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28/06/2023 15:11 “Du bon et du mauvais usage des colonies” 

: politique coloniale et pensée économique française au XVIIIe siècle [1] | Cairn.i…

“Du bon et du mauvais usage des colonies” : politique


coloniale et pensée économique française au XVIIIe siècle [1]
Alain Clément
Dans Cahiers d'économie Politique 2009/1 (n° 56), pages 101 à 127

Article

1 – Introduction

L es premières décennies du XVIIIe siècle confirment le maintien et le


renforcement d’un important empire colonial français, largement constitué au
cours du XVIIe siècle. La volonté de consolidation des colonies repose sur l’idée
1

que ces dernières, tant sur le plan économique que politique, peuvent profiter avant
tout à la métropole, en raison notamment de la complémentarité des relations
commerciales et de l’impact du rayonnement politique. On considère les colonies
comme source de développement économique à partir d’arguments qui vont de la
simple spoliation de richesses à la création d’une dynamique en termes de marché et
de concurrence. Le discours en faveur des colonies, largement soutenu par les
mercantilistes dès la fin du XVIe siècle et tout au long du XVIIe siècle (Clément
2006), évolue au cours de la première moitié du XVIIIe siècle sous la pression des
idées économiques libérales. Cependant il existe encore une forte adhésion à la
conception mercantiliste de la colonisation chez des auteurs comme Melon,
Forbonnais et Gournay dont les vues sur le commerce et sur le commerce colonial en
particulier, sont très différentes de la position adoptée par les physiocrates (1e
partie). L’évolution, ou plutôt la rupture à propos de la question coloniale, se
produira par le biais d’un discours économique anticolonial initié par les
physiocrates dans les années 1750-1770, d’abord sur la base d’une arithmétique
économique, ensuite au nom d’une pensée libérale dont il faudra néanmoins évaluer
la portée (2e partie), mais qui sera largement relayée plus tard par les économistes de
la période révolutionnaire et napoléonienne (Steiner in Démier et Diatkine éd.,
1996). Cette évolution idéologique qui semble de fait accompagner un effondrement
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progressif de l’empire colonial français marque une nouvelle étape dans l’histoire de


la pensée économique du fait colonial, et insuffle une radicalité dans le discours sur
lequel reviendront, avec des arguments rénovés, les économistes du XIXe siècle au
cours de la seconde colonisation.

2 – Le commerce colonial est-il propice au développement


de la métropole ?

2.1 – Le renforcement de l’excédent commercial : un premier


argument mercantiliste
Au début du XVIIIe siècle, chez la plupart des mercantilistes, l’excédent de la balance 2
commerciale continue à être un des indicateurs significatifs de la bonne vitalité
d’une économie. Il n’est donc pas étonnant que le commerce colonial puisse
apparaître comme un des moyens les plus efficaces pour enrichir la nation -. Dutot
n’affirme t-il pas que : "Entre tous les commerces qui se font dans toutes les parties
du monde, il n’y en a point de plus riche, ni de plus considérable que celui des Indes
orientales" [3] (Dutot 1738). Pour que ce commerce puisse produire le maximum de
richesse, il est nécessaire qu’il continue à être encadré et réservé au seul profit de la
métropole : "Un commerce avec d’autres nations est un vol fait à la métropole". Ce
point de vue partagé par des auteurs plus libéraux [4], se traduit largement dans les
faits, car le pacte colonial qui fut instauré au XVIIe siècle, perdure au XVIIIe siècle.
Sous Louis XV, il est à nouveau précisé (1727) que le commerce doit se faire pour le
seul avantage de la métropole. Les relations commerciales entre colonies, et entre
colonies et pays étrangers, sont interdites. Ce régime de l’exclusif prévaut jusqu’en
1763. La dynamique du commerce colonial, à la fois atlantique et oriental, prend ainsi
une part importante dans l’accélération du commerce extérieur [5].

Même si Dutot et un certain nombre d’autres économistes considèrent le commerce 3


des Indes orientales comme l’activité la plus efficiente, le commerce avec les Indes
occidentales apparaît néanmoins, comme le plus important et le plus rémunérateur.
Le commerce du sucre représente pour la France la moitié environ du commerce
extérieur français. Dans la décennie de 1730-1740, les colonies françaises sont
devenues le premier producteur de sucre des îles. Saint-Domingue exporte 10 000
tonnes de sucre vers la France, 77 000 tonnes en 1767 (Meyer 1989, p. 145). C’est
notamment à partir de 1720 que cette culture devient dominante car à la fin du siècle
précédent et au tout début du XVIIIe siècle, le tabac (qui ne nécessite que peu de
main d’œuvre) et d’autres productions vivrières occupaient encore une place
relativement importante. La progression des importations coloniales entre 1716 et
1772 est extrêmement forte (multipliées par 28). Sur la période 1716-1780, le
commerce avec les colonies représente 110 millions de livres pesant, la métropole en
consomme 35% environ et le surplus est réexporté (Célimène et Legris éd., 2002,

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p. 134). Non seulement le Trésor Royal s’en trouve enrichi mais aussi les ports de
Nantes, de Bordeaux, de La Rochelle et de Rouen. Comme le notent Célimène et
Legris ces ports s’enrichissent non seulement du négoce, mais aussi de la
transformation des produits tropicaux, et du sucre en particulier puisque une lettre
patente de 1715 réserve le raffinage à la seule métropole.

Tous les économistes, y compris les plus libéraux, souscrivent à cette vision du rôle 4
assigné aux colonies, pourvoyeuses en produits habituellement achetés aux
étrangers. C’est notamment le cas de Vincent de Gournay, figure importante de cette
période, inspirateur selon certains auteurs (Meyssonnier 1989, Larrère 1992) d’un
courant libéral, mais que certains commentateurs considèrent plutôt comme un
simple défenseur du laisser-faire et de la concurrence au sein de la nation [6]. La
conception du commerce extérieur chez ces auteurs ne se départ pas de la thèse de la
balance excédentaire [7], et ces derniers restent partisans d’un système tarifaire
taxant les importations. Par ailleurs, le commerce entre la nation et les colonies doit
s’effectuer dans un cadre strictement national. Tout commerce entre colonies et
commerçants et nations étrangères doit être réprouvé (cf. infra).

Gournay perçoit la capacité productive réelle des colons qui, en fin de compte, 5
contribuent à l’enrichissement national car c’est : "contribuer à la diminution du
peuple en France que de donner de l’emploi aux étrangers au lieu des sujets du Roi,
de faire naviguer les Hollandais au lieu de nos compatriotes, et de faire cultiver la
Virginie et Maryland par les Anglais au lieu de cultiver nous-mêmes la Louisiane en
en tirant du tabac, du riz…" (Gournay 1983 [1754], p. 354). Produire dans nos colonies
des biens que l’on achète habituellement aux autres nations est une économie
importante pour le Trésor et favorise le maintien d’une balance excédentaire. Les
productions coloniales sont un gain pour le Trésor public même si cela coûte plus
cher au citoyen. Les colonies font partie de la nation et l’argent circule à l’intérieur
des deux zones ; tant qu’il ne sort pas, ce n’est pas une perte : "Il est de l’intérêt du
fermier de tirer le tabac de l’Angleterre, où il ne lui coûte que 5 s, plutôt que de
chercher à le tirer de la Louisiane, où le premier qu’on en retirerait coûterait peut-
être 12 ou 15 s, mais l’intérêt du Roi serait de le tirer de la Louisiane plutôt que de
l’Angleterre dût-il d’abord coûter 20 s parce que la circulation que cela établirait
entre la France et la Louisiane, ferait que cet argent n’en sortirait point, et servirait à
augmenter le nombre de sujets du Roi, sa marine, et la valeur des terres de France au
lieu que les 5 s que les fermiers généraux payent aux Anglais pour chaque livre de
tabac, sont entièrement perdus pour la France, et servent à faire pencher en faveur
de l’Angleterre, la balance du commerce et de la puissance" (Gournay 1983 [1754],
p. 304). Ce texte illustre parfaitement la conception mercantiliste dix-septiémiste de
Gournay sur cette question en particulier, texte que nous pourrions attribuer tout
aussi bien à Colbert qu’à Montchrestien ou à Child (Clément 2006). Il traduit enfin la
difficulté éprouvée à classer cet auteur et son "groupe" dans la catégorie des auteurs
"libéraux". La réflexion économique semble ici subordonnée à des fins politiques et
de puissance.
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2.2 – L’argument démographique de moins en moins prégnant


Pourtant, dans cette expansion outre-Atlantique, la crainte d’une hémorragie 6
démographique freine quelque peu les ardeurs coloniales des économistes, pour
lesquels le risque de dépeuplement de la métropole au profit des colonies et les effets
négatifs engendrés sur l’économie nationale ne peuvent être écartés. Si on peut
envisager en effet cette autre forme de colonisation où : "La nation en assujettit une
autre et fournit à la repeupler" il faut éviter le dépeuplement de la nation. La France
et l’Angleterre, selon Melon, y parviennent car elles envoient : "les ouvriers
nécessaires, sans que l’État n’en souffre parce qu’ils sont superflus" (Melon 1843
[1734], p. 721). Pour Melon, la Hollande est aussi un exemple car : "Elle ne s’est point
dépeuplée pour peupler les îles de Java ou de Ceylan […] tous ces grands
établissements n’occupent pas quatre-vingt mille hommes, parce qu’elle n’envoie pas
pour habiter ou cultiver la terre, mais seulement pour défendre ses forteresses, ses
magasins et ses vaisseaux" (Melon 1843 [1734], p. 722). C’est également le point de vue
de Veron de Forbonnais. La politique coloniale présente l’inconvénient de dépeupler
la nation sauf s’il existe un surplus, un trop plein. À ce moment-là, la colonisation
d’autres terres doit être envisagée mais si ce n’était pas le cas, alors la nation "devient
également faible partout" (Melon 1843 [1734], p. 720). C’est le cas de l’Espagne, car
après avoir massacré les "naturels" du pays : "Il fallut les remplacer par des espagnols
qui accoururent avec avidité, et dépeuplèrent le pays de la domination pour aller
peupler le pays riche de mines : c’est l’époque et la cause de la décadence de la
puissance espagnole" (Melon 1843 [1734], p. 720). La population est un atout
économique important, si bien que peupler les colonies risquerait de se faire au
détriment de la métropole ; c’est la raison pour laquelle, on propose le plus souvent
un peuplement très progressif, en envoyant les moins utiles : "Les nations
intelligentes n’y envoient que peu à peu le superflu de leurs hommes, ou ceux qui
sont à charge de la société". Par ailleurs, on ne trouverait pas surprenant que l’on
puisse en restreindre le mouvement : "Il peut donc arriver des circonstances où il
serait utile d’empêcher les citoyens de la métropole de sortir à leur gré pour habiter
les colonies en général, ou telle colonie en particulier" (Forbonnais, Encyclopédie,
article Colonies).

Face à cette crainte sans cesse réitérée, la colonisation des îles semble échapper à la 7
critique. Cette forme de colonisation en raison du recours à la main d’œuvre servile
évite l’importante hémorragie en population française qui n’aurait pas manqué
d’avoir eu lieu en l’absence d’esclaves africains [8]. Ainsi, les trois îles que sont Saint-
Domingue, la Martinique et la Guadeloupe regroupent une population beaucoup
plus importante eu égard à la population du Canada [9], mais la majorité est
composée d’esclaves qui dépeuplent le continent africain, et non la France ! Sur ces
îles, la production de sucre fonctionne en effet grâce à l’esclavage. La France se
procure les esclaves sur les côtes d’Afrique et dispose de postes dans cette région, et
en particulier dans l’île de Gorée et à Saint-Louis, et plus bas sur la Côte d’ivoire :
Assini, Amoku, Ouidah. L’importance de ces postes est capitale pour le trafic des
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esclaves. S’il y a eu, au début un monopole de la compagnie des Indes Occidentales


dans la traite négrière, ce dernier déclina progressivement au profit d’entrepreneurs
privés, surtout après les années 1720, période au cours de laquelle le monopole de la
compagnie disparut (Klein 1999, p. 79). Le recours aux esclaves est d’autant plus
nécessaire que l’économie sucrière a besoin d’une main d’œuvre importante, et que
par ailleurs, le taux de mortalité des esclaves est très élevé : l’espérance de vie
moyenne d’un esclave ne dépassant pas dix ans (Léon 1978, III, p. 56).

2.3 – Le développement des colonies favorise le développement


de la nation
La colonisation des îles à sucre échappe en grande partie au risque d’hémorragie 8
démographique, mais laisse surtout entrevoir un autre intérêt pour la métropole,
celui d’une synergie entre l’activité des îles et l’activité métropolitaine. Les colonies,
et les îles à sucre en particulier, ne sont plus seulement analysées comme de simples
pourvoyeuses de produits non disponibles sur le territoire national. Les colonies, de
par leurs productions inédites, incitent indirectement au développement des
productions nationales.

Pour Gournay, il est essentiel de considérer que les colonies sont à l’origine de 9
nouveaux besoins qui, pour être satisfaits, incitent la mère patrie à produire plus de
ses propres biens. Des besoins naît une demande, à l’origine d’une production. Le
rôle stimulant de la demande que l’on commence à percevoir à la fin du XVIIe siècle
(Appleby 1978) prend ici toute son importance [10]. Forbonnais place ainsi le besoin au
cœur de son analyse : "Le besoin de la denrée est la cause immédiate du travail et de
la production" (Forbonnais 1843 [1767], p.175). Les riches, par leurs nouvelles
demandes de biens de luxe, vont stimuler la production. Malgré une consommation
réservée à l’élite, pour les économistes, les colonies stimulent la production de la
métropole par l’échange de biens nouveaux contre des produits de base : "Tel est le
cas des colonies situées vers le 30e degré et au-dessous" (Forbonnais 1754, I, note 2,
p. 196). En effet, comme le souligne Forbonnais, les colonies présentent alors
l’avantage de produire ces biens que l’on ne peut produire en France, et satisfaire
ainsi les goûts raffinés des propriétaires fonciers : "C’est […] pour donner aux
propriétaires de nouveaux motifs de produire, que différentes sociétés ont établi des
colonies sous des climats différents du leur, et elles en retirent des denrées uniques
et privilégiées, qu’elles échangent avec leurs productions territoriales et de main
d’œuvre. Le superflu de leur consommation passe à l’étranger qui en a besoin et qui
procure ainsi la consommation d’une production territoriale qu’il n’aurait pas pu ou
voulu faire par lui-même" (Forbonnais 1754, I, p. 200). Les produits coloniaux
correspondent dans une certaine mesure à ces produits de luxe : c’est le cas
notamment du tabac et du sucre, du café, du chocolat tout du moins jusqu’au milieu
du siècle. Relativisons toutefois l’argument de Forbonnais et de Gournay, car la
consommation de sucre ne dépassera pas 1,2 kilo par habitant et par an à la fin du
siècle (2 kilos en Angleterre) (Huetz de Lemps in Flandrin et Montanari eds., 1996,
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p. 640). Concernant le chocolat, un mémorialiste parisien constate en 1768 que "Les


Grands en prennent quelquefois, les vieux souvent, le peuple jamais", et une étude de
Lavoisier estime que la consommation annuelle est d’environ 200 grammes par an
par habitant en France, à la veille de la Révolution (Harwich 1992, p. 76). Le café enfin
est devenu un produit à la mode à la cour de Louis XV, et par voie de conséquence à
la ville, mais les volumes restent très modestes (Mauro 2002).

2.4 – La liberté du commerce à l’épreuve des colonies


Alors que les idées de concurrence et de liberté commerciale semblent 10
progressivement s’imposer dans la pensée économique française, par la voix
notamment de Gournay et de Forbonnais, la politique coloniale semble échapper
très largement à cette influence. Certes, le groupe qui gravite autour de Gournay est
très attaché à la réalisation du laisser-faire dans le cadre d’une économie de
concurrence, mais il convient de souligner qu’il s’agit surtout d’un libéralisme de
l’offre [11], sous-entendu une liberté de produire et une abolition des "monopoles"
(Murphy in Béraud-Faccarello éd., 1992) dans le cadre d’une économie nationale.
Gournay se préoccupe moins des échanges internationaux que de la croissance
interne (Grenier 2007, p. 181) et son libéralisme se résume plus au "laisser-faire"
qu’au "laisser-passer". Sur le plan du commerce international, le libéralisme de
Gournay et de Forbonnais ne se déclinent pas exactement dans les mêmes termes
puisque les droits de douane et l’instauration de l’acte de navigation doivent être
maintenus. Certes, comme le souligne Meyssonnier (Meyssonnier 1989, p. 202-203),
l’acte de navigation est une pratique courante au XVIIIe siècle : c’est le cas de
l’Angleterre en particulier. Gournay ne ferait que proposer une mesure qui mettrait
la France à égalité avec son concurrent. Il s’agirait plutôt d’un protectionnisme
calculé (Grenier 2007, p. 182). Néanmoins cette limitation de la liberté commerciale
se vérifie encore plus amplement à propos des colonies et du commerce qu’elles
induisent [12].

Forbonnais considère que la concurrence est un élément vital (Murphy in Béraud et 11


Faccarello éd., 1992), est "le principe le plus actif du commerce utile […] l’âme et
l’aiguillon de l’industrie" (Forbonnais 1754, I, p. 54). Aussi tous ces économistes vont
condamner les privilèges accordés aux compagnies qui bénéficient, pour la plupart,
de monopoles liés à leurs activités coloniales : c’est le cas, de la compagnie des Indes
occidentales [13], de la compagnie des Indes orientales, de la Compagnie du Cap Vert
et du Sénégal. Pour Melon, ce commerce colonial ne peut pas être réservé à une seule
compagnie car : "Ce serait réduire les colonies à une servitude de commerce qui le
détruirait" (Melon 1843 [1734], p. 721). L’absence de concurrence entre négociants tue
l’initiative et le développement économique. Prenant appui sur l’exemple de
l’Amérique, il estime que "L’exclusif de la Louisiane a empêché l’avancement de cette
importante colonie tandis qu’elle a été au pouvoir de la Compagnie" (ibidem). Pour
montrer l’incongruité d’un tel monopole, il imagine les conséquences d’un tel
privilège appliqué au commerce intérieur : "Si le Roi voulait faire seul, par des
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commis, tout le commerce du royaume. Quelle industrie ne serait pas accablée sous
ce poids" (Melon, 1843 [1734], p. 731). Forbonnais partage le même point de vue : "Tout
exclusif, tout ce qui prive le négociant et l’habitant du bénéfice, de la concurrence, les
péages, les servitudes ont des effets plus pernicieux dans une colonie, qu’en aucun
autre endroit" (Forbonnais in Encyclopédie, article Colonie). Cette analyse se retrouve
naturellement chez Gournay pour qui la liberté du commerce signifie avant tout
l’ouverture de tous les ports à tous les négociants et l’abandon d’un quelconque
monopole du commerce sur telle ou telle région du monde. C’est la concurrence qui
permet au commerce d’enregistrer les meilleurs résultats économiques possibles :
"Qu’on rende plus de liberté au commerce, chaque négociant sachant qu’il doit
compter sur beaucoup de concurrents ne s’engagera dans une entreprise qu’après
l’avoir bien combinée et cette concurrence le rendra plus habile, plus économe et
plus circonspect" (Gournay 1983 [1754], p. 193). Surtout cette extension du commerce
à tous le rend plus efficace face à la concurrence. Comparant le commerce à une
activité guerrière, il conclut que : "Un des moyens les plus efficaces pour accroître le
commerce en France, est assurément d’y augmenter le plus qu’il est possible le
nombre de négociants ; car il est du commerce comme de la guerre, les gros
bataillons écrasent les petits" (Gournay 1983 [1754], p. 293).

Cependant, les colonies ne peuvent être envisagées sous le sceau d’une parfaite 12
liberté, même si, à l’instar de Melon, on peut soutenir que : "Dans l’alternative entre
la liberté et la protection, il serait bien moins nuisible d’ôter la protection que la
liberté ; car avec la liberté, la seule force du commerce peut tenir lieu de protection"
(Melon 1843 [1734], p. 716-717). Melon mentionne dans son analyse, un premier type
de restrictions. Le principe de la liberté du commerce doit être toutefois soumis à
celui de l’intérêt national [14]. L’existence des colonies doit profiter exclusivement à la
métropole. Aussi faut-il : "y établir une nouvelle domination toujours subordonnée à
celle qui a procuré cet asile" (Melon 1843 [1734], p. 719). Forbonnais défend également
cette idée de dépendance "dans laquelle la colonie doit se trouver" (Forbonnais,
Encyclopédie, article Colonies) car : "L’objet des colonies c’est le commerce et non
seulement la constitution d’une nouvelle nation qui privilégierait l’installation et la
culture" (Ibidem). La colonie doit enrichir exclusivement la métropole. Cette richesse
ne peut se révéler que par le commerce entre la colonie et la mère patrie. Il faut donc
tirer de la colonie ce que l’on achetait aux pays étrangers, et pour éviter toute
"évaporation" des richesses produites, ces auteurs défendent l’idée d’un commerce
réglementé et protégé. Le commerce des colonies avec d’autres nations est "un vol
fait à la métropole" (Forbonnais, Encyclopédie, article Colonies). Pour concilier liberté
et protection Melon fait appel à l’intérêt national : "La liberté, dans un
gouvernement, ne consiste pas dans une licence à chacun de faire ce qu’il juge à
propos, mais seulement de faire ce qui n’est pas contraire à l’intérêt général" (Melon
1843 [1734], p. 756).

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Melon est le premier économiste à défendre l’idée d’un commerce protégé entre 13
colonies et nation en prenant exemple sur les Anglais : "C’est à cet acte qu’ils doivent
et leur grande marine et les grandes richesses de leur commerce" (Melon 1843 [1734],
p. 757). Forbonnais est également favorable à une limitation du commerce des
colonies à la seule métropole, car "si la colonie entretient un commerce avec les
étrangers, ou que si l’on y consomme les marchandises étrangères, le montant de
commerce et de ces marchandises est un vol fait à la métropole" (Forbonnais,
Encyclopédie, article colonies). Enfin Gournay se montre aussi très favorable à ces
actes de navigation, car c’est un moyen d’encourager la fabrication de bateaux, alors
que leur nombre paraît insuffisant : "Plus la disette des vaisseaux seroit grande, et
plus il y auroit d’empressement à la réparer par le profit qu’on feroit par le fret des
vaisseaux, et l’emploi qu’on seroit assuré de leur procurer sur le champ, dont nous
laissons jouir l’étranger" (Gournay 1983 [1754], p. 185). Cette importante restriction
apportée au principe de la liberté commerciale se double d’une interdiction de
commerce entre colonies. Cette restriction vise tout simplement à renforcer la
dépendance des colonies vis-à-vis de la France, car le commerce intra-colonial
"accoutume ces colonies à se passer de la métropole, et que le commerce qu’elles font
entre elles étant fondé sur les mêmes choses, ou d’autres équivalentes à celles que
produit la métropole, choque ouvertement l’intérêt des terres, et de la navigation de
la métropole" (Gournay 1983 [1754], p. 373-374). Enfin, pour éviter un ultime préjudice
à la métropole, ces auteurs suggèrent de limiter le commerce colonial à certains
produits de telle façon que : "Les denrées des colonies ne soient jamais de nature à
entrer en concurrence avec celles de la métropole" (Forbonnais, Encyclopédie, article
Colonies) [15].

Nous pourrions interpréter comme contradictoire une pensée qui voudrait concilier 14
le laisser-faire, laisser-passer avec le maintien de l’exclusif colonial. En réalité la
pensée du groupe de Gournay traduit non pas une incohérence mais plutôt le
sentiment que la dimension politique n’est pas absente de l’analyse. Le groupe de
Gournay, d’une façon générale, accepte l’idée d’une incompatibilité entre intérêts
privés et intérêt général, et la défense des intérêts de la France doit l’emporter sur les
intérêts personnels. Ce mélange de libéralisme et d’interventionnisme que l’on
trouve déjà à propos de la question des vivres [16] (Clément 1999) doit s’appliquer aux
relations coloniales. La défense des intérêts français justifie une telle entorse au
principe de liberté. Ces positions en faveur d’une protection des marchés coloniaux,
contrastent ainsi fortement avec les positions très libérales, affichées par les
physiocrates à propos de la question du commerce en général (Steiner 1997), puis de
la question coloniale, et enfin de la question de l’esclavage (sujet sur lequel le groupe
de Vincent de Gournay n’a rien à dire [Steiner 1995]). Le traitement du fait colonial
dans ces premiers textes constitue bien une véritable entorse à la mise en place d’une
pensée libérale, tant sur le plan politique, moral qu’économique. Sur cette question,
le mouvement physiocratique est plus en mesure de proposer une réponse conforme
à un idéal de concurrence et de liberté.

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3 – La fin du premier empire colonial et les débuts d’un


discours libéral ouvertement anticolonial

Dans la seconde moitié du siècle, les idées libérales prennent de plus en plus corps, 15
notamment autour de l’école physiocratique, et tentent de s’imposer dans les faits.
Parallèlement les premières critiques à l’égard de la colonisation s’expriment alors
que l’aventure coloniale connaît un certain essoufflement et que l’empire colonial
enregistre ses premières grandes difficultés. Le traité de Paris qui marque la fin de la
guerre de sept ans (1756-1763) se traduit pour la France par la perte du Canada, de la
Louisiane et du Sénégal (que la France retrouve en 1783). D’Inde il ne reste que les
fameux comptoirs (Pondichéry, Mahé, Karibal, Yannan, Chandernagor), ce qui tend
à marquer aussi la confirmation de l’abandon d’une éventuelle implantation
coloniale aux Indes (Meyer et alii 1991, p. 155), alors que la France disposait
jusqu’alors de territoires, considérés comme des amorces de colonies telles que
Ceylan, Cochin Mazulipatam (Meyer et alii 1991, p. 189). Dans cette région, c’est
surtout la maîtrise des mers qui est perdue, alors que depuis Louis XIV, une forte
volonté s’était manifestée en faveur d’une appropriation de tout le commerce des
Indes.

Pourtant si l’empire se réduit, le commerce colonial progresse encore, notamment 16


grâce à la conservation des Petites Antilles. À la fin du siècle, la France est la
deuxième puissance commerciale dans le monde : son commerce présente 12% du
commerce mondial en 1780 et les échanges avec les colonies sont de l’ordre de 36.6%
de l’ensemble des échanges français (Léon in Braudel et Labrousse 1970, p. 196-197).
Entre 1715 et 1789, le commerce colonial est multiplié par dix (Léon 1978, III, p. 74).
Saint-Domingue représente les ¾ du commerce extérieur colonial français et devient
le premier producteur mondial de sucre. Haïti dont le montant des exportations
dépasse 80 000 tonnes de sucre en 1789 contre 7 000 en 1714, exporte plus que les 13
colonies américaines. Compte tenu du poids important du sucre – l’excédent de la
balance française des comptes dépend exclusivement des colonies (Meyer 1989,
p. 148), à la différence de l’Angleterre, dont la richesse des colonies reste plus
diversifiée. Après 1760, le café représente 24% des exportations des îles françaises (les
expéditions de café passèrent de 3 748 barriques en 1754 à 53 000 barriques en
1790) [17] et le sucre moins de 50%. Le cacao est également une production destinée à
jouer un rôle de plus en plus important, puisque en 1775, un millier d’hectares
environ étaient consacrés à cette culture en Martinique, et en Guadeloupe, on
dénombrait 100 000 arbres vers 1760 (Harwich 1992, p. 60). L’importation des
produits tropicaux alimente les besoins nationaux, mais à la différence de
l’Angleterre, le marché intérieur est étroit. Aussi la France dépasse t-elle l’Angleterre
dans le commerce de réexportation des produits tropicaux (Brasseul 1997, p. 200) :
Marseille réexporte 88% du café vers la méditerranée, et Bordeaux 90% vers l’Europe
du Nord ainsi que 73% de son sucre.

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3.1 – Un système colonial qui ne profite ni aux colonies, ni au


peuple français
Les physiocrates rejettent le système colonial, car il est défavorable aux colonies 17
elles-mêmes, tout en étant peu favorable à la métropole [18]. Cette position inédite en
France, repose sur deux arguments principaux : en premier lieu, les physiocrates se
démarquent nettement de Gournay et de Forbonnais en accusant le pacte colonial
d’appauvrir les colonies et les consommateurs français, au profit des seuls
commerçants. Sur le second point, ils participent à la critique générale à l’encontre
de la Compagnie des Indes. La critique envers l’exclusif, sorte de monopole collectif
national, et la critique vis-à-vis du monopole de la compagnie des Indes se
comprennent conjointement, à la lumière de la conception du commerce développée
par Quesnay. Naturellement la critique à l’égard de la compagnie est largement
partagée au-delà du cercle physiocratique d’autant que le bilan commercial de cette
dernière en Orient est très mauvais. La critique vise ici la gestion monopolistique du
commerce et non pas directement, l’existence même des colonies. En revanche, la
critique du régime de l’exclusif paraît plus essentielle car elle tend à remettre en
cause, in fine, l’idée même de colonie.

3.1.1 – La conception du commerce chez F. Quesnay et les physiocrates


Dans ses analyses sur le commerce, Quesnay accorde une grande importance au 18
principe de liberté du commerce, tant extérieur qu’intérieur. Le "bon prix" est celui
qui rémunère les avances des fermiers et permet d’obtenir un certain profit ; or il ne
peut être obtenu que dans un contexte d’échanges internationaux totalement libres.
En effet, le prix général "se forme comme le niveau des lacs et des mers qui se
communiquent : si dans différents temps l’Océan ne reçoit point de l’eau de la
Méditerranée et la Méditerranée n’en reçoit pas de l’Océan, le niveau général des
eaux de ces mers n’en est pas moins égal" (Quesnay 2005 [1757], I, p. 283). Ce n’est
pas la quantité échangée qui détermine le prix, mais la simple liberté du commerce
extérieur et intérieur. Le commerçant, dans un contexte de liberté totale, exerce
ainsi une activité nécessaire et salutaire ; grâce à sa participation à la formation du
bon prix, il contribue à la formation du revenu (Steiner 1997). De plus, à la différence
de l’analyse mercantiliste, le commerce est une activité où chaque nation gagne à
l’échange et la question de la balance du commerce n’a plus de sens (Steiner 1997).
Une des principales conséquences de la conception du commerce, chez Quesnay,
serait la mise en concurrence des commerçants entre eux. Grâce à la liberté
économique totale, Quesnay souhaite ainsi renverser la pratique des commerçants
qui consiste à acheter bon marché et à vendre cher, principe qui est largement
illustré par la pratique des compagnies commerciales à monopole. Ce principe
devrait être étendu à toute forme de commerce, y compris avec les colonies, car dans
le cadre de l’exclusif, nous sommes bien en présence d’une forme de monopole
élargi, mais restreint aux commerçants français.

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3.1.2 – Les critiques à l’encontre de la compagnie des Indes s’amplifient


Les économistes de cette seconde moitié du XVIIIe siècle reprennent et amplifient 19
les critiques déjà formulées, dans la première période, par Forbonnais Melon et
Gournay. La critique s’est particulièrement développée dans les années 1769-1770. Au
cours de cette période, l’opinion publique va s’enflammer pour cette affaire très
controversée à propos de laquelle un certain nombre de responsables politiques
(Necker), d’Hommes de Lettres (Diderot, l’Abbé Raynal, l’Abbé Morellet) et
d’économistes (Gournay, Dupont de Nemours) prirent position [19]. Le commerce de
la compagnie est déficitaire et l’entretien des comptoirs rend la gestion très coûteuse
bien que le monopole de l’importation de certains produits assure des bénéfices
considérables. L’activité concerne à titre principal les relations avec les Indes
Orientales mais une partie du négoce avec les Amériques intervient également,
même si dès 1730 le commerce se recentre sur l’océan indien. Le privilège de la
compagnie est contesté parce qu’il coûte de l’argent à l’État [20] : la compagnie
enregistre une dette de 60 millions dans les années 1769-1770. La polémique aboutit à
la suppression du privilège en 1770. Quesnay est un des premiers auteurs à en faire
indirectement la critique car il considère ces monopoles non seulement comme
étant inefficaces sur le plan économique, en raison de l’absence de concurrence,
mais aussi à l’origine de pertes financières pour l’État dans la mesure où les intérêts
de ces compagnies ne peuvent se confondre, par ailleurs, avec les intérêts de la
nation : "Ainsi on ne peut pas encore dire dans ce cas que le commerce de ces
compagnies soit le commerce de la métropole" (Quesnay 2005 [1766], II, p. 873).
Pierre Samuel Du Pont de Nemours accuse même cette compagnie d’avoir dépensé
beaucoup trop d’argent et surtout de l’avoir mal employé : "Ils y consumèrent 25
millions en entreprises mal concertées […] 4 millions employés ainsi directement par
leurs propriétaires, que les circonstances locales auraient guidés, et que l’intérêt
personnel aurait éclairés, eussent produit des effets infiniment plus grands et plus
durables, des établissements plus étendus et plus solides et plus utiles que ceux que
la compagnie a pu faire avec ses 25 millions administrés et distribués par des agents
que ne pouvaient avoir, ni toutes les connaissances nécessaires à tant d’opérations
différentes, ni un intérêt assez vif au succès" (Dupont de Nemours 1979 [1769], II,
p. 272). Il apparaît, notent ces économistes, un contraste frappant entre les
possibilités offertes par la Louisiane "ce vaste et beau pays, singulièrement bien
situé, et qui jouit du sol le plus fertile et de l’air le plus sain qui soit dans l’univers, lui
a été à charge" (Dupont de Nemours 1979 [1769], II, p. 270), "Un des plus vastes et des
plus beaux pays de l’Amérique septentrionale, où toutes les espèces de culture
pouvaient s’établir, et en particulier, celle du tabac" (Morellet 1769, p. 34), et les
résultats de son exploitation, imputables à la Compagnie elle-même : "livrée au
privilège exclusif de la compagnie, [La Louisiane] est demeurée dans l’état de
faiblesse où nous la voyons aujourd’hui" (Morellet 1769, p. 34) ; son implication
lointaine dans les affaires quotidiennes, son intérêt beaucoup plus détaché à l’égard
des gains potentiels que ne l’auraient été des intérêts privés, que ce soit dans les
ventes : "Il n’est ni probable ni possible que des gens qui ont une denrée à vendre,
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maltraitent davantage des acheteurs libres que des acheteurs au nom d’une
compagnie" (Morellet 1769, p. 196) ou dans les achats : "L’effet de la compagnie n’a
donc été autre que […] de nous faire acheter beaucoup plus cher les mêmes
marchandises que nous aurions pu acheter à beaucoup meilleur marché" (Morellet
1769, Supplément, XVIII) la rendent responsable du déclin, voire de l’abandon de
certaines colonies. C’est d’ailleurs sur ce type d’analyse et de contraste que Morellet
s’est appuyé, en partie, pour critiquer le privilège de la compagnie, y compris et
surtout dans ses activités commerciales avec les Indes orientales. Morellet, un des
grands défenseurs de la liberté commerciale, en particulier dans les échanges avec
les comptoirs coloniaux et les colonies, impute même à la compagnie l’échec de la
colonisation du Canada : "On sait dans quel état de faiblesse cette colonie est
demeurée sous l’empire du privilège exclusif. C’est au moins en grande partie à cette
faiblesse, que nous sommes redevables de la perte que nous en avons faite." (Morellet
1769, p. 64). À l’inverse ce dernier impute le succès économique des Antilles à
l’abandon de ce même privilège, et en particulier, à la possibilité qui fut offerte par
les commerçants privés de pratiquer le commerce d’esclaves : "On peut même
remarquer, et ceci est très essentiel, que les branches de commerce les plus
considérables que la nation ait acquises depuis 1720, et qui font aujourd’hui les plus
florissantes, elle ne les a acquises que par l’infraction des privilèges de la compagnie.
En effet, les îles de Saint-Domingue et de la Martinique seraient encore presque sans
Nègres, et par conséquent sans culture, si la compagnie s’était réservée le privilège
de les approvisionner exclusivement et n’eut pas transporté aux particuliers la
permission de traiter à la Côte de Guinée moyennant 10 livres par tête de nègre"
(Morellet 1769, Supplément, XVIII). À ces obstacles au principe de la concurrence
s’ajoutent tout un ensemble de coûts qui, loin d’enrichir la métropole, n’ont fait que
l’appauvrir après avoir déjà appauvri les colonies.

Le commerce entrepris par la Compagnie des Indes pourrait être assimilé, dans la 20
classification établie par Quesnay, à un simple trafic c’est-à-dire à un commerce qui
"ne comprend que l’achat, le transport et la revente" et dans ces conditions le
négociant devrait être considéré comme extérieur à la nation, n’appartenant plus
qu’à une république cosmopolite. Quesnay le dit lui-même. Or ce type de commerce
cosmopolite est naturellement dénoncé par Quesnay, mais il est étonnant de
constater que ce dernier s’applique à une compagnie qui a reçu sa charge de l’État
lui-même. Néanmoins, toutes les critiques convergent pour considérer le fait que la
compagnie poursuit des intérêts contraires à ceux de la nation française. La critique
ne remet pas en cause le commerce lui-même qui, entrepris dans un esprit de
concurrence, pourrait être bénéfique à la France.

3.1.3 – Du rejet du pacte colonial au rejet des colonies


La suppression du monopole de la compagnie des Indes ne règle pas tout pour les 21
physiocrates, car le régime de l’exclusif qui réserve le commerce colonial aux seuls
commerçants français, est tout aussi nuisible à l’intérêt national qu’aux agents
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économiques et aux colonies elles-mêmes. En pratiquant des prix non


concurrentiels et, artificiellement élevés, s’agissant des importations, et
artificiellement bas en matière d’exportations, les échanges commerciaux
amoindrissent les possibilités d’enrichissement des métropolitains et des colons :
"Ce profit est pris en grande partie sur les marchandises que l’on survend aux colons
et sur celles de retour que l’on nous fait sur-acheter, d’où il résulte que ces prix
excessifs diminuent de part et d’autre la consommation, le débit et la production, et
tous ces avantages réduisent à peu de chose le profit de ce commerce boursouflé"
(Quesnay 2005 [1758] I, p 376). Le plus grave en fait est qu’en jouant artificiellement
sur les prix, c’est la production même qui se trouve en fin de compte réduite, car en
vendant leurs produits à plus bas prix, ce système réduit la rentabilité de la
production et indirectement son volume : "Les colonies […] ne pourraient cultiver
que les meilleurs terres, que celles dont la récolte exigerait peu de travaux et serait
assez abondante pour les payer malgré son bas prix, qui donnerait plus de revenu
net" (Quesnay 2005 [1766] II, p. 870-871). Ce privilège exclusif qui empêche les
colonies de produire sur toutes les terres "les tiendraient dans un état de médiocrité,
pour ne pas dire d’indigence, relativement à ce qu’elles pourraient devenir, bien loin
de procurer l’extension qui ne peut résulter que de l’augmentation des productions
et des richesses de tous ceux avec qui la métropole commerce" (Ibidem, p. 872). Les
conséquences pour l’économie coloniale sont donc les mêmes que celles enregistrées
par une économie nationale où l’absence de liberté commerciale gênerait la
formation du "bon prix".

En excluant les pays étrangers en matière d’approvisionnement, en achetant 22


obligatoirement en métropole, les colonies ne peuvent bénéficier des prix plus bas
offerts par les nations voisines : "Les colonies à sucre ont par la nature du sol et de la
culture, et par la forme de leur population une foule de besoins que les côtes de
l’Amérique septentrionale peuvent seules leur fournir, les bestiaux, les bois de
chauffage et de charpente, Etc. Aucune nation ne peut leur fournir à un prix aussi
avantageux les denrées les plus nécessaires à la vie, telles que le bled, les farines, et la
morue qui sert à la nourriture des esclaves" (Turgot 1791 [1776], p. 21). Le Mercier de
la Rivière, dans son Mémoire adressé au Roi sur la Martinique, ne constate rien
d’autre que cet état de fait : "Nous vendons plus cher qu’eux [21] et nous les excluons"
(1764 in Labrouquère 1927, p. 176). Or le principe de la libre concurrence auquel se
réfèrent les économistes suppose qu’aucun avantage ne soit consenti à ses propres
marchands : "Dans la libre concurrence, une nation ne doit pas plus favoriser contre
ses intérêts les marchands revendeurs du pays, que les marchands revendeurs
étrangers ; elle ne doit aspirer qu’au meilleur prix possible dans ses ventes et dans
ses achats pour obtenir la plus grande quantité possible des choses qu’elle veut se
procurer par l’échange" (Quesnay 2005 [1766] II, p. 917).

La critique portée à l’encontre de la compagnie des Indes, pour cause de monopole, 23


et que les physiocrates étendent au régime de l’exclusif trouve ici une portée
beaucoup plus grande parce qu’elle remet en cause directement le principe sur lequel
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est basée l’existence même des colonies. Peut-on continuer à considérer comme
colonie, un pays dont la liberté de commerce serait totale et les relations
économiques indépendantes de la mère patrie ? L’abandon de l’exclusif ne devrait-il
pas conduire à terme à l’abandon des colonies ? L’intérêt national, pour les
physiocrates, ne serait-il pas de se comporter avec les colonies comme avec des pays
indépendants ? De plus, ce constat d’une quasi nécessaire indépendance des colonies
se trouve conforté et appuyé par la prise en compte des coûts liés au maintien des
colonies. L’arithmétique économique vient ici renforcer le discours sur la liberté
économique. En réalité, le libéralisme tel qu’il est pensé par Quesnay et son école, ne
peut que conduire à l’abandon des colonies.

3.2 – Les coûts d’entretiens et les coûts d’opportunité des


colonies
Les colonies coûtent cher et l’argent investi dans les colonies représente un coût 24
d’opportunité pour la métropole qui ne peut compter sur un usage alternatif de ce
capital. Cet argument est déjà avancé au XVIIe siècle par des auteurs comme Petty et
au début du XVIIIe siècle par Cantillon, tous deux opposés aux colonies. Le régime
de l’exclusif auquel se sont associées la constitution de comptoirs et de forts, et une
importante infrastructure, génèrent en effet d’importants coûts de
fonctionnement, selon l’un des principaux adversaires de la compagnie des Indes :
"L’Inde offrait à la compagnie toutes sortes de facilités pour le commerce, des
comptoirs nombreux, les deux principaux de Chandernagor et de Pondichéry,
devenus des places fortes, une quantité prodigieuse de bâtiments, arsenaux de tout
genre, casernes pour les troupes, hôpitaux, logements des conseillers et des
employés, magasins pour les marchandises d’Europe, et pour les marchandises de
l’inde, pour les vivres, pour la marine, etc. …" (Morellet 1769, p.152). Cet ensemble
d’infrastructures outre le fait qu’il coûte de l’argent : "Elle a créé la ville de l’Orient,
mais elles s’est ruinée. Elle a bâti Pondichéry, mais elle s’est ruinée, des arsenaux, des
églises, des hôpitaux, etc." (Morellet Supplément, 1769, p. XVI) attire les convoitises et
les guerres, risques qui ne peuvent être couverts par une simple assurance. À
l’inverse le commerce privé, de par sa souplesse, de par son absence d’infrastructure
lourde, de par ses intérêts bien compris, devient ainsi moins coûteux. Au-delà des
coûts inhérents à la constitution des comptoirs, l’aventure coloniale en général
occasionne de multiples guerres, entre nations européennes et entre les Européens.
Or ces guerres qui paraissent inévitables : "Il est impossible que ces établissements et
ces colonies exposées à 6000 lieux de la métropole, à la jalousie des barbares de
l’Inde, et à celle des diverses compagnies européennes, qui ne sont pas beaucoup
moins barbares, n’excitent point des guerres" (Dupont de Nemours 1979 [1769], II,
p. 47) ont un coût financier important, selon Quesnay et Dupont de Nemours, qu’il
convient d’évaluer et de prendre en compte dans la défense des colonies : "Ne
faudrait-il pas plutôt demander, si elles n’en diminuent pas les richesses par les
dépenses et par les guerres qu’elles occasionnent ?" (Quesnay 2005 [1757], I, p. 384).

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À ce premier type de coûts, s’ajoutent les sommes importantes à investir en "avances 25


primitives" sous forme de vaisseaux, de forts, d’artillerie, et en "avances annuelles"
sous forme de salaires, de marchandises et autres frais : "Il paraît donc clair que le
commerce de l’Inde, occupera à la Nation un capital de soixante millions au moins
tant en fonds circulants qu’en fonds morts" (Dupont de Nemours 1979 [1769], II,
p. 119). Or cet investissement colonial est un manque à gagner pour la métropole. Cet
argent pourrait en effet être investi dans le secteur productif par excellence :
l’agriculture. Sur ce plan-là, note Dupont de Nemours : "il y a près d’un quart de nos
terres en friches ; il y en a plus de moitié qui ne rendent pas même le quart de ce
qu’elles pourraient produire…" (Ibidem, p.122). Cet argent investi dans l’agriculture
permettrait, à ce moment-là, de fournir des produits agricoles à l’Angleterre contre
les produits importés d’Inde.

S’agissant des colonies agricoles, et notamment des îles à sucre, il semble pourtant 26
que le commerce colonial puisse être plus lucratif : la France exporte des produits de
son cru tels les farines, les vins, les étoffes et importe le café, le sucre, l’indigo et le
coton, autant de produits nécessaires que la France ne peut produire elle-même. Or
Turgot se pose la question de l’avantage retiré par le commerce avec les colonies
(vente des produits agricoles à plus haut prix et achats des produits coloniaux à bon
marché) par rapport au commerce intra-européen. Rien n’est moins sûr, selon ses
observations, et même par rapport à des pays qui n’auraient pas de colonie, le
bénéfice lui semble assez faible car il se réduirait, selon sa propre analyse, à "une
partie du profit que font les négociants de nos ports sur les frais de transport des
marchandises des îles en France" or ce gain des négociants français "est un objet très
modique" (Turgot 1791 [1776], p. 28). Pour l’État, le bilan est globalement négatif : "Le
revenu que le gouvernement tire des colonies, est donc une ressource nulle pour
l’État considéré comme puissance politique, et si on compte ce qu’il en coûte chaque
année, pour la défense et l’administration des colonies, même pendant la paix, si l’on
y ajoute l’énormité des dépenses qu’elles ont occasionnées pendant nos guerres,
quelquefois sans pouvoir les conserver, et les sacrifices qu’il a fallu faire à la paix
pour n’en recouvrer qu’une partie" (Turgot 1791 [1776], p. 31). On comprend alors
pourquoi les physiocrates sont partisans d’une large ouverture, d’une plus grande
autonomie, voire d’une indépendance des colonies.

3.3 – Le rejet du système esclavagiste au nom du moindre coût


du travail
Ces prises de position radicales à l’égard de la politique coloniale traditionnelle ne 27
peuvent a priori qu’aboutir à la condamnation de l’esclavage pour des raisons
politiques, philosophiques mais surtout économiques. En effet, avec les
physiocrates, à l’exception notamment de Le Mercier de la Rivière et de la revue les
Éphémérides (Steiner, 1995), le discours porte plus sur une analyse comparative des
coûts économiques selon que l’on a recours à l’esclavage ou à une main d’œuvre libre,
que sur la question même du statut de l’esclave. Le libéralisme, au sens politique du
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terme aurait pu trouver ici une illustration parfaite, se traduisant dans le combat
contre l’esclavage. Or une telle prise de position ne semble pouvoir être portée au
crédit des libéraux.

L’expansion coloniale telle qu’elle est pratiquée, aussi bien aux Antilles qu’en 28
Louisiane, tient en effet à l’existence d’un système d’exploitation basé sur l’esclavage.
La critique du système fut d’abord le fait des philosophes, notamment de
Montesquieu, Diderot, l’Abbé Raynal [22]. Mais, au-delà des arguments moraux
auxquels les physiocrates ont souscrit, des arguments économiques viennent
compléter le discours anti-esclavagiste qui caractérise cette période de l’histoire
(Duchet 1971 ; Dockès 1989). L’esclavage est tout d’abord une des manifestations de
l’esprit de domination du pacte colonial auquel les physiocrates sont hostiles. Les
physiocrates lient leur hostilité au système esclavagiste, à celle d’un système
économique qu’ils jugent archaïque, et qui ne peut se pratiquer selon Turgot que
dans "des pays encore ignorants ou barbares" (Turgot 1970 [1766], p. 139) dans un
système proche des "temps voisins de l’origine des sociétés", au même titre que le
système du servage à l’égard duquel ils furent également très critiques. L’agriculture
esclavagiste est mise sur le même plan que l’agriculture féodale car, de la condition
faite à l’homme, dépendent nécessairement la quantité et la qualité du travail fourni
(Duchet 1970). Déjà l’agriculture de subsistance est d’un faible intérêt pour la nation
car elle permet tout juste à ceux qui s’y emploient de se nourrir, et souvent dans des
conditions très misérables. A fortiori l’économie esclavagiste est un frein à
l’exploitation des terres agricoles des Antilles et d’Amérique. La faible productivité de
l’esclave tient, en effet à sa paresse, mais cette paresse nous dit Dupont de Nemours
est : "son unique jouissance, et le seul moyen de reprendre en détail à son maître une
partie de sa personne, que le maître a volée en gros. L’esclave est inepte, parce qu’il
n’a aucun intérêt de perfectionner son intelligence. L’esclave est mal intentionné,
parce qu’il est dans son véritable état de guerre toujours subsistant avec son maître"
(Cité par Duchet 1995 [1970], p. 165). Les conditions de travail des esclaves
aboutissent à des résultats inverses à ceux recherchés et c’est le Bailli de Mirabeau,
frère du Marquis de Mirabeau, qui apporte l’argument décisif : "Dix mille bras
destinés au travail de la terre ne font pas ce que deux mille feraient ailleurs,
l’esclavage me paraît pour cela un mal en ne le considérant que du côté de la cupidité
dont il tire son origine" (cité par Labrouquère 1927). Dupont précise, dans le texte de
Turgot qu’il a lui-même publié et modifié, que : "Les esclaves n’ont aucun motif pour
s’acquitter des travaux auxquels on les contraint avec l’intelligence et les soins qui
pourraient en assurer le succès ; d’où suit que ces travaux produisent très peu"
(Mirabeau in Turgot 1970 [1766], p. 134) et Turgot note que "ces travaux excessifs en
font périr beaucoup, et il faut, pour entretenir toujours le nombre nécessaire à la
culture, que le commerce en fournisse chaque année une très grande quantité"
(Turgot 1970 [1766], p. 134). Toutefois, Turgot avait quelques réserves sur l’application
du travail libre aux Antilles, car il lui paraissait bien plus cher que le travail servile :
"Je ne pense pas moins que dans nos îles, il y a un avantage à avoir des esclaves, non
pour la colonie, mais pour le possesseur qui veut avoir des denrées d’une grande
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valeur vénale pour faire une prompte fortune par le commerce […] je crois avoir
donné, dans mon ouvrage même, les raisons qui rendent le travail des esclaves utile
dans un pays où l’on veut que la richesse et le commerce précèdent la population."
(Turgot, 1913-1923 [1770], Tome 3, p. 375) [23]. Dans tous les cas, l’économie coloniale
plus proche de l’agriculture des temps anciens apparaît, globalement, au regard des
physiocrates, archaïque et peu productive.

3.4 – Le rejet d’une colonisation prédatrice et dominatrice qui


ne profite ni à la colonie ni au pays colonisateur
Au-delà de la critique du régime de l’exclusif et du coût économique de la 29
colonisation, c’est le modèle de mise en valeur des colonies qui est contesté par les
physiocrates. Le mode d’exploitation de la colonie repose sur un principe
d’accaparement des richesses plus que sur un principe de création de richesses
renouvelables. Tout repose sur le prélèvement des richesses et sur l’absence
d’investissement. C’est le cas des Français en Amérique : "Les français arrivés ou
établis les premiers dans l’Amérique septentrionale, ils avaient à choisir de tous les
dons de la nature, à la réserve du seul qu’on cherchait alors, & dont ils se dégoûtèrent
heureusement, je veux dire les mines. La terre était excellente dans ses productions,
la mer la plus poissonneuse qui soit au monde, le commerce des pelleteries tout
neuf, & si abondant qu’on n’en savait que faire. Ils se déterminèrent en braves
Français : ils prirent tout, & tout de suite furent plus loin, pour voir s’il n’y aurait pas
encore quelque chose de meilleur" (Mirabeau 1970 [1756], p. 127). Ces territoires sont
restés en friche alors que leurs potentialités étaient énormes : "La compagnie des
Indes, crut qu’elle devait commencer par profiter beaucoup sur ce pays qui était
encore en friche, et qui, grâce à ses soins, y est demeuré. Elle s’imagina qu’elle en
allait retirer des barres d’or et des monts d’argent" (Du Pont de Nemours 1979 [1769],
II, p. 270).

La population qui reste attirée ou qui est envoyée dans les colonies est une 30
population qui, sans beaucoup de moyens, cherche à faire fortune rapidement : "Un
motif de pure curiosité mêlé de cette espérance vague qui en fait toujours partie, fut
le mobile des premiers voyageurs qui découvrirent le nouveau monde […] L’appas
des richesses dont ils revenaient chargés, en firent courir nombre d’autres sur leurs
pas [….] la soif de l’or attirait à chaque instant de nouveaux aventuriers dans ces
riches contrées, tous munis de différents pouvoirs accordés par la jalousie de la Cour
et des Gouverneurs" (Mirabeau 1970 [1756], p. 133). C’est aussi et surtout une
population de pauvres et de condamnés et sans moyens pour investir dans
l’agriculture, qui selon Mirabeau, a eu toutes les difficultés à s’intégrer dans ces
nouveaux territoires et dans ces nouvelles activités : "Ensuite on voulut peuple, &
pour cela l’on vuida les hôpitaux, les maisons de force & toutes les sentines du genre
humain. Le Mississipi, mot devenu plus effrayant que la rouë, reçut pour colons et
fondateurs l’ordure et les vomissements d’une ville impure, pour qu’a jamais tout
honnête homme eût honte de tourner les yeux de ce coté. De tels gens ne pouvaient
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qu’exaspérer les naturels du pays, dont la bienveillance est si nécessaire dans des
commencements d’établissements : les emplacements furent d’ailleurs si bien
choisis qu’il en fallut changer autant que de stations en un jubilé ; division au-
dedans, guerre au-dehors. Tels furent les fondements de la colonie de la Louisiane"
(Mirabeau 1970 [1756], p. 132).

Le mode de développement défendu par les physiocrates, tant pour leur propre 31
nation que pour les colonies, est un développement de l’agriculture et plus
particulièrement de la grande agriculture. L’exemple auquel se réfèrent les
physiocrates est l’agriculture anglaise où les fermiers fort riches permettent à ce
pays de vivre dans l’abondance et d’approvisionner les pays extérieurs. Ce type de
culture suppose naturellement des encouragements de la part de l’État, mais surtout
des moyens financiers qui ne peuvent être obtenus et investis que si l’agriculture est
suffisamment rentable, c’est à dire si elle est capable de fournir un profit. Cette
agriculture suppose donc un fermier riche qui fait l’avance du capital agricole et
emploie une main d’œuvre salariée : "Nous n’envisageons pas ici le fermier comme
un ouvrier qui laboure lui-même la terre; c’est un entrepreneur qui gouverne et fait
valoir son entreprise par son intelligence et par ses richesses" (Quesnay 2005 [1757],
I, p. 185). Il s’agit d’autant de conditions qui sont très éloignées de celles
caractérisant les nouveaux colons.

Or les colonies démontrent l’absence d’une population de vrais colons, au sens 32


étymologique du terme, l’absence aussi d’une volonté d’occupation agricole du
territoire, et des modes de colonisation qui empruntent les chemins inverses du
"bon développement économique". Prenons le cas de l’Angleterre par exemple : "Sur
terre, elle voudrait faire des villes contre l’ordre de la nature…fonder d’abord des
villes, des entrepôts, des magasins, des marchés, avant d’habiter la campagne,
semblable à ce architecte, qui voulait placer tout cela dans la main du mont Athos,
devenu la statue d’Alexandre" (Mirabeau 1970 [1756], p. 126). Mais les villes ne sont
pas pour les physiocrates un complément naturel de la campagne, mais plutôt le
"gouffre de la nation" [24], ou bien "un domaine postiche et indépendant qui, sans les
productions du sol, ne constitueraient qu’un État républicain" [25]. Les villes ne
peuvent donc être le point de départ d’une colonisation sérieuse.

3.5 – Quels types de colonies faut-il envisager ?


L’idée majeure des libéraux, et des physiocrates en particulier, est d’agir dans les 33
colonies de la même façon que dans la nation. Les véritables colonies agricoles [26],
exploitées au même titre qu’une province de la métropole sont la forme même qu’il
faut envisager. Cela suppose une attitude contraire à celle habituellement prise : "Il
faut peupler et fortifier vos colonies, je crois qu’il en est à leur égard, comme d’un
champ qu’il faut défricher, labourer, fumer et semer avant que de rien recueillir"
(Mirabeau 1970 [1756], p. 138) : investir plutôt que piller. Cela suppose que des
moyens puissent être mis à la disposition des colons et des colonies : "Il n’y a donc
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point de mal à les enrichir (les colonies) aussi ; car si ceux avec qui nous commerçons
n’étaient pas riches, nous ferions un pauvre commerce" (Quesnay 2005, [1766], II,
p. 872). Cette forme de colonisation suppose un mouvement progressif
d’exploitation, et surtout d’après Mirabeau, il ne doit y avoir de colonies que lorsque
l’État s’est déjà "appliqué à faire rendre à son sol tout ce qu’il pouvait donner"
(Mirabeau 1970 [1756], p. 136). Lorsque toutes les terres sont cultivées et que les
capitaux n’ont plus de débouchés, on doit alors déverser sur des terres nouvelles le
trop plein de la population et les capitaux surabondants pour faire des colonies un
prolongement de la métropole.

Aussi la première mesure nécessaire est la suppression de l’exclusif et la mise à 34


l’écart de "tout esprit de domination" selon l’expression de Mirabeau. Il faut donner
aux colonies la liberté de travailler, la liberté de la propriété et celle de s’enrichir en
toute quiétude : "Une législation simple, conforme aux droits et à la liberté de
l’homme" (Dupont de Nemours 1979 [1769], II, p. 270). L’initiative individuelle aurait
ainsi permis un bien meilleur développement que celui orchestré par une compagnie
dont les agents n’ont "ni toutes les connaissances nécessaires à toutes les opérations
différentes, ni un intérêt assez vif au succès" (Dupont de Nemours 1979 [1769], II,
p. 270), si bien que "4 millions employés par leurs propriétaires, […] que l’intérêt
personnel aurait éclairés, eussent produit des effets infiniment plus grands et plus
durables […] que ceux que la compagnie a pu faire avec ses 25 millions administrés et
distribués par les agents" (Ibidem, p. 272). Mirabeau n’est pas hostile aux colonies
dans la mesure où ces dernières représentent une échappatoire à tous ceux qui ne
peuvent exercer une activité économique suffisante dans leur pays d’origine. Il s’agit
d’une conquête territoriale rendue nécessaire par la pression (démographique,
économique) exercée par le milieu d’origine. Cependant, la conquête coloniale ne
peut s’interpréter comme une simple extension de la métropole, mais plutôt comme
le point de départ d’une nouvelle nation dont les liens avec la mère patrie pourraient
être privilégiés durant une certaine période, mais limitée dans le temps. Dans une
certaine mesure, on se rapproche de la conception qu’avait développée Vauban à la
toute fin du XVIIe siècle.

3.6 – De l’assimilation à l’indépendance


La nouvelle forme de colonisation défendue par les physiocrates implique que les 35
colonies deviennent de simples provinces rattachées à la métropole, régies par les
mêmes institutions, selon les mêmes règles. Les DOM -TOM sont ainsi a posteriori
une des formes coloniales qu’aurait souhaitée François Quesnay, car la colonisation
doit signifier exploitation, le défrichement et surtout pas la prédation (cf. les
colonies antiques). Il faut assurer la prospérité des colonies comme des provinces, si
lointaines soit-elles, car elles doivent également contribuer à l’enrichissement du
pays : "La métropole et les colonies sont également des parties du territoire soumis à
la domination du souverain, et sur lesquelles les revenus du souverain doivent être
établis ; leur prospérité qui doit être l’objet du gouvernement intéresse également la
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nation et l’état et cette prospérité, qui doit être de toutes les parties d’un territoire,
dont le souverain et la nation sont propriétaires, doit être générale conformément à
tous les avantages naturels dont chaque partie du territoire peut profiter" (Quesnay
2005 [1766], II, p. 877). Le paradoxe du fait colonial est qu’au final, les colonies sont
une chance pour la France à partir du moment où elles ne sont plus de simples
colonies, mais de véritables partenaires économiques. Turgot semble même aller
plus loin puisqu’il n’excluait pas leur détachement [27] en vue de devenir des États
amis : "La supposition de la séparation absolue des colonies et de la métropole, me
paraît infiniment probable […] Je crois fermement que toutes les métropoles seront
forcées d’abandonner tout empire sur leurs colonies, de leur laisser une entière
liberté de commerce avec toutes les nations, de se contenter de partager avec les
autres cette liberté, et de conserver avec leurs colonies les liens de l’amitié et de la
fraternité ; Si c’est un mal, je crois qu’il n’existe aucun moyen de l’empêcher ; que le
seul parti à prendre, sera de se soumettre à la nécessité absolue, et de s’en consoler
(Turgot 1791 [1776], p. 67). Un des corollaires est la liberté des échanges, et non
l’exclusivité des relations avec la métropole, et la poursuite de leur développement
pour faciliter des échanges équilibrés. Une caractéristique est de voir se développer
ces pays dans le giron de la métropole au même titre qu’une région ou bien voir ces
pays devenir indépendants. Il est souhaitable plutôt, d’entretenir des relations
commerciales avec des pays amis et enrichis qu’avec des colonies dominées qui
s’appauvrissent sous le joug de la métropole, et qui par ricochet, appauvrissent la
métropole.

Faute d’avoir pu faire prévaloir à temps de nouvelles conceptions, les belles 36


espérances qu’auraient pu faire naître les colonies se sont malheureusement
envolées. La France perd les colonies qui lui restent au profit de l’Angleterre.
Pourtant Napoléon [28] tente bien de reconquérir les possessions perdues, même s’il
revend en 1803 aux États-Unis, la Louisiane retrouvée. Il tente de réintroduire la
pratique de l’esclavage, et essaie même de s’implanter dans le pourtour
méditerranéen, en particulier en Égypte. Mais, en raison des lourdes défaites en
Europe, la France est provisoirement dépourvue de colonies entre 1810 et 1814. Le
changement ne se limite pas à une diminution physique de l’empire colonial, qui
somme toute n’était plus composé que d’îles (moins de 40 000 km2), mais à une
régression économique. La prospérité coloniale n’existe plus (Meyer et alii 1991,
p. 428) : les îles à sucre sont ruinées par les années de guerre et de troubles
révolutionnaires. La révolte menée par Toussaint Louverture à Saint-Domingue
entraîne le déclin des exploitations sucrières. Les colonies amorcent leur déclin
économique. Cette chute [29] des activités économiques qu’une forme de colonisation
plus prédatrice que développementaliste précipita, et que les physiocrates
pressentaient, est également due au fait que la France avait construit sa prospérité
commerciale essentiellement à partir du sucre et du café (Meyer 1989, p. 181 ; Mauro
2002, p. 137). Le résultat eût-il été meilleur si une nouvelle manière de concevoir la
colonisation avait été envisagée [30] ?

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4 – Conclusion

La question coloniale s’avère être une excellente grille d’analyse pour évaluer le 37
contenu libéral des œuvres économiques du XVIIIe siècle. À la lecture des textes
économiques de cette période consacrés au colonialisme, on retient avant tout une
aversion assez nette des physiocrates et de Turgot à l’égard de l’existence même des
colonies, au nom de la liberté et de l’efficacité économique, au nom du libéralisme.
Le groupe de Gournay qui exprime également certaines avancées théoriques, en
dehors du cadre physiocratique, n’affiche pas la même conviction. Même si les idées
de liberté et de concurrence irriguent la pensée de ce groupe à propos de la question
coloniale, force est de constater que, à l’exception du rejet des monopoles coloniaux,
l’étiquette libérale affichée, ne peut être justifiée sur cette base-là. En revanche, en
voulant faire de la colonisation une étape vers l’autonomie et le développement
économique, les physiocrates ont ouvert la voie à une conception plus moderne des
rapports entre États de niveau de développement inégal. La colonisation ne
constituerait qu’une étape des pays vers la maturité, sans avoir à créer une entorse
aux principes libéraux auxquels ces économistes croient fermement.

Notes

[1] Je tiens à remercier les rapporteurs anonymes pour m’avoir fait part de leurs utiles
critiques concernant une première version de cet article. Les éventuelles erreurs et
omissions m’incombent bien sûr entièrement.

[3] Avec les pays asiatiques, le comptoir apparaît comme la structure de base du
commerce, et en aucun cas, la première étape vers une colonisation traditionnelle.
Il s’agit, selon Braudel, d’une colonisation purement marchande avec une
occupation ponctuelle de territoires, à quelques exceptions près. Cette forme de
colonisation est tout autant revendiquée par certains mercantilistes français et
anglais car elle relève de la volonté d’échapper initialement au monopole vénitien
et génois, dans l’approvisionnement national en épices et soie d’Orient. Elle
présente de nombreux autres avantages et, en particulier, celui d’ouvrir la voie à
l’enrichissement monétaire, sans que d’importants investissements matériels et
humains soient nécessaires. À la différence de la colonisation de peuplement, la
colonie comptoir ne participe pas à l’enrichissement de la nation sur la base d’une
production territoriale, mais sur la base d’investissements plus immatériels :
capacité à maîtriser les réseaux d’échanges, capacité à maîtriser la mer, capacité à
négocier avec les autorités des pays où peuvent être érigés des comptoirs, capacité
à implanter les bons comptoirs aux bons endroits.

[4] On considère une pensée libérale, un auteur libéral sur le plan économique à partir
du moment où l’on revendique la liberté pour l’activité économique. Le libéralisme
peut ainsi comporter plusieurs degrés allant de la défense de la concurrence, à la
liberté du fonctionnement des marchés, au respect de la propriété privée jusqu’à la
défense d’une économie ouverte sans droits de douanes, sans protectionnisme, ce
qui n’est par exemple, pas le cas avec Vincent de Gournay, fervent partisan des
droits de douane et des actes de navigation. Ce dernier n’est pas en effet un
partisan invétéré du libre échange (Murphy 1986, p. 536). Notons que le terme
même de "libéralisme" date du XIXe siècle. Sur le plan politique, le terme libéral
renvoie davantage au refus de l’autoritarisme et de l’arbitraire.

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[5] La France et l’Angleterre sont les acteurs majeurs du commerce international. Il est
de l’ordre de 62 millions de £ en 1720 (l’Europe en assume les 2/3) et en 1780 il est
de l’ordre de 137 millions de £ (l’Europe en assume les ¾) (Léon 1978, III, p. 51).

[6] Le laisser-passer devant être interprété comme une liberté d’échanges dans un
contexte national et non international (Murphy in Béraud et Faccarello éd., 1992,
p. 201). Sur la question des blés en revanche, la position libérale du groupe de
Gournay est patente. La liberté totale intérieure et extérieure doit améliorer le
bien-être de chacun (Charles 1999, p. 191 ; Clément 1999, p. 88-93).

[7] Il est important cependant de souligner à ce sujet que la liberté du commerce


engendre chez le groupe de Gournay "la double concurrence" : les prix de vente
diminuent en raison de la concurrence entre commerçants et la demande
augmente en provenance des acheteurs finaux. Le groupe de Gournay conçoit la
liberté du commerce par rapport à un objectif d’allocation des ressources et des
hommes dans le temps et dans l’espace ; la liberté du commerce établit le rôle du
prix du marché comme vecteur d’information et guide les décisions des agents
économiques en accord avec leur intérêt (Charles 1999, p. 283). Charles à la
différence de la plupart des commentateurs milite pour une approche originale de
ce groupe, qui ne serait pas seulement une pensée annonciatrice de la physiocratie
mais témoignerait d’une réflexion théorique originale.

[8] Gournay, Forbonnais, Melon et Dutot n’ont à aucun moment abordé la question de
l’esclavage et de son abolition alors qu’au même moment, Montesquieu (1748),
Voltaire (1756, 1761), Rousseau (1762) et De Jaucourt dans l’article "Nègre" de
l’Encyclopédie, dénoncent sa pratique, cf. C. Liauzu, 2007.

[9] Saint-Domingue compte en 1750 165 749 habitants dont 148 530 esclaves, la
Martinique 84 797 en 1767 dont 70 533 d’esclaves et la Guadeloupe 50 959 habitants
dont 40 525 esclaves en 1753 alors que le Canada n’enregistre qu’une population de
37 716 habitants en 1734 (Meyer et alii 1991, p. 136). S’agissant des colonies
américaines, la France porte en effet un intérêt assez limité à celles-ci. La colonie
du Canada ne compte en 1714 qu’environ 19 000 personnes bien que le passage à
une colonisation agricole fut réussie (Meyer et alii 1991, p. 122). C’est une vraie
province française mais très peu peuplée (37 716 habitants en 1734, 113 012 en 1784).
Le commerce de la fourrure demeurera jusqu’au début du XIXe siècle la seule
activité économique réellement intéressante pour la métropole et l’intégration de
l’économie canadienne à l’économie atlantique est relativement faible (Poussou et
alii 1998, p. 77). Or par ailleurs, au traité de 1763 entre la France et l’Angleterre, la
France perd le Canada au profit de l’Angleterre, et les territoires à l’Est du
Mississipi, illustrant d’ailleurs le faible intérêt qui avait été porté par les Français à
ces vastes territoires quasi déserts et où les productions étaient à peu près les
mêmes que sur le territoire métropolitain. Si à cela on ajoute la vente de la
Louisiane à l’Espagne, il en est fini de l’empire colonial français première manière
(Ferro 1994, p. 106). L’opinion publique ne voyait guère l’intérêt de se battre pour
"quelques arpents de neige" pour reprendre l’expression de Voltaire.

[10] Des auteurs comme Boisguilbert, au début de ce siècle, mettent en évidence le rôle
actif de la demande. Pour Boisguilbert, la consommation du peuple dépend avant
tout du comportement de consommation des riches. Le rôle important de la
consommation des biens de luxe détermine également le niveau de production car
le revenu du beau monde dépasse largement les dépenses nécessaires à leur
entretien alors que le revenu perçu par les marchands et des laboureurs serait à
peine suffisant, il s’ensuit que la subsistance du peuple dépend de la
consommation de luxe des riches (Giacomin, 1995).

[11] L’expression revient à A. Murphy (1992). Ce dernier précise que toute intervention
de l’État chez ces auteurs n’est pas à écarter. On n’exclut pas en particulier une
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intervention au niveau de la demande, en raison d’une déficience qui serait due à


la thésaurisation.

[12] Le commerce des grains devrait en revanche échapper à cette même restriction (cf.
supra).

[13] S’il y a au début monopole de la compagnie des Indes Occidentales dans la traite
négrière, ce dernier déclina progressivement au profit d’entrepreneurs privés
surtout après les années 1720, période au cours de laquelle le monopole de la
compagnie disparut (Klein 1999, p. 79).

[14] Melon avait déjà posé des limites pour le commerce du blé (Clément 1999).

[15] La querelle des toiles peintes illustre parfaitement ce risque de voir les
importations de biens de luxe concurrencer les industries nationales.

[16] La liberté extérieure et intérieure du commerce des céréales ne risque pas de


provoquer famines, disettes, hausse des prix ; elle favorise un équilibre de l’offre et
de la demande, une production suffisante, une circulation nécessaire d’une
province à l’autre, d’un pays à l’autre, rendue indispensable en raison des bienfaits
inégaux répandus par la nature dans le temps et dans l’espace. Liberté et sécurité
alimentaire sont liées. Toutefois, l’État doit veiller à ce que cet équilibre soit
maintenu, ce qui rend parfois son intervention nécessaire. Si la liberté extérieure
est préférée à la réglementation étatique, le pays ne doit pas renoncer pour autant
à son indépendance nationale. Si la liberté intérieure est préférée aux
réglementations du commerce intérieur, la recherche d’un équilibre
ville/campagne est perçue comme une nécessité économique.

[17] La culture du café s’est beaucoup développée en Haïti, pratiquée sur des petites
exploitations accessibles à de petites gens, y compris à des affranchis (Mauro 2002,
p. 137-38)

[18] Pour les physiocrates, les Européens dans les premières périodes de conquête
coloniale, en confondant richesse et métaux précieux se sont non seulement
trompés, mais ont de plus, entrepris de vastes opérations de pillage de terres
nouvellement découvertes qui se sont retournées à leurs dépens. Pour l’Espagne,
en particulier, la colonisation s’est réduite au pillage de trésors d’outre-Atlantique.
Or cet enrichissement apparent a contribué non seulement à l’appauvrissement du
pays colonisé, mais aussi au pays colonisateur, selon le raisonnement suivant :
"Avant la découverte de l’Amérique, l’Espagne tirait ses richesses de l’agriculture, et
sa population était fort nombreuse : mais les mines du Pérou, étant devenues la
source des revenus du Souverain et des grands du royaume, la culture a été
abandonnée, les grands propriétaires, n’établissant plus leur fortune que sur le
Trésor royal, ont laissé tomber leurs terres en non valeur, le royaume s’est
dépeuplé, son territoire fertile réduit en friche ne forme plus que de vastes déserts"
(Quesnay 2005 [1757] I, p. 305). Cette analyse se retrouve également chez
Mirabeau : "Les premiers peuples de l’Europe, qui passèrent en Amérique, ne
furent pas des colons, mais au contraire des conquérants, c’est-à-dire, des
dévastateurs, & les pires de tous. La soif de l’or, toujours excitée par ce qui devrait
la satisfaire, fut le premier & l’unique objet de nos aventuriers. Elle a retardé
longtemps leurs succès, a fait de tout temps, & fait encore de nos jours de ces
vastes contrées, un théâtre d’horreurs qui déshonorent l’humanité ; & cette soif
quoique moins brutale en apparence, plus éclairée aujourd’hui, puisqu’on
commence à estimer ces pays par ce qu’ils peuvent rapporter au commerce, autant
que par leurs mines & leurs diamants, est encore l’objet unique des puissances qui
en sont présentement le point capital de leur attention [….] l’Espagnol ne connaît
de richesses que l’or, & d’autre usage de l’or que le faste & l’ostentation. Il dédaigne
de se courber vers la terre nourricière, & force des esclaves à s’enterrer dans ses
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entrailles, pour en arracher l’objet de sa cupidité ; vrai Moghol de l’Amérique, il a


fait par le fer ce qu’il eût fait également par la forme de son gouvernement. Il a
dévasté des pays immenses" (Mirabeau 1970 [1756], p. 23). Cette forme de spoliation
nuisit au pays colonisé mais aussi au pays colonial en le détournant des activités
productives. Le régime de l’exclusif dans un registre moins "prédateur" aboutit
toutefois à une forme de spoliation et d’appauvrissement des colonies.

[19] Sur ce débat, cf. notamment C. Salvat (2000), G. Dulac (1994) : "Diderot et la
Compagnie des Indes", Dix-huitième siècle, 1994, n°26, p. 177-199.

[20] En échange de services rendus à l’État, la compagnie recevait un soutien financier


qui permettait d’assurer aux actionnaires un revenu fixe qui les plaçait dans la
position de rentiers (Dulac 1994 ; Le Bouëdec 1997).

[21] Il s’agit des Anglais et des Hollandais.

[22] Sur cette question, cf. notamment M. Duchet (1971).

[23] Pour plus de détails sur la positon de Turgot, Cf. Drescher 2002, p. 62-70.

[24] Selon l’expression de Saint-Peravy, in Weulersse (1968 [1911], II, p. 89).

[25] Quesnay in Weulersse (1968 [1911], II, p. 88).

[26] Quesnay distingue plusieurs sortes de colonies (2005 [1766], II, p. 873) : les colonies
comptoirs qui appartiennent à des commerçants habitant soit dans des
républiques de commerçants comme la hollande soit des royaumes agricoles
comme la France, les colonies appartenant à des métropoles marchandes ou
agricoles mais dont le commerce est confié à des négociants. Dans ces trois cas "on
ne peut pas dire que le commerce de ces compagnies soit le commerce de la
métropole". L’État colonisateur ne profite pas des richesses coloniales. Les colonies
agricoles en revanche s’apparentent à des provinces éloignées et ce sont celles-ci
qui intéressent véritablement Quesnay.

[27] L’intention de Turgot était d’émanciper simultanément ports et colonies. Il


pronostiqua même l’indépendance proche des colonies d’Amérique.

[28] Pour plus de détails sur l’ensemble de cette période, cf. Y. Benot (1987, 1992).

[29] La preuve du déclin de l’activité commerciale avec les îles tient à quelques chiffres :
200 000 tonneaux et 700 navires en 1789 contre 108 000 tonneaux et 500 long-
courriers en 1835 reliant la France à ses colonies (Butel 1989, p. 1094).

[30] Intuitivement et à posteriori, les physiocrates semblent avoir raison sur leur
conception de la colonisation. Les Européens et les Français en particulier ont créé
de mauvaises institutions là où des rentes et des ressources naturelles à extraire
étaient importantes. En revanche là où ils décidèrent de s’installer parce que les
conditions climatiques et environnementales étaient voisines de celles de l’Europe,
les conditions d’exploitation étaient fondamentalement différentes et de bonnes
institutions furent créées et perdurèrent. Or avec la décolonisation, les pays qui
connurent et connaissent encore aujourd’hui un développement plus chaotique
sont bien ceux qui héritèrent des mauvaises institutions et qui correspondent aux
colonies où peu d’Européens s’installèrent, cf. "Équité, institutions et processus de
développement" in Rapport sur le développement dans le monde, Banque Mondiale,
Éditions Eska, 2006.

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Résumé

FrançaisLe premier empire colonial français qui s’est constitué avant le début du
XVIIIe siècle fut défendu par les "économistes mercantilistes". Le XVIIIe siècle
enregistre a contrario un double mouvement d’idées. Les premières œuvres
économiques s’accommodent, tout en le justifiant avec des arguments rénovés, d’un
maintien de l’empire colonial. Les colonies relèvent d’un champ spécifique dans
lequel les idées libérales ne semblent pas s’appliquer. En revanche, la deuxième
moitié du siècle est marquée par l’épanouissement du courant physiocratique et les
débuts d’un discours ouvertement anticolonial, plus conforme aux grandes lignes de
la pensée économique libérale française en formation.

English"About good and bad use of colonies": Colonial policy and French
economic thought during the XVIIIth century [1]
The first French colonial empire which was formed before the beginning of XVIIIth
century was justified by the mercantilists of XVIth and XVIIth centuries. However,
during the XVIIIth century, the economic thought is more separated. The first
liberals are in favour of the keeping of the empire even if it is in contradiction with
their theories. The colonial countries are an exception to the application of theses
new ideas. On the contrary, during the second part of the century, the physiocrats
are at the origin of a new anti-colonial discourse, up to liberal thought.
Classification JEL : B12

Plan
1 -Introduction

2 -Le commerce colonial est-il propice au développement de la métropole ?


2.1 -Le renforcement de l’excédent commercial : un premier argument mercantiliste
2.2 -L’argument démographique de moins en moins prégnant
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2.3 -Le développement des colonies favorise le développement de la nation


2.4 -La liberté du commerce à l’épreuve des colonies

3 -La fin du premier empire colonial et les débuts d’un discours libéral ouvertement
anticolonial
3.1 -Un système colonial qui ne profite ni aux colonies, ni au peuple français
3.2 -Les coûts d’entretiens et les coûts d’opportunité des colonies
3.3 -Le rejet du système esclavagiste au nom du moindre coût du travail
3.4 -Le rejet d’une colonisation prédatrice et dominatrice qui ne profite ni à la colonie ni
au pays colonisateur
3.5 -Quels types de colonies faut-il envisager ?
3.6 -De l’assimilation à l’indépendance

4 -Conclusion

Bibliographie

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Auteur
Alain Clément 

Maître de conférences de sciences économiques, Université François Rabelais de


Tours et UMR du CNRS 5206 Triangle (Lyon-2 /ENS), clement@ univ-tours. fr

Mis en ligne sur Cairn.info le 11/05/2009


https://doi.org/10.3917/cep.056.0101

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