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Archives « secrètes » , secrets d’archives ?
Historiens et archivistes face aux archives sensibles

Sébastien Laurent (dir.)

Éditeur : CNRS Éditions Référence électronique :


Année d'édition : 2003 LAURENT, Sébastien (dir.). Archives
Date de mise en ligne : 17 juin 2013 « secrètes » , secrets d’archives ? Historiens
Collection : Histoire et archivistes face aux archives sensibles.
ISBN électronique : 9782271077943 Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS
Éditions, 2003 (généré le 09 novembre
2013). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/
editionscnrs/1483>. ISBN :
9782271077943.

http://books.openedition.org Édition imprimée :


ISBN : 9782271061577
Nombre de pages : 296

© CNRS Éditions, 2003


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Nota. — Le texte du télégr
à établir en 5 eiemplaires
MINISTERE DE L'INTERIEUR TÉLÉGRAMME être dactylographié à di
interligne, en caractères

DEPART A CHIFFRER naires et non en majuscule

Transmission : N o r m a l e , Urgente, Très Urgente, en Priorité At


(Souligner les mentions à retenir)
TRES SECRET
SECRET
PARIS,LE08Décembre
1960
SECRET-CONFIDENTIEL
EXPÉDITEURINTERIEUR- Direction Générale des Aff
DIFFUSION RESTREINTE Politiques et de l'Administration du T e r r i t o i r e -
Biffer les mentions inutiles DESTINATAIRE :
à Préfets Métropole
N° 3866

Je vous p r i e , des réception de ce message :


nent jusqu'à nouvel

Archives
«secrètes»,
secrets
d'archives?
Historiens et archivistes
face aux archives sensibles

Sous la direction de
Sébastien LAURENT

CNRS EDITIONS

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CNRS HISTOIRE

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CNRS HISTOIRE

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guerres d’Indochine et du Vietnam (1945-1975), 2002.
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2001.
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L’histoire d’un groupe électrique 1906-1945, 2001.
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polonaises 1732-1832, 2001.
Jean-Louis ESCUDIER, Edmond Bartissol 1841-1916. Du canal de Suez à la
bouteille d’apéritif, 2000.
Sylvie FAYET-SCRIBE, Histoire de la documentation en France. Culture, science
et technologie de l’information 1895-1937, 2000.
Agnès D’ANGIO, Schneider et Cie et la naissance de l’ingénierie. Des pratiques
internes à l’aventure internationale 1836-1949, 2000.
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du futur, 2000.
Bruno MARNOT, Les Ingénieurs au Parlement sous la IIIe République, 2000.
Corine DEFRANCE, Les Alliés occidentaux et les universités allemandes, 1945-
1949, 2000.
Gilles LE BÉGUEC, Denis PESCHANSKI (dir.), Les Élites locales dans la tourmente.
Du front populaire aux années cinquante, 2000.
Patrick OLMETA, La Cinémathèque française de 1936 à nos jours, 2000.
Marine M’SILI, Le Fait Divers en République. Histoire sociale de 1870 à nos
jours, 2000.
Patrick GARCIA, Le Bicentenaire de la Révolution française. Pratiques sociales
d’une commémoration, 2000.
Benoît MARPEAU, Gustave Le Bon. Parcours d’un intellectuel (1841-1931), 2000.
Rahal BOUDRIK, Saints et sociétés en Islam. La confrérie ouest-saharienne Fâdi-
liyya, 1999.
Florence HACHEZ-LEROY, L’Aluminium français. L’invention d’un marché
(1911-1983), 1999.
Ursula BÄHLER, Gaston Paris dreyfusard. Le savant dans la cité, 1999.
Philippe-E. LANDAU, Les Juifs de France et la Grande Guerre. Un patriotisme
républicain (1914-1941), 1999.
Julie THERMES, Essor et déclin de l’affirmative action. Les étudiants noirs à
Harvard, Yale et Princeton, 1999.
Laurence MONNAIS-ROUSSELOT, Médecine et colonisation. L’aventure indochi-
noise (1860-1939), 1999.
Yves GONZALEZ-QUIJANO, Les Gens du livre. Édition et champ intellectuel dans
l’Égypte républicaine, 1998.
Tal SHUVAL, La Ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle, Population et cadre
urbain, 1998.
Frédéric GUGELOT, La Conversion des intellectuels au catholicisme en France
(1885-1935), 1998.
Michel BRUNEAU (dir.), Les Grecs pontiques. Diaspora, identité, territoires,
1998.
Danièle ROUSSELIER-FRABOULET, Les Entreprises sous l’Occupation. Le onde de
la métallurgie à Saint-Denis, 1998.
Vincent CLOAREC, La France et la Question de Syrie (1914-1918), 1998.
Marie-Emmanuelle CHESSEL, La publicité. Naissance d’une profession (1900-
1940, 1998.

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Archives « secrètes »,
secrets d’archives ?
L’historien et l’archiviste
face aux archives sensibles

sous la direction de Sébastien Laurent

15, rue Malebranche – 75005 Paris

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1resPages_Archsecr_CN Page 4 Mardi, 3. juin 2003 12:19 12

Illustration de couverture : Télégramme à chiffrer.


© Archives d’histoire contemporaine, CHEVS/Sciences-Po.

En application du Code de la propriété intellectuelle,


CNRS ÉDITIONS interdit toute reproduction intégrale ou partielle
du présent ouvrage, sous réserve des exceptions légales.

© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2003


ISBN : 2-271-06157-1
ISSN : 1251-4357

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1resPages_Archsecr_CN Page 5 Mardi, 3. juin 2003 12:19 12

Remerciements

Ce volume rassemble une partie des contributions à la journée


d’études « Archives “secrètes”, secrets d’archives ? » que nous avons
organisée le 13 juin 2003 dans le cadre du Centre d’histoire de l’Europe
du XXe siècle (CHEVS-FNSP).
Nous saisissons cette occasion pour remercier son directeur, le
professeur Jean-François Sirinelli, le secrétaire général, Pascal Cauchy,
ainsi que toute l’équipe du CHEVS et tout particulièrement Carole
Gautier. Notre gratitude va également à Vincent Duclert pour sa colla-
boration amicale à la réflexion dont la journée d’études fut le résultat.
Nous remercions également les présidents des séances du 13 juin,
M. le président Philippe Bélaval, Mme Françoise Hildesheimer ainsi que
M. le professeur Maurice Vaïsse.

Sébastien LAURENT

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Introduction
L’histoire, au-delà
du secret de l’archive

En 1941, le médiéviste Marc Bloch critiquait fermement dans l’Apo-


logie pour l’histoire deux obstacles à la connaissance historique : « La
négligence, qui égare les documents ; et plus dangereuse encore, la pas-
sion du secret1. » Soixante ans plus tard, la situation est apparemment
différente : une législation sur les archives existe, les moyens humains
et financiers des centres d’archives ont considérablement évolué et
l’impératif de transparence est devenu un lieu commun du discours
administratif et politique qui semble contrecarrer la « passion du
secret ». En suivant la perspective ouverte par Marc Bloch, cet ouvrage
est un effort collectif de réflexion sur la situation contemporaine, au
confluent de deux réalités, l’une concernant les archives, l’autre ayant
trait au secret.
Celui-ci est devenu récemment un objet de recherche pour les
sciences sociales. De nombreuses publications l’attestent – ouvrages et
numéros spéciaux de revues2 – ainsi que des réunions scientifiques : le
séminaire de doctorat de Jean-Jacques Becker à Nanterre sur « le
secret en politique/le secret en histoire »3 ; le colloque de l’université
Nancy-II, « Autour des secrets », organisé du 2 au 4 mai 2002 par

1. Marc BLOCH, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Librairie


Armand Colin, « Cahiers des Annales » no 3, 1949 [le manuscrit date de 1941], p. 32.
2. Cf. notamment : « Transparence et secret. L’accès aux archives contemporaines »,
La Gazette des Archives, no 177-178, 1997 ; « Le secret et l’État », Les Cahiers de la
fondation pour les études de défense, no 12, avril 1998 ; « Le secret en histoire », Maté-
riaux pour l’histoire de notre temps, no 58, avril-juin 2000 ; « Transparence et secret »,
Pouvoirs, no 97, 2001 ; « Économie politique du secret », Politix. Revue des sciences
sociales du politique, vol. 14, no 54, 2001.
3. Cf. les interventions publiées dans : « Le secret en histoire », Matériaux pour
l’histoire de notre temps, no 58, avril-juin 2000.

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00_Archsecr_CN Page 8 Mardi, 27. mai 2003 5:37 05

8 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Tanguy Wuillème4 ; la journée d’études portant sur « l’État et le


secret » organisée par l’Institut français des sciences administratives
(IFSA) au Conseil d’État le 1er juin 2002, mais également le séminaire
de Cyril Lemieux, Isabelle Rivoal et Jean-Pierre Cavaillé, « Théories
et pratiques du secret et de la tromperie à l’époque moderne » à
l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Obstacle à la
curiosité et à cette forme particulière de curiosité savante qu’est la
recherche, le secret est devenu un objet de travail scientifique.
La place grandissante prise par l’histoire contemporaine à l’Univer-
sité, dans les centres de recherche mais aussi dans l’espace public au
cours des trente dernières années, et le développement de l’histoire du
« temps présent »5 ont conduit les historiens à ne plus seulement consi-
dérer les archives comme un matériau soumis à leur regard critique mais
les ont entraînés également à s’interroger sur leur accessibilité, enjeu
essentiel pour l’accomplissement de leur métier. Archivistes et histo-
riens ont commencé à se rencontrer dans d’autres lieux que les salles de
lecture, au cours de réunions scientifiques, et un dialogue s’est engagé.
La question des archives a ainsi accédé à un nouvel état depuis une
dizaine d’années en devenant publique6 et l’on peut se réjouir de voir
qu’elle a franchi le seuil des réunions scientifiques7 pour investir les
revues d’idées8, la presse9 et même les grandes réunions politico-média-
tiques10. Il reste qu’au-delà de ces manifestations publiques, les travaux
scientifiques n’ont cessé de rapprocher historiens et archivistes, amenant
parfois à un heureux dépassement des carcans professionnels : certains

4. Actes à paraître chez L’Harmattan.


5. L’Institut d’histoire du temps présent (I.H.T.P.), laboratoire du CNRS, fut créé
en 1978. Cf. Agnès CHAUVEAU et Philippe TÉTART (dir.), Questions à l’histoire des temps
présents, Bruxelles, Complexe, « Questions au XXe siècle », 1992, 136 p., et en particu-
lier la communication de Robert FRANK (« Questions aux sources du temps présent »).
6. Signalons le rôle non négligeable joué en 1994 par la publication du pamphlet
de Sonia COMBE : Archives interdites. L’histoire confisquée, Paris, La Découverte,
« Essais », 2001 [1re éd. : 1994, Albin Michel], 325 p. Cf. en particulier la préface
inédite de 2001, dans laquelle l’auteur analyse la réception de son livre.
7. Cf. « Transparence et secret. L’accès aux archives contemporaines », La
Gazette des Archives, nos 177-178, 1997, et « Les historiens et les archives », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, no spécial, supplément 2001.
8. Cf. notamment Le Débat, no 99, mars-avril 1998, et « Archives : quelle poli-
tique ? », Le Débat, no 115, mai-août 2001.
9. Cf. par exemple Emmanuel DE ROUX, « La rénovation des Archives nationales
n’a toujours pas encore commencé », Le Monde, 3 mars 2000 ; Marc-Olivier BARUCH
et Vincent DUCLERT, « Archives : il faut une loi, il faut une politique », Le Monde,
30 novembre 2000, p. 18.
10. Les Français et leurs archives. Actes du colloque au Conseil économique et
social. 5 novembre 2001, Paris, Fayard, 2002, 227 p.

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00_Archsecr_CN Page 9 Mardi, 27. mai 2003 5:37 05

Introduction 9

archivistes ont mis leurs compétences au service de la recherche histo-


rique11, certains historiens ont été associés à la réalisation d’outils de
recherche pour les Archives nationales12. Des liens individuels ont aussi
été souvent noués, amenant parfois à dépasser les préventions récipro-
ques et à faciliter le travail commun. Cet ouvrage est également la preuve
par l’exemple que les deux professions peuvent mener en bonne intelli-
gence une vraie réflexion commune à partir de points de vue différents
ou divergents à l’origine.
Une acception purement juridique de la notion d’« archives
secrètes » inviterait à n’en limiter l’usage que lorsque seraient mis en
cause la vie privée, la sûreté de l’État et le secret industriel et commer-
cial des entreprises. Mais le droit en l’occurrence ne dit pas tout car la
notion d’« archives secrètes » recouvre en fait une grande variété de
situations qui ne se trouvent pas seulement déterminées par l’article 6
de la loi du 17 juillet 1978 (« loi sur la communication des documents
administratifs ») et l’article 7 de la loi du 3 janvier 1979 (« loi sur les
archives »). Ainsi, les archives peuvent certes être qualifiées de secrètes
parce qu’elles sont soumises par la loi de 1979 aux fameux « délais
spéciaux »13, délais particulièrement longs – 150 ans pour les docu-
ments contenant des renseignements à caractère médical, 120 ans pour
les dossiers de personnel. Mais il est également des situations particu-
lières, en deçà ou hors de la loi, qui mènent au secret : parce que les
archives sont produites par des administrations dont la caractéristique
est de rester secrètes ou discrètes (préfecture de police, direction géné-
rale de la sécurité extérieure – DGSE, certains cabinets ministériels) et
qu’à ce titre elles dérogent de fait au droit commun et notamment à la
loi de 1979, ou encore parce qu’elles existent mais ne sont pas accessi-
bles (c’est par exemple le cas des archives en cours de versement, de
celles versées mais non inventoriées ou de celles dont les conditions de
communication ne sont pas réglées – dans le cas des fonds privés) ;
enfin parce que l’on ne peut savoir si elles existent (documents perdus,
détruits ou se trouvant en dehors du territoire national…). Le droit ne
dit donc pas tout et il est même parfois contradictoire, un refus de
communication selon les termes de la loi de 1979 pouvant donner lieu

11. C’est le cas au sein de revues comme Histoire et archives, revue semestrielle
de la Société des amis des Archives de France, éditée par Honoré CHAMPION sous la
houlette de Françoise HILDESHEIMER.
12. Cf. par exemple le rôle d’Henry Rousso dans : La Seconde Guerre mondiale.
Guide des sources conservées en France sur la Seconde Guerre mondiale (1939-1945),
Paris, Archives nationales, 1994, 1217 p.
13. Il faut noter que vingt ans après le vote de la loi de 1979, les autorités gouver-
nementales ont favorisé une première évolution de celle-ci en ayant recours à la pratique
des « dérogations générales » pour certains fonds mais cette pratique n’a pas résolu
toutes les questions. Il sera question des dérogations générales au sein de ce volume.

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10 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

au nom de la loi de 1978 à un recours auprès de la commission d’accès


aux documents administratifs (CADA). En ce qui concerne les archives
« sensibles », cette possibilité est d’ailleurs parfois utilisée.
L’ampleur de ces archives soustraites à un regard scientifique
dépend donc non seulement de la loi14 mais aussi des administrations
versantes et des services d’archives. Le colloque de mars 1996 organisé
par l’Association des archivistes français15 avait bien mis en valeur les
pratiques différentes en matière de dérogations de diverses institutions :
ainsi, alors que le ministère de la Justice et celui de la Défense se
montraient en la matière plutôt libéraux, il en allait différemment au
ministère de l’Intérieur ou encore à la préfecture de police16. Le droit
n’est donc pas seul en cause et il faut aussi considérer les moyens
humains et financiers, mais également s’interroger sur les pratiques des
services d’archives. De nombreuses questions se posent alors : face au
manque de moyens, sur quelles bases sont privilégiés le tri et le classe-
ment de tel ou tel fonds d’archives ? comment les dérogations sont-elles
instruites ? quels sont les principes régissant la communication ou la
non-communication, heureusement fort rares, de certains instruments
de recherche pour des fonds sensibles ?
Il y a près de trente ans, Jacques Le Goff et Pierre Nora réunissaient
les contributions de nombreux historiens dans la perspective de dresser
un panorama d’une discipline en état « d’émiettement »17. Ils identi-
fiaient de « nouveaux problèmes », de « nouvelles approches » et de
« nouveaux objets ». À l’heure où la discipline historique, sollicitée par
la justice et les médias, s’interroge sur le « rôle social » de l’historien 18
mais aussi sur elle-même et sur ses relations avec les autres sciences
sociales, il est peut-être utile d’ajouter un quatrième volet en forme
d’interrogation à la réflexion entamée en 1974 : quel est l’apport des
« nouvelles archives » à la connaissance historique ? Ces archives

14. Cf. l’irremplaçable livre d’Hervé BASTIEN, Droit des archives, Paris, La Docu-
mentation française, 1996, 192 p.
15. Cf. « Transparence et secret. L’accès aux archives contemporaines », La
Gazette des Archives, nos 177-178, 1997, p. 133-290.
16. L’auteur de ces lignes doit d’ailleurs faire part de son étonnement : lorsqu’il
sollicita à l’automne 2001, l’ancien responsable du services des archives de la préfecture
de police, le cabinet du préfet de police refusa à ce fonctionnaire (qui avait entretemps
quitté ses fonctions à la préfecture de police) l’autorisation de parler des archives de la
préfecture de police à la journée d’études du 13 juin 2002. Dans un esprit identique, le
conservateur des archives du ministère des Affaires étrangères ne fut pas autorisé à
publier dans ce volume la communication prononcée lors de la journée d’études du
13 juin 2002 à Sciences-Po.
17. Jacques LE GOFF et Pierre NORA (dir.), Faire de l’histoire, Paris, Gallimard,
« Folio-Histoire », 1986 [1re éd. : 1974], 3 volumes. Tome I : Nouveaux Problèmes,
tome II : Nouvelles Approches, tome III : Nouveaux Objets.
18. Cf. l’excellent ouvrage d’Olivier DUMOULIN, Le Rôle social de l’historien. De
la chaire au prétoire, Paris, Albin Michel, 2002, 343 p.

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Introduction 11

recouvrent des réalités là encore très différentes : il s’agit aussi bien des
nouveaux supports d’archives (archives sonores et audiovisuelles) mais
aussi de fonds méconnus (archives collectées par les missions dans les
ministères depuis le début des années 1950, archives des cabinets des
ministres de la Défense, ou dans d’autres registres les archives de la
science ou celles de la franc-maçonnerie) ou encore des fonds restitués
au milieu des années 1990 par la Russie19 (fonds de la Sûreté nationale
et des organes de renseignement militaires). L’exploitation de ces docu-
ments nécessite donc des précautions méthodologiques particulières et
à cet égard les pratiques des historiens ne doivent pas être éludées : ces
archives ne devraient-elles pas être analysées en premier lieu par des
historiens chevronnés plutôt que par de très jeunes chercheurs animés
souvent de beaucoup de bonne volonté mais trop rapidement formés ?
Ce livre est avant tout une interrogation sur les conditions d’exercice du
travail historique : dans quelle mesure ces archives – dont il sera précisé
dans les pages qui suivent le caractère « sensible » – ont-elles influencé
les questionnements et les objets historiques ? La notion d’archives
« sensibles » présente dans le titre de ce livre – bien que n’ayant pas de
valeur juridique ni de signification archivistique précises – rend peut-
être mieux compte de la spécificité sur laquelle tous les auteurs ont bien
voulu se pencher. Sensibles, les archives dont il sera question dans les
pages qui suivent, le sont pour au moins l’une ou plusieurs de ces trois
raisons : parce que les organes qui les produisent ont pour obligation de
rester en retrait de l’espace public, parce que les faits dont elles sont la
trace doivent être soustraits – aux yeux de l’État – au regard du plus
grand nombre ou encore parce que les événements se sont déroulés dans
un temps assez récent.
Les débats tout autant éthiques que politiques sur la transpa-
rence20, sur le droit à l’information, ne sont pas au cœur de cet ouvrage.
En revanche, ce dernier pourra donner des arguments, peut-être des

19. Sur ces fonds, cf. Sophié CŒURÉ, Frédéric MONIER, Gérard NAUD, « Le retour
de Russie des archives françaises. Le cas du fonds de la Sûreté », Vingtième Siècle.
Revue d’histoire, no 45, janvier-mars 1995, p. 133-139 ; Serge WOLIKOW (dir.), Une
histoire en révolution ? Du bon usage des archives, de Moscou et d’ailleurs, Dijon,
éditions universitaires de Dijon, 1996, 315 p. ; Claire SIBILLE, « Les archives du
2e bureau SR-SCR récupérées de Russie », dans Georges-Henri SOUTOU, Jacques
FRÉMEAUX et Olivier FORCADE (dir.), L’Exploitation du renseignement en Europe et aux
États-Unis des années 1930 aux années 1960, Paris, Economica, 2001, p. 27-47 ; Sébas-
tien LAURENT, « Le renseignement de 1860 à nos jours : état des sources militaires »,
Revue historique des armées, no 221-4, décembre 2000, p. 97-110. Cf. également les
textes de S. Cœuré, F. Monier, S. Laurent et S. Wolikow dans ce volume.
20. Cf. notamment Alain-Gérard SLAMA, La Régression démocratique, Paris,
Perrin, « Tempus », 2002 [1re éd. : 1995, Fayard], 221 p., et « Transparence et secret »,
Pouvoirs, no 97, 2001, 181 p.

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12 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

idées, à ceux, donateurs d’archives, administrations, hauts fonction-


naires et responsables politiques, qui seront amenés à se poser la
question et – c’est à espérer – à prendre des décisions. C’est donc à
partir d’aspects très empiriques, autour de la notion de « travail »
qu’archivistes et chercheurs sont amenés ici à présenter leurs points de
vue respectifs pour s’interroger sur « la fabrique de l’histoire »21 et
arpenter ensemble le « territoire de l’historien »22.

Sébastien LAURENT

21. Cf. Carlos GARCIA GUAL, Carlo OSSOLA et François HARTOG, La Fabrique de
l’histoire, Belfort, Circé, 1999, 117 p.
22. Emmanuel LE ROY-LADURIE, Le Territoire de l’historien, Paris, Gallimard,
coll. « Tel », 1985 [1re éd. : 1973], 542 p.

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Les archives de France


aujourd’hui

« Archives “secrètes” : secrets d’archives ? »… la formule est jolie, elle


est séduisante, croustillante même, nous laissant espérer que, tel Henry
de Monfreid explorant la mer Rouge, une plongée dans l’océan des
archives nous permettra de découvrir et percer maints secrets. Elle me
paraît toutefois appeler des explications, des nuances aussi, des réserves
peut-être. D’une part, parce qu’il me semble de plus en plus difficile
aujourd’hui de parler d’archives secrètes, au point d’ailleurs que les
guillemets se sont imposés. D’autre part, parce que, si secret des
archives il y a, il tient moins à mes yeux du secret d’État ou des secrets
d’alcôve, sans parler de la mise au secret, que du secret de fabrication,
évoquant par là le travail complexe, patient et rigoureux des archivistes.

DES ARCHIVES DE PLUS EN PLUS OUVERTES

La réalité présente de l’accès aux archives en France se caractérise en


effet plus par l’ouverture que le secret, qu’il s’agisse des dérogations
générales, du traitement des dérogations individuelles ou encore des
projets en matière de délais de communicabilité. Depuis plusieurs
années déjà, la direction des archives de France s’est engagée en faveur
d’une action résolue d’ouverture par dérogation générale de fonds sensi-
bles, en particulier ceux relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Cette
politique a produit des effets dès 1997 avec la circulaire du Premier
ministre du 2 octobre 19971. Elle n’a pas cessé de le faire depuis avec :
– l’arrêté du 13 mai 1998 du ministre de la Culture rendant librement consul-
tables aux Archives nationales les archives du Commissariat général aux
questions juives (CGQJ), les archives allemandes et les papiers Pétain ;

1. Voir ce document reproduit en fin de volume dans l’annexe « Documents


juridiques relatifs aux archives publiques ».

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14 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

– l’arrêté du 15 avril 1999 du ministre de la Culture rendant librement


consultables les fichiers conservés aux Archives nationales, tels ceux
de la préfecture de police, du camp de Drancy, des camps de Pithiviers
et Beaune-la-Rolande ;
– différents autres arrêtés sur les fonds relatifs à la Seconde Guerre
mondiale conservés aux Archives nationales ou dans les archives
départementales.
Et ce, jusqu’à l’arrêté conjoint du ministre de l’Intérieur et du
ministre de la Culture, en date du 29 avril 2002, relatif à l’ouverture des
fonds conservés dans les archives départementales, à l’exception des
dossiers judiciaires et des dossiers de personnel ; une circulaire de
présentation de cet arrêté est en cours d’achèvement et sera bientôt
adressée à tout notre réseau.
En ce qui concerne ensuite le traitement des dérogations indivi-
duelles, quelques informations méritent d’être données. En 2001, la
direction des Archives de France a traité 3184 demandes de dérogations
aux règles de communicabilité des archives publiques. Ce chiffre est en
augmentation de 11 % par rapport à l’an 2000 et confirme la tendance
à la croissance observée depuis plusieurs années (482 demandes en
1985, 988 en 1990). 3036 demandes, soit plus de 95 %, ont obtenu une
réponse favorable, 106 (4 %) une réponse partiellement favorable et
42 (1 %) ont fait l’objet d’un refus. Voilà qui démontre si besoin en était
la non-fermeture des archives.
Les sujets de recherche qui suscitent le plus de demandes de déro-
gations sont la Seconde Guerre mondiale : 1019 demandes, soit 32 % ;
la généalogie : 460 demandes, soit 14 %, l’histoire politique depuis
1945 : 321 demandes, soit 7 %. Les services producteurs les plus
sollicités sont, au niveau central, les ministères de la Justice et de
l’Intérieur et les services du Premier ministre ; à l’échelon territorial,
ce sont les services des préfectures et sous-préfectures (25 % des
demandes). Donnons deux coups de projecteur sur les demandes rela-
tives à la Seconde Guerre mondiale et sur celles intéressant la guerre
d’Algérie. Les premières ont fait l’objet de 96 % d’accords (981
demandes), 2 % d’accords partiels (23 demandes) et 2 % de refus (15
demandes). 39 % de ces demandes concernent les services des préfec-
tures et sous-préfectures, d’où l’arrêté du 29 avril 2002 précité. Quant
aux demandes relatives à la guerre d’Algérie, si elles ont augmenté en
un an de près de 17 %, passant de 79 en 2000 à 91, leur nombre reste
cependant limité. Elles ont fait l’objet de 83 % d’accords, 15 %
d’accords partiels et 2 % de refus. Il faut en outre, sur ce point,
rappeler qu’a été décidée au niveau interministériel, en mars dernier, la
mise en place d’un observatoire national des dérogations individuelles,
dont la direction des Archives de France assurera la gestion. Quel que
soit le ministère qui statue (Culture, Affaires étrangères, Défense),
quel que soit le service instructeur, toutes les demandes de dérogations

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Les archives de France aujourd’hui 15

y seront comptabilisées. Cet outil statistique, qui fonctionnera dans les


mois qui viennent, permettra, de par son caractère exhaustif, non
seulement d’améliorer la connaissance de l’ensemble des dérogations
traitées et de renforcer la cohérence des décisions prises, mais aussi de
mettre à la disposition du public des informations statistiques sur
l’accès aux archives par dérogation.
En ce qui concerne enfin le cadre législatif, il convient de souligner
en premier lieu que dans ses dispositions relatives à la transparence
administrative, la loi du 12 avril 20002 a prévu à son article 7 que la
CADA est chargée de veiller au respect de la liberté d’accès aux
archives publiques introduisant ainsi une voie de recours administratif
en cas de refus ; en second lieu que les dispositions préparées sur les
délais de communicabilité qui devraient être reprises dans un projet de
loi global sur les archives marquent une profonde évolution, sinon une
révolution de l’approche du sujet ; d’abord en posant le principe de la
communicabilité immédiate de plein droit des archives ; ensuite, en
réduisant les délais prévus dans le cas d’exception.
Je voudrais toutefois compléter mon propos en disant que cette
politique d’ouverture et de transparence ne peut être menée sans mûre
réflexion, sans appréciation du délicat équilibre entre élargissement de
l’accès aux archives et légitime protection de la vie privée et des intérêts
individuels, sans tension contradictoire même, dans le cas de la conser-
vation des fichiers informatiques concernant des données personnelles,
entre, d’un côté, le devoir de préservation et le droit à savoir des géné-
rations futures et, de l’autre, le devoir d’oubli et le droit à l’oubli des
personnes en cause. Cette problématique sur « transparence et secret »
n’a pas fini d’être traitée : elle fit l’objet en 1999 d’un excellent colloque
organisé par l’Association des archivistes français (CAAF) ; elle était,
il y a tout juste quelques semaines, au cœur d’une journée d’études orga-
nisée par l’Institut français des sciences administratives sur « L’État et
le secret » ; elle a enfin été remarquablement traitée par Annette
Wieviorka dans la revue Le Débat, il y a un an, sous l’angle « Entre
transparence et oubli ».
L’appréciation difficile, délicate, qu’il convient de porter est à
l’image du travail exigeant et de plus en plus multiforme de l’archiviste,
dont je voudrais maintenant dire quelques mots en partant de la superbe
définition que Paul Ricœur donne de l’archive dans son ouvrage
L’Histoire, la Mémoire, l’Oubli : « Le moment de l’archive, c’est le
moment de l’entrée en écriture de l’opération historique. Le témoignage
est originairement oral ; il est écouté, entendu. L’archive est écriture ;
elle est lue, consultée. Aux archives l’historien de métier est lecteur. »

2. Voir ce document reproduit en fin de volume dans l’annexe « Documents


juridiques relatifs aux archives publiques ».

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16 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Cette magnifique formule garde toute sa valeur, je crois, y compris à


l’heure des archives électroniques, car même médiatisée la rupture que
constitue l’archive dans le trajet de continuité du témoignage, la lecture
qu’elle permet, subsisteront. Il en résulte clairement que l’archiviste est
triplement indispensable à l’historien, en ce qu’il conserve les archives
passées, en ce qu’il collecte les fonds présents constituant ainsi les
archives futures, en ce qu’il met à disposition les uns et les autres. Il en
ressort moins clairement le champ vaste et complexe de l’archivistique :
à la fois théorique et scientifique avec les règles de classement, de
description, de conservation, technique avec la conservation physique
des documents d’archives, la construction des bâtiments d’archives,
l’usage des technologies, des plus anciennes jusqu’aux plus récentes,
mais aussi de gestion administrative et de fonctionnement. Sur ces trois
points, quelles que soient les archives en cause, plus ou moins sensibles,
les mêmes règles sont mises en œuvre. Si ce n’est que, dans certains cas,
je pense en particulier aux fichiers et dossiers d’AJ 38, la charge émotion-
nelle de ces fonds, leur importance historique comme témoignage écrit
de l’indicible, comme trace incontestable de l’horreur, font que l’archi-
viste se sent investi d’une responsabilité encore plus grande en matière
de présentation et de mise à disposition de classements et d’instruments
de recherche. Aux Archives nationales, citons à titre d’exemple :
– le Guide des sources de la Seconde Guerre mondiale conservées en
France réalisé par la section contemporaine (Mme Bonazzi) en colla-
boration avec l’IHTP, 1994 ;
– l’Inventaire des archives du Commissariat aux questions juives du
Service de restitution (AJ 38), 1998 ;
– La France et la Belgique sous l’Occupation allemande (1940-1944)
– Les fonds allemands conservés au Centre historique des Archives
nationales, 2002 ;
– l’inventaire des papiers du général de Gaulle et de la France libre, à
paraître en 2003 ;
– l’inventaire des archives de la police, à paraître en 2003.
Dans les services départementaux, instruction avait été donnée de
classer ces fonds en priorité. Il s’ensuivit, non seulement la publication
de nombreux guides, mais aussi l’organisation de quelques expositions,
comme celle remarquable montée par les Archives départementales des
Bouches-du-Rhône sur les camps. Plus pratiquement enfin, des efforts
ont été faits pour mieux accueillir le nouveau public intéressé par ces
archives, qu’il s’agisse des chercheurs ou des descendants des victimes.
Ainsi est désormais affectée au sein de la Section du XXe siècle du
Centre historique des Archives nationales (CHAN) une personne
chargée d’assurer un suivi personnalisé des courriers individuels ou à
caractère historique relatifs aux fichiers juifs et aux archives du CGQJ.
Je ne voudrais pas terminer ces propos sur le travail de l’archiviste
sans insister sur le fait qu’il est en cours de profonde évolution, car les

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Les archives de France aujourd’hui 17

archives elles-mêmes évoluent avec l’homme, la société et le monde.


D’où leur multiplication, leur diversification avec les nouvelles archi-
ves – archives orales, audiovisuelles, informatiques –, l’identification,
désormais unanimement admise, de trois âges des archives. L’archi-
viste a dû s’adapter et devra continuer à le faire, déplaçant vers l’amont
son domaine d’intervention, poussé en cela à la fois par l’émergence des
archives électroniques et la nécessité d’assurer dans les meilleures
conditions le passage de l’âge administratif à l’âge historique. Ses inter-
locuteurs sont désormais plus nombreux, mais plus étrangers parfois
aux archives. Au dialogue singulier et familier avec l’historien, le cher-
cheur, se sont ajoutées des conversations entrecroisées avec l’adminis-
tration, avec les techniciens les plus divers. L’archiviste doit se faire
alors pédagogue afin que chacun prenne conscience de ses responsabi-
lités envers les archives qu’il produit. Car les archives sont aussi outil
de l’administration, à la fois moyen et test d’une bonne administration :
efficace car elle a sa mémoire et sait l’utiliser ; démocratique car elle
permet l’accès à des documents d’archives dans le respect de l’équilibre
délicat entre exigence d’ouverture et nécessaire sauvegarde d’intérêts
légitimes de l’État comme des individus. Il faut s’en pénétrer : bien
administrer, c’est bien archiver. Bien archiver, c’est bien collecter, bien
conserver et assurer le meilleur accès qui soit. C’est notre rôle, notre
devoir mais les administrations, les producteurs d’archives, les déci-
deurs, doivent aussi en être persuadés. Archiver, ce n’est pas travailler
que pour l’avenir, pour d’autres. C’est travailler pour soi, pour le pré-
sent. Faire passer et entendre ces messages, voilà un des premiers axes
de la politique de la direction des Archives de France que je voudrais
maintenant évoquer en complément, en contrepoint peut-être de l’arti-
cle sur la politique actuelle des archives.

LA POLITIQUE DES ARCHIVES DE FRANCE

Philippe Bélaval voulait remettre les Archives dans la Cité, dans le cœur
du réseau. Je souhaite inscrire les Archives et les archivistes dans le
siècle, et le XXIe bien sûr. Si les formules diffèrent, la volonté est, je le
sais, la même. S’inscrire dans le siècle, et dans l’espace à la fois national
et international, exigeait d’abord à mes yeux une direction des Archives
de France forte.
D’où la réorganisation de celle-ci traduite par deux arrêtés du
25 mars 2002. L’objectif est de nous permettre de remplir au mieux
notre triple mission de tête de réseau, de direction interministérielle et
régalienne, de direction scientifique et culturelle, avec la mise en place
d’un département de l’innovation technologique et de la normalisation
(veille technologique) et celle d’un département des publics qui aura

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18 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

pour mission de définir notre politique en direction de nos différents


publics, en particulier celui des universitaires, des chercheurs (politique
scientifique), des jeunes (politique éducative et culturelle). Cela
suppose ensuite la reconnaissance de l’interministérialité des archives
et sa mise en œuvre.
Plusieurs actes vont déjà en ce sens : dans l’ordre chronologique :
– la circulaire du Premier ministre du 2 novembre 20013 relative aux
compétences respectives des administrations et de la direction des
Archives de France en matière de gestion des archives courantes et
intermédiaires, et le mandat confié à la direction des Archives de
France pour l’application et le suivi de cette circulaire ;
– la création du comité interministériel des archives par décret du
23 janvier 2002 ; ce n’est qu’un texte, mais un texte que l’on n’espé-
rait plus. Du travail a été fait, le grain a été semé ;
– la mission de conseil et d’expertise interministérielle reconnue à la
direction des Archives de France pour l’archivage des données électro-
niques produites par les administrations et, en particulier, leurs sites
Internet et intranet ; la réalisation du manuel pratique des archives élec-
troniques, l’organisation de journées internationales sur ce thème ;
– la préparation d’un projet de loi global sur les archives visant à actua-
liser la loi du 3 janvier 1979.
La reconnaissance, si longtemps attendue, a donc d’ores et déjà
commencé par les décideurs. Mais elle ne pourra pleinement s’affirmer
que si les moyens suivent. Je pense en particulier à quatre éléments :
– Le futur centre pour les Archives nationales : le principe en est ferme-
ment maintenu, le choix des sites est en cours. Il est absolument indis-
pensable, mais ne doit pas se faire au détriment et à l’exclusion du
reste.
– Un budget annuel remis à niveau, qu’il s’agisse des moyens en fonc-
tionnement ou en personnels, et cela sur une période suffisamment
longue.
– Une reconnaissance des archivistes, de leur métier et de leur fonction,
dans toute sa complexité, en vue d’une professionnalisation de la
gestion d’archives, partout où elle existe. La formation initiale ainsi
que continue est, à ce titre, essentielle. De même que les échanges
avec les autres métiers, historiens bien sûr en priorité, mais aussi
administrateurs, informaticiens, statisticiens. Le Conseil supérieur
des Archives nous offre à cet égard une enceinte idéale, en particulier
grâce à ses commissions spécialisées qui permettent de confronter les
points de vue, d’entendre des voix diverses, de croiser les spécialités.

3. Voir ce document reproduit en fin de volume dans l’annexe « Documents juri-


diques relatifs aux archives publiques ».

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Les archives de France aujourd’hui 19

Cinq commissions viennent d’être créées, consacrées à la sélection,


aux archives orales, aux archives notariales, aux archives scientifi-
ques et techniques ainsi qu’à la mise à disposition de nouveaux instru-
ments de recherche. J’en attends, comme le président du Conseil supé-
rieur des Archives, René Rémond, des résultats féconds et des
propositions.
– Une meilleure inscription et un rayonnement accru dans le domaine
international et en particulier européen. Philippe Bélaval m’avait
ouvert la voie en prenant la présidence de la branche européenne du
Conseil international des archives en 2000. Je lui ai succédé en 2001,
avec comme objectifs une meilleure connaissance réciproque des
différents membres de la branche, une information et des échanges
accrus. Appliqués à trois priorités : la sélection des archives, la forma-
tion, les données juridiques.
Dans le cadre de l’Union européenne ensuite, pour laquelle je
rappelle que la politique culturelle n’est pas une politique communau-
taire mais est évoquée par les traités. Plusieurs initiatives récentes vont
dans le sens d’un renforcement de la coordination. Dans le cadre inter-
national, nous accueillerons la Citra à Marseille en novembre 2002. En
outre, je souhaite organiser de façon périodique sur des thèmes d’actua-
lité des journées nationales et internationales à la fois : ce fut en 2001
les archives électroniques, ce sera en 2003 les bâtiments d’archives…
sans parler de la coopération bilatérale engagée ou renforcée avec diffé-
rents pays qui est aussi l’une de mes préoccupations.
Mon objectif est au total aussi simple qu’ambitieux : permettre aux
archives et aux archivistes de jouer pleinement leur rôle. Je crois en cela
désormais rencontrer l’attente de nos concitoyens qui ont commencé à
s’approprier les archives en tant que patrimoine, comprenant que les
trésors des chartes ont autant de valeur que les joyaux les plus précieux,
et les cathédrales de papier autant d’intérêt que celles de pierres ; en tant
aussi qu’élément plus proche et familier de leur histoire individuelle et
collective ; en tant parfois qu’élément de preuve en vue d’établir un
droit ou de réparer un préjudice. Je souhaite pouvoir compter, dans cette
vaste perspective, sur la mobilisation et le soutien des archivistes et des
historiens, comme ils se sont manifestés à propos de notre futur Centre.

Martine DE BOISDEFFRE

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La politique actuelle
des archives

La question des « archives sensibles », apparue publiquement en 1991


dans le contexte des rapports problématiques de la France avec son
passé de la Seconde Guerre mondiale, a révélé le problème posé par les
documents publics du pouvoir politique contemporain. Ceux-ci présen-
tent de forts caractères spécifiques. La réponse des autorités administra-
tives et politiques s’est située sur ce terrain du particulier. Cependant, si
ces archives posent de tels problèmes d’opinion publique, de position-
nement politique, de gestion archivistique, d’usages historiens – la
tenue d’une journée d’étude en témoignant –, la question qu’elles soulè-
vent ne peut être résolue par des solutions spécifiques et techniques. Le
développement de la question des « archives sensibles » s’inscrit dans
un processus de renoncement du Parlement et du gouvernement à sa
responsabilité en matière de politique générale des archives en France.
Le fondement de la crise des archives tient dans cette démission. Une
telle situation, qui s’est aggravée dans la décennie 1990, a fortement
contribué à l’extension du problème des « archives sensibles » et à
l’échec relatif des solutions spécifiques. Ni la loi qui permet de définir
juridiquement le statut et l’usage de ces documents, ni l’institution des
Archives nationales actuellement dépourvue de moyens de communica-
tion satisfaisants pour les fonds contemporains, ni le réseau archivis-
tique public, ne sont en mesure d’apporter une solution globale à la
question soulevée par les « archives sensibles », solution qui passerait
par une politique volontariste, ambitieuse et responsable conduite par le
politique lui-même et relayée par le personnel des archives enfin doté
d’une mission à la hauteur de ses compétences.
L’analyse de la question des « archives sensibles » souligne par
elle-même que seule la solution politique est capable de surmonter tout
à la fois ce problème spécifique et ce problème qui est général et posé à
l’ensemble de la nation. Les « archives sensibles » démontrent en effet
la dimension politique propre aux archives et donc la nécessité de
penser les mesures administratives sur ce sujet dans le cadre de la poli-
tique publique. Cette qualité n’est pas une découverte, mais l’intérêt
d’une prise en compte des « archives sensibles » est d’insister sur ce fait

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22 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

qui peut par ailleurs être facilement validé par l’histoire générale des
archives en France. Toute politique développée en direction de ce
secteur doit, en conséquence, assumer cette dimension politique, c’est-
à-dire reconnaître aux archives une place réelle dans la construction de
l’État, de la République et de la démocratie. À cette condition, la ques-
tion des « archives sensibles » trouvera une solution, de même que les
archives dans leur globalité apparaîtront comme un outil crédible du
progrès intellectuel, social et civique.
Les historiens possèdent une légitimité à intervenir sur cette double
question, n’en formant qu’une ici, des « archives sensibles » et de la
politique des archives. Au-delà du fait qu’en tant que citoyens, ils
s’interrogent légitimement sur l’action politique, ils disposent d’une
triple capacité à s’exprimer sur le sujet. Ils sont d’une part les usagers
principaux des archives publiques et privées (lorsque ces dernières sont
gérées par les institutions archivistiques publiques), sinon en nombre du
moins en valeur ajoutée. Ils mènent d’autre part pour certains d’entre
eux des travaux sur l’histoire politique de l’administration qui ont mis
en lumière l’importance pour l’État moderne de la fonction archives.
Enfin, ils constituent une pièce maîtresse dans le processus visant à
construire une politique scientifique dans les institutions archivistiques,
à la fois parce qu’ils peuvent former avec des archivistes soucieux de
recherche un pôle commun de modernisation de l’institution et de ses
pratiques, mais aussi parce qu’ils mènent désormais, également avec
des professionnels de la conservation, une réflexion sur l’usage des
sources et le sens de l’archivistique.

« ARCHIVES SENSIBLES » ET POLITIQUE DES ARCHIVES

Comment définir les « archives sensibles », objet de la table ronde orga-


nisée le 13 juin 2002 par le Centre d’histoire de l’Europe du XXe siècle
à l’Institut d’études politiques de Paris, à l’initiative de l’historien
Sébastien Laurent ? Un élément de définition est fourni d’emblée par
l’intitulé exhaustif de la rencontre qui porte d’une part sur « Archives
“secrètes”, secrets d’archives » et d’autre part sur « le travail de l’histo-
rien et de l’archiviste » sur lesdites « archives sensibles ». Celles-ci
apparaissent donc comme le produit du « secret des archives », ce
dernier découlant largement, mais pas seulement, des dispositifs de
restriction de la communicabilité des archives publiques.
Les limites à l’accès de la documentation publique ont été progres-
sivement fixées par la législation sur les archives dont l’évolution au
cours du XXe siècle a suivi deux directions intimement liées. Alors que
le décret du 12 janvier 1898 établissait un délai de cinquante ans avant
communication et limitait les dispositions particulières, les textes

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La politique actuelle des archives 23

ministériels successifs tendirent au contraire à distinguer des types


d’archives plus confidentielles que les autres et à leur imposer des délais
supérieurs de communicabilité1. La loi sur les archives du 3 janvier
1979 consacra cette évolution avec son article 7 et, particulièrement,
son paragraphe 5. Cette disposition stipule que « le délai au-delà duquel
les documents d’archives publiques peuvent être librement consultés est
porté à soixante ans à compter de la date de l’acte pour les documents
qui contiennent des informations mettant en cause la vie privée ou inté-
ressant la sûreté de l’État ou la défense nationale, et dont la liste est fixée
par décret en Conseil d’État ». La loi prévoyait certes des garde-fous, à
savoir d’une part une garantie de surveillance du juge administratif
suprême, d’autre part la vérification du contenu des documents avant
placement dans cette catégorie du délai des soixante ans, enfin la possi-
bilité tout à fait légale de déroger à cette règle par le dépôt d’une
demande individuelle ou par une décision de l’administration décidant
de « déclassifier » tel ou tel fonds ne présentant plus, aux yeux de l’auto-
rité responsable, de « risque de mise en cause de la vie privée ou
d’intérêt pour la sûreté de l’État ou la défense nationale ». Ce pouvoir
de déroger qui existe pour les autres délais de communicabilité – ceux-
ci apparaissant néanmoins comme moins sujets à discussion car direc-
tement reliés à des types d’archives clairement identifiables – et
l’ensemble des dispositions visant à maintenir un cadre libéral d’exer-
cice de la loi sur les archives ont été démentis par la pratique adminis-
trative elle-même encouragée par les décrets d’application de la loi en
date des 3 décembre 1979 et 1er décembre 1980. Ces textes ont en effet
considérablement réduit l’esprit libéral de la loi, non sans commettre un
acte d’illégalité au vu du texte, précisément, du paragraphe 5 de
l’article 7 précité. En agissant de la sorte, le gouvernement et la sphère
administrative ont révélé qu’il existait bien, de leur point de vue, des
« archives sensibles » qu’il fallait distinguer officiellement puis enca-
drer officieusement de la manière la plus stricte et la moins respectueuse
du droit public et de la souveraineté parlementaire. La loi, ses décrets,
sa pratique, ont donc construit la catégorie des « archives sensibles »
protégées le plus longtemps possible des regards les plus curieux.
Les chercheurs ont été gênés par ces dispositions, non pas tant que
les dérogations aient fait l’objet de refus importants2, mais des abus
furent observés dans la possibilité même de déposer de telles

1. Cette conclusion repose sur un travail que nous avons mené sur la législation
dans le cadre du séminaire de Jean-Jacques Becker à l’Université de Paris-X-Nanterre
et qui a été publié dans un dossier sur « Le secret en histoire » : « Secret, archives et
politique », Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 58, avril-juin 2000, p. 9-27.
2. La direction des Archives de France insiste régulièrement sur le pourcentage
extrêmement élevé des demandes de dérogation accordées, de même que les différents
gouvernements soulignent depuis 1995 l’importance des dérogations générales décidées
par les administrations versantes.

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24 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

demandes3, ou bien dans l’usage par trop extensif de la notion de la vie


privée là où elle n’aurait pas dû s’appliquer, dans le domaine de
l’action publique de l’État, particulièrement avec l’usage peu légal des
protocoles de versement des archives des hommes politiques titulaires
de fonctions officielles4. À partir de 1997, le Premier ministre Lionel
Jospin souhaita corriger ces dérives par le biais d’une série de circu-
laires publiées au Journal officiel. Elles portaient certes sur des
archives spécifiques se rapportant à des périodes ou des événements
précis, mais elles pouvaient prétendre aussi à une portée générale, en
tout cas pour l’ensemble des archives contemporaines. D’autres textes
comme la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec
les administrations du 12 avril 20005 ont eu pour mission de faciliter
l’accès de tous, et partant des chercheurs, à la documentation publique.
Les archives contemporaines soumises à restriction de communication
désignent assez clairement ce que l’on entend par archives dites
« sensibles », c’est-à-dire des documents placés dans un régime
d’interdiction et de dérogation. La loi de 1979 et ses décrets précisent
et détaillent ces fonds qui relèvent pour leur très grande majorité du
domaine politique au sens large. Du fait des difficultés d’accès, réelles
ou imaginaires, attribuées à ces archives, l’ensemble des archives
contemporaines du politique se trouva placé dans cette catégorie scan-
daleuse et sulfureuse des archives dites « sensibles », objet de
nombreuses polémiques parfois très infondées6.
En effet, ces archives ne furent pas seulement construites par la loi
et la pratique, mais aussi par une succession de polémiques toutes plus

3. Circulaire du Premier ministre en date du 2 octobre 1997. Cette circulaire porte


sur l’accès aux archives publiques de la période 1940-1945, mais ses recommandations
peuvent prétendre à une portée générale. Ce document est reproduit en annexes à la fin
du volume.
4. Les protocoles de versement conclus entre l’administration des archives et les
hommes politiques permettent concrètement de débloquer des situations délicates, mais
leur conformité avec la loi est loin d’être garantie. Ils enclenchent par ailleurs des phéno-
mènes de privatisation des archives publiques. La pratique des protocoles a été sévère-
ment jugée par Guy Braibant, le 5 novembre 2001. Elle ne rend que plus nécessaire la
refonte de la loi sur les archives. « Quant aux archives des hommes politiques, surtout
les principaux d’entre eux, elles sont régies par des contrats et des coutumes variables
qui sont peu en harmonie avec la loi de 1979, et en tout cas dépourvus de bases légales.
De telles situations ne sont pas conformes aux exigences d’un État de droit » (Guy BRAI-
BANT, in Les Français et leurs archives, actes du colloque au Conseil économique et
social, 5 novembre 2001, Paris, Fayard, 2002, p. 60). Voir dans ce volume les commu-
nications de Chistine Petillat et d’Hervé Lemoine.
5. Loi du 17 juillet 1978 dite « accès aux documents administratifs », modifiée par
les lois du 11 juillet 1979 et du 12 avril 2000, cette dernière relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations, textes que complètent les disposi-
tions des lois du 6 janvier 1978 (« relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés »).
6. Relativement aux procédures de dérogation notamment.

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La politique actuelle des archives 25

vives les unes que les autres. Sans aller dans le détail des affaires, il
convient de signaler le point de départ constitué par la découverte en
septembre 1991, au dépôt d’archives du secrétariat d’État aux Anciens
Combattants (Val-de-Fontenay), d’un ensemble de fichiers de la
Seconde Guerre mondiale et de la Libération connu sous l’expression
de « Le “Fichier juif” ». Le découvreur n’était autre que l’avocat et
historien Serge Klarsfeld. Il alerta les pouvoirs publics sur l’importance
d’un tel fonds, au mieux laissé en déshérence, au pire dissimulé pour ne
pas servir de preuve à la thèse de la complicité criminelle de l’adminis-
tration française à la solution finale7. Devant l’absence de réaction offi-
cielle, Serge Klarsfeld prit à témoin l’opinion publique du scandale de
la politique des archives relatives à cette période de l’histoire.
Commença alors une suite de mises en cause auxquelles répondirent
difficilement et maladroitement les pouvoirs publics. L’historienne
Sonia Combe, conservatrice à la Bibliothèque de documentation inter-
nationale contemporaine et spécialiste des pays de l’ex-bloc soviétique,
publia en 1994 un essai polémique sur les « Archives interdites » sous-
titré « Les peurs françaises face à l’Histoire contemporaine ».
Le gouvernement présidé à l’époque par Édouard Balladur réagit à
cette situation de grande tension sur le front des archives en nommant
une mission confiée au juriste Guy Braibant, président de section hono-
raire au Conseil d’État et par ailleurs fils d’un des plus importants direc-
teurs des Archives de France. Les archives contemporaines formaient
l’axe principal de la lettre de mission du Premier ministre qui soulignait
les exigences nouvelles liées à la production d’archives courantes et à
leur conservation. Surtout, Édouard Balladur demandait que « le régime
des restrictions d’accès auxquelles sont soumises certaines catégories de
document [soit] réexaminé8 » et qu’« une réflexion [soit] menée sur le
régime applicable aux archives des responsables politiques, en particu-
lier lorsqu’ils ont assumé des responsabilités gouvernementales, afin de
clarifier la distinction entre archives publiques et archives privées ».
Loin de se satisfaire de telles recommandations, Guy Braibant choisit
d’étendre son enquête à l’ensemble du dispositif archivistique français.
Son enquête et ses conclusions présentent une situation critique des

7. L’expertise d’un groupe d’historiens montra par la suite que ces documents
retrouvés à Val-de-Fontenay ne constituaient pas exclusivement le grand fichier de
l’arrestation et de la déportation des juifs du département de la Seine (Le « Fichier juif ».
Rapport de la commission présidée par René Rémond au Premier ministre, Paris, Plon,
1996, 233 p.).
8. Cette demande se fondait sur l’attendu suivant : « La loi de 1979 et ses textes
d’application ont édicté des règles qui tentaient de concilier l’impératif de transparence
des administrations avec le devoir de protection de la vie privée. Il faut s’assurer que
l’évolution des mentalités n’a pas eu pour effet de déplacer le point d’équilibre entre ces
deux exigences » (in Guy BRAIBANT, Les Archives en France. Rapport au Premier
ministre, Paris, La Documentation française, 1996, p. 3).

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26 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

archives en France. Salué comme de rigueur, son rapport ne donna lieu


à aucune réforme de fonds, ni sur le plan de la législation sur les archives,
ni sur celui de l’organisation des réseaux, ni sur celui de la formation
des producteurs d’archives, ni sur celui de la destination scientifique de
la documentation publique. Il put servir néanmoins de point d’attache
pour les circulaires qui, à partir de 1997, visèrent à répondre à telle ou
telle situation particulière des archives contemporaines, en d’autres ter-
mes à intervenir sur les « archives sensibles ». Si ces textes parurent rapi-
dement insuffisants, c’est en raison d’une erreur majeure commise sur
l’appréciation exacte de leur objet. De telles archives contemporaines
portant sur les périodes noires ou grises de l’histoire nationale récente,
ou se rattachant à des institutions qui se définissent dans une culture du
secret beaucoup plus que dans un rapport à la cité, ne forment que par-
tiellement des catégories distinctes des autres archives.
Les archives du contemporain peuvent éventuellement former des
fonds spéciaux impliquant des procédures et des analyses spécifiques,
requérant l’activité de services distincts comme c’est notamment le cas
avec la présence aux Archives nationales d’une section de conservateurs
pour les fonds du XXe siècle. Il serait ainsi possible d’agir sur ces métho-
des ou ces services afin d’améliorer le travail de l’historien et de l’archi-
viste confrontés aux « archives sensibles ». L’existence de nouveaux
cadres de classement, à l’échelon national comme départemental avec,
pour ce dernier, l’instauration en 1979 de la série W, tendrait à souligner
la spécificité des archives du contemporain et la validité des mesures par-
ticulières devant faciliter le travail de l’historien et de l’archiviste sur
les fonds sensibles. Dans la pratique, de nombreuses initiatives ont pu
faciliter un tel travail comme l’organisation de salles de lecture autono-
mes très prisées des chercheurs. Celle de la section du XXe siècle fut fer-
mée par décision du directeur des Archives de France, Alain Erlande-
Brandeburg, et les lecteurs furent invités à se déplacer au Centre
d’accueil et de recherche des Archives nationales (CARAN). À l’inverse,
ceux-ci ne purent plus bénéficier d’une disposition très efficiente qui per-
mettait de faire venir à Paris les documents conservés à Fontainebleau
au Centre des archives contemporaines (CAC). Ils durent, à partir de
1994, se déplacer physiquement vers un site très éloigné des principales
dessertes de transport en commun. En dépit du très bon accueil des per-
sonnels du CAC, ils ne purent, dans l’un et l’autre cas, qu’établir le cons-
tat d’une dégradation des conditions de travail de la recherche en histoire
et en sciences sociales. Mais cette dégradation est loin d’être le seul apa-
nage du centre de Fontainebleau. Le devenir actuel du CARAN, transféré
depuis novembre 2001 sur l’ancien site de la Bibliothèque nationale rue
Richelieu, est à cet égard particulièrement inquiétant. Et cette réalité ne
forme que la partie visible d’une crise profonde et durable, brutalement
révélée par la polémique relative aux archives de la déportation en 1991.
Devant cette situation qui légitime toutes les inquiétudes quant à
l’avenir même des archives en France, un choix a été fait, celui d’agir

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La politique actuelle des archives 27

sur les archives symptomatiques de la crise, précisément les « archives


sensibles » ou, par extension, les archives contemporaines. C’est ainsi
que la lettre de mission d’Édouard Balladur a porté exclusivement sur
cette catégorie d’archives. Son successeur, Alain Juppé, a reçu un
rapport qui s’intéressait à l’ensemble de la fonction archives en France
et aux données de son état de crise, les éléments relatifs aux « archives
sensibles » étant inscrits dans cette réflexion de nature générale. Lionel
Jospin, qui lui succéda en 1996, intervint à plusieurs reprises dans ce
domaine avec un indéniable volontarisme. Cependant, il limita son
champ d’action aux archives contemporaines, à leur versement, à leur
ouverture. La réforme de la législation sur les archives, rendue néces-
saire par suite de la trop grande distorsion entre la loi et ses décrets et
de l’urgence d’une discussion publique sur la politique des archives en
France, a été plusieurs fois promise mais jamais menée jusqu’à son
terme. À la place, il a été proposé des modifications portant sur les délais
de communicabilité, comme dans le projet de loi sur la « société de
l’information » présenté en Conseil des ministres le 13 juin 2001. Le
5 novembre 2001, ouvrant le colloque « Les Français et leurs
archives », Lionel Jospin s’est également prononcé en faveur de la cons-
truction d’un nouveau centre des Archives nationales dévolu à la
conservation et à la communication des fonds postérieurs à l’année
1790. Il adoptait ainsi, comme le président de la République qui adressa
un message de clôture des travaux du colloque, la position de l’associa-
tion « Une cité pour les Archives nationales » qui milite pour la cons-
truction d’un tel centre d’archives contemporaines, implanté de préfé-
rence dans Paris intra-muros. En rappelant néanmoins que ce projet
devait voir le jour « au sein d’un réseau des Archives nationales repensé
et réorganisé », en annonçant la création d’un Comité interministériel
des archives, en soulignant l’effort d’exigence et de normalisation des
versements des administrations de l’État concrétisé par la circulaire du
2 novembre 2001 relative à la gestion des archives dans les services et
établissements publics de l’État9, Lionel Jospin montrait qu’il existait
une autre voie d’action, une voie qui consistait à intervenir sur
l’ensemble du dispositif des archives en France et non pas sur le seul
aspect de la communication des archives très contemporaines.
Comme ses prédécesseurs, Lionel Jospin opta cependant pour une
politique spécifique qui visait à circonvenir les problèmes posés par les
« archives sensibles ». Ses initiatives répétées restent importantes. Elles
n’en furent pas moins insuffisantes car elles répondaient à une situation
mal comprise et mal pensée. Réagir aux tensions générées par la ques-
tion des « archives sensibles » peut témoigner d’un réel pragmatisme.
Mais un tel choix se révèle inopérant dans la mesure où le symptôme est

9. Voir ce document reproduit en fin de volume dans l’annexe « Documents juri-


diques relatifs aux archives publiques ».

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28 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

confondu avec la cause. Les « archives sensibles » ne constituent pas


une question autonome. Si elles font problème, c’est en raison de
l’impressionnant délabrement de la fonction archives en France. La
solution des problèmes qu’elles posent passe impérativement par
l’engagement dans une politique à l’échelle des archives françaises et
de ce qu’elles représentent. Les ajustements répétés auxquels on assiste
depuis près de dix ans ne peuvent prétendre résoudre des questions qui
plongent dans la crise des archives autant qu’elles la révèlent. Ils possè-
dent surtout la vertu d’autoriser à ne pas parler de crise, ou à la mini-
miser en la rapportant aux seuls aspects de délais de communicabilité
ou de nouveau centre comme si la question des « archives sensibles »
se tenait exclusivement là.
Il convient donc de reprendre le problème dans ses dimensions
véritables. La question des « archives sensibles » est d’abord le résultat
de la crise générale des archives en France. La transformation des condi-
tions de travail de l’historien et de l’archiviste sur les « archives
sensibles » dépend donc de la volonté et de la capacité à lancer une poli-
tique des archives en France, politique dont l’absence actuelle est proba-
blement le signe le plus alarmant de l’ampleur de cette crise. La
réflexion spécifique sur les « archives sensibles » n’est, cependant, pas
totalement vaine : leur problème résulte largement de la dimension poli-
tique de ces documents qui n’est pas assumée par l’autorité politique.
Se donner les « archives sensibles » comme objet d’étude, c’est ainsi
comprendre qu’un problème politique ne peut se résoudre que par un
investissement dans une politique publique, celle qu’attendent les
archives depuis de nombreuses années. Cette politique publique ne
servirait pas seulement à sortir un tel domaine de son marasme. Elle
représenterait un engagement conforme à ce que sont les archives en
France, un lieu de représentation du politique en démocratie. Le renon-
cement des autorités publiques à cette dimension constitue la raison
majeure de la crise des archives. Celle-ci constitue bien une défaillance
grave de l’État, des gouvernements et du Parlement, mais aussi une
faillite de l’intelligence publique, les archives étant ignorées de la presse
et des médias dans leur dimension politique et républicaine.
De ce qui précède, de cette trop rapide mise en place de l’objet
« archives sensibles »10, on peut formuler cinq conclusions préalables.
Les archives contemporaines sur lesquelles pèsent les dispositions
spéciales d’une législation elle-même de plus en plus complexe se carac-
térisent généralement par un régime élevé de conflictualité. Ces archives
sensibles pour les historiens, les archivistes ou les citoyens concernent
très largement la sphère du politique. Leur émergence comme question
publique a marqué le début d’une très grave crise des archives en France.

10. Nous renvoyons, pour des analyses plus complètes, à la bibliographie de cette
contribution, placée en fin de volume.

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La politique actuelle des archives 29

Elle est loin d’être révolue et elle n’épargne ni les institutions archivis-
tiques, ni les professions d’archivistes et d’historiens, ni la législation et
la réglementation, et ni l’autorité et la crédibilité de l’État, du Parlement
et des gouvernants en charge de cette fonction aussi bien administrative
que régalienne, culturelle qu’intellectuelle. Le travail de l’historien et
de l’archiviste sur les archives dites « sensibles » dépend donc fonda-
mentalement des caractères généraux de la politique des archives en
France, aujourd’hui caractérisée par un renoncement devant des respon-
sabilités nécessaires, renoncement qui forme le cœur de la crise actuelle.
Les « archives sensibles » sont donc loin de poser problème dans
leur seul contenu. Elles révèlent cette crise générale des archives en
France et elles désignent la voie par laquelle une sortie de crise peut être
réalisée : par un investissement politique en faveur d’une institution,
d’une fonction, d’une profession et d’une législation qui soient à la
hauteur des défis posés par la mémoire publique de la France, c’est-à-
dire par la France elle-même. Cette reconnaissance de la globalité de la
crise et cette volonté de redonner un avenir aux archives en France
n’excluent pas de pouvoir agir spécifiquement sur les « archives
sensibles ». Mais elles sont la condition indispensable de la réussite de
toute entreprise intellectuelle, professionnelle ou scientifique les
prenant comme objet d’étude. Cette conviction étayée par une observa-
tion attentive de la situation des archives en France explique la teneur
de l’analyse qui est proposée ici, en ouverture de cette rencontre portant
d’une part sur « Archives “secrètes”, secrets d’archives » et d’autre part
sur « le travail de l’historien et de l’archiviste » sur lesdites « archives
sensibles ». Ramener les « archives sensibles » dans le droit commun
de la politique générale des archives en France est, à terme, l’unique
solution pour parvenir à améliorer les conditions de travail de l’historien
et de l’archiviste sur ces fonds. Cela implique néanmoins que cette poli-
tique générale des archives existe, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
L’émergence brutale, sur la scène publique, de la question des
« archives sensibles » a conduit à formuler des réponses spécifiques,
apparemment adaptées au problème des « archives sensibles », mais en
réalité incapables de résoudre cette question parce que fermées à la
dimension globale des archives et de leur crise générale. Les logiques
juridiques et législatives visant à la parcellisation du droit sur les
archives, et les logiques institutionnelles conduisant à la balkanisation
des réseaux, ont justifié et amplifié les interventions restreintes au seul
cas des « archives sensibles ». L’échec de cette voie d’action est patent,
tant pour les « archives sensibles » qui continuent à poser problème (en
témoigne par exemple la manière dont sont négociés aujourd’hui les
versements des archives des hommes politiques ayant occupé des fonc-
tions publiques) que pour le monde des archives en France dont la situa-
tion critique n’est pas prise au sérieux. L’entrée éventuelle dans l’âge
de la politique des archives impliquerait donc de remettre les archives à
la fois au centre de la cité, comme le demandait avec insistance l’ancien

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30 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

directeur des Archives de France Philippe Bélaval, et aussi au cœur de


l’État et du gouvernement – État, cité, gouvernement formant ce que
nous entendons par politique.
Puisque les archives constituent une représentation du politique, il
convient en conséquence de penser une politique qui soit à la hauteur de
ce qu’elles représentent pour les personnes et la collectivité, pour la
République et pour la France. L’appel aux archives et aux historiens a
été lancé à plusieurs reprises par les pouvoirs publics confrontés à des
crises de la mémoire nationale. Ce fut le cas particulièrement à partir de
juin 200011 pour la guerre d’Algérie et l’émergence d’une nouvelle
question de la torture . On ne peut, en tant qu’historiens, que se féliciter
de cette invitation à travailler, et souligner l’évolution de responsables
politiques désireux qu’un travail de vérité se réalise en France sur le
passé. Mais il ne suffit pas de déclarer vouloir encourager l’accès aux
documents – souvent les plus délicats à exploiter – pour que cela se
réalise effectivement. Il faut qu’une politique cohérente et continue
donne aux archives et aux archivistes des moyens, des missions, des
ambitions. Or, le désintérêt public pour les archives12 est une constante
de la France au XXe siècle. Et cette démission se transforme en un véri-
table problème de gouvernement et de légitimité politique lorsqu’on en
appelle publiquement à la vertu des archives et des historiens, mais sans
agir, sans décider, sans réformer13. Pour autant, une politique pour les

11. Voir notamment les débats entre historiens et politiques au cours des mois de
mai et juin 2001.
12. François GIUSTINIANI [conservateur en mission au ministère de l’Intérieur] :
« Un secteur d’activité du ministère de la culture a été oublié dans votre compte rendu
sur le budget 2003 : celui des archives. […] La vision assez caricaturale de notre métier
(poussière, goût du secret), le peu de connaissance de la pratique professionnelle
contemporaine des archivistes (qui s’occupent de conserver les archives anciennes, mais
se préoccupent aussi de collecter les archives d’aujourd’hui, quel qu’en soit le support),
la taille modeste du budget du ministère qui est alloué aux archives contribuent sans
doute à cette faible visibilité […] », « Les archives et les archivistes », « Lettre », Le
Monde, 10 octobre 2002.
13. La relation du Premier ministre avec les « archives sensibles » de la guerre
d’Algérie ne fut pas toujours marquée par la plus grande clarté. Outre le fait que les
déclarations visant à favoriser l’accès des historiens aux fonds publics concernés ne
furent pas inscrites dans un plan général de modernisation du réseau archivistique
national – seule solution pour améliorer durablement la communication de telles
archives –, Lionel Jospin censura sa ministre de la Culture Catherine Trautmann lorsque
celle-ci, en octobre 1997, prit l’initiative de réagir aux controverses relatives à la mani-
festation du 17 octobre 1961. « Je pris la décision d’ouvrir l’accès aux archives de la
manifestation de travailleurs algériens, le 17 octobre 1961, et de sa dramatique répres-
sion, annonce qui me valut quelques heures plus tard, alors que je participais à l’inau-
guration de la Foire internationale du livre de Francfort, un coup de téléphone mémo-
rable de Lionel Jospin, cueilli à froid par mon initiative » (Catherine TRAUTMANN, Sans
détour, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 56-57). Le directeur de cabinet de la ministre
fit les frais de la colère du Premier ministre et fut remplacé quelque temps plus tard.

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La politique actuelle des archives 31

archives n’est pas une utopie. Elle procédera quoi qu’il arrive de
l’examen critique d’une décennie (1991-2002) marquée par l’absence
d’une politique des archives et l’émergence de la question des
« archives sensibles ». Le lien entre les deux phénomènes ne peut être,
alors, que tracé, que pensé.

LES ARCHIVES SANS POLITIQUE PUBLIQUE

Depuis 1991, on peut considérer sans trop de difficultés qu’il n’y a pas
de politique des archives en France, mais des décisions, parfois des
coups, qui ne procèdent d’aucune réflexion approfondie sur ce qu’est et
ce que devrait être le service des archives. Le début des polémiques sur
les « archives sensibles » est ainsi apparu dans une situation d’absence
de politique des archives alors même que la demande sociale de plus en
plus forte et des masses archivistiques de plus en plus imposantes solli-
citaient toujours plus des archivistes dépourvus de moyens et de consi-
dération. Les archives n’étaient cependant pas une priorité gouverne-
mentale pour deux raisons au moins. D’une part, elles ne l’avaient guère
été dans les deux dernières décennies comme l’avait rappelé le Livre
blanc de 1971, d’où une forme d’inertie seulement interrompue par les
avancées de la loi sur les archives et de la décentralisation et des nou-
veaux centres des Archives nationales. D’autre part, les archives ne cons-
tituèrent pas un lieu d’investissement pour le ministère de la Culture,
déçu depuis 1981 et surtout 1988 de n’avoir pas pu disposer du choix
du directeur des Archives de France. Selon nos informations, Jack Lang
avait pensé pouvoir rénover cette direction comme il avait voulu le faire
pour toutes celles qui relevaient de son ministère. En 1981 et en 1988,
des hypothèses sérieuses avaient été formulées sur la succession de Jean
Favier, mais son maintien rue des Francs-Bourgeois semble avoir été
acquis depuis l’Élysée. En partie désavoué, le ministre de la Culture ne
fit pas des archives un axe majeur de son action. Une forte inertie
s’installa de part et d’autre de la sphère administrative et politique, entraî-
nant le secteur des archives publiques dans une profonde léthargie qui
contrastait avec les dix premières années de la direction de Jean Favier.
Très critiqués par Sonia Combe dans Archives interdites, mais aussi
dans d’autres articles et publications nées des premières polémiques sur
les « archives sensibles », Jean Favier et les Archives de France qu’il
dirigea jusqu’en fin 1994 se trouvèrent fortement contestés, situation
qui entraîna la constitution de la mission confiée à Guy Braibant. Ce
travail d’expertise menée par un magistrat incontesté, très bon connais-
seur du domaine et non dépourvu de convictions sur le devoir d’État et
la responsabilité du politique, suscita des espoirs certains. Le 28 mai
1996, Guy Braibant remit à Alain Juppé son rapport sur les archives en

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32 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

France. Établissant l’existence d’une crise inquiétante, il procédait à une


série de recommandations susceptibles de donner ou de redonner aux
archives la place qui devait être la leur dans la société. Le rapport préco-
nisait notamment une réforme complète de la loi sur les archives, un
renforcement décisif des institutions afin de mettre fin à la balkanisation
du réseau et à la rétention des documents publics dans les administra-
tions versantes, ainsi qu’une véritable pédagogie des archives à tous les
niveaux de l’État et du politique. L’analyse était juste parce que, préci-
sément, politique. Le rapport n’eut aucune suite. À l’époque, le gouver-
nement d’Alain Juppé envisageait au contraire de supprimer la direction
des Archives de France dans le cadre de la réforme de l’État. Le projet
de nouveau centre des archives de la Ve République, décidé le
20 septembre 1994, défendu par le successeur de Jean Favier à la tête
des Archives de France, qui était certes contesté mais qui proposait un
début de solution à l’éparpillement des fonds entre la Défense, les
Affaires étrangères et les Archives nationales, pour ne parler que des
situations de stricte légalité14, ne fut pas soutenu. Le ministère de la
Défense finit par renoncer le 15 décembre 1997, affaiblissant encore
davantage un projet déjà condamné de fait, d’autant qu’il émanait du
gouvernement d’Édouard Balladur. Le problème était qu’aucune solu-
tion de substitution n’avait été envisagée et qu’il n’a jamais été
démontré que la Maison de la mémoire de la Ve République était une
impasse.
L’investissement du gouvernement de Lionel Jospin laissa penser
qu’une ère de progrès avait commencé pour les archives en France. La
circulaire du 2 octobre 199715, publiée alors que s’ouvrait le procès de
Maurice Papon, pouvait constituer le signe d’un engagement fort. À la
suite de la démission imposée à Alain Erlande-Brandeburg par la
ministre de la Culture Catherine Trautmann, celle-ci nomma à la tête des
Archives de France un conseiller d’État ayant prouvé ses qualités
d’administrateur de grandes institutions culturelles. Il rédigea en trois
mois un rapport sur la situation des Archives nationales qui faisait de
leur redressement « un impératif national ». La valeur de ce rapport
tenait dans ce qu’il associait un constat lucide du présent à une ambition
élevée pour l’avenir. La crise des archives n’apparaissait plus comme
une fatalité. Philippe Bélaval plaida pour une vigoureuse réaction, écri-
vant que « c’est toute une stratégie de progrès qu’il faut mettre en
œuvre », et rappelant que « la détermination de la stratégie d’une grande
institution publique comme les Archives nationales n’incombe pas au
seul directeur des Archives de France : elle relève naturellement du

14. Sur les phénomènes de balkanisation du réseau archivistique national, cf. Guy
BRAIBANT, Les Archives en France, op. cit., p. 85 et suiv.
15. Voir ce document reproduit en fin de volume dans l’annexe « Documents
juridiques relatifs aux archives publiques ».

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La politique actuelle des archives 33

Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, et ne peut que s’enrichir


de la consultation des usagers, partenaires et des personnels de
l’institution ».
Le rapport « Pour une stratégie d’avenir des Archives nationales »
rejoignait en grande partie les conclusions émises par Guy Braibant. Il
posait aussi la responsabilité directe du politique pour les Archives
nationales, institution de référence de l’ensemble du réseau archivis-
tique français, en évoquant l’absence de « tout volontarisme » que
doublait le tragique manque de moyens. On est renvoyé, à nouveau, à
ce que pourrait représenter une politique des archives en termes de
volonté précisément, de cohérence et de moyens. Pour paraphraser une
célèbre expression symbolisant l’État modernisateur, il y avait bien
pour les archives, avec Philippe Bélaval en tout cas, l’« ardente obliga-
tion d’une politique ». Or, ce qui qualifie ce rapport et le distingue des
précédents, c’est qu’il émanait cette fois de la première autorité capable
d’action en ce domaine. Cette occasion fut manquée parce que ni le
gouvernement ni les deux ministres de la Culture qui se succédèrent
entre juillet 1998 et avril 2002 ne se décidèrent à soutenir le directeur
des Archives de France au-delà d’engagements verbaux répétés sur la
nécessité de réformer la loi ou de construire une Cité pour les Archives
nationales comme cela était défendu dans le rapport de Philippe
Bélaval. Deux ans après la remise de son rapport, Philippe Bélaval déci-
dait de demander le retour dans son corps d’origine. Catherine Tasca
délégua son directeur de cabinet à la cérémonie de départ du directeur
des Archives de France. Martine de Boisdeffre, conseiller d’État, fut
nommée à sa succession. Elle héritait d’une situation d’autant plus
critique que l’indifférence du politique pour les archives apparaissait
complète. En effet, aucun des dossiers auxquels s’était attelé Philippe
Bélaval n’avait progressé, en dépit de promesses réitérées. Les avant-
projets de nouvelle loi sur les archives restaient lettre morte tandis que
la décision de construction d’un nouveau centre des Archives nationales
était sans cesse renvoyée au lendemain. Un grand article du Monde n’y
changea rien16. Cette situation, qui révélait le niveau de déresponsabilité
politique du gouvernement sur cette question, avait aussi amplifié la
crise de légitimité et d’autorité de la direction des Archives de France.
Une mobilisation d’archivistes publics soutenus par des historiens
de renom se réalisa au même moment, débouchant sur la création d’une
association qui milita pour la construction du nouveau centre d’archives
contemporaines, « une cité pour les Archives nationales » comme en
avait exprimé la nécessité Philippe Bélaval. Mais, à la différence de la
démonstration de ce dernier, cette « cité » devait représenter pour
l’association la réponse définitive à la crise des archives, ainsi que le

16. Emmanuel DE ROUX, « La rénovation des Archives nationales n’a toujours pas
commencé », Le Monde, 3 mars 2000.

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34 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

soulignait le texte de la pétition signée par plus de deux mille archivistes


et usagers des archives. Cette vision à courte vue, qui écartait une
lecture critique de la crise des archives, qui passait sous silence le
double problème de l’absence de politique des archives au gouverne-
ment et de renoncement à la loi, n’en constitua pas moins un événement
dans la mesure où un mouvement collectif se réalisait autour des
archives. Cette initiative fut relayée par un important dossier de la revue
Le Débat dont l’article principal, dû à l’ancien directeur Philippe
Bélaval, réitérait cependant le principe de l’impératif d’action politique
pour les archives. L’association prépara une vaste rencontre sur le
thème des « Français et leurs archives » qui eut donc lieu le 5 novembre
2000 au Conseil économique et social. Les organisateurs réussirent à
convaincre de nombreuses personnalités politiques d’y participer, et la
venue du Premier ministre lui-même, accompagnée de sa ministre de la
Culture, autorisa à nouveau tous les espoirs. On souligna l’événement
que représentait l’engagement du chef du gouvernement, situation quasi
inédite pour les archives depuis vingt ans.
La déclaration de Lionel Jospin affirma l’engagement du gouver-
nement pour les archives, « un bien commun à l’ensemble de nos conci-
toyens. À ce bien commun, le Gouvernement consacre une politique
moderne et ambitieuse17 ». Lionel Jospin détailla ensuite les initiatives
présentes et à venir qui prouvaient l’engagement gouvernemental.
Quatre points principaux furent défendus comme autant de preuves de
cet investissement. Le Premier ministre insista sur l’importance du
projet de loi sur la société de l’information et sur ses dispositions du
chapitre III qui proposaient un raccourcissement des délais de commu-
nicabilité des archives. Lionel Jospin exprima également sa volonté
d’imposer le versement complet des archives publiques, y compris des
archives politiques, tout en acceptant que, pour ces dernières, « un
fondement juridique à la pratique des protocoles conclu entre l’adminis-
tration des archives et les autorités politiques » puisse être donné. Il
annonça à cet effet la publication de la circulaire du 2 novembre 2001
relative à la gestion des archives dans les services et établissements
publics de l’État. Le troisième axe consista dans sa pleine adhésion au
projet de « cité pour les Archives nationales » dont le suivi était confié
à la directrice des Archives de France, Martine de Boisdeffre, promue
au même moment à la tête du secrétariat permanent du nouveau Comité
interministériel des archives de France. Cette création annoncée le
5 novembre représentait en effet le dernier axe, l’axe le plus décisif, de
l’engagement du gouvernement. Pour la première fois de son histoire,

17. Discours de Lionel Jospin, Premier ministre, lors du Colloque « Les Français
et leurs archives », Conseil économique et social, le 5 novembre 2001. Ce texte était
disponible sur le site Web de l’hôtel Matignon jusqu’en avril 2002 (www.premier-
ministre.gouv.fr) et dans Les Français et leurs archives, op. cit.

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La politique actuelle des archives 35

l’institution des archives publiques en France allait faire l’objet d’une


prise en compte et d’une prise en charge par l’ensemble des ministères
sous l’autorité du Premier ministre, chef du gouvernement et des admi-
nistrations de l’État.
La solution du Comité interministériel était d’autant plus adéquate
qu’elle pouvait permettre de répondre efficacement à trois des faiblesses
structurelles des archives en France : les lacunes de versement, particu-
lièrement prononcées pour les archives dites politiques dont celles des
cabinets ministériels, l’éclatement du réseau archivistique national
confronté à l’indépendance archivistique de ministères ou d’institutions
centrales de plus en plus nombreux18, l’absence enfin de politique
publique pour les archives, celle-ci se réduisant au mieux à des initia-
tives ponctuelles, peu nombreuses et sans lendemain19, et à des déci-
sions de type réglementaire comme les trains de dérogations générales
accordées au gré des gouvernements ou des ministères. Le gouverne-
ment se donnait, avec le Comité interministériel pour les archives, un
instrument de premier plan susceptible d’agir comme l’avait été en son
temps, pour la recherche scientifique et technique, le Comité intermi-
nistériel institué en novembre 1958. Tout allait dépendre cependant de
la détermination du Premier ministre présidant ce nouveau Comité et de
son secrétaire général également directeur des Archives de France. Or,
cette détermination ne fut pas au rendez-vous.
Un décret du Premier ministre du 23 janvier 2002 porta création de
ce Comité. Il rappela ses missions et en donna la composition. « Ce
Comité définit les orientations générales de la politique de l’État en
matière de collecte, de conservation, de communication et de mise en
valeur des archives. Il veille à la coordination de l’action des départe-
ments ministériels en ce domaine », est-il établi dans l’article premier,
qui montre l’ambition d’un tel dispositif puisqu’il y aurait non seule-
ment la possibilité d’une direction effective du gouvernement sur les
archives publiques mais aussi celle d’une politique scientifique dirigée
vers les archives comme l’indique la volonté de « mise en œuvre ».
Mais cette double possibilité de réforme fut affectée par la suite du
décret, dans la mesure où la composition du Comité ne faisait apparaître
ni le ministère de l’Éducation nationale ni celui de la Recherche. Deux

18. Au cours du débat qui a suivi la première session de cette journée d’étude, le
professeur Jean-Marc Delaunay, membre de l’Association des professeurs d’histoire et
de géographie, a souligné avec indignation l’état d’exception dont bénéficiait le minis-
tère de l’Économie et des Finances avec son centre des archives économiques et finan-
cières de Savigny-le-Temple. Ce n’est qu’un cas parmi d’autres. Nous renvoyons
notamment aux Archives en France, op. cit., de Guy Braibant.
19. Elles n’en furent pas moins sans signification, à l’image de l’inauguration du
Centre des archives du monde du travail à Roubaix en 1993.

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36 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

ministères décisifs pour la politique des archives étaient donc écartés de


l’instance gouvernementale. Avec leur disparition, c’était notamment le
principe même d’une politique scientifique qui était condamnée, ces
deux ministères développant de nombreux centres où se réalise un archi-
vage des données publiques et disposant de moyens intellectuels capa-
bles de penser la « mise en valeur » des archives. Au-delà, on ne pouvait
que s’étonner de voir les deux ministères les plus représentatifs des
usagers des archives20 être ignorés pour des raisons qui n’ont jamais été
rendues publiques mais qui engagent fortement la responsabilité du
Premier ministre et de ses services, du ministère de la Culture principal
bénéficiaire de ces manœuvres d’écartement et de la direction des
Archives de France qui n’a pas émis de réserves publiques sur cette
affaire21.
Le sentiment d’effet d’annonce émanant du discours du Premier
ministre se renforça avec une double décision, ou non-décision, prise
après le 22 janvier 2002, à savoir le choix de ne pas réunir le Comité
interministériel en janvier 2002 contrairement aux engagements du
5 novembre 200122, et le report de la présentation du projet de loi sur la
société de l’information23. La ministre de la Culture – qui n’avait pas,
pendant le colloque du 5 novembre 2001, répondu sur le fond à Guy
Braibant récusant la tendance, pour les archives, « à réglementer les
droits de l’homme par de simples circulaires dont la légalité peut être
contestée à tout moment » –, fut contrainte de reconnaître que même le

20. Il faut ajouter que le ministère de l’Éducation nationale a dirigé les Archives
de France et les Archives nationales jusqu’au 9 janvier 1959, date de formation du
premier gouvernement de la Ve République et du passage de la tutelle au ministère des
Affaires culturelles (André Malraux).
21. Au cours du débat qui a suivi la première session de la journée d’étude, on nous
a signalé que les chercheurs ne devaient pas obligatoirement s’intéresser aussi précisé-
ment aux textes réglementaires sur les archives. Nous pensons au contraire que c’est par
leur étude, en parallèle à celle des autres données de la politique des archives, que l’on
parviendra à une connaissance précise de sujets fréquemment polémiques comme celui
des archives en France. De manière générale, la maîtrise de la documentation adminis-
trative et juridique est indispensable à toute recherche en histoire, particulièrement
lorsqu’elle porte sur le très contemporain où manquent d’autres dimensions documen-
taires. Le fait qu’un tel recours aux lois, décrets et règlements n’apparaisse pas comme
une priorité dénote l’un des problèmes structurels inhérents au sujet des archives en
France, celui de la méconnaissance et du désintérêt dont elles sont affectées. Précisons
enfin, pour être complet sur la question, qu’aucun décret correctif à celui du 23 janvier
2002 ne fut publié au Journal officiel, preuve que la mise à l’écart des deux ministères
n’était pas accidentelle mais bien intentionnelle.
22. « Ce Comité se tiendra une fois par an sous la présidence du Premier ministre.
Je le réunirai dès le mois de janvier 2002 » (discours de Lionel Jospin, art. cit., et Les
Français et leurs archives, op. cit., p. 20).
23. Cf. « L’État a un devoir scientifique et moral », entretien avec Catherine Tasca
recueilli par Béatrice Vallaeys et Vincent Noce, Libération, 26 novembre 2001.

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La politique actuelle des archives 37

dispositif minimal imaginé par le Premier ministre ne verrait pas le jour,


en tout cas pas devant l’actuelle législature24. De la même manière, le
nouveau centre pour les archives contemporaines centrales, qui devra
« voir le jour, au sein d’un réseau des Archives nationales repensé et
réorganisé » selon les termes du discours de Lionel Jospin le 5 novembre
2001, accusa d’emblée un retard important puisque le Comité intermi-
nistériel, partie prenante dans le processus de conception et d’élabora-
tion, ne fut pas réuni. Un peu en catastrophe semble-t-il eu égard aux
échéances électorales qui se rapprochaient, le ministère de la Culture
rendit public le 4 avril 2002 un communiqué dit « Décisions importantes
relatives aux archives » parmi lesquelles figurait la liste des cinq sites
retenus pour l’implantation du futur centre25. Depuis – et jusqu’au
29 octobre 2002, date de l’annonce des premières décisions du nouveau
ministre de la Culture en matière de « stratégie immobilière »26 –, aucun
progrès n’a été enregistré sur ce dossier. En tout cas, rien n’a été rendu
public par le nouveau gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Le
communiqué du 4 avril 2002 annonçait également que la direction des
Archives de France était chargée « d’élaborer un projet de loi sur les
archives. Le texte complétera les dispositions relatives aux délais de
communication actuellement prévus par le projet de loi sur la société de
l’information »27. On ne peut que souligner ici l’extraordinaire confu-
sion que pourraient engendrer de telles dispositions. Il y aurait en
conséquence, si l’on suit bien le communiqué, une loi relative aux délais
de communicabilité dans la loi sur la société de l’information et une autre
loi relative cette fois aux archives28. Comment par ailleurs donner crédit
à de telles déclarations alors que celles, nombreuses, qui ont annoncé
des engagements en la matière n’ont jamais été suivies d’effets ?
Catherine Tasca fut probablement plus heureuse avec le « nouveau
Conseil supérieur des archives » dont elle avait annoncé la constitution
le 5 novembre 2001 en déclarant qu’il serait présidé par René Rémond,
déjà président de l’ancien Conseil. Néanmoins, une étude précise de la
mise en œuvre des décisions, et de la teneur même des décisions, montre
que la réussite du Conseil supérieur des archives (CSA) est sujette à
discussion. L’arrêté (du 31 octobre 2001) portant nomination des
« onze personnalités qualifiées nommées pour trois ans par le ministre

24. Ibid.
25. Ministère de la Culture, « Décisions importantes relatives aux archives »,
4 avril 2002. Le communiqué était présent sur le site officiel du ministère :
www.culture.gouv.fr/actualites/communiq/tasca2002/archives.
26. Voir plus bas.
27. Ibid.
28. Rappelons que, le 5 novembre 2001, Guy Braibant souligna l’état de
« désordre » de la législation sur les archives et la nécessité d’aller vers « une loi globale
sur les archives » (Les Français et leur archives, op. cit., p. 59-60).

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38 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

chargé de la culture en fonction de leur compétence en matière d’archi-


vistique, de conservation ou de recherche historique ou en fonction de
leur qualité d’utilisateurs d’archives »29 parut au Journal officiel le
4 novembre 2001. La présidence de René Rémond était confirmée, et
Guy Braibant devenait vice-président du CSA. L’une des surprises de
la composition du CSA vint de l’absence, parmi les onze personnalités
qualifiées, du représentant de l’Association des professeurs d’histoire et
de géographie alors que celui-ci était non seulement titulaire du précé-
dent CSA mais aussi, qualité bien plus légitimante, porte-parole d’un
groupe important et actif d’usagers des archives30. Par ailleurs, le renou-
vellement de la présidence de René Rémond s’inscrit certes dans un vœu
de continuité, mais elle ne tient pas compte des critiques portées dans le
rapport Braibant sur le fonctionnement de l’ancien CSA31. La nomina-
tion du président de la Fondation nationale des sciences politiques
découlerait davantage du rôle joué par ce dernier dans l’association
« Une cité pour les Archives nationales » dont il co-préside le comité
d’honneur avec l’historienne Georgette Elgey. La seconde ministre de
la Culture du gouvernement de Lionel Jospin manifesta globalement
peu d’intérêt pour les archives, à la différence de son investissement
pour d’autres attributions de son portefeuille. Les avancées réalisées sur
ce domaine par le Premier ministre lui laissaient, certes, une étroite
marge de manœuvre. Elle dut s’avancer sur des engagements qu’elle ne
fut pas en mesure de réaliser, comme le décisif dossier de la réforme de
la loi, régulièrement annoncée, jamais concrétisée32. Il devient néces-
saire de poser clairement la question de la justification du rattachement
des Archives de France au ministère de la Culture, et d’envisager sérieu-
sement un changement de tutelle. Le ministère de la Recherche, celui
de l’Éducation nationale, celui de la Justice, sont aujourd’hui beaucoup
plus légitimes que la rue de Valois qui ne se préoccupe des archives qu’à
partir du moment où un autre ministère s’émeut de la situation alarmante

29. Arrêté du 13 septembre 1999 modifiant l’arrêté du 21 janvier 1988 portant


création du Conseil supérieur des archives, article 3, § c (JO, 28 septembre 1999). Ce
document est reproduit en fin de volume.
30. L’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG) compte
10000 adhérents qui exercent leur activité dans l’enseignement secondaire et supérieur. À
ce titre, ils participent du mouvement de la recherche en histoire et géographie, soit statu-
tairement comme enseignants du supérieur, soit par goût, passion ou défi comme ensei-
gnants du secondaire. Ces derniers sont nombreux à fréquenter, à Paris et en province, les
salles de lecture des archives et à participer à l’accroissement du savoir scientifique. La
revue Historiens & géographes éditée par l’APHG témoigne de ce rôle et le soutient en
publiant de nombreux articles de recherche en parallèle à la réflexion pédagogique et
professionnelle. La rédaction a ouvert depuis 2001 une chronique sur les archives.
31. Guy BRAIBANT, Les Archives en France, op. cit., p. 118-119.
32. Catherine Tasca parlait ainsi, le 20 juin 2000 dans son discours de clôture du
Stage international des Archives, d’« un projet complet de réforme de la loi du 3 janvier
1979 ».

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La politique actuelle des archives 39

des Archives de France et entre dans le jeu d’une configuration par défi-
nition interministérielle33.
La tutelle n’est pas questionnée au regard de cette marginalisation
d’une institution nationale, administrative, patrimoniale et scientifique.
La direction des Archives de France a-t-elle su pour sa part tirer parti de
la nouvelle situation créée par l’engagement du pouvoir politique en
faveur des archives qu’attesta le colloque au Conseil économique et
social ? En dépit de la fragilité des décisions annoncées le 5 novembre
2001, puisque la plupart d’entre elles se révélèrent sans suite effective,
il est à noter qu’un espace d’action avait été ouvert par le gouvernement
de l’époque, espace susceptible d’être utilisé pour accroître la marge de
manœuvre de la direction des Archives de France et des Archives natio-
nales. On songe notamment au Comité interministériel des archives de
France. Martine de Boisdeffre fit avancer différents dossiers importants
dont elle avait la charge, à savoir d’une part le Conseil supérieur des
archives, d’autre part la réorganisation de la direction. Le CSA est placé
sous la responsabilité du directeur des Archives de France qui peut lui
soumettre toute question qu’il jugera légitime et qui assume la charge
de son secrétariat. Au cours de la séance d’ouverture du nouveau
Conseil, Martine de Boisdeffre déclara vouloir limiter les perspectives
de coordination avec le Conseil interministériel des archives dont elle
assumait également le secrétariat34. Elle envisagea seulement ce rappro-
chement en termes de versement des archives publiques. Les dimen-
sions relatives à la mise en valeur des fonds ne pouvaient, par exemple,
faire l’objet d’une articulation avec cette instance de politique générale.
Alors qu’une nouvelle donne avait semblé se mettre en place entre le
CSA nouvelle manière et le Comité interministériel, celle-ci ne fut
saisie ni par le pouvoir politique ni par le pouvoir administratif. La voie
choisie par les membres du CSA et la directrice des Archives de France
consista essentiellement dans la création de commissions spécialisées,
par ailleurs largement ouvertes à des personnalités extérieures35.

33. Cette analyse nous semble pouvoir expliquer la décision d’écarter le ministère
de la Recherche des membres titulaires du Comité interministériel des archives et du
groupe permanent chargé d’en préparer les délibérations. Il se trouve que le ministère
de la Recherche avait pris très au sérieux les annonces du Premier ministre du
5 novembre 2001 et avait formé un groupe de travail chargé de conseiller le ministre en
vue de la prochaine réunion du Comité interministériel. Ce dynamisme a-t-il inquiété
les « barons » de la Culture soucieux de conserver, quel qu’en soit le prix, cette direction
centrale ?
34. Selon nos informations. Un compte rendu de la première séance (21 janvier
2002) du nouveau CSA doit être rendu public et installé sur le site de la direction des
Archives de France (information transmise par Jean-François Canet, Bureau des affaires
générales et de la documentation de la DAF, 30 octobre 2002).
35. Elles sont au nombre de cinq : archives orales, archives notariales, archives
scientifiques et techniques, sélection des archives, instruments de recherche.

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02_Archsecr_CN Page 40 Mardi, 27. mai 2003 5:42 05

40 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Des précédents historiques, comme celui qui vit le secrétaire


général du Comité interministériel à la recherche scientifique et tech-
nique opter pour une voie extrêmement volontariste – elle devait débou-
cher en avril 1961 sur la création d’une Délégation générale du Premier
ministre –, ont montré qu’il était possible au pouvoir administratif
d’assumer un rôle décisif dans la construction d’une politique publique.
Cette opportunité ne fut pas saisie après le 5 novembre 2001 par la direc-
tion des Archives de France. Elle disposait pourtant, sur le papier tout
au moins, d’atouts importants pour lancer de l’intérieur une politique
globale des archives. À deux reprises au moins36, Martine de Boisdeffre
récusa les critiques qui avaient été portées sur la faiblesse de l’action
publique en matière d’archives et contesta même la situation probléma-
tique du réseau archivistique national sur lequel elle avait, en partie,
autorité. Elle affirma sa volonté d’avancer en dépit des difficultés et fit,
particulièrement le 13 juin 2002 en conclusion de la journée d’étude du
Centre d’histoire de l’Europe du XXe siècle, un tableau positif de l’action
de direction. Les dérogations individuelles accordées aux chercheurs
constituaient de son point de vue un légitime motif de satisfaction,
doublé de l’importance que revêtait la réorganisation de la direction
permise par l’arrêté du ministère de la Culture du 25 mars 2002.
Pris individuellement, ces faits qui ont été largement valorisés dans
les conclusions de la directrice des Archives de France possèdent une
légitimité certaine. Le système des dérogations individuelles fonctionne
bien, et les délais d’instruction des demandes sont devenus très corrects.
En parallèle, le système des dérogations générales a été dynamisé par
les circulaires du Premier ministre en 1997 et 2001. La réorganisation
de la direction des Archives de France, longtemps attendue, représente
aussi une étape, notamment dans la perspective qui a été offerte de
nommer à des postes stratégiques des personnalités de valeur. Ces avan-
cées ne pourront néanmoins acquérir une force réelle et traduire une
véritable politique des archives en France qu’à condition qu’elles soient
portées par une volonté publique, administrative autant que politique.
Cela implique comme préalable de refuser tout discours irénique sur la
prospérité des archives en France et la priorité qu’en ferait le gouverne-
ment de la République. Il incombe à la direction des Archives de France
de parler un langage de vérité, dans la lignée des rapports de Guy Brai-
bant et de Philippe Bélaval qui avaient établi l’ampleur des difficultés

36. Le 19 mars 2002, au Centre historique des Archives nationales, au cours de la


table ronde consacrée à la présentation de l’inventaire des archives présidentielles de
Vincent Auriol. Le 13 juin 2002, au Centre d’histoire de l’Europe du XXe siècle, pour
les conclusions de la journée d’étude dont les actes sont publiés ici.

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La politique actuelle des archives 41

et posé des solutions ambitieuses37. À celle condition seule, l’autorité


administrative trouvera les soutiens intellectuels qui lui manque, et qui
ne lui ont pas toujours fait défaut38. Il incombe à l’autorité politique, les
parlementaires, les ministres, le Premier ministre et le chef de l’État de
prendre la mesure d’une crise excessivement grave. Elle n’affecte pas
seulement un patrimoine, une mémoire, des savoirs, ou même cet outil
majeur de la documentation publique, de la recherche scientifique, du
rayonnement national que représentent les archives. Elle touche la poli-
tique elle-même, l’État et la démocratie, c’est-à-dire la capacité de la
République à se doter d’une histoire, d’un avenir et d’une morale à
travers cette volonté rare, qui traverse les âges, de témoigner des souf-
frances et des espérances d’un peuple.

37. Ce langage de vérité passe par des choix volontaires en matière d’information
du public et des lecteurs. La direction des Archives de France communique peu, contrai-
rement à ce qu’avaient choisi de faire Philippe Bélaval et Alain Erlande-Brandenburg.
Ce dernier avait notamment créé un bon outil d’information sous la forme d’un Bulletin
des Archives de France qui a été poursuivi par son successeur. Le dernier numéro paru,
le 19, daté de décembre 2000, a publié la lettre de départ de Philippe Bélaval. La Lettre
des archivistes, publiée par l’Association des archivistes français, comble une partie de
ce déficit d’information publique qui étonne de nombreux historiens français et étran-
gers, livrés à eux-mêmes et à une incertaine quête d’informations. Aussi devons-nous
saluer l’initiative de la directrice du Centre historique des Archives nationales (CHAN),
Marie-Paule Arnauld, qui a adressé à tous les lecteurs du CARAN un long courrier
explicatif des difficultés de son centre (s.d. [octobre 2002], 8 p.). Dans la mesure où « le
CARAN ne pourra pas être rouvert au public avant le début de l’année 2005 », la direc-
tion du CHAN indique par ce courrier que « jusqu’à la fin des travaux à l’hôtel de
Rohan, dont l’achèvement est prévu fin 2003, la communication des documents conti-
nuera à être assurée dans la salle Labrouste de la Bibliothèque nationale, rue Richelieu.
Ensuite, la salle de lecture sera transférée sur le site du Centre historique des Archives
nationales, essentiellement à l’hôtel de Soubise, où l’on essaiera d’offrir un nombre de
places suffisant aux chercheurs pour éviter de trop longs délais de réservation ».
38. Le chef de l’Inspection générale des Archives de France, Gérard Ermisse, a
évoqué publiquement, lors des journées d’étude de l’EHESS (« Archives des sciences
sociales, sciences sociales de l’archive ») et du CHEVS, deux projets, des « Entretiens
des archives » sur le modèle des « Entretiens du patrimoine » et une haute autorité des
archives sur le modèle du CSA de l’audiovisuel, projets sur lesquels les historiens pour-
raient parfaitement se retrouver parce qu’ils recoupent cette problématique que nous
défendons de la modernisation des archives en France par la construction d’un pouvoir
intellectuel, scientifique et professionnel. Les archives et les archivistes publics effec-
tuent des tâches scientifiques de premier plan, comme l’atteste par exemple une série
d’inventaires très réussis. Mais cette activité ne profite pas d’une priorité affichée
comme le montrent de nombreux signes, depuis l’absence d’un comité scientifique des
publications des Archives de France jusqu’aux liens très distendus de la direction avec
les principales universités et établissements de recherche (sur ce point, des progrès ont
été enregistrés depuis 2000).

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42 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

CONCLUSION

De cette volonté, de cette responsabilité, de cette lucidité, on se situe


très loin aujourd’hui. En dépit de l’autosatisfaction affichée par les
responsables politiques et administratifs, la situation des archives en
France est devenue extrêmement préoccupante. La mobilisation de
Lionel Jospin sur la question des archives a suscité de réels espoirs.
L’absence de transformation effective des décisions les plus politi-
ques, comme l’institution du Comité interministériel ou la réforme de
la loi – même dans son format minimal –, a jeté le doute sur la sincé-
rité ou l’efficacité de ses engagements. Ce constat doit être certes
corrigé pour ce qui concerne l’effet des circulaires dont il a pris
l’initiative, sur les archives publiques de la période 1940-1945
(3 octobre 1997), sur les archives publiques en relation avec la guerre
d’Algérie (13 avril 2001), sur la gestion des archives dans les services
et établissements publics de l’État (2 novembre 2001). De l’avis des
conservateurs d’archives présents à la journée d’étude du Centre
d’histoire de l’Europe du XXe siècle, ce dernier texte a rendu possible
des versements plus importants et plus complets que d’usage émanant
du gouvernement démissionnaire en avril et mai 200239.
Mais les choix fondamentaux n’ont pas été pris, n’ont pas été posés,
si bien que le monde public des archives a vécu en 2002 un « grand bond
en arrière ». Le plus inquiétant consiste dans le manquement à la parole
donnée. Responsables politiques de droite et de gauche s’étaient solen-
nellement engagés pour les archives en novembre 2001. Le renonce-
ment, dès janvier 2002 et sur toute cette année, des promesses faites, est
très grave, à la fois pour les archives de France et leur politique, mais
aussi pour l’image même du politique en France alors que la crise de
confiance dans la démocratie a atteint des sommets comme en témoi-
gnèrent les résultats du premier tour de l’élection présidentielle et le haut
niveau d’abstention des électeurs français. Compte tenu de ce qui a été
dit précédemment sur l’obligation de penser la politique des archives
pour résoudre la question des « archives sensibles », il est nécessaire
d’observer la poursuite des engagements politiques en la matière.
Des trois dossiers qui ont suscité en novembre 2001 l’intervention
du Premier ministre et l’adhésion du président de la République, aucun
n’a progressé. La situation s’est même très dégradée.
Le nouveau centre des archives contemporaines a été le champ des
promesses dénoncées et des projets avortés, depuis l’échec de la Cité
interministérielle des archives en 1978 jusqu’au renoncement à la

39. Cela a été particulièrement souligné par François Giustiniani dans une inter-
vention au cours des débats.

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La politique actuelle des archives 43

Maison de la mémoire de la Ve République, projet contestable et


contesté mais qui avait au moins, au mitan des années 1990, le mérite
d’être un projet pensé et défendu par ses initiateurs. Après le colloque
du 5 novembre 2001 au cours duquel et le Premier ministre et le prési-
dent de la République se sont engagés, la perspective de nouveau centre
n’est pas apparue de première importance, ni pour l’ancien gouverne-
ment qui diffusa in extremis le communiqué du 4 avril 2002, ni pour le
nouveau gouvernement qui attendit le 29 octobre pour indiquer ses
choix en la matière. Précédant cette communication de Jean-Jacques
Aillagon, l’association « Une cité pour les Archives nationales » a lancé
une nouvelle pétition demandant que la décision se fasse désormais en
faveur d’un site parisien40. L’association relevait, à la veille de la
rencontre qu’elle organisait le 7 novembre 2002, qu’« aucun site n’est
encore choisi41 ». Elle a souligné aussi l’aggravation inquiétante des
conditions de travail au Centre historique des Archives nationales à
Paris42. Cette situation ubuesque a été au centre des discussions de la
séance inaugurale de l’association des usagers des Archives nationales
le 14 janvier 2003. L’avenir du nouveau centre pour les archives
contemporaines passera indiscutablement par la réforme en profondeur
du Centre historique des Archives nationales.

40. Pétition de relance du projet « Une cité pour les Archives nationales »,
septembre 2002. Ce texte intitulé « Une cité des Archives nationales au cœur de Paris »
prend position en faveur de l’implantation du nouveau centre sur le site de Bercy qui
faisait partie des possibilités retenues par le communiqué de la ministre de la Culture du
4 avril 2002. L’association indique que « la construction de la cité des archives sur ce
terrain représente une opportunité exceptionnelle. C’est la seule solution qui garantisse
à tous, citoyens français et chercheurs étrangers, l’accès effectif aux Archives natio-
nales, tout en permettant à celles-ci de tenir leur rôle de centre de recherche et de diffu-
sion culturelle et de collecter les documents aujourd’hui produits par les administra-
tions, demain source de notre histoire. […] Ce projet est une chance pour Paris. C’est
une chance pour la France » (source : christiane.demeulenaere@culture.gouv.fr ou
www.membres.lycos.fr/citearchives).
41. « Pour une cité idéale », rencontre « sous le haut patronage de Monsieur
Jacques Chirac Président de la République », 7 novembre 2002, Paris, salle Louis-Liard
(Sorbonne). Présentation et invitation. Depuis, le ministre de la Culture et de la Commu-
nication a annoncé ses choix en matière de « stratégie immobilière du ministère de la
Culture et de la Communication » au cours de son allocution du 29 octobre 2002. Le
ministre de la Culture et de la Communication a opté pour le site de Fontainebleau. Voir,
plus bas dans le texte principal, le commentaire que nous en faisons.
42. « Les très graves difficultés que connaissent, depuis longtemps déjà, les Archi-
ves nationales se trouvent encore accrues par des dysfonctionnements de tous ordres, le
plus manifeste étant la fermeture, jusqu’en 2005, des salles de consultation des documents
(CARAN) et le transfert des activités de communication à l’extérieur du site historique. »
La communication, sur ce sujet des responsables de la direction des Archives de France
et des Archives nationales, est pour le moins réduite, c’est-à-dire en l’état inexistante.
Des informations sur la situation du bâtiment du CARAN ont été communiquées par la
CFDT Archives (cfdt.archives@culture.gouv.fr, communiqué du 3 avril 2002).

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44 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Le réseau archivistique français, dont la tête est précisément occu-


pée par les Archives nationales, voit sa parcellisation, son émiettement et
sa tendance au démantèlement s’accroître de manière de plus en plus
inquiétante. Ce fait est essentiellement dû à l’indifférence du pouvoir
politique et à la carence des autorités compétentes face aux prétentions de
ministères, de grandes cours ou d’institutions centrales à reprendre ou à
conserver le contrôle sur les archives produites. Les gouvernements ont
multiplié pendant la décennie 1990 des promesses et des engagements
qui n’ont pas été suivis d’effets et dont la principale fonction aura été de
détourner les critiques et de calmer les polémiques. Aucun progrès n’a
été réalisé dans la reconstitution d’un réseau cohérent et structuré, inter-
ministériel et gouverné. Les tendances irrédentistes des ministères ont
été renforcées. La seule satisfaction dans ce marasme dont personne ou
presque n’a conscience tient dans le dynamisme de dépôts départemen-
taux ou municipaux d’archives gouvernés par des équipes motivées et
ambitieuses43, par la très bonne tenue intellectuelle et scientifique de
sites nationaux comme le Centre des archives du monde du travail de
Roubaix ou le Centre des archives d’outre-mer d’Aix-en-Provence, et la
vive impulsion donnée à la politique archivistique par les bibliothèques
qui conservent elles aussi de nombreux fonds d’archives (privées) 44.
La législation sur les archives est toujours caractérisée par le désor-
dre, la confusion, voire l’illégalité pour certaines dispositions des décrets
d’application de la loi de 1979 ou les protocoles mis en œuvre pour la
collecte des archives des hommes politiques. La réforme de la loi a fait
l’objet de nombreuses promesses qui n’ont jamais été tenues. En conclu-
sion du colloque sur « Archives “secrètes”, secrètes d’archives ? », la
directrice des Archives de France a annoncé que le nouveau gouverne-
ment s’était engagé dans la voie de la réforme de la loi. Rien dans l’infor-
mation, la documentation ou la communication publiques ne permet
aujourd’hui de confirmer cette annonce.
En revanche, un arrêt du Conseil d’État en date du 18 octobre 2002 (lu
en séance publique le 25 octobre 2002) suscite les plus vives inquiétudes
de la part de ceux qui font l’effort nécessaire d’analyser la législation et les
textes réglementaires sur les archives. Le plus grave a probablement été
atteint ce jour-là puisque le Conseil d’État a accepté de facto que les archi-
ves du Conseil constitutionnel sortent du droit commun défini par la loi, en

43. Pour exemple, les Archives départementales d’Alpes de Haute-Provence


(Digne) ou les Archives municipales de Lyon.
44. Pour exemples : la Bibliothèque de documentation internationale contempo-
raine (BDIC), la bibliothèque nationale de France (département des manuscrits), la
bibliothèque de l’École normale supérieure (rue d’Ulm), le centre Raymond-Aron
(École des hautes études en sciences sociales), la bibliothèque Méjanes (Cité du livre
d’Aix-en-Provence), institutions auxquelles il faut ajouter l’Institut Mémoires de
l’édition contemporaine qui réalise un travail considérable sur la plan de la réflexion
archivistique et de son articulation avec la recherche en sciences sociales.

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La politique actuelle des archives 45

se déclarant incompétent sur la question du transfert de statut de ses archi-


ves. L’arrêt du 18 octobre 2002 rejette en effet la requête d’un particulier
qui contestait le règlement intérieur que le Conseil constitutionnel s’était
donné le 27 juin 2001, règlement qui a eu pour conséquence de soustraire
ses archives au droit commun défini par l’actuelle loi de 1979. Le Conseil
d’État a considéré dans son arrêt « que, par le règlement attaqué, le Conseil
constitutionnel a entendu définir un régime particulier pour l’accès à
l’ensemble de ses archives ; qu’eu égard à cet objet, qui n’est pas disso-
ciable des conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel exerce les
missions qui lui sont confiées par la Constitution, ce règlement ne revêt
pas le caractère d’un acte administratif dont la juridiction administrative
serait compétente à connaître ». Ce considérant tend à indiquer que les tex-
tes relatifs aux archives pour certaines institutions publiques ne relève-
raient pas du droit public. Cette appréciation du juge administratif
suprême relatif aux archives du Conseil constitutionnel est d’autant plus
surprenante quand on sait que la loi sur les archives de 1979 a été rendue
précisément possible par la Constitution en ce qu’elle a déterminé que les
domaines de la loi comportent en particulier les garanties fondamentales
pour l’exercice des libertés publiques. Comme l’a rappelé le président de
section honoraire au Conseil d’État Guy Braibant, c’est la constitution
elle-même qui a permis d’établir une loi générale sur les archives en
France « parce qu’elle a fixé les domaines de la loi et du règlement, que le
premier comporte en particulier les garanties fondamentales pour l’exer-
cice des libertés publiques et les archives se rattachent à ces libertés et,
d’une façon plus générale, aux droits des citoyens45 ».
On ne peut donc qu’être très étonné, voire scandalisé, par la déci-
sion du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001 et de l’arrêt du Conseil
d’État confirmant cette décision. Le juge administratif a, de toute évi-
dence, voulu préserver ses bonnes relations avec son illustre voisine du
Palais-Royal. Mais la décision du Conseil d’État est susceptible de
conséquences gravissimes puisqu’elle autorise le démantèlement légal
au plus haut niveau du réseau archivistique national en autorisant telle
ou telle institution publique à, non seulement conserver ses archives,
mais de surcroît à les « privatiser » en quelque sorte, comme l’a déjà fait
la préfecture de Police avec ses archives puisqu’elle ne respecte pas la
loi de 197946. À une balkanisation institutionnelle et matérielle se conju-
gue donc désormais un nouveau processus de balkanisation, cette fois
juridique et réglementaire, totalement préjudiciable à l’avenir même des
Archives de France. En l’état actuel de nos informations, la direction
n’est pas intervenue, ou elle ne l’a pas fait savoir publiquement. Cet
arrêt d’octobre 2002 entraîne des conséquences considérables pour la

45. Guy BRAIBANT, « Bilan critique des lois d’archives en France », in Mémoire et
histoire : les États européens face aux droits des citoyens du XXIe siècle, Paris, ICA/
DAF, 1998, p. 97.
46. Cf. Guy BRAIBANT, Les Archives en France, op. cit., p. 86.

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46 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

situation des archives en France, pour l’image de l’État dans la société


et pour la relation du politique à ses responsabilités fondamentales. Fait
rare, deux conseillers d’État ont réagi publiquement à cet arrêt47. Le
bien-fondé d’un débat public sur la question des archives ne peut d’ores
et déjà être contesté. Il appartient au gouvernement, au Parlement, de le
lancer sans chercher à le réduire à tel ou tel de ses aspects techniques
comme cela a été trop souvent le cas dans le passé. Les historiens des
archives et les chercheurs en archives ne manqueront pas de revenir sur
des textes comme celui de l’arrêt du 18 octobre 2002, convaincus – en
tout cas pour ce qui est de l’auteur de ses lignes – que la connaissance
précise de la documentation administrative et juridique sur la question
des archives est la condition absolue de sa bonne compréhension.
La sévérité du constat porté sur la politique des archives en France
pendant la décennie 1990 pourrait également être justifiée par les résul-
tats obtenus à l’échelle départementale, régionale ou municipale, fruits
d’une intelligente politique de décentralisation ou du volontarisme de
responsables locaux. Les réussites obtenues dans la valorisation des
archives privées ou la réflexion sur les archives orales pourraient de
même être mises au crédit de la politique des archives en France. On
notera cependant que de nombreuses initiatives développées hors des
institutions archivistiques nationales (à savoir la direction des Archives
de France et les ministères et institutions centrales officiellement ou offi-
cieusement autonomes sur un plan archivistique) ont pour origine
l’absence ou la faiblesse de la politique publique. L’exemple de l’Institut
Mémoire de l’édition contemporaine est à cet égard très démonstratif 48.
On aurait pu penser que le nouveau gouvernement aurait eu à cœur
d’aller plus loin que ne l’avait fait le précédent dont le bilan en la matière
se résumerait à une situation de douloureuse occasion manquée. Le
contraire s’est produit. La première conférence de presse de Jean-
Jacques Aillagon, le 4 juillet 2002, a établi les grandes priorités du
ministre de la Culture et de la Communication. Les archives y figurent
peu, et toujours à l’échelle de problèmes spécifiques, pas de politique
générale. Parmi la « série de missions sur des sujets qui [lui apparais-
saient] prioritaires, voire urgents », les archives sont absentes, elles ne
sont pas comprises non plus dans les « dix premières propositions et
orientations ». Elles n’auront par ailleurs guère de place ni d’identité
dans la future restructuration des programmes et des politiques du minis-
tère autour de cinq grands axes, « les patrimoines, la création et l’inno-
vation, la diffusion, les industries culturelles, l’action internationale ».
Les archives, qui ne sont pas seulement patrimoine, qui sont aussi inter-

47. Francis Donnat et Didier Casas, AJDA, n° 21, 2002, pp. 1332-1337, note de
jurisprudence. La direction des Archives de France aurait pu réagir elle aussi à un arrêt
qui handicape fortement son pouvoir et limite considérablement la portée de la loi.
48. Le Collège de France a déposé en 2002 ses prestigieux fonds privés à l’IMEC.

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02_Archsecr_CN Page 47 Mardi, 27. mai 2003 5:42 05

La politique actuelle des archives 47

ministérialité et recherche, doivent changer de tutelle ministérielle. Les


archives existent essentiellement sous forme d’enjeux immobiliers et
institutionnels. Elles furent présentes à ce titre dans la deuxième des
propositions et orientations du 4 juillet 200249, la situation du Centre
historique des Archives nationales concentrant l’essentiel du propos 50.
Concernant le volet législatif, Martine de Boisdeffre a annoncé dans
ses conclusions du 13 juin 2002 que le nouveau cabinet avait demandé
à la direction des Archives de France de travailler à la réforme de la loi
de 1979. Le 29 octobre 2002, après cinq mois de réflexion, le gouver-
nement par la voix de Jean-Jacques Aillagon a détaillé ses intentions en
matière de politique culturelle. Le résultat est très décevant pour les
archives. Le site de Fontainebleau comme emplacement du futur centre
des archives contemporaines semble avoir désormais les préférences de
l’autorité politique de décision51. Certes, Jean-Jacques Aillagon laisse

49. « Je distinguerai sommairement des projets à forte unité – Grand Palais, Cité
des archives, grande salle de concert – et des projets qui constituent en eux-mêmes des
regroupements d’entités distinctes, voire disparates : maison du cinéma au 51, rue de
Bercy, Cité de l’architecture et du patrimoine, Institut national de l’histoire de l’art,
Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille. Les premiers
projets posent essentiellement un problème de financement. Je n’ai personnellement pas
de doute sur leur bien-fondé » (Jean-Jacques Aillagon, conférence de presse, ministère
de la Culture et de la Communication, 4 juillet 2002).
50. « La situation du Centre historique des archives nationales appelle une atten-
tion prioritaire, qui lui a trop fait défaut jusqu’à présent. Il faut que les archives natio-
nales retrouvent de la place, des moyens humains et financiers pour collecter, pour
conserver et pour servir les chercheurs. Je suis profondément favorable à un geste
d’envergure que pourrait être une nouvelle Cité des archives, mais j’entends évaluer ce
projet, avec le directeur des archives de France, Martine de Boisdeffre, de la manière la
plus précise. Dans cet esprit, je commencerai très prochainement à visiter les sites pres-
sentis et les sites d’archives déjà existants comme Fontainebleau » (ibid.).
51. « Les estimations financières du projet de Cité des archives, que j’ai trouvées
à mon arrivée, sont, hors coût du foncier, de l’ordre de 175 M€, soit près de 1,15 milliard
de francs. J’ai eu la surprise de constater que cette enveloppe ne prévoyait pas cependant
la restauration du Centre historique des Archives, installé dans le Marais. Il me semble
qu’une équation plus raisonnable, demandant la moitié de cet investissement, peut et
doit être trouvée. Elle consiste à : dégager les moyens pour réhabiliter le centre historique,
renforcer le site de Fontainebleau, dont les installations existantes sont fonctionnelles et
de qualité, sauf à trouver un site nouveau en région parisienne qui présenterait les mêmes
avantages. Je demande à Martine de Boisdeffre, Directrice des archives de France, de
reprendre le projet dans le respect de ces principes » (« Allocution de Jean-Jacques Ailla-
gon sur la stratégie immobilière du ministère de la Culture et de la Communication »,
29 octobre 2002, site www.culture.gouv.fr). L’étonnement de Jean-Jacques Aillagon sur
l’absence de financements prévus pour la réhabilitation du Centre historique est aussi le
nôtre puisque Philippe Bélaval, dans son rapport de 1998, avait intégré cette réhabilita-
tion dans ses estimations (voir « Pour une stratégie d’avenir des Archives nationales.
Rapport à la ministre de la Culture et de la Communication », précédé de Vincent
DUCLERT, « Les historiens et les archives. Introduction à la publication du rapport de
Philippe Bélaval sur les Archives nationales », Genèses, no 36, septembre 1999, p. 161).

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48 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

la porte ouverte à d’autres choix, mais il s’agit plus de rhétorique que


de réalité, la suite de l’allocution le montrant sans ambiguïté52. Cette
décision constitue un net retour en arrière et une conception bien réduite
de la réalisation des engagements ambitieux pris par Jacques Chirac
dans son message du 5 novembre 2001. L’option Fontainebleau ne figu-
rait plus ainsi dans la liste des cinq emplacements choisis à la suite de
« travaux interministériels » et rendus publics par Catherine Tasca dans
son communiqué du 4 avril 200253. La solution de Fontainebleau avait
été aussi clairement écartée par Philippe Bélaval, dans son rapport de
1998, pour ses contraintes et ses défauts54. Elle est également très éloi-
gnée aussi des attentes affichées par l’association « Une cité pour les
Archives nationales », organisatrice du colloque du 5 novembre 2001 55.
Après de longs délais pour aboutir à une décision, celle-ci ressemble bel
et bien à un marché de dupes56. Marginalisées dans la « stratégie
immobilière » du ministère, les archives ne constituent pas non plus une
préoccupation majeure dans la politique culturelle affichée par le
ministre sur le site officiel de la rue de Valois57. A-t-il été suffisamment
averti de l’ampleur de la crise affectant l’un de ses domaines d’action,
a-t-il lui-même pris la mesure de ses responsabilités en matière de poli-
tique des archives en France ? Il ne s’agit pas d’accabler ici une direc-
trice des Archives de France ou un ministre de la Culture, mais de souli-
gner la continuité dans les processus de démission du pouvoir politique

52. Jean-Jacques Aillagon n’écarte pas une autre implantation en région pari-
sienne. Mais l’ensemble des documents rendus publics montre bien que Fontainebleau
constitue bien l’implantation du futur centre pour les archives contemporaines, prévu à
l’horizon 2007-2008. La fiche technique qui accompagne l’allocution du ministre se
termine par une unique projection sur la solution Fontainebleau, et inclut ce
développement : « Le ministre confirme la nécessité de réaliser le centre des Archives
sur la base des orientations du rapport Belaval. Cependant à ce jour, le projet le plus
raisonnable paraît être de :
– dégager les moyens pour réhabiliter le site historique du Marais ;
– de renforcer le site de Fontainebleau, dont les installations existantes sont
fonctionnelles ; ou de trouver un site nouveau en région parisienne qui présente les
mêmes qualités » (annexes, ibid.).
53. « Deux seulement sont encore d’actualité, à Paris, près de la porte de Bercy
dans le XIIe arrondissement (propriété de la SNCF-RFF) et en Seine-Saint-Denis, à
Saint-Denis université (propriété de la CDC). Le coût de ce projet est estimé à 175 M
d’euros (1148 MF), hors foncier » (annexes, ibid.).
54. Philippe BÉLAVAL, « Pour une stratégie d’avenir des Archives nationales.
Rapport à la ministre de la Culture et de la Communication », op. cit., p. 149 et 160.
55. Cf. Les Français et leurs archives, op. cit.
56. Dans cette hypothèse, la seule solution, pour aider les lecteurs, c’est-à-dire
pour favoriser l’accès démocratique aux archives et soutenir la recherche scientifique,
serait de revenir au système des navettes entre Fontainebleau et le CARAN – lorsque
celui-ci sera réouvert –, et de le moderniser en augmentant le nombre de rotations de
camions.
57. « Politique culturelle », www.culture.gouv.fr (consultation, 30 octobre 2002).

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La politique actuelle des archives 49

face à l’impératif des archives en France. Les responsabilités sont effec-


tivement là, rue des Francs-Bourgeois, rue de Valois, mais elles sont
aussi bien ailleurs, du côté des ministères et des grands établissements
qui profitent des difficultés de la direction des Archives de France pour
contourner la loi, du côté du Premier ministre qui seul a le pouvoir
d’imposer l’interministérialité à l’ensemble de son gouvernement ou de
donner une véritable autorité à « l’archiviste de la République », lointain
souvenir où le législateur de 1790 s’était donné les moyens d’une véri-
table ambition nationale et publique. Enfin, le président de la Répu-
blique, qui nomme le Premier ministre, doit exiger du gouvernement une
politique ambitieuse, conforme aux intérêts de la France, à la moderni-
sation de la vie publique et au rayonnement intellectuel du pays,
conforme aussi à ses propres engagements. Le message de Jacques
Chirac qui a conclu le colloque du 5 novembre 2001 faisait des archives
une priorité nationale58. Si les mots devaient finir par ne plus être que
le paravent des engagements jamais tenus, la démocratie en France serait
en danger. Ce risque, les archives le rappellent à l’autorité politique, au
serviteur de l’État et à l’opinion publique. Est-ce pour cette raison
qu’elles sont méprisées ?
Au-delà du manque cruel de moyens, de personnels et de projets,
le monde des archives souffre fondamentalement de l’indifférence du
politique et de l’absence de politique. Cette situation équivaut à une
démission au regard des missions assumées par les archivistes depuis la
création des Archives nationales et des Archives départementales. Le
XIXe siècle a institué la dimension politique des archives. Une telle
dimension est aujourd’hui méconnue des représentants de la nation et
des ministres de la République, alors même que la plupart d’entre eux
choisissent de confier à l’histoire des historiens un rôle primordial dans
la construction d’une mémoire publique de la nation. Mais il ne s’agit
pas seulement d’un intérêt bien compris. En abandonnant le monde des

58. « […] les archives constituent un élément intrinsèque de notre identité. Elles
montrent comment la Nation française s’est formée peu à peu, les relations qu’elle a
nouées avec les autres peuples et les communautés dont elle s’est progressivement enri-
chie. Elles révèlent l’évolution des mentalités, la conquête des libertés publiques et les
progrès de la démocratie. Elles témoignent de la longue route de l’idéal républicain.
Pour tous les Français, pour tous ceux qui, à travers le monde, s’identifient aux idéaux
dont la France est synonyme, les archives constituent un trésor irremplaçable. Elles sont
l’expression de l’histoire et de la mémoire d’une grande Nation. […] Pour toutes ces
raisons, la collecte, la conservation et la valorisation des archives constituent une obli-
gation absolue de l’État. Il lui appartient à ce titre, devant les évolutions majeures
auxquelles elles sont confrontées depuis vingt ans, de donner les impulsions nécessaires
à une relance de la politique des archives dans notre pays. Beaucoup a pu être fait par
le passé, notamment dans un fructueux partenariat entre l’État et les collectivités terri-
toriales qu’il faut poursuivre et enrichir. Mais l’État se doit d’assumer pleinement les
responsabilités qui lui reviennent », etc. (« Message du président de la République
Jacques Chirac », Les Français et leurs archives, op. cit., p. 162-163).

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50 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

archives à son sort d’institution marginale et malade, les milieux politi-


ques traduisent une conception de l’État, de la société, de l’histoire. En
raison de la valeur démocratique que revêtent les archives publiques et
leur organisation nationale, toute action menée sur ce domaine prend un
sens symbolique autant que politique59.
Depuis 1991, les différents gouvernements et quatre législatures
ont, par leur absence de politique des archives, amplifié une crise struc-
turelle qui prend désormais des proportions inquiétantes. La question
spécifique des « archives sensibles » s’est développée dans ce contexte.
Sa résolution, par des initiatives ponctuelles, a pu servir de paravent
pour masquer la situation des archives en France. Cette manière d’agir
se révèle aujourd’hui lourde de conséquences. Non seulement les
« archives sensibles » demeurent un problème non résolu, et pas près de
l’être, mais, de surcroît, la crise générale des archives s’est profondé-
ment accrue sans qu’aucune solution ne paraisse devoir être trouvée.
L’ampleur elle-même de la crise est ignorée ou niée, et cette cécité
forme probablement son degré ultime, sa marque définitive. Tant
qu’une action publique de grande envergure ne sera pas décidée pour
les archives en France, tant que celle-ci ne sera pas une priorité poli-
tique, administrative et intellectuelle, tant qu’elle ne fera pas l’objet
d’une information précise et permanente, tant qu’elle n’associera pas
l’ensemble des acteurs du monde des archives et de la recherche, la crise
perdurera et avec elle les conditions qui font que le travail des archi-
vistes et des historiens sur les archives, qu’elles soient secrètes ou non,
sensibles ou non, contemporaines ou non, deviendra tout simplement
impossible.

59. Nous renvoyons à l’article « Archives nationales » du Dictionnaire critique de


la République (Vincent DUCLERT et Christophe PROCHASSON, dir.), Paris, Flammarion,
2002, p. 640-646, dont une version augmentée doit paraître dans la Revue française
d’administration publique.

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La politique actuelle des archives 51

Chronologie indicative des textes, décisions et nominations


relatifs à la politique des archives en France (1948-2002)
1948-1959. Charles Braibant, directeur des Archives de France.
1952. Création des Missions des Archives nationales dans les ministères
(étendus aux grands établissements).
1959. Tutelle du nouveau ministère des Affaires culturelles (André Malraux)
sur la direction des Archives de France. André Chamson, directeur.
1962. Projet d’une Cité interministérielle des archives destinée à recevoir les
archives des ministères et des administrations centrales.
1969. Inauguration de la première phase de la Cité interministérielle des
archives à Fontainebleau.
1971. Livre blanc de l’Association des archivistes français.
1975. Jean Favier, directeur des Archives de France.
1978. La Cité interministérielle des archives disparaît au profit du Centre des
archives contemporaines (Fontainebleau). Lancement de l’État général
des fonds, puis des inventaires.
3 janvier 1979. Loi sur les archives en France.
3 décembre 1979. Décrets d’application de la loi sur les archives (décret relatif
à la compétence des services d’archives publics et à la coopération entre
les administrations pour la collecte, la conservation et la communication
des archives publiques ; décret relatif à la communicabilité des documents
d’archives publics ; décret relatif à la sauvegarde des archives privées
présentant du point de vue de l’Histoire un intérêt public ; décret relatif
aux archives de la défense).
1er décembre 1980. Décret d’application relatif aux archives du ministère des
Affaires étrangères.
12 mai 1981. Décret d’application relatif à l’organisation des secrets et des
informations concernant la défense nationale et la sûreté de l’État.
Certaines dispositions de ce texte apparaîtront en contradiction avec la loi
du 3 janvier 1979.
22 juillet 1983. Loi relative à la répartition des compétences entre les
communes, les départements, les régions et l’État (modifiée par les lois du
9 janvier 1986, du 19 août 1986 et du 28 novembre 1990).
28 juillet 1983. Décret relatif au contrôle scientifique et technique de l’État sur
les archives des collectivités territoriales.
1986. Début de la décentralisation effective des Archives départementales,
désormais financées par les Conseils généraux. La direction des Archives
de France exerce un contrôle scientifique (décret du 28 juillet 1988).
1987. Modernisation du Centre des archives d’outre-mer (Aix-en-Provence).
1988. Inauguration du Centre d’accueil et de recherches des Archives natio-
nales (Paris).
21 janvier 1988. Arrêté du ministère de la Culture portant création du Conseil
supérieur des archives (modifié par arrêté du 17 janvier 1990).

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52 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

10 mai 1988. Délibération de la Commission nationale Informatique et Liberté


portant adoption d’une recommandation sur la compatibilité entre les lois
du 6 janvier 1978 relatives à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et
la loi du 3 janvier 1979 sur les archives.
Septembre 1991. Découverte, par Serge Klarsfeld, de fichiers relatifs au
recensement des juifs du département de la Seine et de leur déportation
pendant la Seconde Guerre mondiale.
19 mars 1992. Lettre de mission du ministre de la Culture Jack Lang (gouver-
nement d’Édith Cresson) à René Rémond, président du Conseil supérieur
des archives, relative à l’expertise des « fichiers juifs ».
1993. Naissance du Centre des archives du monde du travail (Roubaix).
1994. Alain Erlande-Brandenburg succède à Jean Favier à la tête de la direction
des Archives de France.
8 avril 1994. Décision Jobez du Conseil d’État. Constat de l’illégalité de deux
dispositions du décret du 3 décembre 1979 relatif à la communicabilité
des documents d’archives publiques (délai des soixante ans).
20 septembre 1994. Décision du gouvernement d’implanter à Reims les
archives de la Ve République (projet commun ministère de la Culture/
ministère de la Défense).
1995. Création du Centre historique des Archives nationales (Paris) et nomina-
tion d’un directeur.
25 mars 1995. Lettre de mission du Premier ministre à Guy Braibant afin de
dresser le bilan de la loi sur les archives.
7 mai 1995. Élection de Jacques Chirac à la présidence de la République.
Philippe Douste-Blazy devient ministre de la Culture dans le gouverne-
ment d’Alain Juppé. Travaux du Commissariat à la réforme de l’État
visant à la fusion de la direction des Archives de France avec la direction
du Livre dans une nouvelle direction du Patrimoine écrit.
16 juillet 1995. Discours du « Vél’ d’Hiv » du président de la République.
Avril 1996. « Projet décennal de développement des Archives nationales du
Centre historique de Paris » (Jean-Marie Jenn).
28 mai 1996. Remise par Guy Braibant du rapport « Les archives en France »
au Premier ministre Alain Juppé.
12 juin 1996. Installation solennelle, par le ministre de la Culture, de la
Commission d’histoire des archives. Elle n’a jamais fonctionné.
26 août 1996. Sélection du projet Gaudin pour la Maison de la mémoire de la
Ve République à Reims.
1997. Ouverture du Centre des archives économiques et financières à Savigny-
sur-Orge (ministère de l’Économie et des Finances).
2 juin 1997. Nomination de Lionel Jospin comme Premier ministre. Catherine
Trautmann devient ministre de la Culture.
Septembre-novembre 1997. « Les archives contemporaines, un enjeu démocra-
tique ». Rapport de mission sur les centres d’archives contemporaines de
Paris, Fontainebleau et Reims par Marie-Paule Arnauld et Mireille Thibauld.

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La politique actuelle des archives 53

2 octobre 1997. Circulaire du Premier ministre relative à l’accès aux archives


publiques de la période 1940-1945.
8 octobre 1997. Début du procès de Maurice Papon devant la cour d’assises de
Bordeaux.
17 octobre 1997. Annonce par Catherine Trautmann de l’ouverture de l’accès
aux archives du 17 octobre 1961. Vive réaction hostile du Premier
ministre. Début de l’affaire Grand-Lainé.
15 décembre 1997. Retrait du ministère de la Défense du projet de Reims, qui
est ensuite suspendu pendant l’été par la ministre de la Culture.
1998. Rédaction d’avant-projets de loi successifs visant à réformer la loi sur les
archives.
7 juillet 1998. Démission d’Alain Erlande-Brandenburg en raison de la
défiance de la ministre de la Culture pour le projet de Reims (Maison de
la mémoire de la Ve République).
22-30 juillet 1998. Nomination et installation de Philippe Bélaval, ancien élève
de l’ENA, conseiller d’État, ancien directeur de l’Opéra de Paris et de la
Bibliothèque nationale de France comme nouveau directeur des Archives
de France.
Novembre 1998. Remise à la ministre de la Culture du rapport de Philippe
Bélaval, « Pour une stratégie d’avenir des Archives nationales ».
2 février 1999. Le rapport de Philippe Bélaval est rendu public.
5 mai 1999. Communiqué de presse du Premier ministre relatif à un meilleur
accès aux archives historiques sur la manifestation organisé par le FLN le
17 octobre 1961.
13 septembre 1999. Arrêté du ministère de la Culture modifiant l’arrêté du
21 janvier 1988 portant création du Conseil supérieur des archives.
11 octobre 1999. Arrêté relatif à l’ouverture de fonds de la Seconde Guerre
mondiale (par dérogation générale).
27 mars 2000. Remaniement du gouvernement. Catherine Tasca succède à
Catherine Trautmann au ministère de la Culture.
12 avril 2000. Loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec
l’administration. La compétence de la CADA est étendue à la question de
l’accès aux archives publiques.
20 juin 2000. Discours de clôture du Stage international des archives par
Catherine Tasca. De fortes assurances en faveur d’un « projet complet de
réforme de la loi du 3 janvier 1979 » sont données.
Décembre 2000. Départ de Philippe Bélaval de la direction des Archives de
France.
Janvier 2001. Installation de Martine de Boisdeffre, ancienne secrétaire géné-
rale du Conseil d’État, à la tête de la direction des Archives de France.
Création de l’association « Une cité pour les Archives nationales ».
13 avril 2001. Circulaire du Premier ministre relative à l’accès aux archives
publiques en relation avec la guerre d’Algérie.

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54 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Juin 2001. « Pour une politique des Archives en France. Vingt propositions de
l’Association des archivistes français ».
13 juin 2001. Présentation en Conseil des ministres du projet de loi sur la
« société de l’information », dont le titre III portait sur les délais de
communicabilité des archives. Ce projet de loi ne sera pas discuté au
Parlement contrairement aux assurances données par le gouvernement.
Octobre-novembre 2001. Transfert du Centre d’accueil et de recherches des
Archives nationales à la salle Labrouste (Bibliothèque nationale de
France, rue Richelieu).
31 octobre 2001. Arrêté du ministère de la Culture portant nomination au
Conseil supérieur des archives.
2 novembre 2001. Circulaire du Premier ministre relative à la gestion des
archives dans les services et établissements publics de l’État.
5 novembre 2001. Colloque « Les Français et leurs archives » au Conseil
économique et social. Allocution du Premier ministre.
21 janvier 2002. Installation par la ministre de la Culture du nouveau Conseil
supérieur des archives. Création de cinq commissions d’experts.
23 janvier 2002. Décret du Premier ministre portant création du Comité inter-
ministériel des archives de France. Le ministère de l’Éducation nationale
et celui de la Recherche sont exclus du groupe permanent.
25 mars 2002. Arrêté du ministère de la Culture réorganisant la direction des
Archives de France.
4 avril 2002. Communiqué de presse de la ministre de la Culture. Décisions
importantes relatives aux archives.
5 mai 2002. Réélection de Jacques Chirac à la présidence de la République.
Formation du premier gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Jean-
Jacques Aillagon, ministre de la Culture.
13 juin 2002. Journée d’étude du Centre d’histoire de l’Europe du XXe siècle à
l’IEP de Paris, en présence du directeur des Archives de France et de son
prédécesseur.
Juin 2002. Formation du deuxième gouvernement Raffarin. Jean-Jacques
Aillagon, maintenu à la Culture et à la Communication.
4 juillet 2002. Conférence de presse de Jean-Jacques Aillagon au ministère de
la Culture.
18 octobre 2002. Arrêt du Conseil d’État relatif aux archives du Conseil cons-
titutionnel et au droit de les soustraire du cadre de la loi de 1979 (lu en
lecture publique le 25 octobre).
29 octobre 2002. Allocution de Jean-Jacques Aillagon sur la stratégie immo-
bilière du ministère de la Culture et de la Communication. Le site de
Fontainebleau a la préférence du ministre pour implanter le futur centre
des archives contemporaines (horizon 2007-2008).
14 janvier 2003. Création à Paris d’une association des usagers des Archives
nationales.

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La politique actuelle des archives 55

30-31 janvier 2003. Colloque de l’École nationale des chartes et de l’Associa-


tion des archivistes français. Annonce de la prochaine réalisation aux
Archives nationales d’un Guide des archives. Tout comme le 13 juin
2002, aucune communication sur la situation du réseau archivistique fran-
çais n’est en revanche faite par la directrice des Archives de France qui
conclut les deux jours de colloque. Comme le 13 juin 2002, Martine de
Boisdeffre a éludé tous les problèmes objectifs posés par la politique et
l’administration des archives en France.

Vincent DUCLERT*

* On trouvera en fin de volume une « bibliographie indicative sur la politique des


archives en France », composée par nos soins.

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03_Archsecr_CN Page 57 Mardi, 27. mai 2003 5:44 05

Le rôle des missions


des Archives nationales dans la collecte
des archives contemporaines

À la différence des autres éléments composant le patrimoine – livre,


œuvre artistique, monument –, les archives ne sont pas créées dans un
but culturel. Rassemblées par les institutions publiques pour le règle-
ment des affaires qu’elles ont à traiter, elles présentent d’abord un
aspect purement utilitaire. Elles ne sont appréhendées en tant qu’objet
culturel qu’au bout d’un long processus de maturation et de filtrage qui
progressivement transforme la masse des dossiers administratifs, en
retenant certains en vue d’une conservation permanente.
Les prérogatives dévolues aux Archives nationales couvrent de ce
fait un champ très vaste qui comprend non seulement la conservation
des archives historiques depuis l’origine de la nation française mais
aussi le contrôle des documents produits dans les administrations
centrales de l’État (et même dans tous les organismes publics dont
l’activité s’étend sur l’ensemble du territoire national) dans le but de
prendre en charge ceux, quel que soit le support de l’information
(papier, photographie, support sonore, audiovisuel ou électronique),
dont la préservation à long terme se justifie.
La première étape de la constitution du patrimoine archivistique
s’opère, en France, dans des conditions singulièrement peu propices
puisqu’il n’existe guère dans notre pays, contrairement à la plupart des
autres, de tradition de gestion des dossiers administratifs. En l’absence
dans l’administration française de système d’enregistrement, de corps
chargé de la gestion des documents, de cadre de classement de la
production documentaire, la solution choisie pour surveiller les archives
en formation dans les services centraux de l’État a été l’implantation
d’antennes permanentes des Archives nationales au sein des ministères,
communément désignées sous l’appellation de « missions des Archives
nationales ». Les objectifs et le cadre de travail de ces missions ont
considérablement évolué depuis la mise en place de la première d’entre
elles au lendemain de la Libération.

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03_Archsecr_CN Page 58 Mardi, 27. mai 2003 5:44 05

58 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Insuffisamment soutenues avant le décret no 79-1037 du 3 décembre


1979 (relatif à la compétence des services d’archives publics et à la coo-
pération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la
communication des archives publiques) pris en application de la loi du
3 janvier 1979 sur les archives, elles ont pu, depuis cette date, prendre
un nouvel essor et parfaire leur intégration dans leurs administrations
d’accueil. Elles remplissent à l’heure actuelle, en étroite coopération
avec le Centre des archives contemporaines (CAC) de Fontainebleau
sous l’autorité duquel elles sont placées depuis le 1er juillet 1995, une
assez large gamme de fonctions. Elles ont notamment aidé au renforce-
ment du dispositif de collecte des archives contemporaines et ont cherché
à l’étendre aux documents les plus sensibles comme l’attestent les pro-
grès réalisés dans le domaine des cabinets ministériels1.

UN RÉSEAU SOLIDEMENT ANCRÉ

La décision prise en 1952 par Charles Braibant, alors directeur des


archives de France, d’installer un représentant à demeure au sein du
ministère de l’Intérieur manifeste l’intention, alors que débute aux
Archives nationales le traitement des archives du régime de Vichy et de
l’Occupation, d’adopter dorénavant une attitude plus active en matière
d’accroissement des collections en se rapprochant des services produc-
teurs d’archives publiques.
Dans la réalité, le développement de ces missions a été lent puisque
seules cinq étaient en fonction, vingt ans plus tard, en 1971. Le rythme
de leur déploiement n’a pu s’accélérer qu’à la suite de l’ouverture, en
1969, du dépôt de Fontainebleau spécialement destiné à abriter leurs
envois puis de la parution d’une législation appropriée, venue apporter
le cadre juridique indispensable à leur intervention.

Des débuts difficiles


Jusqu’alors, en dépit des textes réglementaires existants, les administra-
tions centrales de l’État n’entretenaient pas de relations régulières avec
les Archives nationales et leurs versements n’avaient aucun caractère
systématique. Dans les premières années du XXe siècle, les ministères
avaient donc commencé à être encombrés par le volume croissant de leur
production documentaire. Dans leurs bâtiments s’entassaient des mon-
ceaux de dossiers présentant parfois un intérêt négligeable tandis que des

1. Voir dans ce volume le texte d’Hervé Lemoine relatif aux archives des cabinets
des ministres de la Défense.

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03_Archsecr_CN Page 59 Mardi, 27. mai 2003 5:44 05

Le rôle des missions des Archives nationales 59

documents ayant une grande valeur historique étaient irrémédiablement


détruits pour faire de la place. Après la Seconde Guerre mondiale, l’enjeu
soulevé par la maîtrise d’une documentation administrative pléthorique
a conduit à mettre fin à l’attentisme qui avait prévalu antérieurement.
L’installation de cellules permanentes des Archives nationales dans
les locaux de plusieurs départements ministériels dans le courant des
années 1950 (Intérieur en 1952, Travaux publics en 1953, Éducation
nationale en 1954, Finances en 1955 ainsi qu’Académie de Paris en
1959) a représenté l’aboutissement des négociations engagées avec les
ministères pour permettre la mise en œuvre du décret du 21 juillet 1936.
Ce texte, plus précis que ceux qui l’ont précédé, plus proche des réalités
administratives du XXe siècle, marque le point de départ d’une politique
plus volontariste vis-à-vis des archives contemporaines puisque les
administrations ont été désormais tenues de procéder à des versements
périodiques dans les dépôts publics d’archives et de soumettre leurs éli-
minations au visa d’un représentant des Archives nationales. La création
des missions s’est appuyée sur une interprétation un peu extensive de
l’article 10 de ce décret qui prévoyait l’envoi d’« agents de liaison » dans
les ministères pour y examiner sur place le respect de ces instructions.
Établis auprès d’administrations importantes, les premiers conser-
vateurs en mission y ont cependant accompli des tâches qui ne diffé-
raient pas fondamentalement de celles de leurs confrères en poste aux
Archives nationales mêmes. Ils se sont attachés prioritairement à trier
les volumes de documents accumulés depuis le XIXe siècle, à sauver les
fonds d’un intérêt historique incontestable et à en effectuer le classe-
ment et l’inventaire selon les pratiques traditionnelles. Tout en exécu-
tant ce rattrapage des arriérés, ils avaient pleinement conscience de
l’urgence d’essayer d’en éviter la reconstitution en organisant rationnel-
lement la gestion des documents tout au long de leur chaîne de produc-
tion et de conservation. Pour mener à bien cette entreprise des plus
ambitieuses, ils se trouvaient toutefois dans une position inconfortable,
face à une administration indifférente – voire hostile – qu’aucune pres-
cription réglementaire n’obligeait vraiment à les accueillir, encore
moins à les doter de moyens de fonctionnement.

Le tournant du « préarchivage »
Une étape a été franchie avec la mise en service de la Cité interministé-
rielle des archives (tel était, à ce moment, le nom de l’actuel Centre des
archives contemporaines) conçue pour recevoir très largement les
versements en provenance des ministères et dont la capacité de stockage
devait atteindre à terme 800 km linéaires conformément aux résultats de
l’enquête diligentée, en octobre 1962, par André Malraux pour dimen-
sionner les archives en souffrance dans les administrations centrales. Il
s’agissait, à l’instar de ce qui avait été précédemment expérimenté dans

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60 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

plusieurs pays étrangers (Angleterre, États-Unis, Espagne), de promou-


voir une implication des archivistes plus tôt dans le cycle de vie des
documents. On prônait alors une gestion centralisée et raisonnée, dans
des services spécifiquement dédiés à cet usage, des dossiers administra-
tifs du moment où ils cessent de servir quotidiennement dans les
bureaux jusqu’à l’échéance de leur utilité administrative. La ligne direc-
trice de ce dispositif était de profiter du répit avant la libre communica-
bilité pour que des tris s’exercent sur des documents correctement iden-
tifiés et convenablement préservés, qu’un classement adéquat soit
réalisé et que, de cette manière, les instruments de recherche soient prêts
au moment de l’ouverture au public.
Le dépôt, qui a été ouvert à Fontainebleau en 1969 sur un terrain
laissé inoccupé par l’OTAN, a été créé dans cette optique et pensé pour
s’articuler avec le rôle confié aux missions. Les archives qualifiées
d’« intermédiaires » de la totalité des organismes publics centraux
devaient y séjourner une trentaine d’années au bout desquelles leur sort
serait arrêté : soit destruction, soit transfert à Paris pour y être conser-
vées définitivement. Sorte de bassin de décantation, la Cité interminis-
térielle des archives avait donc pour mandat de réceptionner et de
stocker les versements collectés par les conservateurs en mission et
surtout d’en assurer, en cas de besoin, la communication aux seuls
services versants. Les administrations ont exploité de bonne grâce les
possibilités offertes et les accroissements ont rapidement atteint une
dizaine de kilomètres linéaires par an. L’aide ainsi fournie aux minis-
tères a contribué à resserrer la coopération entre les Archives nationales
et les services producteurs d’archives publiques, favorisant la multipli-
cation des missions.
Entre 1971 et 1980, sept missions nouvelles ont été créées auprès
de la Jeunesse et Sports (1971), de la présidence de la République
(1974), de l’Industrie (1977), des Postes et télécommunications (1977),
des services du Premier ministre (1978), de l’Agriculture (1980). Après
avoir été de la compétence du Centre des archives contemporaines, les
relations avec les services centraux des Affaires sociales, du Travail et
de la Santé ont aussi été confiées à une mission (1978). La loi du
3 janvier 1979 et le décret no 79-1037 du 3 décembre 1979 pris dans son
prolongement ont conforté cette organisation. En précisant que la notion
d’archives était distincte de l’âge des documents, la loi a reconnu clai-
rement la vocation des papiers produits chaque jour dans les bureaux à
devenir des archives. La nécessité d’une entente entre les administra-
tions et les services publics d’archives pour un ensemble de procédures
(tris et éliminations, transfert matériel) a été affirmée. Quant au décret
cité plus haut, il a institutionnalisé le préarchivage en différenciant les
trois étapes par lesquelles passent les documents de leur création dans
les services administratifs, à leur utilisation épisodique puis à leur
conservation définitive (archives courantes, intermédiaires et défini-
tives). Même si ces textes n’abordaient pas vraiment leur existence, les

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Le rôle des missions des Archives nationales 61

missions y ont trouvé une officialisation de leurs activités et des argu-


ments pour s’établir à la Recherche (1982), à la Culture (1986), auprès
du secrétariat d’État responsable des départements et territoires d’outre-
mer (1987), au Tourisme (1990), complétant de cette façon le maillage
amorcé plus de trente ans auparavant.

La consolidation
Avec la généralisation des missions, le besoin a été vivement ressenti
de renforcer la coopération entre celles-ci en même temps que leur
synergie avec le Centre des archives contemporaines, ce qui a débouché,
en 1982, sur la création au sein des Archives nationales d’un service –
la section des missions – spécialement chargé d’harmoniser leur action.
Une cellule, composée de quelques personnes autour du conserva-
teur général responsable de la section, assume depuis ce moment l’enca-
drement et la coordination des missions. Cet échelon central, hébergé
dans les locaux parisiens des Archives nationales, a donné également la
faculté d’engager l’élargissement du domaine d’intervention,
jusqu’alors cantonné aux seuls ministères, en direction des organes
centraux de l’État (Conseil d’État, Cour de cassation, Conseil écono-
mique et social, autorités administratives indépendantes) et surtout des
établissements publics nationaux. Dans ces organismes, très nombreux,
et quelquefois d’importance comparable à un ministère, il ne pouvait
être question d’avoir partout un agent des Archives nationales en perma-
nence. Voilà pourquoi on a incité à la constitution de services internes
d’archivage destinés à tenir dans l’institution concernée une place
comparable à une mission. Comme les textes réservaient l’accomplis-
sement des procédures (visa d’élimination, fixation des délais de
conservation) aux seuls services publics d’archives, des liaisons inter-
mittentes ont été instaurées depuis l’échelon central pour contrôler
l’organisation de l’archivage dans tous les services centraux dépourvus
d’une mission ou dotés d’un service interne d’archivage et remplir les
formalités mentionnées précédemment. Aujourd’hui, les Archives
nationales sont présentes dans une douzaine de départements ministé-
riels ainsi qu’auprès des services du Premier ministre et de la présidence
de la République. Des services internes d’archivage fonctionnent dans
des organes centraux de l’État (Cour des comptes, Conseil d’État) ainsi
qu’auprès de plus d’une vingtaine d’établissements publics nationaux.
Les missions ont gagné avec les années les moyens de jouer effica-
cement leur rôle. Les Archives nationales ne délèguent que le seul
personnel d’encadrement (12 personnes), les autres agents sont octroyés
par les ministères. En 2001, 99 personnes ont été employées pour le
travail quotidien des douze missions auxquelles il faut ajouter les
48972 heures de vacations (soit l’équivalent de 34 personnes) accor-
dées comme un apport supplémentaire et temporaire pour mener à bien

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62 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

les opérations les plus lourdes. Alors qu’elles n’étaient que difficile-
ment tolérées au départ, elles disposent actuellement de bureaux et de
locaux de stockage dans les bâtiments des ministères qu’elles conti-
nuent de tenter d’accroître et de rendre fonctionnels (plus de 60 km
linéaires en fin 2001). De surcroît, elles sont informatiquement reliées
avec le Centre des archives contemporaines, un extranet ayant même été
mis en place il y a peu pour simplifier le partage d’informations entre
elles, l’échelon central et Fontainebleau. Évidemment, la situation est
encore très contrastée. Les missions occupent des positions variables au
sein des organigrammes de leurs ministères, sont inéquitablement
dotées en personnel et en locaux. Les améliorations enregistrées au
cours de la dernière décennie (augmentation de la capacité de stockage,
progression qualitative du personnel, extension de l’informatisation)
témoignent néanmoins d’un réel enracinement. Bien que tous les
services ne soient pas touchés et que certains ne le soient encore que très
imparfaitement, on peut considérer qu’un véritable réseau, comprenant
en premier lieu le cercle formé par les missions puis celui en cours de
déploiement dans les établissements publics, œuvre à faire observer
dans les administrations centrales de l’État l’ensemble des dispositions
relatives aux archives publiques.

UN RÔLE EN PERMANENTE ÉVOLUTION

Avec la remise en cause, au milieu des années 1980, du préarchivage


centralisé par les Archives nationales, les attributions tant du Centre des
archives contemporaines que des missions ont subi une profonde redé-
finition. Après avoir consenti de considérables efforts pour arrêter une
stratégie différente, d’une part mieux adaptée aux masses produites,
d’autre part aux nouvelles attentes du public, ces deux services ont depuis
peu à nouveau été amenés à repenser les modalités de leur intervention
dans l’espoir d’une meilleure efficacité face à la profonde mutation qui
bouleverse notre société, maintenant passée à l’ère de l’information.

Les insuffisances du préarchivage


Pour des raisons économiques, le programme de construction prévu à
Fontainebleau (10 unités de 80 km linéaires chacune) n’a pas, loin s’en
faut, été mené à sa fin : seules deux unités sont en service à ce jour,
l’édification de la troisième qui avait été étudiée au début des années
1990 a été annulée au profit de la création d’une Maison de la mémoire
de la Ve République à Reims, elle aussi abandonnée pour un projet plus
ambitieux de Cité des archives.

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Le rôle des missions des Archives nationales 63

Le problème du manque d’espace a commencé à se poser avec


acuité dès 1990 d’autant qu’il était apparu que tout ce qui était entreposé
à Fontainebleau ne pourrait pas revenir, faute de place, à Paris en fin de
préarchivage. Dès lors la nécessité de préparer sur le site bellifontain
l’archivage définitif, la constitution des fonds et la consultation du
public s’est imposée. De centre de préarchivage à l’usage des seules
administrations, le Centre des archives contemporaines s’est mué en
service d’archives historiques et une note du directeur général des
archives de France en date du 15 octobre 1986 est venue entériner cet
état de fait. Si cette évolution est évidemment survenue faute de bâti-
ments suffisants pour poursuivre l’accueil massif des versements et de
ressources pour mener le tri en aval, elle s’explique aussi par les
faiblesses de la démarche initiale, fruit d’une réflexion sans doute trop
simpliste. On entendait à l’origine faire le traitement des archives inter-
médiaires à l’économie, estimant qu’il était peu rationnel de consacrer
de l’énergie pour des documents en majorité susceptibles d’être détruits
à terme. Le dépôt de Fontainebleau devait n’être, de ce fait, qu’unique-
ment axé sur la gestion de masse et sur la communication administrative
avec l’aide de puissants systèmes informatisés développés pour faciliter
l’utilisation optimale de l’espace et l’enregistrement de tous les mouve-
ments de documents (entrées, communications, éliminations). Le clas-
sement proprement dit était imaginé en deux étapes : d’abord un relevé
sommaire, à l’arrivée, ne visant qu’à permettre les communications aux
services versants ; beaucoup plus tard, au moment de l’ouverture au
public, un répertoire plus perfectionné répondant aux critères de la
recherche de type scientifique. Alors qu’on pensait limiter le travail
approfondi aux seuls documents définitivement préservés, il a été assez
vite évident qu’il était impératif de maîtriser, dès le départ, le contenu
des dossiers pour retrouver rapidement et de façon fiable les pièces
demandées en communication et détecter ultérieurement les destruc-
tions. De plus, il s’est révélé illusoire de penser refondre et analyser
a posteriori les masses engrangées car les règles introduites par la loi
sur les archives de 1979 avaient modifié complètement la donne en
matière de communication. Le raccourcissement des délais de commu-
nicabilité (rappelons qu’avant 1979, les documents communicables
étaient uniquement ceux antérieurs au 10 juillet 1940) et la possibilité
offerte d’accéder en dérogation avant la libre communicabilité ont sapé
le fondement même du préarchivage, à savoir l’idée que l’on disposait
d’un laps de temps pour collecter, traiter et inventorier les documents
avant leur mise à disposition du public. Pour que les citoyens puissent
effectivement exercer les droits nouveaux qui leur ont été concédés, il
convient dorénavant de porter sans retard à leur connaissance tous les
fonds conservés quelles qu’en soient, l’origine, la date ou la nature.
Étant donné l’impossibilité de ce fait de rejeter dans une étape ultérieure
le traitement des documents, le préarchivage a fini d’être considéré
comme une phase particulière pour être interprété comme le premier

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64 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

stade de l’archivage et le rôle des missions a dû être entièrement repré-


cisé dans ce contexte nouveau.

Une nouvelle approche


L’organisation en vigueur depuis 1986, compte tenu de la nouvelle desti-
nation du Centre des archives contemporaines, vise à limiter l’entrée à
Fontainebleau aux seuls documents de conservation longue ou définitive
et à faire assumer par les services producteurs la gestion de leurs archives
intermédiaires. Ce changement de perspective se traduit par une recru-
descence des responsabilités des missions chargées non seulement
d’alimenter le Centre des archives contemporaines mais aussi de mettre
sur pied la gestion du cycle de vie des documents à l’intérieur des minis-
tères. La leçon tirée de l’expérience avortée du préarchivage est, en effet,
que l’on ne peut plus, vu l’énormité des flux, repousser dans le temps la
sélection mais qu’au contraire il faut l’entreprendre le plus tôt possible
sous le contrôle des missions. Un choix plus drastique et plus précoce
des documents de conservation pérenne est apparu, malgré les états
d’âme qu’il ne manque pas de susciter, comme l’unique voie à suivre
devant l’augmentation exponentielle de la production documentaire
d’autant que la réduction des accroissements facilite le classement des
documents et l’élaboration simultanée des instruments de recherche
indispensables à cause de la procédure d’accès en dérogation. Le schéma
privilégié dans les missions depuis plus de dix ans repose donc sur la
poursuite de l’extension du domaine d’intervention, la mise en place
d’une sélection plus accentuée et plus immédiate des documents de
conservation permanente, l’organisation du traitement des documents et
de la production des instruments de recherche avant le transfert matériel
au Centre des archives contemporaines. Pour soutenir le développement
de cette stratégie, des outils ont été définis : des tableaux de gestion
recensent la production de chaque service et fixent la durée d’utilité
administrative ainsi que le sort final de chaque catégorie de documents ;
une application informatique appuie la gestion prévisionnelle, le
contrôle et l’évaluation des entrées à Fontainebleau ; des états des verse-
ments récapitulent, ministère par ministère, les versements effectués ;
une base de données documentaires (Priam 3) permet d’accéder au
contenu des versements par une interrogation multi-critères.
Les résultats obtenus paraissent indubitablement positifs. Les inter-
ventions dans les établissements publics nationaux et les organismes
publics de statuts divers ont progressé. La collecte sélective n’est pas un
vain mot puisque les versements au Centre des archives contemporaines
ont diminué de moitié par rapport à la période de préarchivage, passant
de 10 kml annuels à 5 kml. Le mécanisme de traitement en amont et de
production parallèle des instruments de recherche en vue d’une mise à
disposition immédiate du public est attesté par la présence au CARAN

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Le rôle des missions des Archives nationales 65

de la collection des répertoires du Centre des archives contemporaines,


l’existence d’états des versements concernant tous les ministères ainsi
que celle d’une base documentaire dotée d’un thesaurus, dans laquelle
figuraient, fin 2001, 72,5 % des versements conservés à Fontainebleau
à cette date (11483 versements décrits sur les 15840 recensés). La mise
en place, depuis le 1er janvier 1996, d’un véritable accueil du public
dans la salle de lecture de Fontainebleau et la création d’un site Internet
ont définitivement consacré l’abandon du préarchivage.
D’un autre côté, la coopération existant depuis de longues années
entre archivistes et administrations a rendu possible l’équipement dans
les administrations centrales de locaux de stockage pour les archives
vouées à une élimination à moyen terme, qui n’étaient plus accueillies
au Centre des archives contemporaines. Il en est résulté pour les missions
le devoir d’accompagner le préarchivage ministériel : recensement de la
production, détermination des règles de tri-échantillonnage-sélection,
organisation et gestion des magasins abritant les documents encore
fréquemment consultés ou destinés à l’élimination à terme, visas des
éliminations. Les missions participent aujourd’hui activement à la
gestion des documents administratifs, à leur évaluation, à la rédaction
des tableaux de tri, à la validation des éliminations tout en préparant les
transferts à Fontainebleau, selon les normes imposées par ce dépôt pour
le conditionnement matériel et la description des versements, des
archives de conservation pérenne, et en recevant, le cas échéant, pour
une orientation les chercheurs intéressés par leurs fonds. Leurs fonc-
tions, actuellement très diversifiées, se rapprochent de celles de tout
service d’archives. Il n’en demeure pas moins qu’elles constituent un
exemple unique dans le paysage archivistique français – et même inter-
national – du fait de leurs activités menées à proximité même de la source
et de leur travail en réseau avec le Centre des archives contemporaines.

L’émergence d’autres priorités


Les gains patiemment acquis ne sauraient dissimuler les limites du
système en usage dans les administrations centrales. La douzaine de
missions installées auprès des ministères représente peu en regard de
l’ampleur de champ à couvrir d’autant que l’on traite avec une adminis-
tration mouvante, sujette à des évolutions lourdes de conséquences en
matière d’archivage. Aux réformes opérées au cours des deux dernières
décennies (décentralisation, déconcentration, délocalisation, remanie-
ments des organigrammes des départements ministériels) se superposent
les métamorphoses susceptibles d’advenir avec l’appel aux nouvelles
technologies de l’information et de la communication. Alors qu’elle n’en
est encore qu’à ses débuts, la progression technologique entraîne des
bouleversements déjà perceptibles de la production documentaire des
administrations. Bien sûr la grande majorité des documents emprunte

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66 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

toujours la forme papier. On ne doit pas cependant se cacher que tout ce


qui fonde l’activité des bureaux (comptes rendus, notes, rapports) est
aujourd’hui généré à partir d’outils informatiques. L’emploi du papier
tend même à reculer à cause du recours à divers procédés (saisie à partir
de portables, courrier électronique, échange de données informatisées,
numérisation). Si le bureau sans papier reste sans doute encore pour long-
temps une utopie, la dématérialisation avance néanmoins et les menta-
lités se familiarisent peu à peu avec ce mouvement. Organiser la gestion
des documents issus de l’électronique ne peut plus attendre sous peine
de pertes irrémédiables de pans entiers de la mémoire collective. Les
archivistes abordent là une problématique nouvelle. Ce type de docu-
ments offre incontestablement des avantages (vitesse de traitement, faci-
lités de copie, de modification, de récupération et de transmission,
densité de stockage) mais soulève, du point de vue de sa conservation à
long terme, des exigences particulières. La fragilité des supports, la
rapide obsolescence des matériels et, davantage encore, le contexte de
production des archives appellent des ajustements substantiels des
méthodes. Le développement de l’informatisation a en effet été marqué
par une évolution vertigineuse qui, en quelques décennies, a fait passer
des gros systèmes centralisés à une micro-informatique très disséminée
puis aux réseaux interconnectés. Grâce à ceux-ci vont se répandre le
partage des ressources, le transfert automatique d’informations et de
fichiers, la messagerie, dans lesquels le processus de création et de mise
à jour des documents devient extrêmement compliqué et inquiétant pour
leur fiabilité et leur authenticité. La variété des technologies de l’infor-
mation donne donc naissance à des documents dont la gestion se fait plus
complexe à contrôler. Avec le foisonnement de ces archives nouvelles,
leur diversité et la confusion de leur circuit de production, on aspire à
une intensification des règles employées pour les dossiers traditionnels.
Un modèle particulier de gestion serait même souhaitable car la vie de
l’information électronique comprend des phases spécifiques. En fait,
seule une prise en compte des finalités de l’archivage dès le stade de la
conception des systèmes empêchera l’effacement des données d’intérêt
durable et garantira leur préservation dans des conditions convenables
pour leur réexploitation future. La poursuite du développement archi-
vistique, à l’heure de l’électronique et de la société de l’information,
suppose une remontée en amont dans les étapes du cycle de vie des docu-
ments, jusqu’à leur création même. Ce défi crucial pour les archives
contemporaines ne pourra pas être soutenu sans clarification des respon-
sabilités des différents acteurs (services producteurs, services d’archives
publics) et sans recherche de nouveaux équilibres qui regroupent vers
des objectifs communs des forces actuellement divergentes. Il est notam-
ment urgent de promouvoir des formes plus structurées de participation
des administrations à l’archivage, tout particulièrement pour la tenue des
archives courantes dont l’impact sur le futur est essentiel. Les démarches
développées par les missions pour sensibiliser les ministères sur ce point

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Le rôle des missions des Archives nationales 67

(diffusion de brochures, dépliants, contribution aux intranets ministé-


riels, formation des personnels à l’archivage) n’ont pas suffi, en dépit
du succès rencontré et de la multiplication des procédés employés, à
transformer significativement les premières étapes de la gestion des
archives, laissant planer une lourde menace sur l’avenir.

DES ARCHIVES SECRÈTES ?

La législation de 1979 n’a soustrait aucune archive publique aux obli-


gations qu’elle a énoncées pour leur gestion, leur destruction et leur
versement dans des services publics d’archives. Tout au plus a-t-elle
prévu que, pour protéger certains secrets (délibérations gouvernemen-
tales, secret industriel) ainsi que la vie privée des personnes, des caté-
gories particulières de documents seraient plus tardivement communi-
cables. Il est malgré tout patent que la remise de certains types de
dossiers se heurte à des atermoiements, voire à des obstructions de la
part des services producteurs. À cet égard, la priorité donnée au moment
du préarchivage à la gestion des archives intermédiaires n’était pas
dénuée d’ambiguïtés. Les administrations en ont profité pour se débar-
rasser d’abord de leurs encombrants dossiers de gestion mais n’ont pas
pour autant versé les archives de décision, souvent d’un beaucoup plus
faible volume. Lorsque, munies d’un cadre législatif et réglementaire,
les missions ont revu leur tactique, elles ont décidé de mettre également
l’accent sur la revendication des archives les plus difficiles à obtenir
(archives des hauts fonctionnaires, des ministres, de la police). Leur
initiative la plus aboutie en ce domaine a porté sur celles des cabinets
ministériels2.

Une formule originale


Pour obtenir, en tant qu’archives publiques, le versement des dossiers
des ministres, les missions ont cherché à mettre sur pied une collecte
systématique, officiellement soutenue par les plus hautes autorités de
l’État, mais ont jugé préférable, pour effacer les réticences de la sphère
politique, d’apporter quelques aménagements à la communication de
ces documents. Faire reconnaître le caractère public de ces archives, qui
jusqu’alors ne parvenaient aux Archives nationales qu’à titre d’archives
privées accompagnées de contrats de dépôts laissant toute liberté au
dépositaire d’en déterminer les règles d’accès, n’était pas chose aisée.

2. Pour le cas particulier du cabinet du ministre de la Défense, voir le texte d’Hervé


Lemoine dans ce volume.

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03_Archsecr_CN Page 68 Mardi, 27. mai 2003 5:44 05

68 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

En effet, tout producteur d’archives publiques, dès lors qu’il a quitté son
poste, est considéré comme un citoyen ordinaire et se voit appliquer les
principes généraux : les documents non librement communicables ne
lui sont plus accessibles qu’après l’instruction d’une demande d’accès
en dérogation et la personne qui lui a succédé dans ses fonctions est
sollicitée pour donner son accord.
Les responsables gouvernementaux acceptaient difficilement de se
trouver dépendants de leurs successeurs pour consulter des archives
qu’ils avaient produites ; ils comprenaient mal que ce ne fût pas à eux-
mêmes d’examiner les demandes d’accès formulées par des tiers,
notamment dans les années suivant la cessation de leurs activités. Il a
donc été cherché, de façon très pragmatique, un moyen pour contourner
ces obstacles. Avec l’accord du secrétariat général du gouvernement, a
été préparé un modèle de protocole3 qui, tout en soulignant la nature
publique des archives de cabinets, a infléchi dans le sens attendu les
modalités de consultation. Le ministre signataire du protocole est admis
à conserver un droit d’accès permanent aux documents qu’il a versés ;
il en va de même pour ses collaborateurs, du moins pour la part
d’archives qui leur est propre. Par ailleurs, aussi longtemps que les
documents n’ont pas atteint leur délai de libre communicabilité, la
faculté d’y accéder est maintenue comme pour toutes les archives
publiques ; cependant c’est le signataire du protocole qui délivre son
accord et non son successeur dans le cabinet ministériel concerné.
Moyennant ces assouplissements exceptionnels qui leur garantissent de
pouvoir, en cas de besoin, consulter à nouveau les documents archivés
sans avoir de formalité à accomplir et d’être maître des décisions en
matière d’accès par des tiers, les membres des cabinets ministériels
procèdent à l’archivage des dossiers constitués dans l’exercice de leurs
fonctions ministérielles. L’emploi d’un protocole est sans doute contes-
table en droit mais, grâce à cette pratique, des sources historiques d’une
importance majeure sont préservées.

Des avancées constantes


La mise en œuvre de ce dispositif a été lancée à l’issue du gouvernement
de Pierre Mauroy. Le secrétaire général du gouvernement a adressé une
note à tous les ministres ou secrétaires d’État pour leur rappeler les pres-
criptions de la loi sur les archives, les inciter à remettre leurs archives,
et leur proposer, s’ils le désiraient, la signature d’un protocole. Les verse-
ments ont été nombreux dès cette première expérience, notamment au
niveau du cabinet du Premier ministre. Depuis lors, le même processus

3. Voir dans ce volume le texte d’Hervé Lemoine évoquant les protocoles pour
les archives des cabinets des ministres de la Défense.

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Le rôle des missions des Archives nationales 69

a été répété à chaque remaniement du gouvernement avec des résultats


inégaux d’autant qu’un grand nombre de facteurs pèsent sur le déroule-
ment de l’opération : les circonstances et la nature du changement (rema-
niement surprise, dissolution liée à une échéance électorale, successeur
appartenant à la même famille politique, alternance de la majorité), le
département ministériel concerné (secteur politique ou plus technique),
l’insertion de la mission dans ce ministère sans parler des personnalités
des différents acteurs. Malgré les refus affichés de certains et les verse-
ments de pure forme d’autres, la réussite est globalement évidente
puisque, depuis 1984, plus d’un millier de versements de cet ordre sont
venus enrichir les collections du Centre des archives contemporaines.
De plus, loin d’être figé, le processus suscite des amendements
bénéfiques. Au départ de M. Jospin, tous les ministres et secrétaires
d’État ont effectué une remise d’archives et l’ensemble a représenté plus
de 2000 mètres linéaires de documents pour les seuls départements
ministériels du ressort des Archives nationales avec, pour la première
fois, la présence de documents électroniques aux côtés des dossiers plus
classiques. Surtout, le texte des protocoles a été révisé à plusieurs
reprises en vue d’une affirmation plus claire du caractère public de ces
archives. L’aspect le plus critiquable était la désignation d’un manda-
taire autorisé à bénéficier des mêmes avantages que le signataire car
cette clause prêtait à confusion avec le statut d’archives privées. Au
printemps 2002, il a donc été laissé la possibilité à chaque ministre de
choisir entre le maintien d’un mandataire ou une formule différente
l’excluant. Hormis deux d’entre eux, tous les membres du gouverne-
ment, y compris le Premier ministre, ont accepté qu’en cas d’empêche-
ment de leur part, ce soit la direction des archives de France, plutôt
qu’un mandataire, qui se prononce à leur place sur les demandes de
consultation.
En conclusion, ce n’est plus vraiment l’absence de collecte ou le
refus de consultation (les demandes d’accès à ces dossiers sont de plus
en plus nombreuses et satisfaites favorablement dans une proportion
comparable à celle des dérogations) qui fait maintenant problème pour
les archives des cabinets ministériels. La question serait plutôt de savoir
comment parvenir à traiter la masse des versements entre deux remanie-
ments ministériels. L’espoir ne peut être placé que dans une meilleure
gestion par les secrétariats des instances productrices qui allégerait la
tâche ultérieure des archivistes. La mission placée auprès des services
du Premier ministre s’est déjà attelée à l’amélioration de la tenue des
archives dès la création du cabinet et pendant toute la durée de ses acti-
vités. Cette tentative, encore balbutiante, devra être généralisée si l’on
veut pouvoir espérer continuer à faire face aux collectes futures. Faute
de gestion organisée de la production documentaire dans l’administra-
tion française, les Archives nationales ont pris le parti d’entrer en étroit
contact avec les services administratifs et de concevoir un système
complet de prise en charge des archives contemporaines dont les

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70 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

missions des Archives nationales forment le pivot. Avec les moyens,


pourtant étroits, que leur confient leurs administrations d’accueil, ces
missions opèrent, pour les documents de la période la plus récente, les
tris, le classement et l’élaboration des différents instruments de
recherche (répertoires, état des versements, base de données documen-
taire) utiles à l’ouverture au public la plus rapide possible des fonds
collectés. Depuis la réorientation survenue dans les années 1980, on a
le sentiment d’être parvenu à une méthodologie rodée et pertinente pour
appréhender le déluge de dossiers générés dans les administrations
centrales de l’État ; des progrès tant quantitatifs que qualitatifs ont été
enregistrés dans la collecte, y compris des documents les plus sensibles.
Cependant l’environnement administratif se trouve maintenant, sous
l’effet conjugué de la modernisation de l’État, du mouvement vers la
transparence administrative et du recours grandissant aux nouvelles
technologies, en proie à une mutation accélérée qui fait redouter
d’importantes difficultés dans les décennies à venir. Exposées à une
inflation documentaire qui ne s’atténue pas tandis que des supports de
l’information de plus en plus fragiles connaissent un essor mal maîtrisé,
les missions doivent rapidement trouver des solutions techniquement et
humainement envisageables pour répondre à ces nouveaux défis.
On ne peut se cacher que certaines actions restent insuffisamment
développées et que, dans son ensemble, le processus d’archivage méri-
terait d’être accéléré et sensiblement amplifié. Pour être en mesure de
juguler le déferlement probable des archives électroniques, c’est une
adhésion moins superficielle des services producteurs qu’il convient
désormais de gagner. Seule la prise en main croissante de certaines
tâches par les administrations donnera aux Archives nationales la possi-
bilité de mener la réflexion prospective nécessitée par l’accentuation de
la gestion informatisée des documents courants. Espérons que le
dialogue qui a été instauré entre administrations et archivistes du fait de
l’installation des missions au cœur même des services centraux de l’État
permettra de dégager la voie de cette évolution vitale pour les archives
de demain.

Christine PÉTILLAT

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04_Archsecr_CN Page 71 Mardi, 27. mai 2003 5:45 05

De l’esprit des lois…


Le cas des documents classifiés
au ministère de la Défense*

La loi sur les archives de 19791 pose comme principe que toutes les
archives publiques sont destinées à être communicables après l’écoule-
ment d’un délai plus ou moins long. Au terme de la loi de 1979, on pour-
rait donc croire qu’il n’existe pas d’archives secrètes mais seulement des
archives encore secrètes. Le dispositif légal français intègre néanmoins
les notions de « document secret » et « d’information secrète ». La loi
du 17 juillet 19782 prévoit en effet que dans le domaine des documents
administratifs on doit distinguer le domaine du librement communicable
de celui du non librement accessible, c’est-à-dire, de fait, du secret.
Cette loi, qui apparaît comme libérale en ouvrant le domaine du libre-
ment communicable, ferme paradoxalement totalement ce qui en est
exclu immédiatement. Elle ne dit rien sur l’accessibilité postérieure de

* Le propos de ce texte n’est pas de se livrer à une mise à jour de la réglementation,


mais de dresser un constat des contradictions des principes en jeu. Certains textes cités
ne sont plus en vigueur, mais ils constituent le substrat d’une réflexion d’ordre épisté-
mologique. Dans cet esprit, la mise en italique de certains passages est un choix de
l’auteur de ce texte pour souligner l’utilisation du champ lexical ou sémantique.
L’ensemble des réflexions qui sont ici développées sont issues de l’expérience à la tête
de la mission des Archives nationales auprès du ministère de la Culture puis de la
responsabilité de la division des archives contemporaines au Service historique de
l’armée de terre. Nombre d’entre elles ont été enrichies par les discussions du groupe de
travail sur la communication des archives de la Défense qui associe des représentants
de tous les services d’archives de la Défense sous la coordination de la direction de la
Mémoire du patrimoine et des archives.
1. Loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. Pour la commodité du propos
on utilisera l’expression de « loi de 1979 ».
2. Loi no 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des
relations entre l’administration et le public… modifiée par la loi no 2000-231 du 12 avril
2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. On
la citera comme la « loi de 1978 ».

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04_Archsecr_CN Page 72 Mardi, 27. mai 2003 5:45 05

72 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

ces documents, et ce n’est que la loi de 1979 qui fixe les délais de leur
communicabilité. Tout se passe comme si c’était le passage au statut
d’archives qui rendait ces documents administratifs accessibles. On
arrive au paradoxe suivant : l’articulation des lois de 1978 et de 1979 3
donne le sentiment d’un glissement du document administratif au docu-
ment d’archives, alors même que ce glissement est contradictoire avec
l’esprit de la loi de 1979 qui exclut le critère de temps de la définition
des archives, tout document étant archive dès l’origine4.
En outre, le code pénal5 reconnaît l’existence de documents classi-
fiés, les modalités d’application étant actuellement établies par le décret
no 98-608 du 17 juillet 1998 relatif à la protection des secrets – le mot
est lâché – de la défense nationale. Les modalités de leur gestion restent
en grande partie organisées par l’instruction générale interministérielle
no 1300/SGDN/SD/DR du 12 mars 1982, modifiée par l’Instruction
technique générale (ITG) no 900 du 20 juillet 1993 et l’instruction
no 11258 du 21 mars 2000. Le régime particulier ainsi défini s’oppose
au dispositif général de la loi de 1979 sur les archives, y compris dans
les difficultés d’articulation, sinon ses contradictions, avec la loi de
1978 sur les documents administratifs. La loi de 1979, d’ailleurs, ne
connaît pas la notion de documents classifiés puisque le délai de 60 ans
s’applique aux documents « intéressant la sûreté de l’État ou la Défense
nationale ». La loi no 2000-321 du 12 avril 2000 élargit la définition aux
documents administratifs dont « la consultation ou la communication
porterait atteinte au secret de la Défense nationale »6. Mais ce n’est que
dans les décrets spécifiques aux archives de la Défense7 et aux archives
des Affaires étrangères8 qu’apparaissent comme soumis au délai de
60 ans les documents qualifiés de « classifiés » : il est significatif que la
question soit ramenée à celle des archives de ces deux ministères sans
jamais être appréhendée comme un sujet en soi.

3. Dont le rapport Braibant puis le rapport Bélaval ont souligné les difficultés. La
loi du 12 avril 2000 tente de l’améliorer, le chapitre II (articles 4 à 8) portant des
« dispositions relatives à la transparence administrative ».
4. Art. 1er de la loi : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que
soient leur date… ».
5. Art. 413-9 : « Présentent un caractère de secret de la Défense nationale au sens
de la présente section, les renseignements, procédés, objets, documents, données infor-
matisées ou fichiers intéressant la Défense nationale qui font l’objet de mesures de
protection destinées à restreindre leur diffusion… ».
6. Loi no 2000-231 du 12 avril 2000, article 7. Ce document est reproduit dans les
annexes de ce volume.
7. Décret no 79-1035 du 3 décembre 1979 relatif aux archives de la Défense. Voir
les textes de Thierry Sarmant et d’Hervé Lemoine dans ce volume.
8. Décret no 80-975 du 1er décembre 1980 relatif aux archives du ministère des
Affaires étrangères.

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04_Archsecr_CN Page 73 Mardi, 27. mai 2003 5:45 05

Les documents classifiés au ministère de la Défense 73

La contradiction entre la réglementation sur les documents classi-


fiés et la loi de 1979 existe à plusieurs niveaux. Les principes retenus
par la loi de 1979 sont l’égalité d’accès de tous, le droit de savoir, car
les archives relèvent du patrimoine public, donc commun. Tous les
documents deviennent communicables aux termes de délais fixés selon
une typologie du secret ou des documents. Ces délais sont donc fixés a
priori par la loi ou ses décrets d’application, en tout état de cause par le
droit écrit. De manière sous-jacente, y figure l’idée que le temps efface
toutes les sensibilités, et, selon le vers de Racine, qu’« il n’est pas de
secret que le temps ne révèle », ou ne doive révéler. Il y a une sorte de
mise en perspective des faits par l’histoire, voire par les historiens dont
c’est la fonction, sinon la prérogative… Dans ce sens, la vocation des
archivistes, gestionnaires responsables du matériau historique, est de
s’en voir déposséder par les historiens, légitimes utilisateurs (possessifs
sinon possesseurs) de la « documentation historique de la recherche ».
À l’inverse, la réglementation sur la classification des documents pose
le principe de la hiérarchie du secret9, c’est-à-dire de la hiérarchie du
droit « à en connaître », dans un domaine qui est celui de l’ information.
La décision de classification d’un document est forcément d’opportu-
nité, et de circonstance, prise par l’émetteur lui-même10 (donc par le
pouvoir exécutif) et non en fonction des textes (pouvoir législatif) ou de
la jurisprudence (autorité judiciaire). La classification crée une restric-
tion à la diffusion11 et à l’accès à l’information : « Nul n’est qualifié
pour connaître des informations ou supports protégés s’il n’a fait au
préalable l’objet d’une décision d’habilitation et s’il n’a besoin de les
connaître pour l’accomplissement de sa fonction ou de sa mission. » 12

9. Le décret no 98-608 définit trois niveaux de classification des informations, en


fonction de la gravité du préjudice que leur divulgation porterait à la Défense nationale :
le très-secret-défense « est réservé aux informations… dont la diffusion est de nature à
nuire très gravement à la Défense nationale… », le « secret-défense » à celles dont la
divulgation nuirait gravement et le confidentiel-défense aux informations dont la divul-
gation « est de nature à nuire à la défense ou pourrait conduire à la découverte d’un
secret de la défense nationale classifié au niveau « très-secret-défense » ou « secret-
défense ». Ces distinctions sont également reprises par l’ITG n° 11258 du 21 mars 2000
relative à la délimitation des domaines « secret-défense » et « confidentiel-défense ».
10. À ce propos, l’ITG no 11258 du 21 mars 2000 précise que « le caractère secret
de l’information ou du support protégé résulte exclusivement de la mention de classifi-
cation prise par l’autorité émettrice pour restreindre la diffusion de l’information dont
il s’agit ».
11. Rappelons que pour le code civil « présentent un caractère de secret de la
Défense nationale […] les renseignements […] qui ont fait l’objet de mesures de protec-
tion destinées à restreindre leur diffusion ».
12. Décret no 98-608, article 7.

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74 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

La classification conditionne donc l’accès à l’information au degré


d’autorisation reconnu à un individu13, selon un principe de non-égalité
et même de hiérarchie des catégories de publics, en contradiction immé-
diate avec les principes de la loi de 1979. Par ailleurs, le « besoin d’en
connaître » dans le cadre de missions et fonctions publiques est la seule
source de droit à « en connaître »14, là encore en contradiction avec le
principe d’accessibilité totale du patrimoine public. Peut-on, par
ailleurs, considérer que le travail des historiens rentre dans le cadre
d’une « fonction » ?
La relation au temps que pose la réglementation sur la classification
des documents est plus complexe que celle établie par la loi de 1979.
L’idée d’un secret inscrit « dans » le temps existe évidemment, et le
rapport linéaire au temps apparaît dans toutes les mesures visant à anti-
ciper l’échéance du délai de communicabilité, mais la classification
répond également à des secrets de nature différente. Elle peut, en effet,
correspondre à une mesure rendue nécessaire par l’intensité et non par
la durée du secret : dans le domaine opérationnel en particulier, un
secret (un plan de déplacement de forces par exemple) peut être extrê-
mement protégé mais pour un laps de temps très court, le secret qu’elle
protège « tombant » parfois de lui-même en quelques heures… Or dans
ce type de secret, que l’on pourrait qualifier d’« intensif » et non
d’« extensif », en l’absence de mesures de déclassification explicites 15,
les conséquences sur la communicabilité, et leur durée, sont identiques

13. Le titre II de l’ITG no 1300 est consacré à la procédure d’habilitation et aux


décisions administratives d’admission ou d’agrément. De manière significative, il est
intitulé « protection des personnes ». L’habilitation apparaît ainsi comme une protec-
tion de l’individu face à la responsabilité que lui confère la connaissance de l’informa-
tion. Le préambule est particulièrement explicite : « L’expérience établit que, dans la
recherche d’informations par les services de renseignements étrangers, l’une des
méthodes les plus employées consiste à exploiter la vulnérabilité des personnes et à faire
pression sur elles par toutes sortes de moyens, le plus souvent en utilisant leurs relations
étrangères familiales ou amicales. Lorsque ces personnes ont accès à des informations
sensibles intéressant la défense nationale et la sûreté de l’État, elles deviennent ainsi un
objectif pour les services étrangers. Elles doivent donc être averties et protégées… »
14. Préambule du titre II de l’ITG no 1300 : « Il convient de limiter les risques en
appliquant strictement le critère fondamental du “besoin d’en connaître” selon lequel
une personne ne peut avoir connaissance d’une information classifiée que dans la
mesure où l’accomplissement de sa mission l’exige. »
15. Une instruction du cabinet du ministre de la Défense du 7 juin 1984 incitait à
déclassifier rapidement certains documents « en raison de la sensibilité temporaire des
informations qu’ils contiennent ». Étaient notamment concernés les ordres d’opérations
d’exercice, les mouvements d’unités ou de bâtiments, certains ordres d’expérimenta-
tions, certains codes particuliers, les comptes rendus périodiques de situations opéra-
tionnelle, technique ou logistique, les messages…

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04_Archsecr_CN Page 75 Mardi, 27. mai 2003 5:45 05

Les documents classifiés au ministère de la Défense 75

à celle d’un secret protégé sur le long terme, quand bien même seul le
support de l’information, et non plus sa notoriété, serait désormais
protégé16…
À l’opposé, certains secrets échappent à l’usure du temps, en parti-
culier lorsqu’ils sont de nature technique. On est alors dans une logique
d’information, donc de documentation, dont la durée de validité – dirait
l’archiviste contemporain – court toujours, indépendamment de la date
du document (d’archives) qui l’établit noir sur blanc. L’extrême diffi-
culté du ministère de la Défense à trouver un délai convenable pour
« couvrir » le domaine du NBC (nucléaire, biologique et chimique) et
l’insatisfaction devant l’idée d’un délai « technique » de 100 ans tien-
nent à ce que ce délai est jugé ni trop court ni trop long (ou alors les
deux…) alors que l’information qu’il tente de protéger est d’une autre
nature et entre dans un autre rapport au temps ! La réglementation sur
la classification prévoit d’ailleurs la possibilité de son extension, au-
delà même du délai de 60 ans, mais toujours de manière volontaire 17.
C’est en effet le caractère actif de la classification qui prévaut sur
la notion de délai « naturel » : aussi la fin du secret ressortit-elle obliga-
toirement à un acte volontaire et non à un processus automatique, à date
couperet. Le rôle de l’« émetteur »18 (le vocabulaire, une fois encore, est
celui de l’information : les archivistes parlent de producteur) est essen-
tiel, parfois maintenu jusqu’à l’absurde : ainsi la sous-direction des
bureaux du cabinet du ministère de la Défense a exigé à l’occasion de
l’instruction d’une dérogation portant sur des archives du bureau central
de renseignement d’Alger (BCRA) une déclassification par le service
d’origine, service disparu avant même la fin de la Seconde Guerre
mondiale… De même, l’idée d’une déclassification automatique, avec

16. L’ITG no 11258 rappelle d’ailleurs que « l’atteinte… au secret de la Défense


nationale… est la conséquence de la mention apposée sur le document sans qu’il soit
tenu compte de l’information divulguée », reprenant les dispositions de l’article 413-10
du code pénal.
17. Une note de service du Service historique de l’armée de terre du 8 décembre
1997 prévoyait, par exemple, que « cinq ans avant l’expiration de ce délai [60 ans]
l’autorité émettrice de ces documents devait être consultée sur leur déclassification ou
le maintien de la classification » ; elle ajoutait même que « la même procédure doit être
mise en route 5 ans avant l’ouverture des archives classées non sensibles, en cas de doute
sur la nature du sujet traité. En effet pour des raisons d’État, qui peuvent être circons-
tancielles, il peut y avoir nécessité de reclasser sensibles des dossiers qui, auparavant,
ne l’étaient pas »…
18. On assiste cependant à une légère évolution : l’ITG no 1300 prévoit que « la
décision qui réduit ou supprime la protection d’une information classifiée appartient
dans tous les cas à l’autorité émettrice » alors que pour le décret no 98-608 « les modi-
fications ou suppressions des mentions [de classification] sont décidées par les autorités
qui ont procédé à la classification ». Même si, dans les faits, on en revient aux mêmes
acteurs, on est néanmoins passé de la notion d’émetteur de l’information à celle d’émet-
teur de la classification.

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76 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

abaissement régulier des niveaux de protection, peine à se mettre en


place dans la pratique19.
La question est d’ailleurs : pourquoi déclassifier ? Si le délai de
60 ans s’applique pleinement aux documents classifiés, quel besoin
peut-on avoir de déclassifier ? L’ambiguïté, une fois de plus, porte sur
l’articulation des logiques : l’échéance du délai de 60 ans est-elle en
elle-même une déclassification ? Rien ne le laisse penser : ouverture et
déclassification sont de nature différente. En revanche, la loi (1979) doit
l’emporter sur le règlement (1982), et le droit de savoir triompher du
besoin « d’en connaître »… C’est en tout cas l’avis (oral) de la direction
des affaires juridiques du ministère de la Défense, même si les juristes
du secrétariat général de la défense nationale en sont moins convaincus,
bien que leurs réserves n’en soient pas moins orales… En deçà du délai
fatidique, reste la procédure des dérogations. La dérogation est-elle une
reconnaissance d’un « besoin à en connaître »20 alors que pour les histo-
riens elle relève du « droit de savoir » et pour le grand public du simple
« droit de s’informer » ? La déclassification d’un document est-elle un
préalable nécessaire à l’octroi d’une dérogation, sachant que dans ce cas
une décision ponctuelle, à un individu donné, en vue d’une recherche
particulière, conduit à une modification du statut du document, qui une
fois déclassifié le demeure… Ne peut-il alors y avoir de déclassification
que dans le cadre de mesures plus large d’ouverture des fonds ou de
dérogations générales telles que celles que nous avons connues pour la
Seconde Guerre mondiale… et, à l’inverse, peut-il y avoir dérogation
générale sans déclassification ? Il est de fait que les circulaires sur les
archives de la Seconde Guerre mondiale n’ont été ni précédées ni
accompagnées de mesure de déclassification…
À toutes ces interrogations, l’archiviste attend que les juristes
apportent des réponses… Son rôle, pour sa part, dans la gestion des

19. La circulaire du cabinet du ministre de la défense du 7 juin 1984 prévoyait déjà


que les documents qui n’entraient pas dans les catégories de « documents dont la déclas-
sification peut intervenir rapidement » ou au contraire des « documents dont la déclas-
sification ne peut intervenir que sur ordre » pouvaient faire « systématiquement l’objet
d’un abaissement de classification » à l’issue d’un délai de 10 ans pour les documents
secret-défense (recevant alors la mention de confidentiel-défense) et de 5 ans pour les
documents confidentiel-défense (passés à « diffusion restreinte »). L’ITG no 11258 a
repris ces dispositions et a amplifié la tendance. « À titre transitoire, afin de permettre
l’apurement de la situation des années antérieures à 1992, les informations ou supports
classifiés concernés pourront être déclassés ou déclassifiés à compter de : décembre 2000
pour ceux émis antérieurement à l’année 1981, décembre 2001 pour ceux émis antérieu-
rement à l’année 1987, décembre 2002 pour ceux émis antérieurement à l’année 1992. »
Malgré le caractère incitatif de ce texte, la déclassification reste un acte volontaire.
20. « Ce besoin d’en connaître doit être entendu au sens de l’article 7 du décret du
12 mai 1981 comme une obligation liée aux fonctions exercées et non comme un droit
personnel à prendre connaissance de telles informations », dit le préambule du titre II
de l’ITG no 1300.

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04_Archsecr_CN Page 77 Mardi, 27. mai 2003 5:45 05

Les documents classifiés au ministère de la Défense 77

documents classifiés, est de protéger le secret. À la fois pour les besoins


du fonctionnement de l’administration, la protection des droits de
personnes (à commencer par celui de la sécurité individuelle) et de ceux
de l’État, toujours dans la logique de la loi de 1978 qui impose la trans-
parence administrative mais reconnaît dans le même temps un droit au
secret de la vie administrative, sinon le droit au secret de l’État. Si on
reprend les termes de la loi de 1979 elle-même, c’est la conservation des
documents qui est assurée dans l’intérêt public et non leur communica-
tion, même si nous répugnons à séparer les deux. Dans ce domaine,
responsabilité des archivistes et intérêt des historiens divergent
fortement : l’archiviste doit alors oublier qu’il est aussi historien pour
se rappeler qu’il est d’abord agent public…
La question des documents classifiés est en cela des plus irritantes
car elle nous place au cœur de nos contradictions : articulation entre les
lois de 1978 et de 1979, définition des documents et des archives 21,
droits des personnes et droits de l’État… Elle est surtout à l’origine
d’une inconfortable situation des archivistes entre services versants et
historiens. Les premiers se montrent souvent peu enclins à se laisser
déposséder de leurs documents22 et se voient confortés dans leur rôle
par la loi de 1978 quant à la communicabilité de leurs documents et par
la réglementation de 1982, puis le décret de 1998, quant à leur niveau
de classification. Il faut ici souligner que l’idée largement répandue
dans le public que les documents les plus secrets présenteraient une
tendance naturelle à « s’évanouir dans la nature » est totalement fausse,
et prouve une méconnaissance profonde des mécanismes de l’adminis-
tration militaire : le secret est au contraire garant de la protection des
documents. Les règles de rédaction, de suivi et de conservation des
documents sont d’autant plus strictes et contrôlées que le niveau de clas-
sification s’élève. Le danger est dans la rétention de l’information et la
difficulté est d’organiser le passage au statut d’archives historiques 23.

21. Et l’éternel refrain du records management…


22. Ils le sont d’autant moins qu’en France la loi de 1979 dispose que le versement
des archives n’entraîne pas le transfert de propriété du service versant à l’administration
des archives, à la différence des lois nationales de la plupart des pays de vieille tradition
archivistique.
23. L’ITG 1300 (chapitre V, articles 45 à 47) affirme l’obligation de versement des
« documents classifiés présentant un intérêt administratif et historique »… « dès qu’ils
ne font plus l’objet d’une utilisation habituelle ». Elle prévoit également que « les docu-
ments dépourvus d’intérêt administratif et historique peuvent être éliminés mais seule-
ment après accord de l’administration des archives ». Le texte est donc conforme à
l’esprit de la loi de 1979 ; en revanche, il est clair que la pratique administrative s’en
éloigne. C’est d’ailleurs une des conclusions du rapport de juillet 2000 sur l’organisa-
tion des archives du secrétariat général de la Défense nationale (SGDN) par Mireille
Jean, conservateur chargé de la mission des Archives nationales auprès des services du
Premier ministre et Nathalie Genet-Rouffiac, conservateur au SHAT.

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78 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Celui-ci est facilité par la proximité entre administration d’origine et


services de collecte, esprit qui prévaut dans les missions des Archives
nationales auprès des ministères. Il est encore plus « naturel » quand il
ne s’accompagne pas dans le même temps d’un changement d’adminis-
tration, ou plus encore du transfert vers une administration extérieure.
C’est bien là le sens de l’ancienneté et de la permanence des services
d’archives « intégrés » de la Défense et des Affaires étrangères. À
l’inverse les historiens sont souvent prompts à s’approprier le matériau
historique, forts de l’importance que la loi de 1979 reconnaît à la docu-
mentation historique de la recherche. Pour l’archiviste, à la fois protec-
teur du secret et de la communication, historien et serviteur de l’État,
s’il existe un domaine pour lequel l’éthique professionnelle a un sens,
c’est bien celui-là…
La question est celle d’une profession, mais elle est également celle
d’une administration, et, de plus en plus, d’une politique. Est-ce le rôle
de l’administration chargée des archives que de pousser à l’ouverture
des archives ? On se souvient du camouflet public qu’avait essuyé
Catherine Trautmann en affirmant qu’elle allait faire ouvrir les fonds de
l’affaire de la préfecture de police de 1961… Mais est-ce également son
intérêt ? Ceux qui répondent par la négative mettent souvent en avant
un motif d’opportunité et la volonté de ménager les services versants.
Mais c’est aussi un enjeu de crédibilité auprès de l’administration
d’origine des documents, et, dans ce domaine, il n’est pas totalement
anodin que les deux ministères les plus concernés par les documents
classifiés, à savoir la Défense et les Affaires étrangères, soient égale-
ment les seuls à bénéficier d’une autonomie de droit par rapport à la
direction des archives de France et à disposer de conservateurs du patri-
moine non pas détachés mais affectés dans ces ministères (le statut inter-
ministériel des conservateurs trouvant ici pleinement son sens). Doit-on
voir dans ces deux cas une persistance du passé ou plutôt une réponse
spécifique à des enjeux bien particuliers ? Ceux qui s’interrogent sur un
éventuel rattachement des archives à une administration autre que celle
de la Culture (au secrétariat général du gouvernement, par exemple, ou
auprès d’un autre service du Premier ministre) ne sont pas dans un ques-
tionnement bien lointain. On a vu, par ailleurs, que de la proximité de
l’archiviste et de l’administration, de la Défense ou des Affaires étran-
gères, naît la préservation de l’information, et non sa disparition.
Le fait est qu’il y a une contradiction de plus en plus forte entre la
volonté des services administratifs producteurs de l’information
sensible, qui poussent à une réglementation de plus en plus stricte (et
c’est une des orientations de la prochaine réforme de l’ITG no 130024 en

24. L’ITG no 1300 est en effet en cours de refonte à la suite de l’abrogation du


décret no 81-514 du 12 mai 1981 par le décret no 98-608 du 17 juillet 1998. Cette révi-
sion est menée par la direction Protection et sécurité de l’État du SGDN.

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Les documents classifiés au ministère de la Défense 79

cours d’élaboration par le SGDN), et la politique des services d’archives


publiques, sous l’influence du lobbying des historiens25, du pouvoir
politique ou de l’opinion publique.
De la contradiction naît la tension : il est à craindre que la sérénité
et l’optimisme affichés dans les salles de lecture et les amphithéâtres ne
prévalent pas au quotidien des archivistes sur le terrain… Mais qui a dit
que les archives pouvaient être politiquement correctes ?

Nathalie GENET-ROUFFIAC

25. Dont l’abandon du projet « Reims » a prouvé l’influence…

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Mars au secret ?
Procédures et enjeux du recueil
des archives du cabinet du ministre
de la Défense

Plus que toutes autres, les archives des cabinets ministériels évoquent
le secret. Longtemps le cabinet lui-même désignait la petite pièce dans
l’appartement d’un souverain ou d’un ministre, propice aux rencontres
discrètes et lieu, imaginaire ou réel, où les affaires d’importance se
discutaient. Plus récemment, toujours dans la sphère politique, ce mot
fut pris comme synonyme de ministère et de gouvernement. De la même
façon qu’un cabinet évoquait la réunion des ministres, le cabinet du
ministre désigne l’ensemble des collaborateurs directs de celui, ou de
celle, qui a la charge de l’administration d’un département ministériel 1.
Ainsi, les ministres de la Défense sont-ils, comme les autres membres
du gouvernement, et conformément aux dispositions prises par le décret
du 28 juillet 19482, assistés d’un directeur de cabinet, d’un directeur
adjoint et d’une équipe de conseillers et de chargés de mission. Ces
hommes et ces femmes qui exercent ces fonctions rédigent de
nombreuses notes, rapports, comptes rendus, souvent réunis dans des
dossiers d’autant plus précieux qu’ils traduisent et témoignent, au plus
haut sommet de l’État, des méthodes de travail employées lors de
l’élaboration de la prise de décision. Comme les autres ministères, le
ministère de la Défense applique la loi du 3 janvier 1979 sur les
archives, mais il jouit d’une totale indépendance de gestion, confirmée
par le décret no 79-1035 du 3 décembre 1979, pris en application de
cette loi.

1. Pour un regard rétrospectif sur l’histoire des cabinets ministériels, on se repor-


tera aux actes du colloque Origines et histoire des cabinets de ministres en France,
Genève, Droz, 1975.
2. Ce décret fixe les règles de fonctionnement, en matière d’administration
publique, des cabinets ministériels.

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82 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

UN CADRE CONSTITUTIONNEL, LÉGISLATIF


ET RÉGLEMENTAIRE COMPLEXE

C’est dans un contexte institutionnel fourni, à défaut d’être toujours


explicite, qui tient à la nature régalienne des questions de défense,
encadré par des dispositions législatives et réglementaires nombreuses,
que s’effectue la mission de recueil, de conservation et de communica-
tion des archives produites par l’ensemble des services du ministère et,
en tout premier lieu, par le cabinet du ministre lui-même.
Il n’est pas inutile de rappeler que c’est l’article premier de l’ordon-
nance du 7 janvier 1959 qui règle, pour la Ve République, les principes
fondamentaux et l’organisation de la Défense3 : « La Défense a pour
objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes
les formes d’agression la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la
vie des populations. Elle pourvoit au respect des alliances, traités et
accords internationaux. » Le caractère de permanence de la Défense est
ainsi introduit par cette ordonnance, qui s’ajoute aux principes de natio-
nalité, d’étatisme et de globalité. Eu égard à ces missions et de par la
Constitution de 1958, le chef de l’État est « le garant de l’indépendance
nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». De
même, il est, selon l’article 15, le « chef des armées… [et] … il préside
les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale ». Le gouver-
nement, pour sa part, conduit « la politique de la nation… et dispose de
la force armée ». Son chef, le Premier ministre, est « responsable de la
Défense nationale » (article 21). Il se voit conférer, ainsi, de très vastes
pouvoirs renforcés par l’article 9 de l’ordonnance de 1959 : « Le
Premier ministre, responsable de la Défense nationale, exerce la direc-
tion générale et la direction militaire de la Défense. »4 L’on voit, en
conséquence, que les pouvoirs du ministre de la Défense, d’ailleurs

3. Ordonnance no 59-147 du 7 janvier 1959, portant organisation générale de la


Défense. Ce texte, préparé par l’état-major de la Défense nationale, selon les vœux de
Michel Debré et du général de Gaulle, est essentiel car il est beaucoup moins flou que
les grands principes, redondants pour certains, évoqués dans la Constitution. Il convient,
pour une étude approfondie, de se reporter à la thèse de Bernard CHANTEBOUT, L’Orga-
nisation générale de la Défense nationale en France depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1967, 500 p., et à deux
ouvrages plus récents : Claude CARRÉ, Histoire du ministère de la Défense et des dépar-
tements ministériels militaires, Paris, Centre d’études d’histoire de la défense, Lavau-
zelle, 2001, et Éléments d’histoire administrative, ministère de la Défense, 1958-2000,
rassemblés par Pierre CADET sous la direction de Maurice VAÏSSE, Centre d’études
d’histoire de la Défense, Vincennes, 2000.
4. Pour étudier les responsabilités constitutionnelles du président de la Répu-
blique, cf. B. CHANTEBOUT, op. cit., p. 194-197. Pour celles dévolues au Premier
ministre, ibid., p. 197-202.

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Mars au secret ? 83

dénommé « ministre des forces armées », sont très contingentés par les
attributions confiées au sommet de l’exécutif5. Ainsi, l’article 16 de
l’ordonnance de 1959 précise bien qu’il « est responsable, sous l’auto-
rité du Premier ministre, de l’exécution de la politique militaire et en
particulier de l’organisation, de la gestion, de la mise en condition
d’emploi et de la mobilisation de l’ensemble des forces ainsi que de
l’infrastructure qui leur est nécessaire […] il a autorité sur l’ensemble
des forces et services des armées et est responsable de leur sécurité ».
Ces missions furent encore détaillées et complétées par des décrets
postérieurs, notamment en ce qui concerne son rôle dans les négocia-
tions internationales intéressant la Défense6.

LES PRINCIPES LÉGAUX À L’ÉPREUVE DU POLITIQUE

Cela étant précisé, comment la loi sur les archives s’applique-t-elle dans
un domaine aussi sensible et exposé que la direction et la gestion poli-
tiques de la Défense nationale ? Notre régime républicain, n’ayant pas
renoncé à la pompe et au prestige liés à l’exercice du pouvoir exécutif,
pare ceux qui l’exercent d’une aura toute particulière. Il faut être
étranger à l’administration pour ignorer le retentissement d’une visite
d’un membre du cabinet, voire du ministre lui-même, héritier ainsi
d’une longue tradition qui confère un prestige particulier aux hommes
et aux femmes qui, dans le secret des cabinets, abrités dans l’hôtel dit
« du ministre »7, traitent des plus hautes affaires de l’État. L’article 5 de
la loi de janvier 1979 précise bien que « lorsqu’il est mis fin à l’exis-
tence d’un ministère, service, établissement ou organisme détenteur
d’archives publiques, celles-ci doivent être, à défaut d’une affectation
différente déterminée par l’acte de suppression, versées à l’administra-
tion des archives »8. Cependant, une tradition tenace a longtemps sous-
trait à ce principe légal les archives produites dans un secteur spécifique,

5. C. CARRÉ, « Le ministre des armées : la plus lourde charge », op. cit., p. 421-
424.
6. Décret no 62-808 du 18 juillet 1962 relatif à l’organisation de la Défense natio-
nale et décret no 62-811 du 18 juillet 1962 fixant les attributions du ministre des Armées.
On se reportera, pour une étude approfondie, à l’étude de Thierry SARMANT dans
L’Inventaire des archives du cabinet du ministre de la Défense et des organismes ratta-
chés 1945-1969, série R, Service historique de l’armée de terre, Vincennes, 1997, p. I-
XLVI.
7. Thierry SARMANT (dir.), L’Hôtel de Brienne, Paris, ministère de la Défense,
2001.
8. Recueil des lois et règlements relatifs aux archives 1958-1988, direction des
Archives de France, 1989, 2 volumes. Principaux Textes relatifs aux archives en
vigueur au 1er mars 1996, direction des Archives de France, 1996.

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84 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

celui lié à l’exercice d’une activité politique même et y compris dans le


cadre d’une mission publique.
Les arguments étayant cette habitude préjudiciable sont puisés dans
l’héritage de l’Ancien Régime, déniant ainsi toutes les avancées juridi-
ques faites depuis, dont l’arrêt de la Cour de Paris du 11 décembre 1865
qui considère très explicitement que « le fonctionnaire public [qui]
exerce un mandat se trouve lié par toutes les obligations qui naissent de
ce mandat […] Il ne peut conserver comme siens les titres et papiers
qu’il a reçus par son mandat […] Ainsi que tous les documents qui par
leur nature ou leur destination sont venus aux mains du fonctionnaire
pour en user et les garder au profit du service dont il est chargé n’ont
pas cessé d’être la propriété de l’État »9. Le postulat sur lequel repose
cette privatisation de fait d’archives publiques pose que les cabinets
ministériels ne seraient pas assimilables à des structures administratives
permanentes. Postulat faux, puisque depuis 1911 et plus encore à
compter du 28 juillet 1948, leur existence et leur mode de fonctionne-
ment ont été institutionnalisés. En fait, c’est bien la nature, supposée ou
réelle, des informations susceptibles de figurer au sein de ces archives
qui justifie, en soi, leur statut si particulier, objet d’un consensus de la
part des hommes politiques. Légitimement, on est donc en droit de se
demander quelles sont, en réalité, les limites de la domanialité publique
en ce qui concerne les archives de l’État et tout particulièrement celles
produites par les cabinets ministériels. Sans préjuger des pratiques de la
direction des Archives de France, qui a compétence sur tous les autres
ministères à l’exception des Affaires étrangères, qu’en est-il de
l’histoire et des procédures employées par le service en charge de cette
mission depuis près de trois cents ans au ministère de la Défense ?

HISTOIRES PARALLÈLES :
LE DÉPÔT DE LA GUERRE
ET L’ORGANISATION DE L’EXÉCUTIF DE LA DÉFENSE

Si l’origine des secrétaires d’État de la Guerre remonte à Henri II, le


cardinal de Richelieu prit le premier des dispositions afin que, dans un
double souci hagiographique et pratique, les pièces les plus essentielles
à la conduite de la guerre fussent copiées. Selon une tradition tenace,
c’est en 1688 que le marquis de Louvois créa le dépôt de la Guerre,

9. Deux ouvrages de doctrines doivent impérativement être cités : Gilles WOL-


KOWITSCH, Archives, Bibliothèques, Musées : statut des collections accessibles au
public, préface de Jean Châtelain, Paris, Economica, 1986, et Hervé BASTIEN, Droit des
Archives, Paris, La Documentation française, 1996.

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Mars au secret ? 85

organe chargé d’assurer la conservation de ces documents, mais aussi


de veiller au versement régulier des archives produites par les différents
bureaux du département de la Guerre et de veiller à ce que les papiers
restés en la possession des commandants de place, ou des officiers mis
à la tête d’armées en opérations, fussent bien conservés. Pour sa part,
Louvois prit un soin tout particulier pour que toute sa correspondance
fût copiée et conservée avec, le cas échéant, des pièces originales, anno-
tées ou paraphées par le roi lui-même10.
Héritier de ce dépôt de la Guerre, le Service historique de l’armée
de terre a ainsi toujours la responsabilité des archives des départements
ministériels, successivement chargés des affaires militaires, mais aussi
celle des archives propres à l’armée de terre et au secrétariat général de
la Défense nationale11.
« Cedant arma togœ : depuis la Seconde Guerre mondiale, le
système politique français assure la primauté du gouvernement sur le
haut commandement dans la direction des affaires militaires et de
défense. »12 C’est dire toute l’importance des archives du cabinet du
ministre pour une meilleure compréhension de la politique de défense
ou de « sécurité nationale » comme disent les Anglo-Saxons13. Pour la
période postérieure à 1945, ces archives sont conservées dans la série R
du cadre de classement des archives du SHAT, la sous-série 1 R étant
particulièrement dédiée aux documents produits par le cabinet du
ministre et notamment par les différentes cellules relevant du cabinet
civil ou du cabinet militaire. Car – c’est une des particularités de l’orga-
nisation interne au cabinet ministériel – les différents conseillers du
ministre, en charge d’une cellule, relèvent soit du cabinet civil, soit du
cabinet militaire, dont la direction commune est confiée au directeur de
cabinet qui porte le titre de « directeur du cabinet civil et militaire ».
Sans entrer dans le détail des attributions respectives, qui peuvent
souvent varier, des conseillers appartenant à l’un ou l’autre cabinet, il
est essentiel de bien marquer cette différence car elle trouve sa traduc-
tion dans une politique différenciée de recueil et de versement des
archives au Service historique. Le directeur du cabinet civil et militaire

10. Thierry SARMANT, « Du dépôt de la guerre au Service historique de l’armée de


terre », Guide des archives et de la bibliothèque du Service historique, Château de
Vincennes, 2001, et du même auteur, « Mars archiviste : département de la guerre, dépôt
de la guerre, archives de la guerre, 1630-1791 », Revue historique des Armées, no 222
mars 2001.
11. Décret no 79-1035 du 3 décembre 1979, pris en application de la loi sur les
archives du 3 janvier de la même année.
12. Inventaire des archives du cabinet du ministre de la Défense et des organismes
rattachés 1945-1969, série R, Service historique de l’armée de Terre, Vincennes, 1997,
p. I.
13. Sur « le rôle croissant des cabinets ministériels », B. CHANTEBOUT, op. cit.,
p. 177-181.

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86 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

dirige ainsi l’ensemble des activités du cabinet, veille aux bonnes rela-
tions avec les conseillers chargés de la Défense à l’Élysée et à Matignon,
et coordonne l’action des différents bureaux et cellules, qui assurent le
fonctionnement du ministère et contribuent à ce que l’action du ministre
trouve sa traduction dans les grandes orientations de travail. Sous sa
direction, le cabinet militaire traite, généralement, de toutes les ques-
tions qui sont considérées comme proprement militaires, dont les
affaires nucléaires, les relations avec l’étranger, et notamment le suivi
des programmes de coopération, la gestion des fonds et des affaires
administratives militaires, la gestion des services communs aux armées,
les questions logistiques, etc. Les questions d’ordre opérationnel relè-
vent tout particulièrement de ses compétences. Le cabinet civil, pour sa
part, est traditionnellement responsable de la bonne marche du minis-
tère lui-même, et son chef gère l’agenda du ministre, ses déplacements,
ainsi que ses relations avec les parlementaires. Il coiffe un ensemble de
conseillers chargés des affaires internationales, des affaires économi-
ques – dont le budget de la Défense et la préparation des lois de
programmation militaire –, des affaires sociales et encore des affaires
administratives et juridiques, pour n’en citer qu’un certain nombre. Ce
partage des tâches est récurrent dans l’histoire de la direction des
affaires militaires. Ainsi, le 8 mars 1802, la quatrième division du
ministère devint un ministère à part entière, le ministère de l’adminis-
tration de la Guerre, confié au comte Dejean, alors que Berthier restait
ministre de la Guerre. Cette organisation bicéphale perdura pendant tout
l’Empire, et la partition actuelle du cabinet du ministre de la Défense est
un avatar contemporain de ce distinguo administratif14.

DE L’EMPIRISME À L’EXPERTISE :
HISTOIRE DE LA COLLECTE DES ARCHIVES MINISTÉRIELLES

La « protohistoire » de la politique de recueil des archives


du cabinet
Depuis les années 1980, une gestion différenciée des archives produites
par l’un et l’autre des cabinets est intervenue sans pour autant se justi-
fier totalement. En effet, c’est à cette date que des dispositions furent
prises, notamment par le secrétariat général du gouvernement (SGG),
pour rappeler les ministres et leurs conseillers à leurs devoirs, envers
leurs archives. En juillet 1984 apparaît, toujours à l’initiative du SGG,
la notion de « protocole de versement », qui qualifie bien les archives

14. C. CARRÉ, op. cit., p. 113-125.

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Mars au secret ? 87

des cabinets comme de véritables archives publiques, procédure reprise


et affinée en mars 1986 sous les termes de « protocole de remise », ce
qui avait pour avantage d’éviter toute confusion avec les versements
administratifs15.
Heureuse conséquence de ces nouvelles dispositions, le ministre
André Giraud16, confia un ensemble très important d’archives produites
sous son administration au SHAT. Depuis cette date, à l’exception
notable de Jean-Pierre Chevènement17, tous ses successeurs ont fait de
même, avec plus ou moins de prolixité ! Pour autant, le statut de ces
archives demeure flou, car la notion même de « protocole de remise »,
pourtant recommandée dès 1986, n’est effectivement entrée en vigueur
au ministère de la Défense qu’avec le précédent gouvernement. Jusqu’à
cette date, la plupart des conventions signées sont des conventions de
dépôts, donc révocables, qui transgressent ainsi les principes même
d’inaliénabilité et d’incessibilité du domaine public. Elles maintiennent,
enfin, une confusion considérable entre le fonds d’archives publiques,
notamment celles du cabinet militaire, et les archives privées, dénom-
mées aussi « fonds privé du ministre ». Souvent, cette distinction n’a été
maintenue que parce qu’elle était la condition sine qua non de remise
des documents, et le contrat de dépôt fut, pour les mêmes raisons, une
concession faite par l’administration des archives au pouvoir politique,
en position de force pour dicter ses conditions. Cette situation est aussi
la conséquence directe de l’impossibilité de dessaisir, contre son gré, un
conseiller ou un responsable de ses dossiers de travail qu’il juge être un
matériau personnel et en aucun cas assimilable à un document d’archive
publique. Il faut remarquer cependant que cette attitude n’est pas
l’exclusive des hommes politiques et que dans les domaines de la
recherche, tout autant publique que quand elle est le fruit du travail d’un
fonctionnaire dans un organisme d’État, les documents et dossiers de
travail des chercheurs sont considérés comme une production person-
nelle et donc insaisissable. Dans une situation contentieuse, le droit
moral de l’auteur, qui peut être revendiqué sur tout document non assi-
milable à de la littérature grise, pourrait être évoqué pour justement
limiter le champ d’application de la domanialité publique.

15. Sur cette notion – fondamentale – de protocole, voir le texte de Christine


Pétillat dans ce volume.
16. Ministre de la Défense du 20 mars 1986 au 11 mai 1988.
17. Ministre de la Défense du 12 mai 1988 au 29 janvier 1990.

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05_Archsecr_CN Page 88 Mardi, 27. mai 2003 5:45 05

88 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Archives privées et mentions manuscrites :


la confusion des genres
S’agissant des archives du cabinet du ministre de la Défense étaient
considérés comme appartenant au « fonds privé du ministre », les
dossiers constitués par ses collaborateurs du cabinet civil, les notes qui
lui étaient adressées, les courriers en forme personnelle et les échanges
manuscrits, etc. Les conseillers eux-mêmes, souvent sous l’influence de
leur secrétariat, structures permanentes héritières de méthodes de travail
aujourd’hui souvent en contradiction totale avec la loi et la jurispru-
dence, avaient tendance à classer comme « personnelles » toutes les
pièces annotées, ou portant des mentions manuscrites. Rétrospective-
ment, il est intéressant de voir que c’est le caractère manuscrit d’une
pièce qui semble, pour les néophytes, le qualifier comme étant un docu-
ment privé ! De même, toute pièce officielle, mais annotée par le
ministre ou l’un de ses conseillers, était automatiquement retirée des
dossiers d’affaire auxquels elle appartenait pour être remise à la dispo-
sition du ministre qui avait alors toute latitude pour la verser au titre de
son fonds privé, dans le meilleur des cas, pour la conserver ou détruire
la pièce, au pire. La cohérence et la logique même des dossiers étaient
ainsi rompues, et l’ordonnancement initial des papiers, pourtant telle-
ment révélateur du caractère intime et de l’esprit d’un homme au travail,
disparaissait ainsi à tout jamais.
Cependant, le bilan de ces dernières années n’est pas, au regard
d’autres fonctions ministérielles, si négatif. Même si les termes choisis
pour décrire le mode d’entrée des archives du cabinet dans nos fonds,
ainsi que les procédures mises en œuvre, ne sont pas entièrement satis-
faisants, les bonnes et étroites relations entre le département chargé de
ces fonds au Service historique et le bureau du courrier et de la docu-
mentation du cabinet du ministre, son relais naturel, ont permis que les
archives les plus sensibles soient, au titre des archives du cabinet mili-
taire, donc public, ou au titre des archives du cabinet civil ou du fonds
dit « privé » du ministre de la Défense, remises et conservées au Service
historique, conformément aux dispositions légales et aux attributions
dudit service.

QUAND LA PRATIQUE REJOINT ENFIN L’ESPRIT DES LOIS

Le cabinet d’Alain Richard :


la contractualisation d’une procédure raisonnée
Avec le précédent ministère et celui qui vient de se mettre en place, la
pratique semble enfin rejoindre le droit et l’on peut espérer qu’une

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Mars au secret ? 89

nouvelle ère est née au ministère de la Défense. Tout d’abord, s’agissant


du ministère d’Alain Richard, deux avancées considérables furent réali-
sées. La première du point de vue du droit et la seconde pour ce qui est
de la mise en œuvre dynamique de la collecte des archives.
Pour ce qui est du droit, pour la première fois, c’est bien un
« protocole de remise » qui fut signé avec le ministre, affirmant de façon
catégorique le caractère public de ces documents produits dans l’exer-
cice de fonctions publiques. La politique d’archives du ministère, dans
ce domaine, s’inscrit enfin dans le cadre général de la politique de
conservation et de communication des archives en France. La conserva-
tion de ces pièces, dans une institution patrimoniale dont c’est la
mission, garantit et préserve aussi leur valeur probatoire et permettra, à
terme, une meilleure connaissance des actions et de la gestion des
affaires menées pendant l’exercice de ce ministère en favorisant le
travail des chercheurs et des historiens. La valorisation de toute action
gouvernementale passe aussi par la conservation des traces tangibles de
son action !
En ce qui concerne la mise en œuvre de cette mission, pour la
première fois, le conservateur du Patrimoine qui en est chargé, sur la
demande du chef du Service historique et grâce à l’appui du directeur
du cabinet et de son directeur adjoint, a pu rencontrer chaque conseiller,
chaque chargé de mission, afin de leur exposer les enjeux et les moda-
lités d’une telle procédure de remise d’archives. Il est de ce point de vue
essentiel, et l’expérience menée vient de le prouver, d’avoir l’aval des
plus hautes autorités du cabinet et du ministre lui-même, pour ne pas
apparaître comme exogène au système global de gestion de ces archives.
Ainsi, l’interlocuteur naturel d’un conservateur du Patrimoine, fonction-
naire d’autorité, et scientifique de haut niveau, est le conseiller dont la
responsabilité et l’arbitrage doivent être engagés afin de mener à bien
cette entreprise. Cela est d’autant plus essentiel qu’eux seuls peuvent
donner une impulsion suffisante à leurs propres équipes et secrétariats
pour changer leurs habitudes de travail, fort « conservatrices » en la
matière. Le résultat du travail méthodique ainsi entrepris a été excellent
et c’est plus de cent cinquante épais cartons d’archives, portant la cote
K, celle des entrées extraordinaires, qui reposent aujourd’hui dans une
salle forte du château de Vincennes.

Le cabinet de Michèle Alliot-Marie :


l’aboutissement d’un processus juridique et archivistique intégré
Avec l’actuel cabinet, une nouvelle procédure a été mise en œuvre et là
aussi le protocole de remise d’archives comme la procédure de recueil
des archives marquent des avancées significatives et encourageantes.
Tout d’abord, et c’est une démarche innovante, un protocole de remise
d’archives a été transmis au ministre dès la formation de son cabinet afin

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90 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

de poser, en amont, les principes qui s’appliqueront aux futures archives


produites par ses conseillers. Ensuite, et c’est aussi une première, chaque
conseiller et chargé de mission s’est vu remettre un avenant personnel
à ce protocole général, afin de leur permettre de procéder au don de leurs
archives avant même la fin du cabinet et, le cas échéant, si eux-mêmes
devaient quitter leurs fonctions pour prendre d’autres responsabilités, en
cours de législature. En effet, plusieurs conseillers peuvent se succéder
aux mêmes charges et – ce qui était une absurdité – il appartenait au
conseiller en place au moment de la dissolution du cabinet de prendre
la responsabilité du transfert et des conditions d’accès, point essentiel,
des archives de ses prédécesseurs.
Les protocoles de remise rappellent toujours les dispositions
légales relatives à la communication des archives, mais ils permettent
– c’est l’objet de la négociation entre le conservateur et le conseiller –
de déterminer des clauses particulières en fonction de la nature des
documents remis, clauses dont le respect est une marque indispensable
de confiance réciproque, axe majeur du travail qui s’accomplit ainsi. Il
y avait une contradiction, voire même parfois une impossibilité maté-
rielle, pour tel ou tel conseiller, à décider des conditions d’accès négo-
ciées pour des documents produits avant qu’ils ne prennent eux-mêmes
leurs fonctions. Désormais, l’articulation entre protocole du ministre et
avenant des conseillers est à la fois très simple et surtout très opéra-
tionnelle. Elle contribuera certainement à assurer plus de transparence
et de lisibilité à l’action du Service historique. C’est ainsi qu’à l’invita-
tion du directeur de cabinet, le conservateur de ce qu’il est convenu
d’appeler la division des entrées extraordinaires a présenté lors d’une
réunion du cabinet les principes, les enjeux et les modalités de ces
opérations. Par ailleurs, un travail plus étroit doit encore s’instaurer
entre le service du courrier et de la documentation du cabinet du
ministre et cette division du Service historique afin de mieux assurer et
coordonner leur action, indispensable vecteur de réussite.

LA DOMANIALITÉ PUBLIQUE DES ARCHIVES


DU CABINET DU MINISTRE :
UN ENJEU DÉMOCRATIQUE

Trois âges, trois époques, marquent l’histoire des archives des gouver-
nants ayant la responsabilité des questions de Défense. Sous l’Ancien
Régime, la gestion courante des affaires était très personnalisée, mais
les archives produites étaient assez systématiquement récupérées, y
compris par des moyens très coercitifs, dont la pose des scellés. À
l’époque contemporaine, l’exercice du pouvoir s’est dépersonnalisé

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Mars au secret ? 91

mais, paradoxalement, les archives des hauts responsables ont fait le


plus souvent l’objet d’appropriation, de privatisation. Aujourd’hui, une
troisième époque s’ouvre. Les dirigeants prennent conscience que la
judiciarisation et les contentieux de plus en plus nombreux, nés de la
possible remise en cause de la gestion des affaires de l’État par les
citoyens et leurs représentants, rendent essentielle la conservation des
archives, seules pièces qui peuvent exciper de leur valeur probatoire.
Les mœurs politiques évoluent ; une nouvelle loi sur les archives devrait
sans doute traduire ce rapport nouveau qui s’instaure entre administra-
tions et administrés, transformant aussi les équilibres et les bases mêmes
de la concertation nécessaire entre l’administration des archives et les
services qui les produisent. Le cabinet du ministre de la Défense repré-
sente le point extrême des rapports de pouvoir qui existent entre les uns
et les autres, entre le souci de transparence de la direction de l’État et le
secret nécessaire au succès de ses entreprises. Ces archives représentent
donc un enjeu capital, tant d’un point de vue historique que d’un point
de vue démocratique.

Hervé LEMOINE

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Les archives de la période


de l’Occupation :
le cas des archives conservées
aux Archives nationales

Archives « secrètes », secrets d’archives ? Ces questions jalonnent mon


itinéraire d’archiviste depuis le début de ma carrière, au Service histori-
que de l’armée de terre pour les archives de la guerre d’Algérie, puis à la
Mission Mattéoli pour celles des spoliations, et maintenant à la section du
XXe siècle des Archives nationales pour celles de l’épuration. Je l’avoue
sans fard : les archives m’ont contrainte à nuancer des réponses que
j’aurais au départ formulées un peu vite. J’étais en effet partisane de la
plus grande transparence face aux événements et aux documents du
passé. Je suis aujourd’hui prudente et, même si je suis convaincue de la
nécessité d’ouvrir à la recherche les archives du milieu du XXe siècle, je
mesure leur caractère contemporain. Ces archives appartiennent en effet
à notre temps, et nous avons à leur égard des responsabilités multiples.
Pour articuler mon propos, je reprendrai les termes de la journée
d’études du 13 juin 2002 du CHEVS en exposant la situation des archives
conservées aux Archives nationales. Pour la période de l’Occupation, on
ne peut plus parler d’archives secrètes, tant il est vrai que les cinq derniè-
res années sont marquées par l’ouverture des archives de cette époque.
Dans une première partie, je retracerai les grandes lignes de la politique
des Archives de France en m’appuyant sur celle des Archives nationales.
Mais, paradoxalement, et ce sera l’objet de ma seconde partie, si les archi-
ves sont de plus en plus librement consultables, elles n’en contiennent pas
moins ce que l’on peut appeler des secrets. Il ne s’agit nullement de secrets
d’État dont, pour ma part, je n’ai jamais rencontré d’exemple. Mais nous
sommes sans cesse confrontés à des documents qui peuvent révéler des
informations intimes et douloureuses, parfois encore inconnues des
personnes mêmes qui les consultent et qu’elles concernent pourtant au
premier chef. Je donnerai une idée de ces indéniables secrets et du travail
que nous menons au quotidien sur des documents d’un passé encore si
présent que l’on pourrait presque parler d’archives vivantes.

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94 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

ARCHIVES SECRÈTES ? NON :


LA POLITIQUE D’OUVERTURE DES ARCHIVES NATIONALES

Toute politique d’ouverture d’archives est multiforme. Il s’agit d’un


travail scientifique qui requiert à chaque maillon de la chaîne archivis-
tique une volonté cohérente ainsi que des moyens et des compétences
multiples. La section du XXe siècle du Centre historique des Archives
nationales est responsable de la collecte, de la conservation, du classe-
ment et de la communication au public des principales sources
d’archives sur la Seconde Guerre mondiale conservées en France. À
ce titre, le travail mené depuis 1945 par les Archives nationales est
exemplaire.
Pour ouvrir des fonds, il va sans dire qu’il faut les avoir préalable-
ment collectés. C’est Pierre Cézard, responsable de la section contem-
poraine qui a organisé, dès la Libération de Paris, la collecte des
archives de la guerre, tant des administrations centrales du régime de
Vichy que des organismes allemands d’Occupation1. Au sixième étage
de l’hôtel de Rohan où est installée la section du XXe siècle, la grande
salle du bout du couloir s’appelle ainsi le « Majestic », du nom de
l’hôtel qu’occupait avenue Kléber le Militärbefehlshaber in Fran-
kreich. C’est là que Pierre Cézard et ses collaborateurs ont entreposé,
trié, classé, les dossiers de l’administration militaire allemande qui
constituent aujourd’hui la série AJ 40 des Archives nationales. Parmi
les principaux fonds collectés, on ne peut ici que citer les papiers du
maréchal Pétain (série 2 AG), le fonds du Commissariat général aux
questions juives et du Service des restitutions (série AJ 38), ou celui du
Bureau central de renseignements et d’action (série 3 AG 2). Dans les
années 1950, la collecte s’est poursuivie avec les fonds judiciaires de
l’épuration, ceux de la Haute Cour de justice (série 3 W), de la cour de
justice et des chambres civiques (séries Z 6 et Z 5). La série 72 AJ tient
une place particulière puisque, après un noyau central que constituent
les archives du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, elle
s’enrichit constamment de fonds privés relatifs à la guerre, à la résis-
tance et à la déportation ; ses dernières acquisitions concernent les
archives de l’Amicale de Mauthausen (listes matricules et classeurs de

1. La section contemporaine a pris le nom de section du XXe siècle en 1995. Les


fonds d’archives qui lui étaient impartis (1940-1958, plus les archives présidentielles)
ont été élargis à la période 1914-1958. Cf. aussi Chantal DE TOURTIER-BONAZZI, « Le
point sur les archives : septembre 1939-1945, Archives de France », dans Paris, 1944.
Les enjeux de la Libération, actes du colloque Libération de Paris, 2-4 février 1994,
Paris, Albin Michel, 1994, p. 457-463.

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Les archives de l’Occupation 95

photographies) et celles de mouvements importants, comme Résistance


et Francs-Tireurs. Tous ces ensembles documentaires sont encore
susceptibles d’accroissement. Ainsi la série AJ 38 a-t-elle été récem-
ment doublement complétée : en 1999, par les dossiers relatifs aux
spoliations mobilières qui ont été versés par le ministère des Finances
et qui sont très importants pour instruire les demandes actuelles
d’indemnisation ; en 2000 et 2002, ce fut par des découvertes à l’inté-
rieur même des Archives nationales. La vétusté des locaux du quadrila-
tère du Marais nous contraint à des rangements et des déménagements
successifs qui ont fait émerger des papiers divers ; une fois rassemblés
et classés, ils représentent près de deux mètres linéaires d’archives et
contiennent notamment près de 120 dossiers individuels d’aryanisation.
La conservation des fonds est une mission essentielle et même
scientifique malgré les apparences qu’elle recouvre. Il suffit d’ouvrir
n’importe quel carton de la période de la guerre pour y trouver quantité
de papiers pelures et de papiers acides aux encres de mauvaise qualité
pour réaliser l’urgence de leur conservation. Les dossiers partent en
lambeaux. Un vrai travail de bénédictin est accompli en reconditionnant
et en microfilmant les documents. Durant ces opérations, le public se
voit opposer des interdictions temporaires sur la forme, c’est-à-dire
qu’indépendamment de leur contenu, les dossiers ne sont pas librement
consultables. Certains lecteurs, peu avertis du danger que courent les
archives contemporaines, nous reprochent nos lenteurs indéniables.
Mais ce travail est plus lourd qu’il ne paraît, car il nécessite pour un
résultat satisfaisant d’avoir reclassé les dossiers, enlevé tout ce qui
altère les documents (épingles, coins et trombones rouillés), mis sous
pochette terphane les pièces les plus précieuses déjà réduites à l’état de
dentelles. Les archives de la Haute Cour de justice (série 3 W) ont pu
être entièrement microfilmées. Celles de la cour de justice du départe-
ment de la Seine (série Z 6) font l’objet d’un reconditionnement, d’un
classement et d’une indexation au fur et à mesure des demandes des
lecteurs. L’ensemble des « fichiers juifs » (fichiers de la préfecture de
police et fichiers des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-
Rolande) a fait l’objet d’un microfilm couleur. Enfin, la première
recommandation de la Mission Mattéoli qui concernait la sauvegarde
des archives relatives à la spoliation et à l’extermination des Juifs de
France s’est concrétisée en juin 2002 par le partenariat conclu entre la
direction des Archives de France et la Fondation pour la mémoire de la
Shoah : plus de 5000 articles de la série AJ 38 seront microfilmés dans
les trois années à venir. Une équipe de dix jeunes cosmopolites prépare
le microfilmage de ces dossiers qui, depuis cinq ans, ont été énormé-
ment manipulés par les lecteurs et dont l’état matériel s’est, de fait,
dégradé. Cet ensemble documentaire majeur pour l’histoire des Juifs de
France, qui avait fait l’objet en 1998 d’une première campagne de
microfilmage par l’Holocaust Memorial Museum de Washington, sera
ainsi entièrement préservé.

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96 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Au fur et à mesure de la collecte et de la préservation des fonds,


nous assurons le classement des documents et publions des instruments
de recherches. En 1994, un travail d’équipe mené en partenariat avec
l’ensemble des archivistes de France et l’Institut d’histoire du temps
présent a débouché sur la publication du Guide des sources conservées
en France sur la Seconde Guerre mondiale2. Le tiers du volume est
consacré aux fonds qui sont sous la responsabilité des Archives natio-
nales. En 1996, la commission présidée par René Rémond publia son
rapport sur Le Fichier juif 3. Chantal de Tourtier-Bonazzi, responsable
de la section contemporaine, avait été la cheville ouvrière de ce chantier
qui reposait sur les fichiers remis par le secrétariat d’État aux Anciens
combattants aux Archives nationales. En 1998, l’Inventaire des
archives du Commissariat général aux questions juives et du service des
restitutions4 a été publié sous la direction de Jean Pouëssel. En 2002, au
terme d’un travail qui a vu trois générations d’archivistes se relayer, est
sorti l’Inventaire des archives allemandes de la Seconde Guerre
mondiale5. Sans doute en 2003, paraîtra l’inventaire important et
attendu des archives des Forces françaises libres et du Gouvernement
provisoire de la République française. Toute une politique de publica-
tion scientifique est ainsi mise en œuvre pour rendre accessibles les
fonds de la guerre.
La communication des archives est réalisée de la façon la plus large
possible aux Archives nationales. Certes, des difficultés multiples sont
apparues dès 1999, année des premiers travaux réalisés au Centre
d’accueil et de recherche des Archives nationales (CARAN). Elles se
sont aggravées en 2001, avec le déménagement de la salle de lecture de
la rue des Quatre-Fils à la rue de Richelieu, dans la salle Labrouste. Le
retour à des conditions de travail et de recherche normales n’est prévu
que pour l’année 2005. Au-delà de ces questions impondérables, les

2. Brigitte BLANC, Henry ROUSSO et Chantal DE TOURTIER-BONAZZI, Guide des


sources conservées en France sur la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Paris,
Archives nationales, 1994.
3. Le « Fichier juif ». Rapport de la commission présidée par René Rémond au
Premier ministre, Paris, Plon, 1996.
4. Marie-Thérèse CHABORD et Jean POUËSSEL, Inventaire des archives du Commis-
sariat général aux questions juives et du service des restitutions des biens des victimes
des lois et mesures de spoliation, Paris, Centre historique des Archives nationales-La
Documentation française, 1998.
5. Guy BEAUJOUAN, Anne-Marie BOURGOIN, Pierre CÉZARD, Marie-Thérèse
CHABORD, Élisabeth DUNAN, Jean-Daniel PARISET et Christian WILSDORF, La France et
la Belgique sous l’Occupation allemande (1940-1944). Les fonds allemands conservés
au Centre historique des Archives nationales, Paris, Centre historique des Archives
nationales, 2002. Révision et index : Christiane DOUYÈRE-DEMEULENAERE, Michèle
CONCHON et Sandrine BULA. Introduction : Stefan MARTENS et Andreas NIELEN.

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Les archives de l’Occupation 97

Archives nationales ont été et restent les pionnières en matière de


communication des archives de la Seconde Guerre mondiale. C’est la
circulaire du Premier ministre datée du 2 octobre 1997 – publiée en
annexe – qui a initié un grand mouvement d’ouverture, concrétisé par
des arrêtés de dérogation générale. L’arrêté du 13 mai 1998 a rendu
librement communicables les archives du Commissariat général aux
questions juives, les archives allemandes de la Seconde Guerre
mondiale et les papiers du cabinet du maréchal Pétain. Celui du 15 avril
1999 a ouvert à la recherche les différents fichiers concernant les Juifs
de France arrêtés, puis internés à Drancy, Pithiviers ou Beaune-la-
Rolande. Aux Archives nationales, ces décisions ont transformé les
conditions de la recherche, qu’elle soit familiale, individuelle ou histo-
rique. Elles ont entraîné des mesures analogues pour les fonds docu-
mentaires conservés au Centre des archives contemporaines de Fontai-
nebleau, ainsi qu’aux archives départementales. Le dernier de ces
arrêtés importants est celui du 29 avril 2002 qui ouvre enfin les archives
des cabinets de préfectures conservées aux archives départementales
(rapports de préfets, de police, des Renseignements généraux, relatifs à
l’organisation des camps d’internement, des convois de déportation, des
organisations politiques et syndicales). Cette ultime décision est sans
doute la plus difficile à mettre en œuvre, puisqu’il s’agit de fonds qui ne
sont pas encore entièrement classés et inventoriés. En la matière, il est
parfois plus facile de critiquer les lenteurs de classement des archivistes
que de mettre à disposition du public des ensembles documentaires
disparates et complexes. Je ne tiens pas à entrer dans cette polémique,
ni à donner des chiffres sur la communicabilité des dossiers conservés
aux Archives nationales. Je ne citerai ici qu’un seul exemple qui m’est
familier, celui de la communication des archives de la cour de justice du
département de la Seine (série Z 6). Depuis trois ans que j’en assume la
responsabilité, je peux avancer trois remarques. Ces dossiers judiciaires
sont extrêmement abîmés par le temps et il est nécessaire de les classer
et de les reconditionner avant de les communiquer. C’est un travail de
longue haleine. Ensuite, ils sont demandés, à part égale, par des histo-
riens comme par des personnes soucieuses de comprendre les raisons de
l’inculpation ou de la condamnation de leur parent. Enfin, sur trois ans,
je n’ai émis de quatre avis réservés quant à leur communicabilité, pour
le motif qu’ils contenaient des informations médicales. Cette réserve a
été suivie par le ministère de la Justice, sollicité à donner son avis,
confirmé par la direction des Archives de France, enfin, le cas échéant,
repris par la Commission d’accès aux documents administratifs
(CADA). Lorsque je m’interroge sur la communicabilité d’un document
ou d’un dossier, la qualité de la personne qui demande les dites archives
n’entre pas en ligne de compte. Je me demande seulement quelle serait
ma réaction si j’étais la fille de l’individu mis en cause sur le papier. Ce
principe m’a jusqu’à présent éclairée et conduite à donner des avis que
mes responsables ont naturellement la liberté de retenir ou de rejeter.

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98 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

SECRETS D’ARCHIVES ? OUI : L’EXEMPLE DES ARCHIVES DES


SPOLIATIONS DES JUIFS DE FRANCE

En introduction, j’ai indiqué qu’en matière d’ouverture des archives, la


pratique des dossiers issus de périodes de guerre, qu’il s’agisse de
l’Algérie ou de la Seconde Guerre mondiale, m’a amenée à nuancer mes
positions. En 1996, lors du colloque Transparence et secrets qu’avait
organisé l’Association des archivistes français (AAF), et dont j’avais
été avec Odile Krakovitch l’une des animatrices, je commençais à saisir
la difficulté de la transparence à tous les niveaux de la chaîne archivis-
tique6. De la collecte, avec des administrations ou des personnes qui ne
confieraient plus leurs papiers sans garantie d’honnêteté de la part des
services d’archives, à la communication, puisqu’on ne peut pas tout
ouvrir sans réflexion ni engagement du lecteur à ne pas divulguer des
informations susceptibles de nuire à une personne. Chaque maillon de
la chaîne nécessite une prise de responsabilité tant que les archives du
XXe siècle sont encore contemporaines. Ce serait de la démagogie que
de se refuser à admettre cette réalité.
Pour exprimer cette idée, je ne proposerai qu’un exemple tiré des
archives des spoliations des Juifs de France. Sur ces questions, il n’y a
plus aux Archives nationales de dossiers fermés à la recherche, mais il
existe quantité de liasses qui attestent de vies spoliées, persécutées,
exterminées. L’intimité des personnes concernées demeure intacte
soixante ans après la guerre. C’est à ce titre que je peux parler de secrets
qu’il faut communiquer avec le plus grand souci possible des personnes.
La part la plus passionnante de mon métier consiste à accueillir des
personnes qui pénètrent pour la première fois de leur vie aux Archives
nationales afin de retrouver des traces de leur famille et, si elles le
souhaitent, de demander aujourd’hui réparation. C’est ainsi qu’il y a
trois ans j’ai reçu un homme qui venait exprès de Jérusalem pour
consulter le dossier de son père.
C’est à la suite d’un appel surprenant qu’Albert est venu de Jéru-
salem. Quelques mois auparavant, un avocat américain l’avait contacté
en Israël pour lui demander s’il souhaitait qu’il prît la défense des inté-
rêts de son père dont le compte bancaire avait été spolié sous l’Occupa-
tion. Albert était tombé des nues. Il n’avait toujours pas compris
comment il avait été repéré. Il avait réagi en se décidant à aller voir lui-

6. Transparence et secret : l’accès aux archives contemporaines, actes du


colloque organisé à Paris les 28 et 29 mars 1996 par l’Association des archivistes fran-
çais, La Gazette des Archives, nos 177-178, 2e et 3e trimestres 1997.

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Les archives de l’Occupation 99

même en France les archives qui pouvaient y être conservées et dont il


savait l’existence par une amie historienne. La venue d’Albert m’avait
été annoncée par cette amie commune qui m’avait raconté l’histoire de
son père, avocat près de la Bastille, déporté en 1944. J’avais trouvé sept
dossiers au nom de cet homme, deux dossiers d’aryanisation et cinq
dossiers d’administrateurs provisoires. Il n’est pas rare que des adminis-
trateurs se succèdent rapidement, pour des raisons diverses, et quelle
que soit l’importance du bien à gérer. J’avais donné à Albert rendez-
vous dans le hall du CARAN. J’ai vu arriver un homme âgé de soixante-
dix ans, perdu et fatigué. Après s’être présenté, il me dit qu’il était en
France pour la première fois depuis cinquante ans. Il a refait sa vie en
Israël. Mais les vingt premières années de son existence sont intactes
dans sa mémoire. Leur souvenir est même ravivé par sa présence à Paris.
L’enfance d’Albert est marquée par la séparation de ses parents. Il
va d’un domicile à l’autre, plus fréquemment chez sa mère, mais il a une
affection sincère pour son demi-frère, le fils de son père. Sur lui pèse la
culpabilité : son père et son demi-frère ont été arrêtés un jour qu’il se
trouvait chez sa mère. C’est un abandon porté comme un boulet. Arrivé
fatigué, Albert semble encore plus las après m’avoir raconté son
histoire. Je lui donne une feuille où j’ai noté les références des dossiers
qu’il n’a plus qu’à commander sur l’ordinateur pour pouvoir les
consulter en salle de lecture. Mais il est incapable de s’y rendre et
d’approcher une machine. Il ne décolle pas de son siège, et je commence
à trouver le temps long. Cela fait plus d’une heure qu’il me déroule ses
souvenirs d’enfance. Je lui propose une solution bancale. C’est l’heure
du déjeuner : je ne tiens pas à prolonger la conversation à table, car ces
évocations familiales ne me laissent pas indemne. Je lui laisse le temps
de se restaurer, et lui donne rendez-vous une heure trente plus tard dans
mon bureau où je lui aurai sorti les dossiers. Nous devons donc nous
retrouver à 14 heures. J’arrive à peine dix minutes à l’avance, file dans
le dépôt pour récupérer les sept dossiers pour lesquels j’ai préparé des
« fantômes », c’est-à-dire des fiches mises à la place d’un carton
emprunté. Mon élan est alors stoppé car trois des sept dossiers sont
sortis pour un lecteur qui les consulte au CARAN. Je n’avais pas prévu
cette difficulté. Je note les coordonnées du chercheur qui figure sur les
fantômes et part retrouver Albert avec quatre dossiers volumineux.
Albert m’attend à la loge. Il m’explique non sans fierté qu’il revient du
Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) où il a retrouvé
la trace de son père et de son demi-frère dans les carnets de fouille de
Drancy. Je l’installe dans la petite salle de lecture de la section du XXe
siècle. Je lui annonce qu’il ne pourra pas voir tous les dossiers qui
concernent son père : il en manque trois qui concernent des administra-
teurs provisoires et sont en cours de consultation. Albert se lève de sa
chaise, presque en colère. Sans lui laisser la parole, je parle à contre-
courant de ce qui l’émeut. Je lui explique que toutes les archives du
Commissariat aux questions juives sont librement consultables depuis

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100 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

1998, à la demande du Premier ministre qui souhaite que l’histoire de


la Seconde Guerre mondiale puisse être écrite. Par conséquent, ces
dossiers sont très fréquemment consultés par des personnes animées de
raisons diverses, historiques, universitaires, personnelles ou familiales.
Albert m’a alors coupé la parole et lancé avec émotion : « De quel
droit quelqu’un s’intéresse-t-il à mon père avant moi ? » Je n’ai pas
perçu immédiatement la sincérité de sa question. Depuis des années
nous communiquons sans réserve ces documents, alors même que des
historiens et des journalistes continuent de nous reprocher de tenir
fermées des sources essentielles pour l’histoire contemporaine. Singu-
lier paradoxe au sein duquel nous oublions les protestations des
personnes dont Albert se fait à son insu le porte-parole. Comme je ne
lui répondais pas, il reprit : « Vous avez tout de même compris que je
viens exprès de Jérusalem pour retrouver l’histoire de mon père ?
Comment quelqu’un peut-il se plonger dans ses dossiers avant moi ? »
J’ai essayé alors de calmer son indignation et lui ai suggéré de
commencer par dépouiller les premiers dossiers. Je me suis engagée à
partir au CARAN pour m’entendre avec le lecteur en question. Il a
acquiescé en maugréant. Et je suis partie sans conviction, lassée par des
exigences inconciliables. Par bonheur, le lecteur était présent. C’est une
chance, car, en droit, les archives étant publiques, le premier qui les
demande peut les réserver à son nom, puis les prolonger aussi longtemps
qu’il le souhaite. Je me suis présenté au dit monsieur qui, comme je
l’avais imaginé, avait entrepris une étude sur les administrateurs provi-
soires. Il n’avait que faire des noms des intéressés et de leurs adminis-
trés. Il comprit mon souci et m’a laissé disposer des dossiers pour
l’après-midi. Plutôt confiante, je m’en suis retournée auprès d’Albert et
je lui ai confirmé qu’ils étaient consultés par un chercheur qui ne se
préoccupait pas des situations personnelles, mais étudiait le rôle des
administrateurs provisoires.
Albert est resté hermétique à mon propos. Fatigué par son voyage,
bouleversé par la confrontation de ses souvenirs avec les papiers de cette
époque, consterné par l’intrusion d’un étranger dans la vie de son père,
il n’a pu que parcourir rapidement quelques pièces et m’a rapidement
fait signe pour me dire qu’il en avait fini. Je crois que ce jour-là je ne
parvenais pas à être en phase avec cet homme qui avait pourtant besoin
de mon aide.
J’espère avoir ici témoigné du travail réalisé aux Archives natio-
nales sur la période de la Seconde Guerre mondiale. J’aurais pu multi-
plier les exemples en m’inspirant de l’expérience de mes collègues. De
toutes façons, il s’agit d’un travail scientifique doublé d’une épaisseur
humaine qu’il nous faut trouver pour répondre aux questions de nos
contemporains. Témoins au quotidien d’une époque de barbarie, nous
sommes appelés à recevoir des personnes en quête de traces, de droits
et d’histoire qui nous donnent à leur insu des leçons d’humanité. Dans
sa dernière leçon donnée en 1998 devant ses étudiants de la Sorbonne,

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Les archives de l’Occupation 101

Antoine Prost décrit l’histoire en ces termes : « L’histoire est imagina-


tion et contrôle de l’imagination par l’érudition. Elle est à la fois sympa-
thie et vigilance »7. Les archives requièrent des archivistes ces mêmes
qualités.

Caroline PIKETTY

7. Antoine PROST, « Comment l’histoire fait-elle l’historien ? », Vingtième Siècle.


Revue d’histoire, no 65, janvier-mars 2000, p. 3-12.

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Les archives de la guerre d’Algérie :


le secret entre violence et mémoire*

Parmi les « archives secrètes » de la France contemporaine, celles de la


guerre d’Algérie devraient avoir, pourrait-on croire, une place de choix.
Massacres, torture, putsch des généraux : tous les ingrédients semblent
réunis pour faire de ces archives militaires un domaine privé de la raison
d’État. Le paradoxe est que le souci ou le goût du secret n’a joué en fait
dans la préhistoire de ces fonds, dans leur longue gestation, et ne jouent
encore dans leur gestion courante qu’un rôle limité. L’étude de ces trois
phases de leur histoire nous montre que les véritables enjeux sont ailleurs.

GUERRE D’ALGÉRIE, GUERRE DES ARCHIVES

Pour comprendre la composition actuelle des archives de la guerre


d’Algérie, il faut remonter le temps jusqu’au début du conflit lui-même.
En 1954, la Xe région militaire – qui recouvrait les trois départements
algériens et le Sahara – jouissait d’une certaine autonomie. Elle était
notamment la seule circonscription militaire à disposer d’un bureau
d’archives particulier, situé à Blida près d’Alger, pour les archives dites

* La présente étude a été rédigée à partir des archives propres du Service historique
de l’armée de Terre (sous-série 50 T de son cadre de classement), des archives du cabinet
du ministre de la Défense (sous-série 1 R) et des archives militaires de la guerre
d’Algérie (sous-série 1 H). Elle procède également d’une enquête effectuée par l’auteur
auprès des archivistes chargés des fonds de l’Algérie depuis les années 1960 : M. Jean-
Claude Devos, conservateur en chef honoraire du SHAT, Mme l’adjudant-chef Isabelle
Devoucoux, M. le chef d’escadron (er) Antoine de Gouberville, M. François-Xavier
Guénot, chargé d’études documentaires au SHAT, M. Jean Nicot, conservateur en chef
honoraire au SHAT, Mme Caroline Piketty, conservatrice aux Archives nationales,
M. Philippe Schillinger, conservateur général du SHAT. Que tous soient remerciés ici
de leur précieux témoignage. Par ailleurs voir dans ce volume la communication de
Raphaëlle Branche.

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104 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

collectives – c’est-à-dire les documents intéressant la gestion de


personnel –, tandis que les neuf régions métropolitaines versaient leurs
archives collectives au bureau de Paris1. À cette époque, une partie des
archives militaires anciennes étaient déposées aux archives du gouver-
nement général et dans celles des trois départements algériens. Ces
dépôts civils conservaient notamment les fonds des anciens bureaux
arabes et de la direction des territoires du Sud. En revanche, les dossiers
conservés dans les organismes militaires eux-mêmes subirent à cette
époque des dommages irréparables. Avec l’accroissement des effectifs
et l’hypertrophie des états-majors, les changements de locaux et le
manque de place entraînèrent des éliminations massives des papiers
jugés inutiles. De sorte qu’en 1959 les états-majors d’Algérie ne possé-
daient plus guère de documents antérieurs à 1950. Dès le début des
opérations, pour gagner de la place, le commandant du quartier général
du commandement en chef avait brûlé les archives antérieures au
conflit. Des destructions analogues avaient lieu dans la plupart des orga-
nismes subordonnés. « L’hypertrophie des états-majors en créant des
besoins de locaux a provoqué la destruction des archives », résumait, en
1959, le commandant Jeanmot, envoyé en mission d’exploration par le
Service historique. À cette époque, les états-majors ne possédaient plus
guère de documents antérieurs à 19502.
Le commandant Jeanmot attira l’attention de ses supérieurs sur le
caractère « politico-militaire » des archives détenues à la délégation
générale et sur l’intérêt historique des archives opérationnelles. À la
suite de sa mission, le Service historique proposa la création d’un dépôt
régional d’archives militaires historiques. Aucune suite ne semble avoir
été donnée à cette suggestion. En revanche, des instructions furent
adressées aux titulaires de grands commandements pour veiller à la
préservation des dossiers arrivés entre leurs mains3. Ces recommanda-
tions semblent avoir été entendues, puisque dans les fonds actuels de la
guerre d’Algérie la Ve République est beaucoup mieux représentée que
la IVe.
La question des archives revint à l’ordre du jour après le cessez-le-
feu de mars 1962. En juin 1962, le ministre des Armées prescrivit au
commandant en chef en Algérie le versement des archives historiques
au SHAT et celui des archives collectives au Bureau central d’archives
collectives qui venait d’être créé à Pau4. Pour éviter que des documents
compromettants ne tombent aux mains du FLN, de premiers tris et

1. Rapport de mission du chef de bataillon Jeanmot du Service historique de


l’armée, 21 octobre 1959 (SHAT, 50 T 50).
2. Du corps d’armée de Constantine, cet officier rapatria cependant un lot de docu-
ments relatifs à l’insurrection de 1945.
3. Lettre du ministre des Armées au général commandant en chef en Algérie, Paris,
1er décembre 1959, no 4841/EMA/1.0. (SHAT, 50 T 50).
4. SHAT, 1 R 367-8.

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Les archives de la guerre d’Algérie 105

destructions devaient être effectués sur place avant le transfert des


archives en métropole5. On sait encore peu de chose de l’étendue de ces
opérations. Si des éliminations massives ont pu avoir lieu, le temps, les
moyens ou la volonté semblent en revanche avoir manqué pour que
soient effectué des tris et des caviardages plus affinés. De l’avis de tous
ceux qui ont traité les fonds de la guerre d’Algérie, les archives qui sont
parvenues en France n’ont pas fait l’objet de campagne de censure 6.
Les opérations de tri comme le transfert des archives de l’Algérie en
France eurent lieu dans une atmosphère particulièrement dramatique.
Problème aigu du transport, tout d’abord : les moyens aériens et mariti-
mes étaient mobilisés par le plan de retour en métropole des unités fran-
çaises d’Algérie, puis par le flot des pieds-noirs exilés. Dès juin 1962,
les autorités envisageaient en outre un « retour massif d’Européens
d’Algérie au moment du scrutin sur l’autodétermination »7. L’exode
humain fut accompagné d’un véritable exode patrimonial. L’armée
devait en effet apporter son concours au transfert des archives civiles
dites « de souveraineté »8. Elle veillait également au sauvetage des
monuments et souvenirs historiques militaires, dirigés vers Vincennes et
vers le musée de l’Armée. Outre les archives, le Service historique
recueillit alors les objets les plus divers : drapeaux, armes, uniformes,
statues, plaques, bas-reliefs, monuments aux morts9. Pendant ce temps,
en Algérie, les monuments militaires non transportables ou détériorés
étaient détruits sur place10.
La genèse des archives de l’Algérie peut donc se résumer à deux
moments. Un premier moment, où les archives ont d’abord servi à faire
la guerre, où leur conservation et leur destruction ont été subordonnées
au bon fonctionnement de la mécanique militaire. Un second moment,
où leur intérêt patrimonial a été ressenti assez fortement pour assurer
leur préservation. On remarquera que le changement de tendance est
intervenu à l’époque où le conflit allait changer de face : il y a une coïn-
cidence chronologique assez curieuse entre les premières missions du
Service historique en Algérie et le tournant de l’autodétermination.

5. Lettre du général Le Puloch, chef d’état-major de l’armée de terre, au général


commandant supérieur des forces en Algérie, Paris, 3 août 1962, no 12539/EMA/2/OM.
Le général souhaite « éviter la divulgation de certains documents dont une exploitation
tendancieuse pourrait être nuisible aux intérêts de la France ».
6. Témoignages de M. Schillinger et de Mme Piketty.
7. Note pour le cabinet militaire du général d’armée aérienne Martin, chef d’état-
major interarmées, Paris, 6 juin 1962 (SHAT, 1 R 367-3).
8. Lettre d’André Chamson au colonel Lecerf, chef du cabinet militaire du ministre
des Armées, Paris, 23 mai 1962, le remerciant du concours de l’armée pour le transport
des archives de l’Algérie en métropole (SHAT, 1 R 367-3).
9. Dès novembre 1961, il est décidé de transférer au musée de l’Armée une partie
des collections du musée Franchet-d’Espérey d’Alger (SHAT, 1 R 367-3).
10. SHAT, 1 R 368.

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106 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

QUARANTE ANS DE GESTATION

Le versement des archives de l’Algérie s’échelonna tout au long des


années 1960. Dès 1962, le ministère de la France d’outre-mer reversa
les archives militaires de l’ex-ministère du Sahara (Service des affaires
sahariennes). Directement ou après transfert à Blida, les archives de
l’état-major interarmées d’Alger et celles des grandes unités dissoutes
arrivèrent à Vincennes en 1963. En juin 1963, le bureau de Blida lui-
même fut transféré à Pau, dans le cadre du plan d’évacuation « Cigogne
VII »11. Les archives des centres militaires d’internement, centres de tri
et de transit, centres d’hébergement, centres de passages, furent elles
aussi transférées au Bureau de Pau en 1963, et reversées au SHAT
en 1965 et 1966. Les archives de la base de Mers el-Kébir arrivèrent à
Vincennes en 1967 et 196812.
Dans un premier temps, il fut procédé au lotissement et à un
premier ordonnancement des dossiers. Ces opérations se poursuivirent
de 1963 jusqu’à 197013. Constatant qu’il n’y avait pas un « fonds
Algérie » mais une succession de fonds divers, les archivistes du
Service historique les distribuèrent d’emblée selon un ordre hiérar-
chique, depuis le cabinet militaire de la délégation générale jusqu’aux
archives des secteurs. C’est le plan de classement qui a été conservé
jusqu’à aujourd’hui14. Les quelques exceptions à ce principe tiennent
soit à la typologie uniforme des documents – les journaux des marches
et opérations réunis en une suite unique ; les monographies des sections
administratives spécialisées –, soit à l’arrivée tardive ou à la provenance
des fonds (base de Mers el-Kébir, sites sahariens, Service des affaires
sahariennes). À Vincennes, dans l’ambiance propre à certains milieux
militaires à la fin des années 1960, alors que bien des officiers, anciens
des guerres coloniales, restaient fidèles à l’esprit « Algérie française »,
de nouvelles tentations de destruction ou de « correction » se firent jour.
On visait notamment les archives des centres d’internement, tardive-
ment arrivées à Vincennes, qui avaient un caractère souvent sériel, et
qui rappelaient des pages peu glorieuses du conflit. Mais, finalement, le
souci de préservation pour la mémoire et pour l’histoire l’emporta 15. Les
tris et éliminations dans les fonds de la guerre d’Algérie furent donc

11. Journal des marches et opérations du bureau des archives collectives des
formations d’Algérie, 1953-1963 (SHAT, 1H 4572-3).
12. Sur toutes ces opérations, voir le carton 50 T 50.
13. Faute de locaux appropriés, certains fonds durent être installés sous des tentes
plantées dans la cour du château. C’est alors qu’eurent lieu l’ouverture des caisses
d’archives et leur lotissement dans des cartons plus appropriés à un stockage en magasin
(témoignage du commandant de Gouberville).
14. Témoignage du commandant de Gouberville.
15. Témoignage de M. Schillinger.

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Les archives de la guerre d’Algérie 107

réduits au minimum. Intégralement conservées, les archives des centres,


pourvues d’un répertoire succinct, sont accessibles sur dérogation.
Parmi les archives de commandement, seules les archives disciplinaires
du 1er bureau, arrivés à Vincennes en même temps que les autres
archives de l’état-major interarmées en Algérie, ont été séparées de
l’ensemble. En raison de leur degré de confidentialité, leur traitement a
été reporté sine die16. Le classement des archives de la guerre d’Algérie
s’interrompit pendant les années 1970. L’énergie du Service historique
était alors concentrée sur le traitement des énormes masses d’archives
de la IIIe République, notamment de la Première Guerre mondiale.
Dans un deuxième temps, le traitement définitif des archives fut
entrepris. Il commença en 1981 et se poursuivit jusqu’en 1990. L’opéra-
tion fut menée par un conservateur familier du conflit et de ses institu-
tions civiles et militaires, M. Jean Nicot, qui avait commencé sa carrière
aux Archives départementales d’Alger de 1958 à 1960. M. Nicot
procéda au classement et à la cotation définitive des fonds. Il élabora un
répertoire numérique et un index général.
Dans un troisième temps, de 1990 à 1994, un second traitement fut
entrepris, afin de parvenir à un niveau d’analyse plus affiné et afin de
fixer les délais de communication des documents. Ce travail fut effectué
par un groupe d’archivistes placé sous la direction de Mme Caroline
Piketty et dit « groupe Algérie »17. Les travaux de ce groupe se poursui-
virent jusqu’en 1994.
En 1992, trente ans après la fin du conflit algérien, le traitement du
fonds fut considéré comme achevé et son ouverture annoncée à grand
son de trompe. Un premier inventaire dactylographié fut mis à la dispo-
sition des chercheurs et une salle de lecture particulière fut ouverte dans
la Tour de Paris du château de Vincennes. Le premier lecteur reçu fut
un universitaire, M. Daniel Lefeuvre. Par la suite, le « pilier » de la salle
de lecture « Algérie » fut le professeur Charles-Robert Ageron18. La
même année, une première Introduction à l’étude des archives de
l’Algérie fut publiée. En 1994, une première mouture de l’inventaire
était imprimée. L’index général de l’inventaire19 parut en 1999, l’intro-
duction générale20 en 2000 et la version définitive du corps de l’inven-
taire21 en 2001. Enfin, en 2002, le SHAT a publié en coédition avec

16. Idem.
17. Ce groupe comprenait Mme Devoucoux, M. François-Xavier Guénot et le
sergent-chef Hélène Faivre d’Arcier.
18. Témoignage de Mme Piketty.
19. Il a été effectué par Jean Nicot et Béatrice Olive.
20. Cette introduction est de Thierry Sarmant, avec la collaboration de Philippe
Schillinger et Michel Hardy.
21. La préparation de ce volume pour l’impression a été effectuée par Mme Laure
Le Roux sous la direction de T. Sarmant.

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108 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

L’Harmattan un précis des institutions de l’Algérie française, qui doit


aider le chercheur à démêler l’écheveau des organismes politiques et
militaires impliqués dans le conflit22.
De cette dernière phase de l’histoire des archives de l’Algérie, on
retiendra que les dossiers revenus d’Afrique du Nord sont devenus
presque immédiatement des archives historiques, sans cesser pour
autant d’être des archives « sensibles », et qu’ils n’ont jamais cessé de
bénéficier de l’attention des responsables successifs du Service histo-
rique, qui, civils ou militaires, étaient souvent passés par l’Afrique du
Nord.

LES PARADOXES DE L’OUVERTURE

À la fin du conflit algérien, certains officiers redoutaient l’« exploitation


tendancieuse » des archives, selon la phraséologie de l’époque, par une
historiographie hostile à la France et à son armée. Cette crainte s’est révé-
lée infondée. En effet, la fermeture puis l’ouverture des archives n’ont
rien changé au jugement, généralement teinté d’a priori, que les histo-
riens des différentes tendances portent sur l’action de l’armée française.
Le mur de sang qui sépare les protagonistes est encore debout, et chacun
reste campé du côté qu’il a choisi, sans que l’ouverture ou la publication
de documents nouveaux influent en rien sur les positions respectives.
En 1992, date de la première ouverture des fonds dont nous parlons, les
autorités militaires attendaient une ruée sur les archives de la guerre
d’Algérie. À la grande surprise des intéressés, cette ruée n’eut pas lieu.
Faute de lecteurs, la salle de lecture Algérie fut fermée en 1994. Depuis
lors, les principaux utilisateurs des archives militaires de l’Algérie ne
sont pas les historiens mais les anciens combattants, en quête d’une vérité
personnelle et particulière, non à la recherche d’une vérité historique glo-
bale. Ils consultent surtout les journaux des marches et opérations
(JMO), pour reconstituer la chronologie des opérations de l’unité où ils
ont servi, éventuellement pour en rédiger l’historique, non pour se faire
démystificateurs ou justiciers. Quant à l’écriture par l’armée d’une his-
toire officielle de grand style – telle que nous l’avons connue en d’autres
temps –, l’évolution des mentalités semble l’interdire désormais.
En dehors de ce cas précis, l’intérêt pour les archives de l’Algérie
se borne à une agitation médiatique très superficielle. Les souvenirs et
les témoignages des acteurs, dont la presse se fait l’écho, font plus

22. Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française, 1945-1962 :


hommes, textes, institutions, Paris, SHAT-L’Harmattan, 2002, par Michel HARDY,
Hervé LEMOINE et Thierry SARMANT.

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Les archives de la guerre d’Algérie 109

souvent scandale que les papiers d’époque. Cette agitation de surface ne


traduit aucun mouvement historiographique de fond : de même que la
salle Algérie restait désespérément vide en son temps, de même on n’a
compté à Vincennes en l’an 2000 que cinquante recherches universi-
taires (dont dix thèses) utilisant les archives militaires de l’Algérie.
Encore s’agit-il des archives de l’Algérie… depuis 1830 jusqu’à
l’indépendance !23
La communication des archives de l’Algérie n’est pas pour autant
une affaire de tout repos. À la fin du conflit, le commandement français
craignait aussi que le FLN victorieux n’utilisât les documents tombés
entre ses mains pour tirer vengeance de ses ennemis de la veille. Cette
crainte s’est révélée fondée : dès 1962, les autorités algériennes exploi-
tèrent des archives abandonnées par les autorités civiles ou militaires
pour identifier ceux qu’elles tenaient pour des traîtres24. Il semble que
les archives oubliées sur place aient été surtout des archives civiles,
notamment celles des services de police, dont l’évacuation fut davan-
tage brusquée que celle des unités militaires25. Depuis lors, périodique-
ment, le gouvernement de l’Algérie indépendante revendique soit les
documents eux-mêmes, soit leur microfilmage intégral, à des fins qui
pourraient bien être autres qu’historiques. Voilà pourquoi, du côté fran-
çais, la volonté de protection du secret comme protection des personnes
perdure. Cette volonté s’est même renforcée depuis la guerre civile
algérienne. C’est ainsi que les journaux des marches et opérations des
unités d’Algérie, qui avaient été déclarés librement communicables en
1992, ont été remis sous le régime de dérogation, après que l’on a cons-
taté que des lecteurs algériens y opéraient des relevés nominatifs. C’est
ce même souci de protection des personnes qui inspire actuellement
l’instruction des dérogations dans les archives militaires de l’Algérie
française. La difficulté est que cette notion de « protection des
personnes » n’a pas d’existence explicite dans le droit des archives.
Pour préserver les secrets contenus dans les archives, quatre solu-
tions principales s’offrent en général aux autorités politiques : la
destruction massive, l’épuration sélective, la déshérence volontaire ou
la fermeture absolue. Force est de constater qu’après 1962 aucune de

23. Statistiques communiquées par M. Samuel Gibiat, conservateur du patri-


moine, chef de la division communication. On compte une quinzaine de recherches en
2001.
24. Note du ministre des Armées au secrétaire d’État chargé des affaires algé-
riennes, 7 janvier 1963, sur les « conséquences que pouvait entraîner l’oubli d’archives
dans certains locaux administratifs mis à la disposition des autorités algériennes ». Il
donne l’exemple de documents tombés, récupérés par l’ALN dans les sous-préfectures
(SHAT, 1 R 367-3).
25. Le Service des renseignements généraux d’Oran abandonna sur place en
juillet 1962 ses archives et fichiers. Les autorités militaires les récupèrent et le transfé-
rèrent en métropole (SHAT, 1 R 367-3).

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110 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

ces recettes n’a été appliquée aux fonds d’archives militaires de la


guerre d’Algérie. On est au contraire surpris de la continuité des efforts
consentis par les autorités militaires françaises en faveur des archives
d’une guerre perdue, en faveur d’archives dont le public n’a jamais
réclamé la communication avec une grande énergie. Cette sollicitude
presque constante tient sans doute à ce que, plus qu’aucune autre guerre,
le conflit algérien a été la guerre de l’armée, celle où elle s’est investie
tout entière. Face à cette volonté de mémoire ou plutôt de souvenir, pour
employer un terme plus classique, avec tout ce qu’il suppose de piété,
le souci du secret est passé au second plan.
Le paradoxe est bien que l’offre ainsi créée ne correspond pas à une
demande sociale majeure. Les archives secrètes de la guerre d’Algérie
intéressent surtout ceux qui l’ont faite et ceux qui voudraient la conti-
nuer. Il en va donc des secrets du conflit algérien comme des secrets de
famille : peu de gens, en vérité, ont le désir de les regarder en face.

Thierry SARMANT

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La gestion des fonds d’archives


du parti communiste français

Paradoxalement, au sens strict, la gestion par le parti communiste de ses


archives, dont il sera question ici, constitue une expérience qui n’a pas dix
ans. Ce n’est qu’en prenant la décision de leur ouverture publique à la
recherche scientifique, au début des années 1990, que la direction commu-
niste s’est réellement et explicitement préoccupée de la bonne conserva-
tion et du devenir de ses fonds. Auparavant, seule une partie de ceux-ci
avait pu être consultée et faire l’objet de publications, et cela uniquement
par des historiens communistes. Après des années d’une confidentialité
qui a nourri nombre d’interrogations, de supputations… et de frustrations,
le caractère tardif de cette décision a inévitablement relancé le question-
nement sur la nature « sensible » de ces archives et sur la réalité du
« secret » qui les entoure. En même temps qu’un vif intérêt, l’annonce de
l’ouverture des fonds a parfois suscité des interrogations sur son degré
même d’authenticité. Voilà pourquoi, après le rappel de quelques points
de chronologie situant l’objet de cet exposé dans son actualité, on revien-
dra sur les motivations et le sens de la démarche récemment adoptée par le
PCF, ce qui permettra d’aborder frontalement la thématique du « secret ».
On tâchera de montrer que, rompant avec les conceptions et la pratique
antérieures, une problématique d’ouverture et de transparence effectives
est aujourd’hui à l’œuvre dans la gestion des archives, même si elle reste
encore méconnue. Une description sommaire de l’état d’avancement du
travail devrait aider à apprécier les premiers résultats tangibles obtenus en
ce sens, ainsi qu’à en relativiser certaines limites – implications du déca-
lage initial entre l’état de non-classement et l’engagement pris de commu-
niquer tous les documents de plus de 30 ans. On esquissera enfin une
réflexion perspective sur les prolongements envisageables de la gestion
des archives du parti communiste français.

QUELQUES REPÈRES CHRONOLOGIQUES


Le 5 mars 1993, le PCF ouvre officiellement ses archives à la recherche
historique. Annoncée publiquement au siège de l’organisation par

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112 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Francette Lazard, membre du bureau politique, en présence de Georges


Marchais, secrétaire général, devant plusieurs dizaines d’historiens et
d’archivistes, la décision répond à plusieurs préoccupations. La
première tient à l’ambition du PCF de procéder à un renouvellement
d’ensemble de son projet et de ses conceptions politiques, après l’échec
des expériences se réclamant du communisme au XXe siècle. Cela passe,
entre autres, par un retour lucide et rigoureux sur sa propre histoire. Les
archives sont un volet du matériau nécessaire à un tel examen. Une
deuxième prend en compte l’intérêt historique et culturel majeur que
présentent les archives d’un des principaux acteurs de la vie politique
française du siècle écoulé, pour l’étude et la compréhension de cette
période. Une troisième découle du souci de transparence revendiqué par
le parti communiste qui, en ouvrant ses archives, s’inscrit en actes en
faveur du libre accès à toutes les sources existantes de l’ensemble des
chercheurs qui nourrissent le débat d’interprétations historiques sur le
communisme, dans la diversité de leurs approches.
Ce geste marque la détermination du PCF à dissocier les registres
spécifiques de l’histoire et de la politique et d’en finir explicitement
avec toute forme d’instrumentalisation de son passé. Il concrétise le
renoncement à toute pratique arbitraire de rétention ou de communica-
tion sélective de documents d’archives. Plus largement, il souhaite
contribuer – à sa mesure – à ce que la recherche sur le communisme
débouche sur des confrontations historiques « transparentes », en
s’affranchissant de tout monopole – quel qu’il soit ! – et de la quête du
sensationnel par l’exploitation du registre du « secret » et des
« révélations » (réels ou supposés), qui a suscité encore récemment des
initiatives à vocation essentiellement médiatique ou de controverse,
mobilisant l’histoire à des fins politiques et idéologiques.
Bien que de statut privé, les fonds deviennent communicables par
principe selon les normes retenues en matière d’archives publiques,
aujourd’hui fixées par la loi de 1979. Les documents sont donc consul-
tables librement après un délai de trente ans, par tout chercheur ou
personne accréditée en faisant la demande. L’accès en est gratuit, le PCF
assumant pour l’heure la totalité de la charge financière induite par cette
ouverture. Un secteur de travail spécifique est créé, animé par Mathilde
Angeloni (dont j’ai pris la suite en 2000), avec comme priorité la réali-
sation des inventaires, seul préalable pratique à la communication des
fonds. Le printemps 1997 voit la constitution d’une commission
« archives et mémoire militante » auprès de la direction du PCF, dont le
responsable est lui-même dirigeant national. Cette structure de travail –
qui n’est pas la résurgence d’une « commission d’histoire », même
déguisée – figure désormais dans l’organigramme et concrétise la
volonté d’assumer dans la durée la gestion (au sens large du terme) des
archives et leur valorisation. Elle vise à un traitement rigoureux de la
question en développant une approche collective par l’association en
son sein de compétences scientifiques et professionnelles (archivistes

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La gestion des fonds d’archives du parti communiste français 113

de métier, historiens et étudiants chercheurs, bibliothécaires, documen-


talistes… membres du parti communiste ou non…) et de dirigeants et
de militants de différentes générations, pour aboutir à conserver, inven-
torier et donner accès aux fonds dans les meilleures conditions de
sérieux et de scientificité possibles, compte tenu des moyens disponi-
bles. Elle a pour mission d’aider à dépasser une gestion passive des
fonds et de développer une réflexion et une activité propres dans deux
directions indissociables :
– fournir les matériaux d’un travail spécifique de la direction du PCF
sur ses propres fonds et, plus largement, attirer son attention sur les
questions politiques et institutionnelles touchant à l’accès des
citoyens aux archives ;
– concrétiser la communication effective des fonds « ouverts », déve-
lopper une politique de communication par la publication d’inven-
taires et de catalogues, multiplier l’organisation ou la participation à
des débats et des initiatives publiques, etc.
Comme son intitulé l’indique, elle prévoit d’accorder une attention
particulière aux sources orales.
Le 24 janvier 1998, le PCF organise une « Journée portes ouvertes »
sur ses archives. À l’occasion de cette initiative largement médiatisée,
tenue au siège national du PCF en présence de plusieurs centaines
d’archivistes, d’historiens, de militants, un premier bilan du travail entre-
pris est présenté à travers la mise à disposition des inventaires papier ou
informatisés, la présentation d’une sélection de documents écrits et
sonores, une exposition d’affiches originales illustrant la propagande
communiste de la « guerre froide », un débat sur l’usage des archives
pour la recherche historique sur le communisme. Dans une allocution,
Robert Hue, secrétaire national, réaffirme la responsabilité assumée du
PCF à l’égard de sa propre histoire et confirme la politique d’ouverture
de ses archives. Il souligne que leur intérêt historique pour l’étude du
XXe siècle leur confère une dimension patrimoniale nationale. L’écho
public de cette initiative démultiplie les demandes de consultation des
archives dans une fréquence qui est restée constante depuis, largement
au-delà des capacités concrètes d’accueil.
En juin 2001, à l’initiative de la commission « Archives et mémoire
militante », une association « loi 1901 », Archives du communisme fran-
çais, se constitue. Elle a pour objet la gestion, la communication et la
valorisation des fonds d’archives ouverts à la consultation en fonction
des critères retenus. Ils lui sont confiés à cet effet par le PCF, qui en reste
le propriétaire. Elle permet de mettre en cohérence l’ensemble des
archives du PCF et des importants fonds documentaires qui leur sont
afférents (ouvrages, périodiques, brochures), gérés pour une part à la
Bibliothèque marxiste de Paris, depuis une quinzaine d’années, par
Catherine Bensadek, bibliothécaire ; pour une autre part, au siège du PCF
depuis 1993. Il s’agit d’un nouveau prolongement de la démarche

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114 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

initiale, dans un cadre qui a paru comme étant le plus judicieux à cette
étape. L’association offre une forme souple, plus crédible peut-être
qu’une structure perçue malgré tout comme « interne » à un parti poli-
tique, pour faire vivre une démarche ouverte, associant des partenaires
divers partageant des objectifs communs. Dans la pratique, elle a permis
un élargissement supplémentaire. Cette forme facilite également
l’établissement de liens de partenariat, de coopérations ponctuelles ou
plus durables avec d’autres associations, organismes, institutions,
centres d’archives dont les orientations et les activités sont en conformité
avec ses objectifs. Elle permet enfin de solliciter, de façon transparente
et en fonction d’objectifs précis, l’assistance professionnelle, scienti-
fique ou financière nécessaire au développement de son activité.

LE SENS D’UNE DÉMARCHE

« Secret », « archives sensibles »… ou ouverture


et souci déontologique ?
Les principes de communicabilité retenus ont été alignés par choix sur
les plus libéraux, ceux en vigueur en matière d’archives publiques. Ils
concernent l’ensemble des documents conservés : séries issues de l’acti-
vité des instances de direction, dossiers constitués par les dirigeants en
fonction de leur champ d’intervention et de responsabilité, fonds résul-
tant de l’activité de secteurs de travail.
Seule exception – justifiée par des raisons déontologiques –, le
régime entourant deux fonds très spécifiques : celui des formulaires
autobiographiques (les « bios ») remplis par des militants et celui des
dossiers tenus par l’ancienne « commission centrale de contrôle
politique » qui gérait les désaccords, les conflits et les sanctions éven-
tuelles. L’aspect personnel, parfois même hors du registre politique et
militant, des données qu’ils contiennent a amené, à ce jour, la direction
du PCF à ne prévoir leur communication qu’en cas de demande des
personnes concernées et de leurs ayants droit lorsqu’elles sont décédées,
ou de toute personne dûment autorisée par elles.
Encore faut-il ajouter que, par souci de ne rien occulter, les dossiers
concernant les principales « affaires » et « procès » de dimension natio-
nale et relevant de la période « communicable » (Duras-Mascolo, Guin-
goin, Marty-Tillon, l’« affaire » du portrait de Staline, Lecœur, Casa-
nova-Servin, Garaudy…) ont été ouverts à la consultation. En effet, ils
portent moins sur des individus particuliers qu’ils ne caractérisent certains
modes de traitement de problèmes politiques par la direction du PCF.
Dans le même esprit, une convention, portant sur un corpus limité
(les membres du Comité central et les secrétaires fédéraux) et obéissant

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La gestion des fonds d’archives du parti communiste français 115

également au délai général de communicabilité des documents, permet


à une équipe de chercheurs qui collaborent au Dictionnaire biogra-
phique du mouvement ouvrier de consulter les formulaires biographi-
ques des militants concernés, exclusivement aux fins de rédaction des
notices du « Maitron ».

CENSURE OU LACUNES ?

Une idée encore répandue – et très largement mythifiée – sur les


archives du PCF doit beaucoup à l’aura de secret qui les a longtemps
entourées, à l’influence des images aperçues ici ou là des imposants
lieux d’archives de l’ex-URSS et à la perception du PCF comme un
vaste système bureaucratique, rationnel et centralisé de la base au
sommet. Cela dit, l’appareil national du parti communiste a effective-
ment produit, fait circuler et (en partie seulement…) conservé, pendant
des décennies, des quantités de documents écrits ou dactylographiés.
Confronté aux fonds disponibles, et malgré leur richesse et leur intérêt,
le chercheur peut parfois être frappé par les lacunes qu’il constate. Par-
delà les fantasmes du type : « Je suis sûr(e) qu’il existe un fichier global
de tous les adhérents du PCF depuis sa création, et je voudrais le
consulter… », il est fréquent que la question de la censure ou de la dissi-
mulation soit posée. Cela mérite quelques mots.
Le PCF n’avait jamais développé de politique d’archives assumée
collectivement comme telle. Une culture du secret amplifiée par les
vicissitudes de périodes difficiles (répression, clandestinité…), les
hasards d’une conservation anarchique conjugués avec les initiatives
personnelles de dirigeants du PCF, les péripéties de la vie interne du
PCF, l’absence de distinction entre archives collectives et archives
personnelles, des cas de saisie policière massive (comme en 1952), ont
abouti à une conservation effectivement partielle et dispersée des docu-
ments. C’est tellement vrai que, pour une période, les exemplaires de
certains documents transmis systématiquement à Moscou dans le
contexte centralisé du mouvement communiste international consti-
tuent désormais les seules archives disponibles. Cette situation implique
une politique de collecte (dons ou dépôts) auprès d’anciens dirigeants
et militants et le recensement des différents lieux d’archives et de
mémoire communistes.
Au fur et à mesure de l’identification et de l’inventaire des fonds
du PCF, on trouve parfois la trace d’une intervention rétroactive volon-
taire sur des archives ; elle constitue alors une forme d’information
historique en soi mais, plus souvent encore, on relève la marque d’une
absence totale de souci archivistique : réutilisation d’une même bande
magnétique pour enregistrer successivement des réunions ou des

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116 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

discours, découpage d’un relevé de décisions pour alimenter les dossiers


respectivement consacrés aux différentes questions traitées, etc.
J’assure, pour en finir sur ce point, que, depuis la décision d’inven-
torier et d’ouvrir les archives du PCF, aucune censure n’est pratiquée,
ni sur les fonds déjà disponibles, ni au fur et à mesure des nouveaux
versements.

L’ÉTAT DES LIEUX

Pour la période de l’entre-deux-guerres, nous disposons d’un fonds


microfilmé comportant environ 100000 clichés reproduisant des docu-
ments divers : rapports, circulaires, correspondances, tracts, affiches…
dont les originaux sont conservés dans les archives de la Section fran-
çaise de l’Internationale communiste à Moscou. Ces microfilms sont la
copie partielle des dossiers du fonds 517 inventaire 1 du RGASPI
(ancien Institut du marxisme-léninisme) et ont été communiqués à la
suite de démarches entreprises par la direction du PCF à la fin des
années 1970. Cette documentation rassemble l’essentiel de l’activité de
la Section française de l’Internationale communiste entre 1920 et 1939.
On y trouve les procès-verbaux des organismes de direction (secrétariat,
bureau politique, Comité central), les comptes rendus de congrès, les
correspondances avec les régions, les rapports des différents secteurs de
travail (main-d’œuvre étrangère, agit-prop, travail paysan, travail
syndical, travail parmi les femmes, activité anti-militariste, etc.).
Très peu d’archives concernant le PCF dans la clandestinité et la
Résistance durant la période 1940-1944 sont disponibles au siège du
PCF. L’essentiel en a été pris en charge par le musée de la Résistance
nationale de Champigny-sur-Marne (94).
Pour la période de 1944 à nos jours, nous gérons à ce jour environ
700 mètres linéaires d’archives regroupant des documents papier
manuscrits ou dactylographiés (rapports, circulaires, correspondance,
brouillons, notes personnelles…), des enregistrements sonores, une
collection d’affiches et un petit fonds photographique. Le traitement des
supports numériques (disques durs, disquettes, CD Rom) nécessitera
des dispositions techniques et méthodologiques particulières, non arrê-
tées encore.
Lorsqu’ils sont versés aux archives, les fonds sont identifiés et conser-
vés en fonction de leur origine, avec le souci de préserver leur cohérence
et leur intégrité organique. On peut donc distinguer sommairement :
– des séries documentaires continues, résultant de l’activité des ins-
tances de direction, comme les comptes rendus de chacune des réu-
nions hebdomadaires du secrétariat et du bureau politique, ou l’enre-
gistrement sonore intégral de chaque réunion du Comité central ;

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La gestion des fonds d’archives du parti communiste français 117

– des archives produites collectivement par des secteurs de travail : « lien


avec les fédérations départementales », « jeunesse », « femmes »,
« culture-intellectuels », « politique internationale », « formation des
communistes », etc.
– des fonds personnels constitués par des dirigeants nationaux dans
l’exercice de leurs responsabilités (parfois multiples) : Waldeck
Rochet, Georges Marchais, Raymond Guyot, Étienne Fajon, Roland
Leroy, Paul Laurent…
– un fonds de propagande rassemblant la collection des affiches, des
brochures et des tracts édités depuis 1944.

DÈS L’ORIGINE,
UNE PRIORITÉ ACCORDÉE À L’OUVERTURE

Un décalage initial entre ouverture de principe


et communicabilité réelle
Précédant tout état des lieux et a fortiori un inventaire, même sommaire,
des fonds, l’information publique de l’ouverture des archives du PCF a
d’abord constitué un effet d’annonce politique, plus révélateur d’une
nouvelle disposition d’esprit que réellement opératoire. Ce n’est pas
resté sans implications pratiques durables. L’écho rencontré par la déci-
sion a rapidement généré un afflux important de demandes de consulta-
tion, motivées par la nouveauté de l’accessibilité aux fonds et – parfois
aussi – par des illusions sur ce qui, dans l’esprit de certains chercheurs,
« aurait dû » y figurer. Il a fallu s’expliquer sur l’état réel des archives
et le niveau des moyens attribués par le PCF à leur gestion ; il faut bien
le dire, sans incompréhension majeure de la part des historiens quant
aux délais que cela induisait. Dans le même temps, les séries identifiées,
cohérentes et déjà organisées chronologiquement (les comptes rendus
et relevés de décisions des réunions du bureau politique et du secrétariat,
par exemple) ont été mises en communication sans délai. Depuis lors,
la priorité consiste à réduire l’écart entre l’engagement pris et sa traduc-
tion dans les faits, en réalisant les inventaires des fonds, préalable obligé
à leur communication. D’autant plus que, la plupart du temps, cette
étape est pour nous celle de leur identification et de leur évaluation, ce
qui impose un relevé des documents pièce à pièce.
Nous conduisons donc simultanément une politique d’accueil
intense (trois cents consultations possibles par an en moyenne, à
raison de trois jours d’ouverture au public par semaine) et un travail
systématique d’inventaire, permettant progressivement la publicité de
tous les inventaires et la communication des documents datant de plus
de trente ans.

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118 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

DES PROJETS AMBITIEUX

La faiblesse des moyens n’interdit pas les ambitions. J’évoquerai briè-


vement ici trois « projets pilotes » en cours de réalisation.

Les enregistrements sonores


Les enregistrements intégraux des réunions du Comité central depuis
1952 ont été conservés. Il s’agit de documents intéressants à deux titres :
ils sont largement inédits, puisque les discussions ont parfois fait l’objet
d’un traitement journalistique mais n’ont jamais été transcrites intégra-
lement dans L’Humanité ; ils restituent également une ambiance et une
tonalité générale qui constituent un niveau d’information en tant que
tel1. Réalisés sur des supports assez divers au fil du temps, dont certains
sont techniquement obsolètes (tels les enregistrements effectués sur
bobines de fil métallique dans les années 1950), ils ont été intégralement
inventoriés et retranscrits sur cassette ou disque compact par les
Archives départementales de la Seine-Saint-Denis. Cela, dans le cadre
d’une convention prévoyant également le dépôt des originaux pour en
garantir une bonne conservation. Des centaines d’heures d’enregistre-
ment couvrant la période « ouverte » sont désormais à la disposition des
chercheurs. L’offre documentaire s’élargira également, après retrans-
cription, aux enregistrements des congrès nationaux, depuis le XXIIe tenu
en 1950, et d’autres réunions de direction en formations diverses,
comme les conférences nationales et les conseils nationaux.

Les relevés de décisions du secrétariat et du bureau politique


L’intérêt de ces séries réside dans leur continuité, qui permet de suivre
dans le détail, semaine après semaine, la nature et l’objet des décisions
de la direction nationale du PCF. Pour faciliter les recherches dans les
centaines de documents dactylographiés qu’elles comportent, un inven-
taire analytique informatisé en a été entrepris, en partenariat avec l’Ins-
titut d’histoire contemporaine de Dijon, dirigé par Serge Wolikow, pour
la définition scientifique et l’aspect méthodologique du travail. La réa-
lisation pratique en a été conduite pour la part essentielle par un étudiant
chercheur préparant une thèse d’histoire, Alexandre Courban. Grâce à
l’utilisation d’un logiciel ad hoc, chaque document est décrit dans une
notice intégrant une plus-value documentaire par le recours à des champs
d’indexation et à un résumé analytique. Par accumulation, ces notices
constituent plus qu’un inventaire général, mais une véritable base de

1. Voir sur les sources orales les communications d’Agnès Callu et d’Hervé
Lemoine dans ce volume.

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La gestion des fonds d’archives du parti communiste français 119

données interrogeable par critères multiples (date, noms de personnes,


noms d’organisations, noms de lieux, mots matières…). En pratique,
cela assure une fiabilité et un gain de temps appréciables. Aboutissement
d’un travail entamé depuis plusieurs années, la plus grande partie des
documents concernant la période ouverte (soit de 1920 à 1971 inclus !)
a aujourd’hui été traitée. Destiné à être utilisé in situ aux archives du
PCF, cet inventaire analytique pourrait éventuellement connaître des
usages à distance (Internet, réseau…). Le prolongement envisagé du pro-
jet, toujours dans le cadre d’une convention avec l’Université de Bour-
gogne, consisterait à numériser les documents papier puis à coupler les
images avec les notices correspondantes, de manière à disposer d’un
outil informatique global, efficient depuis la formulation de la recherche
jusqu’à la consultation des documents y répondant.

La collection d’affiches
Il s’agit d’un fonds de plusieurs milliers d’affiches originales éditées par
le PCF de 1944 à nos jours. La nécessité de procéder à son inventaire,
le nombre important de sollicitations sur la dimension iconographique
de la propagande communiste, ont amené à la création d’une base de
données informatisée, cumulant les fonctions d’inventaire, de catalogue
et d’outil d’aide à l’analyse de contenu. Une application spécifique a été
développée à partir du logiciel documentaire déjà évoqué. La définition
et la réalisation du projet jusqu’ici sont l’œuvre d’une étudiante cher-
cheuse préparant une thèse d’histoire, Lucie Fougeron. Chaque affiche
est identifiée par une notice alliant description iconographique, indexa-
tion thématique et relevé intégral du texte figurant sur l’affiche (du
simple slogan sur une affiche illustrée à l’argumentaire d’une affiche-
texte). Chacune des notices est elle-même couplée avec l’image de
l’affiche originale, numérisée à partir du plan-film obtenu préalable-
ment par photographie de l’affiche dans des conditions profession-
nelles. Une base de données spécifique est ainsi constituée progressive-
ment, offrant la possibilité de recherches multicritères et d’une
consultation de la collection épargnant les exemplaires originaux. Sur
plusieurs milliers, neuf cents affiches ont déjà été traitées ainsi. Comme
le précédent, cet outil donnera éventuellement lieu à des modes d’accès
à distance (Internet, réseau…). La série des plans-films nous permet
d’envisager des activités iconographiques et éditoriales de qualité.

LES PERSPECTIVES

Partenariats et coopération sur des projets communs


Ces exemples indiquent clairement notre volonté de procéder, dans le
cadre de nos orientations, à la recherche de coopérations et de partenariats

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120 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

ponctuels ou plus durables avec des interlocuteurs partageant notre


démarche et nos objectifs, dans les trois registres distincts de la conserva-
tion, de la gestion et du traitement des archives. C’est bien dans cet esprit
que – membre du Collectif des centres de documentation en histoire
ouvrière et sociale (CODHOS) – nous y avons contribué, pour ce qui con-
cerne le PCF, à l’inventaire bibliographique des congrès du monde
ouvrier, disponible sous la forme d’un ouvrage publié début 2002 et d’une
base de données.

La réalisation d’inventaires raisonnés


L’absence durable de politique d’archives au sein du PCF jusqu’en
1993, la confusion entre dossiers personnels et dossiers collectifs, les
aléas de la vie interne de l’organisation et des parcours individuels, tout
cela a abouti à une grande dispersion de documents constitutifs des
archives du PCF. Aujourd’hui, des fonds complets ou des segments
issus de mêmes ensembles sont conservés dans des lieux et des struc-
tures différents. Si cela constitue un état de fait irréversible, la co-réali-
sation d’inventaires donnant à voir la cohérence globale des fonds peut
être mutuellement éclairante pour les différents « lieux » de conserva-
tion, et être utile aux chercheurs.

La réflexion partagée sur l’adoption de normes cohérentes


Le recours aux inventaires informatisés renforce la nécessité de penser
la compatibilité technique des outils pour faciliter la communication et
les échanges. Mais, plus fondamentalement, les normes documentaires
elles-mêmes peuvent faire l’objet de coopérations fécondes. Qui dit
indexation et procédures d’interrogation dit éventuellement élaboration
de thésaurus avec toutes les ambitions que cela autorise mais également
les questions que cela soulève en termes de représentation de la
connaissance : gestion conjointe du très général et du particulier ;
recours à un langage analytique et objectivisé ou respect d’une termino-
logie historiquement signifiante mais évolutive ; choix des normes de
transcription phonétiques, etc. La rencontre de compétences histori-
ques, archivistiques, documentaires, peut contribuer à la maîtrise collec-
tive de ces problèmes.

Une intervention publique pour encourager la démarche


et aider à sa pérennité
Les orientations décrites précédemment et les premiers résultats qui en
résultent ont été rendus possibles par l’application volontariste d’une
décision politique, dans le cadre de moyens matériels et humains

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La gestion des fonds d’archives du parti communiste français 121

limités. Il était indispensable, précisément pour des raisons tenant à la


crédibilité de cette décision, de passer ostensiblement aux actes. Si,
aujourd’hui, la réalité de la démarche n’est plus guère mise en doute,
nous sommes dans une situation nouvelle où le véritable enjeu se situe
désormais dans la capacité à pérenniser tout ce travail en tenant le
niveau d’ambitions revendiqué. Cela passe, pour une part, par la
présence de compétences scientifiques et professionnelles dans l’asso-
ciation « loi 1901 » qui conduit le projet d’ensemble, mais également
par le développement évoqué précédemment de relations de partenariat
scientifiques, professionnelles… et financières. La nature même et la
richesse des archives du parti communiste contribuent à légitimer leur
reconnaissance comme un élément original du patrimoine historique et
culturel national. Sa démarche d’ouverture à la recherche s’apparente à
une mission de « service public » supportée aujourd’hui par les seuls
moyens apportés par le PCF lui-même. Voilà pourquoi nous avons
conduit une démarche auprès des pouvoirs publics dans le sens d’une
reconnaissance et d’un soutien à la gestion ouverte de ses archives par
le parti communiste français.

EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE

En moins de dix ans, nous sommes passés, en ce qui concerne les


archives du PCF, d’une décision politique de principe à une démarche
effective, motivée par un réel souci d’ouverture et des ambitions qui
seront à juger sur pièces mais qui recueillent des premiers échos favo-
rables. Le parti communiste revendique et assume avec détermination
cette orientation, mais exclut toute tentation instrumentalisante comme
toute prétention autarcique, en particulier sur les plans méthodologique
et scientifique. Il mesure la nécessité des échanges et des partenariats.
Cette démarche d’ouverture revêt incontestablement une dimen-
sion d’intérêt public, qui ne pourra être pérennisée durablement – nous
en sommes conscients – à la seule initiative du PCF, en particulier pour
des raisons de moyens. Cela nécessitera des discussions avec la puis-
sance publique. Les textes de cet ouvrage ont mis en évidence l’expres-
sion d’une réelle sensibilité de sa part aux enjeux touchant aux archives
et à la mémoire. Nous l’interpellerons en ce sens pour tenter de faire
reconnaître et encourager l’ouverture publique des archives du parti
communiste français.

Pascal CARREAU

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Le voile levé sur les archives


« secrètes » de la franc-maçonnerie

Les archives d’une société secrète… ne serait-ce pas là l’exemple type


des archives secrètes ? Même s’il s’agit, selon l’expression chère au
Canard enchaîné, d’« une société secrète bien connue » ! Pourtant,
qu’il s’agisse d’une biographie d’un artiste ou d’un homme politique,
d’une monographie locale ou de l’étude d’une organisation religieuse,
politique ou syndicale, beaucoup d’historiens rencontrent la franc-
maçonnerie dans le cadre de leurs travaux en raison du rôle qu’elle a
joué dans notre pays depuis trois siècles. Nous avons traité ailleurs de
l’histoire mouvementée des archives maçonniques1, nous voudrions ici
proposer une présentation pratique de ces fonds. Quelle est la nature de
ces archives et quels types de documents peut-on y trouver ? Quels sont
les fonds qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui et où peut-on les
consulter ? Enfin, comment procéder pour entreprendre une recherche
dans ces archives « secrètes » ?

STRUCTURE DES ARCHIVES MAÇONNIQUES

Les archives maçonniques sont en fait de trois types, correspondant aux


trois niveaux autour desquels s’organise la vie maçonnique. On y distin-
gue donc les archives des obédiences, celles des loges et enfin les archi-
ves personnelles de francs-maçons relatives à leur engagement. Les obé-
diences, selon l’appellation usitée en France, sont donc les organisations
fédérales qui regroupent les loges. La plus ancienne et la plus importante
est aujourd’hui encore le Grand Orient de France, héritier direct de la
première autorité maçonnique qui s’impose autour de 1730 et qui prend

1. « Paris-Berlin-Moscou, les archives retrouvées », L’Histoire, numéro spécial :


« Les francs-maçons », juillet-août 2001, p. 78 à 82, et « Histoire de la bibliothèque et
des archives du Grand Orient de France », Renaissance traditionnelle, no 131-132.

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124 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

sa forme actuelle en 1773. Par la suite, apparaîtront d’autres obédiences


comme la Grande Loge de France en 1821 ou, en 1893, l’Ordre maçon-
nique mixte international « Le Droit humain », puis d’autres encore…
Comme il s’agit de structures nationales, dotées, pour l’une d’elles
depuis le XVIIIe siècle, d’un appareil bureaucratique, les archives ont été
globalement bien conservées. Ainsi, les archives centrales du Grand
Orient de France sont à peu près complètes depuis le milieu du
XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Elles comprennent tous les documents
produits par les institutions centrales – chambre d’administration
jusqu’en 1853 puis conseil de l’Ordre – ainsi que la correspondance
reçue des loges. C’est notamment à partir de cette correspondance que
l’on peut reconstituer la vie d’une loge – et la liste de ses membres –
quand les archives de la loge elle-même ont disparu.
La deuxième grande catégorie regroupe les archives particulières
des loges : registre de procès-verbaux des séances et correspondance, ce
sont souvent les documents les plus « parlants » sur la vie quotidienne
de la franc-maçonnerie, ses orientations, son implication dans le
contexte politique et social local. Dans le vocabulaire maçonnique, les
registres de procès-verbaux sur lesquels les loges consignent leurs
travaux sont appelés « Livres d’architecture ». Le plus ancien connu
aujourd’hui est celui de la loge dite Coustos-Villeroy à Paris datant de
1737 et conservé aux Archives nationales. Ces registres sont bien sûr
plus riches en information sur la vie des loges, leurs membres, leurs aspi-
rations, que les archives essentiellement administratives des obédiences.
Mais les loges ne sont que de petites associations, d’une vingtaine à une
soixantaine de membres selon les époques, sans structure permanente,
aussi, la plupart du temps, leurs archives sont-elles malheureusement
aujourd’hui très lacunaires. Très rares sont à notre connaissance les
loges qui ont encore des archives anciennes. Néanmoins, si les fonds
d’archives ont été dispersés, beaucoup de pièces existent encore. Ainsi
de nombreux fonds publics ou privés conservent encore des milliers de
« Livres d’architecture » du XVIIIe et du XIXe siècles.
Enfin, la dernière catégorie recouvre les archives des maçons eux-
mêmes quant à leur engagement. C’est là un chantier à ouvrir car, parado-
xalement, c’est probablement le type d’archives le plus rare. Pourtant les
correspondances privées, les planches, c’est-à-dire les exposés que les
frères font en loge, et tous ces documents personnels présentent les pen-
sées et les réflexions des maçons avec des détails et des nuances infini-
ment plus fines que les comptes rendus de loge, forcément synthétiques.
Signalons aussi les archives un peu particulières que constituent les
rituels utilisés par les loges depuis trois siècles, car elles pourront inté-
resser les historiens des idées. Contrairement, par exemple, à la maçon-
nerie britannique où un grand respect de la tradition orale a rendu la
documentation rituelle quasi inexistante, en France, dès le milieu du
XVIIIe siècle, de nombreux manuscrits rapportent en détail la nature des
cérémonies maçonniques.

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Le voile levé sur les archives « secrètes » de la franc-maçonnerie 125

On mesure la variété des documents produits par la franc-maçon-


nerie. Pour mieux les analyser dans toute leur diversité, il est important
de déterminer l’entité dont ils émanent – obédiences, loges ou frères –
et les circonstances de leur production. C’est à cette condition seule-
ment que le chercheur pourra s’orienter dans les abondantes archives
maçonniques qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui.

LE TOUR DE FRANCE DES FONDS MAÇONNIQUES

Disons-le d’emblée – quitte à susciter une petite déception tant le secret


et le mystère sont nécessaires à l’âme humaine, fût-elle celle d’éminents
historiens (…) –, les archives maçonniques sont aujourd’hui largement
ouvertes et leur consultation ne pose pas de problèmes majeurs. En effet,
au lendemain de l’Occupation et de cinq années de persécutions contre
la Franc-maçonnerie, au milieu des ruines, les dignitaires du Grand
Orient constatèrent que les fonds publics – bibliothèques municipales
ou archives départementales – avaient été les seules structures qui
avaient préservé les archives maçonniques du pillage. Conscients de
l’état de faiblesse du Grand Orient et de son incapacité, en 1945 et pour
bon nombre d’années, à dégager les moyens nécessaires à l’entretien et
à la bonne conservation de ces précieux documents, ils décidèrent de
déposer l’ensemble des archives historiques de l’Ordre à la Biblio-
thèque nationale. Aujourd’hui, les archives du Grand Orient de France
constituent toujours l’essentiel du Fonds maçonnique du cabinet des
Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Toutes les archives
centrales de l’obédience antérieures à 1900 – y compris les plus
secrètes ! – sont donc consultables par toute personne qui détient une
carte de lecteur de la Bibliothèque nationale. Elles sont classées en
5 séries. Le fonds FM1 rassemble les archives centrales du Grand
Orient, les comptes rendus d’assemblées générales, des différents
organes de l’obédience (chambres d’administration puis conseil de
l’Ordre, Grand Collège des rites…), des commissions créées pour gérer
tel ou tel problème, les comptes… La série FM2 regroupe les envois des
loges au Grand Orient, des origines à 1900. Elle est classée par ville
(« orient » dans le vocabulaire maçonnique) puis par ordre alphabétique
des noms des loges2. Celles-ci étaient tenues d’envoyer une fois par an
au Grand Orient la liste de leurs membres (« tableaux ») ainsi que leur
bureau (« le collège des officiers »). Malheureusement, pendant la

2. On trouvera de nombreux éléments sur les ressources du fonds FM2, pour le


XVIIIe
siècle, in Alain LE BIHAN, Loges et chapitres de la Grande Loge et du Grand
Orient de France (2nd moitié du XVIIIe siècle), Paris, Bibliothèque nationale, 1967.

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126 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

guerre les services de Vichy ont retiré un certain nombre de ces listes
pour la fin du XIXe et pour le XXe siècles. Sous la cote générale FM3 sont
rassemblés plus de 800 registres de procès-verbaux de loges diverses
(les « Livres d’architecture » dans la langue des loges). C’est un
ensemble un peu hétérogène, mais avec de la chance on peut donc y
trouver les traces directes des travaux des francs-maçons sur lesquels on
recherche des informations. Sous la cote FM4 on découvrira une impo-
sante collection de rituels maçonniques de tous les rites et tous les
grades, y compris les plus atypiques, dont près d’un tiers du XVIIIe siècle.
Le fonds FM5 regroupe les diplômes maçonniques et patentes de loges
classés alphabétiquement par nom des titulaires auxquels ils ont été
délivrés et par loge, regroupées géographiquement.
Plus de vingt-cinq ans après la guerre, en 1973, le Grand Orient put
enfin recréer sa bibliothèque. Outre un fonds d’ouvrages anciens et
modernes spécialisés, il décida alors d’ouvrir aux chercheurs ses
archives jusqu’en 1940, c’est-à-dire le complément direct des séries
consultables à la BNF, pour la période 1900-1940. Suite immédiate du
fonds FM2, la correspondance avec les loges entre 1900 et 1940 est
donc consultable rue Cadet. À l’heure où l’histoire coloniale redevient
à la mode, soulignons, entre autres, l’intérêt des échanges avec les loges
d’Afrique ou d’Indochine. Par ailleurs, la bibliothèque du Grand Orient
conserve une collection complète et facile d’accès des comptes rendus
imprimés des assemblées générales de l’obédience depuis 1800 – fêtes
de l’Ordre bisannuelles jusqu’en 1844, puis Bulletin du Grand Orient de
France, comptes rendus des travaux du conseil de l’Ordre et comptes
rendus des assemblées générales – et jusqu’en 1940. Ces dizaines de
milliers de pages sont une source exceptionnelle, et somme toute peu
exploitée, sur les opinions et la sensibilité des francs-maçons par rapport
aux débats d’une époque. On peut aussi y consulter l’annuaire publié
annuellement par le Grand Orient depuis 1786 et qui donne la liste des
loges et des dignitaires. Enfin, elle détient un très utile fichier des
membres de l’obédience de l’entre-deux guerres qui regroupe près de
120000 entrées.
Par ailleurs, en décembre 2000, le Grand Orient de France s’est vu
restituer d’importantes collections qui lui avaient été dérobées par
l’occupant allemand en 1940. Soustraites aux Allemands par les Russes
en 1945, elles ont ensuite été conservées pendant un demi-siècle aux
archives spéciales centrales d’État de Moscou. À leur retour de Russie,
ces fonds ont réintégré la bibliothèque du Grand Orient de France où ils
ont été rassemblés sous l’intitulé « AR (Archives de la réserve) ». On y
découvre notamment une collection de documents historiques relatifs à
la reconstitution des loges par la Première Grande Loge de France dans
les années 1760 ; les archives des relations extérieures du Grand Orient
du milieu du XIXe siècle à 1940 ; les archives centrales de l’obédience
dans les années 1930 ; enfin toute une série d’archives anciennes de
loges du XVIIIe au XXe siècle.

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Le voile levé sur les archives « secrètes » de la franc-maçonnerie 127

La Grande Loge et le Suprême Conseil de France, quant à eux, ont


déposé une petite partie seulement de leurs fonds à la BNF. Mais la
bibliothèque de la Grande Loge (8, rue Puteaux, 75017 Paris) ouvre très
libéralement aux historiens ses archives qui couvrent la période 1821-
1940. L’Ordre mixte internationnal « Le Droit humain » et la Grande
Loge féminine de France disposent depuis quelques années de commis-
sions d’histoire qui peuvent répondre aux questions des chercheurs.
Pour rester à Paris, il faut signaler l’exceptionnelle sous-série F7 des
Archives nationales qui, si elle n’est pas d’origine maçonnique – il
s’agit des archives de la police –, présente une documentation impor-
tante et détaillée sur les loges, les sociétés secrètes et leurs animateurs
sous Louis XVIII, Charles X et les débuts de la Monarchie de Juillet.
Pour explorer ce fonds magnifique on se référera au travail admirable
de Jacqueline Chaumié, Archives nationales – Police générale – Objet
généraux des affaires politiques F7 6678-6784, 1815-18383, qui, outre
l’inventaire détaillé des dossiers, donne une table de plus de 120 pages
serrées des noms de personnes citées, de lieux, de sujets… et de sociétés
secrètes. Un exemple, entre tant d’autres : on découvre dans cette fabu-
leuse et romanesque table une « Société secrète de l’Aigle noir », et en
se reportant à l’inventaire du dossier 6685, chemise 5, on y apprend les
« révélations faites par le sieur Achard, détenu dans les prisons de
Fribourg, concernant l’existence d’une conspiration contre la Royauté,
pour le rétablissement des Bonaparte, fomentée par une société secrète
nommée le Petit Aigle Noir, dont les ramifications s’étendraient en
Suisse et dans le sud-est de la France ». Parfois, les procès-verbaux et
même les rituels de ces authentiques Philadelphes ont aussi été saisis
par la police.
En province, plusieurs grandes bibliothèques publiques conservent
aussi d’importants fonds maçonniques. À Lyon, la richesse des collec-
tions reflète la vitalité des loges dans la capitale des Gaules depuis au
moins 1740. La Bibliothèque municipale abrite notamment le célèbre
fonds Willermoz. Initié en 1750, Jean-Baptiste Willermoz sera un
maçon actif presque jusqu’à sa mort, en 1824, à 94 ans. Ce soyeux lyon-
nais restera toute sa vie animé par la quête – toujours inachevée – des
vrais secrets de l’Ordre. Pour cela, il collectera une documentation
exceptionnelle sur les rites, les systèmes maçonniques et la vie des
loges. Il entretiendra aussi une correspondance abondante dans toute
l’Europe. Les milliers de folios du fonds Willermoz offrent des maté-
riaux uniques pour l’histoire de l’illuminisme au Siècle des lumières,
cette « source occulte du romantisme » selon la belle expression
d’Auguste Viatte. À Toulouse, le legs du docteur Chalot – un dignitaire
du Grand Orient de France, collectionneur et bibliophile – présente de

3. Paris, Imprimerie nationale, 1954.

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128 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

riches archives sur la maçonnerie du Premier Empire. À Alençon, le


fonds Gaborria conserve les papiers d’un maçon cosmopolite très actif
entre 1780 et 18204. À Strasbourg, le legs Paul Gerschel comprend plus
de 2000 manuscrits5. Signe de la forte présence de la franc-maçonnerie
dans la vie sociale de notre pays depuis trois siècles, il n’est guère de
bibliothèque municipale ou d’archives départementales qui ne conser-
vent une quantité plus ou moins importante d’archives maçonniques.
On y a souvent d’heureuses surprises et aucune piste n’est à négliger.
Pour avoir une idée de la richesse de ces fonds et pour s’orienter dans
cette « France profonde » des archives maçonniques, on consultera les
deux volumes de l’ouvrage de Jacques Léglise : Catalogue des manus-
crits maçonniques des bibliothèques publiques (Paris, SEPP, 1988). De
surcroît, depuis quelques années, prenant conscience de l’importance de
ces pièces et confrontées aux difficultés de leur conservation, certaines
des rares loges qui disposent encore d’archives anciennes en font dépôt
dans des fonds publics. Ainsi, la loge « L’Encyclopédique », fondée en
1787, a récemment déposé ses registres de procès-verbaux du
XVIIIe siècle aux archives municipales de Toulouse.
Une fois les principaux dépôts d’archives de la franc-maçonnerie
identifiés, il reste à pouvoir s’orienter efficacement dans ces fonds un
peu particuliers pour répondre aux questions que se pose l’historien.

MÉTHODOLOGIE DE QUELQUES RECHERCHES CLASSIQUES

La question qui revient le plus souvent porte sur l’identité franc-


maçonne de tel ou tel individu. Comment établir l’appartenance maçon-
nique d’une personne ? La question se pose en fait assez différemment
selon la période où elle a vécu. Tant au XVIIIe que dans la première moitié
du XIXe siècle, le Grand Orient n’avait pas de liste centralisée de ses
membres, chaque loge gérait elle-même ses effectifs. Ainsi, il est très
difficile de vérifier une appartenance maçonnique lorsqu’on ne connaît
pas… la loge dont la personne étudiée aurait pu être membre. Heureu-
sement, certains chercheurs ont effectué des dépouillements d’archives
de loges qui constituent souvent la seule entrée possible. Alain Le Bihan
a passé au peigne fin les archives des loges parisiennes du Grand Orient
et publié un inventaire remarquable sur Les Francs-Maçons parisiens

4. Sur le fonds Gaborria, cf. La Franc-Maçonnerie en Alençon et dans l’Orne,


250 ans de fidélité aux libertés, Alençon, 2003.
5. Inventaire des archives de la ville de Strasbourg, franc-maçonnerie de
Strasbourg, legs Paul Gerschel, répertoire numérique détaillé établi par René Brassel,
Strasbourg, 1975, 101 + 17 p.

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Le voile levé sur les archives « secrètes » de la franc-maçonnerie 129

du Grand Orient de France – fin du XVIIIe siècle (éditions de la Biblio-


thèque nationale, Paris, 1966). Jean Bossu a, pour sa part, consacré sa
vie à dépouiller des archives et des articles de revues régionalistes ou de
publications savantes. Il relevait sur de petites fiches les appartenances
maçonniques dont elles faisaient état. Le fichier « Bossu » a fini par
compter près de 100000 fiches retraçant la carrière maçonnique de
frères célèbres ou inconnus au gré des recherches de son auteur. À sa
mort, il a légué ce fichier à la Bibliothèque nationale. Le fichier
« Bossu » peut donc être interrogé au fonds maçonnique de la BNF,
mais uniquement par correspondance (BNF, cabinet des Manuscrits,
Fonds maçonnique, 58, rue de Richelieu, 75002 Paris), car il n’est pas
en accès direct. Il y a actuellement un projet d’informatisation du fichier
« Bossu ». Sous le Second Empire, le frère Pinon publia, de 1862
à 1869, un exceptionnel annuaire maçonnique qui donne la liste des
membres de la plupart des loges de Paris et des principales villes fran-
çaises. Par la suite, les listes de francs-maçons imprimées le seront dans
un esprit bien différent. Ces publications émaneront d’associations anti-
maçonniques dont l’objectif sera – par ces ouvrages – de dénoncer les
frères à la vindicte publique. On peut ainsi consulter La France maçon-
nique, nouvelles divulgations de l’inénarrable Léo Taxil (1888), Le
Tout-Paris Maçonnique contenant 10 000 noms de francs-maçons de
Paris et de sa banlieue (1896), le Répertoire maçonnique contenant les
noms de 30 000 francs-maçons de France et des colonies de l’Associa-
tion antimaçonnique de France (1908) et, au milieu des années 1930, la
Fédération nationale catholique fera paraître Le Grand Orient de
France et La Grande Loge de France, publiant là aussi des dizaines de
milliers de noms. La fiabilité de ces listes est en fait assez bonne, les
associations antimaçonniques les établissaient en dépouillant la presse
maçonnique – notamment les bulletins donnant les programmes des
réunions – ou en détournant les courriers destinés aux loges. Il faut
toujours essayer de confirmer l’information par les archives maçonni-
ques, mais ces divulgations donnent des pistes très utiles. Pour le
XXe siècle, il existe donc un fichier historique consultable par les cher-
cheurs à la Bibliothèque du Grand Orient de France. Fort de 120000
fiches, on y trouve de nombreuses informations pour les années 1900-
1914 et il est globalement fiable pour la période 1920-1938. C’est un
outil de travail exceptionnel pour l’histoire de la vie politique et sociale
de l’entre-deux-guerres mais les historiens des arts pourront aussi y
trouver des renseignements utiles sur les carrières maçonniques, entre
beaucoup d’autres, de Mucha ou Juan Gris pour la peinture, Bartholdi
ou Jacques Lipchitz pour la sculpture ou encore Firmin Gémier pour le
théâtre. La bibliothèque de la Grande Loge de France conserve un
fichier équivalent pour ses membres. Rappelons enfin deux évidences
dans ce domaine : une absence de preuve n’est pas une preuve de non-
appartenance, l’engagement maçonnique n’a pas la même signification
selon les époques. Bien que principal dirigeant du Grand Orient avant

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130 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

la Révolution, le duc de Montmorency-Luxembourg, premier baron


chrétien de France, n’était pas radical-socialiste… il émigra d’ailleurs
le 15 juillet 1789 ! Une fois l’appartenance maçonnique établie, il reste
à la mettre dans son contexte et à essayer de cerner le sens qu’elle
pouvait avoir.
L’étude d’un milieu maçonnique est d’ailleurs le deuxième grand
type de problématique. Elle se pose notamment dans les monographies
sur l’histoire des villes. Les loges ayant souvent joué un rôle important
dans la vie locale au XVIIIe et au XIXe siècle, la reconstitution de la sphère
de la sociabilité maçonnique – nous évitons le terme réseau – ne pose
pas de difficulté majeure. En effet, l’administration maçonnique a
toujours demandé aux loges de l’informer de l’état de leurs effectifs, ne
serait-ce que pour… dès le XVIIIe siècle, percevoir efficacement l’impôt
de capitation, le « don gratuit », comme l’on disait alors. La série FM 2
à la BNF, sa suite à la bibliothèque du Grand Orient, ou son équivalent
à la bibliothèque de la Grande Loge, conservent donc les « tableaux »,
c’est-à-dire la liste de leurs membres que les loges envoyaient chaque
année. Il est donc très facile de savoir en compagnie de qui le person-
nage que l’on étudie maçonnait ou d’établir la liste des franc-maçons
d’une ville à une époque donnée. Lorsque pour des raisons diverses les
tableaux n’existent plus – on a dit que les services de Vichy en avaient
prélevé un certain nombre –, on peut en général reconstituer une partie
au moins des effectifs avec le reste de la correspondance (demandes de
diplôme maçonnique pour les frères élevés à tel ou tel grade, demandes
de renseignements divers…). Par ailleurs, dès le XVIIIe siècle et jusqu’en
1940, certaines loges ont fait imprimer leurs tableaux ; à partir des
années 1830, on trouve même des annuaires, ceux-ci se multiplieront
dans les années 1880.
Au-delà des données factuelles comme l’appartenance ou les listes
des membres, comment en savoir plus sur les travaux et les préoccupa-
tions des francs-maçons ? Dans l’idéal, il faudrait pouvoir recourir aux
archives particulières des loges et notamment à ces fameux « Livres
d’architecture », ces registres qui rassemblent les procès-verbaux dont
doit faire l’objet toute réunion maçonnique depuis au moins 1737. Or,
on l’a rappelé, très rares sont aujourd’hui les loges qui ont encore des
archives anciennes. Mais, si les archives ne sont plus dans les loges, les
pièces n’ont pas forcément été détruites. Le chercheur doit donc faire le
tour des fonds maçonniques pour essayer d’y découvrir les vestiges
documentaires qui l’intéressent. Il commencera par le fonds FM3 de la
BNF, puis consultera les bibliothèques du Grand Orient et de la Grande
Loge, enfin il explorera les fonds maçonniques de province grâce au
livre de Jacques Léglise. Si, en dépit de ces investigations, il ne trouve
aucun des documents propres à la loge, il se replongera dans la corres-
pondance de celle-ci avec l’autorité centrale. Même si cette correspon-
dance est essentiellement administrative, on y découvre régulièrement
des éléments sur les débats internes à la loge.

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Le voile levé sur les archives « secrètes » de la franc-maçonnerie 131

Dans la perspective de l’histoire des idées, rien ne saurait remplacer


le témoignage individuel sur l’engagement maçonnique. Mais les
archives personnelles des francs-maçons (correspondances, journaux
intimes, mémoires…) sont encore infiniment plus rares que celles des
loges, la grande exception étant le fabuleux fonds Willermoz de Lyon.
C’est cependant l’un des axes des historiens maçonniques d’aujour-
d’hui. Pierre-Yves Beaurepaire a notamment montré l’infinie richesse
de ces « ego-documents » pour l’histoire de la franc-maçonnerie. Et, en
cherchant… on en découvre plus que l’on ne pensait pouvoir en
trouver6.
Même s’ils procurent des informations précieuses, les « Livres
d’architecture » ne rendent pas toujours compte du détail des réflexions
et débats d’une loge. Les procès-verbaux sont souvent courts et assez
stéréotypés, la plupart du temps les exposés faits en loge (les
« planches ») ne sont évoqués que par un court résumé, voire même
seulement par leurs titres. Alors, où aller chercher des sources plus subs-
tantielles pour cerner les idées diffusées par la franc-maçonnerie. Pour
le XVIIIe et la première partie du XIXe siècle, on découvrira dans les diffé-
rents fonds que nous avons présentés des manuscrits de textes lus et
débattus en loge. Un certain nombre ont d’ailleurs été livrés à l’impres-
sion et on les retrouvera grâce aux bibliographies classiques7. On
consultera aussi les revues maçonniques dont beaucoup d’articles sont
à l’origine des exposés en loge8. À partir de 1844, le Grand Orient publie
donc un Bulletin avec les débats de ses assemblées générales et des
contributions des loges. Depuis la fin du XIXe siècle – et jusqu’à
aujourd’hui –, il propose des « Questions à l’étude des loges » qui font
l’objet de travaux dans chacune d’elles, puis d’un rapport qui est envoyé
au siège de l’obédience. Les comptes rendus des assemblées générales
publient ensuite un rapport de synthèse de ces questions. Outre les
synthèses publiées, pour certaines années de l’entre-deux-guerres, la
bibliothèque du Grand Orient conserve des liasses des centaines de
rapports originaux envoyés par les loges.

6. Cf. notamment, Pierre-Yves BEAUREPAIRE, L’Autre et le Frère, l’Étranger et la


Franc-Maçonnerie en France au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1998 ; Projet
pour une recension des écrits du for privé en France (début du XVIe-début du XIXe siècle),
à paraître ; Ego-documents et instrumentation électronique, à paraître. On pourra
consulter le travail collectif conduit par une équipe interdisciplinaire sur le Web à
propos d’un passionnant ego-document à fort contenu maçonnique Le Journal de
Corberon, sur http://melior.univ-montp3.fr/eol/egodoc/corberon/PageAccueil.htm.
7. August WOLTSTIEG, Bibliographie der Freimaurerishen literatur, 1911 (et
reprint, Georg Olms, 1992) ; Paul FESCH, Bibliographie de la franc-maçonnerie et des
sociétés secrètes, présenté et mis en ordre par Georges A. Denys, Bruxelles, 1976.
8. André DORÉ, « Essai d’une bibliographie des périodiques maçonniques et anti-
maçonniques de langue française (1763-1945) », Humanisme, revue des francs-maçons
du Grand Orient de France, no 124, septembre 1978, p. 66-87.

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132 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Ces quelques approches sont naturellement assez générales et


chaque recherche identifiera probablement des champs d’investigation
particuliers qui compléteront les sources classiques de l’histoire maçon-
nique.
Les archives maçonniques sont donc fort peu secrètes. Néanmoins,
elles restent sous-exploitées en dehors du cercle étroit des historiens de la
franc-maçonnerie. Or elles sont un objet d’histoire sociale comme un
autre. Une fois passé la barrière d’un vocabulaire pittoresque – avec
lequel on peut d’ailleurs facilement se familiariser en quelques heures –,
elles offrent à l’historien, dans des spécialités assez diverses, des sources
inattendues et souvent intéressantes. C’est d’ailleurs un des charmes de
l’histoire maçonnique que de toucher à des domaines aussi variés que
l’histoire des idées religieuses, l’histoire politique, l’histoire sociale,
voire l’histoire littéraire… Victimes eux aussi du mythe du « secret
maçonnique », les chercheurs ont souvent le sentiment que ces archives
sont inaccessibles. Cette auto-censure inconsciente les prive, sans raison,
d’une dimension des personnages ou des milieux qu’ils étudient. Mais un
autre facteur intervient aussi. Survalorisée par le préjugé populaire du
complot et du réseau, la franc-maçonnerie semble à l’inverse sous-esti-
mée par les milieux académiques… à préjugé, préjugé et demi. Ces deux
attitudes, qui ne sont d’ailleurs peut-être pas sans lien, brouillent l’étude
sereine et scientifique de cette singulière sociabilité qui, ni ange ni
démon, fait partie de l’histoire de France depuis près de trois siècles.

Pierre MOLLIER

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10_Archsecr_CN Page 133 Mardi, 27. mai 2003 5:49 05

De l’ombre à la lumière
Les archives françaises
de retour de Moscou (1940-2002)

Sollicités en 1994 par Gérard Naud, alors directeur du Centre des


archives contemporaines de Fontainebleau, pour apporter une contribu-
tion historienne à la première analyse d’un fonds public français rapatrié
de Moscou, celui de la Sûreté nationale, nous avions alors été confrontés
à cette masse documentaire exceptionnelle, inattendue, et qui nous
paraissait riche de perspectives nouvelles pour l’histoire contempo-
raine. Mais ces premiers travaux pointaient également des zones
d’ombres et des interrogations persistantes portant à la fois sur l’histoire
de ces archives et sur la situation des fonds français. Huit ans plus tard,
quel bilan d’étape proposer au sujet de ces fonds au destin étonnant,
« deux fois pillés et deux fois sauvés » comme l’écrit l’historienne
américaine Patricia Kennedy Grimsted, « back from nowhere » selon
l’archiviste belge Michel Vermote ?
Leur retour articule en réalité trois types d’enjeux : tout d’abord des
enjeux politiques, qui posent des questions de souveraineté et de senti-
ment national (d’où la difficulté à mettre en œuvre des instruments juri-
diques internationaux) et qui interrogent également l’histoire politique
des archives : pourquoi piller puis conserver, enfin restituer, des
archives étrangères ? Par quel processus cessent-elles d’être, du fait de
leur histoire ou de leur contenu, des objets sensibles pour rentrer dans
le lot des documents offerts au labeur historien ? Il faut suivre ce ques-
tionnement des années 1940 à nos jours en passant par la guerre froide,
au travers de contextes historiques, d’espaces et de systèmes juridiques
très divers : Allemagne nazie et son hinterland, URSS et démocraties
populaires, puis Fédération de Russie, France, Europe occidentale, et
même États-Unis avec les archives de Smolensk. Le deuxième
ensemble d’enjeux est professionnel, et concerne le travail archivistique
sur ces fonds, tant à l’époque de leur histoire secrète qu’à partir du
moment où, au niveau international, a pu être mené un travail considé-
rable d’identification puis d’inventaire. Cette histoire s’insère à son tour
dans le contexte beaucoup plus large des contentieux archivistiques nés

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134 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

des guerres, des colonisations et décolonisations et des successions


d’États. Enfin, nous nous attacherons à présenter les nouveaux travaux
et les nouveaux questionnements sur le XXe siècle que rend possible le
retour de ces fonds, à condition bien sûr qu’ils soient ouverts à la
recherche.
Si nous pouvons apporter quelques réponses inédites à ces ques-
tions, c’est grâce au travail commun réalisé entre archivistes et
historiens : il faut rendre hommage à l’œuvre considérable accomplie
par P. K. Grimsted, de l’Université d’Harvard avec les archivistes
russes ; nous remercions particulièrement pour leur aide, en ce qui
concerne la part française de cette enquête, Alain Paul et Pierre
Carouges du Centre des archives contemporaines de Fontainebleau.

DES ARCHIVES AU SECRET

Comme le souligne Claire Sibille dans son travail sur les transferts
d’archives du 2e bureau1, le périple chaotique des archives françaises de
1940 aux années 1950-60 suit une chronologie très complexe, qui
s’insère dans l’histoire européenne des pillages nazis puis des confisca-
tions soviétiques d’archives.

Saisies et usages pendant les années noires, 1940-45


Tout laisse à penser que la majorité des papiers français, des ministères
comme des personnes morales, des partis ou des associations, a été
saisie par les Allemands dès les mois de juin-juillet 1940, selon une
action concertée visant d’une part l’État français en tant que tel, visité
ministère par ministère, d’autre part les « ennemis du régime nazi » :
juifs, socialistes, francs-maçons, hommes politiques français comme
Léon Blum ou Camille Chautemps, mais aussi émigrés russes en
Europe, etc. Ce même été 1940, le gouvernement de Vichy mettait sous
séquestre un certain nombre de papiers, notamment franc-maçons, et en
négociait la gestion avec l’occupant : il est encore difficile de savoir s’il
y eut sur ce point partage ou, plus probablement, choix préalable par les
Allemands qui complétèrent les fonds saisis à Paris par le pillage de
grands loges provinciales2. De plus, l’existence dans plusieurs fonds de

1. Claire SIBILLE, « Les archives du 2e bureau SR-SCR récupérées de Russie », in


O. FORCADE, G.-H. SOUTOU (dir.), L’Exploitation du renseignement, Paris, Economica,
2001, p. 27-47.
2. Cf. Pierre Mollier, « Paris-Berlin-Moscou : les archives retrouvées », L’Histoire,
no 256, juillet-août 2001, et sa communication dans ce volume.

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Les archives françaises de retour de Moscou 135

quelques papiers postérieurs atteste la saisie ou la transmission aux


autorités allemandes, et ce jusqu’en 1943. Enfin, un ensemble considé-
rable fut saisi en une seule fois en 1943 au château de Lédenon dans le
Gard, et concerne plusieurs tonnes d’archives des services spéciaux
militaires français, qui étaient dissimulées après avoir été triées par les
Français eux-mêmes3.
Ces documents, comme ceux qui avaient été pillés dans le reste de
l’Europe occupée, furent transférés à Berlin où ils furent utilisés par les
services secrets allemands et la propagande raciale, comme en témoi-
gnent les annotations manuscrites et les « fantômes » laissés dans les
dossiers. Cette inquisition scrupuleuse a, dans certains cas, porté des
fruits surprenants à première vue. On songe, exemple parmi d’autres,
aux archives courantes de l’Office national des universités et écoles fran-
çaises, chargé notamment d’organiser les échanges avec les universités
étrangères4. Dans ce fonds, les autorités nazies ont consulté, à des fins
que l’on devine, les dossiers personnels des lecteurs d’allemand en poste
dans les universités françaises avant la guerre. Plusieurs services de
l’armée allemande étaient impliqués dans ces mouvements documen-
taires, notamment le RSHA, Office principal de sécurité du Reich,
incluant la Gestapo mais surtout les célèbres « commandos Rosenberg »,
forces spéciales des territoires occupées commandées par Alfred Rosen-
berg, l’un des doctrinaires du nazisme. L’Einsatzstab Reichsleiter
Rosenberg (ERR) était devenu dès septembre 1940 le service officiel de
confiscation des biens juifs et franc-maçons dans l’Europe occupée 5. En
1943, devant l’accroissement des bombardements alliés sur la capitale
du Reich, les cartons furent évacués pour une part en basse Silésie (près
de Ratibor, Pologne actuelle), avec notamment les archives du parti
communiste soviétique pillées en Ukraine. Les Allemands réussirent
d’ailleurs à en renvoyer une partie en Allemagne en 1945 : récupérés
par les services secrets américains, elles allaient devenir les « archives
de Smolensk », source précieuse de la soviétologie occidentale aux
Archives nationales de Washington. D’autres papiers se retrouvèrent
dans la petite ville sudète de Oberliebich, actuellement Horní Libchava,
en République tchèque. C’est là qu’une unité du contre-espionnage mili-
taire de l’armée Rouge, le SMERSH, captura en mai 1945 l’essentiel des
archives du 2e bureau et de la Sûreté nationale. Le transport fut supervisé
directement par Lavrenti Beria alors ministre de l’Intérieur et, en

3. Claire SIBILLE, art. cit.


4. Archives de l’Office national des universités et écoles françaises, fonds russe
no 285, versement au CAC en 2001, numéro de versement français 20010167, en cours
de conditionnement à l’été 2002, informations transmises par Pierre Carouges.
5. Sur ce point et sur l’odyssée des archives jusqu’à Moscou, nous utilisons
l’enquête minutieuse menée par P. K. Grimsted dans les travaux cités en bibliographie
de cette communication.

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136 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

juillet 1945, les documents arrivaient à Moscou. Ainsi, tant le régime


nazi que le régime soviétique – ce qui est moins étonnant pour ce dernier
en 1945 – s’inscrivaient dans la durée politique et policière à l’échelle
européenne, au point de consacrer hommes, argents et transports ferro-
viaires en temps de guerre à des tonnes de documentation et d’archives.

Usages soviétiques des fonds français


Parmi ces wagons d’archives, combien exactement contenaient des
papiers français ? Il est bien difficile de répondre à cette question, tant
il s’agit de récupérations insérées dans un mouvement énorme de biens
culturels (œuvres d’arts, instruments de musique, partitions, bibliothè-
ques entières – plus de 11 millions d’ouvrages allemands –, bouteilles
de vin…) pillés au fil des mouvements de l’armée Rouge en Allemagne
et dans toute l’Europe orientale. P. K. Grimsted a aussi montré qu’en ce
qui concerne les archives, il ne s’agissait pas seulement de récupérations
aléatoires, mais bien d’une opération de collecte systématique des
« matériaux ayant une signification scientifico-historique et opération-
nelle pour notre pays », initiée par Beria dès février-mars 1945, et
tournée vers l’identification des criminels nazis, collaborateurs soviéti-
ques et éléments anti-soviétiques (émigrés, nationalistes bourgeois,
etc.). Des commandos spéciaux du NKVD furent envoyés partout en
Allemagne et Europe centrale et orientale, on créa des « commissions
des trophées » qui durent trier notamment les archives allemandes
évacuées dans les mines de sel saxonnes6.
Ces documents furent pour l’essentiel dirigés vers les Archives
spéciales centrales d’État7, centre secret dont la création avait été
décidée par le NKVD, le 21 août 1945. Ouvert en 1946 au nord de
Moscou, placé sous l’autorité du Conseil des commissaires du peuple
(Sovnarkom) de l’URSS, il accueillit également à cette époque, outre
les fonds européens pillés par les nazis dont les plus anciens dataient du
XVe siècle, de vastes séries d’archives allemandes de la République de
Weimar et du IIIe Reich ainsi que des documents des camps de concen-
tration, soit au total plus de 1,5 million de documents8. Mais il faut
souligner que nombre d’entre eux ont été, on le sait d’après des annota-
tions sur les inventaires, dispersés au fil des ans dans d’autres centres

6. P. K. GRIMSTED in « Russia’s Trophy Archives: Still Prisoners of World War


II? », Budapest, Open Society Archives, Central European University, février 2002,
d’après les archives d’État de la Fédération de Russie (GARF), déclassifiées sur ce sujet.
7. Cf. la communication de Sabine Dullin dans ce volume.
8. Inventaire des fonds d’origine étrangère et de la direction générale des prison-
niers de guerre et internés du NKVD-MVD de l’URSS aux Archives d’État militaires
russes, Moscou, RGVA, 2001, introduction, p. 3.

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Les archives françaises de retour de Moscou 137

d’archives ou récupérés par des organes directeurs soviétiques, et n’ont


pas tous été localisés. Ainsi, les dossiers personnels concernant Georgi
Dimitrov et Màtyàs Ràkosi, tous deux devenus après guerre des diri-
geants communistes importants, mais aussi plus énigmatiquement
Henri Barbusse, décédé en 1935, ont été extraits sans retour dans les
années 1950 du fonds de la Ligue des droits de l’homme9. Des papiers
furent envoyés au Comité central du PCUS et au Conseil des ministres
de l’URSS (pas moins de 266287 documents au total entre 1955
et 195810). D’autres, issus des archives françaises, allèrent au NKVD,
aux archives du PC (Institut du marxisme-léninisme) pour les dossiers
de police sur les militants communistes français ou les kominterniens 11
à Paris, aux Archives d’État où ils furent apparemment classés à tort
dans les « archives de Prague », constituées par l’émigration russe dans
l’entre-deux-guerres, déposées à Prague et offertes par le gouvernement
tchécoslovaque en signe d’amitié pour Moscou en 1946, peut-être au
RGALI (archives littéraires, pour les papiers de certains émigrés russes)
ou aux Affaires étrangères.
Il reste que l’énorme majorité des fonds fut mise en cartons
d’archives des années 1940 à 1960 aux « Archives spéciales », au prix
d’un travail considérable d’identification et de classement. Ce traite-
ment archivistique ne fut pas dicté par des objectifs scientifiques, mais
politiques, reflétant les préoccupations du pouvoir soviétique. Citons un
« protocole de conservation » daté d’août 1945 et retrouvé par Patricia
Grimsted : « L’utilisation doit avoir exclusivement un caractère limité
et spécifique pour les buts opérationnels du NKVD, de la Défense et des
Affaires étrangères. Aucune recherche savante ne pourra être menée sur
la base de ces archives et, pour s’en assurer, aucun accès ne sera autorisé
aux membres des institutions savantes… Il n’y a pas besoin de faire des
inventaires complets ni de classer les documents12. »
Jamais classés pour la recherche (d’où l’absence de salle de lecture
aux « archives spéciales »), ces documents furent inventoriés sans souci
des services producteurs, généralement par langue, d’où la confusion
fréquente entre papiers belges et français, ou par thème : franc-maçon-
nerie, etc. Quand la provenance du fonds était trop difficile à déter-
miner, les archivistes soviétiques créèrent des « collections » thémati-
ques rassemblant des papiers de diverses origines (mouvements

9. Information transmise par la BDIC.


10. Inventaire des fonds…, op. cit., introduction, p. 5.
11. Voir la communication de Serge Wolikow dans ce volume.
12. P. K. GRIMSTED, « Russia’s Trophy Archives… », op. cit. Sur la conception
soviétique des archives, cf. notamment Antonella SALOMONI, « Un savoir historique
d’État : les archives soviétiques », Annales HSS, janvier-février 1995, p. 3-37, et
Nicolas WERTH, « De la soviétologie en général et des archives russes en particulier »,
Le Débat, no 77, novembre-décembre 1993, p. 127-144.

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138 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

féministes, organisations religieuses, maçonniques, entreprises, etc.).


Les inventaires furent rédigés dossier par dossier, en donnant priorité à
une indexation alphabétique permettant des recherches nominatives
rapides, sans chercher à créer de sous-séries méthodiques ni à tenir
compte des services producteurs. Ils sont assez sommaires et témoi-
gnent de la distance culturelle et idéologique des archivistes soviétiques
avec la France de l’entre-deux-guerres. On songe, exemples parmi
d’autres, à la confusion entre commissariats spéciaux et commissariats
de police, ou à l’analyse des rapports de police datés des années 1930 sur
les activités du parti agraire et paysan français créé en 1928. Ces docu-
ments sont présentés comme un « rapport du préfet du département de la
police au sujet des activités du parti agraire paysan qui exprimait les
intérêts des couches de la paysannerie riche et koulak »13… Entre 1962
et 1973 fut mené à bien un inventaire en 3 tomes, destiné au strict usage
interne.

DES RETOURS SENSIBLES

Après la révélation par la presse russe puis par P. Grimsted de la


présence d’archives étrangères, spécialement françaises, à Moscou
en 1990 et 1991, un processus de restitution s’engagea, dont l’histoire
se révèle à son tour assez complexe à retracer. La coopération diploma-
tique, mais aussi archivistique, juridique et culturelle, dans laquelle il
faut souligner le rôle des instances internationales que sont la Table
ronde des archives (CITRA) et l’ICA, Conseil international des
archives, fut freinée par les enjeux politiques intérieurs à la Russie.

1946-2000 : un enjeu politique pour l’URSS et la Russie


Ces archives spéciales avaient fait l’objet, en plus de cinquante années,
d’une véritable construction politique et mémorielle fondée sur l’histoire
originelle d’un « sauvetage » d’archives par l’armée soviétique, archives
incluses dans l’ensemble culturel des « trophées », à la fois témoignage
de l’action positive de l’URSS dans l’immédiat après-guerre et sorte de
compensation aux souffrances subies pendant la guerre. Les étapes de
la guerre froide et de la détente vinrent compléter l’édifice : les
documents servirent de monnaie d’échange symbolique tant avec les
démocraties populaires qu’avec l’Occident capitaliste. Des archives
furent ainsi remises dans les années 1950 et 1960 à la Yougoslavie, à la

13. CAC, fonds 1, ancien inventaire soviétique 27, dossier 2825, cote française
2000010216, article 101 (dos. 2825).

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Les archives françaises de retour de Moscou 139

Hongrie, à la RDA (notamment des dossiers de la police française sur


les communistes allemands) et à la Chine (dossiers du PC chinois confiés
au Komintern, dont la partie non rendue fait encore l’objet d’un conten-
tieux archivistique russo-chinois). Cent quatre-vingt-treize cartons
auraient été remis en 1966 au général de Gaulle par l’ambassadeur sovié-
tique à Paris14. À l’inverse, alors que Washington comme Londres
avaient renvoyé à Moscou en 1945 de très nombreux documents,
ouvrages et œuvres d’art russes pillés par les nazis et trouvés en Alle-
magne, les Américains se sont toujours refusés à rendre les « archives
de Smolensk », et l’Union soviétique a gardé par-devers elle, contraire-
ment aux États-Unis qui l’envoyaient en RFA, la documentation issue
des camps de concentration et de la répression nazie amassée dans le
cadre des procédures de justice d’après guerre.
Si, après 1991-1992, l’ouverture d’une salle de lecture aux ex-
Archives spéciales devenues « Centre de conservation des collections
historico-documentaires » et les débuts de coopération internationale
permirent de faire progresser l’information sur ces fonds, ces symboles
de la puissance soviétique perdue furent surtout largement instrumenta-
lisés par les résurgences nationalistes. Les officiels russes refusèrent
tant de reconnaître le pillage d’archives en temps de guerre (condamné
par plusieurs conventions internationales et par l’Unesco) que le fait que
ces documents « sauvés » en 1945 provenaient pour la plupart de
personnes ou d’institutions elles aussi victimes du nazisme. Tout cela
se compliqua d’enjeux financiers et personnels, liés à la multiplication
des interlocuteurs dans une administration culturelle en pleine recons-
truction. Ainsi, l’accord « Dumas-Kozyrev » conclu entre France et
Fédération de Russie en novembre 1992 fut remis en cause par un
embargo de la douma en 1994, bloquant par rétorsion la coopération
archivistique franco-russe. En 1996, la Russie accepta que le retour des
biens culturels – dont les archives – devienne une condition à son admis-
sion au Conseil de l’Europe, mais la loi de mai 1997 nationalisa les
biens culturels arrivés aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale.
Cette loi fut amendée par Vladimir Poutine en 2000, au prix précisément
d’une distinction, d’une part, entre les héritiers des puissances de l’Axe,
et, d’autre part, les nations victimes du nazisme qui pouvaient seules
réclamer le retour de leurs biens.

14. Cf.P. K. GRIMSTED, « Russia’s Trophy Archives. », op. cit., Claire SIBILLE,
art. cit., qui cite le retour en 1966 d’archives de Julien Cain, André Maurois, Edmond
Verney. Cf. aussi Léopold AUER, « Les contentieux archivistiques. Analyse d’une
enquête internationale : une étude RAMP », Unesco, Programme général d’information
et Unisist, 1998.

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140 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Une définition « nationale » des archives restituées


Le lien entre les personnes – y compris dans la dimension très maté-
rielle des dépouilles corporelles ou documentaires des disparus –, leur
culture et leur nationalité prend en Russie une dimension très spéci-
fique, s’inscrivant dans une durée pluriséculaire qui demande pour la
comprendre d’allier l’histoire à l’ethnologie15. C’est ainsi que l’achat
systématique de l’héritage des émigrés russes, artistes ou écrivains,
par l’ambassade soviétique dans les années 1950 à 1980 ne peut
s’expliquer uniquement par le souci de compléter un fichage policier.
Dans le contexte de surenchère nationaliste des années 1990, on
comprend mieux que les archives et les bibliothèques émigrées aient
été alors exclues des procédures de restitutions. Ainsi, alors que les
quelques survivants parmi les 130000 ouvrages de la « Bibliothèque
Tourgueniev », pilier de la vie intellectuelle russe parisienne, créée
avec l’appui de l’écrivain en 1875 et pillée en 1940, sont en cours de
restitution en 2002 grâce à l’étonnante enquête menée par Patricia
Grimsted et à l’action de l’actuelle Bibliothèque Tourgueniev de
Paris, le gouvernement russe n’envisage pas de se dessaisir de la
bibliothèque ukrainienne « Petlioura », gérée par l’émigration russe
dans l’entre-deux-guerres, et qui reste aux Archives spéciales. De
même, ont été considérés comme faisant partie du patrimoine culturel
russe les fonds considérables des « Archives de Prague » déposées aux
Archives d’État russe (GARF), et des papiers produits à Paris par des
publicistes aussi hostiles au régime soviétique que Vladimir Bourtsev
ou que le directeur de la filiale parisienne de l’Institut international
d’histoire sociale à Amsterdam, Boris Nicolaevsky (versés au
GARF16). C’est sans doute dans la même logique « nationale » que les
archives de nombreuses associations, journaux ou maisons d’éditions
juives à Paris, des émigrés allemands et autrichiens en France dans les
années 1930, ou de l’association « Allemagne nouvelle » (1926-1939),
sont demeurées à Moscou. Enfin, l’accord de restitution franco-russe
de 1992 incluait dans ses clauses, non seulement le paiement de
1,5 million de francs permettant à la Russie de conserver des copies
microfilmées des documents, mais aussi l’envoi en Russie d’archives
produites en France par le gouvernement tsariste (par exemple les
livres de bord des navires russes mouillés en Tunisie dans les années
1920 ou les archives de la mission militaire russe à Paris pendant la

15. Voir l’analyse novatrice de Claudio Sergio INGERFLOM et Tamara KONDRA-


TIEVA, « Pourquoi la Russie s’agite-t-elle autour du corps de Lénine », in Jacques
JULLIARD (dir.), LaMort du roi. Essai d’ethnographie politique comparée, Paris, Galli-
mard, 1999, p. 261-292.
16. Cf. S. MIRONENKO (dir.), Guide des fonds personnels du GARF/Putevoditel’
lichnye fondy GARF (1917-2000), Moscou, GARF, 2000.

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Les archives françaises de retour de Moscou 141

Première Guerre mondiale)17. Ainsi, si l’on rappelle que certaines


« collections » constituées thématiquement par les archivistes soviéti-
ques contiennent des documents français non identifiés, les fonds
restitués sont bien des fonds « français » au sens défini par les auto-
rités russes pour l’accord diplomatique, et non l’ensemble des
archives pillées à Paris.

Une restitution par étapes, entre publicité et réserve


Cela étant, la chronologie du retour des fonds français s’établit donc en
deux temps : 1993-1994 (archives militaires, ministère de l’Intérieur,
quelques fonds privés dont les archives de Jules Moch ou de Marc
Bloch, remises aux familles) et 2000-2002 (suite des fonds publics et
majorité des fonds privés). Il semblerait que le retour des 7 km linéaires
de fonds français conservés aux anciennes « Archives spéciales »,
symboliquement fermées en 1999 et intégrées aux Archives militaires
d’État, fût quasi complet.
Autant les premiers retours s’étaient accompagnés d’une certaine
publicité18 autant la deuxième vague se fit plus discrète, et aucune liste
générale des fonds français conservés en Russie et concernés par
l’accord diplomatique (271 d’après nos sources), pas plus que des resti-
tutions ne fut publiée. Plusieurs raisons expliquent cette discrétion :
raisons historiques tout d’abord : il est clair que, pour la France, le retour
d’archives saisies en pleine débâcle n’a pas cristallisé les mêmes
passions nationales qu’en Russie. Des pressions publiques et privées
s’étaient sans doute exercées entre 1945 et 1990 pour obtenir la restitu-
tion de papiers sensibles tant pour l’histoire intérieure que pour les
familles concernées, et dont le séjour à Moscou était, au moins à partir
de 1966, connu de quelques-uns, mais sans affleurer au niveau de
l’opinion publique ; il s’agit là d’un éclairage sur le rapport au secret de
l’administration et des gouvernements français, dont l’histoire reste à
faire. S’y ajoutent d’évidentes raisons diplomatiques, liées à la difficulté
des négociations, ainsi que des raisons juridiques puisque nombre des

17. Cf. P. K. GRIMSTED, « Archives of Russia seven years after, Purveyors of


Sensations or Shadows Cast to the Past ? », Cold War International History Project,
Woodrow Wilson International Center for Scholars, Washington DC, septembre 1998
et Vladimir P. TARASOV, « The Return of Archival Documents moved to the USSR as
Result of World War II », in Spoils of War – International Newsletter, 6 février 1999,
Magdebrurg, p. 52-54.
18. J. ISNARD, M. TATU, « Moscou accepte de restituer 20 tonnes de documents
des deuxièmes bureaux », Le Monde, 14 novembre 1992 ; Laurent GREILSAMER, « Paris-
Moscou : secrets d’archives », Le Monde, 3 février 1994 ; B. COHEN, « La bataille des
archives », Libération, 28 septembre 1994. I de Ch., « Moscou : les archives en otage »,
Le Figaro, 29 décembre 1994 ; Ph. D., « Des trésors de guerre russifiés par la loi », Le
Monde, 7 février 1997.

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142 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

papiers concernés étaient privés. Cependant, une liste partielle de ces


fonds fut divulguée lors de la recherche par le quai d’Orsay des ayants
droit, et la publicité partielle faite autour d’archives certes très particu-
lières n’a donné lieu, contrairement à ce que l’on aurait pu redouter, à
aucune dérive, rumeur ou fantasme19. Enfin, le dernier facteur est
d’ordre archivistique : le reclassement et le reconditionnement de ces
fonds ont dû être menés, en ce qui concerne les fonds publics, en paral-
lèle avec le début des consultations. Le travail des archivistes en a été
compliqué, mais la coopération, bien souvent informelle, entre archi-
vistes et historiens a aussi permis aux uns et aux autres de faire
progresser un travail dont la portée collective est évidente aujourd’hui.
Ainsi, ni l’esprit ni la lettre de la loi de 1979 ne nous semblent
plaider dans le sens d’une réserve maintenue. La publication d’une liste
des fonds français restitués en provenance des archives spéciales (liste
intégrale publiée en russe en 2002) mais aussi des personnes ou institu-
tions auxquelles ils ont été remis ainsi que des archives d’origines russes
remises à Moscou dans le cadre de l’accord de restitution serait éminem-
ment utile à la communauté scientifique et à l’ensemble des citoyens
intéressés.

DIFFICULTÉS ARCHIVISTIQUES ET USAGES HISTORIENS

C’est dans l’attente de cette publication complète que nous présentons


ici un aperçu des archives retrouvées en distinguant, faute de classement
plus opportun, entre archives publiques et archives privées. Les docu-
ments de retour après un périple de plusieurs milliers de kilomètres sont
en effet redevenus des archives comme les autres, tombant ou non sous
la juridiction de la loi de 1979, et soumis à l’inégale application de celle-
ci : il semble ainsi que le régime dérogatoire appliqué de facto aux
archives de la préfecture de police de Paris ait été étendu, tout aussi arbi-
trairement, au fond de la PP (fonds 95) rapatrié de Moscou20.

Fonds publics
Soulignons tout d’abord que selon les décrets d’application de la loi sur
les archives, datés de décembre 1979, ces fonds publics sont soumis soit
au régime commun du délai des 30 ans, soit, pour la plupart, au délai de

19. « Avis au public. Recherches concernant les Archives françaises se trouvant à


Moscou (Russie) », Le Monde, 27 décembre 1994.
20. Sur l’application de la loi de 1979, cf. S. CŒURÉ, V. DUCLERT, Les Archives,
Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2001, chap. 2.

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Les archives françaises de retour de Moscou 143

réserve de 60 ans. Ils seront ouverts aux chercheurs dans leur totalité en
2003, y compris, par un effet assez paradoxal du décret, les fichiers et
les dossiers nominatifs du 2e Bureau ou de la Sûreté.
Les grandes masses archivistiques sont en effet celles du ministère
de la Guerre et du ministère de l’Intérieur. Les archives du ministère de
la Guerre comportent au total 50453 dossiers, soit plus de 16800 cartons
(format russe), ainsi que des fichiers. Pour suivre les indications de
C. Sibille, sur les 40000 dossiers rapatriés en 1994, environ 19000 pro-
viennent du 2e bureau et 21000 « d’organismes tels que le conseil supé-
rieur de la Guerre et le conseil supérieur de la défense nationale, l’état-
major de l’armée, les directions du ministère de la Guerre, les états-
majors de régions militaires ou l’armée française du Rhin21 ». Mettant
en œuvre des moyens assez importants, le SHAT a pris le parti de réin-
tégrer ces fonds dans des séries déjà existantes. Ce travail a abouti à la
publication d’instruments de recherche en 199722. Cependant, ce traite-
ment normal, ou usuel, de ces fonds exceptionnels a eu pour consé-
quence d’effacer les traces archivistiques de leur histoire, et a sans doute
entraîné des destructions suite aux tris. Les archives restantes du minis-
tère de la Guerre, rapatriées en 2000-2001, alors que C. Sibille n’est plus
en charge de ces fonds, font l’objet d’un travail similaire depuis
l’automne 2002 au SHAT et semblent s’avérer du plus haut intérêt.

L’exemple du fonds de la Sûreté


Les archives de la direction de la Sûreté nationale au ministère de l’Inté-
rieur ont fait l’objet de plusieurs travaux23, poursuivis à l’heure actuelle
avec la confection d’un index thématique ainsi que celle d’un outil de
grand intérêt, le répertoire numérique du fichier central de la Sûreté
nationale, qui constitue un fonds unique en son genre en France. Faute
de moyens suffisants alloués par la direction des Archives de France,
les archivistes du CAC ont pris le parti de respecter le classement sovié-
tique, tout en reconditionnant le fonds (cartons DIMAB au format fran-
çais) et en poursuivant la traduction des inventaires détaillés réalisés en
URSS après 1945. On ne peut que regretter cette insuffisance de moyens,
eu égard à un fonds de 2,5 kilomètres linéaires, qui comprend plus de
600000 dossiers individuels de police, un fichier d’environ 2 millions
et demi de fiches, ainsi que plus de 1000 cartons (format français) de

21. C. SIBILLE, « Les archives du 2e bureau… », art. cit., p. 28.


22. Inventaire des archives de la Guerre. Supplément de la série N (1872-1940),
4 tomes et index, par C. SIBILLE, avec la collaboration de F. CUINIER, C. PONNOU,
A. GUÉNA, Vincennes, 1997.
23. Outre l’article publié, de concert avec G. NAUD, dans Vingtième Siècle, cf.
Dominique DEVAUX, « Les archives de la direction de la sûreté rapatriées de Moscou »,
Gazette des Archives, no 176, 1998.

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documents thématiques intéressant l’entre-deux-guerres en général, et


les années 1930 en particulier, avec des dates extrêmes comprises
entre 1881 et 1943.
Dans ces conditions, sans aller jusqu’à demander une réintégration de
ces archives dans les séries déjà existantes au CARAN (dont la série F 7),
comme cela a été fait au SHAT, il est très surprenant qu’aucune équipe
n’ait été détachée de la section du XXe siècle du CARAN pour entrepren-
dre un travail scientifique d’ampleur sur des fonds documentaires d’un
intérêt historique peu contestable et qui commencent à être consultés, tant
par les chercheurs professionnels que par les généalogistes.
Ce défaut de moyens est d’autant plus curieux que le CAC est le
dépositaire, plus par la force des choses que par vocation d’ailleurs,
d’autres fonds publics de retour de Russie. Ont ainsi été versées en 2000
et 2001 des archives destinées à intégrer des archives départementales
(fonds de préfectures, archives du commissariat de police de Rouen 24),
alors que des imprécisions subsistent, pour s’en tenir aux archives
policières provinciales, sur les papiers du commissariat de Thionville
(fonds russe 91), et sur le versement au CAC, en 2001, d’archives
« d’organisations policières non déterminées » (fonds russe 197, cote
CAC 20010229).

MINISTÈRES ET ORGANISMES PUBLICS

Le plus important, sur le plan qualitatif puisque les documents parais-


sent peu nombreux, concerne les fonds d’autres ministères : Agriculture
– nous donnons la cote russe avant la française, soit : 203/20000416,
PTT (205/2000417), Commerce (206/20000418 et, pour les registres
20000427), Santé (207/2000419), Travaux publics (209/2000420), Tra-
vail (213/20000421), Instruction publique (214/20000422), Finances
(210/20000423 et, pour les registres, 20000428), enfin le ministère des
Colonies (2/20010217). À côté de cela, on doit mentionner les organis-
mes publics ou d’utilité publique, dépendant ou non de ministères et
sous-secrétariats d’État, parmi lesquels on citera, en vrac : le sous-
secrétariat d’État à l’Information (203/20000415), l’Office national des
universités et écoles françaises (285/20010167), la radiodiffusion (3/
200102220), l’Institut pédagogique supérieur (16/20010219), l’agence
télégraphique « Radio » (39/200102220), le comité d’aide aux enfants
espagnols réfugiés en France (42/200102221), le comité national pour
l’éducation sportive (296/20010227), le comité national d’aide aux

24. Fonds russes nos 170-1 à 170-3 pour les préfectures, cotés CAC 2000414 ;
fonds russes no 96-1 à 96-3, cote CAC 20010225 pour le commissariat spécial de Rouen.

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Les archives françaises de retour de Moscou 145

réfugiés politiques (197/20010229), le sous-secrétariat d’État au ravi-


taillement et aux transports maritimes (124/20010224), ou encore le
comité pour l’emploi des réfugiés espagnols dans l’agriculture (94/
20010222).
Cette liste, en soi impressionnante, ne doit pas occulter le fait que
d’autres fonds publics français n’ont pas pu être localisés par nos soins.
Citons notamment les cas des archives de différents tribunaux militaires
(fonds russes 255, 15 cartons), dont Paris (fonds russe 83), du ministère
de l’Air (fonds russe 113, 63 cartons), de la gendarmerie (fonds russe
140), de la SNCF (fonds russe 202, 13 cartons), de la fédération interal-
liée des anciens combattants des pays de l’Entente (fonds russe 13), ou
encore du consulat français de Bakou (fonds russe 299, 7 cartons), et
d’autres représentations diplomatiques françaises avant 1917. Il n’est
pas impossible que ces fonds aient été restitués sans avoir transité par le
CAC de Fontainebleau.

Fonds privés : personnes morales


Par souci de commodité, et faute de classement plus convaincant, on
distinguera ici les archives produites par des personnes morales de
celles provenant de personnes physiques. Pour les personnes morales,
les seules archives ayant fait l’objet de publications sont celles du Grand
Orient de France présentées dans cet ouvrage par Pierre Mollier, et
ouvertes aux chercheurs en 2002. Il faut noter que cette publicité
contraste avec les interrogations subsistant autour d’archives d’autres
obédiences maçonniques, dont la Grande Loge de France (fonds russe
75, environ 88 cartons), ses filiales (fonds 91, une centaine de cartons),
le Conseil supérieur des grades de rite écossais ancien et accepté, lié
peut-être à des ateliers de perfection (fonds 90, 38 cartons), ou encore
de pièces éparses provenant de diverses organisations maçonniques
(fonds 133, 175, et 191 pour les loges à l’orient de Bordeaux).
Les fonds de la CGT (fonds 62, 114 cartons), de la CGT-U avant
la réunification de 1936 (fonds 71, 3 cartons), de la CFTC (fonds 188,
1 carton), et surtout de différentes fédérations d’unions professionnel-
les, dont celles des PTT, de la métallurgie (fonds 59, 38 cartons), des
mines (fonds 60, 12 cartons), du bâtiment (fonds 68, 4 cartons), des
dockers et inscrits maritimes (fonds 69, 9 cartons), des travailleurs du
spectacle, des voyageurs et représentants de commerce, etc., ont été,
selon nos informations, rapatriés en France et sont en attente de répar-
tition entre les possibles ayants droit.
Pour les fonds d’organisations antifascistes et antiracistes (Licra
notamment), il n’est pas déraisonnable de penser que la situation doit être
proche, sinon identique. Les archives des organisations confessionnelles
existent, elles aussi, du côté israélite, comme on s’en doute, avec
l’alliance israélite universelle (fonds russe 82), l’Institut pédagogique

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146 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

israélite (fonds russe 85), plusieurs sociétés sionistes (fonds russe 32), le
consistoire israélite de la Gironde (fonds russe 114). D’autres confes-
sions ont été visées par les pillages, comme en témoignent les archives de
l’évêché de Strasbourg, de l’ACJF (fonds russe 48, voir également le
fonds 194, « organisations catholiques françaises et internationales
diverses »), et des papiers d’associations protestantes (fonds 21) et de la
Fédération protestante de France (fonds 33). Enfin, signalons la Fédéra-
tion française de la libre-pensée (fonds 32). Dans un autre ordre d’idées,
on peut remarquer des archives de maisons d’édition, dont celles des édi-
tions internationales (fonds 12), versées au PCF, de la maison Denoël
(fonds 104), ou des éditions du Sagittaire (fonds 190). Côté culture tou-
jours, on doit mentionner pour mémoire les archives du Cercle autour du
monde, fondé par le grand banquier et mécène Albert Kahn à Boulogne-
Billancourt, en cours de traitement au musée Albert-Kahn, mais aussi,
sans information précise sur leur localisation actuelle, les papiers du Pen-
club de Paris (fonds 521), ou encore du club du Faubourg (fonds 230,
24 cartons) et de la confédération internationale des travailleurs intellec-
tuels (fonds 153). Enfin, des archives économiques non négligeables doi-
vent être mentionnées : Crédit foncier (fonds 148), Carburateurs Apta
(fonds 283), Schneider (fonds 200, avec d’autres entreprises), etc.
Somme toute, on ne peut que se féliciter du fait que certaines per-
sonnes morales aient fait savoir que ces archives, réceptionnées, sont
actuellement inventoriées ou en cours d’inventaire : c’est le cas de la
Ligue de l’enseignement (un fonds de 57 cartons), de l’Alliance israélite
universelle, de la BDIC, dépositaire des 659 cartons d’archives de la
Ligue des droits de l’homme, qui doit publier prochainement un volume
à ce sujet et a d’ores et déjà ouvert les fonds au public, mais aussi de
l’Office universitaire de recherches socialistes (OURS), pour les 22 car-
tons d’archives de la SFIO. Cela dit, on comprend que des zones d’ombre
subsistent, comme il en va pour les archives, sans doute peu nombreuses,
du comité exécutif du parti radical (fonds russe 124). Ces zones d’ombre
s’expliquent, dans plusieurs cas, par des questions d’attribution de ces
fonds aux ayants droit légaux. L’exemple le plus clair est celui des archi-
ves du Comité national du rassemblement populaire, conservées au CAC
de Fontainebleau (fonds russe 136, cote CAC 20010255), dont l’inven-
taire vient d’être achevé sous la direction de Pierre Carouges.

FONDS PRIVÉS : PERSONNES PHYSIQUES

Les papiers privés de personnalités politiques et intellectuelles de la


France des années 1930 sont très nombreux, et l’on ne s’étonnera pas
de voir figurer une forte proportion de personnalités d’origine juive
parmi elles. Citons, dans le désordre et de façon non exhaustive : René

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Les archives françaises de retour de Moscou 147

de Bourbon, Salomon Grumbach, Jean Moro Giafferi, André Maurois,


Camille Chautemps, Marc Rucart, Henri Torrès, Yvon Delbos, Georges
Mandel, René Strauss, Louise Weiss, Boris Souvarine, Pierre de La
Rocque, Marcel Lévy, Paul Rosenberg, Julien Cain, Pierre Naquet,
Charles Bernstein, le comte de Paris, Léon et Cécile Brunschvicg, Géo
London, Julien Benda, la famille Rothschild.
Plusieurs de ces papiers privés ont été confiés à des institutions
ouvertes aux chercheurs, dont les papiers Jules Moch, réintégrés avec
l’ensemble du fonds Moch au CARAN dans la série AP, et les papiers
Léon Blum, consultés à Moscou par Ilan Greilsamer25, et déposés,
depuis leur retour à Paris, à la FNSP (Centre d’histoire de l’Europe au
XXe siècle). Cependant, peu nombreux sont les ayants droit de personnes
privées à avoir pris l’initiative de publier, en ligne, l’inventaire de
fonds : on songe aux archives de Louise Weiss à la fondation qui porte
son nom ou aux 68 cartons des papiers du psychologue communiste
Jean-Maurice Lahy et de son laboratoire, dont l’existence a été rendue
publique par la famille.

CONCLUSION

Force est de constater que l’on connaît encore imparfaitement l’histoire


tumultueuse de ces milliers de cartons d’archives, histoire qui s’enracine
dans la guerre mondiale, la guerre froide mais aussi dans la perspective
plus longue du rapport tant russe et soviétique que français entre les
citoyens, l’État et les archives. Leur retour progressif annonce incontes-
tablement le début d’une nouvelle phase de recherches sur la France de
la fin du XIXe siècle et du premier XXe siècle : histoire de l’État bien sûr
(police, renseignement26, économie d’État du secret politique,
surveillance des étrangers), histoire de la franc-maçonnerie, des juifs en
France, histoire de la gauche politique, syndicale et intellectuelle,
histoire économique et sociale. Ces recherches prennent également une
extension européenne renouvelée, avec la franc-maçonnerie bien sûr, le
judaïsme et le sionisme européens de l’entre-deux-guerres, mais aussi
les fonds importants retournés à l’Institut d’histoire sociale
d’Amsterdam, ou les archives de Walter Rathenau, d’Arthur Koestler,
de Walter Benjamin… qui demeurent à Moscou, avec plus de
1000 cartons de commissions militaires de contrôle interalliées en Alle-
magne, Autriche et Bulgarie dans les années 1920, 77 cartons des
« commandos Rosenberg » (ERR), plus de 6000 cartons de l’entreprise

25. Ilan GREILSAMER, Blum, Paris, Flammarion, 1996.


26. Voir la communication de Sébastien Laurent dans ce volume.

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10_Archsecr_CN Page 148 Mardi, 27. mai 2003 5:49 05

148 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

l’IG Farben, une documentation énorme sur la Seconde Guerre mondiale


(camps, prisons, 450 cartons sur l’organisation du travail français en
Allemagne, etc.). Sortis du secret, ces documents essentiels ne demeu-
rent « sensibles » qu’au sens où ils touchent notre sensibilité par le poids
d’histoire dont ils sont chargés et la richesse des itinéraires personnels
qu’ils peuvent livrer. Souhaitons qu’ils soient enfin mieux connus et
consultés, et qu’ils ne soient pas, après leur double disparition en 1940-
43 et 1945, perdus une troisième fois pour les historiens et les citoyens.

Sophie CŒURÉ
Frédéric MONIER*

* On trouvera en fin de volume une bibliographie et un état des ressources Internet


sur les archives rapatriées de Russie, rédigée par les deux auteurs de ce texte.

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Les archives des sciences en France :


réalisations et projets*

Les archives des sciences en France sont en grande partie des archives
méconnues, en raison sans doute à la fois du développement tardif de
l’histoire des sciences comme discipline autonome et de la formation,
plus souvent philosophique ou scientifique, que proprement historique
de la plupart des historiens des sciences. Un plus grand intérêt pour
l’utilisation de ces archives, mais aussi pour leur collecte, passe sans
doute par une meilleure connaissance des fonds déjà engrangés et des
documents produits par les scientifiques.

LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES D’ARCHIVES


DES SCIENCES

Il convient sans doute de définir tout d’abord ce que nous comprenons


sous les termes d’archives des sciences. D’abord définies de façon très
générale comme « sources de l’histoire des sciences » dans le projet de
recensement lancé dès le milieu des années 1970 par Guy Beaujouan,
directeur d’études à la IVe section de l’École pratique des hautes études,
en vue de la publication, non aboutie, d’un « guide de l’histoire des
sciences dans les archives de la région parisienne », les « archives

* Cet article reprend en l’actualisant un article précédent rédigé à l’occasion d’un


séminaire organisé par l’École nationale du patrimoine sur les archives scientifiques :
Th. CHARMASSON, « Les archives scientifiques : archives institutionnelles et archives
personnelles », dans Sciences et archives contemporaines, actes des journées d’études
organisées par l’École nationale du patrimoine, Paris, 20-22 novembre 1996, Les
Cahiers de l’École nationale du patrimoine, Paris, no 3, 1999, p. 13-23.

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150 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

scientifiques » peuvent être redéfinies comme « archives des sciences »,


du point de vue à la fois de leur objet et de leur provenance1.
Les archives des sciences concernent donc toutes sources d’archives
qui permettent d’étudier l’évolution générale des politiques de recherche
et d’enseignement scientifiques, l’évolution de telle ou telle discipline
ou encore l’apport de tel ou tel scientifique au développement des
connaissances. Cette définition, très large, à partir de leur objet, conduit
à distinguer trois grandes catégories au sein des archives des sciences à
partir de leur provenance : les archives de tutelle des établissements de
recherche et d’enseignement scientifiques, les archives propres des
établissements de recherche et d’enseignement scientifiques, dont les
archives des laboratoires et des unités de recherche ne constituent qu’une
partie et les archives personnelles des scientifiques, catégories dont la
provenance, d’où découle leur statut juridique, n’est pas indifférente
pour leur collecte, leur conservation et leur communication. En effet, si
la loi du 3 janvier 1979 sur les archives organise la collecte et la conser-
vation des archives publiques, elle ne prévoit aucune obligation de
collecte et de conservation pour les archives privées.
Les archives de tutelle des établissements de recherche et d’ensei-
gnement scientifiques sont généralement en France des archives minis-
térielles, la recherche et l’enseignement scientifiques y étant dans leur
grande majorité du ressort de l’État. Ces archives sont donc des archives
publiques qui présentent généralement un caractère essentiellement
administratif. Elles permettent d’étudier de façon large les politiques de
recherche et d’enseignement scientifiques.
Les archives propres des établissements de recherche et d’ensei-
gnement scientifiques peuvent être à caractère administratif lorsqu’elles
proviennent des services administratifs de ces établissements ou à
caractère plus proprement scientifique lorsqu’elles émanent des labora-
toires et centres de recherche (qui conservent d’ailleurs également des
archives administratives). Il s’agit là encore pour l’essentiel d’archives
publiques, qui éclairent sur la mise en œuvre des politiques de recherche
et l’évolution générale des différentes disciplines scientifiques.

1. G. BEAUJOUAN, « La préparation d’un Guide de l’histoire des sciences dans les


archives de la région parisienne », dans Human Implications of Scientific Advance. Pro-
ceedings of the XV international congress of the history of science, Edinburgh, 10-19th
August 1977, Édimbourg, 1978, p. 381-387 ; du même, « L’histoire des sciences aux
Archives nationales de Paris », dans Archives internationales d’histoire des sciences,
1950, p. 874-881 ; cette tentative avait été précédée d’une première réflexion sur la con-
servation des archives scientifiques et techniques ; cf. A. BIREMBAUT, « Quelques
réflexions sur les problèmes posés par la conservation et la consultation des archives
techniques françaises », in Archives internationales d’histoire des sciences, t. XIX,
nos 74-75 (janv.-juin 1966), p. 21-102 ; cet article est issu d’un rapport soumis en 1965 au
groupe « Archives » de la commission de l’équipement culturel du Commissariat général
au plan ; le rapport de René Taton, consacré aux archives scientifiques, est resté inédit.

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Les archives des sciences en France 151

Les archives personnelles des scientifiques sont souvent considé-


rées par les scientifiques eux-mêmes comme des archives privées,
même si pour l’essentiel leur activité de recherche s’est déroulée dans
le cadre d’un établissement de recherche ou d’enseignement à caractère
public. Ces archives permettent d’étudier, non seulement l’apport de tel
ou tel scientifique au progrès des connaissances, mais aussi l’environ-
nement familial, intellectuel et social au sein duquel le scientifique a
poursuivi ses travaux. Elles constituent de ce point de vue des sources
irremplaçables, très recherchées par les historiens des sciences.
Toutefois, pour la période la plus contemporaine, les archives
personnelles des scientifiques semblent se confondre avec les archives
des laboratoires, et il apparaît souvent difficile d’établir une distinction
formelle entre archives personnelles et archives de laboratoires.

LES ARCHIVES DES SCIENCES : LES FONDS CONSERVÉS

Pour chacune de ces trois grandes catégories d’archives, on peut tenter


de présenter un état des fonds actuellement conservés, au moins pour la
période postérieure à la Révolution française.

Les archives de tutelle des établissements de recherche


et d’enseignement scientifiques
Si l’on s’en tient à la période contemporaine, durant tout le XIXe siècle
et jusqu’à une période très récente, la tutelle des établissements de
recherche et d’enseignement scientifiques en France a été, pour l’essen-
tiel, du ressort du ministère de l’Instruction publique puis de l’Éduca-
tion nationale, partagée ensuite entre ce même ministère de l’Éducation
nationale et le secrétariat d’État ou le ministère (suivant les gouverne-
ments) des Universités et le secrétariat d’État ou le ministère de la
Recherche. Il ne faut toutefois pas oublier qu’au XIXe siècle, comme
encore actuellement, plusieurs autres ministères ont la tutelle de grands
établissements de recherche et d’enseignement scientifiques : le minis-
tère de l’Industrie, le ministère des Travaux publics puis de l’Équipe-
ment, le ministère de l’Agriculture, le ministère de la Santé, le ministère
de la Défense, etc.
Pour le XIXe siècle et, grosso modo, la première moitié du
e
XX siècle, les fonds d’archives provenant de ces différents ministères
de tutelle sont conservés au Centre historique des Archives nationales
(CHAN), à Paris, dans les différentes sous-séries de la série F ouvertes
pour accueillir les archives des ministères qui se sont peu à peu détachés
du département de l’Intérieur : F17 Instruction publique, F12 Commerce

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152 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

et industrie, F14 Travaux publics, F10 Agriculture, etc., et dans les diffé-
rents services d’archives dépendant du ministère de la Défense2.
Pour la période postérieure à 1958, les fonds collectés par les
conservateurs des Archives nationales en mission dans chacun des
ministères sont généralement conservés au Centre des archives contem-
poraines (CAC) à Fontainebleau3.
Dans la mesure où les documents qui se rattachent à cette première
catégorie d’archives sont pour l’essentiel des documents à caractère
administratif, les problèmes que posent leur collecte, leur conservation
et leur communication ne sont guère différents de ceux que posent de
façon générale les archives des services ministériels : tels sont les
problèmes relatifs à la difficulté pour les services d’archives d’obtenir
des différents services et directions des versements réguliers et bien
identifiés ou ceux liés au volume croissant des versements et à l’utilisa-
tion de nouveaux supports, etc. L’identification des documents versés
est généralement relativement aisée, même si leur traitement peut être
long et délicat.

Les archives propres des établissements de recherche


et d’enseignement scientifiques
En France, la recherche scientifique se fait actuellement dans un certain
nombre de structures essentiellement vouées à la recherche telles que,
pour ne citer que les plus importantes, le Centre national de la recherche
scientifique (CNRS), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA),

2. Voir un état des fonds conservés aux Archives nationales pour les établisse-
ments d’enseignement à caractère scientifique et technique moyen et supérieur in Th.
CHARMASSON, A.-M. LELORRAIN, Y. RIPA, L’Enseignement technique de la Révolution
à nos jours, t. I, De la Révolution à 1926. Textes officiels avec introduction, notes et
annexes, sous la direction de Th. CHARMASSON, Paris, 1987, p. 555-581 ; G. BODÉ,
L’Enseignement technique de la Révolution à nos jours, t. II, 1926-1958, vol. 1, Textes
officiels réunis et présentés avec introduction, notes et annexes, Paris, 2002, p. 533-
579 ; pour les établissements d’enseignement agricole, cf. Th. CHARMASSON, A.-M.
LELORRAIN, Y. RIPA, L’Enseignement agricole et vétérinaire de la Révolution à la Libé-
ration. Textes officiels avec introduction, notes et annexes, sous la direction de
Th. CHARMASSON, Paris, 1992, p. 461-481.
3. Voir les différents états des fonds versés au Centre des archives contemporaines
établis par les conservateurs en mission et plus particulièrement : G. BIDAULT, Les
Mémoires de la recherche. État des versements, 1977-1989, Paris, 1993 (Cahiers pour
l’histoire de la recherche) ; du même auteur, « L’Administration de la recherche : intérêt
des archives de tutelle », in Sciences et archives contemporaines, actes des journées
d’études organisées par l’École nationale du patrimoine, op. cit., p. 72-91 ; sur le rôle
des conservateurs des Archives nationales en mission dans les ministères, cf. La Section
des missions des Archives nationales, no spécial de La Gazette des Archives, nvelle série,
nos 137-138 (2e et 3e trimestres 1987). Cf. également la communication de Christine
Pétillat dans ce volume.

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Les archives des sciences en France 153

l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ou l’Institut


national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), structures
dont la plupart se sont développées à l’issue de la Seconde Guerre
mondiale. Elle se fait aussi dans les « grands établissements », souvent
de création beaucoup plus ancienne et dont certains ont également des
activités d’enseignement, tels que le Collège de France, le Muséum
national d’histoire naturelle, le Conservatoire national des arts et
métiers, l’Observatoire de Paris, mais aussi dans les « grandes écoles » :
l’École polytechnique, l’École des mines, l’École nationale des ponts et
chaussées, l’École normale supérieure et bien d’autres, et dans les dépar-
tements scientifiques des universités qui sont souvent liés au CNRS.
De même que les archives de tutelle, les archives propres de ces
établissements constituent, dans le plus grand nombre des cas, des
archives publiques soumises au contrôle de la direction des Archives de
France. Mais alors que la conservation des archives centrales de l’État
est à peu près assurée, le sort des archives de ces différents établisse-
ments qui intéressent à divers titres l’historien des sciences apparaît très
variable selon les cas.

Le rôle des commémorations


La célébration de commémorations diverses (bicentenaire, centenaire,
cinquantenaire) a plus ou moins récemment attiré l’attention sur certains
fonds d’archives et a parfois permis, selon différentes modalités,
d’opérer la collecte, le recensement ou la mise en valeur de certains
d’entre eux : il en a été ainsi au CNRS, à l’École polytechnique, à l’École
normale supérieure, au Conservatoire des arts et métiers, à l’Office de
la recherche scientifique et technique outre-mer devenu Institut de
recherche pour le développement (IRD, ex-Orstom), à l’INRA, ou
encore au Centre de coopération internationale en recherche agro-
nomique pour le développement (CIRAD)4.

4. Pour le Conservatoire national des arts et métiers, cf. C. FONTANON, « Les


Archives du Conservatoire national des arts et métiers. Leur utilisation pour les travaux
du bicentenaire », dans La Gazette des Archives, no spécial Les Archives scientifiques.
Préservation, typologie et utilisations, nvelle série, no 179 (4e trimestre 1997), p. 304-
313 ; pour l’INRA : D. POUPARDIN, « Une politique d’archivage à l’INRA ? Rapport de
mission », juin 1994, 110 p. dactyl. et, du même auteur, « Regards croisés sur les
archives de l’INRA. Contribution à l’étude de son futur du passé », 344 p. dactyl. ;
M. JEAN et D. POUPARDIN, « Les archives des unités de recherche : le point de vue de
l’Institut national de la recherche agronomique », in La Gazette des Archives, nvelle
série, no 176 (1er trimestre 1997), p. 28-49 ; pour l’Orstom : H. LAUNAY, « L’Office de
la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSC-Orsom-Orstom). Organisation,
sources et contexte institutionnel, 1942-1953 », octobre 1993, rapport dactyl. ; pour le
Cirad : Archives nationales, Section des missions, « Les Archives du Cirad. Rapport de
mission (octobre-décembre 1993) », établi par N. GEORGES et M. JEAN, janvier 1994.

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154 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Les archives dans les organismes de recherche


et les grands établissements
Toutefois, parmi les grands organismes de recherche, seul le CNRS a
disposé, jusqu’à une date récente, d’un service d’archives directement
placé sous la responsabilité d’un conservateur en mission des Archives
nationales5. Deux autres organismes, l’INSERM et le CEA, ont récem-
ment créé en leur sein un service d’archives compétent pour l’ensemble
de leurs services6. L’INRA semble sur le point de créer un service
d’archives interne.
La plupart des grands établissements de recherche et d’enseigne-
ment tels que le Collège de France, le Conservatoire des arts et métiers
ou l’Observatoire de Paris conservent leurs archives sur place. Le
Conservatoire des arts et métiers, l’Observatoire de Paris, le palais de la
Découverte, n’ont pas à proprement parler de service d’archives orga-
nisé. La conservation des archives incombe, selon les cas, à la biblio-
thèque ou aux services administratifs. Mais tous trois ont bénéficié, plus
ou moins récemment, de missions d’identification et de classement
menées par des conservateurs en mission des Archives nationales ou
sous leur direction7.

5. Sur les archives du CNRS, cf. O. WELFELÉ, « Sources pour une histoire de la
recherche », in Bulletin de l’Institut d’histoire du temps présent, no 29
(septembre 1987), p. 12-18.
6. Inserm, Service des archives, 44, chemin de ronde, 78110 Le Vésinet ; cf. H.
CHAMBEFORT, « Pour une organisation des archives de l’Institut national de la santé et
de la recherche médicale (Inserm) », dans Les Archives scientifiques. Préservation,
typologie et utilisations, op. cit., p. 349-351 ; CEA, direction de la communication,
mission archives et histoire, 60-68, avenue du général Leclerc, B.P. 6, 92265 Fontenay-
aux-Roses.
7. Pour le Conservatoire des arts et métiers, outre l’article cité ci-avant, cf.
B. GALLAND, avec la collaboration de I. NATHAN et L. GALLOIS, « Les Archives du
Cnam. Répertoire numérique », 1990, dactyl. ; T. GIRARD, dir., « Archives du Cnam.
Répertoire numérique », 1993, dactyl. ; une partie des archives du Conservatoire des
arts et métiers est conservée au Musée national des techniques, cf. D. DE PLACE, « État
des archives du Conservatoire des arts et métiers conservées au Musée national des
techniques », 1976, dactyl. ; du même auteur, « Inventaire des archives provenant de
l’administration du Conservatoire, déposées au Musée à l’occasion du cent cinquante-
naire des chaires commémoré en 1970 », 1976, dactyl. ; pour l’Observatoire de Paris :
N. DALIÈS, « Les Archives à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris », in Les
Archives scientifiques. Préservation, typologie et utilisations, op. cit., p. 321-331 ;
« Fonds de l’Observatoire de Paris (1850-1942). Répertoire numérique », s. d., 21 p.
dactyl. ; B. VAN REETH, « Présidence de l’Observatoire (1945-1971) », 1983-1984, 26
p. dactyl. ; C. RIT, « Les Archives du Bureau international de l’heure (1964-1988) »,
1988, dactyl. ; pour le palais de la Découverte : J. EIDELMANN et O. WELFELÉ, Les
Archives du palais de la Découverte, Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences,
no 31, 1990.

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Les archives des sciences en France 155

Le Muséum d’histoire naturelle constitue un cas particulier : les


archives anciennes de l’établissement ont été versées aux Archives
nationales, tandis que les archives les plus récentes sont partagées entre
la bibliothèque centrale, les services administratifs et les laboratoires 8.

Les archives dans les grandes écoles


Parmi les grandes écoles, l’École polytechnique, l’École des mines et
l’École nationale des ponts et chaussées conservent leurs archives
propres. Là encore, on trouve différentes situations. L’École polytech-
nique possède un service d’archives rattaché à la bibliothèque, service
qui gère à la fois les archives anciennes et les archives contemporaines
de l’école9. À l’École des mines et à l’École nationale des ponts et
chaussées, les archives anciennes se trouvent pour la plupart à la
bibliothèque, tandis que les archives récentes sont généralement restées
dans les bureaux10. Toutefois ces deux écoles ont demandé, il y a main-
tenant quelques années, l’intervention du conservateur en mission de
leur ministère de tutelle (Industrie et Équipement) pour l’organisation
de leurs archives contemporaines. L’École centrale des arts et manu-
factures conserve quant à elle ses archives anciennes auprès du centre
de documentation11.
En revanche, l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, l’école
nationale d’agriculture de Grignon et l’Institut national agronomique
ont choisi de verser leurs fonds propres aux Archives nationales, tandis
que l’École nationale vétérinaire d’Alfort, l’École nationale d’agri-
culture de Rennes et l’École des arts et métiers d’Angers déposaient les

8. Le fonds d’archives du Muséum d’histoire naturelle versé aux Archives natio-


nales constitue la sous-série AJ15 ; voir un état de cette sous-série dans : Archives natio-
nales, Les Archives nationales. État général des fonds, t. II, 1789-1940, Paris, 1978,
p. 537-539 ; Y. LAISSUS, « Les Archives scientifiques du Muséum national d’histoire
naturelle », in La Gazette des Archives, no spécial Les Archives scientifiques, nouvelle
série, no 145 (2e trimestre 1989), p. 106-114.
9. Cf. C. BILLOUX, « Les Archives de l’École polytechnique », in Les Archives
scientifiques, op. cit., p. 125-134.
10. Cf. J. MICHEL, « Le Patrimoine documentaire de l’École nationale des ponts et
chaussées », in Annales des ponts et chaussées, no 18 (2e trimestre 1981), p. 25-31.
11. On en trouvera une présentation, pour la partie la plus ancienne, in J. WEISS,
The Making of technological man. The social origins of french engineering Éducation,
Cambridge Mass./Londres, 1982, p. 313.

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156 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

leurs respectivement aux archives départementales du Val-de-Marne, à


celles de l’Ille-et-Vilaine et à celles du Maine-et-Loire12.

Les archives dans les universités


Dans le cas des universités, la situation est à la fois plus simple et
plus confuse. En effet, deux circulaires du ministère de l’Éducation
nationale ont, en 1970 et 1975, expressément prévu le versement dans
des dépôts publics des archives antérieures à 1940 et organisé la collecte
des documents postérieurs à cette date13. Il semble toutefois qu’il n’y ait
guère que l’université de Paris qui ait versé intégralement ses archives
antérieures à 194014. Les archives des différentes facultés de l’univer-
sité de Paris jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et en particulier celles
de la faculté des sciences et de la faculté de médecine, sont actuellement
conservées à Paris, au Centre historique des Archives nationales, dans
la sous-série AJ16 Académie de Paris15.
Mais qu’il s’agisse des grandes écoles à caractère scientifique ou
technique ou des universités, ce sont généralement les documents admi-
nistratifs relatifs à l’enseignement qui sont conservés et versés. Les

12. Les archives de l’École normale supérieure constituent aux Archives nationa-
les la sous-série 61 AJ ; voir un état de la série dans : Archives nationales, Les Archives
nationales. État général des fonds, t. V, 1940-1958. Fonds conservés à Paris, Paris,
1988, p. 249-251, et, pour l’ensemble des sources d’archives relatives à l’École normale
supérieure, le guide de recherches publié à l’occasion du bicentenaire de l’école :
P. HUMMEL, A. LEJEUNE et D. PEYCÉRÉ, Pour une histoire de l’École normale supé-
rieure. Sources d’archives (1794-1993), Paris, 1995 ; les archives de l’École nationale
d’agriculture de Grignon forment la sous-série 84 AJ ; voir : Archives nationales, Les
Archives nationales. État général des fonds, t. V, p. 301-303 ; le fonds de l’Institut natio-
nal agronomique est conservé au Centre des archives contemporaines à Fontainebleau
sous les cotes 2 INA et 3 INA ; pour l’École nationale vétérinaire d’Alfort, voir : Archi-
ves départementales du Val-de-Marne, « Répertoire provisoire des archives de l’École
nationale vétérinaire d’Alfort », dressé par É. JINGEAUX sous la direction de C. BERCHE,
Créteil, 1992, dactyl. ; pour les archives de l’École des arts et métiers d’Angers, voir :
Archives départementales de Maine-et-Loire, « École d’arts et métiers d’Angers (1812-
1990). Répertoire numérique détaillé du fonds d’archives de l’école, 1 ETP », par
S. LEPAGE, P. VERDIER et B. PIPON, sous la direction d’É. VERRY, Angers, 2001.
13. Circulaire no 70-215 du 20 avril 1970 aux recteurs, Bulletin officiel de
l’Éducation nationale, no 20 (14 mai 1970), p. 1617-1628 ; circulaire no 75-001 du
2 janvier 1975, ibid., no 2 (16 janvier 1975), p. 104-109.
14. Voir les résultats d’une enquête sur l’application de ces deux circulaires in
H. BENREKASSA et Th. CHARMASSON, « Archives des administrations et des établisse-
ments scolaires : bilan de dix ans de versements », in Histoire de l’éducation, no 18
(avril 1983), p. 49-81, p. 61-64.
15. Voir un état de la sous-série AJ16 dans : Archives nationales, Les Archives
nationales. État général des fonds, t. II, 1789-1940, Paris, 1978, p. 540-544 ; t. V, 1940-
1958. Fonds conservés à Paris, Paris, 1988, p. 189-192.

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Les archives des sciences en France 157

archives des centres de recherche, des instituts et des laboratoires ne


figurent qu’exceptionnellement dans les recensements de différentes
natures qui ont pu être opérés.

Deux cas particuliers :


l’Académie des sciences et l’Institut Pasteur
Il faut signaler en outre l’existence de deux services d’archives essen-
tiellement consacrés aux archives des sciences, le service des archives
de l’Académie des sciences et celui de l’Institut Pasteur.
À l’Académie des sciences, le service d’archives est ancien, mais
n’est confié que depuis une quinzaine d’années à un conservateur
détaché du ministère de la Culture16. De nouveaux locaux ont été
aménagés, et une collaboration régulière avec les chercheurs a été mise
en œuvre.
À l’Institut Pasteur, fondation de droit privé, le service, de création
plus récente, a bénéficié il y a peu de l’installation dans un nouveau bâti-
ment. Créé à l’origine autour du fonds d’archives de Jacques Monod, ce
service poursuit une politique active de récolement et de classement des
fonds anciens et a entrepris la collecte de fonds contemporains et l’orga-
nisation du pré-archivage dans les différentes unités de recherche 17.
L’état de conservation des archives dans les différents établisse-
ments de recherche et d’enseignement scientifiques est donc extrême-
ment variable. De façon générale, on peut toutefois remarquer là encore
que l’identification des documents produits par les services administra-
tifs ne pose guère de problèmes, même si leur collecte et leur conserva-
tion sont parfois difficiles. Il serait en revanche nécessaire, pour orga-
niser de façon plus systématique la collecte au niveau des centres de
recherche, de mener une étude plus approfondie sur les archives
produites par les laboratoires dans différentes disciplines afin de mettre
au point une typologie permettant de déterminer les documents dont la
conservation est nécessaire à plus ou moins long terme. Celle-ci a été
entamée pour le CNRS (programme Arisc), l’Institut Pasteur et l’INRA

16. Sur les archives de l’Académie des sciences, cf. P. BERTHON, « Les Archives
de l’Académie des sciences », in Les Archives scientifiques, op. cit., p. 115-121 ;
Histoire et mémoire de l’Académie des sciences. Guide de recherches, sous la direction
d’É. BRIAN et C. DEMEULENAERE-DOUYÈRE, Paris, 1996 ; cf. également :
C. DEMEULENAERE-DOUYÈRE, « Un exemple de la complémentarité des fonds, les
sources de l’histoire de l’Académie des sciences », in Sciences et archives contempo-
raines, op. cit., p. 24-36.
17. Cf. D. OGILVIE, « Le Fonds Monod et les archives de l’Institut Pasteur », in Les
Archives scientifiques, op. cit., p. 159-163.

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158 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

en particulier, mais nous manquons encore de connaissances et de


points de repère suffisamment solides dans ce domaine18.

Les archives personnelles des scientifiques


Les archives personnelles des scientifiques sont sans doute les fonds les
plus recherchés par les historiens des sciences, car, dans nombre de cas,
ce sont ces fonds qui permettent les recherches les plus précises.
Ces fonds sont malheureusement ceux qui posent le plus de
problèmes en termes de localisation, de collecte, voire de conservation.
En effet, ces papiers sont généralement considérés par les scientifiques
comme des papiers privés, même si leurs travaux de recherche ont
toujours été effectués dans le cadre d’établissements publics de
recherche et, de ce fait, non soumis à obligation de versement. Et les
possibilités offertes par la loi d’archives (don, legs, dépôt ou dation)
pour ce type d’archives sont, sauf cas exceptionnel, généralement igno-
rées des propriétaires de ces papiers, qu’il s’agisse des scientifiques
eux-mêmes ou de leurs héritiers19.

Les fonds conservés


Jusqu’à une date récente, ce ne sont pas dans les services d’archives mais
plutôt dans les bibliothèques que les papiers personnels des savants ont
été de préférence déposés. Les fonds les plus anciens ou les plus presti-
gieux sont actuellement conservés pour l’essentiel, si l’on excepte le ser-
vice des archives de l’Académie des sciences, dans trois grandes biblio-
thèques parisiennes : la Bibliothèque nationale de France, la bibliothèque
de l’Institut et la bibliothèque centrale du Muséum d’histoire naturelle.
On trouve ainsi, entre autres fonds, à la Bibliothèque nationale de France,
les papiers de Pasteur et ceux de Pierre et Marie Curie ; à la bibliothèque
de l’Institut, ceux de Condorcet, Cuvier, Laplace, Berthelot ou Le
Verrier ; à la bibliothèque centrale du Muséum, ceux des Jussieu, des

18. Idem, « Archives scientifiques : un patrimoine dans tous ses états. L’exemple
de l’Institut Pasteur », in Les Archives scientifiques. Préservation, typologie et utilisa-
tions, op. cit., p. 425-453 ; M. JEAN et D. POUPARDIN, « Les Archives des unités de
recherche : le point de vue de l’Institut national de la recherche agronomique », dans La
Gazette des Archives, art. cit. ; O. WELFELÉ, « Quels matériaux pour l’histoire d’après-
demain ? Le devenir des archives de laboratoire », in Sciences et archives contempo-
raines, op. cit., p. 103-128 ; Ph. BARBAT, « Propositions de conservation des archives
de laboratoire », ibid., p. 132-139.
19. Voir la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, titre III, article 10,
dans : direction des Archives de France, Principaux textes, op. cit., p. 11 ; sur la dation :
C. DE TOURTIER-BONAZZI, « La loi de défense du patrimoine national et les archives »,
in La Gazette des Archives, nouvelle série, no 105 (2e trimestre 1979), p. 112-121.

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Les archives des sciences en France 159

Becquerel ou d’André Thouin20. La bibliothèque de l’Observatoire de


Paris conserve également des fonds importants, tandis que le Collège de
France possède les papiers de Claude Bernard, ainsi que quelques autres
fonds de moindre importance21.
Toutefois, depuis une quinzaine d’années, certains établissements
de recherche et d’enseignement scientifique ont manifesté le souci de
conserver, voire de créer, leur patrimoine archivistique : l’École supé-
rieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris a ainsi
accueilli les archives de Paul Langevin ; l’École normale supérieure,
celles d’Aimé Cotton et d’Alfred Kastler ; le Musée Curie conserve les
papiers de Pierre et Irène Joliot-Curie22. Le service des archives de
l’Institut Pasteur a été créé à l’origine, on l’a dit, autour du fonds
d’archives laissé par Jacques Monod23.

Une politique de collecte plus active


Une politique de collecte plus active devrait permettre la sauvegarde de
nouveaux fonds. L’appui apporté par un historien de la psychologie a
ainsi déjà permis le classement et le dépôt aux Archives nationales des
papiers de trois psychologues importants, Henri Piéron, Henri Wallon
et Ignace Meyerson, auxquels s’ajouteront bientôt ceux de René
Zazzo24. Le service des archives de l’Académie des sciences a bénéficié

20. Sur les fonds conservés à la bibliothèque de l’Institut, cf. F. DUMAS, « Les
manuscrits scientifiques conservés à la bibliothèque de l’Institut », in Les Archives
scientifiques, op. cit., p. 122-124 ; sur le fonds Curie : M. SACQUIN-MOULIN, « Le fonds
Curie à la Bibliothèque nationale », ibid., p. 171-177 ; sur le fonds Pasteur : M.-L.
PRÉVOST, « Le fonds Pasteur à la Bibliothèque nationale », ibid., p. 164-170 ; du même,
« Les fonds scientifiques à la Bibliothèque nationale de France. Un exemple : le fonds
Pasteur », dans Sciences et archives contemporaines, op. cit., p. 37-50.
21. Voir un état des papiers de Claude Bernard in M. D. GRMEK, Catalogue des
manuscrits de Claude Bernard avec la bibliographie des travaux imprimés et des études
sur son œuvre, Paris, 1967.
22. Sur ces différents fonds, cf. B. BENSAUDE-VINCENT, C. BLONDEL, M. MONNERIE,
« Les Archives de Paul Langevin à l’École supérieure de physique et de chimie
industrielles », in Les Archives scientifiques, op. cit., p. 150-153 ; D. DEMÉLLIER, « Les
archives d’Alfred Kastler », ibid., p. 154-158 ; Th. CHARMASSON, « Les archives d’Aimé
Cotton », ibid., p. 145-149.
23. Cf. D. OGILVIE, « Le fonds Monod et les archives de l’Institut Pasteur », art. cit.
24. Ces fonds ont été versés aux Archives nationales, après classement, par le Cen-
tre de recherche en histoire des sciences et des techniques de la Cité des sciences et de
l’industrie ; cf. Th. CHARMASSON et Fr. PAROT, « 520 AP 1 à 51. Archives d’Henri Piéron
(1881-1964). Répertoire numérique détaillé », 1989, 79 p. dactyl. ; Th. CHARMASSON,
D. DEMÉLLIER, Fr. PAROT et G. VERMÈS, « 521 AP 1 à 67. Archives d’Ignace Meyerson
(1888-1983). Répertoire numérique détaillé », 1992, revu en 1995, 143 p. dactyl. ; Th.
CHARMASSON, « Les archives d’Ignace Meyerson », in Pour une psychologie historique.
Hommage à Ignace Meyerson, sous la direction de Fr. PAROT, Paris, PUF, 1996, p. 33-
43 ; Th. CHARMASSON et Fr. PAROT, « Les archives d’Henri Wallon », in Revue d’histoire
des sciences humaines, no 5 (2001), p. 117-142 [360 AP 3 à 30].

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160 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

de deux dations (archives et bibliothèque de Louis de Broglie, archives


Lavoisier et Guettard) et de plusieurs dons (papiers de Pierre Auger et
de Jean Perrin, par exemple).

Une sensibilisation des scientifiques


Toutefois, il apparaît primordial de sensibiliser les scientifiques à la
nécessité de conserver leurs archives. Trop souvent en effet, ceux-ci
considèrent que toute recherche doit aboutir à une publication ; celle-ci
effectuée, il ne leur semble pas nécessaire de conserver la trace de leurs
tâtonnements, voire de leurs échecs. Le Centre de recherche en histoire
des sciences et des techniques de la Cité des sciences et de l’industrie,
en collaboration avec les Archives nationales, a ainsi rédigé dès sa créa-
tion une petite brochure, destinée aux scientifiques et à leurs familles,
donnant des indications sur les documents à conserver et la procédure à
suivre pour déposer les papiers en leur possession25. D’abord actualisée
en 1996, une nouvelle édition, mise à jour et élargie à l’ensemble du
patrimoine scientifique, a été diffusée en 2000 sous le titre suivant :
Conserver le patrimoine scientifique.

Un guide de classement
Il paraît également important que le classement des fonds collectés et
déposés dans divers lieux soit effectué selon des principes archivisti-
ques sûrs. C’est dans cette perspective qu’a été publié en 1995 par la
direction des Archives de France un petit manuel intitulé Les Archives
personnelles des scientifiques. Classement et conservation. Issu d’une
collaboration entre le service des archives de l’Académie des sciences,
le service des archives de l’Institut Pasteur, la bibliothèque centrale du
Muséum d’histoire naturelle et le Centre de recherche en histoire des
sciences et des techniques de la Cité des sciences et de l’industrie, ce
manuel explicite les différentes étapes du travail effectué sur un fonds
d’archives personnelles, depuis la prise en charge de celui-ci jusqu’à sa
mise à la disposition du chercheur. Les différentes opérations du clas-
sement, tout comme la rédaction des instruments de travail, sont illus-
trées avec des exemples précis26.

25. Conserver les archives scientifiques ? Pourquoi, comment, où ? Cette


brochure a été rédigée en s’inspirant d’un fascicule distribué par le Center for history of
physics (American Institute of physics, New York).
26. Direction des Archives de France, Les Archives personnelles des scientifiques.
Classement et conservation, par Th. CHARMASSON, C. DEMEULENAERE-DOUYÈRE,
C. GAZIELLO, D. OGILVIE, Paris, 1995.

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Les archives des sciences en France 161

Une typologie des documents


Le travail de réflexion mené à l’occasion de la rédaction de ce guide a
permis en particulier de proposer une typologie des documents généra-
lement présents dans les fonds d’archives personnelles des scientifiques.
À côté de la correspondance, scientifique ou familiale, souvent volu-
mineuse, on constate ainsi la présence quasi constante de cahiers et
carnets de laboratoires et d’expériences, de dossiers de travail regroupant
notes de travail et notes de lecture sur tel ou tel sujet, de dossiers de
thèses, d’ouvrages ou d’articles comportant les états successifs de la
rédaction (manuscrits, épreuves, tirés à part), de notes de cours et de
conférences, de documents à caractère biographique (documents d’état
civil, pièces relatives aux études et à la carrière) et de dossiers à caractère
administratif, souvent liés à la direction d’un laboratoire ou d’un établis-
sement de recherche ou à l’organisation de congrès ou de colloques. Pour
chacune de ces catégories de documents est proposé un type de clas-
sement adapté, qui en favorise l’accès sans nuire à la cohérence du fonds.

POUR UNE VALORISATION DES ARCHIVES DES SCIENCES


Parallèlement à la collecte et au classement de nouveaux fonds, il est
nécessaire de faire connaître l’existence des fonds existants. Les histo-
riens des sciences, plus souvent philosophes ou scientifiques de forma-
tion qu’historiens, méconnaissent en effet souvent la richesse des fonds
d’archives conservés, qu’il s’agisse des archives de tutelle, des archives
propres des établissements de recherche et d’enseignement ou des
archives personnelles des scientifiques.

Des journées d’études


Afin de permettre aux archivistes, aux bibliothécaires et aux historiens des
sciences de se rencontrer, le Centre de recherche en histoire des sciences et
des techniques de la Cité des sciences et de l’industrie a organisé plusieurs
journées d’études sur différents aspects des archives des sciences.
La première journée, en 1988, a été consacrée à la présentation des
ressources offertes par un certain nombre de bibliothèques et de services
d’archives (le Muséum d’histoire naturelle, l’Académie des sciences, la
bibliothèque de l’Institut, etc.) et à l’étude d’un certain nombre de fonds
d’archives personnelles de scientifiques, dont certains alors encore en
cours de classement27.

27. Les Archives scientifiques. Communications présentées à la journée d’études


organisée par le Centre de recherche en histoire des sciences et des techniques de la Cité
des sciences et de l’industrie, Paris, La Villette, 25 février 1988, no spécial de La Gazette
des Archives, nouvelle série, no 145 (2e trimestre 1989), p. 101-182.

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162 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

La deuxième journée, en 1993, a permis d’élargir la réflexion à


l’utilisation qui pouvait être faite des archives par les chercheurs, qu’il
s’agisse des historiens, des historiens des sciences, voire des scientifi-
ques eux-mêmes. Dans trois domaines de recherche différents, l’histoire
de l’enseignement supérieur scientifique et technique, l’histoire de
l’astronomie et l’histoire de la santé, ont été présentés successivement
un fonds d’archives relevant de ce domaine et les problèmes qui se sont
posés aux chercheurs dans leur utilisation28.
Lors de la troisième journée d’études, en 1996, on a sollicité les
regards croisés des archivistes, des bibliothécaires et des historiens des
sciences sur l’une ou l’autre, voire sur plusieurs, des catégories de docu-
ments présentes dans les fonds d’archives personnelles de scientifiques,
cahiers de laboratoires, notes de travail et de lecture, notes de prépara-
tion de cours, dossiers d’articles et de livres, correspondance, etc., en
élargissant d’ailleurs le propos aux archives « provoquées » que consti-
tuent les archives orales29 et les autobiographies. Plus largement, la
présentation du travail de collecte et d’identification des documents au
sein du grand établissement de recherche que constitue l’Institut Pasteur
a permis de montrer que les archives des sciences ne constituent qu’un
des éléments d’un patrimoine scientifique lui-même mis au service de
la mémoire de l’institution30. Cette insertion des archives dans un
ensemble plus vaste, le patrimoine scientifique, comportant également,
entre autres choses, les collections et les instruments scientifiques, a été
rappelée en 2000, lors du colloque international sur la « La mémoire de
la science »31.

28. Les Archives scientifiques. Préservation, typologie et utilisations, actes des


journées d’études organisées par le Centre de recherche en histoire des sciences et des
techniques de la Cité des sciences et de l’industrie, Paris, 18 mars 1993 et 9 février 1996,
no spécial de La Gazette des Archives, nouvelle série, no 179 (4e trimestre 1997), p. 299-
453, Préservation et utilisation des archives scientifiques, journée d’études du 18 mars
1993, p. 302-351.
29. Sur ces sources, voir les communications d’Agnès Callu et d’Hervé Lemoine.
30. Les Archives scientifiques. Préservation, typologie et utilisations, op. cit.,
« Formes et contenus des documents. Pour une diplomatique des archives
scientifiques ? » Journée d’études du 9 février 1996, p. 353-453 ; cf. également
Sciences et archives contemporaines, op. cit.
31. Le colloque intitulé « La mémoire de la science. Archives et collections,
sources de l’histoire des sciences et des techniques » s’est tenu à la Cité des sciences et
de l’industrie, au Muséum national d’histoire naturelle et à l’Académie des sciences, les
27, 28 et 29 juin 2000 ; les actes sont en cours de publication ; cf. également : Des maté-
riaux pour l’histoire des sciences. Archives et collections scientifiques et techniques du
XVIIIe siècle à nos jours, textes réunis par P. BRET, Ch. DEMEULENAERE -DOUYÈRE et
L. HILAIRE-PÉREZ, Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences, no 48, Paris, 2000 ;
Réflexions sur le patrimoine scientifique et technique, actes des journées d’études de
l’OCIM. Musée des arts et métiers, Paris, 21 et 22 septembre 2000, sous la direction de
S. LOCHOT, Paris, 2001.

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Les archives des sciences en France 163

Des guides de recherche


Par ailleurs, plusieurs guides, déjà publiés ou en cours de réalisation,
devraient permettre aux chercheurs, spécialistes de tel ou tel domaine,
de gagner un temps précieux en regroupant des informations dispersées
sur les fonds d’archives qui pourraient leur être utiles.
Un premier guide thématique, consacré aux sources de l’histoire de
l’Académie des sciences, a été publié en 199632. Rédigé par un groupe
de travail comportant des conservateurs d’archives et de bibliothèque et
des historiens des sciences, ce guide présente tout d’abord les différents
types de documents et les différents fonds conservés au service des
archives de l’Académie des sciences, puis les fonds complémentaires
conservés aux Archives nationales, à la Bibliothèque nationale de
France, à la bibliothèque de l’Institut et dans un certain nombre d’autres
bibliothèques et services d’archives. La dernière partie de l’ouvrage
décline différents exemples de recherches qui peuvent être menées à
partir des fonds ainsi répertoriés.
Un deuxième guide a été mis en chantier à l’initiative de la biblio-
thèque de l’Observatoire de Paris. Conçu à l’origine sous la forme d’un
CD-Rom, ce guide devait rassembler les inventaires et répertoires
d’archives et de manuscrits qui constituent autant de sources pour
l’histoire de l’astronomie et des astronomes conservés dans l’ensemble
des bibliothèques et services d’archives, ainsi que des documents
iconographiques de différentes natures (reproductions d’instruments
astronomiques, gravures, peintures et médailles), représentatifs de
l’ensemble du patrimoine astronomique, voire des extraits d’ouvrages
fondamentaux, mais peu accessibles, sur l’histoire des observatoires.
Une grande partie des informations sur les fonds conservés en dehors
de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris a pu être collectée grâce à
une enquête menée dans les différents services d’archives relevant de la
direction des Archives de France, du ministère des Affaires étrangères
et du ministère de la Défense. L’achèvement de ce guide semble toutefois
actuellement compromis pour des raisons essentiellement financières.
Un troisième guide est également en préparation. Il s’agit d’un état
des fonds des archives personnelles des scientifiques conservés en
France. Là encore, la collaboration établie entre les services d’archives
et les bibliothèques relevant de différents ministères a permis une
enquête sur l’ensemble du territoire. Les résultats de celle-ci, complétés
par les renseignements recueillis auprès des musées et des muséums
d’histoire naturelle, devraient fournir la matière d’un ouvrage et peut-
être à terme, en fonction des moyens matériels et financiers qui pourront

32. Histoire et mémoire de l’Académie des sciences. Guide de recherches, sous la


direction d’E. BRIAN et C. DEMEULENAERE-DOUYÈRE, Paris, 1996.

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164 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

être dégagés, d’une base de données consultable sur Internet. Sans se


substituer aux instruments de travail plus détaillés établis dans les diffé-
rents lieux de conservation, cet état de fonds permettra de reconstituer
de façon virtuelle des fonds parfois matériellement dispersés.
L’intérêt pour les archives des sciences en France, relativement
récent, s’est traduit de façon concrète par un certain nombre de réalisa-
tions. Mais il reste encore beaucoup à faire en particulier dans le
domaine de l’organisation de la collecte des archives contemporaines
des sciences. Dans ce domaine plus encore peut-être que dans d’autres,
ce n’est que par une collaboration active entre archivistes, scientifiques
et historiens que pourront être assurées la conservation et la mise en
valeur d’un élément essentiel du patrimoine archivistique33.

Thérèse CHARMASSON

33. Il faut signaler l’opération de collecte menée par le service des archives du
rectorat de Paris dans le cadre des travaux de désamiantage du campus de Jussieu ; cf.
Th. CHARMASSON, S. MÉCHINE, F. PAROT, « La collecte des archives dans le cadre du
désamiantage de Jussieu », à paraître dans La Gazette des Archives ; et la création
récente, au sein du Conseil supérieur des archives, d’une commission, « Archives scien-
tifiques et techniques ». Cf. à ce propos la Communication de Martine de Boisdeffre
dans ce volume.

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Le secret des élites


et l’histoire politique face à l’irruption
de nouvelles sources de connaissance

Nées avec le siècle, les archives audiovisuelles sont encore souvent assi-
milées et désignées sous les termes de « nouvelles archives ». Dans La
Pratique archivistique française1, cette dénomination recouvre, outre
ces « archives audiovisuelles », les « archives orales », les « archives
informatiques » et les « archives sur disque optique numérique ». À ce
seul énoncé, l’on comprend bien les limites d’un pareil regroupement,
conséquence de la survalorisation des aspects techniques engendrés par
les problèmes posés par la conservation des supports d’enregistrement.
Au regard de la recherche, cette notion de « nouvelles archives », qui
renvoie donc à une notion d’identité technologique, apparaît bien
comme insuffisante.
S’agissant des seuls documents audiovisuels, force est de constater
que la plupart d’entre eux entrent dans le cadre légal définissant les
archives puisqu’ils sont générés par « toute personne physique ou
morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice
de leur activité2 ». Ils ne couvrent pas, en conséquence, un champ histo-
riographique en soi, mais désignent un ensemble de sources possédant
une apparente identité de nature et de forme. Cependant, et c’est essen-
tiel, cette nature et cette identité de forme ne doivent pas oblitérer pour
le chercheur qui voudrait les exploiter leur grande diversité critique,
conséquence directe de la pluralité de leur contexte et de leur mode de
création, qui ne peuvent être réduits au seul prisme technique. Par
ailleurs, si l’on s’en tient à cette définition légale stricto sensu, « les
archives audiovisuelles » ne prennent pas en compte un certain nombre
d’autres matériaux auxquels les historiens du temps présent ont souvent
recours, et dont ils sont parfois eux-mêmes les auteurs : il s’agit des

1. La Pratique archivistique française, Paris, Archives nationales, 1993, chapitre


6, p. 313-362.
2. Article 1er de la loi sur les archives no 79-18 du 3 janvier 1979.

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166 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

témoignages rétrospectifs enregistrés ou filmés dans un but de documen-


tation scientifique et communément dénommés « archives orales » 3. En
effet, ces sources, fruit d’un travail raisonné, doivent être différenciées
des « archives audiovisuelles » produites organiquement. Pour autant,
les unes comme les autres, quand elles existent, appartiennent à ce qu’il
ne faut plus hésiter à désigner comme un patrimoine vivant, pendant du
patrimoine écrit, à la disposition de l’historien du contemporain qui doit
le soumettre au feu de sa critique. Un guide général de recherche sur ces
sources sonores et audiovisuelles, qu’elles soient archives ou témoi-
gnages, est en cours d’achèvement à la direction des Archives de France
et au Service historique de l’armée de terre4. Tous les exemples déve-
loppés ci-après sont issus de cet outil de référence.
En accordant la proposition initiale faite dans l’intitulé de cette
contribution aux quelques principes qui viennent d’être énoncés, la
question qui se pose est celle de la place que ce « patrimoine sonore et
audiovisuel » est susceptible de prendre dans le processus d’élaboration
de la connaissance en histoire, notamment dans des domaines de recher-
ches où les autres sources fondamentales, les sources écrites, sont, en
totalité ou en partie, secrètes, parce que détentrices de secrets. Un
exemple emblématique de ces sujets « sensibles » est certainement celui
de la politique nucléaire de la France : domaine d’intérêt public, enjeux
de débats nationaux et internationaux, objet de campagnes de presse et
de tribunes d’opinion, mais qui demeure toujours auréolé de la part de
mystère que lui confère le mythique « secret défense »5.
Comment, sur un sujet paradoxalement aussi rebattu et abscons,
objet d’une importante production journalistique ou scientifique, le
travail de l’historien peut-il s’effectuer et avec quels matériaux ?
L’appréhension, d’un point de vue méthodologique, de ce sujet
appelle trois commentaires :
– Le premier est que même si les gisements d’archives sont bien connus,
leur accès reste soumis à des dérogations accordées de façon non
systématique et parfois sur des critères conjoncturels voire politiques :
les résultats de la recherche sont obligatoirement tronqués par les
conditions objectives de la recherche.

3. « Les archives orales », rôle et statut, rapport du Conseil économique et social,


rapporteur Georgette Elgey, A. Callu et H. Lemoine experts, Paris, les Éditions des jour-
naux officiels, 2001.
4. Agnès CALLU et Hervé LEMOINE, Le Patrimoine sonore et audiovisuel français,
entre archives et témoignages, guide de recherche en sciences sociales, direction des
Archives de France-Centre historique des Archives nationales, Service historique de
l’armée de terre, avec le concours de l’Institut des archives sonores, Paris, 6 tomes,
2500 p. (à paraître).
5. Nous renvoyons à ce propos à la contribution de Nathalie Genet-Rouffiac dans
ce volume.

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Le secret des élites et l’histoire politique 167

– Le deuxième, conséquence du premier, tient à la nécessaire confron-


tation critique entre le fruit du travail des chercheurs et les connais-
sances des anciens acteurs et responsables de la politique nucléaire.
Ainsi, le GREFHAN (Groupe d’études français d’histoire de l’arme-
ment nucléaire) prend-il soin d’organiser de nombreuses tables rondes
(certaines fermées, afin de mieux libérer la parole des témoins), des
séminaires, des colloques, lieux d’échange entre la science des uns et
l’évocation subjective des souvenirs des autres. Une telle démarche
est indispensable, mais elle est aussi périlleuse car les historiens
travaillent ainsi sous le regard d’hommes, politiques, scientifiques,
militaires, dont les objectifs ne sont pas, a priori, forcément identi-
ques, ni même compatibles, avec les leurs. Le risque de censure n’est
pas nul et les interactions possibles peuvent compromettre l’indépen-
dance nécessaire à la recherche.
– Le troisième tient à l’existence, largement sous-exploitée, d’un
important gisement d’images et de sons, qu’ils s’agissent de films
documentaires ou de témoignages enregistrés, détenus ou créés par
des institutions ou des entreprises à des fins très diverses voire même
antagonistes. Ce dernier aspect mérite quelques développements.
Si l’on dresse un état plus précis des fonds audiovisuels existants 6,
le chercheur a donc à sa disposition un matériau encore neuf et inédit,
dont de nombreux films institutionnels et documentaires qui, selon leur
commanditaire, n’offrent pas la même vision et ne tiennent pas le même
discours. Un fonds organique assez riche est ainsi proposé par le
Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Naturellement, ses réalisa-
tions sont le reflet de sa politique de communication et d’information.
Ses films, qui se veulent à la fois des instruments pédagogiques et scien-
tifiques, sont une arme essentielle employée par le pouvoir politique
dans ses stratégies pour convaincre de la validité de ses choix dans un
domaine qui suscite de nombreuses controverses au sein des opinions
publiques. Il est instructif de rapprocher ces films du CEA de ceux
financés par les Nations unies à la même époque. En effet, ces derniers
offrent un contrepoint à la position française, adoptant une seule ligne,
celle du nécessaire contingentement des arsenaux nucléaires et de la
stricte application des accords gelant les essais ! Émanant de groupes
plus contestataires, d’autres réalisations documentaires ont été aussi des
éléments essentiels du battage médiatique mené, notamment, lors de la
reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique, dont les réper-
cussions, au niveau international, tant d’un point de vue politique
qu’économique, furent considérables. Les actions, toujours filmées, de
Greenpeace sont d’ailleurs une des armes utilisées par ce mouvement
dans les débats qui secouent les opinions publiques, et pour tout cher-
cheur elles sont, ou seront, une source indispensable pour aborder, dans

6. Voir le guide déjà cité supra.

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168 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

sa complétude, les aléas et les oppositions à la politique nucléaire fran-


çaise, dont l’affaire du Rainbow Warrior reste un des épisodes les plus
médiatiques. Ainsi, avec leurs diversités et leurs limites, les images,
contemporaines des événements et instrumentalisées par leurs comman-
ditaires, sont bien constitutives des événements eux-mêmes et donc
indissociables de leur étude7.
Plus confidentielles encore et fruit du travail de militants écologi-
ques ou politiques, d’autres sources, aujourd’hui conservées et sauve-
gardées dans des institutions patrimoniales et notamment dans le réseau
des Archives départementales ou communales, peuvent aussi prendre
place dans une démonstration historique sur le même sujet. Ainsi faut-
il citer les enregistrements recueillis dès les années 1970 auprès des
habitants des communes proche d’un site nucléaire en construction
(Saint-Paul-Trois-Châteaux, Pierrelatte8), ou encore les très nombreux
films documentaires tournés par des cinéastes engagés dont certains
réunis au sein de la société de production Iskra9. Deux exemples de ces
créations, véritablement des manifestes, donnent bien la tonalité des
images capturées afin de servir un discours engagé : tout d’abord un
ensemble de « reportages-enquêtes », c’est ainsi qu’ils les désignent,
sur l’implantation des centrales dans le monde entier en 1975 – et, enfin,
un film de contre-propagande dont le titre lui-même s’inscrit bien dans
la mouvance et dans l’esprit de Mai-68, et qui s’intitule : « Mets pas tes
doigts dans ton nez, ils sont radioactifs… ».
En poursuivant cet état succinct des sources, et sur un autre versant
de ce patrimoine sonore et audiovisuel, il faut également signaler les
témoignages oraux, créés, façonnés, par des chercheurs, des historiens,
dans le cadre de leurs enquêtes raisonnées. Ces témoignages se distin-
guent des archives précédemment décrites par plusieurs points. Tout
d’abord, ils ne sont pas contemporains des événements mais ont été
recueillis a posteriori. Le critère de temporalité n’est donc pas le même,
et c’est autant la mémoire des faits qu’un discours subjectif et recons-
truit qui sont ainsi sollicités chez l’ancien acteur, promu témoin. Enfin,
l’intention elle-même est différente. Le témoignage oral, qui peut être
aussi filmé, renvoie en fait à une pratique particulière du travail du cher-
cheur, certains diraient même, à l’imitation des Anglo-Saxons et notam-
ment des Américains, qu’il s’agit d’une discipline à part entière, mobi-
lisant des connaissances et des outils bien différents de ceux des

7. Thèse d’ailleurs brillamment développée par le sociologue Renaud DULONG in


Le Témoin oculaire : les conditions sociales de l’attestation personnelle, Paris, éditions
de l’EHESS, 1998.
8. Ces enregistrements sont conservés aux archives communales de Saint-Paul-
Trois-Châteaux.
9. La plupart des copies d’exploitation de ces films sont consultables aux archives
départementales de Seine-Saint-Denis.

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Le secret des élites et l’histoire politique 169

réalisateurs répondant à un travail de commande pour une institution ou


une association militante dans une perspective de médiatisation. Dans
ce cas, le critère d’intentionnalité n’est pas le même, ce qui, bien
entendu, est un élément fondamental à prendre en compte pour la
critique de la source ainsi créée.
S’agissant donc de ces témoignages oraux, dont les caractères
propres viennent d’être sommairement présentés, il faut noter que des
corpus entiers ont été constitués, dès les années 1980, par certains labo-
ratoires du CNRS, ou encore par l’association pour l’histoire de l’EDF
Pour ne prendre que ce dernier corpus, à titre d’exemple, sa réalisation
fut confiée à des chercheurs de l’IHTP et du CNRS qui en élaborèrent
le cadre scientifique et dont l’objectif premier était de permettre l’étude
de la prise de décision politique en matière de nucléaire civil et de ses
éventuelles répercussions. Afin de couvrir l’ensemble du champ
d’étude, l’enquête fut menée d’une part auprès de dirigeants et d’ingé-
nieurs, et d’autre part auprès de syndicalistes et de militants écologistes.
Sur les mêmes brisées, mais plus récemment encore, d’autres structures,
sous tutelle du ministère de la Défense, ont initié des programmes de
recueil de témoignages dont le Comité pour l’histoire de l’armement 10
et les trois services historiques de la terre, de la marine et de l’air. Au
Service historique de l’armée de terre, l’étude des débats politiques,
stratégiques, scientifiques et éthiques, qui ont accompagné le dévelop-
pement de l’arme nucléaire, constitue la trame des enregistrements
réalisés.
Au simple énoncé des différents sujets abordés par les archives
audiovisuelles, décrites précédemment, et par les thèmes couverts par
les témoignages oraux, l’on comprend qu’ils ne sont pas exclusifs les
uns des autres et qu’au contraire, c’est d’un rapport dialectique entre ces
sources et les archives écrites, sources initiales de la recherche, que
pourra peut-être jaillir un éclat de vérité et de connaissance. Mais, si l’on
admet ce principe, peut-on, comme cela est suggéré, penser que l’irrup-
tion de ces « nouvelles sources » porte en soi un tel renouvellement des
questionnements et des problématiques, que l’on puisse parler pour
autant de « nouvelle histoire » ?
L’exemple développé précédemment contingente, volontairement,
la réflexion menée sur un terrain qui est celui de l’histoire administrative
et politique traditionnelle. En effet, il est évident que des pans entiers de
la recherche sont aujourd’hui consacrés à l’histoire des médias et aux
rapports nouveaux que la médiatisation et l’image ont introduits dans la
société : il s’agit donc moins d’une nouvelle histoire que de nouveaux
champs historiques. Voilà pourquoi le fait de rester sur le terrain de

10. Aujourd’hui près de deux cents heures d’entretien ont été réalisées auprès de
nombreux témoins de première importance.

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170 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

l’histoire politique, évoqué au travers de l’exemple du nucléaire, permet


de sonder réellement la pertinence de la question posée. Or, nous savons
que l’un des fondements actuels de cette histoire politique est la réintro-
duction du « sujet agissant », donc de l’acteur, et qu’elle privilégie une
approche plus discursive et narrative, dans la droite ligne du manifeste
de René Rémond, Pour une histoire politique11. La recherche dans ce
domaine exige de fouiller les principes de l’action, de l’engagement, de
l’opinion, du tissu social et culturel de ces grands acteurs. Elle doit aussi
s’attacher à dénouer les fils compliqués des rapports de pouvoir, engen-
drés par la confrontation des stratégies personnelles et des logiques
institutionnelles. De même, elle doit se pencher sur l’étude des prati-
ques, des milieux et des cultures propres à chaque corps, à chaque
corporation. Enfin, elle se doit de prendre aussi en compte les réseaux
d’influence et de tenter de décrypter les politiques de communication et
d’information, instruments essentiels dans un domaine d’activité, par
nature opaque, mais soumis à la censure des opinions publiques, ou à
celle du simple citoyen quand il exerce son droit le plus fondamental.
L’on assiste donc à la réintroduction d’un certain nombre d’élé-
ments de compréhension qui, jusqu’à présent, étaient plutôt l’apanage
des sociologues. Ces derniers furent d’ailleurs les premiers en France,
avec les ethnologues, à considérer avec intérêt ces nouvelles sources
audiovisuelles et sonores qu’il est temps que les historiens s’approprient
à leur tour ! S’agit-il alors de nouvelle histoire ? Non, mais d’un nou-
veau paradigme de l’histoire politique et contemporaine, certainement.

Hervé LEMOINE

11. René RÉMOND (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Éditions du Seuil,
1988.

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Par le verbe et l’image :


plaidoyer pour des histoires
sinon mises au secret

S’attarder un instant sur l’étymologie du mot « secret » est un exercice


imposé puisque son concept file les débats de cet ouvrage. « Secret » est
la traduction littéraire du verbe latin secernere qui signifie « trier pour
mettre à l’écart ». De fait, secretus, « secret », veut dire « mis à l’écart ».
Il a été exposé dans ce volume les arcanes d’une mise à l’index « en
relief », bien connue derrière le trop fameux tampon « secret-
défense ».1 Et même si d’aucuns jugent la démarche tangentielle, il est
justifié de faire un sort à une acception « en creux » et d’entendre le
vocable « secret » dans la définition suivante : est secret ce qui est
profilé pour rester secret. Pourquoi alors est-on ou reste-t-on secret ?
Certainement parce que l’on se trouve, naturellement ou culturelle-
ment d’ailleurs, écarté des circuits traditionnels de l’écriture. Effective-
ment, dans la société française, mais plus largement dans les groupes à
l’ancrage intellectuel empreint de latinité, écrire a un sens : c’est la vali-
dité de l’action. Bref, et au risque de manier la tautologie, ne laisse de
traces que celui qui a eu la capacité d’en laisser. De fait, ne pas être dans
l’écriture revient à intégrer le champ pluriel de la marginalité. Est-ce à
dire qu’un fait historique rejeté hors de la zone de l’écrit se trouve, dans
le même temps, exclu de la recherche ? Cette fausse interrogative
n’attend qu’une réponse négative, mais à la seule condition cependant
d’une double acceptation. D’abord, on décide de prendre à son compte
les enseignements prônés par différentes écoles historiques : Les
Annales en France, l’École de Chicago aux États-Unis ou celle de Paul
Thompson en Angleterre. Ensuite, on déclare, dans les lignes d’un véri-
table manifeste, que l’on fera l’histoire autrement. On choisit dès lors
de poser l’enquête de terrain au cœur du dispositif ; on inverse les
processus de réflexion considérant que le particulier sert le général, que

1. Cf. la Communication de Nathalie Genet-Rouffiac et le texte d’Hervé Lemoine


dans les pages précédentes.

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172 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

l’unicum ne vaut pas en soi et que sa seule démultiplication est chargée


de sens ; on croit enfin qu’une micro-histoire comparée sert la macro-
histoire.
Pour illustrer ce propos, il n’est pas inintéressant de développer les
cas de trois marginalités, à placer dans des cercles et des échelles de
compréhension comme d’interprétation radicalement différents. Ils
aideront, par leur exemplarité, à montrer que l’on peut exercer une
critique valable et valide de faits réputés hostiles à l’analyse académique
grâce à un recours raisonné et raisonnable des ressources audiovisuelles ;
ils défendront l’usage scientifique de cette documentation protéiforme
quand elle est contextualisée et que les notions de temporalité et d’inten-
tionnalité sont pleinement acquises. On s’interrogera donc successive-
ment sur une marginalité culturelle, politique et institutionnelle.
La marginalité culturelle s’impose d’abord, ne serait-ce que par sa
place dans l’historiographie. Convenir d’appréhender le monde paysan,
la ruralité et l’artisanat constitue un terrain favorable à l’étude de sec-
teurs, par tradition, situés à côté des sentes de l’écriture. Il est tout à fait
sûr qu’une recherche approfondie sur ces sujets ne peut s’imaginer sans
le recours à l’écoute des propos tenus par ces « gens ordinaires », ni en
faisant l’économie d’un examen précis des représentations de ces
ensembles projetées dans les médias. Comprendre des hommes et des
femmes dans leur quotidien, c’est accepter, comme l’ont fait les ethno-
logues et sociologues, d’avoir recours à l’entretien non directif pour cap-
turer des « tranches de vie ». Ces dernières, par petites touches, éclairent
sur des comportements et liens sociaux, des modes de travail, des évo-
lutions culturelles, des pratiques cultuelles, etc. Cette façon d’agir s’ins-
crit – à très grands traits – dans une filiation ancienne où cinq moments
ressortent : l’essor du courant folkloriste et régionaliste, notable de la
fin du XIXe siècle au milieu des années 1930 ; l’enthousiasme du Front
populaire visible dans l’impulsion soutenue par un Georges-Henri
Rivière, futur directeur du Musée national des arts et traditions populai-
res (MNATP) ; l’idéologie de Vichy, en continuité parfois avec 1936 et
dont les soubassements reposent sur la Révolution nationale et son slo-
gan de « retour à la terre » ; le militantisme post-soixante-huitard qui,
en manière de contre-culture, veut croire davantage en la parole des
minorités qu’en celle des élites ; la quête identitaire et la recherche des
racines, pour finir, si sensibles depuis les années 1990. Ce « patrimoine
immatériel », comme se plaisent à le nommer les conservateurs du
MNATP, sait explorer et sonder des terres demeurées inconnues et sur-
tout ceux qui les habitent. Trois exemples, « collant » de près à l’évolu-
tion historique, sont autant d’indicateurs probants. En 1939, l’ethno-
musicologue Claudie Marcel-Desbois collationne musiques et souve-
nirs d’agriculteurs et de ruraux en basse Bretagne ; en 1966, l’ethno-
cinéaste Jean-Dominique Lajoux entreprend, pour le compte du CNRS,
des campagnes qui quadrillent la France et gardent la mémoire filmée
de ceux qui pratiquent encore de « vieux métiers » : forgerons, vanniers,

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Plaidoyer pour des histoires sinon mises au secret 173

cloutiers… En 1999, l’Association pour la mémoire des pays de l’Ernée


n’a de cesse de solliciter les témoins de la dualité ville/campagne, de la
progression, souvent anarchique, de l’aménagement du territoire, des
pressions européennes qui pèsent sur la communauté agricole, etc.
Face à cette parole libérée, brute dans son enveloppe, nue dans son
discours cependant qu’encadrée par un propos scientifique, comment
imaginer ne pas lui soumettre en contre-expertise, ou du moins, en
preuve adjacente, des archives contemporaines dont les enjeux immé-
diats ne sont pas d’étayer l’histoire ? Ainsi, une analyse générique et
séquentielle des productions (pour ne parler que de celles-là) pédagogi-
ques de l’Assemblée permanente des chambres de métiers, destinées à
la formation continue des artisans, est à intégrer dans une démarche
historienne. Aujourd’hui considérées comme des sources « à voir »,
elles renseignent, avec leur subjectivité, leurs limites et leur étiquette,
sur la ou les représentations de corporations socio-professionnelles à un
temps T. De facto, négliger leur étude amputerait de façon domma-
geable l’appropriation intellectuelle d’un tel sujet. L’apport fonda-
mental, autrement occulté, est l’appréciation pleine et entière de la
notion clé d’expérience qui se partage par un savoir-faire dont la trans-
mission inter et trans-générationnelle est assurée par le verbe parfois
mis en images.
Un exemple de marginalité politique trouve sa place dans la
démonstration et une réflexion globale sur l’étude du monde ouvrier est
à faire. Le postulat de départ est tout à fait différent dans la mesure où
la mise à l’écart n’est, cette fois-là, pas traditionnelle mais politique.
Nul n’ignore l’existence d’archives officielles, souvent policières
ainsi que de papiers privés, émanant de partis, de mouvements ou de
groupes pouvant efficacement informer sur les activités du secteur
ouvrier. On connaît la richesse d’une historiographie, parfois militante,
qui compte les travaux majeurs de Jean Maîtron. Pourtant des zones
d’ombres, ou pour le moins, des clairs-obscurs demeurent. Témoins, les
grèves insurrectionnelles de 1947-1948 sur lesquelles le manuel
d’histoire du parti communiste édité en 1964, pour ne citer que lui, n’est
guère loquace2. Comment effectivement restituer la complexité du
couple « répression/réprimés » en faisant l’économie d’un attentif
découpage du discours de Jules Moch, alors ministre de l’Intérieur,
diffusé sur les ondes, en oubliant l’écoute critique des souvenirs des
mineurs du Nord recueillis a posteriori dans des perspectives scientifi-
ques, en omettant de désosser les plans de La Grande Lutte des mineurs,
film fédéral de la CGT réalisé en 1948, dont la paternité fut assumée par
Louis Dacquin et qui n’est jamais rien d’autre qu’une idéologie

2. Cf. Jean-Jacques BECKER, Agnès CALLU et Patricia GILLET, La Quatrième


République : des témoins pour l’histoire, 1947-1997, hors-série no 3 de la revue Histoire
et Archives, 1999, p. 51.

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174 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

cinématographiée ? La plus-value est intense : elle est dans la captation


des intentions décisionnelles par-delà les résultats, dans la narration du
ressenti individuel de celui qui a connu les forces de la violence et de
l’engagement, dans la fixation d’un moment qu’un syndicat souhaite
inscrire dans la mémoire collective de ses adhérents.
Parler d’une marginalité institutionnelle pourrait s’apparenter à
l’usage malvenu de l’oxymore, figure de style qui appareille ce qui ne
doit pas l’être. Pourtant cette marginalité existe que l’on décide d’explo-
rer les fonctionnalités d’une administration ou celles d’une entreprise.
Là encore les archives, sans toujours être pléthoriques, sont, la plupart
du temps, conservées mais demeurent, par nature, muettes sur des points
pourtant fondamentaux. La raison, l’une d’entre elles au moins, est le
virage extrême constaté dans les pratiques de travail. On a vu et l’on voit
quotidiennement le déplacement du « faire » vers le « faire faire ». En
clair, on est autorisé à poser la question suivante : celui qui signe est-il
celui qui travaille ou, pour être plus précis, qui travaille derrière la
signature ? Pour comprendre, dans son objective plénitude, la genèse
d’un projet et les mécanismes de la prise de décision sur l’amont, il est
impératif d’interroger la structure dans sa verticalité et d’entendre les
« deuxièmes couteaux » qui ont eu en main les dossiers. Les exemples
se pressent, celui des débuts de la construction européenne suscite les
investigations. Plusieurs programmes, nationaux et européens aussi, se
font fort de recueillir les souvenirs des « constructeurs-décideurs ». De
façon plus circonscrite, les prolégomènes du Conseil de l’Europe sont
intéressants à suivre. Le Quai d’Orsay, décidant de rassembler les
mémoires orales de « grands témoins », soit celles des ministres des
Affaires étrangères ou bien celles de diplomates ayant occupé des fonc-
tions d’amplitude, insère dans son programme le nom de Jacques
Leprette. Ce dernier, dont on sait qu’il sera au milieu des années 1960,
ministre conseiller à l’ambassade de France à Washington, livre un
témoignage passionnant sur ses débuts de jeune énarque. Effectivement,
un premier poste lui échoit : il est détaché auprès du secrétariat général
du Conseil de l’Europe en qualité de conseiller de 1949 à 1952. Les indi-
cations qu’il livre, concrètes car fondées sur la pratique, offrent une pho-
tographie au plus près des débuts d’un organisme créé en mai 1949. À
l’évidence, un rapprochement de ses propos – souvenirs individuels cer-
tes, mais d’un de ceux qui « y étaient » – et des images laissées à la pos-
térité par les films institutionnels produits par ledit Conseil, et
aujourd’hui préservés au Parlement européen, est à imaginer. Ce n’est
pas une vue de l’esprit que de croire que l’association de reportages con-
temporains et de paroles resurgies quelques décennies après force l’his-
torien à comprendre l’histoire différemment qu’à travers le seul prisme
de l’écrit. Il peut entendre le passé, voir le comportement d’un orga-
nisme dans l’image qu’il veut donner de lui… Bref, les frontières de
l’analyse explosent en même temps que le champ de la recherche s’en
trouve élargi.

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Plaidoyer pour des histoires sinon mises au secret 175

Une contribution consacrée à ce que l’on appelle les « archives


audiovisuelles » serait-ce donc une fausse bonne idée ? Robert Desnos
dirait que « ça n’existe pas ». L’intuition, certes, est généreuse car ne
pas leur faire une place aujourd’hui dans le discours historique est un
oubli que l’on ne pardonnerait guère. Mais le propos est pourtant fonda-
mentalement erroné tant la périphrase, datée, ne signifie rien. Elle
renvoie, de façon minorante, par l’usage d’une seule épithète technique,
à des questions qui ne rencontreraient la recherche que par la diagonale.
Or, dans le même temps, comment considérer qu’il est envisageable
d’écrire l’histoire du temps présent sans des archives marquées d’une
des singularités les plus éclatantes du siècle : les médias ? Audiovi-
suelles, dans leur nature et par le sens qu’elles transmettent, ces
dernières sont centrales, s’inscrivant déjà comme une composante
majeure de l’inventaire du patrimoine en devenir.

Agnès CALLU

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L’historien
face aux archives du Komintern

Les archives de l’Internationale communiste (le Komintern) et le travail


historique qui s’appuie sur elles sont directement et fortement concernés
par les interrogations mises au centre de cet ouvrage. Parmi les archives
politiques contemporaines elles font partie de celles qui méritent à
plusieurs titres d’être envisagées comme des archives secrètes. Parce
qu’elles furent très longtemps inaccessibles mais aussi parce qu’elles
ont durablement été ignorées en tant que telles. Devenues accessibles
elles restent dominées par ce secret, au cœur du fonctionnement du
Komintern et des structures qui les ont produites. L’historien, face à ces
archives, doit donc les traiter selon une problématique qui fait une large
place à la question du secret sous peine de multiples contresens et
méprises.
J’ai, depuis plusieurs années, abordé différents aspects de cette
question dans des communications, des articles et des ouvrages qui
furent autant de moments obligés accompagnant l’étude historique au
fur et à mesure d’un chantier où la réflexion était confrontée à l’épreuve
de nouvelles archives. Préalable, la question des archives ne saurait tenir
lieu d’analyse et résoudre le problème de l’écriture historique à travers
laquelle se règle l’interprétation globale des phénomènes étudiés. Sur
ce point, j’ai été et je reste préoccupé de l’usage des archives par les
historiens du communisme et plus généralement les historiens du poli-
tique. La fascination pour ces archives « révélées », indéniablement
« découvertes », a parfois conduit certains à imaginer qu’elles permet-
taient en elles-mêmes d’écrire un récit fondé dès lors sur l’agencement
d’archives convoquées au tribunal de histoire comme autant de témoins
à charge ! En fait l’historien reste celui qui impose sa marque de
fabrique dans le maniement des archives, qu’elles soient rares ou au
contraire très abondantes. Si l’historiographie du communisme reste
aujourd’hui encore marquée par la question des archives, bien qu’à la
pénurie ait succédé l’abondance, c’est que le problème n’est pas seule-
ment d’ordre quantitatif. Les archives du Komintern, sur lesquelles
l’historien travaille, sont loin d’être transparentes. Elles apportent sans

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14_Archsecr_CN Page 178 Mardi, 27. mai 2003 5:52 05

178 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

doute une information irremplaçable et précieuse mais celle-ci est loin


de restituer clairement et immédiatement le fonctionnement du Komin-
tern notamment parce qu’il recélait une part importante de secrets que
les archives ne pouvaient retranscrire. Ainsi donc le cheminement de
l’historien du Komintern est-il paradoxal puisqu’il découvre, grâce à
l’accès à de nouvelles archives, qu’un certain nombre de phénomènes
essentiels de l’organisation qu’il étudie sont durablement sinon défini-
tivement en dehors de son champ d’investigation. Son travail, façonné
par le rapport aux documents, a changé en relation avec la progressive
découverte d’archives espérées mais inattendues, mais également en
fonction d’un contexte historiographique en rapide évolution.
La dimension secrète des archives du Komintern est constitutive de
l’histoire d’une organisation dont nous ne rappellerons ici que les linéa-
ments en renvoyant le lecteur à des textes plus développés sur l’histoire
générale de l’Internationale communiste. Créée en 1919 et dissoute en
1943, cette organisation qui s’est voulue l’état-major de la révolution
mondiale, lors de sa fondation à Moscou au moment où la révolution
russe était assiégée, a développé son activité à l’ombre de l’État sovié-
tique et connu ses avatars. Pour autant, son histoire a sa propre dyna-
mique, liée au rôle principal qui lui fut assigné dès le départ. Il s’agissait
de créer des partis communistes puis de coordonner leur action au
service d’un projet révolutionnaire au sein duquel la défense de l’URSS
devint l’aspect principal. Le fonctionnement de cette organisation, dont
les organismes centraux se trouvaient à Moscou et les sections natio-
nales réparties à travers les cinq continents, est resté dissimulé jusqu’à
nos jours. Outre les réunions annuelles du comité exécutif et des
congrès, durant la première décennie, il y avait de très nombreuses
séances de travail des multiples organismes spécialisés dans l’action en
direction des différentes régions du monde, dans l’intervention auprès
des organisations de jeunesse, des mouvements paysans, des femmes,
sans oublier les organismes destinés à organiser la solidarité en faveur
de l’URSS. Le fonctionnement de l’IC reposait sur un système de liaison
entre le centre et les sections nationales. Le réseau s’appuyait sur des
émissaires, envoyés temporaires ou résidents à demeure, qui envoyaient
des rapports réguliers destinés à renseigner la direction du Komintern
sur la situation tant du pays que des organisations communistes locales.
En outre, chaque section nationale devait transmettre une documenta-
tion exhaustive sur son activité aussi bien idéologique qu’organisation-
nelle. Durant les années 1930, des dossiers biographiques, associés au
contrôle de cadres, vinrent encore alourdir cette documentation qui ne
cessa d’épaissir alors même que l’activité de l’Internationale perdait de
sa consistance après 1935. Les liaisons par télégrammes entre les direc-
tions des partis et le centre à Moscou prennent de l’importance dans la
dernière décennie et constituent également une documentation restée
totalement secrète jusque dans les années 1990. En fait, l’histoire de
l’Internationale communiste, après sa dissolution en mai 1943, a été

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L’historien face aux archives du Komintern 179

largement ignorée sinon dissimulée derrière une histoire officielle


faisant la part belle à chaque parti communiste et au rôle de l’URSS :
confinée à l’arrière-plan de l’histoire du communisme, elle était
méconnue et sous-estimée. L’accès aux archives du Komintern se trou-
vait doublement relégué au rang des questions subalternes et n’était pas
posé en tant que tel parce l’existence même de ces archives apparaissait
encore plus incertaine que celle des partis communistes. Ce bref rappel
met en évidence l’importance du contexte historiographique par rapport
au contexte historique et politique proprement dit. Ce dernier fut bien
sûr décisif pour que soient entrouvertes les archives avant que leur
accessibilité ne devienne la règle.
Je distinguerai trois moments dans le travail des historiens du
Komintern eu égard à ce double contexte. En premier lieu, il y eut le
temps des archives ignorées, puis vint celui des archives découvertes
avant d’en arriver à celui de l’exploration et de l’exploitation métho-
dique. Ces trois moments, qui permettent de scander comment le travail
des historiens a évolué, doivent être inscrits dans une historiographie du
communisme dont la logique s’apparente à celle d’autres champs de
l’histoire politique avec cependant des spécificités liées à ses enjeux
organisationnels propres. Elle trouva d’abord son point de départ dans
des études effectuées par d’anciens dirigeants, souvent oppositionnels
ou critiques, puis s’est très vite assortie d’un discours officiel des orga-
nisations, soucieuses d’écrire une histoire destinée à la formation des
cadres et à la justification de la politique du moment. L’histoire scien-
tifique et savante, elle aussi jamais séparée des enjeux idéologiques et
politiques, s’est déployée ultérieurement, dans les années 1960 et 1970,
ouvrant une nouvelle ère historiographique caractérisée par l’émer-
gence de travaux critiques fondés sur la publication de séries documen-
taires et le recours à de premières archives. Au tournant des années 1980
et 1990, l’accessibilité accrue des fonds d’archives a mis à l’épreuve les
travaux antérieurs et les problématiques sur lesquels ils s’appuyaient.
En tout état de cause, on entra alors dans un contexte culturel et idéolo-
gique nouveau marqué par une dilution des clivages étroitement parti-
sans tandis que les termes du débat étaient reconfigurés.
L’historiographie de l’Internationale communiste a connu ce
cheminement dans son ensemble, avec cependant des particularités
tenant à l’entrecroisement des situations nationales et à l’influence,
longtemps dominante, de l’histoire officielle soviétique. L’Internatio-
nale communiste, malgré sa durée relativement brève, avait plus de
soixante sections nationales, au début des années 1930. Son appareil
central et ses nombreuses organisations associées formaient un
ensemble protéiforme difficile à saisir globalement. De nombreux
travaux qui apportent des éclairages essentiels sur l’histoire de l’Inter-
nationale communiste sont en réalité fondés sur l’étude d’un seul parti.
L’histoire de l’Internationale communiste n’est évidemment pas
restée à l’écart des grandes évolutions politiques et idéologiques du

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180 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

monde contemporain. Pour autant, son historiographie est-elle entière-


ment à revoir ? Les ruptures politiques survenues à l’est de l’Europe ont-
elles entraîné un bouleversement tel qu’il aurait rendu entièrement obso-
lète les connaissances antérieures ? Ceux qui répondent par l’affirma-
tive invoquent l’ouverture d’archives jusqu’alors restées fermées. Or, si
l’accès aux archives de l’IC a modifié, comme nous le verrons, notable-
ment la recherche historique, il n’a pas entraîné automatiquement une
révision générale de tous les travaux historiques antérieurs. La rééva-
luation des analyses et des recherches menées jusqu’aux années 1980
ne saurait être uniforme car celles-ci avaient connu des développements
inégaux. L’exploitation des archives a ouvert de nouveaux champs
d’investigations et permis d’affiner les interprétations existantes. Ainsi,
l’historiographie de l’Internationale communiste, assez hétérogène, est
composée de strates et de pièces fort diverses qu’il faut considérer
successivement pour en avoir une appréciation globale. Elle vient
s’imbriquer avec l’histoire proprement dite de l’accès aux archives.

LE TEMPS DES ARCHIVES IGNORÉES

Pendant plusieurs décennies, les références politiques et idéologiques


constituaient la trame explicite de la plupart des travaux. La sympathie
plus ou moins affirmée des « historiens » pour leur objet devint, dès les
années 1930, un élément structurant leurs études : les premières
histoires de l’IC furent écrites par des opposants qui, mis sur la touche,
affirmaient à la fois leur fidélité aux principes fondateurs et leurs criti-
ques à l’égard de ce qu’ils estimaient être des dérives opportunistes,
bureaucratiques puis staliniennes. En dépit de cet engagement idéolo-
gique, ils jetèrent les bases d’une histoire critique nourrie d’informa-
tions et d’indications, précieuses, même si elles restèrent invérifiables
jusqu’à l’ouverture des archives. Leur expérience de l’organisation
internationale remplaçait des archives qu’ils s’employèrent parfois à
préserver ou à conserver. Aldo Agosti dans un article de référence
donne des exemples significatifs de ces premières études1. Ainsi James
publia-t-il un livre dont le titre The Rise and Fall of the Communist
International reflétait l’interprétation trotskiste opposant la dégénéres-
cence stalinienne à un mythique âge d’or léniniste2. Le livre d’Ypsilon
intitulé Stalintern est l’œuvre d’un communiste tchèque écarté de l’IC

1. A. AGOSTI, « La storiografia sulla Terza Internazionale », Studii Storici 1977,


no 1, et, pour une approche élargie, cf. les Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches
marxistes, 1980, no 2.
2. C. L. P. JAMES, World Revolution 1917-1936. The rise and Fall of the Commu-
nist International, Londres, 1937.

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L’historien face aux archives du Komintern 181

à la fin des années 19203. Quant à Elfriede Friedländer, c’est en tant


qu’ancienne secrétaire du KPD qu’elle écrivit un livre sur la politique
allemande de Staline4. D’autres livres, bien qu’écrits par d’anciens diri-
geants, constituèrent des ouvrages de références, tel celui de Borkenau
sur le communisme mondial5. Après la Seconde Guerre mondiale, la
logique de guerre froide favorisa l’émergence de deux historiographies
nettement clivées : face à l’histoire soviétique, soucieuse de défendre
une histoire officielle de l’IC, se développa, surtout aux États-Unis, une
histoire anticommuniste renforcée par l’apport des transfuges. Une
logique idéologique dominait ces travaux mais ils comportaient cepen-
dant des éléments factuels intéressants, notamment sur les liens entre
histoire de l’IC et histoire de l’URSS.

LES ARCHIVES ENTROUVERTES ET LES PREMIERS USAGES

À la fin des années 1950 émergèrent des travaux de grande qualité


élaborés à partir des diverses sources alors accessibles : furent publiés
des recueils documentaires ainsi qu’un premier dictionnaire biogra-
phique des cadres du Komintern6 qui replaçaient l’histoire de l’IC dans
l’histoire plus large des relations internationales marquées par le rôle de
la diplomatie soviétique. Les velléités réformatrices en URSS puis les
courants eurocommunistes imprégnèrent les travaux de la fin des années
1960 et des années 1970. Les ouvrages publiés au cours de cette période
faisaient désormais allusion aux archives entrouvertes et parcimonieu-
sement citées7. Ils permirent, ponctuellement, de réaliser certaines
avancées dans la recherche même si la relecture critique était limitée par
le souci de trouver les prémisses d’une orientation différente.
Pendant longtemps, les auteurs qui se sont intéressés à l’histoire de
l’IC n’étaient pas des historiens de formation mais plutôt des dirigeants
ou des militants, souvent dissidents, mais parfois encore en poste 8.
Même quand les historiens universitaires furent impliqués, ils restaient
partie prenante de préoccupations idéologiques fortement marquées.

3. YPSILON (pseudonyme de K. VOLK), Stalintern, Paris, 1948.


4. R. FISCHER, Stalin and the German Communism. A study in the origins of the
State Party, Cambridge, Massachusetts, 1948.
5. F. BORKENAU, World Communism. A history of the Communist International,
1919-1937, Michigan, 1962.
6. B. LAZITCH, M. DRACHKOVITCH, Biographical Dictionary of the Comintern,
Stanford, 1973 ; Jane DEGRAS, The Communist International, 1919-1943, documents, 3
vol., 1919-1922, I, 1956-1965, II, 1923-1928, III, 1929-1943.
7. V. M. LEIBZON, K. K. CHIRINIA, Povorot v politike Kominterna, Moscou, 1975.
8. L. TROTSKI, L’Internationale communiste après Lénine, Paris, 1930.

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Leurs sources documentaires, bien qu’abondantes, manquaient de


diversité puisqu’en l’absence d’archives, l’investigation historique
s’appuyait sur la documentation imprimée et sur les témoignages.
L’intérêt indéniable de ces deux sources était limité par la centralisation
bureaucratique croissante de l’IC et la propension à la discipline, sinon
au secret, des militants et des cadres. L’écriture historique, tributaire de
tels matériaux, revenait, selon les cas, à mettre en place un récit officiel
résultant de l’assemblage des documents jugés essentiels ou inverse-
ment à les critiquer sur la base des témoignages qui permettaient de les
disqualifier. Cette histoire, étroitement associée au combat d’idées,
s’organisait autour des enjeux de pouvoirs et des moments forts qui
avaient scandé la vie de l’Internationale communiste. Quand les histo-
riens commencèrent à avoir accès à certaines archives, qu’il s’agisse de
celles de Trotski ou de certains fonds de l’IC, le travail gagna en rigueur
et en précision même si les registres d’écriture n’évoluèrent que lente-
ment. Mais cette histoire politique s’intéressait avant tout à l’activité
publique des dirigeants et à l’interprétation des décisions de l’Interna-
tionale. Dans le meilleur des cas, le travail sur une vaste documentation
permettait de rapprocher et de comparer la politique internationale de
chaque État (l’URSS y compris) ainsi que la politique des sections
nationales de l’IC ou de ses organisations affiliées avec la politique de
l’IC en tant que telle. Cette démarche minutieuse et rigoureuse donnait
aux hypothèses une consistance nouvelle et facilitait une exploitation
pertinente des archives. Dans un premier temps, celles-ci favorisèrent
une meilleure connaissance des analyses politiques des milieux diri-
geants (de Togliatti par exemple9) et des organismes centraux, ce qui
déboucha sur des études consacrées aux évolutions stratégiques de l’IC.
Parallèlement, débutaient des travaux centrés sur l’implantation de
l’activité communiste dans des territoires ou des domaines spécifiques.
L’intérêt pour des pratiques politiques concrètes ou particulières
contribua ainsi à l’élargissement du champ d’investigation d’une
histoire politique, désormais nourrie par une documentation plus diver-
sifiée mais qui restait encore fortement déséquilibrée. Pour autant, à
côté de ces avancées persistaient des formes traditionnelles d’histoire
institutionnelle peu affectées par la citation de quelques documents
d’archives. Il en allait ainsi de l’histoire de l’IC publiée sous l’égide de
l’Institut du marxisme-léninisme avec la co-signature d’un collectif
d’anciens cadres kominterniens10.

9. E. RAGIONERI, Palmiro Togliatti, Roma, 1996.


10. Kommunisticeskij International-Kratkij istoriceskij ocerk, Moscou, 1969.

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L’ACCESSIBILITÉ ET L’EXPLOITATION MÉTHODIQUE

Malgré tout, l’accès aux archives, au tournant des années 1980 et 1990,
au moment où les anciens clivages idéologiques perdaient de leur inten-
sité, allait redonner à l’écriture de l’histoire de l’IC une nouvelle actua-
lité. Nonobstant différentes phases d’ouvertures conditionnelles et limi-
tées des archives depuis les années 1970, ce n’est qu’après 1991 que les
archives du Komintern devinrent véritablement accessibles11. Même si
l’accessibilité n’est jamais devenue complète et si une tendance régres-
sive s’est manifestée depuis 1995, il reste que la situation a radicalement
changé dans la mesure où la règle est désormais celle de l’ouverture
tandis que la fermeture demeure exceptionnelle. Le travail de recherche
en a subi les contrecoups paradoxaux. La griserie induite par l’élargis-
sement de la masse documentaire disponible a été telle que, dans un
premier temps, certains historiens avancèrent l’idée d’une rupture épis-
témologique dans l’écriture de l’histoire de l’IC puisque l’on serait passé
de l’ère des hypothèses fragiles à celle des résultats tangibles fondés sur
les documents. En fait, il est bien vite apparu que la diversité des regis-
tres d’écriture ne tenait pas uniquement à la qualité des archives. Sans
doute, celles-ci autorisaient des progrès dans la connaissance et
l’analyse mais elles posaient de nouveaux problèmes à des historiens
habitués jusqu’alors à gérer davantage la rareté que l’abondance des
sources. L’échantillonnage, l’analyse et le traitement quantitatif des
données devenaient des conditions préliminaires de la recherche. Par
ailleurs, le champ de cette dernière se trouvait élargi par l’accès à des
informations concernant le fonctionnement interne de l’Internationale
communiste. Désormais, une approche en termes d’histoire sociale
devenait possible : les séries de procès-verbaux des réunions des
instances dirigeantes, la correspondance et la documentation sur les
relations avec les sections nationales, ou les dossiers biographiques sur
les cadres, permettaient d’engager des études beaucoup plus affinées sur
les processus décisionnels, sur l’articulation du national et de l’interna-
tional et sur tout un personnel politique dont l’activité comme les itiné-
raires étaient très mal connus. C’est dans cette optique que se situent la
plupart des travaux engagés ces deux dernières décennies.
Cependant, les divergences d’approches, perceptibles dans les
registres d’écriture, n’ont pas disparu. La masse archivistique dispo-
nible a également stimulé une manière d’écrire, friande de documents,
fonctionnant surtout comme des illustrations dans le cadre d’une
histoire-récit soucieuse de révélations. Cette démarche, fort simplifica-
trice, trouvait sa justification dans la pénurie d’archives. Désormais, ses

11. Sur l’ouverture en général des archives de la période soviétique à partir de


1992-1993, voir la communication de Sabine Dullin dans ce volume.

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184 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

inconvénients l’emportent largement dans la mesure où elle sous-estime


fortement les chantiers ainsi que le travail de recherche qui restent à
engager pour avancer dans la connaissance d’une histoire dont dire
qu’elle est complexe n’est pas un faux-fuyant12.
Il reste que la disparition de l’URSS et des partis communistes au
pouvoir dans l’est de l’Europe a favorisé l’émergence de thèmes idéo-
logiques qui ont guidé les interprétations autant que le progrès des
recherches. La notion de bilan, au centre d’un ouvrage comme le Livre
noir du communisme, induit une vision linéaire de son histoire et une
lecture téléologique rétrospective de son activité. Un des aspects les
plus caricaturaux de cette démarche est celui qui réduit l’action de
l’Internationale communiste à une activité criminelle passant de l’orga-
nisation de la guerre civile ou du terrorisme à la mise en œuvre de la
terreur contre les communistes13. L’explication unilatérale ou mono-
causale, assimilant par exemple le mouvement communiste à une
simple entreprise subversive, simplifie le phénomène et s’interdit d’en
comprendre l’impact et l’ampleur14. Il est vrai que la dimension cons-
piratrice a existé et que l’Internationale communiste n’a pas échappé à
la répression stalinienne qui a décimé ses rangs ; c’est ce que les études
fondées sur la nouvelle documentation permettent d’évaluer.
Au début des années 1990, l’ouverture des fonds de l’ancien Institut
du marxisme-léninisme, où toutes les archives de l’Internationale
communiste avaient été versées, ne fit pas disparaître la diversité des
approches et des présupposés. Dans un premier temps, le climat idéologi-
que russe aidant, il fut tentant d’utiliser des archives, dont bon nombre
avaient été marquées par le sceau du secret, comme autant de pièces à
conviction pour instruire le procès de l’Internationale communiste. Bien
vite cependant, cette démarche suscita des réactions très négatives chez la
plupart des historiens et des archivistes russes comme parmi les cher-
cheurs venus du monde entier consulter des archives dont l’ouverture
restait à confirmer. De fait, certains fonds, notamment ceux des secréta-
riats de l’IC, mis en place après 1935, redevinrent inaccessibles aux cher-
cheurs tandis que d’autres n’étaient qu’entrouverts. Différents colloques,
tenus au milieu de la décennie 1990, ont permis cependant de confronter
les différentes avancées de la recherche grâce à l’exploitation scientifique
des archives. Dans un deuxième temps, des programmes internationaux
incluant les chercheurs russes ont été mis en place pour permettre un accès
informatisé aux inventaires et aux documents de la direction centrale de

12. Pour un jugement définitivement critique sur la complexité évoquée, cf.


M. LAZAR, « Le communisme français est-il un phénomène politique ? », in
S. BERSTEIN, P. MILZA (dir.), Axes et méthodes de l’histoire politique, Paris, PUF, 1998.
13. S. COURTOIS, J.-L. PANNÉ, « Le Komintern à l’action », in Le Livre noir du
communisme, crimes, terreur, répression, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 299-364.
14. A. VARKSBERG, L’Hôtel Lux, Paris, 1994.

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L’historien face aux archives du Komintern 185

l’IC15. Désormais, les débats théoriques et idéologiques concernent


surtout la méthodologie de l’histoire, en commençant par l’usage des
archives, devenues le soubassement indispensable de toutes les études.
D’une manière plus générale, l’écriture de l’histoire du communisme
international est devenue un enjeu historiographique essentiel.
Pour que les recherches sur l’histoire de l’Internationale commu-
niste intègrent les données fournies par les archives, il est nécessaire que
des instruments adéquats d’analyse et d’investigations soient mis à la
disposition des chercheurs afin qu’ils puissent travailler avec des outils
performants : c’est dans cette optique qu’il faut situer la constitution de
bases documentaires, l’informatisation des inventaires, la mise au point
de dictionnaires biographiques16. Étant donné les délais qui séparent la
mise en route des recherches et leur aboutissement, le paysage historio-
graphique n’a pas été encore fortement modifié même si des publica-
tions récentes introduisent des changements appréciables dans la répar-
tition des périodes étudiées comme dans les thèmes abordés.
Les synthèses portant sur l’ensemble de la période ont été assez
nombreuses depuis les travaux de références de Borkenau17. Parmi celles
qui émergent tant par leur qualité que par leur capacité à exprimer l’évo-
lution des conceptions et à offrir des interprétations fortes, on peut
signaler les ouvrages de Carr18, de Claudin19 ou de Hajek20 durant les
années 1970 et 1980 puis, dans la dernière décennie, ceux de Mac Der-
mott21 et de Pierre Broué22. À côté de ces livres de synthèses qui, pour
l’essentiel, traitent l’histoire de l’IC de manière chronologique, un
nombre important de recueils documentaires ont été publiés : parmi les
plus notables se dégagent ceux de Degras23 puis d’Agosti24 dans la

15. Colloque des 20-22 octobre 1994, Moscou : Centre and Periphery, The
History of the Comintern in the Light of New Documents, M. NARINSKY et J. ROJAHN
(éd.), Amsterdam, 1996 ; colloque de Dijon, 15-16 décembre 1994 : Une histoire en
révolution ? Du bon usage des archives, de Moscou et d’ailleurs, S. WOLIKOW (dir.),
Dijon, 1996.
16. B. BAYERLEIN, G. MOURADIAN, B. STUDER, S. WOLIKOW, « Les archives du
Komintern à Moscou », in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 61, janvier-mars 1999.
17. F. BORKENAU, World Communism, op. cit.
18. E. H. CARR, A History of Soviet Russia, 14 tomes, Londres, 1953-1978 ; The
Twilight of Comintern, 1930-1935, Hong Kong, 1982.
19. F. CLAUDIN, La Crise du mouvement communiste du Komintern au Komin-
form, Paris, 1972.
20. Milos HAJEK, Storia dell’internazionale communista (1921-1935), Rome,
1969.
21. J. AGNEW, K. MAC DERMOTT, The Comintern. A history of International
Communism from Lenin to Stalin, Londres, 1996.
22. P. BROUÉ, Histoire de l’Internationale, Paris, Fayard, 1997.
23. J. DEGRAS, The Communist International, op. cit.
24. A. AGOSTI, La Terza Internazionale. Storia documentaria, 6 vol., Rome,
1974-1979.

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186 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

décennie suivante, et enfin de Daniels25. Ils représentaient des outils


essentiels alors même que les archives étaient inaccessibles dans leur
globalité. Ces différents livres fournissent de façon chronologique et thé-
matique des documents extraits de la très prolifique production imprimée
des instances dirigeantes de l’IC à l’occasion notamment de leurs réu-
nions, congrès ou plénums du comité exécutif. Alors que les archives
de l’IC demeuraient encore fermées, la publication, en voie d’achève-
ment, des archives d’Humbert-Droz qui fut pendant plus de dix ans
membre de la direction de l’IC, a permis aux historiens d’aborder l’acti-
vité interne de celle-ci. La réalisation d’études documentaires synthéti-
ques sur les groupes dirigeants par Svatek puis Kahan témoignait d’une
volonté de reconstituer, malgré le secret, la composition de l’appareil
dirigeant de l’IC26. Durant la décennie 1990, les premières études fon-
dées sur l’ensemble des archives de l’IC ont permis d’ouvrir des chan-
tiers nouveaux ou de revisiter des moments déjà analysés. Les premières
années de l’IC avaient fait l’objet de nombreux travaux fondés sur les
archives et les documents publiés de Lénine et Trotski. De nouvelles
études, appuyées notamment sur les carnets de Cachin et de Souvarine,
ont permis d’avancer dans la connaissance de cette période fondatrice 27.
Les archives de la direction de l’IC ont en revanche permis de progresser
sensiblement dans la connaissance de la politique allemande du Komin-
tern en 1923. De même, la période « classe contre classe », déjà bien
étudiée par les historiens américains et français dans les décennies 1970
et 1980, peut désormais être réexaminée et associée à l’analyse de la sta-
linisation. L’époque du Front populaire qui avait également, durant ces
années, suscité des recherches novatrices d’historiens soviétiques, ita-
liens et tchèques, portant surtout sur le tournant politique de l’IC, a fait
l’objet de nouvelles recherches sur les articulations avec la diplomatie
soviétique mais aussi sur l’impact de la terreur stalinienne à l’égard des
cadres et de l’appareil kominternien28. La période postérieure, celle de
la guerre, du revirement lié au pacte germano-soviétique, de l’engage-
ment des partis communistes dans le combat antihitlérien puis de la dis-
solution de l’IC, est certainement celle qui a fait l’objet des principales
avancées de la recherche29. L’exploitation conjointe des archives de l’IC
et de certains documents diplomatiques a débouché sur la publication
d’ouvrages documentaires et d’analyses qui renouvellent profondément

25. R. DANIELS (éd.), A Documentary History of Communism, Londres, 1987.


26. V. KAHAN, Bibliography of the Communist International (1919-1979), Leyde,
1990.
27. Marcel Cachin, Carnets 1906-1947, sous la direction de Denis PESCHANSKI,
t. 2, 3 et 4, Paris, CNRS Éditions, 1993.
28. Silvio PONS, Stalin e la guerra inevitabile 1936-1941, Einaudi, 1995.
29. LEBEDEVA et M. NARINSKI, Komintern e vtoraia mirovaïa voïna, 2 vol.,
Moscou, 1994-1998.

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L’historien face aux archives du Komintern 187

les connaissances30. Deux ouvrages, parmi les plus récents, mettent en


lumière l’activité du Komintern et de ses sections nationales durant la
période des débuts de la Seconde Guerre mondiale. Le premier grâce à
l’utilisation des rapports transmis clandestinement entre Paris et Moscou
par l’intermédiaire de Bruxelles éclaire la politique du PCF durant l’été
et l’automne 1940. Au-delà des connaissances jusqu’alors fondées
principalement sur les archives de police, ces rapports fournissent des
informations extrêmement neuves sur l’activité mais aussi sur le fonc-
tionnement interne du groupe dirigeant communiste français : sa recons-
titution, ses tâtonnements, ses liaisons aléatoires. L’étude minutieuse des
archives complétées par une enquête auprès des rares acteurs survivants
a permis de reconstituer une histoire beaucoup plus complexe et riche
que les images jusqu’alors associées à la demande de reparution de
L’Humanité auprès des autorités allemandes. La politique du Komintern
en Europe, en relation avec l’évolution de la situation diplomatique et
la politique de l’URSS, peut être aujourd’hui approchée par l’étude des
télégrammes échangés entre le centre du Komintern et ses sections natio-
nales. La présentation de 300 télégrammes transmis durant la période
1939-1941 permet d’éclairer les processus décisionnels au sein du
Komintern, la difficulté de fonctionnement d’une organisation interna-
tionale dans les conditions d’un conflit international majeur et du revi-
rement diplomatique de l’URSS après la signature du pacte avec l’Alle-
magne. Ces documents totalement inédits permettent de restituer la
chronologie courte de la tactique du Komintern à l’épreuve d’un contexte
changeant et imprévu.
L’histoire de l’IC s’est cristallisée autour des questions et des
thèmes qui ont mobilisé la recherche tout en suscitant le débat. La stra-
tégie et la politique générale de l’IC comme l’étude de certaines sections
nationales ont longtemps accaparé l’essentiel des recherches. Ces
travaux qui ont connu leur embellie des années 1960 aux années 1980
ont été complétés, voire délaissés, pour des recherches centrées sur des
thèmes qui jusqu’alors, faute de données, ne pouvaient être scientifique-
ment étudiés. Ainsi, l’approche biographique s’est trouvée profondé-
ment renouvelée grâce aux sources permettant d’individualiser l’action
des dirigeants et de connaître leur itinéraire militant au sein de l’organi-
sation internationale. Plus que les biographies individuelles des princi-
paux dirigeants de l’IC, ont progressé les biographies collectives des
kominterniens moyens, des cadres intermédiaires. Les relations entre le
centre de l’IC et les sections nationales, longtemps difficilement analy-
sables, font désormais l’objet d’études beaucoup plus systématiques
grâce à une meilleure connaissance du fonctionnement des organismes

30. S. DULLIN, « Litivinov and the People’s Commissariat of Foreign Affairs : the
Fate of an Administration under Stalin, 1930-1939 », in S. PONS, A. ROMANO, Russia in
the Age of Wars, 1914-1945, Milan, fondation Feltrinelli, 2000.

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188 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

de direction et de contrôle de l’IC31. C’est ainsi qu’une histoire sociale


de l’activité politique du Komintern peut maintenant être entreprise en
s’attachant notamment à comprendre les mécanismes psychologiques et
idéologiques associés au militantisme, dans une organisation dont la
bureaucratisation et la centralisation progressives ont transformé pro-
fondément tous les aspects au cours de ses vingt-cinq ans d’existence.
En fin de compte, le véritable secret des archives, c’est certaine-
ment l’historien qui le détient sous la forme de sa capacité à les inter-
roger et à les lire. Il reste que ce talent ne peut se déployer si les condi-
tions d’accès et d’usage qui permettent de les envisager dans leur
globalité et leur spécificité ne sont pas réunies.

Serge WOLIKOW

31. A. ELORZA Y MARTA BIZCARRONDO, Queridos camaradas. La internacional


communista y espana, 1919-1939, Planeta, 1999.

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Le secret et ses usages :


les archives « sensibles » en URSS

On dit souvent qu’avec les archives de l’ex-Union soviétique, les


historiens ont trouvé leur Far East. Ainsi leur ouverture, en 1991, a-t-
elle signifié pour les soviétologues, auparavant obligés d’avancer des
interprétations à partir de sources très lacunaires, l’accès à une masse
de documents inédits, comme autant de pépites. De même, on a
tendance à imaginer que ces fonds d’archives n’obéissent à aucune
règle établie – à part celles de l’argent. L’historien qui travaille sur la
Russie ou les républiques de l’ex-URSS se voit donc communément
crédité d’une « prime de risques » : la consultation de ces archives
étant jugée périlleuse et semée d’embûches, leur utilisation s’en trouve
parfois survalorisée.
Personne ne niera que, durant les premières années d’ouverture, la
quête d’archives avait quelque chose d’exotique, d’ardu et, pour tout
dire, d’exaltant. Il est également indéniable que les difficultés rencon-
trées actuellement par les historiens dans les fonds d’archives soviéti-
ques ont le grand désavantage d’être institutionnalisées, ce qui les rend
plus dures que par le passé à contourner. En effet, après l’ouverture qui
caractérisa les centres d’archives en 1992-1993, la tendance ultérieure,
entérinée par la loi, a plutôt été dans le sens de restrictions accrues.
Encore ne faut-il pas exagérer les obstacles. Les archives de l’ex-Union
soviétique sont comme les autres, tantôt faciles d’accès, tantôt non,
selon les thèmes de recherche et les fonds sollicités. Mon propos ne
sera pas de présenter un état des lieux exhaustif des archives
aujourd’hui – d’autres l’ont déjà fait1 –, mais plutôt, en m’appuyant
notamment sur ma propre expérience dans les archives centrales de
Moscou depuis 1991, et plus particulièrement dans celles de l’État, du

1. Voir, pour un état des lieux exhaustif, les travaux de Patricia Grimsted réfé-
rencés dans la bibliographie en fin de volume. On citera son texte le plus récent,
Archives of Russia Five Years After : « Purveyors of Sensations » or « Shadows Cast to
the Past », International Institute of Social History, Amsterdam, 1997. Pour les fonds
restitués à la France, voir la communication de Sophie Cœuré et de Frédéric Monier.

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190 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Parti et de la politique extérieure, de livrer quelques remarques sur la


notion d’archive « sensible » en URSS.

ENTRE SECRET ET CONSERVATION

La loi sur les archives en Russie, qui date de juillet 1993, fixe des délais de
consultation et de prescription à peu près semblables à ceux des archives
françaises : trente ans en règle générale, à l’exception des dossiers conte-
nant des informations personnelles, pour lesquels le délai est de soixante-
quinze ans à compter de la date de leur constitution. Sur beaucoup de
sujets d’histoire sociale, culturelle, ou des représentations, les archives
de l’État et du Parti sont non seulement accessibles mais aussi très riches.
Il reste ce que l’on appelle les « archives sensibles » dans un
système où le secret formait un rouage essentiel de la conduite des
affaires. Tous les États ont leurs secrets, qui sont souvent très bien
gardés. En France, chaque fonds d’archives possède ainsi ses documents
réservés, éventuellement soumis à des formes de dérogation particu-
lière. L’évaluation de ces archives n’est pourtant pas la même selon le
sens que l’on donne au mot « sensible ». Dans le cas de l’ex-Union
soviétique, n’est pas communicable un document dont le contenu risque
de porter atteinte aux intérêts supérieurs de l’État. Rapportée aux
archives du régime soviétique, cette définition vague ne laisse pas de
poser problème. La volonté de contrôle total et, partant, la centralisation
extrême de la décision, en particulier sous Staline, ont induit une rareté
des sources au sommet et une prolifération bureaucratique aux étages
inférieurs. Elles se sont également manifestées par une codification du
secret particulièrement extensible. Le volume des documents ultra-
secrets est de ce fait sans commune mesure avec celui des documents
considérés comme attentatoires à l’image de l’État en France et,
a fortiori, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. D’où, nous le verrons,
un certain nombre de conséquences pour l’utilisateur des archives.
Si le secret était omniprésent, en revanche bien peu d’archives
furent détruites. Et c’est le deuxième point qu’il convient de souligner :
le système soviétique a été un grand conservateur d’archives. Outre la
nature bureaucratique du régime, les heurts de l’histoire russe, puis
soviétique, expliquent sans doute ce besoin de conserver2. On peut aussi

2. Il est tout à fait remarquable de voir combien les Soviétiques ont pris de précau-
tions pour mettre à l’abri leurs archives : en mars 1938, la décision était prise d’interdire
la conservation des archives secrètes dans les zones frontalières (GARF, R-8418, op.
22, d. 55) ; pendant la guerre, l’évacuation des archives était organisée et les archivistes,
évacués avec leurs archives, continuèrent à travailler au classement et à l’inventaire des
fonds. Informations de Rebecca Manley et de Catherine Gousseff.

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Les archives « sensibles » en URSS 191

avancer une autre raison : le sentiment des dirigeants soviétiques d’être


dans le « sens de l’histoire » ou, plus prosaïquement, dans leur bon
droit. À la différence de nombre d’États prompts à faire disparaître
certains documents compromettants pour leur propre image, l’État
soviétique ne s’est jamais senti coupable. Contrairement à Hitler,
Staline ne s’est pas retranché derrière ses exécutants, pas plus qu’il n’a
usé d’euphémismes quand il s’agissait de « liquider les koulaks en tant
que classe », de « nettoyer » ou de « fusiller ». Sa signature figure au
bas de 362 listes de dirigeants et cadres du Parti qui, dans 90 % des cas,
furent condamnés à mort durant la Grande Terreur, en 1937-1938 3. De
même que ses successeurs, il n’a pas fait disparaître les traces de ses
forfaits, puisque, dans leur esprit à tous, il s’agissait d’autant de batailles
justes pour avancer vers le socialisme. De ce fait, l’attitude révisionniste
qui s’est nourrie d’une absence voulue d’archives dans le cas de l’Alle-
magne hitlérienne n’est guère à craindre pour l’histoire soviétique.

D’UN USAGE ABUSIF DU SECRET

Pour légitimer une « nouvelle interprétation » – ou promouvoir un


ouvrage –, on a souvent tendance à annoncer qu’elle a été bâtie à partir
d’archives de l’ex-Union soviétique, archives auxquelles on accole
immédiatement le qualificatif de « secrètes », comme si cela allait de soi.
Oui, les archives soviétiques sont inédites. C’est indéniable. La
soviétologie – faut-il le répéter ? – s’est construite depuis l’entre-deux-
guerres à partir de théorisations et d’interprétations reposant sur les
sources officielles et les témoignages des dissidents, et l’étude de
l’URSS n’a pu commencer à adopter les méthodes de l’histoire contem-
poraine, fondées avant tout sur l’analyse d’un corpus cohérent et consé-
quent d’archives, que depuis une dizaine d’années4. Le caractère inédit
de la source, à défaut de celui de l’interprétation, est donc encore pour
un certain temps, au vu de la masse archivistique, l’un des atouts de
l’historien qui travaille sur l’Union soviétique.
Oui, les documents soviétiques portent très souvent la griffe
« secret » ou « ultrasecret ». Le système soviétique avait érigé le ration-
nement de l’information en mode de gouvernement. L’usage de la notion

3. Voir la 1re partie de « Un État contre son peuple » de Nicolas WERTH dans
Le Livre noir du communisme, op. cit., p. 263-270.
4. Voir sur ce point l’article de Nicolas WERTH : « De la soviétologie en général et
des archives russes en particulier », Le Débat, nov.-déc. 1993, p. 127-144, et Sabine
DULLIN, « Les interprétations françaises du système soviétique », in M. DREYFUS et alii,
Le Siècle des communismes, Paris, les Éditions de l’Atelier, 2000, p. 47-65.

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192 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

de secret d’État était très étendu : même les membres de l’instance diri-
geante du parti communiste que constituait le Bureau politique n’étaient
pas au courant de certaines affaires traitées en petites commissions et ran-
gées dans des dossiers spéciaux (osobye papki) réservés à la lecture des
trois ou quatre personnes chargées de l’exécution de la décision. Dès
1927, l’OGPU avait établi une liste de domaines relevant du secret d’État
(répression, défense, mais aussi tout ce qui concerne les liens avec
l’étranger : devises, diplomatie, etc.). Un corps de courrier spécifique au
sein du NKVD, le Feldeguerskij Korpus, était chargé de transmettre les
documents les plus secrets. Cette opacité voulue et institutionnalisée, qui
limitait et cloisonnait l’accès à l’information, est très facilement visuali-
sable à la lecture des documents d’archives. Tel chef d’administration
pouvait recevoir pour exécution le point 5 alinéa b d’une directive sans
connaître la teneur du reste de la directive qui se trouvait dans un dossier
spécial réservé. Un fonctionnaire pouvait également recevoir un docu-
ment où la liste des destinataires était incomplète, les noms des destina-
taires extérieurs à l’institution ayant été découpés, et cela de façon visible.
C’était un moyen somme toute assez efficace pour éviter à la plupart des
acteurs du système d’avoir les outils nécessaires pour se créer une marge
de manœuvre ou pour devenir lucides sur le régime au service duquel ils
travaillaient. Sous Staline, cela fonctionna indubitablement, et d’autant
plus après les grandes purges de la fin des années 1930 qui démantelèrent
tous les réseaux pouvant faire office de canaux parallèles d’informations.
Cet usage du secret et de la confidentialité entraîne un certain
nombre de conséquences au niveau du classement et de la localisation
des archives. L’ampleur des dossiers conservés aux Archives présiden-
tielles en est une illustration, de même que l’accès fermé aux archives
du KGB et quasi fermé aujourd’hui au RGANI (archives du Comité
central depuis 1953). L’accessibilité réduite aux archives du ministère
des Affaires étrangères ou à celles de la Défense, qui gèrent eux-mêmes
et selon leurs propres règles leurs fonds d’archives, entre également
dans cette logique du secret mise en place par un État soviétique qui
considérait l’ensemble des activités de ces deux ministères comme rele-
vant du secret d’État. Par ailleurs, dans les fonds d’archives plus ouverts
comme ceux du RGASPI (archives du Parti et du Komintern5 avant
1953) et du GARF (archives de l’État), il existe des inventaires spéciaux
qui nécessitent, avant d’être consultables, une procédure de déclassifi-
cation, le rythme de cette dernière variant en fonction de la conjoncture
politique et des administrations parties prenantes. Les grands projets de
coopération internationale lancés il y a dix ans entre les fonds d’archives
comme le RGANI ou les archives de politique extérieure et des fonda-
tions comme la Hoover Institution, le Centre Woodrow Wilson pilotant
le Cold War International History Project, ou encore l’Institut Nobel à

5. Voir la communication de Serge Wolikow dans ce volume.

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Les archives « sensibles » en URSS 193

Oslo, ont certes permis la publication de documents décisifs en Occi-


dent et l’accès aux inventaires microfilmés dans quelques grandes
bibliothèques universitaires, mais n’ont guère favorisé un accès à
l’ensemble des chercheurs sur place, induisant plutôt, par le biais des
microfilmages et des contrats d’exclusivité, des difficultés supplémen-
taires pour tous ceux qui n’étaient pas associés aux projets.

LES ARCHIVES PRÉSIDENTIELLES : MANNE OU MIRAGE ?

Le fonds des archives présidentielles, créées par Mikhaïl Gorbatchev en


1990, a nourri et continue à nourrir bien des fantasmes. Rares sont les
historiens à y avoir eu accès. Symbolisant les arcanes du Kremlin, les
documents qui s’y trouvent, rêvés comme autant de scoops, sont censés
« révéler » la vérité du système. Ce fonds ne regroupe-t-il pas
l’ensemble des archives du Bureau politique, des secrétaires généraux
et des principales personnalités du Parti ? À ce titre, on y trouve bien sûr
les documents décisifs qui permettent d’épargner au chercheur le travail
de fourmi visant, à partir des documents accessibles dans les autres
fonds d’archives, à reconstituer les politiques adoptées au Kremlin.
À l’époque de Boris Eltsine, et pour des raisons de conjoncture
politique, toute une série de documents issus de ces archives avaient été
déclassifiés. Leur exhumation devait servir à améliorer les relations de
l’URSS avec les anciens pays du bloc (par exemple dans le cas du
mémorandum ordonnant l’exécution des officiers polonais dans la forêt
de Katyn, ou dans celui des sténogrammes des réunions du Bureau poli-
tique du PCUS lors de l’intervention en Tchécoslovaquie ou pendant la
crise polonaise), mais aussi à fournir à la cour constitutionnelle de quoi
intenter un procès contre le parti communiste (sommes fournies aux PC
étrangers, campagnes de désinformation et d’infiltration lancées en
Europe par Andropov, quand il était chef du KGB, etc.). Un grand
nombre ont été scannés en 1992 par le dissident Vladimir Bukovsky,
invité comme témoin dans le cadre de la préparation du procès, et se
trouvent aujourd’hui accessibles sur le Web6.
Cette sélection de documents déconnectés de leur contexte, pour
alléchante qu’elle soit, ne peut constituer qu’un complément des fonds
d’archives ouverts. Elle permet surtout de dresser une chronologie plus
précise des actes et des décisions du régime, dévoilant par exemple
certaines opérations répressives méconnues jusqu’alors. Cependant, on
reste souvent sur sa faim quant aux motivations. Les secrétaires géné-
raux et leur entourage n’étaient pas toujours très prolixes, à l’écrit en

6. http://psi.ece.jhu.edu/~kaplan/IRUSS/BUK.

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194 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

tout cas, sur les motifs de leur politique, même si, à l’époque de
Khrouchtchev et de Brejnev, davantage de choses sont dites et retrans-
crites au niveau des plénums du Comité central et des séances du Bureau
politique. C’est là une des limites d’une approche purement positiviste.
L’interprétation des faits nécessite en effet de se familiariser avec le
système dans sa globalité. Bien des actes s’éclairent, non pas en cher-
chant le document explicatif écrit de la main de Staline et qui, parfois,
n’existe pas, mais en fréquentant les méandres ascendants et descen-
dants de la pyramide de papier laissée par les bureaucrates soviétiques.
Le recours à des témoignages écrits ou oraux est également précieux et
la fondation Memorial, qui récolte tous les témoignages de la répres-
sion, de même que la fondation Gorbatchev, qui possède une collection
d’entretiens oraux des responsables soviétiques à l’heure de la Peres-
troïka, procèdent d’une démarche qui pourrait s’élargir à d’autres pans
de l’histoire soviétique.
La difficulté d’accès, voire la fermeture totale d’un certain nombre
de fonds d’archives, ne proviennent pas seulement de cet usage sovié-
tique du secret. Ces attitudes se nourrissent aussi d’un rapport spécifique
au passé. L’ouverture maximale des archives a été l’année 1992, où la
rupture avec le passé communiste fut une des priorités du gouvernement
de Boris Eltsine. Pendant cette année, même les dossiers personnels
étaient parfois consultables afin de déterminer les responsabilités des uns
et des autres et de redonner leur dignité aux victimes du système. La loi
de juillet 1993 modifia le sens de cette ouverture, soulignant par les
notions de secret d’État et de protection des personnes la prédominance
de la continuité étatique entre l’ancien et le nouveau régimes. L’idée d’en
finir avec un régime totalitaire en le dévoilant le plus possible était
révolue ; seul comptait désormais le nécessaire respect de l’État russe et
de ses agents. C’est ainsi que l’on peut comprendre la différence entre
des archives du KGB quasi fermées et des archives de la Stasi est-alle-
mande grandes ouvertes7. L’Allemagne réunifiée ne se sent en rien rede-
vable des actes de la RDA, tandis que la Russie de Poutine s’inscrit de
plus en plus dans le sillage de l’URSS. Rappelons tout de même qu’il
est aujourd’hui question d’ériger de nouveau, à Moscou, sur la place de
la Loubianka, la statue de Dzerjinski, le fondateur de la Tcheka, ancêtre
du KGB – statue dont le démontage, en 1991, avait pourtant été le
symbole des temps nouveaux. Il faudrait bien sûr ajouter que certains
excès et dérapages en 1992-1993, vécus par les Russes comme du
« photocopillage », ont provoqué un réflexe de défense du patrimoine
national en le dérobant à la vue et à l’avidité des Occidentaux.

7. Sandrine Kott évoque la « surabondance » des archives de RDA mais souligne,


qu’au lieu de révéler une « vérité » dissimulée, la profusion des documents fait souvent
« écran », in « Pour une histoire sociale du pouvoir en Europe communiste », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, avril-juin 2002, p. 9.

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Les archives « sensibles » en URSS 195

LE CAS DES ARCHIVES DE POLITIQUE EXTÉRIEURE

On retrouve aux archives de politique extérieure de la Fédération de


Russie, mais en plus exacerbées qu’ailleurs, l’ensemble des préoccupa-
tions que je viens de mentionner : caractère secret de l’activité diploma-
tique qui impose un temps long de déclassification ; argumentation
omniprésente sur la sécurité de l’État pour des archives que les respon-
sables continuent à considérer comme opérationnelles, même plus de
trente ans après ; réflexe protectionniste qui se traduit en particulier par
le refus de communiquer les inventaires.
En 1991, les chercheurs n’avaient à leur disposition qu’une salle de
lecture d’environ huit places attenante au bureau du directeur adjoint du
département historique du MID. Ils devaient prendre leurs notes sur des
petits cahiers d’écolier qu’ils laissaient, en partant, dans une armoire en
fer renfermant aussi les dossiers consultés. Quand un cahier était fini, il
était transmis au directeur et recevait un tampon de sortie. Par ailleurs,
il fallait batailler ferme pour obtenir autre chose que des revues de
presse ou des documents déjà publiés dans des recueils. À partir de
1993, le travail de recherche devint un peu plus facile. Avec de la téna-
cité, il était possible de recevoir des documents importants, par exemple
la correspondance échangée entre la direction du ministère et le Comité
central du Parti. En revanche, les télégrammes chiffrés restaient des
documents réservés, divulgués uniquement dans le cadre de publica-
tions bilatérales de documents diplomatiques. Ces dernières années, la
situation s’est de nouveau dégradée. Le ministère des Affaires étran-
gères retarde la déclassification des documents transférés des archives
présidentielles vers les archives du Parti, dès l’instant qu’il s’agit de
documents de politique extérieure. Au RGASPI, le fonds Molotov est
ainsi entièrement consultable… à l’exception des dossiers concernant
son activité en tant que ministre des Affaires étrangères !
Il serait pourtant trompeur d’établir un lien entre cette difficulté
d’accès et un contenu supposé subversif ou déstabilisant des documents
conservés. Anatoli Prokopenko, directeur en 1993 du RGANI, recon-
naissait lui-même que, dans les documents à déclassifier, « seul un petit
nombre d’entre eux contiennent véritablement des secrets8 ». De même,
bien des documents diplomatiques sont classés « ultrasecrets » pour la
seule raison que c’est la règle dès lors qu’un des destinataires est exté-
rieur au ministère. Il y eut ainsi, voici quelques années, une polémique
sur le sens à accorder aux dnevniki, ces journaux d’ambassade dans
lesquels chaque diplomate soviétique fait le compte rendu de ses
conversations. Analysés parfois comme des documents d’agents de

8. Mark KRAMER, « Archival Research in Moscow. Progress and Pitfalls »,


CWIHP Bulletin, automne 1993, p. 18.

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196 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

renseignements à cause de leur caractère ultrasecret et de leurs destina-


taires (outre la direction du ministère, ils étaient adressés aux principaux
membres du Bureau politique), il s’agissait en fait de documents rele-
vant d’une des fonctions premières de n’importe quel diplomate, la
rencontre avec les personnalités du pays où il est en poste et la transmis-
sion à sa hiérarchie de ce que l’on peut en tirer d’intéressant9. Sans
conteste, ce genre d’interprétation des documents a eu un impact néfaste
sur le personnel des archives de politique extérieure, contribuant à
renforcer leur méfiance à l’égard de lecteurs jugés malintentionnés.
Toutefois, le principal obstacle lorsqu’on veut travailler dans les
archives de politique extérieure est ailleurs. Il s’agit de l’absence
d’inventaires accessibles aux chercheurs, à l’exception depuis quelques
années d’une liste sommaire des fonds10. Les historiens sont ici soumis
au bon vouloir des archivistes qui sélectionnent à leur place les dossiers
en fonction du thème de la recherche. Cette pratique constitue bien
évidemment, pour la direction des archives, un moyen de garder le
pouvoir et de placer les chercheurs dans un état d’ignorance quant à la
globalité des dossiers disponibles. Certes, elle est plutôt spécifique aux
archives de l’ex-URSS, mais on peut lui trouver des équivalences en
France, par exemple aux archives de la préfecture de police. L’argument
invoqué est qu’il s’agit d’instruments de travail interne – donc, non
destinés à un usage extérieur. Il est vrai que l’historique et le descriptif
qui introduisent la plupart des inventaires constitués à l’époque sovié-
tique sont en eux-mêmes des sources d’informations précieuses pour
bien évaluer l’importance des documents, mais aussi pour se familiariser
avec les rouages internes d’un ministère ou d’une administration. De ce
côté-là, on peut dire que les inventaires soviétiques, quand on peut y avoir
accès, sont beaucoup plus satisfaisants intellectuellement que nombre
de leurs équivalents français jusqu’à une période récente11. Comme le
soulignent Sophie Cœuré et Vincent Duclert, la « quête de sources
dépend considérablement de la connaissance par le chercheur de leur
processus de constitution matérielle, juridique et intellectuelle12 ». Mais

9. On trouve une documentation approchante au Quai d’Orsay, que ce soit au plus


haut niveau dans la série « entretiens et messages » ou tout simplement dans la corres-
pondance diplomatique des ambassades.
10. Le classement des archives de l’ex-URSS se fait sur trois niveaux : le fonds,
l’opis’ et le dossier. C’est au niveau intermédiaire que se situent les inventaires.
11. Une prise de conscience de la nécessité d’un historique et d’une identification
institutionnelle des fonds s’est faite en France plus récemment. Il suffit de constater la
différence de présentation des inventaires du Quai d’Orsay, entre les séries de l’entre-
deux-guerres et celles de l’après-guerre reclassées récemment dans le cadre d’une
ouverture jusqu’en 1966-1970 ; voir à titre d’exemple la série « Secrétariat général
1945-1966 », introduite par Pierre Fournié.
12. Sophie CŒURÉ, Vincent DUCLERT, Les Archives, Paris, La Découverte,
« Repères », 2001, p. 10.

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Les archives « sensibles » en URSS 197

c’est bien ce processus que le ministère des Affaires étrangères russe ne


tient pas à rendre public. Pourtant, l’aide financière et logistique fournie
par l’Institut Nobel ou le Centre Woodrow Wilson aurait dû servir, non
seulement à la déclassification des documents, mais également à la cons-
titution de catalogues des fonds pour les utilisateurs des archives. Cette
bataille autour des inventaires ne s’explique sans doute pas uniquement
par le désir de rétention d’information ou par une pure routine bureau-
cratique. Il existe peut-être aussi un enjeu financier. La seule façon
d’avoir réellement une chance d’accéder aux inventaires est en effet
d’être partie prenante dans un projet de publication avec le ministère.
En revanche, d’autres centres d’archives ont fourni un travail
immense pour éditer des guides à l’intention des lecteurs. Outre un
guide général des fonds, le GARF a créé une collection entière consa-
crée à la publication de catalogues spécialisés, très détaillés, qui permet-
tent de travailler en amont et beaucoup plus efficacement13. Quoique
encore peu ouvertes, les archives militaires ont également fait un effort
considérable pour publier des instruments de travail, y compris un guide
sur les archives spéciales, qu’elles soient restées à Moscou ou qu’elles
soient revenues dans leur patrie d’origine. Un tel guide n’existe pas
encore du côté français14.
Cependant, à l’exception notable du GARF, on peut dire que, dans
les archives centrales de l’ex-URSS, on ne donne pas les inventaires
facilement. Rarement en accès libre, et très souvent sous clé, ils sont
parfois indisponibles car ils servent également aux archivistes. Certains,
en particulier lorsqu’il s’agit de documents déclassifiés, ne se trouvent
pas dans les salles de lecture et doivent être commandés. On a parfois
la surprise de découvrir au cours de sa recherche des cartothèques ou
des inventaires spécifiques dont on ne connaissait pas l’existence. On
l’aura compris, il est pour le moins difficile d’établir un plan de travail
quinquennal avec un panorama prévisionnel des dossiers à dépouiller.
Mais cela fait aussi tout le charme du travail dans les archives de l’ex-
URSS, le contact personnel avec les archivistes étant, plus encore qu’en
France, un élément déterminant du travail de l’historien.
Comme on vient de le voir, pour l’historien qui travaille dans les
archives centrales de l’ex-Union soviétique, l’accès aux documents se
fait à géométrie variable, en fonction des centres d’archives. De plus, et
ce n’est pas le moindre des paradoxes, les archives dites sensibles sont

13. À titre d’exemples, ont été publiés dans cette collection une série de catalogues
des fonds du secrétariat du NKVD/MVD : en 1994, la liste détaillée des documents issus
des « dossiers spéciaux » (osobye papki) de Staline et de Molotov (années 1944-1953),
en 2000, ceux de Beria (années 1950-53) ; en 1999, la liste des décrets du NKVD pour
les années 1934-1941.
14. Sur cet aspect, se reporter à la communication de Sophie Cœuré et de Frédéric
Monier dans ce volume.

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198 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

plus accessibles sur certains sites Internet américains et dans les publi-
cations qui en dépendent que sur place15. Cette diffusion est certes utile
pour rendre accessibles aux personnes intéressées en langue anglaise
une collection de documents décisifs mais, trop parcellaire et sélective,
elle ne peut véritablement servir de base au travail de l’historien. Toutes
ces difficultés empêchent-elles de faire l’histoire du politique en
URSS ?

CONCLUSION : DÉPLACER LE REGARD

Étant donné la toute-puissance du Parti et de ses secrétaires généraux,


on s’attend à ce que les clés de compréhension du régime politique en
URSS résident dans l’étude des grandes figures de l’histoire soviétique
(Staline, Khrouchtchev, Brejnev) ainsi que des mécanismes du pouvoir
au Kremlin16. Sans négliger ces aspects essentiels, on peut dire toutefois
que les travaux récents ont le plus souvent préféré des observatoires
davantage situés à des niveaux intermédiaires ou périphériques17.
S’agit-il pour autant d’une simple stratégie de contournement ? C’est
bien évidemment un élément qui entre en ligne de compte. Faute
d’accès aux archives décisives, l’historien doit bien travailler sur les
sources disponibles, celles de l’immense machine administrative sovié-
tique tant au centre que dans les régions et les anciennes républiques.
Cette stratégie semble même essentielle dans le cas des études actuelles
sur la politique extérieure soviétique. La nécessité de contourner
l’obstacle moscovite des archives du ministère des Affaires étrangères
de la Fédération de Russie entraîne en effet une utilisation accrue des

15. Le site du Cold War International History Project (http://cwihp.si.edu) où on


peut accéder à un certain nombre de dossiers sur la politique extérieure de l’URSS (sur
l’intervention soviétique en Afghanistan, sur les conversations Mao-Khrouchtchev)
ainsi que le site de Parallel History Project on NATO and the Warsaw Pact (http://
www.isn.ethz.ch/php) où on peut lire les plans du pacte de Varsovie.
16. Cf. en particulier Oleg KHLEVNIOUK, Le Cercle du Kremlin, Paris, Éditions du
Seuil, 1996.
17. Si l’on se limite aux travaux français, ont été étudiées en particulier l’adminis-
tration du NKVD, celle de la statistique et celle des Affaires étrangères. Nicolas WERTH,
« Un État contre son peuple », dans Le Livre noir du communisme, op. cit. ; Alain BLUM,
Martine MESPOULET, L’Anarchie bureaucratique. Statistique et pouvoir sous Staline,
Paris, La Découverte, 2003, 372 p. ; Sabine DULLIN, Des hommes d’influences. Les
ambassadeurs de Staline en Europe, 1930-1939, Paris, Payot, 2001. Le numéro spécial
des Cahiers du monde russe sur « La police politique en Union soviétique 1918-1953 »
met en valeur les travaux récents sur le NKVD au niveau local et surtout au niveau des
républiques d’Ukraine et des pays Baltes.

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Les archives « sensibles » en URSS 199

fonds plus ouverts, conservés dans les centres d’archives du Parti et de


l’État des ex-démocraties populaires18.
Toutefois, le déplacement du regard a surtout valeur heuristique :
faire une histoire du politique et non plus une histoire politique en inté-
grant les aspects humains, institutionnels, sociaux et culturels de l’exer-
cice du pouvoir et du service de l’État-Parti en URSS19. C’est bien là
l’enjeu des monographies engagées depuis l’ouverture des archives sur
différents types d’administrations et d’administrateurs. Les réflexions,
déjà largement abouties pour d’autres pays sur la part des hauts fonc-
tionnaires dans la pratique décisionnelle, les conflits d’intérêt entre
administrations, l’identité de groupes d’administrateurs et leur position
par rapport au pouvoir et à ses valeurs, mais aussi par rapport à la
société, nécessitent dans le cas soviétique de laisser de côté – peut-être
momentanément – les concepts globalisants de bureaucratie ou de tota-
litarisme pour adopter une démarche résolument concrète. C’est ainsi
que l’État soviétique, resté jusque-là très largement désincarné, a
commencé à prendre une forme vivante et complexe. Le parcours de la
moindre directive, la circulation d’une information, l’usage que l’on fait
d’un rapport, sont en eux-mêmes des indicateurs fins du niveau quoti-
dien de contrôle et d’emprise du pouvoir sur la société. La liasse d’avis
contradictoires émanant d’administrations aussi diverses que les
Finances, le NKVD, la Commission centrale de contrôle ou les Affaires
étrangères, à propos de tel projet, voté finalement au Bureau politique
du Parti avant de prendre la forme d’un décret du gouvernement sovié-
tique, voilà de quoi entrer de plain-pied dans les pratiques et les modes
de gouvernement incluant des rivalités administratives fortes, des arbi-
trages rendus au sommet du Parti, mais aussi le maintien vaille que
vaille d’une fiction de légalité soviétique à usage tant interne
qu’externe. Quant aux milliers de questionnaires remplis par les
membres du Parti qu’ils soient simples militants, petits bureaucrates ou
hauts fonctionnaires, ils fournissent un matériau extraordinaire tant
individuel, avec bien des destins brisés mais aussi des carrières fulgu-
rantes, que collectif pour saisir comment et par qui fonctionnait le
régime20.

18. Les récents bulletins du Cold War International History Project en


témoignent : voir les archives de RDA sur la querelle sino-soviétique par exemple.
19. Un premier bilan a été fait lors des journées d’études internationales « Servir
l’État. Les pratiques administratives en URSS », décembre 2001, à paraître dans Les
Cahiers du monde russe en 2003.
20. C’est le sens du projet PICS lancé par le Centre du monde russe, soviétique et
post-soviétique de l’EHESS et qui, par un dépouillement massif des données biographi-
ques, vise à constituer des prosopographies d’administrations soviétiques.

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200 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Pour conclure, on pourrait dire que c’est bien plus par l’ouverture
des vastes fonds de chaque administration, chaque échelon du Parti, que
par l’accès à quelques documents sensationnels que la « révolution
documentaire » induite par l’effondrement de l’URSS est susceptible
d’apporter un renouvellement méthodologique.

Sabine DULLIN

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16_Archsecr_CN Page 201 Mardi, 27. mai 2003 5:53 05

Faire l’histoire
de la censure politique

Faire l’histoire de la censure, cela revient-il à inventer un nouveau


problème, une nouvelle approche ou un nouvel objet ? À s’en tenir à
l’approche juridique du problème, la censure cesserait d’exister comme
objet en France en 1830 ; demeurent cependant les parenthèses des
régimes politiques restreignant l’exercice des libertés1 depuis 1830 et
les entorses aux libertés en démocratie2. À vrai dire, ni le problème ni
l’objet ne sont nouveaux, investis par l’histoire de l’imprimé et de la
littérature, le droit et la science politique, mais aussi l’histoire culturelle
et l’histoire de l’art3. L’approche comme le territoire ne sont pas totale-
ment inédits si l’on regarde le colloque programmatique dirigé par
Pascal Ory en 1994 sur la censure en France à l’ère démocratique, de
1848 à nos jours4. Ce dernier a trouvé des prolongements dans les
travaux du groupe de recherches « censures » du centre d’histoire cultu-
relle des sociétés contemporaines de l’Université de Versailles-Saint-
Quentin-en-Yvelynes, notamment sous l’impulsion de Jean-Yves
Mollier5. En histoire moderne et contemporaine, l’étude de la censure
s’est autant portée sur les objets culturels que politiques, en observant
des manifestations culturelles comme la production scientifique6.

1. Maxime DURY, La Censure, Paris, Publisud, 1995, 325 p.


2. Jean-Pierre MACHELON, La République contre les libertés ?, Paris, 1979,
PFNSP, 462 p.
3. Censures, de la Bible aux Larmes d’Eros. Le livre et la censure en France, Paris,
Éd. du Centre Georges-Pompidou/BPI, 1987, 216 p., et Philippe DAGEN, Le Silence des
peintres. Les artistes face à la Grande Guerre, Paris, Fayard, 1996, 338 p.
4. Pascal ORY (dir.), La Censure en France à l’ère démocratique. Déclin et survi-
vance (1848-…), Bruxelles, Complexe, 1997, 357 p.
5. Le centre a consacré un colloque en 2002 à « Censure et imprimé (Belgique,
France, Québec, Suisse) XIXe-XXe siècles », à paraître en 2003 aux éditions Fides. Il
annonce une journée d’études sur le thème « censure et auto-censure : l’explicite et
l’implicite », le 28 mars 2003.
6. Georges MINOIS, Censure et culture sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1995,
335 p.

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16_Archsecr_CN Page 202 Mardi, 27. mai 2003 5:53 05

202 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Faire l’histoire de la censure politique invite à s’inscrire délibérément


dans le champ d’une histoire politique attentive non seulement aux mots
mais aux lieux, aux espaces du politique, comme aux pratiques et au rap-
port au droit dans l’exercice des pouvoirs. Pourtant, à quelles conditions
est-elle possible et avec quelles espérances de résultats ? Toute étude nou-
velle s’inscrit dans une historiographie qui est promesse d’horizon nou-
veau. Notre contribution s’oriente vers les archives et leur exploitation
spécifique puis vers les promesses du territoire de recherches.

LES ARCHIVES ET LEUR EXPLOITATION

Le premier enjeu tient dans le repérage, sinon « l’invention » des


archives, et leur traitement. La distinction entre les archives de la
censure et des archives donnant à voir la censure est élémentaire. Les
premières sont rares, surtout en démocratie libérale qui répugne, théo-
riquement, mais non en pratique comme on le verra, à recourir à ses
usages, les secondes nombreuses au pays proclamé de la défense des
libertés. L’histoire de la censure politique repose sur ce paradoxe que
l’invocation et l’indignation devant la censure sont d’autant plus fortes
que les archives donnant à voir son histoire sont rares. S’appliquant au
livre et à la pensée, elle est en accusation universelle devant le tribunal
des écrivains et des penseurs. Voilà pourquoi son histoire est, en premier
lieu, indissociable de celle de l’imprimé, du livre, des images enfin.
L’histoire de l’imprimé a fait un détour par celle de la censure7. Cette
thématique a été illustrée par les travaux fondateurs de R. Chartier sur
le XVIIIe siècle et J.-Y. Mollier sur l’édition au XIXe siècle. La critique de
la censure sociopolitique et religieuse constitue un pan de l’histoire de
l’Ancien Régime8. Son histoire est bien connue aux XVIIe et XVIIIe
siècles, des académies à la librairie. En est-il de même à l’époque
contemporaine où les formes de la censure politique se font moins
officielles ? De l’« enfer » de la Bibliothèque nationale aux listes Otto
de 19409, en passant par la censure des bibliothèques municipales (liste
des livres de la Bibliothèque administrative de la Ville de Paris en

7. Robert NETZ, Histoire de la censure dans l’édition, Paris, PUF, 1997, 128 p. ;
pour une rapide synthèse sur le sujet, on prendra surtout Roger CHARTIER, Henri-Jean
MARTIN, Histoire de l’édition française, Paris, Promodis, 4 volumes, 1982-1984.
8. Lucien BÉLY (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, PUF, 1996.
9. Pascal FOUCHÉ, L’Édition française sous l’Occupation 1940-1944, Biblio-
thèque de littérature française contemporaine, 1987, et sous la direction du même,
Dictionnaire encyclopédique du livre : A-D, Paris, Éditions Électre-Cercle de la
Librairie, 2002, 900 p.

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16_Archsecr_CN Page 203 Mardi, 27. mai 2003 5:53 05

Faire l’histoire de la censure politique 203

191710), les fonds particuliers sont plus ou moins aisément repérables


dans les dépôts publics nationaux et départementaux, en raison de
l’inégalité du travail d’inventaire. Entre raison d’État et raison d’Église,
la censure a donc un lourd passé d’histoire qui se confond d’abord avec
celle de l’imprimé.
Il est certes aisé de repérer les archives publiques et nationales de
la censure, notamment aux Archives nationales pour la censure des XIXe-
XXe siècles grâce à l’excellence des inventaires d’archives, sinon des
travaux pionniers. L’analyse de la presse est un préalable au sujet, en
mettant l’accent sur la presse d’opinion et la presse périodique des
revues11, cibles de la censure d’État au XIXe siècle. L’histoire politique
du XIXe siècle a fait de l’étude des libertés et de leur conquête un terrain
de prédilection. C’est davantage par l’histoire anthropologique de
l’État, de ses pratiques et de sa construction dans la longue durée que
l’objet serait ici appréhendé12. La documentation de la censure drama-
tique ou théâtrale au XIXe siècle a ainsi été remarquablement analysée
par Odile Krakovitch13. Les sous-séries F7 (police générale), F18 (impri-
merie, librairie, presse, censure), plus exceptionnellement la sous-série
F23 sur les services extraordinaires en temps de guerre (1914-1918 et
1939-1945), identifient une documentation assez explicite sur la
censure d’État. Plus inattendue, non sans intérêt pour notre sujet, la
sous-série BB18 permet l’étude de certains procès à caractère politique,
sinon idéologique, mettant en jeu le pouvoir et la presse14. L’avant et
l’après 1905, avec la suppression du chapitre du budget de la censure au
ministère des Beaux-Arts, date la censure d’État à la période démocra-
tique hormis les périodes de conflits restrictives pour l’exercice des
libertés. L’histoire administrative de la censure politique aurait donc
une césure chronologique aisée à marquer en histoire contemporaine. À
vrai dire, la censure se dérobe souvent à l’analyse en contournant la loi.

10. Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de la Ville de Paris, Paris, 1988,


245 p. Archives cotées 156 à 159, commissions locales de bibliothèques, procès-
verbaux ; listes d’achat des livres pour les bibliothèques populaires.
11. Claude BELLANGER (dir.), Histoire générale de la presse française, Paris, PUF,
4 tomes, 1972.
12. Pierre ROSANVALLON, La Monarchie impossible. Les chartes de 1814 et 1830,
Paris, Fayard, 1994, p. 7., et Histoire de l’État en France de 1789 à nos jours, Paris,
Éditions du Seuil, 1990, 370 p.
13. Jean FAVIER (dir.), Les Archives nationales. État général des fonds, tome II,
sous la direction de Rémi Mathieu, 1789-1940, p. 343-346, en renvoyant à la sous-série
F18 579 à 1725 sur la censure dramatique des cafés et spectacles à Paris de 1786 à 1906.
On recourt également à la sous-série F21 pour l’administration des institutions cultu-
relles. Cf. Odile KRAKOVITCH, « La censure théâtrale de 1830 à 1850 », thèse, Univer-
sité d’Aix-en-Provence, 1979, et Hugo censuré. La liberté du théâtre au XIXe siècle,
Paris, Calmann-Lévy, 1985, 308 p.
14. Marc-Olivier BARUCH et Vincent DUCLERT (dir.), Justice, politique et Républi-
que : de l’Affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2002, 266 p.

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204 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Censurer le goût, la morale, les contestations de l’ordre établi, mais


aussi les images des violences d’État et de guerre, a longtemps été impli-
cite dans l’action publique. Les guerres sont les événements les plus
représentés, et des plus surinvestis dans la mémoire, mais aussi les plus
déformés et masqués au regard et à la conscience15.
Il est ainsi possible de faire l’histoire, désormais bien connue, de la
censure du XIXe siècle avec les dossiers de la surveillance des spectacles
et cafés-concerts de la préfecture de police de Paris, incorporant la
Première Guerre mondiale16. L’étude des livrets et des chansons politi-
ques interdits du Second Empire à la IIIe République y est réalisable
(séries Ba/Bb et versements Ga/Gb depuis 1996 pour des biographies et
surveillance de personnages suspects). Si la chanson anarchiste et sociale
perd de sa vigueur après 1918, elle demeure un objet original de saisie
des contestations et de la critique du pouvoir17. L’étude des contestations
et résistances à la République dévoile la confiscation et l’interdiction de
la parole, de l’écrit et de l’image à l’heure du syndicalisme anarchiste,
des manifestations interdites, des œuvres à dérober au regard. Au juste,
c’est aussi l’histoire de l’institution policière qui est abordée par ce biais.
Les archives de la censure d’État pendant les conflits offrent une autre
coupe dans l’histoire politique contemporaine : avec les archives de la
guerre de 1914-1918, par l’apport original d’une collection de 200 regis-
tres de censure conservés à la Bibliothèque de documentation internatio-
nale contemporaine18 ; avec celles de la censure allemande en partant des
listes Otto étudiées pour une histoire de l’édition pendant la Seconde
Guerre mondiale par Pascal Fouché ou les pièces d’une censure d’État
pendant la guerre d’Algérie à partir des archives des ministères (Défense
nationale, Intérieur, Information, en priorité). Ces archives commencent
à peine à révéler leur saveur sur les stratégies de la censure d’État en
démocratie. Il faut partir des archives du sommet de l’État (Élysée,
services du Premier ministre, ministères…) pour saisir les interventions
d’une censure d’État, pour peu qu’elles se donnent à voir. La création des
missions auprès des institutions et organes centraux du pouvoir garantit
la constitution et le versement des archives d’État depuis cinquante ans19.

15. Hélène PUISEUX, Les Figures de la guerre : représentations et sensibilités


1839-1996, Paris, Gallimard, 1997, 266 p.
16. Odile KRAKOVITCH, « La censure des théâtres pendant la Grande Guerre », in
115e congrès national des sociétés savantes, Avignon, 1990, Histoire moderne et
contemporaine, p. 331-353.
17. Gaetano MANFREDONIA, La Chanson anarchiste en France des origines à
1914, Paris, L’Harmattan, 1997, 445 p. ; Marie-Véronique GAUTHIER, Chanson, socia-
bilité et grivoiserie au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1992, 311 p. ; Robert BRÉCY, Florilège
de la chanson révolutionnaire. De 1789 au Front populaire, Paris, Éditions ouvrières,
1990, 305 p.
18. Olivier FORCADE, La Censure politique en France pendant la Grande Guerre,
éd. Noésis (à paraître).
19. Voir la communication de Christine Pétillat dans ce volume.

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16_Archsecr_CN Page 205 Mardi, 27. mai 2003 5:53 05

Faire l’histoire de la censure politique 205

L’historien se heurte pourtant ici à trois difficultés. Corréler les


séries d’archives par recoupement est nécessaire car les fonds sont rare-
ment constitués de façon homogène. Il convient de travailler alors à
« front renversé », c’est-à-dire de partir des séries départementales M
(questions administratives), R (armée), Y et T, voire E (élections), pour
vérifier que l’impact de la censure politique est analysable en temps de
paix comme de guerre. Ainsi l’effet d’écran des archives nationales est-
il corrigé par la saveur locale des archives départementales et munici-
pales pour les XIXe-XXe siècles. La deuxième difficulté est d’accéder à
des fonds constitués et ouverts quand intérêt national et secret d’État se
combinent pour rendre plus difficile l’accès aux archives20. Sur la
guerre d’Algérie, l’exemple du fonds Debré sur les instructions person-
nelles du Premier ministre sur la censure des publications est inédit pour
sa période aux affaires en 1959-196221. Les discussions sur les pour-
suites à engager contre des écrits « orientant leurs informations dans le
sens d’une subversion dirigée contre les lois et les autorités de la Répu-
blique en avril 1961 » y transparaissent. L’étude des médias est l’un des
aspects de cette approche : ainsi l’analyse de « l’orientation » des
médias officiels par le ministère de l’Information se conçoit-elle22. La
constitution d’un fonds d’archives Alain Peyrefitte, incluant les
archives du ministère de l’Information, ouvre la voie. L’accès au fonds
privé Foccart, conseiller technique à l’Élysée puis secrétaire général de
la Communauté, posera d’autres enjeux sur les secrets d’État23. En effet,
l’histoire administrative et institutionnelle des médias, entre public et
privé, souligne par ailleurs les interventions du pouvoir, pour contrôler
et orienter l’information publique depuis la IIIe République jusqu’à la
Ve République. Elle montre des périodes de haute et de basse fréquence
de la censure, qu’il s’agisse de la radio d’État24 ou de la télévision.

20. Matériaux pour l’histoire de notre temps, no spécial « Le secret dans


l’histoire », avril-juin 2000, no 58.
21. AN, fonds Michel Debré, 2 DE 3, dossiers de presse et liberté d’expression.
Dossier RTF. Voir les actes du colloque organisé par le CHEVS-Sciences-Po Paris,
Michel Debré, chef de gouvernement 1959-1962 (à paraître). On prendra aussi Fabrice
D’ALMEIDA, « La censure de la guerre d’Algérie », in Laurent GERVEREAU (dir.), La
France en guerre d’Algérie novembre 1954-juillet 1962, Nanterre, BDIC, 1992, 320 p.
22. AN, Archives d’histoire contemporaine, fonds Debré, 2 DE 22, affaires.
Correspondance ministères de l’Information-Justice-Intérieur. Alain Peyrefitte est très
évasif sur cet aspect de son action ministérielle.
23. AN, Archives de l’Élysée, fonds privé Foccart, deux inventaires détaillés
manuscrits.
24. Pierre ALBERT, André-Jean TUDESQ, Histoire de la radio-télévision, Paris,
PUF, 4e éd., 1995, 126 p. ; Jean-Noël JEANNENEY (dir.), L’Écho du siècle : dictionnaire
historique de la radio et de la télévision, Paris, Hachette-Littératures-Arte Éditions,
1999, 602 p.

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206 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

L’histoire de médias et des journalistes a renouvelé l’approche ici 25. Les


fonds privés et publics sont plus nombreux qu’on ne le croit (série AP
aux Archives nationales), complétés par les séries ministérielles.
La troisième difficulté a trait à l’écriture d’une histoire sérielle de
la censure, c’est-à-dire de trouver des séries d’archives permettant une
saisie des pratiques politiques dans la longue durée, sans s’attacher à
l’histoire particulière de telle entreprise de presse ou de tel écrivain
censuré. C’est la condition d’une histoire générale de la censure poli-
tique dont la portée et la signification ont quelque valeur pour une
histoire de l’État et des systèmes politiques. L’étude sérielle des
morasses de presse pour les périodes de guerre permet d’opérer la saisie
de la censure effective, soit l’intervention préalable du pouvoir qui
réalise la censure avant que la loi ne se mette en branle (saisie, interdic-
tion). Elle est par exemple possible dans les archives militaires et celles
de la BDIC.
L’ampleur et la nature de cette censure politique ne sont pas
toujours aisées à saisir. A-t-on affaire à une censure administrative,
quasi « réglementaire » et ne laissant pas de traces archivistiques ? A-t-
on affaire à une « censure par la moyenne », élaguant le trop et le trop
peu, ou à d’autres formes plus subtiles mais tout aussi insaisissables
pour l’historien que déploie la censure économique et financière qui ne
dit pas son nom. Car faire l’histoire des rapports entre médias et
pouvoirs, du XIXe siècle à aujourd’hui, c’est d’abord s’intéresser aux
entreprises et agences de presse comme à l’économie des médias. Or les
archives économiques sont très inégales sur ce point pour saisir les
nuances d’opinion entre les médias gouvernementaux et ceux d’oppo-
sition. On peut en effet censurer un journal par une stricte asphyxie
financière, prit-elle la forme du droit de timbre au XIXe siècle, ou par des
prises de participation à son capital. Les archives d’Havas ne donnent
pas, de ce point de vue, toutes les réponses sur les relations avec le
pouvoir26. La série « AR » des Archives nationales est très féconde pour
saisir les relations entre les grands quotidiens nationaux, les agences de
presse et le pouvoir. En somme, l’existence et le choix des archives
préorientent l’histoire des formes de censure.

25. Jean-Noël JEANNENEY, Histoire des médias des origines à nos jours, Paris,
éditions du Seuil, 1996, 374 p. ; Marc MARTIN, Médias et journalistes de la République,
Paris, Odile Jacob, 1997, 494 p. ; Christian DELPORTE, Les Journalistes en France 1880-
1950 : naissance et construction d’une profession, Paris, Éditions du Seuil, 1999, 449 p.
26. Isabelle BROT, Les Archives de l’agence Havas. Inventaire (branche Informa-
tion) 1875-1940, Paris, Sevpen, 1969, 270 p.

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Faire l’histoire de la censure politique 207

LES CHANTIERS ET LES PISTES


D’UN TERRITOIRE ENCORE PEU EXPLORÉ

Une histoire politique de la censure


Traditionnellement, l’histoire et la mythologie républicaine attachent la
République au régime des libertés. D’une thèse dont Jean-Pierre
Machelon a montré les limites en 1979, l’historien du politique retient
deux constats. Si la censure est un traceur des systèmes politiques
contemporains, elle continue à exister et à agir par des formes subtiles
et indirectes dans la démocratie libérale moderne, métamorphose de la
vieille censure d’État du XIXe siècle. Elle prend le visage de la censure
économique quand elle frappe le théâtre sous la Ve République. Les
festivals subventionnés apprennent le prix d’un financement public et
les enjeux des pouvoirs locaux. En second lieu, il s’agit d’une censure
idéologique par condamnation ou négation des cultures politiques
concurrentes. Autrement dit, l’adhésion ou le rejet des valeurs républi-
caines exclut de la Cité politique, sans contradiction avec l’idée pourtant
invoquée de la liberté. C’est par les pratiques juridiques que cette
censure qui n’en a pas le nom agit. En temps de guerre, états de siège et
d’urgence, lois d’exception sur la répression des délits de presse,
établissent un socle d’exceptions au droit commun et de suspension de
nombreuses libertés publiques. En temps de paix, la puissance publique
jouit de ressources multiples qui censurent les opinions. Les élections
de novembre 1919 constitueraient ici un laboratoire de l’hypothèse.
L’état de siège maintenu jusqu’en octobre 1919, il s’était agi pour le
gouvernement Clemenceau de maîtriser la campagne aux élections
législatives en repoussant le spectre des désordres intérieurs et de la
révolution (bolchevik comme spartakiste).
La censure à l’intérieur des appareils politiques et des institutions,
enjeu du contrôle des minorités par les majorités, se produit plus systé-
matiquement. La difficulté est de voir de la censure partout quand il
s’agit du contrôle politique, de la surveillance des opinions, à des fins
d’ordre public. La panoplie des actions contre l’Action française ou le
PCF est ici des plus intéressantes. Ne confondons pas pourtant compé-
tition sur le marché politique et censure. C’est par l’étude des associa-
tions politiques et parapolitiques comme syndicales que la censure poli-
tique s’étudie le mieux. Dira-t-on tout l’intérêt des congrès nationaux
de la Ligue des droits de l’homme et de leurs procès-verbaux ?
Un dernier thème peut être abordé au travers de l’histoire des rela-
tions de la France avec le Vatican. Les relations du Vatican avec les
États peuvent-elles encore révéler des secrets ? Les archives vaticanes,
malgré l’ouverture partielle des archives de l’Index, gardent de
nombreux secrets pour l’histoire de la papauté et sur ses relations avec
les églises nationales. Quelles furent les politiques du Vatican avec les

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208 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

épiscopats nationaux à l’heure de la sécularisation de l’État en France


par exemple ? La politique étrangère de la France a-t-elle toujours
convergé avec les objectifs de la papauté ? Des réponses méritent
encore d’être faites en dépit des travaux scientifiques sur la question 27.

Une histoire des structures et des pratiques de la censure


Ce deuxième thème ouvre à l’étude de la mise en œuvre concrète de la
censure d’État et des pratiques de censure du pouvoir. Quels sont les
organismes de la censure d’État ? Il n’y en a pas théoriquement, sauf en
temps de guerre. Ce sont des institutions relais qui la mettent en œuvre
par l’intervention préalable ou la répression : police, armée et gendar-
merie pour le maintien de l’ordre. L’histoire des académies a été un
point de départ. Reste à étudier les censeurs en tant que « groupe
socioprofessionnel » pour peu qu’ils se donnent à voir au travers d’une
institution ou d’une association. La Grande Guerre en montre l’exemple
avec la création d’une association des anciens censeurs du ministère de
la Guerre en 191928. Elle édite un bulletin, Le Crayon bleu, de 1919 à
1923.
La censure « par la moyenne » établit une dictature de l’opinion du
goût. Puis, l’intervention économique du pouvoir sur les médias, le
procès politique à l’instar du procès politique Caillaux en 1919, l’inter-
diction d’un parti ou d’une publication, offrent divers visages de la
censure. L’action sur l’opinion peut passer par la censure, sinon
l’absence de publicité de l’information politique. Ainsi en est-il des
comités secrets sous la IIIe République, faisant siéger le Parlement à
huis clos pour masquer aux ennemis de l’intérieur des faits politiques,
des informations vitales à la survie du régime. Le constat perd de sa
vigueur au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle.

Une histoire socioculturelle


Faire l’histoire de la censure, c’est s’arrêter à l’objet de la censure : le
censuré, l’idée interdite, le débat faussé, le regard voilé. Il faut écarter
l’étude de la censure des mœurs, licencieuse, qui sort de notre champ
stricto sensu29. La frontière entre censures et autocensures est délicate

27. J.-M. MAYEUR (dir.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, Paris,
Fayard-Desclée de Brouwer, 13 tomes ; Ph. LEVILLAIN (dir.), Dictionnaire de la papauté,
Paris, Fayard, 1994, 1759 p.
28. Le Crayon bleu. Association des anciens censeurs du bureau de la presse du
ministère de la Guerre, 1914-1918, 1919-1923.
29. Annie STORA-LAMARRE, L’Enfer de la IIIe République. Censeurs et pornogra-
phes (1881-1914), Paris, Imago, 1989.

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Faire l’histoire de la censure politique 209

à établir pour l’historien. Les archives du contrôle postal en 1914-1918


et de 1940 à 1944 l’ont fait progresser dans le continent de l’histoire des
mentalités, des autocensures de générations de combattants30. Pourtant,
la source sérielle des correspondances n’a pas encore épuisé toutes ses
richesses. Mais ce sont aussi les images du regard, du cinéma, de la
photographie, qui sont à explorer31.
La censure répond parfois encore à des stratégies plus complexes.
La loi du 16 juillet 1949 sur la presse enfantine, défendue par le MRP
et le PCF pour des motifs distincts, prend prétexte de la protection de
l’enfance pour endiguer l’invasion culturelle américaine. Elle donne son
sens à l’intervention du pouvoir. Elle est au pouvoir ce qu’est la révolte
à l’artiste, une conscience d’exister. Une censure invisible procède ainsi
dans les médias dans les années 1980-1990 par la standardisation et la
tyrannie des sondages32. C’est une censure par la moyenne où l’opinion
de la majorité s’impose comme la norme.

Olivier FORCADE

30. Sur le sujet, on renvoie à notre étude, « L’historiographie française de


l’opinion publique en France pendant la Grande Guerre », in actes du colloque interna-
tional 80 ans d’histoire et de représentations de la Grande Guerre, Université de Mont-
pellier-III, novembre 1998, à paraître. Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, Annette BECKER,
« Violence et consentement : la “culture de guerre” du premier conflit mondial », in
Jean-Pierre RIOUX, Jean-François SIRINELLI (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris,
Éditions du Seuil, 1997, p. 251-271.
31. Un regard sur la Grande Guerre. Photographies inédites du soldat Marcel
Felser, préface et commentaires de Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, Paris, Larousse, 2002,
192 p.
32. Cf. Patrick CHAMPAGNE, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, Paris,
éditions de Minuit, 1990.

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Faire l’histoire
du renseignement

Avant de s’interroger sur les sources et l’apport des études consacrées


au renseignement, il n’est peut-être pas inutile d’évoquer brièvement
l’exception française qui est en l’occurrence un retard1. Lorsque l’amiral
Pierre Lacoste, ancien directeur de la DGSE de 1982 à 1985, se préoc-
cupa au milieu des années 1990 de sensibiliser les élites au renseigne-
ment et à la prospective, il recensa cent dix universités et centres de
recherches nord-américains où le renseignement était enseigné et étudié
dans les départements d’Intelligence studies, y compris dans les premiers
cycles universitaires2. Par ailleurs, dans ces pays, les revues scientifiques
sont nombreuses sur le sujet3 et il existe outre les presses universitaires
des éditeurs spécialisés dans ce domaine. L’ancienneté de la recherche
sur ce sujet explique le nombre élevé d’études de détail – y compris sur
le renseignement français – et le développement des études théoriques
empruntant autant à l’histoire qu’à la science politique4.

1. Signalons que les difficultés et les questions posées dans ce texte rejoignent
assez largement les remarques que formulaient nos éminents collègues anglais Christo-
pher ANDREW et David DILKS il y a près de vingt ans dans l’introduction à : The Missing
Dimension. Governments and Intelligence Communities in the Twentieh Century,
Londres, Macmillan, 1985. Ce constat est d’ailleurs plutôt encourageant. Cf. également
l’étude remarquable de Richard J. ALDRICH, « Historians of Secret Services and their
Ennemies », in The Hidden Hand. Britain, America and Cold War Secret Intelligence,
Londres, John Murray, 2001, p. 1-16.
2. Cf. « Transparence et secret. L’accès aux archives contemporaines », La
Gazette des Archives, 1997, no 177-178, p. 169.
3. Cf. notamment Intelligence and National Security (parue depuis janvier 1986) ; The
Journal of Intelligence history (publié depuis 2001 par l’International Intelligence History
Association, fondée en 1993) ; International Journal of Intelligence and counterintelligence.
4. Cf. par exemple : Richard K. BETTS, « Analysis, war and decision : why intelli-
gence failures are inevitable », World Politics, vol. 31, no 1, october 1978, p. 61-89 ;
Richard BETTS, « Policymakers and Intelligence Analysts : Love, Hate or Indifference »,
Intelligence and National Security, no 3, Janvier 1988, p. 37-51 ; Michael I. HANDEL,
« Leaders and Intelligence », Intelligence and National Security, vol. 3, no 3, Juillet
1988, p. 3-39 ; David KAHN, « An Historical Theory of Intelligence », Intelligence and
National Security, vol. 16, no 3, printemps 2001, p. 79-92.

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212 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

L’EXCEPTION FRANÇAISE

La situation en France est celle d’une absence complète dans les forma-
tions universitaires, reflet de la quasi-inexistence de travaux de recher-
ches si l’on excepte l’ouvrage pionnier d’anthropologie historique
d’Alain Dewerpe5. Il y a près de trente ans, Christopher Andrew et
David Dilks, caractérisaient le renseignement comme une « missing
dimension » dans les travaux d’histoire politique et d’histoire des rela-
tions internationales en Angleterre. L’expression pourrait être trans-
posée assez facilement pour caractériser la situation française actuelle.
Cet état de fait a heureusement commencé à évoluer sous l’effet d’initia-
tives conjointes. En octobre 1995, était lancé un séminaire sur la
« culture française du renseignement » par l’amiral Lacoste au CESD
de Marne-la-Vallée6. À la même époque le professeur Maurice Vaïsse
inaugurait la commission d’histoire du renseignement au sein du Centre
d’études d’histoire de la défense (CEHD) qu’il dirigeait. En 1996,
Olivier Forcade ouvrait un séminaire consacré au renseignement aux
écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, les meilleurs travaux donnant lieu à des
soutenances de mémoires de maîtrise et de DEA en Sorbonne. Enfin, un
enseignement sur « Renseignement, États et pouvoirs dans les pays
occidentaux XIXe-XXe siècles » est proposé aux étudiants de Sciences-Po
depuis 2002 par Olivier Forcade et l’auteur de ces lignes. Cet avènement
des études consacrées au renseignement a débouché sur des publications
et des numéros spéciaux de revues7.
L’exception française ne concerne pas seulement les travaux uni-
versitaires mais également les élites politiques. Celles-ci, en particulier
les parlementaires, entretiennent une relation curieuse avec le domaine

5. Cf. Alain DEWERPE, Espion. Une anthropologie historique du secret d’État,


Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1994, 480 p.
6. Les actes du séminaire ont paru : amiral Pierre LACOSTE (dir.), La Culture fran-
çaise du renseignement, Paris, Economica, 1998, 641 p.
7. Cf. « L’influence des résultats des renseignements politique et militaire du
commandement suprême sur les décisions stratégiques et opérationnelles en Europe
pendant la Seconde Guerre mondiale », Commission internationale d’histoire militaire,
Helsinki, 1991, 300 p. ; « Le renseignement et les relations internationales », Relations
internationales, no 78, été 1994, 273 p. ; « Le renseignement », Cahiers de l’Institut des
hautes études de la sécurité intérieure, Paris, La Documentation française, no 30,
automne 1997, 316 p. ; « Le renseignement », Défense nationale, janvier 1998, p. 1-58 ;
« Renseignement et manipulation dans les guerres contemporaines », Guerres
mondiales et conflits contemporains, no 191, octobre 1998, 175 p. ; « Du renseignement
militaire à l’intelligence économique », Les Cahiers de Mars, no 162, 3e trimestre 1999,
232 p. ; « Le renseignement », Revue historique des armées, no 221-4, décembre 2000.
Signalons également la naissance aux éditions Autrement à la rentrée universitaire 2003
d’une collection intitulée « Secrets d’Empire », consacrée au renseignement.

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Faire l’histoire du renseignement 213

du renseignement. L’effort récent en vue d’acclimater les élites aux


questions de renseignement et de prospective a connu un développement
inédit avec l’initiative de certains parlementaires en vue d’instaurer un
contrôle parlementaire des activités de renseignements. Le 23 novembre
1999, la commission de la Défense nationale et des forces armées de
l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité moins une voix une pro-
position de loi tendant à instaurer, sur le modèle des autres démocraties
occidentales, une délégation parlementaire pour les affaires de rensei-
gnements dans chacune des deux assemblées8. Mais l’examen de la pro-
position de loi par l’Assemblée lui a été fatal. Plus récemment encore,
un député de la majorité issue des élections législatives de 2001 four-
nissait dans un rapport parlementaire des informations inédites sur la
DGSE pour mieux affirmer – dès l’introduction – l’impossibilité de
principe de mettre en œuvre un contrôle parlementaire de la centrale
française9. Ces éléments politiques attestent toutefois un progrès dans
la sensibilisation des élites aux questions de renseignements.

POURQUOI FAIRE L’HISTOIRE DU RENSEIGNEMENT ?

Que le renseignement10 soit étudié en tant que tel ou comme un


élément d’une réflexion historique plus générale, il permet trois appro-
ches originales. En premier lieu, quel que soit son objet – politique,
économique, militaire ou scientifique – le renseignement étant un
élément en principe enrichi par la vérification et l’analyse, une
première dimension de son étude renvoie à l’information. Le rensei-
gnement est à certains égards une information enrichie. L’histoire des

8. L’article IV de cette proposition disposait que : « Les délégations parlemen-


taires pour le renseignement ont pour mission de suivre les activités des services visés
à l’article 13 de l’ordonnance no 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale
de la Défense, en examinant leur organisation et leurs missions générales, leurs compé-
tences et leurs moyens, afin d’assurer, dans les conditions prévues au présent article,
l’information de leur assemblée respective. » (Cf. Arthur PAECHT, Rapport fait au nom
de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée natio-
nale…, Assemblée nationale, no 1591, 2 décembre 1999, 99 p. La proposition de loi
figure aux pages 69 à 71.)
9. Bernard CARAYON, Rapport fait au nom de la commission des finances, de
l’économie générale et du plan sur le projet loi de finances pour 2003. Annexe no 36 :
secrétariat général de la Défense nationale et renseignement, Assemblée nationale,
10 octobre 2002, 40 p.
10. Cf. Sébastien LAURENT, « Les services secrets », in Vincent DUCLERT et Chris-
tophe PROCHASSON (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion,
2002, pp. 793-798.

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214 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

médias et de l’information11 repose essentiellement à ce jour sur


l’étude de l’information ouverte et ne s’intéresse pas à l’étude de
l’information fermée, objet d’une partie du travail de renseignement.
D’un certain point de vue, le renseignement peut être replacé dans le
cadre plus général d’une histoire de l’information. Cette approche
particulière peut contribuer à mettre en valeur les niveaux et la qualité
de l’information des agents et des décideurs.
Une deuxième voie d’exploration se présente : le renseignement, la
plupart du temps, parvient à un responsable (il est même souvent
demandé par lui), chargé de prendre une décision. Le renseignement
nourrit alors l’histoire de la décision. Ce n’est pas le renseignement en
tant que tel qui est dans ce cas étudié, mais le processus : on analyse
alors le cheminement qui va de la collecte de l’information à la prise de
décision. Cette approche est pratiquée depuis longtemps par les histo-
riens anglo-américains du renseignement et par les historiens français
des relations internationales qui s’intéressent à un certain nombre
d’acteurs historiques, les « décideurs » ou le « groupe dirigeant », dans
la conduite de la politique extérieure12. S’il est évident que le renseigne-
ment d’origine militaire ou policière n’est qu’une des sources d’infor-
mation de l’appareil diplomatique, il reste que l’étude du processus
décisionnel ne fait pas toujours la distinction entre les différents organes
et niveaux au sein de l’appareil militaire ou policier et néglige l’étude
de leurs spécificités respectives13.
Les deux premières approches évoquées privilégient soit le rensei-
gnement en tant qu’information, soit son influence sur une décision. Il
est une autre perspective qui prend comme point de départ les individus
et les organes qui mettent en œuvre la collecte et l’exploitation du
renseignement. Une histoire de ces institutions et de ceux qui les

11. Cf. Agnès CHAUVEAU et Hélène ECK, « La place des médias dans l’histoire
politique, sociale et culturelle de la France contemporaine », Bulletin de l’Association
des historiens contemporanéistes de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
no 22, avril 2001, pp. 21-34, et Christian DELPORTE, « De l’histoire de la presse à
l’histoire des médias », ibid., pp. 11-19.
12. Cf. les classiques études : La « décision », in Pierre RENOUVIN et Jean-Baptiste
DUROSELLE, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, Colin, 1991
[1re éd. : 1964], pp. 411-444 ; Jean-Baptiste DUROSELLE, Tout empire périra. Une vision
théorique des relations internationales, Paris, Publications de la Sorbonne, 1981,
357 p. ; Jean-Claude ALLAIN « Le groupe dirigeant dans la conduite des relations
internationales », Relations internationales, printemps 1985, no 41, pp. 79-92.
13. À une exception près, remarquable : Peter JACKSON, France and the Nazi
Menace. Intelligence and Policy Making 1933-1939, Oxford, Oxford University Press,
2000, 446 p. En l’occurrence, l’auteur distingue nettement le travail de recherche du
renseignement effectué par le service de renseignements (SR-SCR) du travail de synthèse
effectué par le 2e bureau, organe d’état-major. Il montre également les liens directs du chef
du SR avec le ministre de la Guerre et avec le président du Conseil.

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Faire l’histoire du renseignement 215

animent devient alors possible. Replacée dans une chronologie longue,


cette voie amène à se pencher sur l’entité qui légitime ces institutions et
leurs pratiques, l’État. La question peut alors être posée de savoir
comment l’État se renseigne, en politique intérieure et en politique exté-
rieure. Quels sont ses procédés ? Qui sont ses agents ? En approfondis-
sant cette perspective, il devient possible d’étudier les pratiques admi-
nistratives des membres des organes de renseignements et de les
replacer alors au sein d’une histoire politique de l’administration 14, cela
permettant en l’occurrence de bâtir une histoire politique des adminis-
trations secrètes15.

QUELLES ARCHIVES POUR L’HISTOIRE DU RENSEIGNEMENT ?

Les documents produits par les organes de renseignements, les institu-


tions secrètes, ont toujours suscité un curieux mélange de curiosité et de
répulsion. Parvenant dans le temps présent à la connaissance du public
par le biais de la presse, qui alimente très souvent scandales et
« affaires » diverses, l’activité des services de renseignements policiers
et militaires se trouve ainsi d’emblée discréditée dans l’opinion16 et
probablement aussi en partie dans la communauté scientifique, retardant
la reconnaissance du renseignement comme fait social et politique mais
aussi l’étude des organisations et des acteurs, comme un objet histo-
rique17. Marc Bloch lui-même, plutôt habitué aux sources médiévales,
n’était pas à étranger à ce sentiment d’attirance, lui qui écrivait en 1941 :
« Dans le présent même qui de nous, plutôt que tous les journaux de
1938 ou 1939, ne préférerait tenir en mains quelques pièces secrètes de
chancellerie, quelques rapports confidentiels de chefs militaires18 ? »
Les trois approches possibles que nous avons mentionnées pour
bâtir une histoire du renseignement renvoient en définitive à des problé-
matiques très générales qui ne peuvent être éclairées que par des sources
multiples et complémentaires. Le premier constat en matière d’archives

14. Cf. Marc-Olivier BARUCH et Vincent DUCLERT, Serviteurs de l’État. Une


histoire politique de l’administration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2 000,
587 p.
15. Nous inscrivons nos propres recherches sur le renseignement au XIXe siècle
dans cette perspective.
16. Il y a, à cet égard, une étonnante continuité de la fin du XIXe siècle à
aujourd’hui.
17. De ce point de vue, nous pourrions faire nôtres les propos tenus dans cet
ouvrage par Pierre Mollier dans sa conclusion.
18. Marc BLOCH, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Librairie
Armand Colin, « Cahiers des Annales » no 3, 1949 [1re éd. : 1941], p. 24-25.

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216 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

est l’absence de séries publiques continues et cohérentes et plutôt l’exis-


tence d’une mosaïque de fonds19. Cette dispersion des archives est le
reflet de la grande diversité des administrations contribuant au rensei-
gnement dans l’appareil d’État. L’histoire des archives des services de
renseignements est, comme d’autres administrations, intimement liée à
l’histoire complexe des organes qui les ont produites. Les liens étroits
qu’ils ont plus ou moins volontairement entretenus avec le pouvoir poli-
tique, les grandes crises politiques nationales ou même internationales,
expliquent les destructions, les pertes, la destructuration des fonds,
source de difficultés mais aussi de riches informations pour le travail de
l’historien20.
L’histoire d’une partie des archives de la Sûreté, incluant celle de
la police politique de la IIIe République, est retracée dans ce volume
par Sophie Cœuré et Frédéric Monier. Je me contenterai donc d’indi-
quer que les archives des services de renseignements militaires21 ont
connu de semblables péripéties. Deux événements ont particulièrement
pesé sur la destructuration des fonds, l’affaire Dreyfus et l’Occupation
allemande.
Entre 1898 et 1906, les cassations du procès de 1894 puis de celui
de 1899 ont entraîné d’importants transferts d’archives de la section de
statistique à la Cour de cassation pour les besoins des instructions.
Ainsi, l’on retrouve une part non négligeable des archives des années
1890 non pas dans les archives militaires mais dans la sous-série BB 19
de la Cour de cassation conservée aux Archives nationales22 avec un
classement bien différent, reflet des questions que se posaient les magis-
trats et non plus les officiers de la section. Pour la période antérieure à
1894 et postérieure à 1906, il n’existe malheureusement aucune série au
Service historique de l’armée de Terre (SHAT) conservant les archives
de la section de statistique. Le renforcement de la tutelle du 2e bureau
sur la section après le procès de Rennes en 1899 et conformément aux
instructions du ministre général de Galliffet explique en partie cela.
L’on retrouve ainsi dans la sous-série 7 N contenant les archives du

19. Pour la partie militaire, cf. Sébastien LAURENT, « Le renseignement de 1860 à


nos jours : état des sources militaires », Revue historique des armées, no 221-4,
décembre 2000, p. 97-110.
20. Voir les réflexions analogues de Sophie Cœuré, Frédéric Monier et Sabine
Dullin dans ce volume.
21. La « section de statistique », créée en 1871 dans le cadre de l’état-major
général du ministre, devint en septembre 1899, quelques jours après le procès de
Rennes, « section de renseignements » par la volonté du ministre général de Galliffet.
Cette nouvelle dénomination est à l’origine de l’appellation « SR ».
22. Sur l’histoire de cette sous-série, cf. Vincent DUCLERT, « Les archives judi-
ciaires de l’affaire Dreyfus : un enjeu d’histoire contemporaine », Histoire et archives,
hors-série no 2, 1998, p. 367-394, numéro spécial « L’histoire contemporaine et les
usages des archives judiciaires (1800-1939) ».

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Faire l’histoire du renseignement 217

2e bureau de l’époque un certain nombre de documents provenant de la


section de statistique. Mais la part la plus importante de ses archives a
aujourd’hui disparu sans que l’on puisse en établir la chronologie
précise.
Cinquante ans plus tard, l’armistice franco-allemand de 1940 a
contraint les services de renseignements français (SR-SCR) à plonger
dans la clandestinité dès le mois de juillet et à emporter avec eux leurs
archives de travail, c’est-à-dire l’ensemble des archives depuis les
années 1920. En 194323, ces archives ainsi que celles produites par les
services de renseignements de l’armée d’armistice entre 1940 et 1942
ont été découvertes par les Allemands, analysées par l’Abwehr et la
Gestapo, ce qui leur permit notamment d’identifier les agents de péné-
trations français en Allemagne dans l’entre-deux-guerres. En 1945,
l’armée Rouge mit à son tour la main sur ce dépôt que le GRU et le KGB
purent exploiter à loisir afin d’évaluer la surveillance militaire et poli-
cière dont les militants du PCF et du Komintern24 étaient l’objet. Ainsi,
la restitution de ces archives (40000 dossiers dont 21000 concernent les
services de renseignements) par la Russie en 1993-1994 a permis de
combler l’absence presque totale d’archives du SR pour cette période
(elles figurent désormais dans la sous-série 7 N supplément). Récupé-
rées dans leur cadre de classement initial, elles justifient à cet égard
l’emploi très heureux de l’expression de « fossile archivistique » par
Sophié Cœuré, Frédéric Monier et Gérard Naud25. Un second lot
d’archives restitué à la fin des années 1990 par la Russie, contenant
également des archives des services de renseignements, est en cours
d’inventaire au SHAT depuis l’automne 2002 et un premier dépouille-
ment a d’ores et déjà révélé que cet ensemble était plus important que
le premier en ce qui concerne les services de renseignements.
Seul le 2e bureau, organe militaire d’état-major, préservé des cahots
de l’histoire nationale, présente au SHAT une sous-série continue (7 N)
depuis sa création en 187426 jusqu’en 1945, incluant temps de paix et
temps de guerre. Il reste que l’activité des organes de renseignements

23. Cf. Claire SIBILLE, « Les archives du 2e bureau SR-SCR récupérées de


Russie », in Georges-Henri SOUTOU, Jacques FRÉMEAUX, Olivier FORCADE (dir.),
L’Exploitation du renseignement en Europe et aux États-Unis des années 1930 aux
années 1960, Paris, Economica, 2001, p. 27-47.
24. Voir le texte de Serge WOLIKOW dans ce volume.
25. Sophié CŒURÉ, Frédéric MONIER, Gérard NAUD, « Le retour de Russie des
archives françaises. Le cas du fonds de la Sûreté », Vingtième Siècle. Revue d’histoire,
no 45, janvier-mars 1995, p. 138.
26. Voir le décret no 91 du 12 mars 1874 portant réorganisation de l’état-major
général du ministre de la Guerre, (Journal militaire officiel, 1er semestre 1874, p. 230-
231). L’arrêté présidentiel du 8 juin 1871 portant création d’un état-major général du
ministre fondait, pour la première fois, un 2e bureau mais avec des attributions diffé-
rentes de celles de 1874, consacrées alors exclusivement au renseignement.

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218 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

ne laisse pas toujours de traces archivistiques, que ces lacunes soient


intentionnelles ou ne le soient pas. Pour combler cette lacune, le SHAT
a lancé en 1997 une enquête pionnière sur le renseignement, fondée sur
la collecte de témoignages oraux d’anciens ou de récents acteurs des
services de renseignements (enquête intégrée dans la sous-série 3 K).
Ce travail se révèle particulièrement utile, notamment parce qu’il
comble, partiellement, l’absence de versement pour les vingt dernières
années. Soulignons que cet effort a coïncidé avec le programme de
recherche (« oral history of the office of Strategic Services ») lancé en
1997 par le CIA’s Center for the study of Intelligence en collaboration
avec Georgetown University sur l’OSS, institution qui précéda la grande
agence américaine.
Outre ces deux grandes sous-séries (7N et 7N supplément), il existe
de nombreuses séries complémentaires dans d’autres dépôts d’archives.
À côté des organes de renseignements militaires, la sous-série F7 et les
fonds de la Sûreté rapatriés de Moscou, conservés au Centre des
archives contemporaines (CAC) de Fontainebleau, recoupent et
complètent les archives du SR et du 2e bureau en matière de surveillance
des étrangers et en ce qui concerne l’espionnage en France, essentielle-
ment pour la période de l’entre-deux-guerres. Il est à noter également
que la série M des archives départementales est d’un grand intérêt sur
le même sujet puisque l’on y retrouve les rapports des commissaires
spéciaux ainsi que la série R qui permet parfois de retrouver les archives
des services de renseignements des corps d’armée actifs en temps de
paix sur le territoire national. Enfin, pour Paris, les sous-séries BA et
DB de la préfecture de police sont indispensables. Par ailleurs, les
archives de la gendarmerie conservées par le Service historique de la
gendarmerie (SHGN) à Maisons-Alfort, sont importantes en matière de
renseignements, surtout à l’échelon de la brigade27.
Une vue d’ensemble du rôle du renseignement aussi bien dans
l’appareil d’État que pour la prise de décision rend nécessaire le recours
aux archives politiques, judiciaires et diplomatiques. Les archives de
certains présidents de la République – les fonds Faure et Loubet
(série AP), les papiers du général de Gaulle28 et de leurs successeurs –
et celles de la commission parlementaire de la Guerre (série C) appor-
tent une vue totalement différente du renseignement. Les archives judi-
ciaires, et notamment la sous-série BB18 pour les procès d’espionnage,
permettent d’étudier en détail la coopération armée-police-justice. Les
archives du quai d’Orsay sont tout aussi utiles, notamment par l’étude

27. Sur les recherches actuelles, en plein essor, concernant la gendarmerie, cf.
Jean-Noël LUC (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publications de
la Sorbonne, 2002, 510 p.
28. Voir l’inventaire des papiers du général de Gaulle réalisé par Agnès Callu et
que doivent publier en 2003 les archives nationales.

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Faire l’histoire du renseignement 219

de la correspondance interministérielle entre la Guerre et les Affaires


étrangères, mais aussi parce qu’elles permettent de confronter le rensei-
gnement recueilli par les militaires à celui collecté par les diplomates.
Marc Bloch, après avoir confessé sa curiosité pour les documents
secrets et confidentiels, ajoutait aussitôt : « Ce n’est pas que les docu-
ments de ce genre soient plus que d’autres exempts d’erreur ou de
mensonge29. » En effet, l’idée implicite que les documents cachés sont
porteurs d’une forme de vérité radicale ou plus forte que d’autres, parce
qu’ils sont précisément soustraits à la publicité, est souvent dangereuse,
voire fausse. Autant que d’autres documents, si ce n’est plus qu’eux, ce
type d’archives doit faire l’objet d’exigences critiques particulièrement
rigoureuses.
L’une des difficultés auxquelles l’historien du renseignement est
confronté est un curieux « effet de source », bien connu des habitués des
archives policières. En effet, les archives du renseignement, qu’elles
soient militaires ou policières, sont paradoxalement presque des sources
secondaires. L’historien, à l’image du décideur qui reçoit le renseigne-
ment, est très rarement confronté à du renseignement brut (raw
intelligence) : ce qu’il perçoit du renseignement dans un rapport d’indi-
cateur de police ou encore dans une note d’un officier traitant l’est à
partir du prisme de ceux qui l’ont rédigé. Mais il est un autre danger : le
travail sur les sources du renseignement, le préjugé sur la qualité de leur
information, tendent à survaloriser implicitement leur rôle dans l’appa-
reil décisionnel. L’historien doit veiller à ne pas postuler l’omniscience
de ces organes, sujets eux-mêmes en amont à l’intoxication et à la désin-
formation, et en aval à la tentation d’informer partiellement, c’est-à-dire
désinformer, pour peser sur la décision.
Cela revient à dire qu’une réflexion préalable sur les organes qui
collectent le renseignement est nécessaire afin de pouvoir mener
l’analyse critique des documents produits : à l’image d’autres adminis-
trations, les services de renseignements policiers et militaires ne cons-
tituent pas des entités neutres. Les pratiques administratives ne le sont
pas non plus. Celles-ci n’échappent pas aux processus de politisation 30.
Les idéologies imprègnent en effet individuellement et collectivement
les acteurs, trouvant des relais à deux niveaux, dans les cultures de corps
– culture de la police politique ou culture des officiers supérieurs – et
dans les pratiques professionnelles.

29. Marc BLOCH, op. cit., p. 24-25.


30. Cf. deux études de cas : Peter JACKSON, France and the Nazi Menace, op. cit.,
et Sébastien LAURENT, « Les services secrets gaullistes à l’épreuve de la politique (1940-
1947) », Politix. Revue des sciences sociales du politique, vol. 14, no 54, 2001, p. 139-
153.

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17_Archsecr_CN Page 220 Mardi, 27. mai 2003 5:54 05

220 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Les années à venir diront si les études consacrées au renseignement


auront su trouver leur place dans le paysage de la recherche française.
« L’histoire du renseignement » a-t-elle vocation à devenir autonome ?
Cela est loin d’être certain, et ce n’est d’ailleurs peut-être pas souhai-
table. Il paraît plus envisageable que l’histoire des médias, celle des
relations internationales, l’histoire de la décision politique ou encore
celle de l’État portent leur regard du côté du secret et incorporent cette
dimension nouvelle. À cette condition, les études du renseignement
auront peut-être contribué au progrès de la connaissance historique.

Sébastien LAURENT

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18_Archsecr_CN Page 221 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Faire l’histoire de la violence d’État :


la torture exercée par l’armée française
en Algérie (1954-1962)

De 1954 à 1962, la France a mené en Algérie et en métropole une lutte


contre les nationalistes algériens qui a pris des formes variées et notam-
ment violentes. Les différentes forces de l’ordre (police, gendarmerie,
armée de terre, en particulier) y ont participé. Cependant l’Algérie étant
officiellement un territoire français, le mot de guerre n’a jamais été clai-
rement assumé par les autorités même si l’opinion publique ne s’est
rapidement plus fait d’illusions et si, dans les faits, les responsables poli-
tiques et militaires ont adopté des comportements de temps de guerre.
Cette ambiguïté de la définition juridique de la période n’est pas
sans intérêt pour la qualification de la violence que l’État français a
exercée et donc pour les conditions offertes aux historiens qui souhaite-
raient travailler dessus. À partir de mon expérience de quelques années
dans les archives dans le cadre de la réalisation de ma thèse de doctorat
en histoire, je souhaite évoquer le parcours d’un historien travaillant sur
cet objet. Il s’agit de répondre à trois questions : Comment pister cette
violence dans les archives publiques ? Comment la lire dans les
archives ? Comment en faire l’histoire ?
Il convient au préalable d’apporter une précision importante sur
l’expression « violence d’État ». La réalité de cette violence se décom-
pose en deux : une violence légale et une violence illégale. La violence
légale est celle que l’État peut assumer ouvertement : en l’accomplissant,
ses agents sont les exécutants d’un texte officiel. Au contraire, la violence
illégale ressortit à une autre logique : celle de la raison d’État. L’exemple
le plus connu est celui de la torture qui est la violence emblématique de
cette raison d’État : elle se situe en effet d’emblée dans le domaine du
non avouable, mais aussi dans le registre du nécessaire. Non avouable
ouvertement, la raison d’État fournit une justification privée, muette vis-
à-vis du public, mais tournée vers soi-même, à destination des exécu-
tants. À eux, elle peut tenir le discours de la nécessité – discours qui est
aussi celui de ses actes et de leur efficacité. Contrairement à la violence

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18_Archsecr_CN Page 222 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

222 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

légale qui s’accomplit au besoin en modifiant le droit sur mesure, la vio-


lence de la raison d’État est la confirmation qu’il existe un accord au
sommet de l’État sur la nécessité de violer les droits de ses citoyens tout
en prenant la peine de les maintenir « fictivement réels » dans les textes.
A priori les archives des autorités politiques et des forces de l’ordre
doivent contenir des éléments sur cette violence. Mais, dans les inven-
taires, les choses n’apparaissent pas si nettement. Pour un dossier intitulé
« Enquêtes sur des exactions imputées à l’armée », combien de dossiers
ou de cartons au libellé plus flou ? Le flou du libellé tient à plusieurs
raisons – étant donné que j’exclus le désir délibéré de masquer le contenu
d’un carton. Tout d’abord, le fait que l’archiviste qui procède à l’inven-
taire ne peut évidemment être exhaustif dans sa description du contenu
d’un carton. Un exemple : le carton SHAT intitulé « Affaire de la prison
Barberousse, 8 avril 1958 » (1246/2*) contient en fait des carnets
manuscrits saisis sur des prisonnières à la prison d’Alger dans lesquels
elles ont consigné très précisément les tortures subies avant d’être incar-
cérées. Ensuite, le fait que la violence d’État fait partie d’un ensemble
répressif plus large qui est souvent le seul cadre auquel il est fait réfé-
rence. Ainsi des cartons intitulés « action répressive, objectifs, moyens
et méthodes de la rébellion » ou plus généralement tout ce qui concerne
la conduite de la guerre. On trouve ainsi des indications sur la violence
d’État, légale et illégale, dans tous les dossiers contenant des inspections
des activités des forces de l’ordre. On peut aussi en trouver dans les
archives très proches du terrain : rapports hebdomadaires des sections
de gendarmerie, des journaux des marches et opérations (JMO). Enfin,
le troisième point me paraît être la prégnance du vocabulaire employé à
l’époque et repris dans les inventaires. Ainsi le mot « exactions » est-il
employé indifféremment pour désigner des abus : de l’abus en matière
financière (ce qui est son sens originel) aux sévices (ce qui est son sens
contemporain depuis le début du XXe siècle). Il n’est jamais uniquement
employé pour désigner les tortures. Mais surtout les inventaires peuvent
respecter les euphémismes de l’époque ou les camouflages. Il en est ainsi
du mot « interrogatoire » sur lequel je reviendrai. Il est nécessaire d’aller
voir des dossiers sur les « interrogatoires des prisonniers » ou les
« directives sur les interrogatoires » pour comprendre la position des
autorités sur les violences à utiliser ou à proscrire, officiellement ou offi-
cieusement. Inversement, il n’est pas étonnant de trouver des dossiers à
l’intitulé beaucoup plus explicite au ministère de la Justice dans le cas
des dossiers d’action publique. Une section s’intitule « DAP relatifs à
des sévices, tortures et exécutions sommaires commis par des militaires
et des fonctionnaires de police en Algérie », on y trouve des dossiers au
titre explicite : « Musulman victime de sévices par des militaires »,
« Détention arbitraire d’un musulman », « Exécution d’un suspect au
cours d’une perquisition par des policiers » ou encore « Requête d’un
père de famille au sujet de son fils tué au cours d’une opération
militaire ».

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18_Archsecr_CN Page 223 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Faire l’histoire de la violence d’État 223

L’historien doit donc formuler des hypothèses au vu des intitulés


des cartons en n’étant pas toujours sûr qu’il y trouvera des choses inté-
ressantes – c’est le lot de toute recherche – et même en supposant qu’il
y trouvera des éléments portant sur son sujet. Ce genre d’hypothèses
peut devenir à la longue coûteuse en temps quand les cartons en ques-
tion sont soumis à dérogation et qu’il est nécessaire de mesurer le
nombre de cartons demandés ! D’où l’intérêt des obligations de déroga-
tion par dossier et non par carton1.
Les documents contenus dans les archives publiques ne sont pas
toujours explicites quant à la violence d’État. Il faut revenir ici à la diffé-
rence entre violence légale et violence illégale. La guerre est menée en
Algérie à partir de 1955 grâce à une législation d’exception remettant
progressivement le pouvoir à l’exécutif, à Alger et à Paris. Le pouvoir
législatif consulté a en effet régulièrement confirmé sa dépossession
pour ce qui concernait le règlement de l’affaire algérienne. De fait, il y
a dans la guerre un ralliement des pouvoirs, dans un souci d’efficacité,
à des méthodes de gouvernement plus autoritaires que d’ordinaire ; les
contrepoids à la raison d’État, en particulier, en sont d’autant minorés.
Des violences interdites en temps ordinaire peuvent donc devenir
légales, et, à ce titre, figurer dans les archives. L’exemple le plus frap-
pant est celui des exécutions sommaires. Le 1er juillet 1955, une instruc-
tion interministérielle signée de Maurice Bourgès-Maunoury, ministre
de l’Intérieur, et du général Kœnig, le ministre de la Défense nationale,
fixe « l’attitude à adopter vis-à-vis des rebelles en Algérie ». Elle
recommande en particulier les conduites suivantes : « Tout rebelle
faisant usage d’une arme ou aperçu une arme en main ou en train
d’accomplir une exaction sera abattu sur-le-champ » et « le feu doit être
ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir ». Dans les faits, l’absence
de définition des mots « rebelle » et surtout « suspect » laisse la porte
ouverte aux interprétations les plus maximalistes. Cette instruction
fonctionne comme une légalisation a priori des exécutions sommaires :
il suffit de déclarer la victime de l’exécution « suspect en fuite ». La
traduction dans les archives est immédiate. Dans les JMO apparaît
l’expression « fuyards abattus », pour désigner ces individus tués
sommairement. Ils sont très nombreux : un très succinct maquillage
suffit pour pouvoir les déclarer officiellement : fuyards abattus ou
suspect ayant tenté de s’enfuir, ou tentative d’évasion.

1. Ainsi, au SHAT, le seul carton du B5 (1H2579) dans une section de l’inventaire


appelée « Exactions de l’armée française » comporte trois dossiers : « Préventions
d’éventuelles exactions causées par les forces de l’ordre, 1955-58 », « Exactions impu-
tées aux FO, 1955-59 », « Dénigrement de l’armée française (presse), 57-59 ». Seul le
deuxième dossier est soumis à dérogation.

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18_Archsecr_CN Page 224 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

224 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Ce maquillage n’échappe pas aux autorités qui enquêtent sur


certaines affaires au cours de la guerre. Un inspecteur civil affirme
ainsi : « Disons-le crûment : lorsque l’armée décide de faire disparaître
un homme, elle dispose d’un moyen administratif : la tentative
d’évasion2. » Le ministre résidant Robert Lacoste est même obligé de
faire une mise au point deux ans plus tard : « La règle qui prescrit
d’ouvrir le feu sur les suspects qui tentent de s’enfuir s’applique à ceux
que l’on a de sérieuses raisons de croire coupables, et qui, appréhendés
par nos forces, tentent de s’évader. Elle ne s’applique pas aux gens qui
s’enfuient à l’approche d’un de nos détachements ou à l’entrée de nos
forces dans leur village : il peut s’agir, en effet, d’innocents
terrorisés3 ». Mais dans les faits cela change peu. À la fin de l’année
1960, Maurice Patin, président de la commission de sauvegarde, peut
ainsi expliquer aux membres de sa commission que l’on peut calculer
le chiffre des exécutions sommaires en regardant la ligne « fuyards
abattus » des rapports, procès-verbaux ou bilans de gendarmerie 4.
Cette violence d’État étant autorisée, elle est à peu près repérable
dans les archives sans difficultés. Mais il en est aussi de même pour
certaines violences interdites à condition de savoir déchiffrer les mots
derrière lesquels elles sont camouflées. Ainsi de l’utilisation du napalm.
Les bombardements au napalm sont totalement interdits pendant la
guerre d’Algérie. Au plus haut niveau, on a envisagé d’en faire un usage
sélectif (sur les zones non habitées, etc.) mais finalement le principe de
l’interdiction totale a été maintenu. Or, en réalité, du napalm a été utilisé
en Algérie. Dans les JMO, il n’est jamais mentionné. Mais l’expression
codée choisie pour le désigner est toujours la même : « bidons
spéciaux ». Le maintien du camouflage témoigne de la persistance de
l’interdiction tout en signalant assez facilement la vérité à qui connais-
sait le code. Le nom de code peut même être percé avec l’aide de
certains JMO. Ainsi dans le bilan d’une opération en Kabylie en 1959 5 :
« Pertes rebelles : 6 cadavres dénombrés dont un sergent et un caporal.
Débris humains découverts dans une zone traitée aux bidons spéciaux
et correspondant à 5 rebelles repérés par un observateur. […] De
nombreuses grenades et cartouches ont explosé dans la zone traitée aux
bidons spéciaux. »

2. Rapport au ministre résidant le 10.9.1956, cab12/155* (CAOM).


3. Directive adressée aux Igames, préfets, général commandant gendarmerie,
directeurs de la sûreté nationale et de la sécurité du territoire, général commandant la
10e RM, datant vraisemblablement du début janvier 1957, cab 12/155* (CAOM).
4. PV des séances de la commission de sauvegarde, séance du 15 octobre 1960,
F60 3134* (AN).
5. JMO du 1er groupe du 408e RAA, 23-24 février 1959, 7U 1233* (SHAT).

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Faire l’histoire de la violence d’État 225

Le camouflage est en effet nécessaire dans une logique de la raison


d’État et donc, en miroir, du contrôle de l’action de l’État. Mais il ne
s’agit que d’un mince voile jeté sur la réalité. Dans le cas de la torture,
néanmoins, on peut voir que ce voile a eu de multiples fonctions et
effets. La torture n’est jamais mentionnée dans les textes officiels fran-
çais comme étant recommandée : les seules occurrences sont relatives à
une condamnation de ces méthodes. En revanche, il est régulièrement
recommandé aux représentants des forces de l’ordre des pratiques
violentes, en particulier dans les interrogatoires de prisonniers. Toute
une liste d’expressions existe pour désigner l’usage de la force, de la
contrainte et de la violence : interrogatoire « serré », « musclé », « sous
la contrainte », « avec pression physique », etc. Pour les exécutants
recevant ce genre de directive, l’ambiguïté demeure quant aux limites à
respecter. Dans des rapports sur le moral, on voit ainsi des militaires qui
réclament plus de précisions – par écrit et pas seulement par oral, etc.
Pour les historiens, l’ambiguïté est là aussi – fabriquée sciemment dans
l’archive. À ne lire les documents qu’au pied de la lettre, les forces de
l’ordre françaises ont toujours respecté les principes fondamentaux des
droits de l’homme et de prisonniers en particulier. Pourtant, à y regarder
de plus près, les violences illégales apparaissent bien dans la pratique
courante des forces de l’ordre, et notamment, en Algérie, de l’armée.
Certains documents issus des archives publiques permettent de
l’attester : enquêtes officielles dénonçant des procédés ordinaires,
archives de terrain permettant de repérer des prisonniers pour lesquels
le médecin est requis avant et/ou après un « interrogatoire », mention de
« prisonniers réticents » ou « très réticents » à faire céder, etc. Le travail
de l’historien doit surtout consister à croiser ses sources avec d’autres
pour les éclairer et construire son objet.
L’histoire de la violence d’État pose certainement des problèmes
similaires aux historiens des diverses périodes historiques. Dès lors
qu’elle s’intéresse à une violence partiellement dissimulée, les diffi-
cultés rencontrées sont multipliées mais sans doute pas foncièrement
différentes selon les périodes. Cependant, quand il s’agit d’histoire du
XXe siècle, il me semble que l’on peut dégager deux caractéristiques
propres. D’une part, c’est une histoire qui s’écrit alors que les archives
existantes ne sont pas toutes disponibles. D’autre part, cette histoire
s’écrit sous le regard des acteurs de cette époque. Sur ce point, loin de
dénoncer ce regard comme inhibant – même si cette dimension existe
certainement –, je voudrais mettre l’accent sur la richesse qu’offrent
ceux que les historiens appellent « les témoins » à l’histoire qui s’écrit.
Ils donnent à leurs sujets une dimension vivante et sensible inestimable.
Bien plus, sur ce type d’objets historiques, ils sont indispensables à
l’écriture de l’histoire.
Pour faire l’histoire de la violence d’État pendant la guerre
d’Algérie, il m’a en tout cas paru nécessaire de croiser les archives
publiques avec des sources privées – tout en sachant qu’un certain

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226 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

nombre d’archives privées de cette période contiennent des documents


publics. Mais aussi de les croiser avec des témoignages de l’époque tels
que les journaux de soldats, très intéressants sur la violence d’État dans
son accomplissement. Et enfin de procéder à des entretiens, non pas tant
pour contourner des archives encore en partie fermées que pour éclairer
des silences de l’archive ou compléter des aspects ignorés dans les
documents publics.
En continuant à mener des entretiens sans doute découvrira-t-on
dans l’avenir d’autres pans de cette histoire de la violence d’État. Cette
histoire est en effet comme toutes les autres une histoire en devenir,
toujours à recommencer. Mais elle l’est peut-être un peu plus que
d’autres en raison de ces conditions particulières rencontrées par la
recherche.

Raphaëlle BRANCHE

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ANNEXES
Documents juridiques relatifs
aux archives publiques

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Annexes 229

ANNEXE 1
CIRCULAIRE DU 2 OCTOBRE 1997 RELATIVE À L’ACCÈS
AUX ARCHIVES PUBLIQUES DE LA PÉRIODE 1940-1945

Paris, le 2 octobre 1997

Le Premier ministre à Mesdames et Messieurs les ministres et secré-


taires d’État.

1. C’est un devoir de la République que de perpétuer la mémoire des


événements qui se déroulèrent dans notre pays entre 1940 et 1945. La
recherche historique est, à cet égard, essentielle. Les travaux et les
publications des chercheurs constituent une arme efficace pour lutter
contre l’oubli, les déformations de l’histoire et l’altération de la
mémoire. Ils contribuent ainsi à ce que le souvenir conservé de cette
période soit vivace et fidèle. Pour que de telles recherches puissent être
menées, il faut que leurs auteurs disposent d’un accès facile aux
archives qui concernent la période. L’objet de la présente circulaire est
d’indiquer comment, dans le respect de la législation applicable, cet
objectif peut être atteint.
2. Les documents produits par les administrations publiques durant la
Seconde Guerre mondiale sont en principe accessibles à tous, puisque,
en vertu de l’article 6 de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les
archives, les archives publiques deviennent librement communicables à
l’expiration d’un délai de trente ans. Il en va toutefois différemment des
documents relevant, pour leur consultation, des délais spéciaux prévus
à l’article 7 de la loi du 3 janvier 1979 précitée, et en particulier de ceux
qui, en application du 5o dudit article, ne peuvent être communiqués
avant un délai de soixante ans, parce qu’ils contiennent des informations
susceptibles de porter atteinte à la vie privée, ou parce qu’ils ont été
répertoriés comme intéressant la sûreté de l’État ou la Défense nationale.
3. Un projet de loi est actuellement en préparation, afin d’aménager
les conditions d’accès à ces documents, à partir des propositions conte-
nues dans le rapport de M. Guy Braibant sur les Archives de France.
4. Pour le présent, et sans attendre l’aboutissement de cette réforme
législative, il convient de faire le meilleur usage des possibilités de déro-
gations, générales ou individuelles, ouvertes par l’article 8 de la loi du
3 janvier 1979 précitée et par les décrets pris pour son application. Ce
régime dérogatoire obéit à des procédures distinctes selon que les
archives relèvent de la direction des Archives de France, du ministère
de la Culture et de la Communication ou bien des deux départements
ministériels qui administrent leurs fonds d’archives de manière auto-
nome (ministère de la Défense et ministère des Affaires étrangères).

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19_Archsecr_CN Page 230 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

230 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Dans le premier cas, les demandes de dérogation doivent être soumises


à la direction des Archives de France, qui statue après accord de l’auto-
rité qui a effectué le versement ou qui assure la conservation des
archives (art. 2 du décret no 79-1038 du 3 décembre 1979 relatif à la
communicabilité des documents d’archives publiques). Dans la seconde
hypothèse, les dérogations sont respectivement accordées par le
ministre de la Défense (art. 7 du décret no 79-1035 du 3 décembre 1979
relatif aux archives de la défense) et par le ministre des Affaires étran-
gères (art. 10 du décret no 80-975 du 1er décembre 1980 relatif aux
archives du ministère des Affaires étrangères). Les dérogations sont
normalement accordées aux demandeurs à titre individuel. Mais il est
également possible d’ouvrir au public, par le biais de dérogations géné-
rales, l’accès à certains fonds ou parties de fonds, dès lors que les docu-
ments qui composent ceux-ci sont vieux d’au moins trente ans. Les
demandes de dérogation concernant des documents d’archives publi-
ques relatifs à la période de 1940-1945 devront désormais être instruites
conformément aux directives ci-après.
5. Dérogations générales :
5.1. La faculté d’accorder des dérogations générales n’a pas, à ce jour,
été suffisamment exploitée par les administrations. Certains fonds ont
néanmoins déjà fait l’objet d’une telle mesure. Ainsi, le ministère de
l’Intérieur a consenti, depuis juillet 1983, une dérogation générale
portant sur des ensembles de documents conservés aux Archives natio-
nales, parmi lesquels figurent notamment les rapports adressés périodi-
quement par les préfets au ministre de l’Intérieur entre 1940 et 1944.
5.2. J’entends que de nouveaux fonds fassent l’objet d’une dérogation
générale. La direction des Archives de France adressera prochainement
une liste de ceux qui pourraient être ouverts à la consultation aux dépar-
tements ministériels concernés en tant qu’administrations ayant
effectué le versement des dossiers aux archives. Je souhaite que les
administrations destinataires de cette liste indiquent très rapidement au
directeur des Archives de France si elles consentent à l’octroi d’une
dérogation générale pour ces fonds. En cas de réponse négative, il
conviendra d’exposer en détail les raisons impérieuses qui militent
contre l’ouverture d’un fonds. Le ministre de la Culture et de la Commu-
nication me rendra compte, dans un délai de deux mois à compter de la
publication de la présente circulaire, de l’ensemble des réponses qui lui
auront été adressées par les différents départements intéressés.
6. Dérogations individuelles :
6.1. Des dérogations individuelles sont d’ores et déjà accordées pour
l’accès aux archives de la période 1940-1945. En 1996, le nombre de
demandes de dérogation instruites par la direction des Archives de
France s’est élevé à 2201. La moitié environ de ces demandes concer-
nait des documents conservés par les Archives nationales. L’autre

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19_Archsecr_CN Page 231 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 231

moitié visait des fonds conservés dans les archives départementales.


Selon les estimations de la direction des Archives de France, près des
deux tiers des demandes relevant de cette seconde catégorie portaient
sur des documents datant de la Seconde Guerre mondiale. Plus de 85 %
de ces demandes ont reçu une réponse favorable. Les archives publiques
de la période 1940-1945 sont donc loin d’être totalement fermées aux
chercheurs. Cependant la communauté scientifique se plaint de la
prudence excessive ou de la lenteur de certaines administrations. Les
recommandations ci-après visent à faire disparaître ces critiques. Elles
valent pour toutes les administrations.
6.2. Bénéficiaires des dérogations – Les dérogations devront être large-
ment accordées pour effectuer des recherches historiques, en particulier
aux membres de la communauté scientifique ou universitaire (cher-
cheurs et enseignants), qu’ils soient français ou étrangers. Il en ira de
même pour les étudiants de l’enseignement supérieur présentant des
demandes dans le cadre de la préparation d’un mémoire ou d’une thèse.
Les administrations dont l’accord est requis en tant que services ayant
effectué le versement aux archives doivent se prononcer au regard du
contenu des fonds objets de la demande. Elles n’ont pas, en revanche, à
réaliser d’enquête sur la personnalité ou la motivation des personnes qui
sollicitent une dérogation. Il n’appartient qu’à la direction des Archives
de France (et aux services des archives du ministère de la Défense et du
ministère des Affaires étrangères pour ce qui concerne les dérogations
concernant l’accès aux fonds gérés par ces deux départements) d’appré-
cier le sérieux des demandes qui leur sont adressées.
6.3. Pour que les chercheurs puissent formuler des demandes de déro-
gation, encore faut-il qu’ils aient préalablement connaissance de l’exis-
tence des documents. En conséquence, je vous demande de tenir à la
disposition du public les inventaires des fonds d’archives concernant la
période de l’Occupation. Par ailleurs, je vous demande d’accélérer le
versement aux archives des fonds documentaires datant de cette époque
qui sont encore détenus dans vos services.
6.4. Le délai moyen de réponse aux demandes de dérogation est de trois
mois. Ce délai est un maximum qu’il faut s’efforcer de raccourcir. En
outre, il arrive encore trop fréquemment que les administrations ayant
effectué le versement, dont l’accord est indispensable, fassent connaître
avec retard leur position à la direction des Archives de France. Certains
demandeurs doivent ainsi attendre jusqu’à dix-huit mois pour obtenir
une réponse. Un tel délai est inadmissible. Aussi, je vous prie de donner
toutes instructions nécessaires à vos services pour que les demandes de
dérogation soient traitées dans des délais les plus brefs. À cet égard, je
recommande à tous les départements ministériels qui ne l’ont pas
encore fait de renforcer les moyens de leur mission des archives, voire
de transformer celle-ci en service, afin d’accélérer l’instruction de ces
dossiers.

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232 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

6.5. En ce qui concerne les documents conservés dans les archives


départementales, dont la communication est subordonnée à l’accord des
préfectures ayant effectué les versements, je souhaite que les demandes
de dérogation relatives aux rapports mensuels des préfets ou aux
rapports émanant des renseignements généraux ou de la gendarmerie
rédigés pendant l’Occupation ne se heurtent plus à des refus systémati-
ques. Les préfets devront, s’ils envisagent d’émettre un avis négatif,
prendre l’attache de la direction des Archives de France pour vérifier le
bien-fondé des raisons qu’ils prennent en considération.
6.6. Ainsi que le relève le rapport, déjà mentionné, de M. Braibant, la
divulgation de documents vieux de plus de cinquante ans ne présente
plus aucun risque pour la sûreté de l’État ou la Défense nationale, en
dehors de cas particuliers extrêmement rares. C’est pourquoi, sauf
exception dont je souhaite que mon cabinet soit informé, les demandes
d’accès à des archives ayant trait à la période 1940-1945 ne devront plus
être rejetées sur le fondement de ces impératifs. Sous cette réserve, le
seul motif sur lequel pourra s’appuyer un refus de dérogation sera le
respect de la vie privée. Mais, même dans ce cas, les refus ne devront
pas être systématiques. En particulier, les membres de la communauté
scientifique dont le sérieux et l’honorabilité sont reconnus devront
pouvoir accéder à ces documents s’ils s’engagent par écrit à les exploiter
en préservant l’anonymat des personnes en cause et à ne faire aucun
autre usage qu’historique des informations dont ils auront pris connais-
sance.
6.7. Les dérogations individuelles ne devront plus être accordées à titre
temporaire. Une telle pratique n’est en effet prévue ni par la loi du
3 janvier 1979 précitée, ni par ses décrets d’application. En outre, il
n’est pas acceptable qu’un usager se voie refuser l’accès à des fonds
qu’il avait été autorisé à consulter auparavant.
6.8. La ministre de la Culture et de la Communication, le ministre de la
Défense et le ministre des Affaires étrangères me rendront compte,
avant la fin du mois de janvier 1998, du nombre de dérogations sollici-
tées et accordées en 1997 ainsi que des délais d’instruction des
demandes.

Lionel JOSPIN
Source : Journal officiel no 230 du 3 octobre 1997, p. 14339.

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Annexes 233

ANNEXE 2
ARRÊTÉ DU 13 SEPTEMBRE 1999 MODIFIANT L’ARRÊTÉ
DU 21 JANVIER 1988 PORTANT CRÉATION
DU CONSEIL SUPÉRIEUR DES ARCHIVES

La ministre de la Culture et de la Communication,


Vu l’arrêté du 21 janvier 1988 portant création du Conseil supérieur des
archives, modifié par l’arrêté du 17 janvier 1990 ;
Vu l’avis du comité technique paritaire de la direction des Archives de
France en date du 20 juillet 1999 ;
Sur proposition du directeur des Archives de France,
Arrête :

Art. 1er. – L’article 2 de l’arrêté du 21 janvier 1988 susvisé est remplacé


par les dispositions suivantes :
« Art. 2. – Le Conseil supérieur des archives est consulté sur la politique
du ministre chargé de la culture en matière d’archives publiques et
privées. Il est également consulté sur les programmes de publication et
de recherche, sur les questions liées au développement des nouvelles
technologies dans les services d’archives, ainsi que sur le classement
des archives privées en tant qu’archives historiques. Il se prononce sur
toute question qui lui est soumise par le directeur des Archives de
France. Il examine le rapport d’activité de la direction des Archives de
France. »
Art. 2. – L’article 3 de l’arrêté du 21 janvier 1988 susvisé est remplacé
par les dispositions suivantes :
« Art. 3. – Le Conseil supérieur des archives comprend :
« a) Le président et le vice-président, nommés pour trois ans par le
ministre chargé de la culture ;
« b) Dix-sept membres de droit :
« – le vice-président du Conseil d’État ;
« – le directeur des Archives de France ;
« – le chef de l’inspection générale de la direction des Archives de
France ;
« – le secrétaire général du Gouvernement ;
« – le directeur général des collectivités locales au ministère de
l’Intérieur ;
« – le directeur de l’enseignement supérieur au ministère de l’Éducation
nationale, de la Recherche et de la Technologie ;
« – le directeur des archives du ministère des Affaires étrangères ;
« – un représentant des services historiques du ministère de la Défense ;
« – le chef de la mission de la recherche et de la technologie du ministère
de la Culture et de la communication ;
« – le président de l’Assemblée des départements de France ;

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19_Archsecr_CN Page 234 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

234 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

« – le président de l’Association des maires de France ;


« – le directeur général du Centre national de la recherche scientifique ;
« – le directeur de l’École nationale des chartes ;
« – le directeur de l’École nationale du patrimoine ;
« – le premier vice-président de la conférence des présidents
d’université ;
« – le président de la Fondation nationale des sciences politiques ;
« – le président de l’Association des archivistes français ;
« c) Onze personnalités qualifiées nommées pour trois ans par le
ministre chargé de la culture en fonction de leur compétence en matière
d’archivistique, de conservation ou de recherche historique ou en fonc-
tion de leur qualité d’utilisateurs d’archives ;
« d) Un représentant de chaque organisation syndicale représentée au
comité technique paritaire de la direction des Archives de France.
« Participent en outre aux discussions avec voix consultative :
« – les inspecteurs généraux et les chefs de service de la direction des
archives de France, ainsi que les chefs de centres d’archives nationales ;
« – toute personne désignée par le directeur des Archives de France en
fonction de l’ordre du jour. »
Art. 3. – L’article 4 de l’arrêté du 21 janvier 1988 susvisé est remplacé
par les dispositions suivantes :
« Art. 4. – Le Conseil supérieur des archives se réunit au moins une fois
par an, à l’initiative de son président. »
Art. 4. – L’article 5 de l’arrêté du 21 janvier 1988 susvisé est complété
par l’alinéa suivant :
« Le Conseil supérieur des archives peut en outre créer en son sein des
commissions spécialisées pour suivre toute question entrant dans le
champ de ses compétences. Les responsables concernés de la direction
des archives ainsi que, le cas échéant, des personnalités extérieures au
Conseil supérieur des archives désignées par le ministre chargé de la
culture, compétentes dans le domaine, participent aux travaux de ces
commissions. »
Art. 5. – Le directeur des Archives de France est chargé de l’exécution
du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République
française.

Fait à Paris, le 13 septembre 1999.

Catherine TRAUTMANN
Source : Journal officiel no 225 du 28 septembre 1999, p. 14413.

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Annexes 235

ANNEXE 3
ARRÊTÉ DU 11 OCTOBRE 1999 INSTITUANT UNE DÉROGATION
GÉNÉRALE POUR LA CONSULTATION DE CERTAINS FONDS
D’ARCHIVES PUBLIQUES CONCERNANT LA SECONDE GUERRE
MONDIALE VERSÉS AUX ARCHIVES NATIONALES
PAR LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

Le ministre de l’Intérieur et la ministre de la Culture et de la Commu-


nication,
Vu la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 modifiée sur les archives, et notam-
ment ses articles 7 et 8 ;
Vu le décret no 79-1038 du 3 décembre 1979 relatif à la communicabi-
lité des documents d’archives publiques,
Arrêtent :

Art. 1er. – Par dérogation au 5o de l’article 7 de la loi du 3 janvier 1979 sus-


visée, peuvent être librement consultés les documents conservés au centre
historique des Archives nationales de Paris sous les cotes suivantes :
F la 3706 Statut des juifs ;
F la 4510-4598 Inspection générale des services administratifs ;
F la 4680-4682 Section générale d’armistice ;
F la 4686 Direction des affaires départementales et communales ;
F la 4687-4695 Cabinet du ministre de l’Intérieur ;
F la 4696 Service intérieur du ministère de l’Intérieur ;
F 1bI 984 et 1033 Personnel administratif ;
F 1cI 256-259 Bureau des affaires politiques ;
F 7/14609-14611 Sûreté générale ;
F 7/14641-14643 Service central d’identification ;
F 7/14649-14650 Service central d’identification ;
F 7/14653-14654 Service central d’identification ;
F 7/14659-14663 Service central d’identification ;
F 7/14672 Armes ;
F 7/14678-14680 Armes ;
F 7/14683-14686 Attentats. Autonomistes ;
F 7/14688-14690 Banques ;
F 7/14693 Carnet B ;
F 7/14696-14697 Contrebande. Contribuables ;
F 7/14700 Déserteurs ;
F 7/14705 Escroqueries ;
F 7/14708 Escroqueries ;
F 7/14710-14711 Espionnage. Étrangers ;
F 7/14713-14717 Étrangers ;
F 7/14720-14743 Étrangers ;
F 7/14746-14748 Étrangers ;

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19_Archsecr_CN Page 236 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

236 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

F 7/14751-14758 Étrangers ;
F 7/14760-14763 Étrangers ;
F 7/14768 Fausse monnaie ;
F 7/14771-14772 Fausse monnaie. Fausses cartes d’identité ;
F 7/14774-14776 Faux passeports ;
F 7/14778-14781 Grèves. Hausses illicites. Jeux ;
F 7/14784-14785 Partis et mouvements politiques ;
F 7/14787-14788 Partis et mouvements politiques ;
F 7/14790 Partis et mouvements politiques ;
F 7/14809-14817 Partis et mouvements politiques ;
F 7/14819 Partis et mouvements politiques ;
F 7/14821-14823 Pillages. Propagande défaitiste. Réfugiés ;
F 7/14830-14832 Sabotages. Stupéfiants ;
F 7/14834 Stupéfiants ;
F 7/14836-14851 Stupéfiants. Trafic de décorations. Trafic d’or ;
F 7/14854 Trafic de femmes ;
F 7/14857-14862 Trafic de femmes ;
F 7/14864 Usines ;
F 7/14870-14871 Vols d’objets d’art ;
F 7/14873-14885 Personnalités. Propagande gaulliste. Israélites ;
F 7/14886-14904 Cabinet du secrétariat général à la police ;
F 7/14906-14921 Cabinet du secrétariat général à la police. Gardes des
communications ;
F 7/14924-14965 Sûreté nationale ;
F 7/14968-14972 Inspection générale des camps ;
F 7/14974-15012 Parti communiste et Résistance ;
F 7/15016 Parti communiste ;
F 7/15017-15018 Service central de circulation ;
F 7/15020-15027 Recrutement de la police ;
F 7/15030-15031 Recrutement de la police ;
F 7/15033 École nationale de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or ;
F 7/15086-15111 Camps d’internement administratif ;
F 7/15123-15165 Mélanges : archives allemandes, fichiers des Rensei-
gnements généraux ;
F 7/15166-15177 Sous-direction des étrangers et de la circulation
transfrontière ;
F 7/15273-15317 Renseignements généraux : partis politiques, gouver-
nement, administration ;
F 7/15319-15323 Renseignements généraux : rapports avec l’Alle-
magne et les pays étrangers ;
F 7/15341 Oradour-sur-Glane ;
F 7/15343-15345 Organisations politiques ;
F 7/15347 Questions juives ;
F 7/15351-15352 Banque de France. Colonies ;
F 7/15545-15553 Légion française des combattants. Dossier Pétain.
Fichiers. Documentation ;

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Annexes 237

F 7/15661-15662 Parti communiste et syndicats ;


F 7/15663-15667 Loges maçonniques, sociétés secrètes, camps
d’internement ;
F 7/15670 Camps d’internement ;
F 7/15671 Parité des fonctionnaires de la Sûreté nationale et de la
préfecture de police.

Art. 2. – Par dérogation au 5o de l’article 7 de la loi du 3 janvier 1979


susvisée, peuvent être librement consultés les documents conservés au
centre des archives contemporaines de Fontainebleau sous les cotes
suivantes :
Cabinet et services rattachés
Bureau du chiffre et de la sécurité
790067 :
Art. 1er-4 et 21-24. – Messages « arrivée », registres, 24 avril 1941-
13 novembre 1945 ; messages « départ », registres, 8 juin 1941-
1er mars 1946.
Direction générale de l’administration
Bureau des décorations
910091 :
Art. 1er-7. – Échantillon de fiches individuelles de candidatures présen-
tées pour l’obtention de la médaille des belles actions, de la médaille
pour actes de courage et de dévouement : Occupation, bombardements,
prisonniers de guerre, évadés, arrestations effectuées par l’ennemi,
sabotages, débarquement ; croix de guerre 1939-1945 (1939-1945).
Art. 8. – Idem : médaille des belles actions, médaille de la reconnais-
sance française : mission de rapatriement en Allemagne, Pologne, Tché-
coslovaquie, déminage, occupation en Allemagne et Autriche, libéra-
tion du camp de Dachau, Libé-Nord, les passeurs, prisonniers et
invalides de guerre, évadés, fiches de Jussieu-Pontcarral, réseaux Lord
Devys et famille Martin (1945-1969).
Direction des personnels et des affaires politiques
Secrétariat
780222 :
Art. 1er. – Gouvernement de Vichy : actes constitutionnels, organisation
des grands corps de l’État, pouvoirs des préfets, organisation des cours
de justice, du Conseil national, des ministères et secrétariats d’État ; loi
du 10 juillet 1940 relevant de leurs fonctions certains magistrats, fonc-
tionnaires et agents civils et militaires de l’État ; loi du 14 septembre
1941 portant statut des fonctionnaires de l’État ; liste des fonctionnaires
préfectoraux évincés, arrêtés ou déportés par les Allemands (1944) ;
délégations des attributions administratives et des pouvoirs de tutelle
des préfets et sous-préfets dans les départements et les fractions de
départements non occupés (1940) ; Conseil national de la résistance
(1944-1945).

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238 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Organisation territoriale
780022 :
Art. 2. – Réorganisation des services du ministère de l’Intérieur, et
notamment introduction du bilinguisme dans les départements du Bas-
Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et services militaires accomplis
dans les armées alliées et dans l’armée allemande (1948-1966).
Art. 3. – Reclassement dans les services publics de prisonniers et
déportés, suppressions d’emplois (1940-1962).
Art. 4. – Statut des fonctionnaires issus de la Résistance, et internés ou
déportés, réparations de préjudices de carrière subis sous Vichy ou lors
de l’épuration ; lois d’amnistie (1944-1967).
Direction générale de la police nationale
Cabinet du directeur général de la police nationale
910564 :
Art. 10. – Milice française, secrétariat général, franc-garde permanente
(1943-1944) ; consulat de Pologne, diplomates recherchés (1944) ;
étude des renseignements généraux sur les partis politiques en 1942.
Fichier central de la police
840078 :
Art. 2-3. – Liste de membres des groupements antinationaux (jeunesse
de France et d’outre-mer, milice, PPF, LVF, groupe Collaboration,
MSR, Parti franciste, RNP, Jeunesses nationales populaires) par dépar-
tement (1946).
Art. 3. – Répertoire des ressortissants allemands ayant appartenu aux
services spéciaux du IIIe Reich sur lesquels la DST possède des rensei-
gnements, 2 vol. imprimés, A-J et K-Z.
Art. 4. – Liste de personnes décédées hors de leur domicile de mai à juillet
1940 : rapports préfectoraux (lacunes dans la série départementale) (1944).
Art. 5. – Délégation du Gouvernement français dans les territoires occupés :
liste alphabétique de personnes arrêtées et condamnées par les autorités alle-
mandes et demandes de renseignements adressées par les familles (1943-1944).
880349 :
Art. 1er. – Surveillance de militaires polonais et tchécoslovaques en France
(1940) ; protection du maréchal Pétain, de l’amiral Darlan et de diverses per-
sonnalités (1940-1943) ; surveillance des détenus du fort du Portalet (1941).
880506 :
Art. 1er. – Meurtres entre belligérants, règlements de comptes entre résis-
tants ou collaborateurs, arrestations allemandes, quelques pièces sur le
Comité secret d’action révolutionnaire pendant la guerre (1936-1952).
890064 :
Art. 1er, 15, 20-22, 27 et 29. – Escroqueries et faux ; émission de fausse
monnaie ; vols divers commis par des militants communistes, vols
d’armes et parachutages alliés, vols par les Allemands de biens appar-
tenant à la communauté juive, récupération d’œuvres d’art spoliées par
l’organisation nazie Otto ; vols au préjudice des services postaux ;
incendies volontaires (actes de résistance) (1940-1962).

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Annexes 239

890158 :
Art. 1er-2. – Propagande allemande, propagande défaitiste, propagande
antisémite : rapports de police, notes d’information sur le comité
France-Allemagne et Brinon, les ligues antijuives, des journaux, dont
Le Pilori, la compagnie France-Navigation (1939-1941).
Art. 2-6. – Les réfugiés espagnols en France durant la guerre, activités du
Service d’évacuation des réfugiés espagnols (SERE), du Comité national
catholique et des diverses organisations de réfugiés espagnols : enquêtes
des services centraux de la Sûreté nationale, à Paris, du secrétaire général
de la police, à Vichy, des préfets, des commissariats (1939-1952).
890151 :
Art. 1er, 2, 5-9, 13 et 14. – Enquêtes sur des affaires criminelles :
sabotages ; atteintes à la sûreté de l’État : militants communistes, camps
d’internement, affaire Holtz, arrestations à la Libération, milice et LVF,
Gestapo, à Paris ; la Ligue française pour le redressement de la moralité
politique ; le Gouvernement, à Bordeaux et à Vichy ; trafic de denrées
alimentaires.
Direction des libertés publiques et des affaires juridiques
Bureau des libertés publiques
770130 :
Art. 25. – Commission nationale des déportés et internés politiques
(1955-1961) ; ouverture et fermeture des magasins (1939-1951).
Art. 26. – Action morale en temps de guerre, Alsaciens-Lorrains, attri-
bution du titre de réfractaire (1940-1942).
Art. 28-29. – Saisie de publications (1940-1950).
Art. 33. – Correspondance du garde des Sceaux (1942-1964).
860581 :
Art. 35. – Sûreté de l’État : sociétés secrètes (1942-1947).
Art. 36-37. – Groupements communistes (1939-1946).
Art. 40. – Radio et TSF (1940-1958).
Sous-direction des étrangers et de la circulation transfrontière
880312 :
Art. 1er-24. – Relations internationales en matière d’immigration,
dossiers par pays, notamment : Espagne, Espagnols internés (1940-
1946) ; États-Unis, étrangers aux États-Unis (1938-1954) ; Italie,
Italiens en France (1940-1945) ; Pologne, Polonais en France (1940-
1963) ; Allemagne, en particulier Allemands internés et prisonniers de
guerre allemands convertis en travailleurs (1944-1950).
900353 :
Art. 1er, 4-5. – Les étrangers : textes relatifs à leur statut (1939-1945) ;
textes sur leur circulation et leur séjour (1939-1945) ; propagande gaul-
liste (recrutement en faveur de l’Angleterre), centres de séjour surveillé
et camps d’internement (1944-1946) ; rapatriement des Italiens (1945-
1946) ; étrangers ayant servi dans la Légion étrangère (1940-1958) ;
changements de domicile sous le régime de Vichy (1940-1944).

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240 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Service national de la protection civile


770120 :
Art. 38-69. – Protection générale en temps de guerre, exercices d’alerte,
protection sur place, réfugiés, localités désignées par la défense passive,
secteurs menacés (1939-1968).
Bureau central des cultes
780224 :
Art. 35-39. – Affaires d’Alsace-Lorraine : personnel du corps préfec-
toral, situation administrative des fonctionnaires d’Alsace-Lorraine,
indemnisation des Alsaciens-Lorrains ayant servi dans l’organisation
Todt, rapatriement des soldats enrôlés dans l’armée allemande et empri-
sonnés par les Soviétiques (1943-1975).

Art. 3. – Le directeur des Archives de France est chargé de l’exécution


du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République
française.

Fait à Paris, le 11 octobre 1999.

La ministre de la Culture et de la Communication,


Catherine TRAUTMANN

Le ministre de l’Intérieur,
Jean-Pierre CHEVÈNEMENT
Source : Journal officiel no 266 du 17 novembre 1999, p. 17074.

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Annexes 241

ANNEXE 4
LOI NO 2000-321 DU 12 AVRIL 2000
RELATIVE AUX DROITS DES CITOYENS
DANS LEURS RELATIONS
AVEC LES ADMINISTRATIONS

L’Assemblée nationale et le Sénat ont délibéré,


L’Assemblée nationale a adopté ;
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article 1er
Sont considérés comme autorités administratives au sens de la présente
loi les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établis-
sements publics à caractère administratif, les organismes de sécurité
sociale et les autres organismes chargés de la gestion d’un service public
administratif.

TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ACCÈS AUX RÈGLES
DE DROIT ET À LA TRANSPARENCE
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’accès aux règles de droit

Article 2
Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par le
présent chapitre en ce qui concerne la liberté d’accès aux règles de droit
applicables aux citoyens.
Les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès simple
aux règles de droit qu’elles édictent. La mise à disposition et la diffusion
des textes juridiques constituent une mission de service public au bon
accomplissement de laquelle il appartient aux autorités administratives
de veiller.
Les modalités d’application du présent article sont déterminées, en tant
que de besoin, par décret en Conseil d’État.

Article 3
La codification législative rassemble et classe dans des codes thémati-
ques l’ensemble des lois en vigueur à la date d’adoption de ces codes.
Cette codification se fait à droit constant, sous réserve des modifications
nécessaires pour améliorer la cohérence rédactionnelle des textes
rassemblés, assurer le respect de la hiérarchie des normes et harmoniser
l’état du droit.

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242 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Chapitre II
Dispositions relatives
à la transparence administrative

Article 4
Dans ses relations avec l’une des autorités administratives mentionnées
à l’article 1er, toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom,
la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa
demande ou de traiter l’affaire qui la concerne ; ces éléments figurent
sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant
la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient,
l’anonymat de l’agent est respecté.
Toute décision prise par l’une des autorités administratives mentionnées
à l’article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en
caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.

Article 5
La loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers
et aux libertés est ainsi modifiée :
1o L’article 28 est ainsi rédigé :
« Art. 28. – I. – Au-delà de la durée nécessaire à la réalisation des fina-
lités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, les informations
ne peuvent être conservées sous une forme nominative qu’en vue de leur
traitement à des fins historiques, statistiques ou scientifiques. Le choix
des informations qui seront ainsi conservées est opéré dans les condi-
tions prévues à l’article 4-1 de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les
archives.
« II. – Les informations ainsi conservées, autres que celles visées à
l’article 31, ne peuvent faire l’objet d’un traitement à d’autres fins qu’à
des fins historiques, statistiques ou scientifiques, à moins que ce traite-
ment n’ait reçu l’accord exprès des intéressés ou ne soit autorisé par la
commission dans l’intérêt des personnes concernées.
« Lorsque ces informations comportent des données mentionnées à
l’article 31, un tel traitement ne peut être mis en œuvre, à moins qu’il
n’ait reçu l’accord exprès des intéressés, ou qu’il n’ait été autorisé, pour
des motifs d’intérêt public et dans l’intérêt des personnes concernées,
par décret en Conseil d’État sur proposition ou avis conforme de la
commission. » ;
2o Il est inséré, après l’article 29, un article 29-1 ainsi rédigé :
« Art. 29-1. – Les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à
l’application, au bénéfice de tiers, des dispositions du titre Ier de la loi
no 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration
des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions
d’ordre administratif, social et fiscal et des dispositions du titre II de la
loi no 79-18 du 3 janvier 1979 précitée.

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19_Archsecr_CN Page 243 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 243

« En conséquence, ne peut être regardé comme un tiers non autorisé au


sens de l’article 29 le titulaire d’un droit d’accès aux documents admi-
nistratifs ou aux archives publiques exercé conformément aux lois
no 78-753 du 17 juillet 1978 précitée et no 79-18 du 3 janvier 1979
précitée. » ;
3o Il est inséré, après l’article 33, un article 33-1 ainsi rédigé :
« Art. 33-1. – Les modalités d’application du présent chapitre sont
fixées par décret en Conseil d’État pris après avis de la commission. » ;
4o La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 40-3 est remplacée
par deux phrases ainsi rédigées :
« La demande d’autorisation comporte la justification scientifique et
technique de la dérogation et l’indication de la période nécessaire à la
recherche. À l’issue de cette période, les données sont conservées et trai-
tées dans les conditions fixées à l’article 28. » ;
5o Dans le premier alinéa de l’article 45, les références : « 27, 29 », sont
remplacées par les références : « 27, 28, 29, 29-1 ».

Article 6
L’article 226-20 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 226-20. – I. – Le fait de conserver des informations sous une
forme nominative au-delà de la durée prévue par la demande d’avis ou
la déclaration préalable à la mise en œuvre du traitement informatisé est
puni de trois ans d’emprisonnement et de 300000 F d’amende, sauf si
cette conservation est effectuée à des fins historiques, statistiques ou
scientifiques dans les conditions prévues par la loi.
« II. – Le fait de traiter des informations nominatives conservées au-delà
de la durée mentionnée au I à des fins autres qu’historiques, statistiques
ou scientifiques est puni des mêmes peines, sauf si ce traitement a été
autorisé dans les conditions prévues par la loi. »

Article 7
Le titre Ier de la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses
mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public
et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, est ainsi
modifié :
1o Au premier alinéa de l’article 1er, les mots : « de caractère non
nominatif », sont supprimés ;
2o Le deuxième alinéa de l’article 1er est remplacé par deux alinéas ainsi
rédigés :
« Sont considérés comme documents administratifs, au sens du présent
titre, tous dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux,
statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses minis-
térielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une
description des procédures administratives, avis, prévisions et décisions,
qui émanent de l’État, des collectivités territoriales, des établissements

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19_Archsecr_CN Page 244 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

244 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

publics ou des organismes de droit public ou privé chargés de la gestion


d’un service public. Ces documents peuvent revêtir la forme d’écrits,
d’enregistrements sonores ou visuels, de documents existant sur support
informatique ou pouvant être obtenus par un traitement automatisé
d’usage courant.
« Ne sont pas considérés comme documents administratifs, au sens du
présent titre, les actes des assemblées parlementaires, les avis du
Conseil d’État et des juridictions administratives, les documents de la
Cour des comptes mentionnés à l’article L. 140-9 du code des juridic-
tions financières et les documents des chambres régionales des comptes
mentionnés à l’article L. 241-6 du même code, les documents d’instruc-
tion des réclamations adressées au Médiateur de la République et les
documents préalables à l’élaboration du rapport d’accréditation des
établissements de santé visé à l’article L. 710-5 du code de la santé
publique. » ;
3o L’article 2 est ainsi rédigé :
« Art. 2. – Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités
mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents
administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande,
dans les conditions prévues par le présent titre.
« Le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés.
Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision adminis-
trative tant qu’elle est en cours d’élaboration. Il ne s’exerce plus lorsque
les documents font l’objet d’une diffusion publique. Il ne s’applique pas
aux documents réalisés dans le cadre d’un contrat de prestation de
service exécuté pour le compte d’une ou de plusieurs personnes déter-
minées.
« L’administration sollicitée n’est pas tenue de donner suite aux
demandes abusives, en particulier par leur nombre, leur caractère répé-
titif ou systématique. » ;
4o L’article 4 est ainsi rédigé :
« Art. 4. – L’accès aux documents administratifs s’exerce :
« a) Par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du docu-
ment ne le permet pas ;
« b) Sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du
document, par la délivrance d’une copie facilement intelligible sur un
support identique à celui utilisé par l’administration ou sur papier, au
choix du demandeur dans la limite des possibilités techniques de l’admi-
nistration et aux frais de ce dernier, sans que ces frais puissent excéder
le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret. » ;
5o Les deux premiers alinéas de l’article 5 sont remplacés par trois
alinéas ainsi rédigés :
« Une commission dite “Commission d’accès aux documents admi-
nistratifs” est chargée de veiller au respect de la liberté d’accès aux
documents administratifs et aux archives publiques, dans les conditions
prévues par le présent titre et par le titre II de la loi no 79-18 du

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19_Archsecr_CN Page 245 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 245

3 janvier 1979 sur les archives. Elle émet des avis lorsqu’elle est saisie
par une personne qui rencontre des difficultés pour obtenir la commu-
nication d’un document administratif ou pour consulter des documents
d’archives publiques, à l’exception des documents mentionnés au 3 o de
l’article 3 de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 précitée. La saisine de la
commission pour avis est un préalable obligatoire à l’exercice d’un
recours contentieux.
« Elle conseille les autorités compétentes sur toute question relative à
l’application du présent titre et des dispositions susmentionnées de la loi
no 79-18 du 3 janvier 1979 précitée. Elle peut proposer, à la demande
de l’autorité compétente ou à son initiative, toutes modifications de ces
textes et toutes mesures de nature à faciliter l’exercice du droit d’accès
aux documents administratifs et aux archives publiques et à renforcer la
transparence administrative.
« La commission établit un rapport annuel qui est rendu public. Ce
rapport retrace notamment les principales difficultés rencontrées par les
personnes, au regard des différentes catégories de documents ou
d’archives. » ;
6o Après l’article 5, il est inséré un article 5-1 ainsi rédigé :
« Art. 5-1. – La Commission d’accès aux documents administratifs est
également compétente pour examiner, dans les conditions prévues aux
articles 2 et 5, les questions relatives à l’accès aux documents adminis-
tratifs mentionnés aux dispositions suivantes :
« – l’article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales ;
« – l’article L. 28 du code électoral ;
« – le b de l’article L. 104 du livre des procédures fiscales ;
« – l’article L. 111 du livre des procédures fiscales ;
« – l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association
et l’article 2 du décret du 16 août 1901 ;
« – l’article 79 du code civil local d’Alsace-Moselle ;
« – les articles L. 213-13 et L. 332-29 du code de l’urbanisme. » ;
7o L’article 6 est ainsi rédigé :
« Art. 6. – I. – Ne sont pas communicables les documents administratifs
dont la consultation ou la communication porterait atteinte :
« – au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités respon-
sables relevant du pouvoir exécutif ;
« – au secret de la Défense nationale ;
« – à la conduite de la politique extérieure de la France ;
« – à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou à la sécurité des
personnes ;
« – à la monnaie et au crédit public ;
« – au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou
d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation
donnée par l’autorité compétente ;
« – à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales
et douanières ;

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246 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

« – ou, de façon générale, aux secrets protégés par la loi.


« II. – Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents
administratifs :
« – dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée et
des dossiers personnels, au secret médical et au secret en matière
commerciale et industrielle ;
« – portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne
physique, nommément désignée ou facilement identifiable ;
« – faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la
divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.
« Les informations à caractère médical ne peuvent être communiquées
à l’intéressé que par l’intermédiaire d’un médecin qu’il désigne à cet
effet. » ;
8o L’article 6 bis est abrogé ;
9o L’article 13 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les documents administratifs non communicables au sens du présent
titre deviennent consultables au terme des délais et dans les conditions
fixées par les articles 6 et 7 de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979
précitée. »

Article 8
L’article L. 140-9 du code des juridictions financières est complété par
un alinéa ainsi rédigé :
« À ce titre, elles ne sont notamment pas applicables aux rapports de véri-
fication et avis des comités régionaux ou départementaux d’examen des
comptes des organismes de sécurité sociale visés à l’article L. 134-2. »

Article 9
La loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives est ainsi modifiée :
1o Dans le premier alinéa de l’article 4, après les mots : « visés à
l’article 3 », sont insérés les mots : « et autres que ceux visés à
l’article 4-1. » ;
2o Il est inséré, après l’article 4, un article 4-1 ainsi rédigé :
« Art. 4-1. – Lorsque les documents visés à l’article 3 comportent des
informations nominatives collectées dans le cadre de traitements auto-
matisés régis par la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informa-
tique, aux fichiers et aux libertés, ces informations font l’objet, à l’expi-
ration de la durée prévue à l’article 28 de ladite loi, d’un tri pour
déterminer les informations destinées à être conservées et celles,
dépourvues d’intérêt scientifique, statistique ou historique, destinées à
être détruites.
« Les catégories d’informations destinées à la destruction ainsi que les
conditions de leur destruction sont fixées par accord entre l’autorité qui
les a produites ou reçues et l’administration des archives. »

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19_Archsecr_CN Page 247 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 247

Chapitre III
Dispositions relatives à la transparence financière

Article 10
Les budgets et les comptes des autorités administratives mentionnées
à l’article 1er et dotées de la personnalité morale sont communicables
à toute personne qui en fait la demande, dans les conditions prévues
par la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 précitée.
La communication de ces documents peut être obtenue tant auprès de
l’autorité administrative concernée que de celles qui les détiennent.
L’autorité administrative qui attribue une subvention doit, lorsque
cette subvention dépasse un seuil défini par décret, conclure une
convention avec l’organisme de droit privé qui en bénéficie, définis-
sant l’objet, le montant et les conditions d’utilisation de la subvention
attribuée.
Lorsque la subvention est affectée à une dépense déterminée, l’orga-
nisme de droit privé bénéficiaire doit produire un compte rendu finan-
cier qui atteste la conformité des dépenses effectuées à l’objet de la
subvention. Le compte rendu financier est déposé auprès de l’autorité
administrative qui a versé la subvention dans les six mois suivant la
fin de l’exercice pour lequel elle a été attribuée.
Le budget et les comptes de tout organisme de droit privé ayant reçu
une subvention, la convention prévue au présent article et le compte
rendu financier de la subvention doivent être communiqués à toute
personne qui en fait la demande par l’autorité administrative ayant
attribué la subvention ou celles qui les détiennent, dans les conditions
prévues par la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 précitée.
Les organismes de droit privé ayant reçu annuellement de l’ensemble
des autorités administratives une subvention supérieure à un montant
fixé par décret doivent déposer à la préfecture du département où se
trouve leur siège social leur budget, leurs comptes, les conventions
prévues au présent article et, le cas échéant, les comptes rendus finan-
ciers des subventions reçues pour y être consultés.

Article 11
L’article L. 111-7 du code des juridictions financières est complété
par les mots : « et sur les organismes qui sont habilités à recevoir des
taxes parafiscales, des impositions de toute nature et des cotisations
légalement obligatoires, de même que sur les organismes habilités à
percevoir des versements libératoires d’une obligation légale de
faire ».

Article 12
I. – Dans le titre IV du livre Ier du code des juridictions financières, il
est inséré, après l’article L. 140-1, un article L. 140-1-1 ainsi rédigé :

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248 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

« Art. L. 140-1-1. – Le procureur de la République peut transmettre au


procureur général près la Cour des comptes, d’office ou à la demande
de ce dernier, la copie de toute pièce d’une procédure judiciaire rela-
tive à des faits de nature à constituer des irrégularités dans les comptes
ou dans la gestion de l’État, des établissements publics ou des orga-
nismes relevant de la compétence de la Cour des comptes. »
II. – Dans le chapitre Ier du titre IV de la première partie du livre II du
code des juridictions financières, il est inséré, après l’article L. 241-2,
un article L. 241-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 241-2-1. – Le procureur de la République peut transmettre au
commissaire du Gouvernement d’une chambre régionale des comptes,
d’office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute pièce d’une
procédure judiciaire relative à des faits de nature à constituer des irré-
gularités dans les comptes ou dans la gestion des collectivités ou orga-
nismes relevant de la compétence de cette chambre. »
III. – Dans le chapitre IV du titre Ier du livre III du code des juridic-
tions financières, l’article L. 314-18 est complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Le procureur de la République peut transmettre au procureur général
près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline
budgétaire et financière, d’office ou à la demande de ce dernier, la
copie de toute pièce d’une procédure judiciaire relative à des faits de
nature à constituer des infractions prévues et sanctionnées par les arti-
cles L. 313-1 à L. 313-14. »

Article 13
I. – La sous-section 2 de la section 6 du chapitre II du titre VI de la
deuxième partie du livre II du code des juridictions financières est
complétée par un article L. 262-45-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 262-45-1. – Le procureur de la République peut transmettre
au commissaire du Gouvernement de la chambre territoriale des
comptes, d’office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute
pièce d’une procédure judiciaire relative à des faits de nature à consti-
tuer des irrégularités dans les comptes ou dans la gestion des collecti-
vités ou organismes mentionnés à l’article L. 262-44. »
II. – La sous-section 2 de la section 6 du chapitre II du titre VII de la
deuxième partie du livre II du code des juridictions financières est
complétée par un article L. 272-43-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 272-43-1. – Le procureur de la République peut transmettre
au commissaire du Gouvernement de la chambre territoriale des
comptes, d’office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute
pièce d’une procédure judiciaire relative à des faits de nature à consti-
tuer des irrégularités dans les comptes ou dans la gestion des collecti-
vités ou organismes mentionnés à l’article L. 272-42. »

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19_Archsecr_CN Page 249 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 249

III. – Dans le titre V de la première partie du livre II du code des juri-


dictions financières, l’article L. 250-1 est complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Le procureur de la République peut transmettre au commissaire
du Gouvernement de la chambre régionale des comptes, d’office ou à la
demande de ce dernier, la copie de toute pièce d’une procédure judi-
ciaire relative à des faits de nature à constituer des irrégularités dans les
comptes ou dans la gestion des collectivités ou organismes relevant de
la compétence de cette chambre. »

Article 14
Le titre III du livre Ier de la troisième partie du code général des collec-
tivités territoriales est complété par un chapitre III ainsi rédigé :
« Chapitre III
« Exercice par un contribuable
des actions appartenant au département
« Art. L. 3133-1. – Tout contribuable inscrit au rôle du département a le
droit d’exercer, tant en demande qu’en défense, à ses frais et risques,
avec l’autorisation du tribunal administratif, les actions qu’il croit
appartenir au département et que celui-ci, préalablement appelé à en
délibérer, a refusé ou négligé d’exercer.
« Le contribuable adresse au tribunal administratif un mémoire.
« Le président du conseil général soumet ce mémoire au conseil général
réuni dans les conditions prévues aux articles L. 3121-9 et L. 3121-10.
« Lorsqu’un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir
en appel ou en cassation qu’en vertu d’une nouvelle autorisation. »

Article 15
Le titre IV du livre Ier de la quatrième partie du même code est complété
par un chapitre III ainsi rédigé :
« Chapitre III
« Exercice par un contribuable des actions
appartenant à la région
« Art. L. 4143-1. – Tout contribuable inscrit au rôle de la région a le
droit d’exercer, tant en demande qu’en défense, à ses frais et risques,
avec l’autorisation du tribunal administratif, les actions qu’il croit
appartenir à la région et que celle-ci, préalablement appelée à en déli-
bérer, a refusé ou négligé d’exercer.
« Le contribuable adresse au tribunal administratif un mémoire.
« Le président du conseil régional soumet ce mémoire au conseil
régional spécialement convoqué à cet effet. Le délai de convocation
peut être abrégé.
« Lorsqu’un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir
en appel ou en cassation qu’en vertu d’une nouvelle autorisation. »

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19_Archsecr_CN Page 250 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

250 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS
DES CITOYENS AVEC LES ADMINISTRATIONS
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’amélioration
des procédures administratives

Article 16
Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour
présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement
ou produire un document auprès d’une autorité administrative peut
satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d’un
envoi postal, le cachet de la poste faisant foi, ou d’un procédé téléma-
tique ou informatique homologué permettant de certifier la date
d’envoi. Ces dispositions ne sont applicables ni aux procédures régies
par le code des marchés publics ni à celles pour lesquelles la présence
personnelle du demandeur est exigée en application d’une disposition
particulière.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en
Conseil d’État.

Article 17
La loi no 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en
matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes
morales de droit public est ainsi modifiée :
1o Au premier alinéa du I de l’article 1er, les mots : « quatre mois », sont
remplacés par les mots : « deux mois » ;
2o Dans la dernière phrase du deuxième alinéa du I de cet article, les
mots : « six mois », sont remplacés par les mots : « quatre mois » ;
3o Dans la première phrase du premier alinéa du II de cet article, les
mots : « quatre mois », sont remplacés par les mots : « deux mois » ;
4o Il est inséré, après l’article 1er, un article 1er-1, ainsi rédigé :
« Art. 1er-1. – Les dispositions de l’article 1er sont applicables aux déci-
sions du juge des référés accordant une provision. »

Chapitre II
Dispositions relatives au régime des décisions
prises par les autorités administratives

Article 18
Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les
demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérar-
chiques, adressées aux autorités administratives.

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19_Archsecr_CN Page 251 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 251

À l’exception de celles de l’article 21, les dispositions des articles 19


à 24 ne s’appliquent pas aux relations entre les autorités administratives
et leurs agents.

Article 19
Toute demande adressée à une autorité administrative fait l’objet d’un
accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en
Conseil d’État. Ce décret détermine les cas dans lesquels il n’est pas
accusé réception des demandes en raison de la brièveté du délai imparti
à l’autorité pour répondre, ou lorsque la demande n’appelle pas d’autre
réponse que le service d’une prestation ou la délivrance d’un document
prévus par les lois et les règlements.
L’autorité administrative n’est pas tenue d’accuser réception des
demandes abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif
ou systématique.
Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande
lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte
pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa.
Le défaut de délivrance d’un accusé de réception n’emporte pas l’inop-
posabilité des délais de recours à l’encontre de l’auteur de la demande
lorsqu’une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant
l’expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une déci-
sion implicite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux demandes
dont l’accusé de réception est régi par des dispositions spéciales.

Article 20
Lorsqu’une demande est adressée à une autorité administrative incom-
pétente, cette dernière la transmet à l’autorité administrative compétente
et en avise l’intéressé.
Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision impli-
cite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par
l’autorité initialement saisie.
Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision impli-
cite d’acceptation ne court qu’à compter de la date de réception de la
demande par l’autorité compétente.
Dans tous les cas, l’accusé de réception est délivré par l’autorité compé-
tente.

Article 21
Sauf dans les cas où un régime de décision implicite d’acceptation est
institué dans les conditions prévues à l’article 22, le silence gardé
pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une
demande vaut décision de rejet.
Lorsque la complexité ou l’urgence de la procédure le justifie, des
décrets en Conseil d’État prévoient un délai différent.

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19_Archsecr_CN Page 252 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

252 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Article 22
Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une
demande vaut décision d’acceptation dans les cas prévus par décrets en
Conseil d’État. Cette décision peut, à la demande de l’intéressé, faire
l’objet d’une attestation délivrée par l’autorité administrative. Lorsque
la complexité ou l’urgence de la procédure le justifie, ces décrets
prévoient un délai différent. Ils définissent, lorsque cela est nécessaire,
les mesures destinées à assurer l’information des tiers.
Toutefois, ces décrets ne peuvent instituer un régime de décision impli-
cite d’acceptation lorsque les engagements internationaux de la France,
l’ordre public, la protection des libertés ou la sauvegarde des autres prin-
cipes de valeur constitutionnelle s’y opposent. De même, sauf dans le
domaine de la sécurité sociale, ils ne peuvent instituer aucun régime
d’acceptation implicite d’une demande présentant un caractère financier.

Article 23
Une décision implicite d’acceptation peut être retirée, pour illégalité,
par l’autorité administrative :
1o pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d’infor-
mation des tiers ont été mises en œuvre ;
2o pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est inter-
venue la décision, lorsque aucune mesure d’information des tiers n’a été
mise en œuvre ;
3o pendant la durée de l’instance au cas où un recours contentieux a été
formé.

Article 24
Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions
individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1 er et
2 de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes
administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et
le public n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise
à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa
demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister
par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L’autorité
administrative n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition
abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systé-
matique.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables :
1o en cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles ;
2o lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l’ordre
public ou la conduite des relations internationales ;
3o aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont
instauré une procédure contradictoire particulière.
Les modalités d’application du présent article sont fixées en tant que de
besoin par décret en Conseil d’État.

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19_Archsecr_CN Page 253 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 253

Article 25
Les décisions des organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale
agricole de salariés ou de non-salariés ordonnant le reversement des
prestations sociales indûment perçues sont motivées. Elles indiquent les
voies et délais de recours ouverts à l’assuré, ainsi que les conditions et
les délais dans lesquels l’assuré peut présenter ses observations écrites
ou orales. Dans ce dernier cas, l’assuré peut se faire assister par un
conseil ou représenter par un mandataire de son choix.

TITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES AU MÉDIATEUR
DE LA RÉPUBLIQUE
Article 26
La loi no 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la Répu-
blique est ainsi modifiée :
1o Après le deuxième alinéa de l’article 6, il est inséré un alinéa ainsi
rédigé :
« Le Médiateur européen ou un homologue étranger du Médiateur de la
République, saisi d’une réclamation qui lui paraît entrer dans la compé-
tence et mériter l’intervention de ce dernier, peut lui transmettre cette
réclamation. » ;
2o Il est inséré, après l’article 6, un article 6-1 ainsi rédigé :
« Art. 6-1. – Le Médiateur de la République dispose, sur l’ensemble du
territoire, de délégués qu’il désigne.
« Ils apportent aux personnes visées au premier alinéa de l’article 6 les
informations et l’assistance nécessaires à la présentation des réclamations.
« À la demande du Médiateur de la République, ils instruisent les récla-
mations qu’il leur confie et participent au règlement des difficultés dans
leur ressort géographique.
« Un député ou un sénateur, saisi d’une réclamation qui lui paraît entrer
dans la compétence et mériter l’intervention du Médiateur de la Répu-
blique, peut remettre cette réclamation à un délégué qui la transmet au
Médiateur de la République. » ;
3o Le premier alinéa de l’article 9 est remplacé par trois alinéas ainsi
rédigés :
« Lorsqu’une réclamation lui paraît justifiée, le Médiateur de la Répu-
blique fait toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à
régler les difficultés dont il est saisi et, notamment, recommande à
l’organisme mis en cause toute solution permettant de régler en équité
la situation de l’auteur de la réclamation.
« Lorsqu’il apparaît au Médiateur de la République qu’un organisme
mentionné à l’article 1er n’a pas fonctionné conformément à la mission
de service public qu’il doit assurer, il peut proposer à l’autorité compé-
tente toutes mesures qu’il estime de nature à remédier à cette situation.

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19_Archsecr_CN Page 254 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

254 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

« Lorsqu’il lui apparaît que l’application de dispositions législatives ou


réglementaires aboutit à des situations inéquitables, il peut suggérer les
modifications qui lui paraissent opportunes. » ;
4o La deuxième phrase du second alinéa de l’article 9 est complétée par
les mots « et ses propositions » ;
5o La seconde phrase de l’article 14 est complétée par les mots : « et fait
l’objet d’une communication du Médiateur de la République devant
chacune des deux assemblées. »

TITRE IV
DISPOSITIONS RELATIVES AUX MAISONS
DES SERVICES PUBLICS
Article 27
Afin de faciliter les démarches des usagers et d’améliorer la proximité
des services publics sur le territoire en milieu urbain et rural, une maison
des services publics réunit des services publics relevant de l’État ou de
ses établissements publics, des collectivités territoriales ou de leurs
établissements publics, des organismes de sécurité sociale ou d’autres
organismes chargés d’une mission de service public parmi lesquels
figure au moins une personne morale de droit public.
Les agents exerçant leurs fonctions dans les maisons des services
publics sont régis par les dispositions prévues par leur statut ou les
dispositions législatives et réglementaires les concernant. Le respon-
sable de la maison des services publics est désigné parmi les agents
soumis aux dispositions de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant
droits et obligations des fonctionnaires.
La maison des services publics est créée par une convention qui est
approuvée par le représentant de l’État dans le département.
Cette convention définit le cadre géographique dans lequel la maison
des services publics exerce son activité, les missions qui y sont assu-
rées, les modalités de désignation de son responsable, les prestations
qu’elle peut délivrer et les décisions que son responsable peut prendre
dans le domaine de compétence de son administration ou signer sur
délégation de l’autorité compétente. La convention prévoit également
les conditions dans lesquelles les personnels relevant des personnes
morales qui y participent exercent leurs fonctions. Elle règle les
modalités financières et matérielles de fonctionnement de la maison
des services publics ainsi que les modalités d’accès aux services
publics des personnes ayant des difficultés pour se déplacer. Les
services publics concernés peuvent être proposés, notamment en
milieu rural, de façon itinérante dans le cadre géographique défini par
la convention.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en
Conseil d’État.

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19_Archsecr_CN Page 255 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 255

Article 28
I. – La première phrase du deuxième alinéa de l’article 29-1 de la loi
no 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le
développement du territoire est ainsi rédigée :
« À cette fin, les organismes visés au premier alinéa peuvent, dans les
conditions prévues par les articles 27 et 29 de la loi no 2000-321 du
12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec
les administrations, créer des maisons des services publics ou participer
à leur fonctionnement, afin d’offrir aux usagers un accès simple, en un
lieu unique, à plusieurs services publics ; ces organismes peuvent égale-
ment, aux mêmes fins et pour maintenir la présence d’un service public
de proximité, conclure une convention régie par l’article 30 de la même
loi. »
II. – Dans le IV de l’article 30 de la loi no 99-533 du 25 juin 1999 d’orien-
tation pour l’aménagement et le développement durable du territoire,
après les mots : « maisons des services publics », sont insérés les mots :
« prévues par l’article 27 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative
aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ».

Article 29
Une ou des maisons des services publics peuvent être créées sous la
forme d’un groupement d’intérêt public régi par les dispositions de
l’article 21 de la loi no 82-610 du 15 juillet 1982 d’orientation et de
programmation pour la recherche et le développement technologique de
la France et soumis aux règles de la comptabilité publique et du code
des marchés publics, dans les conditions définies à l’article 27 de la
présente loi. Les fonctionnaires qui y travaillent sont mis à disposition
ou détachés.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en
Conseil d’État.

Article 30
Une convention régie par les dispositions des troisième et quatrième
alinéas de l’article 27 peut être conclue par une personne morale
chargée d’une mission de service public avec l’État, une collectivité
territoriale ou une autre personne morale chargée d’une mission de
service public afin de maintenir la présence d’un service public de
proximité.

TITRE V
DISPOSITIONS RELATIVES À LA FONCTION PUBLIQUE
Article 31
Au 1o de l’article L. 2122-19 et à l’article L. 2511-27 du code général
des collectivités territoriales, aux troisième et quatrième alinéas de

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19_Archsecr_CN Page 256 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

256 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

l’article 47 et au quatrième alinéa de l’article 53 de la loi no 84-53 du


26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction
publique territoriale :
1o les mots : « secrétaire général », sont remplacés par les mots :
« directeur général des services » ;
2o les mots : « secrétaire général adjoint », sont remplacés par les mots :
« directeur général adjoint des services ».
Toutefois, jusqu’à leur modification, les délibérations et les décisions indi-
viduelles mentionnant les appellations telles qu’elles étaient fixées par le
code général des collectivités territoriales et par la loi no 84-53 du
26 janvier 1984 précitée avant les modifications prévues par le présent arti-
cle sont réputées conformes aux dispositions modifiées par la présente loi.

Article 32
Le dernier alinéa de l’article 110 de la loi no 84-53 du 26 janvier 1984
portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territo-
riale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette disposition ne saurait interdire aux juridictions compétentes et
aux autorités administratives chargées du contrôle de légalité d’exercer
leurs missions dans les conditions de droit commun. »

Article 33
I. – Au deuxième alinéa de l’article L. 30 du code des pensions civiles
et militaires de retraite, les mots : « indice réel correspondant à l’indice
brut 125 », sont remplacés par les mots : « indice brut afférent à l’indice
100 prévu par l’article 1er du décret no 48-1108 du 10 juillet 1948 ».
II. – 1. Il est inséré, après le premier alinéa de l’article L. 28 du même
code, un alinéa ainsi rédigé :
« Le droit à cette rente est également ouvert au fonctionnaire retraité qui
est atteint d’une maladie professionnelle dont l’imputabilité au service
est reconnue par la commission de réforme postérieurement à la date de
la radiation des cadres, dans les conditions définies à l’article L. 31.
Dans ce cas, la jouissance de la rente prend effet à la date du dépôt de
la demande de l’intéressé, sans pouvoir être antérieure à la date de publi-
cation de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations. Il en est égale-
ment ainsi lorsque l’entrée en jouissance de la pension est différée en
application de l’article L. 25 du présent code. »
2. Le deuxième alinéa de l’article L. 30 du même code est complété par
une phrase ainsi rédigée :
« Le droit à cette majoration est également ouvert au fonctionnaire rele-
vant du deuxième alinéa de l’article L. 28. »

Article 34
I. – Les agents non titulaires de l’État et de ses établissements publics à
caractère administratif, en fonctions à la date de publication de la

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Annexes 257

présente loi et qui n’ont pas été recrutés en application des articles 3, 4,
6 et 27 de la loi no 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statu-
taires relatives à la fonction publique de l’État, bénéficient d’un contrat
à durée indéterminée lorsqu’ils assurent :
1o soit des fonctions du niveau de la catégorie C concourant à l’entretien
ou au gardiennage de services administratifs ;
2o soit des fonctions de même niveau concourant au fonctionnement de
services administratifs de restauration, des hôtels de représentation du
Gouvernement dans les régions et les départements, des hôtels de
commandement ou des services d’approvisionnement relevant du
ministère chargé de la défense.
Les fonctions mentionnées ci-dessus peuvent être exercées à temps
incomplet.
II. – Les personnels mentionnés au I ci-dessus peuvent demander que le
contrat de travail sur la base duquel ils ont été engagés soit un contrat
de droit privé soumis aux dispositions du code du travail. Les intéressés
disposent d’un délai d’un an à compter de la date de publication de la
présente loi pour présenter leur demande. Le bénéfice des dispositions
du présent paragraphe leur est reconnu à compter de la date de leur enga-
gement initial.
III. – Les dispositions des I et II ci-dessus ne s’appliquent pas aux
personnels contractuels qui ont été recrutés sur place, avant la date de
publication de la présente loi, par les services de l’État à l’étranger, sur
des contrats de travail soumis au droit local, quelles que soient les fonc-
tions qu’ils exercent.
IV. – Les dispositions de la loi no 96-1093 du 16 décembre 1996 relative
à l’emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d’ordre statu-
taire ne s’appliquent pas aux agents mentionnés au III ci-dessus.
V. – Lorsque les nécessités du service le justifient, les services de l’État
à l’étranger peuvent, dans le respect des conventions internationales du
travail, faire appel à des personnels contractuels recrutés sur place, sur
des contrats de travail soumis au droit local, pour exercer des fonctions
concourant au fonctionnement desdits services.
Dans le délai d’un an suivant la publication de la présente loi, et après
consultation de l’ensemble des organisations syndicales représenta-
tives, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport portant sur
l’évaluation globale du statut social de l’ensemble des personnels sous
contrat travaillant à l’étranger.
VI. – Les agents visés aux I, II et III du présent article ne peuvent béné-
ficier des dispositions des articles 73 et suivants de la loi no 84-16 du
11 janvier 1984 précitée, à l’exception de ceux qui ont obtenu une déci-
sion de justice passée en force de chose jugée.

Article 35
I. – Les agents non titulaires des collectivités territoriales et des établis-
sements publics en relevant mentionnés à l’article 2 de la loi no 84-53

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258 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction


publique territoriale, en fonctions à la date de publication de la présente
loi, qui n’ont pas été recrutés en application de l’article 3 et des deux
derniers alinéas de l’article 38 de la loi no 84-53 du 26 janvier 1984
précitée, et qui assurent :
1o soit des fonctions du niveau de la catégorie C concourant à l’entretien
ou au gardiennage de services administratifs ;
2o soit des fonctions de même niveau concourant au fonctionnement de
services administratifs de restauration,
bénéficient d’un contrat à durée indéterminée sauf s’ils sont recrutés
dans les conditions prévues au d de l’article 38 de la loi no 84-53 du
26 janvier 1984 précitée.
Les agents non titulaires qui bénéficient d’un contrat à durée indéter-
minée en application du présent paragraphe sont régis par les deuxième
et quatrième alinéas de l’article 136 de la loi no 84-53 du 26 janvier
1984 précitée.
II. – Les agents non titulaires mentionnés au I ci-dessus peuvent
demander que le contrat de travail sur la base duquel ils ont été engagés
soit un contrat de droit privé soumis aux dispositions du code du travail.
Les intéressés disposent d’un délai de un an à compter de la date de
publication de la présente loi pour présenter leur demande. Le bénéfice
des dispositions du présent paragraphe leur est reconnu à compter de la
date de leur engagement initial.
III. – Les agents visés au I et au II ci-dessus ne peuvent bénéficier des
dispositions des articles 126 à 135 de la loi no 84-53 du 26 janvier 1984
précitée, à l’exception de ceux qui ont obtenu une décision de justice
passée en force de chose jugée.

Article 36
I. – Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose
jugée, sont validés :
1o les décisions individuelles prises en application du décret no 95-1272
du 6 décembre 1995 portant statut des personnels de l’Office national
de la chasse intervenues avant la date d’entrée en vigueur du décret
no 98-1262 du 29 décembre 1998 portant statut des personnels de
l’Office national de la chasse ;
2o les décrets portant statuts des personnels mentionnés au 2o de
l’article 3 de la loi no 84-16 du 11 janvier 1984 précitée, en tant que leur
légalité serait mise en cause à raison de l’absence de consultation du
Conseil d’État ;
3o les décisions individuelles prises en application du décret no 96-1086
du 9 décembre 1996 portant statut des personnels techniques et admi-
nistratifs du Conseil supérieur de la pêche intervenues avant le 5 mai
1999.
II. – Le chapitre Ier du titre II du livre II du code rural est complété par
les articles L. 221-8-1 et L. 221-8-2 ainsi rédigés :

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Annexes 259

« Art. L. 221-8-1. – Les fonctions d’agent de l’Office national de la


chasse commissionné au titre des eaux et forêts et assermenté sont
soumises aux règles d’incompatibilité prévues à l’article L. 341-4 du
code forestier.
« Art. L. 221-8-2. – À titre exceptionnel, les agents commissionnés et
assermentés peuvent, après avis de la commission consultative paritaire,
faire l’objet des mesures suivantes :
« 1o s’ils ont accompli un acte de bravoure dûment constaté ou s’ils ont
été grièvement blessés dans l’exercice de leurs fonctions, ils peuvent
être promus à l’un des échelons supérieurs de leur grade ou à un grade
immédiatement supérieur ;
« 2o s’ils ont été mortellement blessés dans ces mêmes circonstances, ils
peuvent en outre être nommés à titre posthume à un niveau hiérarchique
supérieur.
« Les agents qui doivent faire l’objet d’une promotion en vertu des
dispositions qui précèdent sont, s’ils n’y figurent déjà, inscrits à la suite
du tableau d’avancement de l’année en cours. En cas de décès, ils sont
promus à la date de celui-ci.
« À titre exceptionnel, les agents stagiaires peuvent, après avis de la
commission consultative paritaire, être titularisés à titre posthume s’ils
ont été mortellement blessés dans l’exercice de leurs fonctions. »

Article 37
Les candidats déclarés admis au concours de professeur territorial
d’enseignement artistique, spécialité arts plastiques, session de 1994,
gardent le bénéfice de leur inscription sur la liste d’aptitude établie à
l’issue dudit concours.

TITRE VI
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 38
Sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, ont la
qualité d’étudiant de deuxième année du premier cycle d’études médi-
cales à l’université Montpellier-I au titre de l’année universitaire 1999-
2000 les candidats dont l’admission a été prononcée conformément au
classement arrêté par le jury du 20 décembre 1999 et compte tenu du
nombre d’étudiants admis à poursuivre ces études fixé à la suite de la
reprise de deux épreuves ordonnée par le tribunal administratif de Mont-
pellier dans son jugement du 14 octobre 1999.

Article 39
Sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, sont vali-
dées les quatre-vingt-huit admissions en deuxième année d’études
médicales et odontologiques pour l’année universitaire 1999-2000

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260 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

intervenues à la suite des épreuves du concours organisé pour l’année


universitaire 1998-1999 à l’université de Bretagne occidentale, en tant
que leur légalité serait remise en cause sur le fondement de l’irrégularité
de la correction des épreuves correspondantes et de la fixation du
nombre d’étudiants autorisés à poursuivre ces études.

Article 40
L’article 28 de la loi no 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforce-
ment de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des
produits destinés à l’homme est ainsi modifié :
1o dans le premier alinéa, après les mots : « fonction publique de
l’État », sont insérés les mots : « ou dans les services de médecine pro-
fessionnelle et préventive des collectivités et établissements employant
des agents régis par la loi no 84-53 du 26 janvier 1984 portant disposi-
tions statutaires relatives à la fonction publique territoriale » ;
2o le 2o est complété par les mots : « pour les médecins exerçant dans
les services médicaux du travail régis par le titre IV du livre II du code
du travail ou dans les services de médecine de prévention des adminis-
trations et établissements publics de l’État et avant la fin de l’année
universitaire 2001-2002 pour les médecins exerçant dans les services de
médecine professionnelle et préventive des collectivités territoriales et
des établissements publics territoriaux » ;
3o dans l’avant-dernier alinéa, les mots : « en qualité de médecin de
prévention », sont remplacés par les mots : « en qualité de médecins de
médecine préventive ou de médecine professionnelle et préventive ».

Article 41
I. – Les articles 1er à 4, 5 à 7, 10 et 43 ainsi que le titre II, à l’exception
des articles 17 et 25, sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Poly-
nésie française et à Wallis-et-Futuna aux administrations de l’État et à
leurs établissements publics.
Pour leur application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et
à Wallis-et-Futuna, les références à la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur
les archives sont remplacées par les références aux dispositions appli-
cables localement en matière d’archives.
À l’article 10, pour son application en Nouvelle-Calédonie, en Poly-
nésie française et à Wallis-et-Futuna, les mots : « préfecture du
département », sont remplacés respectivement par les mots : « Haut-
Commissariat de la Nouvelle-Calédonie », « Haut-Commissariat de la
Polynésie française » et « Administration supérieure des îles Wallis et
Futuna ».
II. – Les articles 1er à 4, 5 à 7, 9, 10, 43, le titre II, à l’exception des
articles 17 et 25, ainsi que le titre IV, à l’exception de l’article 28, sont
applicables dans la collectivité territoriale de Mayotte.
À l’article 10, les mots : « préfecture du département », sont remplacés par les
mots : « représentation du Gouvernement dans la collectivité territoriale ».

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Annexes 261

Article 42
Le mandat des représentants titulaires et suppléants au comité technique
paritaire ministériel, institué par le décret no 94-360 du 6 mai 1994
modifié relatif au comité technique paritaire ministériel du ministère de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est prorogé pour la
période du 5 juillet 1997 au 30 juin 2000.

Article 43
Les articles 16 et 18 à 24 entreront en vigueur le premier jour du
septième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 12 avril 2000.
Par le Président de la République : Jacques CHIRAC
Le Premier ministre, Lionel JOSPIN
Le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie,
Laurent FABIUS
La ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Martine AUBRY
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Élisabeth GUIGOU
Le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT
Le ministre de l’Éducation nationale, Jack LANG
Le ministre des Affaires étrangères, Hubert VÉDRINE
Le ministre de la Défense, Alain RICHARD
Le ministre de l’Équipement, des transports et du logement,
Jean-Claude GAYSSOT
La ministre de la Culture et de la Communication, Catherine TASCA
Le ministre de l’Agriculture et de la Pêche, Jean GLAVANY
La ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement,
Dominique VOYNET
Le ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’État,
Michel SAPIN
La ministre de la Jeunesse et des Sports, Marie-George BUFFET
Le ministre de la Recherche, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG
Source : Journal officiel no 88 du 13 avril 2000, p. 5646.

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262 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

ANNEXE 5
CIRCULAIRE DU 13 AVRIL 2001 RELATIVE
À L’ACCÈS AUX ARCHIVES PUBLIQUES EN RELATION
AVEC LA GUERRE D’ALGÉRIE.

Paris, le 13 avril 2001

Le Premier ministre à Madame la ministre de l’Emploi et de la Solida-


rité, Madame la garde des Sceaux, ministre de la Justice, Monsieur le
ministre de l’Intérieur, Monsieur le ministre des Affaires étrangères,
Monsieur le ministre de la Défense et Madame la ministre de la Culture
et de la Communication.
Le retour sur les événements liés à la guerre d’Algérie comme les
récents débats qui se sont développés à ce sujet montrent l’intérêt qui
s’attache à ce que les faits correspondant à cette période reçoivent
l’éclairage de la recherche historique. En effet, seule une telle
approche, avec les exigences de rigueur et de méthode qui lui sont
inhérentes, permettra de donner de ces faits une connaissance claire et
impartiale. Un travail historique de qualité ne peut toutefois être mené
sans que les chercheurs disposent d’un large accès aux archives publi-
ques relatives à ces événements. C’est pourquoi je souhaite que cet
accès soit facilité. L’objet de la présente circulaire est d’indiquer
comment un tel objectif peut être atteint, dans le respect de la législa-
tion applicable.
1. Les documents produits par les administrations publiques durant la
période en cause sont en principe accessibles de plein droit, puisque le
délai de trente ans, fixé par l’article 6 de la loi no 79-18 du 3 janvier
1979 sur les archives, à l’issue duquel les archives publiques peuvent
être librement consultées, est aujourd’hui expiré.
Les seules restrictions possibles concernent donc des documents qui, en
raison des informations ou des renseignements qu’ils contiennent, relè-
veraient, pour leur consultation, des délais spéciaux prévus à l’article 7
de la même loi. Il peut s’agir, notamment, de documents contenant des
informations mettant en cause la vie privée, ou intéressant la sûreté de
l’État ou la Défense nationale, ou encore relatifs aux affaires portées
devant les juridictions.
L’article 8 de la loi et les textes réglementaires pris pour son application
donnent toutefois la faculté à l’administration compétente d’autoriser la
consultation des archives avant l’expiration des délais ainsi fixés.
Ce régime dérogatoire obéit à des procédures distinctes, selon que les
archives relèvent de la direction des Archives de France, du ministère
de la Culture et de la Communication, ou des deux départements (minis-
tère des Affaires étrangères et ministère de la Défense) qui administrent
leurs archives de manière autonome.

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19_Archsecr_CN Page 263 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

Annexes 263

Dans le premier cas, régi par le décret no 79-1038 du 3 décembre 1979


relatif à la communicabilité des documents d’archives publiques, l’auto-
risation est donnée par le ministre chargé de la culture, qui s’assure de
l’accord préalable de l’autorité qui a effectué le versement ou qui
conserve les archives. Cet accord est donné ou refusé en prenant exclu-
sivement en compte le contenu des fonds qui sont l’objet de la demande.
C’est au ministre chargé de la culture qu’il appartient d’apprécier le
sérieux de la demande, en s’assurant, le cas échéant, des capacités et de
la motivation de la personne dont elle émane.
Dans la seconde hypothèse, les autorisations sont directement accor-
dées, selon le cas, par le ministre des Affaires étrangères (art. 10 du
décret no 80-975 du 1er décembre 1980 relatif aux archives du ministère
des Affaires étrangères), ou le ministre de la Défense, ou encore par
moi-même, lorsqu’il s’agit de documents versés aux archives qu’admi-
nistre le ministère de la Défense par des services qui me sont rattachés
(art. 7 du décret no 79-1035 du 3 décembre 1979 relatif aux archives de
la Défense).
2. Je souhaite que ces autorisations soient largement délivrées, à titre
individuel, lorsqu’elles sont demandées pour effectuer des travaux de
recherche historique, en particulier par des personnes appartenant à la
communauté scientifique ou universitaire.
À cet égard, il me paraît souhaitable que vous puissiez faire appel, en
tant que de besoin, aux conseils d’une personnalité, spécialement dési-
gnée à cet effet et disposant de la hauteur de vue et de l’expérience
requises. Dans le respect des procédures précédemment rappelées, cette
personnalité pourra, en particulier, faire toutes recommandations sur la
façon de régler les questions de principe ou les difficultés soulevées par
les demandes dont vous serez saisi. Elle contribuera ainsi à la cohérence
du traitement qui sera fait de ces demandes, tant au sein de votre admi-
nistration que d’un point de vue interministériel, grâce aux relations
qu’elle pourra entretenir avec ses homologues des autres départements.
3. Il convient que, dans tous les cas, l’autorisation mentionne expres-
sément, outre l’identité du bénéficiaire, les références des documents
qui peuvent être communiqués sur son fondement, ainsi que le lieu où
ils peuvent être consultés. Elle devra, en outre, préciser si la reproduc-
tion des documents est permise et, dans l’affirmative, selon quelles
modalités elle doit être effectuée.
Enfin, vous n’omettrez pas de recueillir l’engagement écrit des bénéfi-
ciaires de n’utiliser les informations recueillies que dans le cadre de
leurs travaux de recherche, à l’exclusion de tout autre usage, et de
préserver l’anonymat des personnes physiques auxquelles elles se
rapportent.
4. Je souhaite que les demandes de dérogation soient traitées avec dili-
gence. Il conviendra, en tout état de cause, d’y statuer dans les deux mois,
délai à l’issue duquel naîtrait, en l’absence de réponse, une décision

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19_Archsecr_CN Page 264 Mardi, 27. mai 2003 5:55 05

264 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

implicite de rejet. Je vous rappelle que l’article 5 de la loi du 17 juillet


1978, tel qu’il a été modifié par la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 rela-
tive aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations,
ouvre la faculté aux demandeurs qui n’ont pas obtenu satisfaction de
saisir la commission d’accès aux documents administratifs.
5. Il convient, enfin, d’accélérer les inventaires des fonds d’archives
relatifs à la guerre d’Algérie, et de les tenir à la disposition du public,
de manière que chercheurs et historiens soient effectivement à même de
présenter des demandes de dérogation à titre individuel. Je vous
demande également de veiller à ce que les fonds documentaires qui sont
encore détenus par vos services soient rapidement versés aux services
d’archives compétents. Les inventaires qui pourront être ainsi constitués
permettront, le moment venu, de décider l’octroi de dérogations géné-
rales portant sur des fonds bien identifiés.

Lionel JOSPIN
Source : Journal officiel no 98 du 26 avril 2001, p. 6478.

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Annexes 265

ANNEXE 6
CIRCULAIRE DU 2 NOVEMBRE 2001 RELATIVE
À LA GESTION DES ARCHIVES DANS LES SERVICES
ET ÉTABLISSEMENTS PUBLICS DE L’ÉTAT

Paris, le 2 novembre 2001

Le Premier ministre à Mesdames et Messieurs les ministres et secré-


taires d’État.

Aux termes de l’article 3 de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979 sur les


archives, les archives publiques comprennent l’ensemble des docu-
ments qui, quels qu’en soient la date, la forme ou le support, procèdent
de l’activité de l’État, des collectivités locales, des établissements et
entreprises publics, et des organismes de droit privé chargés de la
gestion d’un service public ou d’une mission de service public, ainsi que
les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels. Ces docu-
ments d’archives sont tout d’abord indispensables au bon fonctionne-
ment des services publics. Ceux-ci sont fréquemment amenés à les
consulter dans le cadre de leur activité quotidienne, par exemple pour
reconstituer l’historique d’un dossier ou répondre aux questions qui leur
sont posées. Les citoyens peuvent, de leur côté, trouver dans les archives
publiques des informations utiles à l’établissement ou à l’exercice de
leurs droits vis-à-vis de l’administration ou d’une autre personne privée.
L’accès aux archives constitue, de ce point de vue, une composante
essentielle du droit d’accès à l’information, dont le Gouvernement
entend réaffirmer le caractère fondamental dans une société démocra-
tique. Outre l’usage qui peut en être fait dans un cadre administratif, les
documents d’archives constituent une source irremplaçable d’informa-
tions pour l’enseignement et la recherche en sciences humaines, et en
particulier pour l’histoire et ses disciplines associées. L’enrichissement
ininterrompu des fonds, au fil des générations, confère enfin aux
archives publiques une valeur patrimoniale indiscutable, à l’égal des
collections des musées et des bibliothèques. De nombreuses activités
culturelles se développent à partir des fonds d’archives : publications,
expositions, conférences et colloques, ateliers et animations. Ces acti-
vités contribuent à la démocratisation des pratiques culturelles, qui
constitue l’une des priorités de l’action gouvernementale.
Ainsi, la collecte, la conservation, la communication et la valorisa-
tion des archives publiques ne présentent pas seulement un intérêt pour
la gestion publique mais constituent aussi un enjeu fondamental pour
l’affirmation des droits des citoyens et pour la politique culturelle. Or,
une bonne gestion des archives publiques n’est possible que si
l’ensemble des services et établissements publics de l’État se mobilisent

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266 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

à cet effet. Certes il existe des administrations spécialisées, qui sont,


d’une part, les services relevant du ministre chargé de la culture (direc-
tion des Archives de France) et, d’autre part, les services placés sous
l’autorité des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, dont la
mission est d’assurer la conservation des archives définitives1. Mais la
gestion des archives courantes et intermédiaires 2 relève de la responsa-
bilité de chaque ministère. Cette gestion présente une grande impor-
tance dans la mesure où elle conditionne l’alimentation des fonds
d’archives définitives. La maîtrise de l’archivage intermédiaire par
toutes les administrations constitue, à cet égard, un outil majeur de la
gestion de l’information et participe de la modernisation de l’État.
La présente circulaire a pour objet de rappeler les principales dispo-
sitions que les administrations, autres que celles relevant des ministres
des Affaires étrangères et de la Défense, doivent mettre en œuvre pour
organiser en leur sein les fonctions d’archivage. Elle précise également
les modalités selon lesquelles les services de la direction des Archives
de France contrôlent le respect des règles d’archivage par les services
versants.

1. Principes régissant la gestion des archives intermédiaires


dans les services et établissements publics de l’État

1.1. Identification des responsabilités


Dans les administrations centrales et les établissements publics de
l’État, la fonction de gestion des archives intermédiaires doit être
assumée par un service ou une cellule spécifique, qui doit apparaître
clairement dans l’organigramme et être placé à un niveau lui permettant
d’exercer efficacement sa mission. Cette tâche doit être confiée à des
agents formés aux techniques de gestion des documents (catégories A
et B), et disposant de moyens appropriés à leurs attributions. Dans les
services déconcentrés, cette fonction doit être clairement prise en

1. Archives définitives (ou archives historiques) : dans le cycle de vie des archives,
ce sont les documents qui sont conservés indéfiniment, pour les besoins de la gestion et
de la justification des droits des personnes et pour la documentation historique de la
recherche. Ces archives définitives (ou historiques) sont constituées, après tri et élimi-
nation, à partir des archives intermédiaires.
2. Archives courantes : dans le cycle de vie des archives, ce sont les documents
utilisés pour le traitement quotidien des affaires et dont la conservation est assurée dans
le service d’origine.
Archives intermédiaires : dans le cycle des archives, ce sont les documents qui,
n’étant plus d’usage courant, doivent néanmoins être conservés temporairement à proxi-
mité des services d’origine pour les besoins administratifs ou juridiques.

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Annexes 267

compte et organisée, dans un cadre interministériel, par le préfet en vertu


des compétences qui lui sont reconnues par les décrets du 10 mai 1982 3.

1.2. Attributions des agents chargés


de la gestion des archives intermédiaires
Les agents chargés de la gestion des archives intermédiaires ont voca-
tion à traiter l’ensemble des documents produits par le service ou
l’établissement public dont ils relèvent. Leurs attributions comportent
plusieurs aspects.
En tant que gestionnaires des archives intermédiaires, ils doivent en
premier lieu organiser le rassemblement des documents ayant perdu leur
utilité courante dans un local convenablement équipé. Ils établissent et
tiennent à jour un état de ces documents.
Ils veillent aux conditions de production et de gestion des archives
courantes. Ils ont, à cet égard, une mission de sensibilisation et de forma-
tion de l’ensemble des agents de leur service ou établissement au clas-
sement des dossiers, condition préalable à un bon archivage. Ils ont en
particulier la responsabilité de l’archivage des documents électroniques.
Ils assurent la communication des dossiers archivés aux services
lorsque ceux-ci en ont besoin. Ils contrôlent également le respect des
règles de communicabilité des documents au public, conformément aux
dispositions de la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 relatives à l’accès aux
documents administratifs, à celles de la loi no 79-18 du 3 janvier 1979
sur les archives et à celles de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative
à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Les agents chargés de la gestion des archives intermédiaires sont,
en second lieu, les correspondants permanents de l’administration qui
assure la gestion des archives définitives du service ou établissement
auquel ils appartiennent (Archives nationales ou archives départemen-
tales). Ils veillent à ce titre au respect des instructions de l’administra-
tion des archives définissant les durées d’utilité administrative de
chaque catégorie de dossiers et déterminant le sort définitif des docu-
ments à l’expiration de ces durées. En l’absence de telles instructions,
ils participent à l’élaboration de règles de conservation en liaison avec
l’administration des archives. Ils soumettent au visa réglementaire la
liste des documents à détruire. Ils préparent les versements d’archives
définitives et rédigent les bordereaux de versement.

3. Décret no 82-389 du 10 mai 1982 pour les préfets de département et décret


no 82-390 du 10 mai 1982 pour les préfets de Région.

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268 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

En matière d’archives électroniques, ils doivent notamment


s’assurer, dans le respect de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l’informatique, aux fichiers et aux libertés, que la conception des traite-
ments informatiques mis en œuvre permettra de conserver durablement
les données dans les délais fixés par les instructions relatives à la durée
d’utilité administrative et au sort final des documents. Ils s’assurent que
les documents numériques à verser présentent toutes les garanties
d’authenticité et sont accompagnés de l’ensemble des métadonnées 4
indispensables à l’exploitation ultérieure des données. Ils informent le
ministère de la Culture et de la Communication de tout sinistre, sous-
traction ou détournement d’archives.
Ils sont enfin responsables de la sauvegarde des archives intermé-
diaires lorsqu’il est mis fin à l’existence du service ou de l’établissement
public auquel ils appartiennent, conformément à l’article 5 de la loi du
3 janvier 1979 sur les archives.

1.3. Moyens
Des crédits suffisants doivent être prévus pour faire face aux dépenses
de conservation et de gestion des archives intermédiaires. Il est, en parti-
culier, indispensable d’aménager des locaux conformes aux normes de
sécurité (protection des documents contre le vol et l’incendie) et dotés
des équipements adéquats pour la conservation des archives intermé-
diaires (c’est-à-dire dont la durée d’utilité administrative n’a pas encore
expiré). Il convient en conséquence de mettre un terme dans les
meilleurs délais au stockage d’archives dans des locaux inadaptés à leur
conservation ou non conformes aux règlements de sécurité. De même,
lors de toute opération de construction ou de restructuration de bâti-
ments administratifs, il faut prévoir des locaux adaptés à la conservation
des archives intermédiaires.

1.4. Recours à des prestataires de services du secteur privé


Le recours à des prestataires de services du secteur privé, pour tout ou
partie de la gestion des archives courantes et intermédiaires, ne peut se
faire qu’avec l’accord et sous le contrôle du service d’archives public
compétent, seul habilité à juger de la compatibilité des prestations
proposées avec la législation et la réglementation sur les archives,

4. Métadonnées : ensemble des informations renseignant la structure d’un groupe


de données ; les métadonnées exercent la fonction de médiateur entre l’utilisateur et
l’information qu’il recherche ; elles permettent également de définir les caractéristiques
d’évolution dans le temps d’un document.

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Annexes 269

notamment en ce qui concerne les durées de conservation et la commu-


nicabilité des documents. En l’absence d’un local administratif permet-
tant la conservation sur place des archives intermédiaires, il est possible,
sous réserve de l’accord du service public d’archives compétent5, de
recourir, pour les seules archives intermédiaires destinées à être ulté-
rieurement détruites, à des sociétés privées offrant des prestations de
stockage.

1.5. Mise en œuvre du dispositif


Chaque département ministériel ou établissement public national est
responsable de la mise en œuvre des principes d’organisation indiqués
ci-dessus, et notamment de la création et du bon fonctionnement du
service ou de la cellule assurant la gestion des archives intermédiaires.
Dans les services déconcentrés et les établissements publics de
l’État à compétence territoriale, les préfets veillent, en vertu des compé-
tences qui leur sont reconnues par les décrets du 10 mai 1982, à la mise
en œuvre de ces principes. Ils prennent toutes dispositions pour en
arrêter les modalités d’organisation précises, après consultation du
collège des chefs de service, selon la forme adaptée à la situation locale :
pôle de compétences, réseau d’agents formés aux techniques de gestion
des documents ou, le cas échéant, création d’un service interministériel
de gestion des archives intermédiaires. Dans tous les cas, le responsable
désigné du dispositif (chef de pôle, animateur du réseau ou responsable
du service) doit être placé sous le contrôle scientifique et technique du
directeur du service départemental d’archives.

1.6. Appui fourni par les Archives nationales


et les services départementaux des archives
Pour l’organisation et le suivi de l’archivage intermédiaire, les Archives
nationales et les services départementaux des archives fournissent assis-
tance méthodologique et conseil, dans des domaines tels que l’évaluation
des besoins, la définition des procédures, la détermination des équipe-
ments adéquats, l’application des règles de conservation, la préparation
des versements d’archives définitives ou la formation des agents.
En outre, dans les administrations centrales autres que celles rele-
vant des ministères des Affaires étrangères et de la Défense, un agent
des Archives nationales peut être amené à exercer une mission, tempo-
raire ou permanente, afin d’élaborer les procédures liées à ce dispositif

5. Voir circulaire AD 97-1 du 16 janvier 1997 des ministres de l’Intérieur et de


la Culture.

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270 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

et de faciliter la coopération entre les services versants et l’administra-


tion des archives. Les objectifs de ces missions sont précisés dans le
cadre de conventions conclues entre la direction des Archives de France
et le ministère ou l’établissement public concerné. Le concours ainsi
apporté par le ministère chargé de la culture ne peut en aucun cas
dispenser les services ou établissements concernés de mettre en place
les moyens humains et matériels nécessaires à la gestion de leurs
archives.

2. Contrôle de la gestion des archives intermédiaires

2.1. Contrôle interne


Il incombe à chaque ministre de veiller à la bonne gestion des archives
courantes et intermédiaires dans les services directement placés sous
son autorité et de s’assurer que les établissements publics dont il a la
tutelle respectent les principes énoncés ci-dessus.
À ce titre, il convient d’inclure dans les rapports d’activité annuels
des services un bilan des mesures prises pour la gestion des archives
courantes intermédiaires. Il faut également veiller à inclure cet aspect
dans les missions d’inspection interne à chaque ministère.

2.2. Contrôle par la direction des Archives de France


Le ministre chargé de la culture (direction des Archives de France)
exerce un contrôle sur l’ensemble des archives publiques, à l’exception
des archives relevant du ministère des Affaires étrangères et du minis-
tère de la Défense. Ce contrôle porte également sur la gestion des
archives courantes et intermédiaires. À ce titre, la direction des Archives
de France élabore, en collaboration avec chacun des départements
ministériels concernés, les règles à appliquer en matière de tri et de
communication des archives. Elle doit disposer des informations néces-
saires sur le fonctionnement des services dans tout ce qui a trait à
l’archivage et peut, à cet effet, procéder à leur inspection. Le contrôle
de proximité sur l’organisation de l’archivage, notamment sur les condi-
tions matérielles de conservation et sur le sort des archives intermé-
diaires au terme de leur durée d’utilité administrative (élimination ou
versement aux Archives nationales ou départementales), est exercé, au
niveau central, par des conservateurs désignés à cet effet par le directeur
des Archives de France et, dans les départements, par les directeurs des
services départementaux d’archives placés sous l’autorité des préfets.
Ce contrôle implique que les services et établissements publics adres-
sent à l’administration des archives un rapport périodique sur leur acti-
vité de gestion des archives courantes et intermédiaires. La périodicité

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Annexes 271

de cet envoi doit être déterminée par un accord entre l’administration


des archives et chaque service ou établissement. De même, les services
et établissements publics doivent dresser un état sommaire, régulière-
ment tenu à jour, des archives dont la conservation est assurée et faire
parvenir ce document, après chaque mise à jour, à l’administration des
archives. Cette dernière doit aussi être destinataire de la liste des docu-
ments proposés pour l’élimination et de tout projet d’aménagements de
locaux d’archivage. Enfin, les agents de l’administration des archives
doivent pouvoir effectuer des visites sur place.
J’ai demandé à la ministre de la Culture et de la Communication de
dresser un bilan de l’application des présentes instructions à la fin de
l’année prochaine. En conséquence, je vous prie de lui adresser, sous le
timbre de la direction des Archives de France, un premier compte rendu
des mesures que vous aurez prises en matière de gestion des archives.
Ce compte rendu devra être adressé avant le 1er décembre 2002.

Lionel JOSPIN
Source : Journal Officiel no 256 du 4 novembre 2001, p. 17359.

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Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE SUR LA POLITIQUE


DES ARCHIVES EN FRANCE
par Vincent DUCLERT

Articles
« Archives et République », dossier, Le Débat, no 115, 2001, p. 99-144 [articles
de Philippe Bélaval, Jean-Marc Berlière, Vincent Duclert, Isabelle Neus-
chwander, Annette Wieviorka].
« Archives et politique », Historiens & Géographes, no 378, mars-avril 2002,
p. 251-255.
« Archives ». Chronique de la revue Historiens & Géographes assurée par
Vincent Duclert [« Archives. Une politique », Historiens & Géographes,
no 376, septembre-octobre 2001, p. 337-355 ; « Archives. Les raisons d’un
investissement » (avec Hubert Tison), Historiens & Géographes, no 377,
janvier-février 2002, p. 363-364 ; « Archives. Après le 5 novembre
2001 », Historiens & Géographes, no 377, janvier-février 2002, p. 361-
396 ; « Archives et politique », Historiens & Géographes, no 378, mars-
avril 2002, p. 251-255, « Archives. La fin des illusions », à paraître].
« Les archives, l’histoire et l’État. Le cas des archives de la IIIe République »,
dossier, Jean Jaurès cahiers trimestriels, no 135, janvier-mars 1995, p. 10-
40 [articles de Jean-Jacques Becker, Vincent Duclert, Frédéric Monier,
Sophie Cœuré].
« Musées, archéologie, archives : politiques du patrimoine », dossier, Le
Débat, no 99, mars-avril 1998, p. 133-163 [avec, pour les archives, les arti-
cles et contributions d’Alain Erlande-Brandenburg, Henry Rousso et
Serge Berstein].

Ouvrages
Archives contemporaines et histoire. Actes de la journée d’étude organisée à
Vincennes les 28-29 novembre 1994, Paris, Archives nationales, 1995,

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274 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

126 p. [articles et contributions de Jacques Toubon, Jean Luquet, Fran-


çoise Banat-Berger, Joël Delaine, Élisabeth Gautier-Desvaux, Mireille
Jean, Jacques Mourier, Rosine Cleyet-Michaud, Françoise Durand-
Evrard, Christine Pétillat, Hélène Viallet, Lydia Mérigot, Chantal
Bonazzi, Michel Estienne, Cécile Souchon, Françoise de Ruffray, Paule
René-Bazin, Marie-André Corcuff, Christine Nougaret, Xavier de La
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BARUCH Marc Olivier, « Archives, mémoire nationale et politique de l’État »,
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BARUCH Marc Olivier et DUCLERT Vincent, « Archives : il faut une loi, il faut
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BASTIEN Hervé, « Du bon usage des dérogations : à propos d’un arrêt récent du
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BASTIEN Hervé, Droit des archives, Paris, La Documentation française, 1996,
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BÉLAVAL Philippe, « Pour une stratégie d’avenir des Archives nationales.
Rapport à la ministre de la Culture et de la Communication », précédé de
Vincent DUCLERT, « Les historiens et les archives. Introduction à la publi-
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BRAIBANT Guy, Les Archives en France, « Rapport au Premier ministre »,
Paris, La Documentation française, 1996, 303 p.
CŒURÉ Sophie et DUCLERT Vincent, Les Archives, Paris, La Découverte, 2001,
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CONAN Éric et ROUSSO Henry, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard,
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20_Archsecr_CN Page 275 Mardi, 27. mai 2003 5:56 05

Bibliographie 275

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GUERREAU Anita, « Document, histoire, recherche », in Quel avenir pour la
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HILDESHEIMER Françoise, « Échec aux archives : la difficile affirmation d’une
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HILDESHEIMER Françoise, « Une politique pour les archives 1880-1940 ? », in
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contributions de Michel Germa, Marc Olivier Baruch, Christian Bouyer,
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Michel Margairaz, Claude Pennetier, Françoise Bosman].

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276 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

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Le « Fichier juif ». Rapport de la commission présidée par René Rémond au
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Les Archives au fil du temps. Actes du colloque organisé le 26 février 2002 à
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Les Archives françaises à l’horizon de l’an 2000. Numéro spécial de La Gazette
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Les Historiens et les Archives. Actes de la table ronde organisée le 31 mars
2001 à l’École normale supérieure, Revue d’histoire moderne et contem-
poraine, supplément 2001, p. 5-68 [articles de Daniel Roche, Christine
Nougaret, Vincent Duclert, Éric Brian, Patrick Fridenson, Claude Liauzu,
Jean-Marc Berlière].
Livre blanc. Les archives, luxe ou nécessité ?, Paris, Association des archi-
vistes français, 1971, 16 p.
Mémoire et histoire. Les États européens face aux droits des citoyens du
XXIe siècle. Actes de la table ronde de Bucarest les 25-26 septembre 1998
publiés par Gérard Ermisse, Paris, ICA/DAF, 2000, 168 p. [avec, pour la
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Bélaval, Charles Kecskeméti, Christine Nougaret, Vincent Duclert, Guy
Braibant, Denis Peschanski, Caroline Obert-Piketty].
NEIRINCK Danièle, « La loi du 3 janvier 1979 ou Comment la direction des
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mémoires. Hommages à Jean Favier (travaux réunis par Jean KERHERVE
et Albert RIGAUDIERE), Paris, Fayard, 1999, p. 631-646.
POMIAN Krzystof, « Les Archives, du Trésor des chartes au Caran », in Pierre
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Touvier et l’Église. Rapport de la Commission historique instituée par le
cardinal Decourtray, Paris, Fayard, 1992, 418 p.
Transparence et secret. L’accès aux archives contemporaines. Actes du
colloque organisé les 28 et 29 mars 1996 à Paris, La Gazette des Archives,
nos 177-178, 2e et 3e trimestres 1997, 290 p. [articles et contributions de
Jean Le Pottier, Guy Braibant, Hervé Bastien, Béatrice Faillès, Jean
Luquet, Benoit Van Reeth, François Gasnault, Odile Krakovitch, Denis
Peschanski, Renée Poznanski, Daniel Lindenberg].

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Bibliographie 277

Une cité pour les Archives nationales, Les Français et leurs archives. Actes du
colloque au Conseil économique et social, 5 novembre 2001, Paris,
Fayard, 2002, 227 p. [avec des communications de Jacques Dermagne,
René Rémond, Lionel Jospin, Valéry Giscard d’Estaing, Pierre Messmer,
Pierre Mauroy, Jean-Noël Jeanneney, Didier Maus, Guy Braibant, Cathe-
rine Tasca, Pierre Nora, Emmanuel Laurentin, Heinz Wismann, Régine
Robin, Jean-Michel Gaillard, Georgette Elgey, Maurice Vaïsse, Marie-
Paule Arnauld, Martine de Boisdeffre, Emmanuel de Roux, Philippe
Méchet, Isabelle Rambaud, Antoine Prost, Jean-Louis Beaucarnot, Jean-
Marie Colombani, Annette Wieviorka, Jacques Chirac].

BIBLIOGRAPHIE ET RESSOURCES INTERNET


SUR LES ARCHIVES RAPATRIÉES DE RUSSIE
par Sophie CŒURÉ et Frédéric MONIER

Ouvrages et articles
Léopold AUER, Les Contentieux archivistiques. Analyse d’une enquête
internationale : une étude RAMP, Unesco, Programme général d’informa-
tion et Unisist, 1998.
George BROWDER, « Captured German and Other Nations’ Documents in the
Osoby (Special) Archive, Moscow », Central European History 24-4, 1992,
p. 424-45, et « Update on the Captured Documents in the Former Osobyi
Archive, Moscow », Central European History, 26-3, 1993, p. 335-42.
S. CŒURÉ, Frédéric MONIER, Gérard NAUD, « Le retour de Russie des archives
françaises. Le cas du fonds de la Sûreté », Vingtième Siècle. Revue
d’histoire, no 45, janvier-mars 1995, p. 133-138.
Dominique DEVAUX, « Les archives de la direction de la Sûreté rapatriées de
Moscou », La Gazette des Archives, no 176, 1998, p. 79-85.
« En point de mire, le retour des archives ‘russes’ », Cibles, trimestriel du
Musée royal de l’armée, Bruxelles, juin 2002.
Patricia Kennedy GRIMSTED, « Archival Rossica/Sovietica Abroad – Prove-
nance or Pertinence, Bibliographic and Descriptive Needs », Cahiers du
monde russe et soviétique, no 34, 1993, p. 431-480.
– « The Postwar fate of the Petliura Library and the Records of the Ukrainian
National Republic », Harvard Ukrainian Studies, XXI (3/4), 1997 [2001],
p. 292-361.
– « Archives of Russia seven years after, Purveyors of Sensations or Shadows
Cast to the Past ? », Cold War International History Project, Woodrow
Wilson International Center for Scholars, Washington DC, septembre
1998.

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278 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

– Trophies of War and Empire: The Archival Heritage of Ukraine, World War
II, and the International Politics of Restitution, préface par Charles Kecs-
keméti, Cambridge, Harvard University Press for the Ukrainian Research
Institute, 2001.
– « Twice Plundered or Twice Saved? : Russia’s ‘Trophy’ Archives and the
Loot of the Reichssicherheitshauptamt », Holocaust and Genocide
Studies, no 15-2, 2001, p. 191-244.
– « Russia’s Trophy Archives: An Update on Restitution Issues », Presented at
a seminar at the International Institute of Social History (Amsterdam),
24 septembre 2001.
– « Russia’s Trophy Archives: Still Prisoners of World War II ? », Budapest,
Open Society Archives, Central European University, février 2002, sur le
site de l’OSA, http://www.osa.ceu.hu/, rubrique publications.
– « Twice Plundered but Still Not Home from the War : The Fate of Three
Slavic Libraries Confiscated by the Nazis from Paris », Solanus (Interna-
tional Journal for Russian and East European Bibliographic, Library and
Publishing Studies), no 16, 2002, p. 39-76.
Charles KECSKEMÉTI, « La restitution des archives déplacées pendant et immé-
diatement après la Seconde Guerre mondiale », in Jean-Pierre BABELON,
François TERRÉ (dir.), Les Archives au fil du temps, Paris, Perrin-Fonda-
tion Singer-Polignac, 2002, p. 187-192.
« Les archives volées des francs-maçons. Pillées par les nazis, récupérées par
les Soviétiques », dossier sous la dir. de Bernadette ARNAUD, Sciences et
avenir, février 2003, p. 38-59.
Francine-Dominique LIECHTENHAN, Alija I. BARKOVETS, Le Grand Pillage. Du
butin des nazis aux trophées des Soviétiques, Éditions Ouest-France,
1998.
Yoram MAJOREK, « Les archives juives de France à Moscou », Archives juives,
32/2, 2e semestre 1999.
Pierre MOLLIER, « Paris-Berlin-Moscou : les archives retrouvées », L’Histoire,
no 256, juillet-août 2001.
Gilles MORIN, « Nouvelles sources du socialisme. État des lieux avant
inventaires », Association des amis du Maitron, 2000, http://
www.maitron.org/recherche/articles3.htm.
Dieter OPPER, Doris LEMMERMEIER (dir.), Cultural Treasures moved because
of the War. A Cultural Legacy of the Second World war. Documentation
and research on losses, Documentation of the International Meeting in
Bremen (30.11/2.12.1994), Brême, 1995.
Claire SIBILLE, « Les archives du ministère de la Guerre récupérées de Russie »,
La Gazette des Archives, no 176, 1998, p. 64-78.
– « Les archives du 2o bureau SR SCR récupérées de Russie », in O. FORCADE,
G.-H. SOUTOU (dir.), L’Exploitation du renseignement, Paris, Economica,
2001, p. 27-47.

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20_Archsecr_CN Page 279 Mardi, 27. mai 2003 5:56 05

Bibliographie 279

Vladimir P. TARASOV, « The Return of Archival Documents moved to the


USSR as Result of World War II », in Spoils of War – International News-
letter, 6 février 1999, Magdebourg, p. 52-54.
Michel VERMOTE, « Back from nowhere. The restitution of Belgian looted
collection », Presented at a seminar at the International Institute of Social
History (Amsterdam), 24 septembre 2001.

Inventaires
Inventaire1 des fonds d’origine étrangère et de la Direction générale des
prisonniers de guerre et internés du NKVD-MVD de l’URSS aux Archives
d’État militaires russes, Moscou, RGVA, 2001/Ukazatel’ fondov inos-
trannogo proiskhozhdeniia i Glavnogo upravleniia po delam voennoplen-
nykh i internirovannykh NKVD-MVD SSSR, Rossiiskogo gosudarstven-
nogo voennogo arkhiva, Moskva, 2001 [2002], 355 p.
Inventaire des archives de la guerre, supplément de la série N (1872-1940),
4 tomes et index par Cl. Sibille, avec la collaboration de F. Cuinier, Cl.
Ponnou, A. Guéna, Vincennes, 1997.
Inventaires des fonds russes consultables au CAC de Fontainebleau, à lire sur
place ou au CARAN, présentation sur http://www.archivesnationales.
culture.gouv.fr/cac/.
Inventaire sommaire des archives retournées à l’Institut d’histoire sociale
d’Amsterdam et bibliographie sur les archives spéciales sur http://
www.iisg.nl/archives_in_russia/index.html.
Inventaire détaillé des archives de la Ligue des droits de l’homme déposés à la
BDIC sur http://www.bdic.fr/collections/archives.htm.
Inventaire détaillé des archives de l’Alliance israélite universelle et de l’École
normale israélite sur http://www.aiu.org/biblio/Archives/description.html.
Inventaire détaillé des archives maçonniques disponible à la bibliothèque du
Grand Orient de France.
Inventaire détaillé des archives de J.-M. Lahy et du laboratoire de psychologie
de Sainte-Anne sur http://virya.free.fr/JM_Lahy/index.htm.
Liste des archives de Louise Weiss revenues de Moscou sur http://www.louise-
weiss.org/le_musee_archives.html.

1. Paru en 2002, il s’agit d’un instrument de recherche essentiel qui propose la liste
complète des fonds des ex-Archives spéciales, selon le classement suivant : fonds
d’archives (déjà constitués à l’arrivée en URSS) encore présents à Moscou ; collections
(formées thématiquement par les archivistes russes) encore présentes à Moscou ; fonds
personnels encore présents à Moscou ; ensemble des fonds restitués (avec leur date de
restitution).

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Index rerum

A C
Académie des sciences, 157, 159-160, Cabinets ministériels, 9, 68-69
163 Centre d’études d’histoire de la dé-
Accord « Dumas-Kozyrev », 139 fense (CEHD), 212
Archives audiovisuelles, 17, 165-166, Centre d’histoire de l’Europe du
175 XXe siècle (CHEVS), 22, 40, 93,
Archives départementales, 14, 26, 205, 147
218 Centre de documentation juive contem-
Archives de France (direction), 17-18, poraine (CDJC), 99
32, 37-40, 46-49, 84, 153, 166 Centre de recherche en histoire des
Archives « de Smolensk », 133, 135, sciences et techniques (CRHST),
139 160-161
Archives électroniques, 16, 19 Centre historique des archives natio-
Archives orales, 17, 19, 118, 165-166, nales (CHAN), 16, 43, 47, 94,
194 151-152
Archives spéciales centrales d’État Centre des archives contemporaines
(URSS-GARF), 126, 136, 140, (CAC), 26, 144, 218
189, 192, 197 Centre national de la rercherche scien-
Arrêt du Conseil d’État du 18 octobre tifique (CNRS), 152-154, 157,
2002, 44-45 169, 172
Arrêté du 13 mai 1998, 13, 97 Circulaire du 2 octobre 1997, 13, 24,
Arrêté du 15 avril 1999, 14, 97 32, 42, 97
Arrêté du 29 avril 2002, 14, 97 Circulaire du 13 avril 2001, 42
Association des archivistes français Circulaire du 2 novembre 2001, 18,
(AAF), 10, 15, 98 27, 34, 42
Code pénal, 72
Comité interministériel des archives,
B 18, 27, 34-35, 39, 42
Comité pour l’histoire de l’arme-
Bibliothèque de documentation inter- ment, 169
nationale contemporaine (BDIC), Commissariat à l’énergie atomique
146 (CEA), 152, 154, 167
Bureau central de renseignements et Commissariat général aux questions
d’action (BCRA), 75, 94 juives (CGQJ), 13, 16, 94

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282 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Commission d’accès aux documents I


administratifs (CADA), 10, 15,
97 Institut d’études politiques de Paris
Conseil constitutionnel (archives), (IEP), 22, 212
44-45 Institut d’histoire du temps présent
Conseil international des archives (IHTP), 8, 169
(ICA), 19, 138 Institut du marxisme-léninisme, 182-
Conseil supérieur des archives, 18- 184
19, 37-39 Institut national de la recherche agro-
nomique (INRA), 153-154, 157
Institut national de la santé et de la re-
cherche médicale (INSERM),
D 153-154
Décret du 12 janvier 1898, 22 Institut Pasteur, 157, 160
Décret du 21 juillet 1936, 59
Décret du 3 décembre 1979 relatif
aux archives de la Défense, 23- J
24, 72, 81
Décret du 1er décembre 1980 relatif Journaux de marche et opérations,
aux archives du ministère des 108, 222-223
Affaires étrangères, 23, 72
Décrets d’application de la loi de
1979, 58, 60 K
Dérogations individuelles, 10, 14, 23,
40 Komintern, 116, 192
Direction générale de la sécurité exté-
rieure (DGSE), 9, 211, 213
L
Loi du 17 juillet 1978, 9, 10, 71-72,
F 77
Fondation Gorbatchev, 194 Loi du 3 janvier 1979, 9, 18, 23-24,
Fondation Memorial, 194 44-45, 60, 63, 71-72, 74, 76-78,
81, 150
Loi du 12 avril 2000, 15, 24

G
Généalogie, 14 M
Groupe d’études français d’histoire Ministère des Affaires étrangères, 78,
de l’armement nucléaire 174
(GREFHAN), 167 Ministère de la Défense, 10, 78
Ministère de la Justice, 10, 14, 222
Ministère de l’Intérieur, 14
H Ministère de la Culture, 78, 157
Musée national des arts et traditions
Holocaust Memorial Museum, 95 populaires (MNATP), 172

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Index rerum 283

O S
Observatoire national des déroga- Service historique de l’armée de l’air
tions individuelles, 14 (SHAA), 169
Service historique de la gendarmerie
(SHGN), 218
P Service historique de la marine
(SHM), 169
Préfecture de police, 9-10, 14, 78, Service historique de l’armée de terre
142, 204, 218 (SHAT), 143-144, 166, 216-217
Premier ministre (services du), 60-61, Services de renseignements, 135, 147
69, 78
Présidence de la République, 60-61

R U
Rapport Bélaval, 17, 29-30, 32-33, 40 « Une cité pour les archives » (asso-
Rapport Braibant, 25-26, 31-32, 40 ciation), 27, 33-34, 38, 43, 48
Réseau archivistique français, 44 Universités (archives des), 156

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Liste des auteurs

Martine DE BOISDEFFRE Sabine DULLIN


Conseiller d’État Maître de conférences à l’Université
Directrice des archives de France Paris I Sorbonne

Olivier FORCADE
Raphaëlle BRANCHE
Maître de conférences à l’Université
Maître de conférences à l’Université
Jules Verne de Picardie
Rennes II
Nathalie GENET-ROUFFIAC
Agnès CALLU Conservateur du patrimoine, direc-
Conservateur du patrimoine, section teur-adjoint des archives et de la
du XXe siècle, au centre historique des bibliothèque du Service historique de
Archives nationales, l’armée de terre
maître de conférences à l’IEP de Paris
Sébastien LAURENT
Maître de conférences à l’Université
Pascal CARREAU
Michel de Montaigne (Bordeaux III),
Responsable des archives du PCF
chercheur associé au CHEVS-FNSP
et au CAHMC
Thérèse CHARMASSON
Conservateur en chef au centre de Hervé LEMOINE
recherche en histoire des sciences et Conservateur du patrimoine,
des techniques (Cité des sciences et chef de la division des entrées extra-
de l’industrie) ordinaires au Service historique de
l’armée de terre,
maître de conférences à l’IEP de Paris
Sophie CŒURÉ
Fondation EDF – Centre d’études du
Pierre MOLLIER
monde russe, soviétique et post-
Directeur du service « bibliothèque
soviétique (EHESS-CNRS)
archive » du Musée du Grand Orient
de France
Vincent DUCLERT
Professeur agrégé à l’EHESS (CRH), Frédéric MONIER
Maître de conférences à l’École Maître de conférences à l’Université
Nationale d’Administration d’Avignon

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286 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Christine PÉTILLAT Thierry SARMANT


Conservateur général du patrimoine, Conservateur en chef du patrimoine,
directrice du Centre des archives responsable des archives et bibliothè-
contemporaines et de la section des ques historiques au Service historique
missions de l’armée de terre
Caroline PIKETTY
Conservateur en chef à la section du Serge WOLIKOW
XXe siècle au Centre historique des Professeur à l’Université de Bour-
Archives nationales gogne

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Table des matières

REMERCIEMENTS ................................................................................... 5
INTRODUCTION
L’histoire, au-delà du secret de l’archive,
Sébastien LAURENT ............................................................................ 7
Les archives de France aujourd’hui,
Martine de BOISDEFFRE....................................................................... 13
La politique actuelle des archives,
Vincent DUCLERT ............................................................................... 21
Le rôle des missions des Archives nationales
dans la collecte des archives contemporaines,
Christine PÉTILLAT ............................................................................. 57
De l’esprit des lois…
Le cas des documents classifiés au ministère de la Défense,
Nathalie GENET-ROUFFIAC ................................................................. 71
Mars au secret ? Procédures et enjeux du recueil
des archives du cabinet du ministre de la Défense,
Hervé LEMOINE .................................................................................. 81
Les archives de la période de l’Occupation :
le cas des archives conservées aux Archives nationales,
Caroline PIKETTY ............................................................................... 93
Les archives de la guerre d’Algérie :
le secret entre violence et mémoire,
Thierry SARMANT ............................................................................... 103
La gestion des fonds d’archives du parti communiste français,
Pascal CARREAU ................................................................................. 111
Le voile levé sur les archives « secrètes » de la franc-maçonnerie,
Pierre MOLLIER .................................................................................. 123
De l’ombre à la lumière.
Les archives françaises de retour de Moscou (1940-2002),
Sophie CŒURÉ et Frédéric MONIER .................................................... 133

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288 Archives « secrètes », secrets d’archives ?

Les archives des sciences en France : réalisations et projets,


Thérèse CHARMASSON ........................................................................ 149
Le secret des élites et l’histoire politique face à l’irruption
de nouvelles sources de connaissance,
Hervé LEMOINE .................................................................................. 165
Par le verbe et l’image : plaidoyer pour des histoires sinon mises au secret,
Agnès CALLU ..................................................................................... 171
L’historien face aux archives du Komintern,
Serge WOLIKOW ................................................................................. 177
Le secret et ses usages : les archives « sensibles » en URSS,
Sabine DULLIN ................................................................................... 189
Faire l’histoire de la censure politique,
Olivier FORCADE ................................................................................ 201
Faire l’histoire du renseignement,
Sébastien LAURENT ............................................................................ 211
Faire l’histoire de la violence d’État :
la torture exercée par l’armée française en Algérie (1954-1962),
Raphaëlle BRANCHE ........................................................................... 221
ANNEXES : Documents juridiques relatifs aux archives publiques ............ 227
Annexe 1 – Circulaire du 2 octobre 1997 relative à l’accès
aux archives publiques de la période 1940-1945 .............................. 229
Annexe 2 – Arrêté du 13 septembre 1999 modifiant l’arrêté du
21 janvier 1988 portant création du Conseil supérieur des archives . 233
Annexe 3 – Arrêté du 11 octobre 1999 instituant une dérogation
générale pour la consultation de certains fonds d’archives
publiques concernant la Seconde Guerre mondiale versés
aux Archives nationales par le ministère de l’Intérieur..................... 235
Annexe 4 – Loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits
des citoyens dans leurs relations avec les administrations ................ 241
Annexe 5 – Circulaire du 13 avril 2001 relative à l’accès
aux archives publiques en relation avec la guerre d’Algérie............. 262
Annexe 6 – Circulaire du 2 novembre 2001 relative à la gestion
des archives dans les services et établissements publics de l’État .... 265
Bibliographie ............................................................................................ 273
Index rerum ............................................................................................... 281
Liste des auteurs ........................................................................................ 285

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Table des matières 291

Achevé d’imprimer

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Dauphinais at 2015-04-03
395875 02:36:08 +0200

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