aussi dans la presse grand public
(L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, L’Événement du Jeudi,
Marianne, L’Expansion, Le Monde, Le Figaro, La Croix, Libération, Le
Magazine littéraire, Impact-Médecin Hebdo, Psychologies...). Enfin, on l’a
vu plusieurs fois à la télévision, à l’invitation notamment de Michel Polac,
Bernard Pivot, Jean-Marie Cavada, Christine Ockrent, Patrick Poivre
d’Arvor, Franz-Olivier Giesbert, Guillaume Durand, Michel Field, Laure
Adler, Frédéric Ferney et Serge Moati.
Ses livres les plus faciles : "L’amour la solitude" et "Présentations de la
philosophie" (les deux aux éditions Albin Michel, réédition Le Livre de
poche). Son livre le plus fameux : "Petit traité des grandes vertus", publié
en janvier 1995, aux PUF (Prix La Bruyère de l’Académie Française, 300
000 exemplaires vendus en France, traduit en 24 langues). Ses livres les
plus récents : "La sagesse des Moderne"s, avec Luc Ferry (Robert
Laffont, 1998) ; "L’être-temps" (PUF, 1999) ; "Le bonheur,
désespérément" (Pleins Feux, 2000, réédition Librio) ; "Dictionnaire
philosophique" (PUF, 2001) ; "Le capitalisme est-il moral ?" (Albin Michel,
2004) ; "La philosophie" (PUF, 2005, collection Que sais-je ?) ; "La vie
humaine" (avec des dessins de Sylvie Thybert, Hermann, 2005).
Enfin, il vient de publier "L’esprit de l’athéisme" (introduction à une
spiritualité sans Dieu), paru en octobre 2006, chez Albin Michel.

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2. L'EXPOSÉ DE L'EXPERT

Introduction

Vous, les managers, vous faites un métier difficile : votre travail,


c’est de faire travailler les autres. Or, travailler, ils ne préféreraient
pas…Bien sûr, tous vos salariés préfèrent travailler chez vous
qu’être chômeurs. Mais tous, ou presque tous, préféreraient être
rentiers plutôt qu’avoir besoin de gagner leur vie en travaillant.
Combien continueraient à travailler chez vous, s’ils avaient gagné
60 millions d’euros au Loto Européen ? La réponse, qui est très
proche de 0 %, dit assez clairement l’essentiel : travailler, pour la
plupart de vos salariés, ce n’est pas d’abord une vocation, mais
une contrainte.

Et votre métier de manager est d’autant plus difficile aujourd’hui,


dans la "civilisation des loisirs", à l’heure des lois Aubry (les 35
heures) et de la RTT, et au moment où les jeunes ont perdu, dites-
vous souvent, "le sens du travail"…

Cf. le succès étonnant et inquiétant du livre de Corine Maier, paru


en 2004, "Bonjour paresse (De l’art d’en faire le moins possible en
entreprise…)"

Depuis, on a touché le fond : "Cahier de gribouillage à l’usage de


ceux qui s’ennuient au bureau", non-livre affligeant, qui a été
pendant quelques mois dans les listes des meilleures ventes…

C’est d’ailleurs ce que confirme, dans un autre registre, le livre,


plus sérieux et moins connu, de François Dupuy, "La fatigue des
élites (le capitalisme et ses cadres)", Seuil, 2005, qui évoque (il
emprunte l’expression à Eric Le Boucher, dans Le Monde), une
"baisse tendancielle du taux de motivation" chez les cadres.

Bref, votre travail c’est de faire travailler les autres, et les autres, ils
préféreraient ne pas travailler : ce qu’ils cherchent, eux, ce n’est
pas le travail, c’est le bonheur. Pas de chance : ce que l’entreprise
leur propose, ce n’est pas du bonheur, c’est du travail ! Il semble
qu’il y ait maldonne dès le départ !

D’ailleurs, ce que cherche l’entreprise, ce n’est pas non plus le


travail, c’est le profit ou la rentabilité (c’est pourquoi l’entreprise
n’hésite pas à licencier quand c’est nécessaire pour sauver ou
augmenter le profit). Mais alors, si personne ne désire le travail en
tant que tel, comment faire pour donner un sens au travail ?

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Plan de l'exposé

1. Le sens du travail
2. Bonheur et motivation : philosophie du désir
3. Désirer ensemble : management et solidarité.

4.1. Le sens du travail

On a beaucoup dit, au MEDEF (M. Seillière) et au gouvernement (M.


Raffarin), que les lois Aubry, sur les 35 heures, auraient fait baisser
voire disparaître la "valeur du travail". Le travail serait une valeur en
baisse.
Mais en quel sens du mot "valeur" ? Comme valeur marchande
(économique) ou comme valeur morale ?
Ce ne peut pas être une baisse de sa valeur économique : les lois
Aubry, imposant une réduction de la durée du travail à salaire constant
ont au contraire entraîné une augmentation de son coût, donc de sa
valeur économique : le travail, en France, n’a jamais été aussi cher. Si
bien que lorsqu’on parle d’une baisse de la "valeur travail", ce ne peut
être qu’une baisse de la valeur morale du travail. Pour beaucoup de
salariés, et spécialement pour les plus jeunes, le travail aurait même
cessé d’être une valeur morale. Eh bien voilà : je suis venu accomplir
la tâche difficile d’essayer de vous faire comprendre que, sur ce point
précis, vos salariés pourraient bien avoir raison.
Ma thèse centrale : le travail n’est ni une valeur morale ni une fin
en soi ; c’est pourquoi il doit avoir un sens.

a) Le travail n’est pas une valeur morale

Les chefs d’entreprises m’ont souvent reproché de ne pas avoir


fait figurer le travail parmi les 18 chapitres de mon Petit traité des
grandes vertus… Le fait est qu’il n’y figure pas. Mais dans les
Evangiles non plus ! Il n’est pas écrit : "Travaillez les uns les
autres comme votre Père du Ciel travaille…"
Cf. Matthieu, VI, 26-28 et Luc, XII, 27 : "Regardez les oiseaux du
ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent (…) Voyez comment
croissent les lys des champs : ils ne travaillent ni ne filent…" (Et
cette dernière formule servait de maxime ou de légende, en latin,
du temps de la royauté française, en dessous de la fleur de lys :
"Non laborant neque nent ": ils ne travaillent ni ne filent, ce qui
était censé confirmer la loi salique !)

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La Bible : "Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front" : c’est un
châtiment !

Les ouvriers de la onzième heure... Même Martine Aubry n’est pas allée
aussi loin !

La parabole des talents : métaphore de l’investissement, non du travail ;


apologie du capitalisme, si l’on veut, non du travail.

Etymologie : bas latin trepalium : un instrument de torture ! (cf. la "salle


de travail", dans nos maternités)

Mais laissons les textes et l’étymologie : venons-en au réel lui-même. Le


travail n’est pas une valeur morale : c’est ce que prouvent le 1er mai,
les vacances et le salaire.

Le 1er mai : Paradoxe : la fête du travail est un jour chômé ! Mais le


paradoxe n’est qu’apparent : c’est que c’est un jour de fête, ce qui
confirme que le travail, ordinairement, n’en est pas une.

Les vacances : une valeur morale est sans repos ni cesse (pas de
congés pour la morale) ; le travail, non : cf. les congés payés.

Le salaire :
- Pour aimer, vous demandez combien ? Ce ne serait plus amour mais
prostitution !
- Pour être juste, il faut qu’on vous paye ? Ce ne serait plus justice mais
corruption !
- Pour être généreux, vous demandez combien ? Ce ne serait plus
générosité, mais égoïsme !
- Pour travailler, vous demandez combien ? C’est marqué sur votre
bulletin de salaire, votre note d’honoraires ou votre bilan (bénéfices,
profits ou dividendes).

Une valeur morale, c’est ce qui n’a pas de prix : ce qui n’est pas à
vendre ! Tout travail mérite salaire, tout travail salarié ou marchand a un
prix. Cela confirme que le travail n’est pas une valeur morale.

Aucune valeur morale n’est soumise au marché ; or, il y a un marché du


travail…

Le travail, pris en lui-même, ne vaut rien ; c’est pourquoi on le paye. Il


n’est pas une valeur (morale) ; c’est pourquoi il a une valeur
(marchande). Il n’est pas un devoir, c’est pourquoi il a un prix.

Ne comptez pas sur des "leçons de morale" pour motiver vos salariés,
ni pour tenir lieu de management !

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b) Le travail n’est pas une fin en soi : ce n'est qu'un moyen

Une valeur morale, c’est ce qui vaut par soi.


À quoi bon être juste ?
À quoi bon être généreux ? Mauvaises questions
À quoi bon être sincère ?
À quoi bon travailler ? Excellente question !
Le travail n’est qu’un moyen : on ne vit pas pour travailler ; on travaille
pour vivre, pour gagner sa vie, pour montrer de quoi on est capable, pour
s’occuper, pour être utile, pour se faire des amis ou des relations pour
autre chose que le travail !
Et le bénévole ? Il travaille gratuitement, mais pas pour rien ! Il travaille
pour une cause qu’il croit juste, pour l’humanité, pour les relations qu’il
s’y fait, et tout cela ce n’est pas rien !
Travailler pour travailler, c’est folie ou bagne : c’est contraire à la santé
mentale ou aux droits de l’homme
Aristote : "Le travail tend au repos, et non pas le repos au travail"
Il n’y a que les chefs d’entreprise et quelques fous du boulot qui croient
qu’on se repose la nuit pour travailler toute la journée, qu’on se repose le
week-end pour travailler toute la semaine, qu’on se repose pendant les
vacances pour travailler toute l’année. Et qu’on se repose pendant la
retraite pour travailler… toute la mort ? Reconnaissons que votre
idéologie spontanée atteint ici sa limite.
La vérité, que connaissent d’instinct vos salariés et spécialement les plus
jeunes est à l’inverse : on travaille toute la journée pour avoir un toit où
dormir et profiter de ses soirées, on travaille toute la semaine pour
pouvoir se payer des week-ends, on travaille toute l’année pour pouvoir
s’offrir des vacances, on travaille toute la vie pour pouvoir profiter de sa
retraite. Cela donne raison Aristote : le travail tend au repos et non pas
le repos au travail.
Il n’empêche que le travail, comme moyen, est extrêmement important.
C’est presque toujours le plus important des moyens, celui sans lequel
on ne peut rien obtenir. C’est ce qu’il faut rappeler à nos jeunes gens.
Mais sans oublier qu’il n’est pas l’essentiel.
Une infirmière me dit un jour : "Je n’ai jamais vu personne, sur son lit de
mort, regretter de ne pas avoir travaillé une heure de plus. J’en ai vu des
dizaines regretter de ne pas avoir passé une heure de plus avec leurs
enfants, leur conjoint, ou à pratiquer telle ou telle activité non
professionnelle qui les passionnait…"
Ne pas sacrifier l’essentiel à ce qui n’est qu’extrêmement
important (l’important : un moyen nécessaire ; l’essentiel : un but en soi.
L’important : ce qui coûte très cher: l’essentiel : ce qui n’a pas de prix).

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c) Travail et dignité

Chômage longue durée : ce serait la perte de la dignité… Bien sûr que


non !
Si tous les hommes sont égaux endroits et en dignité, alors qu’ils sont
clairement inégaux en travail, il est exclu que ce soit le travail qui fasse la
dignité.
Et le rentier ? Et celui qui gagne au Loto et qui arrête de travailler? Qui
s’inquiète pour leur dignité ?
Kant : "La dignité, c’est la valeur de ce qui n’a pas de prix".
Ce n’est pas le travail qui fait la dignité ; c’est l’humanité. C’est
pourquoi il doit y avoir de la dignité dans le travail. Ne comptez pas sur
votre entreprise pour être humaniste à votre place.

d) Le sens du travail

Le travail n’est ni une valeur morale ni une fin en soi. C’est pourquoi il
doit avoir un sens.
Sens valeur. La valeur est intrinsèque (elle vaut en soi et par soi) ; le
sens est extrinsèque (il renvoie toujours à autre chose qu’à lui-même).
Les trois sens du mot "sens" :
• sensation ("les 5 sens")
• signification
• direction, orientation, but
Aucun des cinq sens ne peut se sentir lui-même (l’odorat est inodore,
l’ouïe est inaudible, etc.).
Le sens d’un mot n’est pas ce mot, mais ce qu’il désigne ou signifie.
La direction d’un mouvement n’est jamais l’endroit où l’on est : le sens,
ce n’est pas où l’on est mais où l’on va, et personne ne peut aller où il est
ni être où il va. Le sens est toujours ailleurs… et nous toujours ici.

Il n’est sens que de l’autre.


Le sens du travail doit être autre chose que le travail !

"Quand le doigt montre la lune, l’imbécile regarde le doigt…" C’est


que l’imbécile est fasciné par le sens, au point d’oublier que le sens ne
vaut qu’au service d’autre chose, qui n’en a pas. Quand MM. Sellières ou
Raffarin répétaient "Valeur travail ! Valeur travail !", ils étaient dans la
position de l’imbécile qui regarde le doigt. Pas de chance : les jeunes
préfèrent regarder la lune…

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Ce n’est pas le sens qui est aimable ; c’est l’amour qui fait sens

Nos enfants : ce n’est pas parce qu’ils ont du sens que nous les
aimons ; c’est inversement parce que nous les aimons que notre
vie prend sens.

Les fleurs et les panneaux de signalisation ;

Le travail : il n’a de sens que si on l’aime (l’amour de son métier),


ou que si l’on aime ce qu’il apporte ou permet (l’argent, la liberté,
le confort, la vie, la famille, le bonheur…), voire ce qu’il exige
(l’effort, la discipline, l’esprit d’équipe, la responsabilité…). Cela
débouche sur une conséquence importante : Le travail n’est pas
une valeur morale ; mais l’amour du travail bien fait en est
une : à cause de l’amour, et à cause du "bien".

Le goût : cf. le premier sens du mot "sens"… Pour avoir un sens, le


travail doit avoir un but (et si possible une signification), qui soit autre
chose que le travail. Mais il faut aussi qu’on puisse l’aimer : il doit avoir
un "goût" point trop désagréable, voire plaisant. Pour pouvoir aimer son
travail, pour avoir "goût au travail", il faut que celui-ci n’ait pas trop
mauvais goût, ne soit pas trop désagréable ou harassant...

Il n’est sens que de l’autre : le sens du travail doit être autre chose que le
travail, et autre chose qu’on aime. Quoi ? D’abord, bien sûr, le salaire,
c’est-à-dire au fond non pas du travail mais du repos.

Mais le salaire n’a jamais suffi à motiver une équipe, ni à la souder, ni à


garder les meilleurs, ni à susciter l’enthousiasme, la créativité, la
responsabilité. Si vous ne leur proposez que des raisons médiocres de
travailler, vous ne recruterez, et surtout vous ne garderez que les
médiocres. Cf. ce que m’a dit un jour un patron, membre de l’APM :
"C’est vrai, mes salariés travaillent d’abord pour le salaire. Mais le
salaire, ce n’est pas moi qui le fixe : c’est le marché du travail. Si bien
que ma valeur ajoutée de manager elle n’est pas dans le salaire ; elle est
dans les autres raisons que le salaire que mes salariés ont de venir
travailler chez moi, et surtout de rester chez moi. J’ai beau tourner le
problème dans tous les sens, je ne trouve qu’une seule réponse : s’ils
restent à travailler chez moi, c’est qu’ils y trouvent un certain plaisir, un
certain bonheur…"

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4.2. Bonheur et motivation : philosophie du désir

a) Le bonheur et l’Organisation de travail

Cf. Pascal : "Tous les hommes recherchent d’être heureux ; cela est
sans exception ; quelques différents moyens qu’ils y emploient, ils
tendent tous à ce but. [Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et
que les autres n’y vont pas [que les uns vont à l’usine (ou au
bureau) et que les autres n’y vont pas, que les uns travaillent
beaucoup et que les autres travaillent peu, etc.], est ce même désir,
qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues.] La
volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est
le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui
vont se pendre" (Pensées, 148-425).

Cela vaut aussi pour vous, chefs d’entreprises ou managers. Cela


vaut aussi pour vos salariés. Cela vaut aussi pour vos clients ou
usagers. Cela vaut aussi pour vos actionnaires, pour vos élus.
Qu’est-ce qui les fait courir ? Le bonheur. Ils courent après le
bonheur (cf. Stendhal : "la chasse au bonheur"). Reste à savoir
comment fédérer ces "chasses au bonheur", pour les rendre
économiquement efficaces. C’est le problème de la motivation, donc
du management.

b) Motivation et management

Qu’est-ce la motivation ? C’est l’ensemble des motifs qui nous font


agir, et l’état psychologique qui résulte de ces motifs. Nous dirons que
tel individu est très motivé. Tel autre, très peu. Soit. Mais qu’est-ce
qu’un motif ? Si vous regardez dans le dictionnaire, vous verrez qu’il
vous est dit qu’un motif c’est "un but intellectuel".

Par différence avec l’intérêt ou le mobile. Je n’en crois rien. Cela


prouve simplement qu’un dictionnaire ne tient pas lieu de pensée ou
de philosophie. Je n’en crois rien pour une raison bien simple, qui est
qu’il n’y a pas de but intellectuel.

J’entends par-là que l’intelligence à elle seule n’a jamais fait agir
personne. Il n’y a de but que pour et par le désir.

Imaginez que tel ou tel de vos enfants travaille mal, au collège ou au


lycée, en mathématiques. Vous lui dites qu’il faut faire des
mathématiques, qu’il faut travailler les mathématiques. Imaginez que
votre gamin vous réponde : "D’accord papa, d’accord maman. Je veux
bien travailler les mathématiques mais à une condition : c’est que tu
me démontres mathématiquement qu’il faut faire des mathématiques".

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Là, vous êtes mal. Vous êtes mal parce que personne ne peut démontrer
mathématiquement qu’il faut faire des mathématiques. Et pour une raison
bien simple, c’est que la proposition "il faut faire des mathématiques" n’est
pas une proposition mathématique. Si bien que si vous voulez motiver votre
gamin et faire une espèce de management parental, et cela fait partie du
métier de père ou de mère de famille, si vous voulez motiver votre gamin, il
faudra trouver d’autres raisons que mathématiques ou intellectuelles. Il
faudra jouer sur son désir. "Il faut faire des mathématiques pour avoir ton
examen à la fin de l’année, pour faire un métier intéressant. Il faut faire des
mathématiques parce que, si tu as la moyenne en mathématiques, je
t’achète une mobylette ou un nouvel ordinateur", que sais-je… Chacun va
trouver son argument. Le but est de faire que le gamin désire faire des
efforts en mathématiques.
Il n’y a pas de but intellectuel parce qu’il n’y a de but que pour et par le
désir.
Autrement dit, une philosophie de la motivation, c’est une philosophie
du désir. Parce que, comme le disait Aristote, là encore, "le désir est
l’unique force motrice", la seule chose qui nous meut. Qu’est-ce qui nous
fait courir ? Au travail comme dans le loisir, c’est le désir. Ou, comme le
disait Spinoza, au XVIIe siècle, parce que "le désir est l’essence même de
l’homme". L’homme est un être de désir, évidemment. De désir, et non pas
de besoin. La différence entre le besoin et le désir c’est qu’un besoin, nous
pouvons en avoir assez. Vous avez besoin de 1,5 litre d’eau, une fois que
vous avez bu 1,5 litre, vous n’avez plus besoin d’eau. Le besoin est toujours
fini. Le désir, par définition, est ouvert à l’infini. Nous sommes des êtres de
désir : des êtres finis, ouverts à l’infini de ce qui nous manque ou nous plaît.
C’est ce que Freud appelle le principe de plaisir, qui veut que toutes nos
actions tendent toujours à augmenter notre jouissance ou à diminuer notre
souffrance. Jouir le plus possible, souffrir le moins possible. Voilà ce qui
nous meut.
Un manager, c’est un professionnel du désir de l’autre : professionnel
du désir de cet autre particulier qu’est le client ou l’usager, c’est ce
qu’on appelle le marketing ; professionnel du désir de cet autre
particulier qu’est le salarié, c’est ce qu’on appelle le management.
Votre boulot, c’est de créer ou de maintenir du désir. Créer ou maintenir du
désir chez vos clients : marketing. Créer ou maintenir du désir chez vos
salariés : management.
La question centrale, pour un manager : Qu’est-ce que le désir ?
Nous pouvons penser le désir, pour résumer à l’extrême, de deux façons :
soit comme manque, c’est le désir selon Platon, soit comme puissance,
c’est le désir selon Spinoza.

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c) Le désir selon Platon

Je commence par Platon. Dans un de ses livres les plus célèbres "Le
banquet", Platon s’interroge sur l’amour. Qu’est-ce que l’amour ? La
réponse de Platon est la suivante : l’amour est désir et le désir est manque.
Et il enfonce le clou en écrivant : "Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce
dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour".
J’ajouterai simplement : et voilà pourquoi le bonheur, si souvent, est
manqué. Si Platon a raison, Aragon a raison aussi. Si l’amour est manque,
il n’y a pas d’amour heureux.
Pourquoi ? Qu’est-ce qu’être heureux ? Être heureux, - c’est la réponse de
Platon, de Kant plus tard, mais cela pourrait être la réponse de chacun
d’entre nous- être heureux, en gros, c’est avoir ce qu’on désire. Pas
forcément tout ce que nous désirons, parce que nous savons bien qu’à ce
compte-là nous ne serons jamais heureux, mais enfin avoir une bonne
partie, peut-être la plus grosse partie de que nous désirons, c’est cela être
heureux. Très bien. Mais si le désir est manque, on ne désire, par définition,
que ce qu’on n’a pas - puisque le désir est manque. Et si nous ne désirons
que ce que nous n’avons pas, par définition, nous n’avons jamais ce que
nous désirons. Donc, nous ne sommes jamais heureux, puisque être
heureux c’est avoir ce que nous désirons.
Si le désir est manque, vous ne désirez par définition que ce que vous
n’avez pas. Si vous vous ne désirez que ce que vous n’avez pas, vous ne
pouvez pas avoir ce que vous désirez. Non pas, bien sûr, que nos désirs ne
soient jamais satisfaits. La vie malgré tout n’est pas difficile à ce point, fort
heureusement.
Mais en ceci qu’à chaque fois qu’un de vos désirs est satisfait, il n’y a plus
de manque, puisque le désir est satisfait. Et s’il n’y a plus de manque, il n’y
a plus de désir, puisque le désir est manque. Si bien que vous n’avez pas
ce vous désirez, vous avez ce que vous désiriez, avant que le désir soit
satisfait.
Je suis désolé, mais être heureux, ce n’est pas avoir ce qu’on désirait, c’est
avoir ce qu’on désire. Or vous, vous n’avez pas ce que vous désirez, vous
avez ce que vous désiriez ; donc vous n’êtes pas heureux.
Quelques exemples, pour rendre cela plus concret. Je suis professeur de
philosophie. J’ai fait des études de philosophie assez longues et difficiles.
Cela veut dire que pendant cinq ans de ma vie, je me suis dit : qu’est-ce
que je serais heureux si j’étais reçu à l’agrégation de philo ! Ou qu’est-ce
que je serai heureux le jour où je serai agrégé de philosophie ! Autrement
dit, pendant cinq ans, l’agrégation de philosophie me manquait. Il se trouve
qu’au bout de cinq ans, la première fois où je passais le concours, j’ai été
reçu à l’agrégation de philosophie.

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Sincèrement, que penseriez-vous de moi si je vous disais : "Je suis heureux
parce que je suis agrégé de philosophie" ?

Vous vous diriez : cet homme est un imbécile. Et vous auriez raison.
Pourtant il est très vrai que, quand je ne l’avais pas, je désirais être agrégé
de philosophie puisque l’agrégation me manquait, et que je me disais, en
effet, que l’agrégation de philosophie ferait mon bonheur. Qu’est-ce que je
serais heureux si j’avais l’agrégation de philosophie ! Dès lors que je l’ai,
cela fait une trentaine d’années, elle ne me manque plus. Donc, elle est
incapable de me rendre heureux puisque je ne la désire plus, puisque je l’ai.

Cela veut dire une chose très importante, bien au-delà de l’agrégation de
philosophie, et qui touche au fond de la condition humaine, cela veut dire
que l’agrégation de philosophie, comme quelque diplôme que ce soit, ne
peut faire le bonheur que de ceux qui ne sont pas agrégés. Or elle ne fait
pas leur bonheur, puisqu’ils ne sont pas agrégés et que l’agrégation en
conséquence leur manque s’ils la visent. Et elle ne fait pas le mien puisque
je suis agrégé, et que l’agrégation, en conséquence, ne me manque pas.
Bref, il n’y a pas d’agrégation heureuse.

Deuxième exemple, plus fréquent, le travail. Celui qui manque de travail,


c’est ce que nous appelons un chômeur, et la plupart des chômeurs
peuvent se dire en effet : "Qu’est-ce que je serais heureux si j’avais du
travail !". Mais quand il est enfin embauché, le travail ne lui manque plus
(puisqu’il en a), donc il ne le désire plus (puisque le désir est manque), donc
il ne l’aime plus (puisque l’amour est désir). Ce qu’il aime, lui, c’est les
loisirs.

Il se disait : "Qu’est-ce que je serais heureux si j’avais un travail !"


Maintenant qu’il en a un, il se dit : "vivement les vacances !"

Le manque de travail est une souffrance. Et là, nous nous disons que le
travail serait un bonheur. Seulement, quand nous avons du travail, le travail
par définition ne nous manque plus, et nous ne sommes pas heureux pour
autant.

Quand nous n’avons pas de travail, le chômage est un malheur et le travail


serait un bonheur. Quand nous avons du travail, le travail n’est pas un
bonheur : c’est un travail.

Si Platon a raison (rassurez-vous, j’essaierai de montrer qu’il n’a pas raison


dans toutes les situations, heureusement), ou dans la mesure où Platon a
raison, le travail ne peut faire le bonheur que d’un chômeur. Or il ne fait pas
son bonheur, puisqu’il est chômeur et que le travail, en conséquence, lui
manque. Et il ne fait pas le bonheur de vos salariés, puisqu’ils ont du travail
et que le travail, en conséquence, ne leur manque pas. Bref, il n’y a pas de
travailleur heureux.

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3 conférence des Cadres Dirigeants du mardi 24 novembre 2009
Troisième exemple, peut-être le plus universel et en un sens le plus
important : l’amour, le couple. Tomber amoureux, c’est constater que
quelqu’un vous manque. Vous tombez amoureux follement d’une femme ou
d’un homme que vous n’avez pas. Vous souffrez de ce manque. C’est ce
que nous appelons tomber amoureux, la passion. Vous connaissez soudain
l’adresse du bonheur ; mais vous n’y habitez pas. Donc, vous allez essayer
de séduire l’homme ou la femme que vous aimez, qui vous manque, sans
lequel ou sans laquelle vous ne pouvez plus vivre, tellement il vous
manque. Vous allez essayer de séduire la personne que vous aimez ; et là,
de deux choses l’une : ou vous n’y arrivez pas, et cette personne continue
de vous manquer, c’est que nous appelons un chagrin d’amour ; ou bien
vous arrivez à séduire cette personne, vous vivez avec elle, vous vous
mariez peut-être. Et là, à force de partager votre vie, votre lit, à force d’être-
là tous les soirs, tous les matins, elle vous manquera de moins en moins,
où moins qu’une autre, où moins que la solitude.

Ou bien vous désirez celle que vous n’avez pas et vous souffrez de ce
manque. C’est ce qu’on appelle un chagrin d’amour. Ou bien vous avez
celle ou celui qui ne vous manque plus, puisque vous l’avez. Vous vous
ennuyez. C’est ce qu’on appelle un couple. Je suis content que cela
vous amuse, parce que j’ai toujours un peu peur de blesser des gens. Si
cela vous amuse, c’est que vous sentez bien que cela a une part de vérité.
En réalité, il n’y a que la vérité qui fasse rire. Vérité au moins partielle.

Partielle parce qu’en l’occurrence, il y a une seule chose peut-être que


Platon n’explique pas, c’est qu’il existe parfois des couples heureux, c’est
qu’il existe parfois des gens qui sont heureux au travail, c’est qu’il existe
parfois des professeurs de philosophie heureux. Cela est très étonnant.
Comment peuvent-ils être heureux ?

Prenons l’exemple du couple. Comment peuvent-ils être heureux, puisqu’ils


ne peuvent plus se manquer l’un à l’autre, et donc, en principe, ils ne
peuvent plus se désirer, s’aimer, puisque l’amour est désir et que le désir
est manque ?

Allons au fond du problème. Le résumé de tout cela été exprimé par un


philosophe allemand du 19ème siècle, Schopenhauer, qui en bon disciple de
Platon, fidèle disciple très tardif, mais disciple de Platon, résume tout cela
en une formule dont je dis toujours c’est la plus triste de toute l’histoire de la
philosophie. Comme ça au moins nous pourrons après rebondir et essayer
d’aller vers plus joyeux, plus lumineux.

Quand nous désirons ce que nous n’avons pas, c’est ce que Schopenhauer
appelle la souffrance. Je désire ce que je n’ai pas, je souffre de ce
manque : souffrance.

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Et quand j’ai ce que je désirais et qui dès lors ne me manque plus, puisque
je l’ai, ce n’est plus la souffrance. Ce n’est pas le bonheur. Je me disais,
qu’est-ce que je serais heureux si j’avais l’agrégation, si j’ai ce métier, si j’ai
cette femme. J’ai l’agrégation, le métier, la femme, le bonheur n’est pas là.
J’avais rendez-vous avez le bonheur, il m’a posé un lapin.
Quand je désire ce que je n’ai pas, je souffre de ce manque. C’est ce que
Schopenhauer appelle la souffrance. Quand j’ai ce que je désirais, ce n’est
plus la souffrance, ce n’est pas le bonheur, c’est ce que Schopenhauer
appelle l’ennui.
La phrase la plus triste de toute l’histoire de la philosophie est la suivante :
"Ainsi, écrit Schopenhauer, toute notre vie oscille, comme un pendule, de
droite à gauche, de la souffrance à l’ennui".
Souffrance, parce que je désire ce que je n’ai pas et je souffre de ce
manque ; ennui parce que j’ai ce que dès lors je ne désire plus, et que je
suis donc incapable d’aimer, je m’ennuie.
La vraie question, bien sûr, est : comment est-ce qu’on échappe à cela ?
J’en ai dit un mot en disant que la seule réfutation vraie du platonisme,
c’était un couple heureux, c’était un travail heureux. Et ça m’est une raison
très forte d’aimer les couples quand ils sont heureux, d’aimer le travail
quand il est heureux, et de n’être pas platonicien.
Or quand y a-t-il bonheur, plaisir, joie ? Le vrai contenu du bonheur, c’est le
plaisir, la joie. Quand y a-t-il plaisir ? Quand y a-t-il joie ?

Il y a plaisir, il y a joie, toutes les fois où nous désirons ce que nous avons,
ce que nous faisons, ce qui est. Bref, toutes les fois où nous désirons ce qui
ne nous manque pas. Il y a plaisir, il y a joie, toutes les fois où Platon a tort.
Oui, bien sûr, puisqu’il nous dit qu’on ne peut désirer que ce qu’on n’a pas.
Et que nous constatons, nous, que nous avons du plaisir, de la joie, à
chaque fois que nous désirons ce que nous avons.

En vérité, je crois que les deux sont vrais. Il arrive assez souvent que nous
donnions raison à Platon ou à Schopenhauer. Il arrive que nous leur
donnions tort. Les beaux moments de notre vie sont ceux où nous leur
donnons tort. C’est-à-dire les moments où nous ne sommes plus
platoniciens mais où nous sommes spinozistes, puisque j’annonçais deux
façons de penser le désir.

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d) Le désir selon Spinoza

La deuxième façon de penser le désir c’est donc celle de Spinoza. Spinoza


serait d’accord avec Platon pour dire que l’amour est désir, mais
certainement pas pour dire que le désir est manque. Pour Spinoza, l’amour
est désir, mais le désir n’est pas manque : le désir est puissance. Non pas
au sens du pouvoir politique, mais comme puissance de jouir et jouissance
en puissance, par exemple au sens où nous parlons de la puissance
sexuelle. Parce que, notons-le en passant, si vraiment Platon avait raison,
si nous ne pouvions désirer que ce qui nous manque, notre vie sexuelle
serait encore plus difficile et compliquée qu’elle ne l’est. Notamment la
nôtre, messieurs. Parce qu’il faut bien qu’en un certain moment, nous
soyons en état de désirer celle qui ne manque pas, puisqu’elle est là,
puisqu’elle se donne et s’abandonne.
Ce n’est plus du manque mais de la puissance. Puissance de jouir,
jouissance en puissance. C’est ce qui manque à l’homme impuissant, c’est
ce qui manque à la femme frigide.

Quand vous avez déjeuné ensemble ce midi, personne n’a souhaité à ses
convives : "Je te souhaite une bonne faim ; je te souhaite de bien manquer
de nourriture !" Personne n’a été platonicien, parce que c’est cela être
platonicien : c’est ne désirer manger que quand nous avons faim autrement
dit que lorsque la nourriture manque. À la limite c’est ne désirer manger que
lorsqu’il n’y a pas à manger. Mais vous ne vous êtes pas souhaité une
bonne faim : vous vous êtes souhaité un bon appétit. "Tu vois la nourriture
ne manque pas. Ils ont bien fait les choses aujourd’hui. Il y a de quoi
manger. Je te souhaite d’avoir la puissance de jouir de la nourriture qui ne
manque pas". La faim est une souffrance évidemment, nous pouvons
mourir du manque de nourriture. L’appétit est déjà un plaisir. Se mettre à
table, quand on sait que nous allons manger de bon appétit, qu’est-ce que
c’est bon !
Le désir est puissance, pour Spinoza, l’amour est joie. Déjà Aristote disait :
"Aimer, c’est se réjouir". Spinoza écrit, la formule est un peu plus
compliquée, mais cela revient au même : "l’amour est une joie
qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure". Aimer c’est se réjouir de…
Ceci est intéressant sur l’amour du métier… Parce qu’il y a deux façons
d’aimer. Vous aimez chez Platon ou chez Spinoza ? Vous aimez ce qui
vous manque ou ce qui vous réjouit ? Ce n’est pas du tout pareil.
C’est un peu comme dans le couple, il est très facile de tomber amoureux,
c’est à la portée de n’importe quel adolescent ou adolescente. Aimer celui
que nous n’avons pas, aimer celui ou celle qui manque.
Être amoureux, il n’y a rien de plus facile. Le couple, il n’y a rien de plus
difficile. Aimer celui ou celle qui ne manque pas.

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e) Marketing et management : deux styles complémentaires

Bref, mon idée est qu’il y a deux styles de marketing et deux styles de
management.

Il n’y a pas à choisir entre Platon et Spinoza, les deux disent une partie de
la vérité, mais ce n’est pas la même partie.

Le client, l’usager vient chez vous par désir, par amour. Par amour de vous
(j’en doute), par amour de lui-même, amour de l’argent, amour de ses
intérêts…

Mais travaillez-vous essentiellement sur le manque ? Le faites-vous courir


après ce qui lui manque ? Ou développez-vous sa puissance de jouir et
d’agir ? Ce n’est pas la même chose. Vous vendez du manque à vos
clients, à vos usagers (ou vous jouez sur le manque qu’ils ressentent), ou
bien vous leur vendez un peu plus de puissance, de plaisir, de joie ?

Même chose pour le management. Qu’est-ce qui fait courir vos salariés ?
Est-ce le manque, est-ce qu’ils courent après ce qu’ils n’ont pas, après le
salaire, la prime, l’augmentation, la promotion ? Ou est-ce que vous
développez en eux la puissance de jouir, la puissance de se réjouir, la
puissance de travailler ? Et donc l’amour de leur travail ?

Exemple de marketing platonicien : la bière pour alcooliques ; la


nourriture pour affamés ; la voiture, pour ceux qui n’en ont pas.

Exemple de marketing spinoziste : bonne bière ; grand restaurant ; "le


plaisir de l’automobile"…

NB : les deux peuvent aller ensemble et se compléter. Pourquoi les gens


vont-ils au restaurant ? Parce qu’ils ont faim (Platon). Mais pourquoi vont-
ils dans ce restaurant ? Parce qu’ils aiment la nourriture qu’on y sert,
parce qu’ils en attendent davantage de plaisir que dans les autres
restaurants (Spinoza). C’est Platon surtout qui fait marcher la
restauration. Mais c’est Spinoza qui fait réussir votre restaurant.

Pas question de renoncer au manque ! Platon a raison. Mais il ne suffit


pas toujours, et de moins en moins dans les pays riches. Et pas question
non plus de renoncer au plaisir !

Reconnaissons qu’il est plus facile de vendre à vos clients ce qu’ils n’ont
pas et qui leur manque que ce qu’ils ont déjà et qui ne leur manque pas.
C’est même tellement facile, qu’à la limite on n’a pas besoin de

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marketing. Si les gens ont vraiment faim, un grand carton suffit : "Frites,
saucisses". Vous pourrez même ajouter "Chez Platon" !

Mais quand on est restaurateur, on souhaite aussi vendre la meilleure


nourriture possible non à des affamés mais à des connaisseurs, à des
amateurs, à des gourmets. C’est plus difficile, c’est plus compliqué, c’est
plus intéressant. Et là, le marketing doit être un peu plus subtil.

Quand on vend des chemises, le problème c’est que le client qui arrive
dans le magasin torse nu, c’est quand même une formidable exception.
Le problème, quand on vend des chemises (en tout cas dans les pays
riches), c’est que les clients ont déjà des chemises !

Exemple de management platonicien : le salaire, la prime,


l’augmentation…La peur du chômage ou de la sanction.

Management de style spinoziste : augmenter la puissance d’agir plutôt


que le manque, le plaisir plutôt que la crainte, la joie plutôt que la
souffrance ! Développer la responsabilité plutôt que la frustration !
Exemple: salaire et prime plaisir au travail, joie, puissance d’agir… Cf.
"ma valeur ajoutée de manager"…
Amour de son travail espérance (d’une prime, d’une promotion) et
crainte (d’une sanction, du chômage).

Or, avoir les meilleurs salariés, c’est là l’intérêt majeur de l’entreprise (et
la seule façon, sur la durée, d’avoir les meilleurs clients), donc le cœur
de votre métier. Et dès lors que "tout homme veut être heureux", vous ne
recruterez et ne garderez les meilleurs salariés que s’ils ont le sentiment
qu’ils sont plus heureux (ou moins malheureux) dans votre entreprise
qu’ils ne le seraient dans une autre, que s’ils ont le sentiment de
progresser, un sentiment d’être utile, de participer à une aventure…

S’occuper du bonheur professionnel des salariés, combattre leur mal-


être, pour un manager, ce n’est pas la cerise sur le gâteau, ni de la
philanthropie, ni un supplément d’âme : c’est le cœur de votre métier.

Cela débouche sur ce que j’appelle le marketing managérial : faire


autant d’efforts pour connaître et satisfaire les désirs de vos salariés que
vous en faites communément pour connaître et satisfaire les désirs de
vos clients. C’est prendre acte du fait qu’il y a un marché du travail, et
que tout marché suppose un échange où chacun trouve son compte.

Bref, il s’agit de faire en sorte que des gens qui ne travaillent pas pour le
plaisir (mais pour gagner leur vie) trouvent du plaisir à leur travail. C’est
la marque du management réussi : quand on a créé des conditions telles

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que les salariés, qui ne travaillent pas par amour du travail, parviennent
pourtant à aimer leur travail.

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f) Trois formes du désir : l'espérance (le manque), la volonté et
l'amour
Au fond, il y a trois façons de désirer. Nous pouvons désirer ce qui manque, c’est
ce qu’on appelle l’espérance, parce que nous n’espérons que ce que nous
n’avons pas.
Mais, nous pouvons aussi désirer ce qui est, c’est ce que nous appelons l’amour.
Nous pouvons également désirer ce que nous faisons, ce qui dépend de nous,
c’est ce que nous appelons la volonté.
Managez-vous vos salariés à l’espérance, au manque ? Est-ce qu’ils passent leur
temps à courir après une carotte que vous faites miroiter ? Cela marche, donc
vous auriez tort de vous en priver. Sauf qu’une fois qu’ils ont atteint la carotte, ils
vont arrêter de courir. Il faudra trouver une autre carotte, autre chose. Et vous
allez les faire courir pendant, j’allais dire 37 ans et demi, non 40 ans maintenant,
42 peut-être, après ce qui leur manque ?
Encore une fois, comme cela marche vous auriez tort de vous en priver, mais
reconnaissez que passer sa vie à courir après ce qu’on n’a pas, n’est pas une
vision de l’humanité, de la vie et du travail très satisfaisante.
Si vous pouvez créer des conditions où au lieu de courir toujours après ce qui leur
manque, ils peuvent jouir de ce qu’ils font, si au lieu de les faire seulement
espérer, vous êtes capables de les faire agir et aimer, c’est quand même mieux
pour tout le monde.
Quelle différence y a-t-il entre l’espérance et la volonté ? C’est simple. Nous
n’espérons que ce qui ne dépend pas de nous, comme disaient les anciens
stoïciens, nous ne voulons que ce qui en dépend.
Bien sûr, mieux vaut désirer ce qui dépend de nous, c’est-à-dire vouloir et agir,
plutôt que désirer ce qui n’en dépend pas, c’est-à-dire espérer.
Belle formule de Sénèque, que tout manager pourrait mettre sur son mur, dans
son bureau : "Lorsque tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir".
Lorsque tu auras désappris à espérer, c’est-à-dire à désirer ce qui ne dépend pas
de toi, je t’apprendrai à vouloir, c’est-à-dire à désirer - et donc à faire - ce qui en
dépend.
C’est très facile d’espérer la croissance. C’est très facile d’espérer que le dollar va
remonter un peu, que le pétrole va baisser un peu. Mais enfin votre travail, que je
sache, ce n’est pas d’espérer, c’est de vouloir et de prévoir, ce n’est pas du tout la
même chose. On n’espère que ce qu’on ignore, on ne peut prévoir que ce qu’on
connaît au moins en partie.
Quelle est la différence entre l’espérance et l’amour ? La différence est simple,
c’est que nous n’espérons que ce qui n’est pas, l’irréel, alors que nous n’aimons
que ce qui est, le réel. Et mieux vaut désirer ce qui est, c’est-à-dire aimer, que
désirer ce qui n’est pas, c’est-à-dire espérer et craindre (Spinoza : "Il n’y a pas
d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir").
Bref, il s’agit d’espérer un peu moins, de vouloir et d’aimer un peu plus. La vraie
sagesse est une sagesse de l’amour (c’est l’esprit de Spinoza ou des Évangiles)
et de l’action (c’est l’esprit du stoïcisme).

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4.3. Désirer ensemble : management et solidarité

On ne désire pas tous la même chose, au même moment. Désirer


ensemble : opérer la convergence des désirs entre eux c’est ce que
j’appelle la solidarité.

NB : Responsabilité et solidarité son traditionnellement opposées. La


solidarité serait plutôt de gauche, mais risque toujours de mener à
l’irresponsabilité : "Chacun pour soi, l’Etat pour tous". Quant à la
responsabilité, elle passe pour être plutôt de droite, mais risque
toujours de mener à l’égoïsme ou à la loi de la jungle : "Chacun pour
soi, le marché pour les plus forts". Deux erreurs. Solidarité et
responsabilité ne s’opposent pas : elles ne peuvent aller qu’ensemble.

La responsabilité : faire ce qui dépend de moi. Mais comment, face à


ce qui n’en dépend pas ? Exemple : l’éducation de mes enfants… Une
assurance vie… Donc : solidarité ou irresponsabilité.

Même chose dans les sports collectifs ("l’esprit d’équipe")… et dans


l’entreprise ou le service public.

Faire ce qui dépend de soir (responsabilité), ce n’est possible


qu’avec d’autres (solidarité).

Solidarité générosité. Les deux ont en commun de prendre en


compte les intérêts de l’autre. Mais dans un cas (générosité), je prends
en compte les intérêts de l’autre quand bien même je ne les partage
aucunement (je lui fais du bien à lui, cela ne me fais aucun bien à moi).
Dans l’autre cas (solidarité), je prends en compte ses intérêts parce
que je partage les mêmes intérêts que lui (en lui faisant du bien, je me
fais aussi du bien à moi). La générosité est désintéressée ; la solidarité
est une convergence d’intérêts.

Exemple : ma boulangère : elle me vend son pain par intérêt, je le lui


achète par intérêt, et nous avons au fond (dans une économie
concurrentielle ouverte) le même intérêt : que le pain soit le meilleur
possible et le moins cher possible. Le marché crée de la solidarité, non
quoiqu’il fonctionne à l’égoïsme, mais parce qu’il fonctionne à
l’égoïsme (c’est ce qui fait sa force) : la solidarité, ce n’est pas le
contraire de l’égoïsme, c’est sa régulation socialement efficace. Il s’agit
de désirer ensemble et intelligemment plutôt que bêtement et les uns
contre les autres.

L’assurance : non pas de la générosité, mais de la solidarité !


L’entreprise ? Pareil : non pas de la générosité, mais de la solidarité !

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Si vous comptez sur la générosité de vos clients, de vos usagers ou de
vos salariés ou de vos élus, vous êtes morts… Si vous comptez sur
leurs intérêts, aux uns et aux autres, vous avez de bonnes chances de
vous en sortir victorieusement, à condition de savoir créer et maintenir
entre ces trois catégories des convergences objectives d’intérêts,
c’est-à-dire des solidarités.
Un manager, c’est un professionnel du désir des autres, et de la
convergence de ces désirs : c’est donc aussi un professionnel de la
solidarité, aussi bien à l’intérieur de l’entreprise ou de l’organisation
publique (esprit d’équipe, team building, etc.) qu’au-dehors (avec ses
clients, ses usagers et ses fournisseurs).
Le but d’une entreprise : créer de la richesse (le profit). Elle est au
service d’abord de ses actionnaires. Le but d’une collectivité
territoriale, c’est d’apporter un service public efficace. Elle est au
service des élus et au travers des élus à la collectivité. Mais c’est pour
ça que la première doit se mettre au service de ses clients et la
seconde au service de ses usagers, et les deux, au moins en partie, au
service de ses salariés.
Organiser une convergence objective d’intérêts entre eux !

En résumé :
1) Le travail n’est ni une valeur morale ni une fin en soi
2) C’est pourquoi il doit avoir un sens
3) Ce sens (il n’est sens que de l’autre), c’est autre chose que le
travail.
4) Quoi ? Quelque chose que le travailleur désire ou aime (ce n’est pas
le sens qui est aimable, c’est l’amour qui fait sens) : l’argent,
certes, donc le repos, le loisir ou le confort qu’il permet, mais aussi
l’intérêt (qu’il soit financier ou intellectuel, humain ou professionnel,
individuel ou collectif…), l’utilité, une certaine équipe, un certain
métier (ceux qui aiment leur métier ont beaucoup de chance : ils
transforment une contrainte en bonheur ; mais c’est l’amour qui les
sauve, pas le travail), une certaine satisfaction professionnelle (le
travail n’est pas une valeur, mais l’amour du travail bien fait en est
une : par l’amour, et par le bien), une certaine aventure personnelle et
collective, une certaine reconnaissance, une certaine intégration dans
la communauté, un certain prestige, une certaine fierté ( dignité), un
certain épanouissement, bref…

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5) Un certain bonheur. Vos salariés ne travaillent pas par devoir, ni par
amour du travail, ni même seulement pour l’argent : ils travaillent pour
être heureux. Ce n’est pas en leur faisant des leçons de morale que
vous allez les motiver, c’est en les aidant à trouver un sens à leur
travail, en créant des conditions telles qu’ils puissent y trouver un
certain plaisir ou un certain bonheur.
L’entreprise ne les emploie pas par amour de l’humanité, ni par
amour du bonheur, ni même pour faire reculer le chômage, mais pour
faire du profit.
Tout homme veut être heureux. C’est pour ça qu’il travaille.
Toute entreprise veut faire du profit. Toute collectivité recherche
l’efficacité. C’est pour ça qu’elles embauchent.
Ne demandons pas aux entreprises, aux collectivités de réagir
comme des individus (de mettre le bonheur plus haut que le profit ou
que l’efficacité), ni aux individus de réagir comme une entreprise ou
une collectivité (de mettre le profit ou l’efficacité plus haut que le
bonheur) !
Car il reste le problème initial : les individus cherchent le bonheur ;
l’entreprise cherche le profit, la collectivité l’efficacité ; ils ne
cherchent donc pas la même chose ! Comment les faire avancer
dans la même direction ?
Maldonne ? Marché de dupes ? Au contraire ! Convergence d’intérêt.
Échange gagnant-gagnant : Il s’agit, pour l’entreprise, de mettre la
quête du bonheur au service de la rentabilité et pour la collectivité au
service de l’efficacité ; et, pour les individus, de mettre la rentabilité
ou l’efficacité au service du bonheur.

Les individus sont en effet plus heureux grâce à l’entreprise et à la


collectivité (sinon, ils n’y viendraient pas : Pascal et Freud) ;
l’entreprise est en effet plus rentable, la collectivité plus efficace
grâce aux individus (sinon, elle ne les emploierait pas : Adam Smith
et les économistes), et elle n’aura les meilleurs salariés que s’ils ont
davantage de plaisir ou de bonheur dans cette entreprise-ci, dans
cette collectivité plutôt que dans une autre.

L’entreprise, la collectivité et les individus qui y travaillent n’ont pas


les mêmes buts. Pourtant ils doivent avancer dans la même direction.
Comment faire ? Il faut, et on peut, aligner les buts des uns (les
individus) et de l’autre (l’entreprise, la collectivité), mais selon une
figure singulière, qui est une espèce de chiasme (du grec khiasmos :
en forme de croix). C’est ce que j’appelle le chiasme managérial :
une inversion du rapport moyen-fin, selon qu’on passe de l’individu à
l’organisation ou de l’organisation aux individus.

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Pour l’entreprise, pour la collectivité, c’est le profit ou l’efficacité qui
est le but ; le bonheur des individus n’est qu’un moyen. Pour les
individus, c’est l’inverse : c’est leur bonheur qui est le but ; le profit de
l’entreprise, l’efficacité de la collectivité n’est qu’un moyen. C’est ce
qui leur permet d’avancer dans la même direction, tout en poursuivant
des buts différents : le but de l’un est le moyen de l’autre, et
réciproquement.

Cette inversion est légitime, à condition qu’on ne confonde pas les


rôles : le jour où l’entreprise ou la collectivité met le bonheur des
salariés plus haut que le profit et que l’efficacité, il y a danger pour sa
pérennité (donc, à terme, pour le bonheur des individus) ; le jour où
les individus mettent le profit ou l’efficacité plus haut que le bonheur, il
y a danger pour l’humanité.

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Le management est plus difficile aujourd'hui qu'il y a trente ou quarante ans.


Dans les années, 1950/1960, un chef du personnel -souvent un ancien
militaire de carrière- donnait des ordres. De nos jours, cela ne marcherait
pas. À cette époque, le management n' existait pas. Pour nos parents, le
travail était une valeur morale.

Aujourd' hui, ce qui domine chez les jeunes, c'


est l'
hédonisme, la culture du
plaisir. Le jeune demande du "fun". Il est habitué à la planche de surf et il
doit passer "à la charrue".

Première erreur du manager : l' attitude hypocrite et démagogique ("Tu


verras, c' est fun"). Deuxième erreur : l' ascétisme mortifère ("Tu es là pour
en baver"). Le métier d' un manager, c' est de conserver les meilleurs. Donc,
il faut faire sens, donner du plaisir.

Le treizième mois, c' est du "PLATON", à ne pas négliger, mais cela ne


couvre pas, loin s’en faut, toutes les sources de motivation.

-& .
-/ !
Aucune grande civilisation n' a célébré le travail comme valeur morale. Pas
de grands maîtres qui n' aient été des travailleurs (Bouddha, Socrate…)
Cependant, quelque chose a changé quand il y a eu alliance entre une
idéologie bourgeoise et une idéologie ouvrière pour célébrer le travail.
Historiquement, l'amour du travail bien fait reste une valeur morale. Il est
important de retrouver la fierté et l'
amour du métier.

+ - +
. . -
Les femmes travaillent car elles trouvent une vie plus épanouissante avec
le travail. Le travail des femmes est un plus pour la richesse culturelle et
intellectuelle de la société. Le marché du travail s'est beaucoup féminisé.
Beaucoup de managers n' ont pas réalisé que les meilleurs candidats sont
des femmes. Malheureusement, les femmes ne se retrouvent pas dans les
hautes responsabilités.

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Ce qui est nouveau, c' est que les jeunes hommes, comme les femmes, ne
veulent pas sacrifier leur vie privée à leur vie professionnelle. En ce sens, la
société se féminise et s' humanise. Cela rend évidemment le management
plus compliqué.

& # 01 2 34 - % #
. .
5 1 -

Ce qu' on trouve de moins en moins, ces sont des jeunes qui acceptent de
travailler dans des conditions qui ne leur donnent pas de plaisir. Le
problème, c' est aussi que l'
image de l'
usine, du chantier n'
est pas bonne.

Il semble exister une entreprise à deux vitesses. La catégorie qui a le plus


souffert des 35 heures est la classe ouvriers/employés, celle qui en a le
plus profité ce sont les cadres. Cela dit, il existe parmi cette catégorie le
"top management" qui travaille énormément grâce aux outils
interconnectés. Cette différenciation entre ces deux catégories de cadres
est malsaine.

Les lois AUBRY ont été critiquées pour des raisons morales, elles auraient
dû l'
être pour des raisons économiques.

. . .
6 6 !

Certains nous disent que la pauvreté gagne. Aujourd'


hui, on a le RSA, la
CMU… On voit que la pauvreté est un avantage concurrentiel entre les
pays, mais la tendance est que les pays pauvres deviennent de moins en
moins pauvres. Évidemment, cette sortie du sous-développement est une
bonne nouvelle pour l'
humanité, même si cela semble un danger pour nos
sociétés.

Dans un certain, sens, une certaine forme d' assistanat fragilise notre
société. Comment conserver le système social français, ou européen, sans
mettre en cause certains aspects contre-productifs de ce système social ?
Attention à ne pas trop augmenter les minimas sociaux qui pourraient
dévaloriser économiquement le travail !

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ème
3 conférence des Cadres Dirigeants du mardi 24 novembre 2009
/ 1 ! .
!

J'
ai tendance à dire qu' il existe trois choses que les managers doivent
apprendre à dire à leurs collaborateurs :

1) "Bonjour". Cela parait une évidence. Le faire, c'


est de la politesse, c'
est
une forme d' humanisme, de morale. C' est aussi une qualité
professionnelle.

2) "Merci pour le travail et bravo !". Question de politesse, de morale,


mais aussi de compétence professionnelle.

3) "Comment ça va ? Quels sont vos désirs ? Quels sont vos désirs


professionnels satisfaits ou non satisfaits ?" Là, il s'
agit d'
une attitude
d'interrogation et d'écoute. C' est difficile parce que cela prend du
temps, qu’il faut être prêt à entendre des revendications et que cela
peut demander au manager de changer lui-même.

Ces attitudes posent le fondement d' un management humaniste, qui est


plus satisfaisant et aussi plus efficace.

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