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PRENDS-EN D’LA

GRAINE JUIN 2022 VOL.5

DE L’URGENTE NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER

LES VIOLENCES
DITES ÉDUCATIVES
ORDINAIRES
AVANT-PROPOS

1
La Belgique est au ban des nations qui d’affection. Il a besoin d’une écoute ac-
ont interdit les violences éducatives. Ces tive et empathique, d’un cadre structu-
violences ordinaires questionnent la ré et structurant au moyen de règles qui
place de l’enfant dans notre société. font sens. Éduquer sans violence ce n’est
pas, pour autant, être laxiste ou tout
Laisser entendre que l’usage de la vio- accepter. Éduquer positivement im-
lence pour éduquer serait « pour le plique, au contraire, de fixer clairement
bien » de l’enfant revient à remettre en des règles et des interdits. Les enfants
question sa qualité de sujet de droit à ont besoin de balises et de se confron-
part entière. L’enfant n’est ni un «  mi- ter à des adultes qui font barrage et
ni-adulte », ni une « quasi-personne ». Il veillent au respect du cadre qui les pro-
est titulaire de droits subjectifs. L’enfant tège. Il est possible d’être à la fois strict
naît et demeure égal en droits et en di- et bienveillant.
gnité à l’adulte qui a le devoir de prendre
en compte ses besoins spécifiques et Il est illusoire de penser que nous al-
son extrême vulnérabilité. Et, parfois, lons convaincre et nous débarrasser
malheureusement, la violence dite édu- de la fessée du jour au lendemain. Le
cative tue encore dans notre pays. Délégué général aux droits de l’enfant
n’entend pas se substituer aux parents
Quoi qu’en disent ses adeptes, la vio- ou fournir des recettes simples qui au-
lence dite éducative n’est pas « normale » raient valeur d’incantations. Il relève de
ou naturelle. C’est une construction so- ses missions de permettre à la Belgique
ciale. Elle n’est ni utile, ni pertinente, d’entrer dans la liste des pays européens
ni nécessaire. Elle est toujours syno- qui ont franchi le pas de l’interdiction
nyme d’échec. Elle n’est pas efficace, au des violences dites éducatives dans leur
contraire, son caractère contre-productif législation. Par ailleurs, interdire les vio-
a été démontré par de nombreux scien- lences éducatives ordinaires dans notre
tifiques. La violence fragilise la confiance cadre légal doit s’accompagner de cam-
en soi, l’estime de soi et l’image que l’en- pagnes de sensibilisation et d’outils de
fant a de lui-même. Elle altère la relation « capacitation » et d’accompagnement
entre l’enfant et l’adulte et peut causer des familles et des professionnels de
des dégâts, parfois irréversibles, à l’in- l’enfance et de la jeunesse.
tégrité physique, psychique, psycholo-
gique, émotionnelle, morale et affective Prenons la décision courageuse de faire
des enfants qui en sont victimes. avancer notre pays vers le progrès en
légiférant pour une éducation non vio-
En revanche, il est aussi prouvé que lente pour tous nos enfants.
les adultes qui sont capables d’apaiser,
d’écouter, de rassurer, de sécuriser et
de consoler l’enfant participent gran- Bernard De Vos
dement au processus de maturation de Délégué général
son cerveau. Ils deviennent ainsi acteurs aux droits de l’enfant
du développement de ses capacités so-
ciales, cognitives et affectives. L’enfant
a besoin de se sentir compris, soute-
nu et encouragé. Il a besoin d’amour et
2 LES VDEO :
I. INTRODUCTION

Notre monde tourne-t-il à l'envers ? « Le Ainsi, c’est dans le registre émotionnel


modèle de l’enfant roi remis en cause » que débattent les contradicteurs et non
titrait le journal Le Soir du 9 juin dernier. dans celui de la rationalité. Bien souvent,
En effet, il faudrait «  revoir le culte de les défenseurs de la fessée s’arment d’ar-
l’enfant, celui qui vise à protéger l’inté- guments inspirés de leur propre vécu et
rêt supérieur de l’enfant  » au risque de de leurs représentations. Le défenseur
le sacraliser. Ce propos, tiré d’une étude d’une prohibition explicite des châti-
de l’UCLouvain, doit nous interpeller. La ments corporels se verra alors répondre :
reconnaissance des droits et de la digni- « Une fessée n’a jamais tué personne ! » ;
té des enfants est une lutte quotidienne, « Moi j’ai pris des claques quand j'étais
mais légiférer en faveur d'une éducation jeune et je suis toujours là ! » ; « Si on les
non violente constituerait une « menace laisse tout faire on va en faire des rois ! ».
pour nos sociétés démocratiques » ?
Vouloir réglementer et baliser les mé-
Vous l’aurez compris : la problématique thodes éducatives au sein de la famille
de la violence dite éducative est proba- peut être perçu comme une ingérence
blement l’un des terrains les plus minés dans la vie privée et familiale des per-
dans le combat pour une société plus sonnes. Pourtant, il est bien du devoir
respectueuse des droits et de la dignité moral, politique et juridique des autori-
de l’enfant. Elle est, à l’instar de la ques- tés de veiller au respect et à la protec-
tion très médiatisée de la prohibition ex- tion de l’intégrité physique, psychique,
plicite des châtiments corporels dans le psychologique, émotionnelle, morale et
cercle familial, totalement taboue. Elle affective de l’enfant.
fait l’objet de désinformation, déchaîne
les passions et cristallise les angoisses Par ailleurs, le phénomène de banalisa-
et les peurs. Questionner nos modèles tion des violences éducatives ordinaires
éducatifs et éducationnels nécessite questionne la place de l’enfant dans la
une profonde introspection qui, parfois, société. Le Délégué général entend, par
nous confronte à nos propres pratiques/ cette contribution, éviter ainsi le piège
agissements en tant que parents ou à de l’hystérie collective et objectiver le
notre propre vécu en tant qu’enfants débat via des données probantes et tan-
ayant déjà subi de telles méthodes. gibles au moyen d’études et d’analyses
scientifiques mettant en exergue l’im-
Cette question est également souvent pact négatif des violences dites édu-
traitée avec légèreté, occultant toute ri- catives ordinaires sur le bien-être et le
gueur scientifique et méthodologique. développement de l’enfant.

Le saviez-vous ?
Tout au long de ce webzine nous ferons Car dans les faits, « il s’agit bien d’une
usage de la terminologie couramment violence systémique, relevant d’une lo-
usitée de violences dites éducatives or- gique de domination des adultes vis-
dinaires. Mais il convient d’avoir à l’esprit à-vis des enfants1 » que le terme pluriel
que celles-ci devraient plutôt se pen- ne peut désigner aussi explicitement.
ser au singulier. En effet, s’il existe bien Cela pourrait apparaître comme un dé-
des formes multiples de violences dites tail de forme voire comme une lubie
éducatives ordinaires, l’Observatoire taxinomique mais nous pensons qu’elle
des Violences Éducatives Ordinaires a toute son importance : la violence dite
nous rappelle qu’en réalité, les VDEO éducative ordinaire doit se comprendre
recouvrent bien plus de choses que ce au-delà des actes qu’elle décrie, jusque
que peut laisser sous-tendre sa termino- dans la moelle structurelle qui constitue
logie dangereusement évidente. le fondement même de notre société.
AUX PRÉMICES

3
Aux prémices de la question des VDEO, La première partie de cette contribu-
apparaissent des dimensions sociolo- tion s’attellera à opérer un tour d’horizon
giques, historiques et conceptuelles – rapide, mais indispensable – qui nous
malheureusement trop souvent igno- permettra de comprendre comment la
rées du grand public. Celles-ci s'avèrent question des VDEO nous amène à inter-
pourtant essentielles pour prétendre à roger la place qu’occupe l’enfant dans
une pleine compréhension du sujet des notre société. Nous verrons comment
violences dites éducatives ordinaires. celle-ci a de facto évolué.

II. D’HIER À AUJOURD’HUI : LA PLACE DE L’ENFANT

Au crépuscule du XXème siècle, la littéra- En Belgique, il paraîtrait que les socio-


ture académique fait état de la fin d’un logues ne se soient guère longuement
règne durant lequel la société occiden- attardés sur la question spécifique des
tale s’était progressivement centrée au- violences dites éducatives ordinaires en-
tour de la figure de l’enfant, formant de vers les enfants. Il semblerait qu’à l’instar
ce fait la famille éducative ou famille de la France, la thématique ait été da-
moderne2. Pourtant, depuis les années vantage appropriée par le domaine des
60, la famille n’aurait cessé encore d’évo- sciences psychologiques et médicales6.
luer3 : «  il n’est alors plus possible d’en- Plus précisément encore, c’est au sein
visager les problèmes éducatifs [...] sans de la littérature psychanalytique que la
s’interroger sur le nouveau statut de question des violences exercées sur l’en-
l’enfant, dans la modernité4 ». fant est la plus vertigineuse.

Ce nouveau statut de l’enfant doit être si- En effet, c’est en 1984, dans son cé-
tué en regard de deux bouleversements lèbre ouvrage sous-titré Racines de la
sociétaux survenus dans les années violence dans l’éducation de l’enfant,
70. Le premier porte sur l’apparition de qu’Alice Miller dépeindra pour la pre-
transformations sociodémographiques mière fois le portrait de ce qu’elle dési-
majeures. À cette époque s’observent gnera sous le nom de pédagogie noire.
de significatives évolutions des confi- Selon elle, la pratique des punitions cor-
gurations familiales : le mariage est en porelles serait le facteur explicatif majeur
baisse, le divorce est en hausse, et la fa- de la violence des adultes et des ado-
mille monoparentale se voit accorder de lescents. Ce faisant, c’est elle qui sera la
plus en plus d’importance. Les parents première psychanalyste à ouvertement
sont ainsi « libres ensemble », on laisse se positionner contre les thèses avan-
davantage d’autonomie à chaque indivi- cées précédemment par Freud et qui
du qui compose la famille. C’est sur ce soutiennent, notamment, que l’enfant
fond d’individualisation familiale que va est dicté par des pulsions qu’il convient
apparaître la famille relationnelle5. de dompter. Ce dernier dira justement
que l’éducation produit chez l’enfant
En deuxième lieu, l’individualisme fa- des « impératifs contradictoires : ne pas
milial en question se voit consacré par heurter de front la pulsion, et pourtant
la reconnaissance juridique des Droits ne pas la laisser déborder7 ».
de l’enfant adoptés en 1989 par la
Convention internationale des Nations Par la suite, dans la lignée d’Alice
Unies. Dès cet instant, l’enfant devient Miller, d’autres personnes de la pro-
un individu auquel on reconnaîtra des fession psychanalytique – majoritai-
droits, ce qui conduira à de nouvelles rement f rançaises – ont appuyé et
interrogations, portant notamment sur remanié son propos  : Françoise Dolto,
l’exercice de l’autorité parentale. L’usage Bruno Bettelheim, Muriel Salmona,
de la violence dans l’éducation sera ef- etc. Aujourd’hui, ces éminentes figures
fectivement questionné et repensé. sont devenues des incontournables en
C'est donc dans cette continuité que matière de violences dites éducatives
s'inscrit notre contribution. ordinaires.
4 EXPLICATION &
III. LES VIOLENCES DITES ÉDUCATIVES ORDINAIRES : QUÉSAKO ?

D’après l’association f rançaise STOP Rappelons également qu’en vertu de


VEO - Enfance sans violences, la violence l’article 19 § 1 de la Convention internatio-
dite éducative ordinaire doit s’entendre nale relative aux droits de l’enfant, toutes
comme toute forme de « violence (phy- ces formes de violence sont condam-
sique, psychologique ou verbale) utilisée nées en disposant que :
envers les enfants dans une intention
éducative (pour leur "bien", pour qu’ils
aient un "bon comportement"), cultu-
rellement admise et tolérée ; elle en de- « les États parties prennent toutes
vient alors ordinaire8 ». Se retrouvent les mesures législatives, adminis-
ainsi dans le registre des VDEO : tratives, sociales et éducatives ap-
propriées pour protéger l’enfant
contre toute forme de violence,
d’atteinte ou de brutalités phy-
1. Les violences physiques telles
siques ou mentales, d’abandon ou
que la fessée, la gifle, les petites
de négligence, de mauvais traite-
tapes sur les mains, la privation de
ments ou d’exploitation, y compris
nourriture, etc. ;
la violence sexuelle, pendant qu’il
2. Les violences psychologiques est sous la garde de ses parents
telles que la punition, le chantage, la ou de l’un d’eux, de son ou ses re-
menace, la culpabilisation, la priva- présentants légaux ou de toute
tion d’affection, la menace d’aban- autre personne à qui il est confié. »
don de l’enfant, etc. ;

3. Les violences verbales comme


crier, insulter, se moquer, humilier.
IMPACTS DES VDEO

5
IV. LA VDEO À LA LUMIÈRE DES NEUROSCIENCES

Il existe pléthore de recherches menées portemental, non seulement pour les


par des neuroscientifiques, médecins, enfants qui en sont victimes mais égale-
biologistes, sociologues, psychanalystes, ment pour leurs propres enfants.
pédopsychiatres et autres experts ana-
lysant et quantifiant les conséquences Comme le rappelle Muriel Salmona, l’in-
à tous les âges des violences dites édu- terdiction des violences dites éducatives
catives ordinaires subies dans l'enfance. ordinaires ne doit pas seulement être
Leurs résultats mettent en lumière les appréhendée à travers le prisme du res-
conséquences désastreuses qu’elles pect des droits fondamentaux. Il s’agit
peuvent avoir tant aux niveaux psycho- donc bel et bien d’une question de san-
logique, physique, éducatif que com- té publique.

1. Les conséquences désastreuses des violences dites éducatives ordinaires sur le


développement affectif et émotionnel de l’enfant

Le Docteur Catherine Gueguen nous en- Bruce McEwen, un des grands spécia-
seigne qu’une « relation [adulte-enfant] listes mondiaux du stress sur le cerveau
basée sur l’empathie, le soutien, l’encou- des enfants et adolescents, a démontré
ragement et l’amour favorise le bon dé- que plus le stress est important, plus il
veloppement du cerveau chez l’enfant va attaquer des zones importantes du
et l’adolescent9 ». cerveau : le cortex préfrontal qui permet
de réfléchir, avoir de l’empathie, planifier,
Elle rappelle que le cerveau de l’enfant résoudre des problèmes ; l’hippocampe
est très malléable, particulièrement pen- qui permet de mémoriser et d’ap-
dant la grossesse et les deux premières prendre, ainsi que d’autres structures
années de vie. À travers le prisme des cérébrales importantes pour l’enfant10.
neurosciences affectives et sociales, elle
constate que « notre regard, nos gestes, De nombreuses recherches internatio-
le son de notre voix, tout ce que nous al- nales11 démontrent que les violences
lons faire pour apporter de l’affection, du éducatives ont des conséquences
soutien, va permettre au cerveau de l’en- traumatiques à long terme sur la san-
fant de se modifier dans le bon sens ». A té mentale et physique des enfants et
contrario, la peur et le stress générés par que le cerveau des enfants est particu-
toute forme de violence éducative sont lièrement vulnérable à ces violences.
extrêmement nocifs pour le cerveau de Plusieurs études confirment les obser-
l’enfant. vations de Gueguen et Mc Ewen en dé-
montrant que « les violences éducatives
Elle observe que les enfants ayant vécu sont à l’origine d’atteintes neurobiolo-
des stress importants présentent des giques et corticales du cerveau12 ».
problèmes ou retards de développe-
ment de leur cortex frontal et de leur Martin Teicher, psychiatre à l’Université
cortex orbito-frontal, partie du cerveau de Harvard, a lui aussi mis en exergue
qui permet de faire face aux émotions dans ses travaux 13 l’impact préjudi-
et au stress. Elle ajoute que « c’est la re- ciable des violences sur certaines ré-
lation que l’adulte va avoir avec l’enfant gions du cerveau (le corps calleux et
qui va permettre le bon développement l’hippocampe). Il a par ailleurs démon-
ou non de ce cortex orbito-frontal et que tré que les punitions corporelles altèrent
chaque fois que la relation donne de la les voies dopaminergiques (système de
sécurité affective, de l’empathie, du sou- motivation-récompense) ce qui peut
tien, elle va permettre au cortex orbi- conduire à une grande vulnérabilité vis-
to-frontal de bien se développer ». à-vis des drogues et de l’alcool14.
6
Teicher nous enseigne également que Il conviendra également de rappeler
les mauvais traitements émotionnels que certaines phrases sont susceptibles
subis durant l’enfance ont des consé- de marquer à jamais les enfants. En
quences chez l’adulte et peuvent no- 2005, l’Observatoire de la violence édu-
tamment favoriser l’apparition de cative ordinaire en France a recensé les
dépression, de troubles anxieux, disso- violences verbales ou psychologiques
ciatifs et de manifestations d’agressivité. ayant un impact négatif sur l’enfant16.
Ses constats seront corroborés par plu-
sieurs études, à l’instar d’une étude ca- Cette analyse met en exergue l’effet pré-
nadienne portant sur 34.653 personnes judiciable des propos menaçant de châ-
montrant le lien entre les punitions cor- timents corporels (« Tais-toi ou je t'en
porelles reçues durant l’enfance et le dé- colle une » ; « Arrête de pleurer sinon
veloppement chez l’adulte de troubles tu vas savoir pourquoi » ; « Dis merci si-
de l’humeur, de dépression, de manie, non ça va mal finir ») ; les propos qui re-
de troubles anxieux, d’une dépendance jettent l’enfant (« Je ne t'aime pas quand
à l’alcool et aux drogues et de troubles tu fais ceci ou cela » ; « Je m’en vais pour
de la personnalité, en particulier des toujours ») ; les propos à caractère hu-
troubles dissociatifs15. miliant  ; ceux qui affirment l’autorité
du parent (« Tu m'obéis ou tu t'en vas
Enfin, Teicher nous dit que la maltrai- de la maison » ; « Je vais te faire passer
tance émotionnelle et des paroles bles- l'envie de rire ») ou encore ces formules
santes telles que « tu es nul » ou « tu qui contribuent à réprimer les émo-
es bête » ont des répercussions désas- tions de l’enfant (« Hou la vilaine petite
treuses chez l’enfant mais aussi chez fille qui fait un caprice » ; « Un garçon ça
l’adulte qu’il va devenir. Il observe que ne pleure pas »). Ces phrases laisseront
les paroles humiliantes aux enfants vont des traces indélébiles : elles dévalorisent
abîmer les circuits neuronaux et zones l’enfant, son potentiel et ses capacités ;
du cerveau qui nous permettent de elles portent atteinte à son estime et à
comprendre le langage. sa confiance en lui.

2. Les effets contre-productifs des violences dites éducatives ordinaires

Vient alors la question des objectifs der- La chercheuse Rebecca Waller, d’Oxford,
rière les VDEO. Sont-ils atteints ? Muriel s’est posé la question du résultat de mo-
Salmona souligne qu’à ce jour : dèles éducatifs punitifs et sévères19. Elle
a repris 30 études sur le sujet. Elle en a
conclu que le résultat était contraire à ce
« aucune étude scientifique n’a que les adultes souhaitaient. L’éducation
pu démontrer un effet positif des vraiment punitive et sévère rend ain-
punitions corporelles sur le com- si l’enfant dur, non empathique, et peut
portement de l’enfant, bien au donner des manifestations d’agressivité,
contraire elles sont corrélées for- des dépressions, de l’anxiété, des addic-
tement à une augmentation de tions à l’alcool et la drogue et, dans les
l’agressivité et des comportements cas extrêmes, peut mener au suicide.
antisociaux17.»
À contrario, des scientifiques, à l’ins-
Gershoff et Grogan-Kaylor confirment à tar de Marion S. Forgatch, Theodore P.
partir d’une étude publiée en avril 2016 Beauchaine, Carolyn Webster-Stratton
portant sur un échantillon de 160.927 ou encore Jamila Reid, ont démontré par
enfants que la fessée est inefficace et leurs recherches que la réduction des
dangereuse, qu’elle augmente les com- punitions corporelles par les parents est
portements antisociaux et agressifs et suivie rapidement d’une diminution de
qu’elle majore les problèmes de santé l’agressivité, de l’anxiété et des compor-
mentale ou cognitifs18. tements antisociaux chez leurs enfants20.
7
En outre, les violences éducatives or- Il convient de noter qu’en 1990 déjà, le
dinaires ont des répercussions éduca- National Committee of Violence austra-
tives. L’enfant intériorise l’usage de la lien identifiait comme première cause
violence comme méthode légitime de de la « violence agie des jeunes » la vio-
règlement des conflits. Par ailleurs, elles lence subie dans leurs familles21. Ce dia-
envoient un message incohérent. Nous gnostic est confirmé par de nombreux
citerons ici le cas de l’enfant subissant auteurs à l’instar de Marie Choquet,
une correction (fessée ou gifle) en guise chercheuse CNRS, qui a mené une
de punition pour s’être lui-même mon- étude auprès de 12.000 jeunes et noté
tré violent dans la cour de récréation. que « les filles, mais surtout les garçons,
La question à se poser est la suivante : qui ont été victimes de violences sont
comment l’enfant peut-il comprendre eux-mêmes plus violents que ceux qui
le sens de la sanction si celle-ci prend la n’ont pas subi ces atteintes22 ».
forme de l’acte répréhensible ?

Les violences éducatives ordinaires pa-


rasitent ainsi les apprentissages. En
effet, l’enfant apprend par imitation.
Comme le dit Alice Miller « paradoxale-
ment, dans leur effort d’empêcher leurs
enfants de devenir délinquants, les pa-
rents leur ont enseigné la délinquance
en leur livrant des modèles violents ». La
chercheuse évoque dans ses travaux la
théorie de la « pédagogie noire » et sou-
ligne l’impact et le pouvoir de reproduc-
tion de génération en génération des
violences éducatives.

Le saviez-vous ?
Tout récemment encore, en janvier 2022, Ainsi, d’après les chercheurs, «  ces ob-
des chercheurs de l’INSERM et de l’uni- servations renforcent l’hypothèse d’une
versité de Tours, en collaboration avec corrélation entre stress précoce et dé-
une équipe canadienne de la McGill veloppement accru des f ilets péri-
University ont apporté une nouvelle neuronaux23. » Une nouvelle fois, les
preuve visible des effets de la maltrai- neurosciences vont dans ce sens : les
tance sur le cerveau. Dans le cadre de violences dites éducatives ordinaires
leurs recherches, les scientifiques ici ré- sont bel et bien susceptibles d'entraîner
unis ont analysé les cerveaux d’adultes des conséquences désastreuses chez les
morts par suicide et ont constaté que le futurs adultes que sont nos enfants.
tissus cérébral de ces derniers présen-
taient des anomalies au niveau du cor- Pour en savoir plus sur l’étude
tex préfrontal. de l’INSERM :
https://tinyurl.com/yrzp6pyc

Les neurones présents dans cette zone


– responsable de la régulation des ré-
ponses émotionnelles  – sont entourés
de filets périneuronaux plus épais et
plus nombreux que chez les individus
sans antécédent mental.
8 CARTE BLANCHE :
IL ÉTAIT UNE FOIS... UNE BRIQUE DE LAIT

43 ans d'interdiction des châtiments corporels :


Retour d'expérience du cas suédois

En 1979, le Parlement suédois a adopté foyers. Ce discours a débouché sur une


une loi interdisant toute forme de vio- nouvelle proposition de loi visant à in-
lence à l'égard des enfants, y compris terdire les châtiments corporels, propo-
à la maison. Cette décision a été prise à sée par différents partis politiques au
une époque où la majorité de la popu- Parlement. L'idée n'était pas de mettre
lation considérait encore les châtiments les parents en prison, au contraire, mais
corporels comme la méthode normale bien de changer les attitudes, les com-
pour élever les enfants. Dans les années portements et surtout, de laisser les en-
1970, la violence à l'égard de ces derniers fants grandir sans violence. À l'époque,
a fait l'objet d'un vaste débat public au cette loi était plutôt controversée, car la
sein de la société civile, des profession- majorité de la population était favorable
nels de la santé et des partis politiques. au droit des parents à avoir recours aux
châtiments corporels pour élever leurs
Certes, au début des années 1950, les enfants.
châtiments corporels avaient déjà été
interdits dans les écoles mais le dé- Que s'est-il donc passé après l'adoption
bat s'est étendu à la violence dans les de la loi ? Le changement ne se fait pas
PAR-DELÀ LES

9
FRONTIÈRES

tout seul. Une campagne d'information En 1979, la Suède a été le premier pays à
massive a été lancée, impliquant des pé- adopter une loi sur les châtiments cor-
diatres, des écoles maternelles, des cli- porels. Aujourd'hui, plus de 75 autres
niques prénatales, des organisations pays ont pris la même décision. Pour la
confessionnelles, etc. première fois, la violence contre les en-
fants est également incluse dans les
Pendant deux ans, pour atteindre le pu- Objectifs Mondiaux24 (16.2), reconnais-
blic, une campagne sur les méthodes sant ainsi qu'il s'agit d'un défi mondial.
non violentes pour élever les enfants a Chaque année, un milliard d'enfants
été affichée sur tous les emballages de sont victimes de violences graves, ce qui
lait afin de stimuler les discussions et les affecte leur santé, leur bien-être et leurs
prises de conscience au sein même des possibilités dans la vie.
familles. C'était à une époque où les mé-
dias sociaux n'existaient pas et où nous Tous les parents veulent élever leurs
n'avions que deux chaînes de télévision enfants de la meilleure façon possible.
en noir et blanc. Mais sur presque toutes Si l’on donne aux parents les connais-
les tables de petit-déjeuner, on trouvait sances et les outils nécessaires pour
une brique de lait. élever leurs enfants sans violence, de
nombreux enfants auront une meil-
En l’espace de deux ans, plus de 80 % du leure enfance et plus de possibilités
public connaissait la nouvelle loi et les dans la vie. D'après notre expérience en
enquêtes publiques ont montré com- Suède, la loi a contribué à promouvoir ce
bien les attitudes et les actions ont évo- changement.
lué au fil du temps. Alors qu’en 1979,
environ 80 % du public était en faveur
des châtiments corporels, on est passé Elisabeth Dahlin
à 20 % après 11 ans d'application de la loi Ombudsman suédoise
et, dans la dernière enquête, à 2 % (2018).
Un facteur important est que les en-
aux droits de l’enfant
fants eux-mêmes savent désormais que
la violence ne fait pas partie de l'édu-
cation d'un enfant, que subir des châti-
ments corporels n'est pas normal pour
les enfants.

Bien sûr, malheureusement, il existe en-


core des cas de châtiments corporels
mais le cadre normatif a fondamentale-
ment changé, de même que l'attitude
envers les enfants en tant que citoyens
compétents ayant des droits propres.
D'une certaine manière, la loi contre les
châtiments corporels pourrait être com-
parée à des lois telles que le port obli-
gatoire de la ceinture de sécurité ou
l'interdiction de fumer à l'intérieur. Une
loi peut donc promouvoir un change-
ment d'attitude à propos de ce qui est
acceptable ou non, et modifier des com-
portements assez rapidement.
10 PARTIE SECONDE :
Bien que ce droit à une éducation non Le 30 avril dernier, à l’occasion de la jour-
violente soit consacré par la Convention née internationale de la non violence
internationale des droits de l’enfant, éducative, notre institution a, à travers
force est de constater que cet article une campagne vidéo cette fois, nouvel-
ne trouve aucunement son application lement rappelé toute l’importance de
dans la réalité. La dernière enquête me- dire « stop » à ce qui relève – plus que ja-
née en mars 2020 par DEI-Belgique ne mais – de l’inacceptable.
le montre que trop bien : sept personnes
sur dix ignorent ce qui est autorisé par la
loi en matière de méthodes d’éducation
des enfants. Pire encore, 39 % des répon-
dants estiment les punitions physiques
et/ou psychologiques comme probable-
ment ou certainement bénéfiques pour
leurs enfants25. Visionnez la capsule réalisée
cette année à l’occasion de la
journée internationale de la non
violence éducative :
https://tinyurl.com/yeywd9h

»
ÉTAT DES LIEUX JURIDIQUE DE LA SITUATION EN BELGIQUE

Du point de vue parental, il y a une volonté


de faire en sorte que l’enfant ait une pleine
part dans la vie familiale, qu’il puisse aus-
si avoir son mot à dire, de le faire participer
à différentes décisions tout en conservant
un certain cadre et une certaine réalité que
l’adulte peut plus facilement avoir en tête.
François Moors, OEJAJ

Face à ces statistiques alarmantes, la vrant] tout châtiment impliquant l’usage


Belgique questionne, interpelle. Là où de la force physique et visant à infliger
bien des pays ont déjà légiféré en la un certain degré de douleur ou de désa-
matière, la Belgique semble être à la grément, aussi léger soit-il. » Le Comité
traîne, comme dans une forme d’iner- des droits de l’enfant des Nations Unies
tie étatique que l’on ne saurait expli- considère qu’aucune forme de violence
quer. À plusieurs reprises, la Belgique contre les enfants n’est acceptable, en
a été condamnée par divers organes aucune circonstance. Il a souligné à plu-
des Nations Unies et du Conseil de l’Eu- sieurs reprises que « les châtiments cor-
rope pour n’avoir pas aboli explicitement porels, même légers, dans la famille,
les châtiments corporels dans tous les les écoles ou autres établissements, ou
milieux. dans le système pénal, sont incompa-
tibles avec la Convention26 ».
Pour rappel, le Conseil de l’Europe défi-
nit les châtiments corporels comme « la Le Comité européen des droits sociaux a,
forme de violence la plus répandue em- quant à lui, formulé à deux reprises (en
ployée à l’encontre des enfants [recou- 2007 et 2011) des conclusions aux termes
INERTIE ÉTATIQUE

11
EN BELGIQUE
desquelles il a réaffirmé que la législa- Délégué général a recommandé l’inser-
tion belge n’était pas conforme à l’article tion des dispositions suivantes au 9° de
1727 de la Charte sociale européenne au l’article 8 du décret « Missions » : « qui-
motif qu’«  il n’est pas expressément in- conque concourt à la mise en œuvre du
terdit d’infliger aux enfants des châti- présent décret veillera au respect et à la
ments corporels au sein du foyer et dans protection de l’intégrité physique, psy-
les structures d’accueil pour enfants de chique, psychologique, morale, émo-
toutes les Communautés de Belgique ». tionnelle et affective de chaque enfant
et, qu’à ce titre, l’usage de toute forme
Alors que 32 des 47 États membres du de violence éducative est proscrit ».
Conseil de l’Europe sont parvenus à in-
terdire complètement les châtiments Mais il va sans dire que la Fédération
corporels dans tous les contextes – y Wallonie-Bruxelles n’est pas le seul ni-
compris à la maison – la Belgique prend veau de pouvoir concerné par cette ca-
racine sur le banc des mauvais élèves rence législative. En effet, les châtiments
aux côtés de pays comme la Russie ou corporels ne sont toujours pas explici-
encore l’Azerbaïdjan. tement prohibés dans le cercle fami-
lial. C’est pourquoi le Délégué général, à
Face à ce constat, le Délégué général aux l’instar de son homologue flamand, de
droits de l’enfant, en collaboration avec nombreuses organisations de défense
l’OEJAJ, a réalisé une analyse des diffé- des droits de l’enfant et de plusieurs
rents décrets régissant les matières rele- parlementaires ayant déjà déposé des
vant de la compétence de la Fédération propositions de loi par le passé, recom-
Wallonie-Bruxelles, en se concentrant mande, plus que jamais, aux autorités
plus spécifiquement sur les secteurs compétentes de légiférer et d’insérer un
de l’Enseignement et de l’Aide à la jeu- article 371/1 dans le Code civil disposant
nesse. Il est apparu que ni les décrets de alors que :
l’Enseignement ni ceux régissant le sec-
teur de l’Aide à la jeunesse ne se confor-
maient complètement aux attentes du « tout enfant a droit à des soins, à
Comité des droits sociaux et du Comité la sécurité et à une bonne éduca-
des droits de l’enfant. tion et qu’il doit être traité dans le
respect de sa personne et de son
C'est ainsi que le Délégué général a, individualité et ne peut pas faire
conformément à son mandat, adressé l’objet de traitement dégradants
des recommandations à la Ministre de ni d’aucune forme de violence
l’Enseignement et au Ministre de l’Aide physique ou psychique. »
à la jeunesse, les exhortant à saisir l’op-
portunité des réformes en cours pour L’objectif de cet article ne serait pas de
abolir explicitement les châtiments cor- poursuivre tout parent donnant une fes-
porels à l’encontre des enfants. Il a no- sée à son enfant tel un mécanisme in-
tamment invité le Ministre de l’Aide à la quisitorial. Il serait préventif et aurait
jeunesse à intégrer l’abolition explicite pour but de conscientiser les adultes
des châtiments corporels aux principes quant à l’impérieuse nécessité d’élever
fondamentaux du Livre préliminaire de un enfant dans le respect de ses droits
l’avant- projet de décret portant le Code et de sa dignité. L’éducation par la vio-
de la Prévention, de l’Aide à la jeunesse lence, qu’elle soit verbale, psychologique
et de la Protection de la jeunesse. ou physique caractérise une violation
manifeste de la Convention internatio-
Dans le cadre de l’élaboration du nou- nale relative aux droits de l’enfant et, de
veau Code de l’Enseignement, le surcroit, une atteinte à notre humanité.
12 DÉCONSTRUISONS
NOS IDÉES REÇUES
1. « Une gifle, ça n’a jamais tué personne ! »

C’est sans doute l’une des exclamations étant relativement normales car trop
les plus courantes avec le « je n’en suis souvent, les autres adultes considèrent
pas mort !  ». Et pourtant, tous les jours, des situations qui relèvent en réalité
des enfants meurent sous ces coups qui de violences éducatives comme telles.
peuvent, au départ, sembler « minimes ». Si, durant notre enfance, aucun adulte
n’a pris le parti de relever l’inadéqua-
Pour commencer, gardez à l’esprit que tion d’un certain comportement, com-
toute maltraitance infantile débute au ment pourrait-il en être autrement vous
départ par un « petit coup », une « petite concernant ?
gifle » avant de prendre des proportions
d’autant plus cruelles et dramatiques. À défaut notamment d’information sur
Si vous êtes de celles ou de ceux qui le sujet – dont, fort heureusement, nous
pensent que « ce n’est pas la mort », lais- bénéficions en quantité aujourd’hui –,
sez-nous vous éclairer. vous avez fini par intégrer ce qui vous
semblait aller de soi ; une certaine
La plupart du temps, une fois que nous culture, un certain mode d’éducation. Le
sommes adultes, notre mémoire nous « je n’en suis pas mort » devient alors « [...]
fait oublier les émotions négatives (hu- la seule manifestation du désespoir qui
miliations, coups, punitions, etc.) que subsiste lorsqu’on était enfant : j’ai sur-
nous avons vécues pendant notre en- vécu, donc tout va bien. Ce n’était pas si
fance. Ainsi, en grandissant, nous avons grave, puisqu’on m’a fait tout cela pour
intériorisé et admis celles-ci comme mon bien28. »

2. « On va laisser l’État mettre son nez dans la manière


dont j’éduque MON enfant ?! »

Pour certains détracteurs, un des freins Aujourd’hui, en matière de violences


à légiférer en matière de violences dites conjugales, tout le monde s’accorde
éducatives ordinaires résiderait dans désormais à dire que nous avons tout
le caractère interventionniste de l’État, intérêt à ce que l’État puisse interve-
c’est-à-dire le fait qu’il puisse s’immis- nir au sein des foyers, c’est même sou-
cer dans la vie familiale pour contrôler la haité là où, encore bien trop souvent,
manière dont les parents éduqueraient les femmes peuvent décéder sous les
leurs enfants. Mais n’est-ce pas là juste- coups de leur mari dans la plus grande
ment quelque chose de souhaitable ? indifférence...
Prenons l’exemple de la violence conju-
gale : il y a quelques années, l’opinion Alors, pourquoi le même schéma ne
publique ne pouvait concevoir que l’État s’appliquerait-il pas aux enfants, eux
se mêle de la manière de « faire couple », aussi victimes d’abus et de maltrai-
de « traiter sa femme » dans la sphère tances en tous genres ? Rien ne justifie
privée. Pour autant, et fort heureuse- cela, et certainement pas la crainte in-
ment, les temps ont changé et grâce à justifiée d’une quelconque forme d’in-
un travail fort où les mentalités ont pu terventionnisme étatique. Autrement
évoluer, elles sont aujourd’hui mieux dit, vous n’êtes pas propriétaire de votre
protégées au sein du foyer. enfant, vous en êtes responsable !
POUR MIEUX LES

13
»
RECONSTRUIRE
Ce qui a changé en 25/30 ans, c’est pas l’arrivée
d’Internet, c’est l’évolution du modèle d’autori-
té qui va avec l’évolution des familles [...]. On ne
frappe plus. [...] Mais malgré tout, on veut garder
sur les enfants une forme de surpuissance d’auto-
rité mais dont le modèle ne peut plus passer par
des violences parce que c’est devenu complète-
ment imbécile. Le “c’est comme ça, pas autrement”
c’est fini maintenant.
Bernard De Vos,
Délégué général aux droits de l’enfant

3. En légiférant sur les VDEO, on risque d’envoyer en prison


tous les parents qui auraient un geste malheureux !

Faux. Cette affirmation va tout à fait à s’agit pas de le (dé)responsabiliser avec


l’encontre du projet que nous portons. une sanction à la clé mais bien de l’ac-
En légiférant civilement sur la question compagner au mieux dans sa pratique
des violences dites éducatives ordinaires, parentale. Cette approche espère ain-
l’objectif n’est certainement pas d’incri- si que, de manière plus globale, un tra-
miner le parent, de le sanctionner. À tra- vail d’information et de sensibilisation
vers ce geste symbolique fort, la volonté soit mené concernant les conséquences
est d’avant tout, poser un cadre pour ai- – aujourd’hui scientifiquement recon-
guiller le parent sur ce qui est accep- nues – des violences dites éducatives
table et ce qui ne l’est pas. Autrement ordinaires. Il en va de l’intérêt supérieur
dit encore : envoyer un signal clair. Il ne des enfants.

4. Ce que vous proposez, c’est de faire de nos enfants


des « enfants-rois »

Faux, et archi faux. Prôner une éduca- de l’enfant. En favorisant une éducation
tion bienveillante n’est aucunement sy- qui prône l’écoute, le dialogue et où l’en-
nonyme de laxisme. Il faut d’ailleurs fant pourra donc s’exprimer librement,
à tout prix sortir de ce carcan selon le- pleinement, on réduit justement la pro-
quel il y aurait uniquement deux fa- babilité qu’il doive gérer seul des trop-
çons de faire, deux manières d’éduquer. pleins émotionnels qui le relégueraient
L’éducation n’est heureusement pas bi- au rang d’ « enfant-roi ». Pour le dire au-
naire, il n’est pas question d’être soit de trement, en responsabilisant vos enfants
ceux qui sont « autoritaires » ou soit de par des méthodes douces, intelligentes
ceux qui « laissent tout faire ». et constructives, en les rendant acteurs
de leur éducation, vous agissez de ma-
Une éducation bienveillante, c’est une nière préventive et vous augmentez les
éducation qui, justement, dépasse cette chances de lui laisser être qui il est : un
dualité pour poser un cadre de respect enfant-de-droits. Respectez-le et il vous
qui va au-delà : envers, pour et autour respectera en retour.
14 NOTRE FOCUS
Vous l’aurez compris à travers ce dossier être synonyme de quelque forme de vio-
portant sur les violences dites éduca- lence que ce soit.
tives ordinaires, la nécessité de légifé-
rer en la matière est devenue, plus que Cessons les bavardages inutiles, actons
jamais, réelle et nécessaire pour que cela et surtout, ne cessons jamais de lut-
l’opinion publique générale mesure ô ter en faveur de la reconnaissance des
combien l’éducation ne peut jamais droits et de la dignité des enfants.

Le projet PREFACE

En 2020, et suite à la crise liée au Covid, Ce projet, d’une durée de deux ans
l'OMS signale une augmentation signi- (2022-2024), est coordonné par Défense
ficative de la violence envers les enfants, des Enfants International (DEI) –
en particulier des violences intrafami- Belgique, en partenariat avec le Délégué
liales (physiques et psychologiques) général aux droits de l’enfant, DCI World
par leurs parents ou d'autres membres Service Foundation et l'Observatoire de
de la famille, mais aussi des violences l’Enfance, de la Jeunesse et de l'Aide à la
émanant de soignants ou de leurs pairs. Jeunesse.
Comme le fait remarquer le Secrétaire
général Antonio Guterres, « les mesures Les activités de PREFACE vont se déve-
de conf inement peuvent piéger les lopper autour de quatre axes :
femmes avec des partenaires violents ».
Il en va de même pour les enfants, qui 1. Encourager la participation par le biais
ont été privés d’école et donc isolés dans d’ateliers dans des écoles primaires afin
leur environnement familial. d'informer les enfants sur leurs droits,
identifier avec elles et eux les difficul-
La Belgique ne fait pas exception à ce tés et inquiétudes en termes de VDEO,
triste constat. Les lignes d'assistance ont les informer sur les services d'aide et co-
été renforcées, avec notamment l'ouver- construire des outils de sensibilisation
ture de lignes téléphoniques où les ap- adaptés à leurs besoins.
pels ont été très fréquents et révélateurs
de la détresse de certains parents en 2. Accompagner les familles en propo-
Belgique. En revanche, les mesures vi- sant des ateliers gratuits destinés aux
sant à endiguer le phénomène de la vio- parents afin de les sensibiliser aux dif-
lence à l'égard des enfants en Belgique ficultés vécues par les enfants, informer
restent insuffisantes. sur les conséquences des VDEO, et sou-
tenir concrètement les parents vers une
C’est en réponse à cela que le pro- démarche d'éducation non-violente.
jet PREFACE (Positive and Responsive
Education for All Children) a été conçu, 3. Améliorer la prévention et la détection
afin d’endiguer le phénomène de la vio- des VDEO dans le milieu scolaire en in-
lence dite éducative ordinaire à l'égard formant les professionnels sur les formes
des enfants en Belgique. de VDEO et les conséquences négatives
pour les enfants, sur les services d'aide
disponibles pour les familles, et en en-
courageant la promotion de méthodes
Pour découvrir le projet PREFACE éducatives non violentes.
coordonné par DEI-Belgique :
https://tinyurl.com/ymbb4ydt
4. Continuer le travail de plaidoyer pour
l’adoption d’une loi inscrite dans le Code
Civil interdisant l'usage de la violence
dans l'éducation et incitant au déve-
loppement de l'accompagnement des
familles.
Pour découvrir l'ensemble de nos
trimestriels, rendez-vous sur :
https://tinyurl.com/2p8yku4u

Une analyse rédigée par Christine Roisin


Pour le Délégué général aux droits de l’enfant
23 juin 2022

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dgde@cfwb.be
02/ 223.36.99
Rue de Birmingham 66 – 1080 Bruxelles
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16 RÉFÉRENCES
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contre-les-enfants-d-ici-a/168093c1e4>,
s.d., [Document consulté le 22/05/2022].
Vers une communication
adaptée aux enfants
Les quatre points à retenir de ce focus

En tant qu’enfant, tu as droit à des Selon le Délégué général aux


soins, à la sécurité et à une bonne droits de l’enfant, tous les parents
éducation. Que ce soit à l’école ou peuvent être aidés à bien éduquer
à la maison, tu dois toujours être leur enfant, c’est-à-dire avec res-
traité avec respect. Que ce soit pect et bienveillance. Ce qui est le
physiquement ou verbalement, plus important, c’est que la relation
on ne peut jamais te faire du mal. entre toi et ton parent s’inscrive
C’est prévu dans la loi. dans un cadre de dialogue et de
bienveillance.

Psst ! Sais-tu que Un enfant qui ne se sent pas bien


nous avons réalisé dans sa tête ou qui a des pro-
une vidéo Youtube blèmes à la maison dont il n’ose
sur laquelle, nous, pas parler peut toujours être aidé.
enfants, donnons En fonction de ses besoins, il existe
notre avis sur les des adultes qui sont prêts à l’ai-
VDEO ? Si ça t'intéresse, tu peux la der, sans juger. Si tu es dans cette
regarder (et la liker !) juste ici : situation, n’hésite pas à appeler le
https://tinyurl.com/yrpnmhws numéro « 103 ».

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