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projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse J06/04/97 1-7»5"1 ; Zï>: 1 -* 1 5
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tamure = "curieux hybride des mouvements masculins et féminins de fa danse tahhîennne-
traditionnelle, mêlés et associés à la notion occidentale 4u-GOuple-de 'ícavali€rs""in Moulin, p. 12.
flNJSTERE DE LA CULTURE-DAPA
9042 006889
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projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : analvx- 06.'04.'97
Notre démarche vise à clarifier les contradictions relevées au cours de nos enquêtes -
de terrain, mais surtout à les expliquer, en tentant de déceler les raisons, les enjeux et
le sens culturel de ce regain ou de son absence le cas échéant.
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Ie terme "Polynésie" ou "polynésien" désignera dans tout ce rapport la Polynésie Française (en
accord avec l'usage local) et non l'aire culturelle polynésienne au sens large.
projet Patrimoine 95 DOM 3> Rarwrt n°2a : analv-w 06/0497
qui grandit à Tahiti et qui explique te regain culturel de tout ce qui touche à la^
tradition. Dans un deuxième sens, beaucoup plus large et moins passionnel, la culture -
est l'ensemble des schemes de pensée de la société. Ce sont ces deux niveaux culturels •
qui sont en jeu et en action dans la transmission et la préservation des danses.
traditionnels, et même si c'est le premier niveau qn'on évoque et auquel les acteurs
sociaux se réfèrent toujours, le deuxième niveau ne contribue pas moins à la •••
transmission culturelle, quotidienne et inconsciente. •
leur identité, vers l'extérieur, en direction ' des autres peuples du Pacifique, pas.
tout-à-fait étrangers, mais pas non plus semblables. -
Dans la mesure où notre étude concerne les groupes de Polynésie Française-
dans les divers contextes, nous intégrerons nos données relatives à la tenue de" ce
festival dans les parties thématiques de notre analyse. Nous avons laissé de côté
l'analyse de l'organisation du Festival du point de vue des invitants, qui étaient les
habitants des Samoas.
3) Enfin , un séjour prolongé dans un atoll des Tuarrrotus, très éloigné de la capitale»
nous pennet d'évoquer de façon descriptive'ce qu'il en est de ra situation ailturelle^
toujours par le biais de la danse, dans cette partie traditionnelle de la Polynésie •
Française. En plus des informations relatives à cette partie méconnue de la Polynésie,
notre tour de la question comparatif donnera du relief à notre analyse basée sur Tahiti..
Nous évoquerons les éléments pertinents de cette recherche en guise de synthèse de^
notre travail.
1. Le "heiva".
Li* historique r les origines de ht fête tahtttenne annueHe de ht danse
traditionnelle.
Ouverte pour la première fois à Papeete en 1882, la fête nationale du 14 juillet,
a connu une prolongation considérable et s'est transformée en tiurav, le "juillet", mois -
de réjouissances et de concours de toutes sortes : défilés, courses de porteurs de fruits,
marche sur le feu, concours de javelot, concours de préparation du coprah, concours
de tressage et de vannerie, courses de pirogues, et présentation par concours des- •
groupes folkloriques de chants et danses. -
Beaucoup de changements ont frappé cette quasi-institution qu'est le thirai au
cours du temps. Depuis 1986 et pour les raisons que nous verrons, ces festivités ont
pris le nom de heiva (littéralement "fêtes"), mais le contenu est le même. Elles
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tahitienne taxée d'immoralité par les églises. Elle choisit alors de mettre en scène des .
jeunes filles de "bonne famille", et on peut dire qujourd'hui que son influence sur •
l'opinion du public, ainsi que sur la mise en scène des-spectacles, a été considérable. '
Les concours de danse réunissent désormais toute la "bonne" société et gagner est
devenu un honneur pour tout jeune homme ou jeune femme. Cette réhabilitation est
alors allée de pair avec la revalorisation générale de ce qui peut représenter la
"tradition" dont 1'"authenticité" de la. culture polynésienne, mouvement qui prit c-
également son essor peu après et qui, aujourd'hui, est absolument déterminant dans
toutes les discussions et tous les choix touchant à la "culture".
Enfin, ce même règlement instaure un concours de 4anse individuóte,
masculine et féminine, très prisé par le public et là aussi très strict dans les conditions
de son déroulement : dans la tenue vestimentaire, dans les figures imposées et dans la
durée de la prestation.
En ce qui concerne le fond, les critiques portent essentiellement sur deux points
: la composition du jury et les pas imposés. La composition du jury est un problème^
endémique. La plupart des chefs de groupe reprochent aux membres du jury leui;
non-compétence dans le champ jugé, c'est-à-dire la danse et les chants. En effet, les
membres du jury sont choisis dans l'aire .artistique mais aussi culturelle. L'académie- -
tahitieimc, qui a la garde de la- langue tahitienne, est notamment le principal vfvier de^
membres du jury du Heiva. Ceci entraîne deux types de questions corrélées. Tout
d'abord, fart exprimé par les chants et danses traditionnelles n'est-il pas du ressort de ••
l'émotif et de l'esthétique, comme Je pense Flora Devatme, plusieurs fois présidente-du ••
jury et personnalité du monde culturel? Propos- qu'on retrouve sous la plume de John ^
Mairar, artiste dramaturge local : "Certes on n'a pas besoin d'être cordonnier pour
porter d'excellentes chaussures, ni mécanicien pour apprécier tes performances <•
d'une BMW dernier modèle" (Tahiti matin, 15/10/96, p:IL) -
Mais le fait de choisir les membres du jury dans l'académie tahitienne ne réduit-il pas
la danse à sa dimension de patrimoine culturel à sauvegarder, conduisant à des
rapports du type de ceux de l'archéologue et de son objet; ôtant ainsi à la danse le droit -
à la liberté artistique?
La deuxième critique est très proche par son argumentaire de celle qu'on vient
d'évoquer. Elle concerne les pas imposés par le règlement. Nombreux sont les chefs de^
groupe et les danseurs qui les contestent. D'abord et encore parce qu'ils restreignent la •
liberté d'expression d'une discipline dont ils pensent que la vocation est exclusivement
artistique. Mais c'est surtout leur légitimité qui est contestée. La codification des pas
de base n'entraîne pas l'assentiment des artistes qui dénoncent leur arbitraire.
Ces critiques de forme et de fond, ces dénis de légitimité posent l'incontournable
et épineux problème de la tradition. En fait, toute la question est de savoir ce qu'on met
derrière le mot et le concept de tradition. De quelle tradition parle-t-on dans un
ensemble où comme nous allons le voir plus en détail, le temps et l'espace posent
problème et brouillent tout repérage possible?
lu
proid Patfimoine95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse 06/04/97
issu du même district raconte lui aussi une légende locale, "tou ora no raro mai i te
repo fenua".
Le groupe "Tamarii pueu anuhi" du district de Pueu, met en scène le mariage
d'Emehe et de Tuterai dont le but est l'arrêt des hostilités entre les deux clans dont sont
issus, les deux jeunes gens.
Le groupe professionnel "tamarii Papara" décide quant-à lui d'évoquer la légende
des Teva, héros incontournables de l'histoire du district de Papara, mais aussi de l'île
entière.
Un autre groupe professionnel, de la ville cette fois, "torea ura nui" raconte une
légende, ainsi que les "tamarii papetoai", provenant de l'île voisine de Moorea, qui
mettent en scène la légende de Vai'ai'a. Intrigues amoureuses pour conquérir le coeur
d'une jeune princesse : deux jumeaux rivalisent avant d'être massacrés par un troisième
guerrier qui deviendra le nouveau, chef. '
Tous lès autres groupes ont choisi des thèmes plus abstraits, des idées autour
desquelles ils construisent la trame de leur spectacle^ Ces thèmes sont aussi liés à la
notion de patrimoine culturel et comme nous l'avons indiqué plus haut,, il faut noter que
la plupart d'entre eux prennent justement comme thème la tradition ou l'une de ses
variantes, comme l'identité Maohi^ le sens de l'hospitalité polynésienne. Evoquons par
exemple le thème du groupe professionnel vainqueur de cette année, le groupe
"heikura nui", qui choisit de nous présenter "te farereira", la rencontre "...entre un .
peuple et une culture, une culture et un patrimoine culturel" (résumé lu par le
présentateur avant la prestation du groupe).
Le groupe amateur vainqueur, "Hei Tiare", base lui aussi son thème sur une
tradition polynésienne, celle du collier de fleurs qui est "un messager de l'amour, de
l'amitié et de la beauté de nos îles". La traduction en français du résumé du thème, qui
a été remis avant le spectacle aux services de l'office territorial d'action culturelle
(l'Otac) qui ont en main l'organisation du concours, se conclut sur ces mots : "C'est
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le terme maohi dont on reparlera ci-dessous renvoie au caractère polynésien dans un sens plus
politique et plus ethnique, mais aussi plus large que le terme tahitien.
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pourquoi Peuple polynésien, prenons soin de notre collier de fleurs pour qu'il soit
toujours un symbole dans nos coutumes. Mettons-le en valeur, tant sur le plan
touristique que dans les grandes manifestations et surtout ne le détruisons pas de
peur qu'il ne disparaisse ajamáis et ainsi l'accueil sera toujours une tradition de la
Polynésie".
De façon plus directe encore, le célèbre groupe de Coco Hotahota, "te maeva",
choisit de nous faire partager le thème de "l'héritage", défini comme une "manière, ou
un ensemble de manières de penser, défaire, d'agir, qui est un héritage du passé".
Le groupe "te marama" présente quatre thèmes, la terre, la culture, la langue et
la coutume. Enfin, le nouveau groupe professionnel "ahutoru nui met en scène un
sentiment, la fidélité, sous divers aspects : fidélité aux traditions, "comme le montre
l'appel de cette femme pour faire revivre les coutumes des temps anciens afin qu'elles
servent à bâtir le monde de demain".
Pour bien comprendre le sens que le heiva revêt aujourd'hui et le contenu de son
évolution, il nous faut sélectionner quelques dates repères, faute de pouvoir reprendre
un par un les concours annuels. On a décidé de laisser parler les chiffres et de
sélectionner toutes les décennies depuis 1966, soit dix ans après une date-clé pour le '
heiva, celle où est intervenue Madeleine Moua, comme on l'a vu précédemment. 1966,
1976, 1986 et 1996 seront nos repères pour évoquer les transformations du heiva vues
à travers le choix des thèmes présentés.
L'année 1966 ne consacre pas une grande place au durai. Il faut dire que
c'est une année riche en événements pour la Polynésie. C'est en juillet 1966
qu'explose la première bombe atomique à Mururoa. Peut-être aussi que le peu .
de commentaires témoigne du manque d'intérêt pour un sujet qui n'est pas
encore devenu le débat identitaire qu'il est aujourd'hui. Mais la remise des prix '
de ce durai est très instructive. La liste des gagnants est ainsi très intéressante
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car elle nous renseigne sur la participation des groupes : dans la catégorie
meilleurs costumes anciens, voici la liste des lauréats :
1er prix : Pueu
2ème prix : Vairao
3ème prix : Anaa
4ème prix : Fatu-hiva; Teahupoo
6ème prix : Papara
7ème prix : fare maohi.
On voit bien que les noms des groupes correspondent très exactement aux
districts. D'ailleurs, à la différence d'aujourd'hui, leur nom de baptême se réduit
à celui du district (alors qu'aujourd'hui, un groupe de district aura un nom
spécifique comme les "tamarii Papara"). Seuls les groupes professionnels ont
des noms dénués de toute attache territoriale, comme l'indique le classement de
ces groupes en 1966 :
1er prix : Tahiti Nui
2ème prix : heiva
3ème prix : te maeva
4ème prix : liare tahiti
Par ailleurs, on relève la participation de groupes des îles : un groupe des îles
Marquises "fatu-hiva" du nom de lile des Marquises représentées; Anaa, atoll
des Tuamotus. Enfin, précisons la présence dans la catégorie hors-concours d'un.
groupe de Nouvelle-Zélande, "Aotearoa". Le grand vainqueur de cette année
1966 est Pueu.
Dix ans plus tard, c'est le groupe de Mahina, "tamarii Mahina" qui
remporte le grand prix avec pour thème de 'aparima l'observation de la planète
Vénus par Cook. On célèbre aussi au cours de ce tiurai la beauté de tahiti, ainsi
que l'arrivée de la pirogue Hokule.
Un groupe des Tuamotus exprime dans un fagu, chant triste typique de
ces îles, la tristesse de parents dont l'enfant n'est pas rentré à la maison. Un
groupe de Maoris de Nouvelle-Zélande est encore présent lors de ces fêtes, qui
choisit pour thème l'amitié.
là
projet Patrimoine95 DOM 33 Rapport n°2a : analv*.- .08/04/97
Si le heiva puise son origine historique à la source politique, il lui doit aussi sa .
revitalisation. En effet, le regain d'intérêt et d'expression des arts traditionnels et -.
particulièrement de la danse , est d'abord le fruit d'une volonté politique. L'impulsion
provient directement et unilatéralement des instances politiques. L'essentiel des
institutions créées l'ont été dans un laps de temps relativement court, pendant les -.
années quatre vingt. La culture est confiée à des organismes et établissements publics : -
ainsi la vocation de l'office territorial d'action culturelle (OTAC) est "le recensement et
la mise en valeur des patrimoines culturel et artistique", ainsi que "la recherche, '
création et diffusion tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du territoire". Le conservatoire
artistique territorial de la Polynésie française se doit quant-à lui. de procéder à la
"conservation par la reproduction écrite et mécanique du patrimoine musical •
polynésien". On assiste donc à une forte institutionnalisation de la culture, qui en
partie grâce au jeu des multiples subventions délivrées par ces institutions, quadrille
entièrement le champ culturel.
Pour quelles raisons le pouvoir politique a-t-il investi le champ culturel, et en
particulier le domaine des chants et danses traditionnels? Qu'est-ce qui sous-tend la.
politique culturelle?
C'est en fait vers la politique de la jeunesse qu'il faut se tourner pour saisir la -
politique culturelle entreprise depuis une quinzaine d'années parle territoire.
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a r analyse • 08/04,'97
2. 2. à destination de fa jeunesse.
Cet aspect de la danse traditionnelle est très présent dans les discours recueillis
à propos de la danse traditionnelle et de ses fonctions, et ce, chez tous les acteurs
sociaux, qu'ils soient politiciens, chefs de groupe ou danseurs. \
Il existe un groupe "Te marama", dont l'existence est directement liée à des --
motivations sociales, puisque le groupe est issu d'une association communautaire
d'action sociale de l'Eglise évangélique, qui a constitué ce groupe dans le but avoué
d'occuper des jeunes défavorisés. •.
Ce discours social émaille aussi les propos de la plupart des chefs de groupe,-
comme Coco Hotahota, pour qui "Il faut donner l'illusion aux jeunes qu'ils sont
quelque chose". Ou comme ce chef de groupe de la presqu'île qui explique son
engagement à la tête d'une troupe par cet argument : "C'est parce qu'il faut occuper nos -,
jeunes".
Pierrot Lucas développe toute l'importance que la danse traditionnelle revêt à
ses yeux pour une politique sociale de la jeunesse. Selon lui, la danse traditionnelle
fournit aux jeunes cas sociaux, en plus d'une occupation saine, un encadrement et une •„
discipline bénéfiques pour des jeunes qui manquent souvent d'un encadrement familial -.
solide et de repères stables. Il voit aussi dans la danse un moyen nable d'intégration
des jeunes, qui troquent leur étiquette de chômeurs ou de délinquants pour celle,
beaucoup plus valorisante de danseurs. .
D'autres chefs de groupe peuvent être contre cette conception sociale de la- .
danse traditionnelle qu'ils trouvent réductrices pour ce qu'ils considèrent avant tout
comme un art ou comme l'expression supérieure de la culture polynésienne. Manouche
Lehartel, directrice du Musée des îles et chef de la troupe "Toa Rêva" s'offusque- de la .
conception sociale de Coco et d'Iriti, chef du groupe "Heikura nui", pour ce qui doit -
d'abord être le fruit d'une passion.
Enfin, on trouve aussi des discours sur cette dimension sociale de la danse qut
fustigent son caractère vain. C'est le cas d'Irma Prince, spécialiste des chants .
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projet P:rtrrrmT¡ne95 DOM 33 Rapport rPla : mabfie .08/0+97
2.3. Un contre-pouvoir
Une autre dimension politique de la danse traditionnelle, de plus en- plus -.
grandissante, est son utilisation comme contre-pouvoir. Il existe en effet un heivet de
la contestation. Rappelons-nous les scissions qui ont eu lieu il y a quelques années,
quand des chefs de groupe rejetant ce qu'ils estimaient être un enchaînement au -,
pouvoir politique, ont décidé de faire bande à part et d'organiser leurs prestations place
Tarahoi quand le déroulement officiel des activités se passait lui place Vaiete-, à
quelques centaines de mètres. Ou encore, quand Emile Vernaudon, politicien local
alors dans l'opposition parlementaire, organise en 1986 ses propres fêtes de juillet, .
conséquence d'une querelle partisane avec le pouvoir territorial en place.-.
Plus récemment, c'est toute la question de l'indépendance politique du territoire
qui se greffe sur les discussions autour de la danse traditionnelle et du patrimoine^
culturel qu'elle représente. Elle devient un symbole dans la lutte qui s'engage entre les \
deux camps, et la légitimité culturelle procurée par la danse traditionnelle devient la -.
garante de la légitimité politique.
On trouve des traces ce ce positionnement politique quant-à la question du.
rattachement ou non à la France dans les textes des thèmes et des chants présentés
lors du concours.
Evoquons à cet égard, dans la catégorie des chants traditionnels, le himene
tarava raromatai du groupe "tamarii taura a manureva" qui tout en vantant à travers
son chant la beauté du district de Mataia, fredonne son attachement à la France :
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Ces traductions ont toutes été fournies au préalable aux services de l'OTAC conformément au
règlement du concours. Elles sont donc dse traductions effectuées par les membres du groupe
eux-mêmes.
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projet Patrimomg9? DOM 33 Rapport n°2,T : .-marytc 08/0*97
des découvreurs ou bien dans les lettres des missionnaires. Aucune description
ethnologique sérieuse concernant la culture chorégraphique polynésiennne n'a été
établie à L'époque de la rencontre.
Comme les danses ont rapidement été interdites par les missionnaires mais aussi
par les autorités coloniales, il n'est presque rien resté de ce capital culturel, d'autant
phis que les fonctions de la danse disparaissant avec le fonctionnement du système
social ancestral, il n'avait plus de raison d'être. Voilà pourquoi aujourd'hui la question
de la tradition et de la danse d'autrefois est si obscure et si confuse.
Avant de nous attarder sur cette question, résumons brièvement les impressions
rapportées par les observateurs extérieurs de l'époque face au spectacle de la danse
polynésienne. La principale caractéristique qui a tant choqué les Européens a trait à la
sensualité voire à l'indécence des gestes. La quasi totalité des témoignages, qu'ils%
émanent des découvreurs, des missionnaires ou des voyageurs du 19ème siècle ne
retiennent du spectacle que cet aspect.
Pourtant, il est certain que la culture chorégraphique tahitienne était beaucoup
plus complexe et diversifiée que ces descriptions réductrices. Les Tahitiens avaient
différents types de danse avec des noms spécifiques pour chacune d'entre elles et des
fonctions correspondantes bien spécifiques. .
Qoui qu'il en soit, ce qui nous intéresse ici, ce n'est pas le passé sui generis,
mais le passé tel qu'il est vécu et utilisé dans le présent, ici et maintenant. A cet égard^
on dispose d'une multitude de données, inversement proportionnelle à celles que nous,
a légué le passé en la matière. .
fois exprimé sur la richesse culturelle des Samoans, et par contraste sur la pauvreté ei\
la matière des Tahitiens, comme ce jour où il nous confiait : "Quelle leçon! On m'avait .
dit qu'ils étaient pauvres. C'est nous qui sommmes pauvres".6 Capital économique -.
contre capital culturel, la discussion rejoignait ensuite la politique et la question de
l'indépendance, que le chorégraphe considère comme la seule voie de salut pour la
culture locale. Pour un personnage comme Coco, le déplacement à Samoa a agi -.
comme une caisse de résonance, puisque les discours qu'il tenait avant ce voyage- -.
allaient dans ce sens, et parce qu'il possédait déjà une connaissance aiguë des autres
peuples du pacifique.
Pour la majorité des danseurs, pour qui ce déplacement dans un des pays du •.
Pacifique sud était le premier, ce fut le même constat : une révélation. A la
quasi-unanimité, les danseurs ont retenu le caractère particulièrement traditionnel du
fonctionnement social des Samoas Occidentales, dont l'identité polynésienne • les
rapprochait. En retour, ils ont senti la disparition ou l'affaiblissement de leurs propres -,
traditions et de leur passé/Deux: caractéristiques du fonctionnement social samoan ont -
singulièrement retenu toute leur attention : l'utilisation cérémonieHe du Arara, e ^
l'existence de la chefferie traditionnelle à travers le système des matai.
Le kava a suscité une réaction d'autant plus forte qu'il semblait être l'un des
points communs reliant Pensemble des peuples du Pacifique et qu'il appartenait aussi à -
la tradition tahitiennne ancestrale, ce qu'ignoraient la majorité des danseurs tahitiens.
présents à Samoa/ Le système traditionnel des chefs matai quant-à-lui, forçait le
respect des jeunes danseurs, pour qui il évoquait en grandeur nature les reconstitutions
historiques tahitiennes annuelles au cours desquelles on met en scène les familles -•
royales d'antan. il faut rappeler qu'à Talriti, tout le système social ancestral s'est.
6
Les Samoas Occidentales sont classées parmi le IVè groupe aux Nations-Unies (les pays les plus
pauvres) et ont droit ainsi à des prêts à taux bonifiés. Par comparaison, le territoire de la Polynésie
Française, du moins juqu'à présent c'est-à-dire avec la manne économique que représentait la
présence française pour les essais nucléaires, est riche, en termes de flux monétaires globaux (la
question de la répartition de cette richesse est évidemment une autre question).
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prrét Patrimoine95 DOM M Rapport n"2a r r n l ™ 08/04/97
effondré et que là-bas, contrairement à la majorité des peuples du Pacifique, "on ne fait •-
phis la coutume", pour reprendre l'expression calédonienne.
C'est peut-être pour cette raison que la délégation tahitienne a offert à
l'ouverture, mais surtout à la fermeture du festival des arts une cérémonie qui se voulait •.
particulièrement "traditionnelle". Alors que chaque délégation passait une minute -
devant la tribune officielle une dernière fois pour rendre hommage au pays hôte des
festivités, la Polynésie française, au moment de ce passage, a procédé à toute une^
cérémonie, avec la remise d'un costume de grand chef Marquisien (qui est en fait un -.
costume de grand chef fabriqué à l'occasion d'un heiva), suivi d'un long orero .
(discours) par le "grand-prêtre"de l'équipe. Ce spectacle improvisé a été le fait des
responsables sur place de la délégation. S'ils ont ressenti la nécessité de livrer ce^
spectacle pour des raisons identitaires évidentes, il est intéressant de voir quelle -.
répercussion cette cérémonie a eu sur les danseurs. Ont-ils suivi les organisateurs dans -.
cette présentation de la tradition tahitienne? On peut dire que les réactions ont été très
mitigées. Pour la majorité d'entre eux, cette cérémonie a plutôt entraîné l'ennui, voire la
gêne. "On a voulu voler la vedette aux autres comme d'habitude" nous a confié un- *.
jeune danseur. "C'était Hollywood" s'est exclamé un autre. Certains ont cependant été -.
réceptifs, comme ce danseur vedette qui regrette que les autres ne se soient pas donnés
le mal d'en faire autant, et de conclure que comme à l'habitude, les Tahitiens.
surpassent les autres.
aujourd'hui encore aux Samoas, du moins dans les villages, même si, pour la -
jeune génération, un changement comparable à celui évoqué pour Tahiti est en-
cours.
"Cette quête de la tradition n'est pas une attitude passéiste si l'on accepte- un
tant soit peu l'idée que ce qui est nouveau aujourd'hui peut être la tradition de demain",
affirme le poète et dramaturge John Mairai, attestant de la relativité du concept de
tradition. Tout comme Pierrot Lucas qui nous déclare que "le présent d'aujourd'hui est
le passé, et donc la tradition de demain", et que si les hivinau sont ronds, c'est que
des artistes ont pris la liberté à un moment donné de les faire ronds. De même et plus .
récemment nous indique-t-il, Madeleine Moua qui a remis la danse à l'honneur l'a fait
en artiste libre, d'autant plus qu'elle est partie d'une base à peine existante tant la danse
avait été réduite à peu de gestes suite aux censures missionnaires. Faut-il alors imposer
comme inébranlable et immémorial son travail ? A sa façon aussi Louise Kimetete, -.
responsable de l'enseignement de la danse au conservatoire, "gardienne des
traditions , nous donne sa vision du passé et de la tradition : "On ne peut pas
demander aux jeunes de retourner à la broussel" s'exclame-t-elle quand on l'interroge
sur la tradition et la nécessité de sa sauvegarde.
Voilà en ce qui concerne la question de l'évolution et de la création dans la
danse traditionnelle. Quant-à la tradition elle-même, cette ex-danseuse, est consciente
de la relativité de sa connaissance, et partant de ce qu'on met derrière ce terme de
tradition. Elle avoue que bien qu'elle soit la référence en matière de danse
traditionnelle, puisqu'elle est l'une des plus anciennes danseuses, elle danse ce qu'elle a
vu à son époque, et refuse de se prononcer sur la danse des ancêtres, puisque, comme N
elle s'exclame avec son franc parler, "Je n'étais pas là il y a cent ans!"
Les personnes qui évoquent la relativité du concept de tradition sont aussi ceux
qui, par contrecoup, promeuvent la création dans l'élaboration des spectacles dits
7
d'après les termes de l'émission télévisée locale "Générations"qui a été consacrée au heiva en février
1996.
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projet Patrimoine 95 DOM !» Rapport n°2a : analyse ,08/04/97
traditionnels. Quel est la part de la création, et quelle est sa signification dans le débat
autour de la tradition?
Reprenons l'exemple de la chorégraphie que Coco a présenté au heiva 96. Si la
transformation de la chorégraphie comme du personnage sont très intéressantes, la
réaction suscitée par le spectacle présenté l'est tout autant. Ce spectacle de Coco n'a
pas remporté le succès escompté. En tête des critiques, son manque d'originalité. Le
mot est lâché. On veut de la tradition, mais on veut aussi de la nouveauté, sans quoi le
spectacle est jugé fade et sans intérêt.
Le coeur du dilemme des chorégraphes est là : la danse en tant qu'art et
esthétique exige recherche et création. En tant que patrimoine culturel, elle réclame -.
fidélité et sobriété.
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projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport rPï* • m i l y v OS/O-J/97
à porter montres et bijoux modernes pendant leurs prestations. Cela témoigne bien de
l'acuité de la quête de tradition qu'on trouve à Tahiti et du problème très particulier qui
est enjeu. Les Tahitiens savent que leurs codes actuels sont en partie une redécouverte
(donc, même si on ne l'admet pas toujours, une reconstruction, avec tout ce qu'elle
comporte d'hypotheses),à partir de récits et d'images dans les livres des voyageurs des
siècles passés. Mais cette néo-tradition est devenue d'autant plus rigoureuse sur le^.
rejet de tout ce qui serait moderne-occidental, alors que des cultures qui n'ont pas
connu la même rupture -et Wallis en est un exemple- ont des codes qui, comme tous
les codes réellement traditionnels, sont toujours ouvert à la modification et moins
soucieux de se conformer à un idéal-type. On peut comparer avec ce qui se passe-au
niveau de la langue. Aujourd'hui, à Tahiti, on entend divers débats sur les corrections
qu'il faudrait apporter à la langue parlée, car certains mots seraient pris à
"contre-sens" (par rapport au sens déclaré authentique par ceux qui, comme
l'Académie tahitienne, se sont donnés pour tâche de veiller à / et de restaurer,
l'authenticité. La encore, ce phénomène commence à peine chez d'autres, comme à
Samoa, où le clan des puristes qui insistent sur la création d'études visant à acquérir -
ces- connaissances sont minoritaires devant ceux qui poussent au contraire à une^
adaption aux contextes modernes et même à une utilisation plus grande de l'anglais
(qui pour le moment est limité aux contacts avec l'extérieur). Revenons à la danse et
aux. groupes de la Polynésie Française.
D'un autre côté, les groupes rivalisent d'originalité dans la fabrication de leurs
costumes. Autant le choix des matériaux est strict, autant la fabrication des costumes
témoigne d'une liberté de création. Ainsi le groupe vainqueur "Heikura Nui" avait fait
imprimer sur SQS coiffes, à grands frais et au moyen d'appareils informatiques parmi les
plus sophistiqués, une pirogue avec l'inscription "heikura nui 96". Le groupe "ahoturu
nui" avait choisi de fabriquer d'immenses coiffes en tissu, donnant l'impression d'ailes
de moulin. Mais la menace du caractère non-traditionnel survole telle une épée de
Damoclès le spectacle et les costumes des danseurs, et peut le cas échéant agir
comme un couperet. Ainsi, le spectacle de Manouche Lehartel de l'an dernier avait été
2â.
pr^et Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2,t : analyst- 08/04/97
dans cette compétition et gagner est une reconnaissance sociale de premier ppla,
reconnue par toute lacommunauté, par le plan politique et économique, et le résultat
peut véritablement changer la vie du candidat. Cette néo-tradition étant devenue une
"tradition", elle ouvre un champ de compétition-innovation. Le "heiva" est un
concours, un vrai concours. On y croit, on veut gagner et il faut donc trouver des
moyens de se différencier du voisin. L'affaire devient donc encore plus "politique", .
car le jury peut manier à sa guise l'argument du non-respect des règles codifiées (une •
couleur bleu, des masques dont on ne peut prouver avec une gravure du XVille qu'ils^
ont existé) et l'argument d'une non-inventivité. Le cas de Coco est exemplaire, lui qui
est à la fois (ou qui fut) le plus provocateur dans l'invention chorégraphique et lui qui •.
tienta illustrer mieux qu'un autre sa vénération de l'authenticité.
"i
21,
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse 08/04'97
prudente est à encourager dans ce sens pour enrichir notre patrimoine. Un repli trop ••
strict et trop bien réglementé nuit à la beauté de la danse et des chants". L'insistanc^
est ici placée sur un objectif de connaissance.
Dans les discours pourtant, la tendance générale de la part des chefs de groupe .
et des responsables culturels est au refus de l'emprunt culturel. Pour Tavana Salmon, -.
responsable de la reconstitution historique annueHe qui se joue chaque année,
prestation à mi-chemin entre le théâtre et la danse, "La danse ne doit pas évoluer en
adaptant des gestes du folklore hawaïen, ou des Samoa. Nous avons suffisamment
d'éléments transmis par les anciens pour, à l'opposé, promouvoir la richesse de notre -
culture". Les propos peuvent surprendre de la part d'un personnage qui a vécu
l'essentiel de sa carrière à Hawai et qui en a rapporté le concept du spectacle de la^
reconstitution historique telle qu'on la voit aujourd'hui à Tahiti.
Si les chefs de groupe refusent l'emprunt culturel à l'extérieur des frontières de la .
Polynésie française, ils recourrent allègrement à son utilisation dans leurs attaques
vis-à-vis des autres groupes; Parmi les plus exposées à ces attaques, citons Louise
Kimetete, dont le long séjour aux îles Hawaii lui valent bien des remarques de la part -.
de ses détracteurs. Le style "hula" qu'elle imprimerait aux pas de danses enseignés au -.
conservatoire lui est souvent reproché. L'empreinte marquisienne qu'elle leur donnerait,
ou encore dernièrement l'air de "samba" qui flotterait dans les spectacles qu'elle monte,
accusation exprimée lors d'une réunion du comité pour le heiva 1997, sont autant de -
critiques fort blessantes pour elle, signe que l'emprunt culturel, même intérieur au •
triangle polynésien, est vilipendé.
Certains, très rares, osent cependant avouer l'influence extérieure qu'ils ont subi^
et l'enrichissement qu'elle leur apporte dans l'élaboration de leur spectacles .
traditionnels. C'est le cas de Coco Ellacott, chef d'un groupe de Borabora, qui avoue
avoir été très influencé par "la chorégraphe iranienne qui est venue pour adapter les
pas de danse locaux à la musique fijienne du film Hurricane", lequel a été tourné à
Bora-Bora.
'¡
21
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport rr*2a : analyse 08/04/97 •
Si l'on regarde maintenant de plus près la réalité, on constate que derrière les.
discours, l'emprunt culturel est effectif et même valorisé, en ce qu'il participe au travail,
de création dont on a montré qu'il n'était pas incompatible avec le concept de tradition. .
Le dernier festival des arts aux Samoas nous a permis de voir ce processus d'emprunt
culturel, et sa signification artistique et identitaire pour les représentants de la^
Polynésie Française. Ceux qui ont été les plus attentifs sont sans conteste les,
musiciens, à l'affût de nouvelles sonorités et de nouveaux instruments pour enrichir
leur musique traditionnelle. L'âme de l'artiste l'emporte. Nos musiciens ont en •
particulier été très séduits par les instruments de la délégation des îles Salomons, et i^
est fort à parier que la flûte de pan salomone fera son apparition dans les prochains.
heiva, au moins dans la catégorie "création musicale", tout comme on a pu entendre le .
son d'une trompe papoue cette année par le groupe "Heikura nui", instrument -
découvert au festival des arts de 1985 qui s'est tenu- à Tahiti. On constate pourtant que^
les pays inspirateurs n'appartiennent même pas au triangle polynésien.
En fait, la question de l'emprunt culturel est très ambiguë. D'un côté, les groupes
s'accusent mutuellement de "copier" leurs voisins du Pacifique, mettant en péril le ••
patrimoine culturel de la Polynésie Française. De l'autre, ils recourrent volontiers à cet
emprunt et le valorisent dans leur discours comme une source d'enrichissement
artistique. En fait, il nous semble qu'ici, l'axe temporel rejoint et se fond dans l'axe .
spatial. Quand ils critiquent les autres, c'est au niveau culturel et traditionnel que les -.
chefs de groupe se placent : c'est le rapport au passé et à sa préservation auquel ils
pensent.
Quand ils utilisent le patrimoine artistique des autres, c'est au niveau de l'art et de la
création qu'ils se situent. On retrouve tout le débat entre tradition et création,passé et -.
présent.
à ¡'échelle locale.
Si on change d'échelle, en réduisant cette fois l'aire géographique considérée, on •
peut distinguer plusieurs sous-ensembles culturels dans le bloc qui constitue la
22..
projrt Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a • anaty^ .08/04/97
i
2à.
profdt Pntrimt>me»5 DOM 33 Rapport n°2a r analyse 08/0-M7
i
35.
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse 08/04/97
Nombreux sont les danseurs des- groupes de la ville qui sont des ressortissants des
Tuamotus. Au niveau artistique, on assiste donc à une dissolution de la spécificité ;
paumotu. S'accompagne-t-elle dans le même temps d'une dissolution identitaire pour -
ces danseurs?
!
35 ,
Pfokt Patrimoine95 PONÍ 33 R a p p o r t ^ » : »n»ly«f 09/04W
Nombreux- sont les danseurs des groupes de la ville qui sont des ressortissants des •
Tuamotus, Au-niveau- artistique, on assiste donc à une dissolution de la spécificité
paumotu. S'accompagne-t-elle dans le même temps d'une dissolution identitaire pour
ces danseurs?
!
36
projdt Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2* : anatv»e 09/0*97
danse et jeunesse :
Qui dansait dans la Polynésie d'autrefois?
Toutes les catégories sociales étaient impliquées dans cette activité si l'on en -.
croit Te père O'reilly qui , à l'issue dé sa recherche écrit : "L'otect est alors une danse
d'hommes. L'upa-upa suppose un couple. La hura est dansée seulement par les
femmes d'un haut rang. "La ponnara ou uparaaest une danse de nuit exécutée par-
des femmes de tout âge et de toutes conditions. La mamaha demande des hommes et
des femmes qui jouaient nus. La timorodee est l'apanage des filles non mariées. •
On trouve également dans bien des études l'évocation d'une catégorie de
professionnels de la danse' et du spectacle» les Artois, sorte de troubadours. Selon
Anne Lavondès, pour qui la danse était l'apanage des jeunes , la fonction essentielle
de cette activité était d'assurer l'éducation sexuelle de ces jeunes. La sexualité des .
danses traditionnelles correspondait aussi à la liberté sexuelle caractéristique de l'étape
de la jeunesse.
En bref, il semble bien qu'il ait existé une catégorie de danses autrefois
correspondant à un état et à un statut," celui de hi jeunesse. Il semble qu'aujourd'hui
cette catégorie représente à elle seule toute la danse traditionnelle, puisque , comme •
8
0'Reilly Patrick, La danse à Tahiti, Paris : nouvelles ed. latines, 1972, p.7.
9
cf encyclopédie de la Polynésie.
21 .
projet Patrimoine95 DOM » Rapport n°2a : analyse 09<04/97
Aujourd'hui, dans les discours de presque tous les chefs de groupe, c'est -,
l'expression "nos jeunes" qui est l'expression consacrée. Mais la jeunesse n'est pas •
sociologiquement un bloc homogène. Qui sont les jeunes qu'on trouve dans les groupes -
de danse?
il faut distinguer entre les groupes" des districts, et les groupes de la ville. En ce %
qui concerne ces derniers, nous avons repéré deux grandes catégories sociologiques. •
Concernant la "première, souvenons-nous que la danse traditionnelle a été traitée par -
les autorités comme une activité sociale à destination de hi jeunesse désoeuvrée. Nous ,
avons effectivement rencontré de nombreux jeunes de la ville dont la trajectoire est
conforme à ce schéma : sans emploi ni qualification, ils sont intégrés dans un groupe
de danse par un "collègue" ou bien, par un chef de groupe, et leur principale occupation
devient la danse à laquelle ils consacrent beaucoup de leur temps, et qui finit souvent
par devenir pour eux une seconde famille. Certains d'entre eux en font même leur
unique source de revenus en allant faire les shows d'hôtel. D'autres encore partent pour
une tournée internationale de plusieurs mois : à l'époque de l'enquête, plusieurs de ces •
contrats étaient effectifs , dont une tournée de six mois en Espagne," une tournée au N
Danemark.
H nous faut maintenant évoquer une deuxième catégorie de jeunes impliqués dans -
l'activité de la danse traditionnelle : leur trajectoire jusque dans l'univers de la danse •
traditionnelle est très éloigné des précédents. Les jeunes dont nous parlons sont des N
jeunes diplômés, qui sont souvent partis en métropole pour faire leurs études. D'origine
"demie "pour la plupart, la question identitaire se pose fortement à eux quand ils -
réalisent leur différence. Bien souvent et paradoxalement c'est dans le foyer tahirien de •
leur ville universitaire qu'ils font leurs premiers pas dans la danse tahitierme
traditionnelle. C'est le cas de la majorité des anciens étudiants que nous avons
I
38 .
projet Patrimoine 95 DOM 3> Rapport n°2a : analyse 0904/97
rencontrés lors de notre étude. C'est aussi le cas de chefs de groupe commme Pierrot
Lucas ou encore Manouche Lehartel qui ont appris la danse traditionnelle à Bordeaux.
On trouve aussi dans les groupes de la ville des danseurs qui ne rentrent pas dans ces
deux catégories, qui sont employés. On constate aussi que pour la plupart de ceux-ci,
la qualification de "jeunes" n'est pas vraiment pertinente.
Concernant maintenant les groupes de districts, en l'absence d'une hiérarchie
sociale et de ses conflits inhérents,, on constate une homogénéité dans la composition
des groupes. Il y a deux catégories de danseurs, qui sont répartis comme suit : les
"écoliers" ou "étudiants"- c'est-à-dire les individus scolarisés en primaire, secondaire
ou dans des formations techniques- et les "adultes" . Quand ils parlent des danseuses,
les chefs des districts distinguent entre "nos étudiantes" et "nos mamans", appellation
qui renvoie au rôle traditionnel de la mère au foyer encore répandu dans les districts.
Les listes des danseurs impliqués dans l'activité de la danse traditionnelle aux concours
de Vaiete nous montre qu'on n'est pas en face d'un groupe homogène en terme d'âge, et
que certains danseurs ont plus de trente ans. Il faut aussi signaler l'existence d'un \
célèbre groupe, les "marna rucar^" qui fit fureur aux tiurai du début des années
quatre-vingt . Plus récemment, dans leur spectacle 1"'Alliance", présenté dans la
catégorie hors concours du heiva 1996, le groupe de Marguerite Lai consacre un
tableau aux "marnas", qui interprètent une danse de type 'aparima, laquelle est très
applaudie parle public. Mais cos deux exemples sont justement montrés comme des •
exceptions qui confirment la règle : la danse reste une activité de jeunes. Reste une *,
autre exception à signaler, celle-là constitutive du fonctionnement du groupe : c'est la
personnne du ra'atira ou chef qui est souvent le chorégraphe de la troupe, qui circule •
entre les rangs des danseurs pour surveiller le bon déroulement du spectacle,
ramassant le cas échéant les coiffes tombées sur le sol et qui contribue à l'animation du *
spectacle.
10
Le terme "marna" est une dérivation du terme français de maman. La "marna ruau" (littéralement
mère vieille) est la grand-mère. •
i
22r .
proírf Patrimoine95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse- 09'04/97
i
!
4fK
projet Patrimoin&95 DOM 3> Rapport nJ2a : arralyw 09/04/97
le caractère vulgaire, lié à l'idée que ces danses expriment une sexualité débridée (sans
que l'on puisse discerner aujourd'hui ce qui, dans cette dernière association, ressort du
cliché imposé par le jugement missionnaire et ce qui serait un lien culturel datant •
d'avant les missionnaires).
Dans les deux cas, les raisons de la non-participation des individus concernés \
ont trait à la connotation sexuelle de l'activité. C'est que la danse vue comme •
traditionnelle est associée à des valeurs, à un état,, celui de la jeunesse, dans lequel la
sexualité occupe une grande place. La place de la beauté, la séduction dont se
prévalent danseurs et danseuses, font de la danse traditionnelle une activité qui ne se
réduit pas à la seule dimension artistique. "Quand je danse et que je sais que des
femmes me regardent, je suis fier". C'est tout le mythe de la nouvelle Cythère que met
en scène la danse qu'on dit traditionnelle. Les témoignages des danseurs vont tous
dans le même sens : il faut être célibataire pour s'adonner à cette activité, ou bien avoir
son partenaire dans la troupe. En tous cas, l'association entre danse traditionnelle,
jeunesse et butinage sexuel est très forte.
41^
projet Patrimoine 95 DOM W Rapport n°2a : analyse 09/04/97
Nous allons maintenant aborder de façon plus générale la thématique de la sexualité •••
qui occupe une grande place dans la danse traditionnelle.
Erotisme, sensualité, vulgarité sont des mots récurrents dans les discours qui ont ,
trait à la danse traditionnelle.
Inutile de revenir trop en détail sur les maintes descriptions des observateurs '.
extérieurs, explorateurs, puis plus tard voyageurs curieux, qui font de Tahiti une ,
nouvelle Cythère, et qui soulignent le caractère sexuel des danses d'antan. Ou encore
sur les témoignages des" missionnaires qui en font une nouvelle Sodome, en fustigeant
les prestations artistiques offertes à leurs yeux effarés.
De l'avis de tous les danseurs comme de celui des chefs de groupe, la danse ^
polynésienne traditionnelle est une danse sensuelle, comme Pierrot Lucas qui
rapproche cette sensualité de la danse brésilienne.
Vu de l'extérieur aussi, la sensualité de la danse tahitienne est bien ancrée. On a •
pu constater à Samoa combien la popularité de la danse tahitiennne reposait sur la
sensualité des mouvements de hanches féminins, ainsi que sur les fantasmatiques
"coconut shells", les soutiens gorge en noix de coco portés par les danseuses. A cet
égard, rapportons ici une anecdote, qui, pour amusante qu'elle soit, n'en est pas moins "
significative. Plusieurs individus de la communauté fïjierme, mais également samoane-, N
ont lancé des plaisanteries en direction des danseuses tahitiennes, leur demandant de
42>
projet Patrim»ine95 DOM 33 Rapport rr°2a : tma\w p9'04/97
du sentiment amoureux.
Revenons au dernier heiva. Le sentiment amoureux inspire une grande partie •
des thèmes choisis. Cette annéey cinq, groupes basent leur prestation autour de ce
thème, soit en utilisant la voie légendaire, soit en recourrant à ce sentiment sous une *•
forme abstraite. Concernant les légendes, il est vrai que le répertoire est riche de ces
situations "araoureuses"que sont les mariages - qui sont plus le résultat des stratégies.
matrimoniales entre chefieries que de L'amour au sens occidental du terme. N'empêche
que leur traduction artistique contemporaine en fait des tableaux très romantiques.
Ainsi, le thème du mariage entre Emehe et Tuterai, avec le dessein de faire cesser les
querelles entre les deux clans auxquels appartiennent nos deux-héros, est traité sur le
mode du sentiment amoureux. La traduction du troisième -aparima se conclut sur ces
mots :
"Maintenant nous sommes unis par l'amour .
Tu es à moi et je suis à toi.
pour la vie".
Et les deux héros de s'enlacer tendrement sur la scène et de se frotter nez contre '
nez...
Du côté du traitement abstrait du sentiment amoureux, citons le groupe Ahutoru N
Nui, qui célébrant la fidélité sous toutes ses formes, consacre un tableau au sentiment
amoureux et à la fidélité dans l'amour, dont voici la traduction d'un extrait :
maison locale
protêt Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : anahie 09/04/97
12
holoturie, animal marin qu'on appelle aussi boudin à cause de sa forme.
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2 a : an»lv*«- O^CHW
qui est une des épreuves du concours des chants traditionnels . Ce n'est pas un hasard
sites"thèmes de ce ute sont en majorité des thèmes à connotation sexuelle. Ainsi, te-
groupe Hei Tiare relate l'histoire de l'araignée de la chance interprétée- par une femme-, x
et qui s'adresse à un musicien, qui, dans le rôle du client de ce jeu qui consistée gratter •
un carton pour savoir si le ticket est .gagnant, est invité à gratter la dame! Et legeste de- -
se joindre à la parole; Voici le texte traduit du dialogue chanté : \
-Araignée de la_chance...Nous voulons des millions!
- ah bon! Vous voulez des millions!
Oui!
-O.K.Alors! (en français lors-de l'interprétation) •
Inutile de dire que ce ute déclenche l'hilarité générale. Précisons que l'interprète -\
du chant n'est pas une jeune fille, ce qui renforce encore le comique de la situation, la ,
i
protêt Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse- 09'OW7
rendant plus acceptable car moins réaliste. C'est le même procédé qui est utilisé par un N
groupe de Moorea, dont la jeune fille courtisée crûment est un homme barbu déguisé
caricaturalement avec une perruque blonde et une jupette rose bonbon. Ici encore; on- -
est dans le registre comique et il ne vient à personne l'idée d'être choqué. *.
A côté de ces propos grivois, on peut s'étonner de cette attitude inverse qu'estrle
puritanisme, et qui conduit à taxer de "vulgaire" des pas de danse, parfois des •
chorégraphies, que notre oeil occidental a du mal à voir de la sorte, surtout après avoir •
assisté au spectacle crû des ute arearca.
Sexualité et vulgarité.
On trouve trace de cette tendance puritaine-chez.le vieil homme qui rapporte à- •
Coco Hotahota, selon les dires de ce dernier des chants anciens, en enlevant les •
allusions sexuelles. Lequel Coco, avec son franc parler bien connu s'exclame : "Noir! ,
Un sexe, c'est un sexe. L'homme a un sexe, la femme a un sexe. C'est Dieu qui a ^
voulu cela. " On retrouve l'empreinte religieuse, réappropriée ici au bénéfice de ce
qu'elle attaque.
Dans le règlement du heiva de Bora bora,- on trouve trace de cette peur de la s
vulgarité : "La tenue devra être décente". Dans h bouche d'un des chefs les plus
renommées de l'île, Coco EHacott, on ne compte pas les occurences du terme •
"vulgaire'1 quand il évoque la prestation d'autres groupes ou quand il parle, plus •
généralement, de la danse traditionnelle telle qu'on la voit aujourd'hui.
Louise Kimetete refuse l'accusation de vulgarité qu'on a prêté à la prestation--
dîme de ses élèves à cause d'un des mouvements qu'elle a effectué lors du concours •
individuel, le tutu'e. Et de fustiger d'autres pas comme le faaamiami, qu'elle définit •
comme un "mouvement du sexe d'avant en arrière", ajoutant pour commentaire : "Ca
c'est peut-être pas vulgaire ?".
La Polynésie Françasie reste un pays très marqué par l'influence
missionnaire, et c'est sans aucun doute la source de cette attitude. L'histoire de la danse- •
traditionnelle au cours du temps nous montre assez combien le-puritanisme hii a-
I
47 »
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse 09/04/97
imprimé ses marques, quand la danse traditionnelle a été purement interdite ou quand
elle est réapparue, timide et bien couverte. Nombreuses sont les femmes tahitiennes, v
jeunes filles "de bonne famille" dans les années cinquante qui racontent qu'il leur était
formellement interdit de se Livrer à cette. pratique. On est surpris quand on voit •
l'engouement provoqué aujourd'hui par la danse traditionnelle, les fillettes y étant bien
souvent poussées par leurs mères.
Paradoxalement, ce sont les églises qui ont soutenu le plus la danse *
traditionnelle et l'ont remise en valeur. Bien des ex-danseuses ont appris les gestes de- •
la danse traditionnelle dans leurs églises, notamment l'Eglise mormone, qui a vu là un
moyen de promotion et d'expression culturelle.
Aujourd'hui, les fêtes paroissiales ne manquent pas d'offrir un spectacle de •.
danse traditionnelle. Ainsi, en juillet dernier, la petite commune de Huahine avait
organisé un mini-heiva. On y présentait trois groupes de jeunes de la paroisse- qui
exécutaient un ote'a et un 'aparima. Les thèmes présentés étaient respectivement tes v
suivants : un épisode biblique, une légende de Bora-Bora et la miséricorde de Dieu. -
En mars 1997, le territoire va fêter le bicentenaire de l'arrivée-de l'évangile, et à •
cette occasion, l'Eglise évangélique, mais aussi la mission catholique, prévoient d'offrir „
les plus grands spectacles de danse traditionnelle jamais exécutés.
Plutôt que de rejeter d'un bloc la danse traditionnelle comme autrefois, il semble- ••
que la plupart des églises aient préféré la canaliser. Certaines églises considèrent •
néanmoins que le caractère trop sexuel de la danse traditionnelle (mais aussi de la x
danse en général) est nocif pour leurs ouailles et leur interdisent sa pratique. C'est par
exemple le cas de l'église "sanito" (Eglise réorganisée des saints des derniers jours). •
mémorisés par Teuru lorsqu'elle s'est rendue là-bas pour retrouver l'esprit de son maïf •
décédé. En plus de cette origine légendaire, le caractère sacré de cette danse a été \
renforcé par un épisode survenu il y a quelques dizaines d'années quand un groupe-
s'est déplacé sur Papeete pour se présenter au heiva. Au cours du voyage, puis le
premier soir de la prestation, ce sont les deux chefs principaux du groupe -qui sont •
mystérieusement décédés. Suite à cela, la danse a été déclarée dangereuse et a cessé
d'être exécutée. La raison évoquée pour rendre compte de cette double tragédie était v
les fautes dans la transmission des pas et des gestes de cette danse héritée des temps
immémoriaux. C'est la première fois que cette danse a été exécutée à nouveau. La peur -
s'est atténuée, mais certains individus voient encore planer la menace et prédisent des •
malheurs à venir pour ceux qui instruisent ses pas et pour ceux qui les exécutent. v
Signalons en passant que cette danse s'exécute à l'aide de masques qui figurent x
le bec de l'oiseau mimé, ce qui jette un doute sur le caractère prétendu non polynésien
de cet accessoire dont nous avons parlé plus haut. •
Au niveau technique, précisons qu'au lieu du paoti tahitien, le danseur effectue- t
des battements verticaux de ses jambes, et que les danseuses se livrent à urr
ï
42^
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport rt°2a : analyse 09'04/97
balancement des hanches de gauche à droite, et non au célèbre roulé ( ) qu'on trouve à N
Tahiti. Concernant les instalments, on retrouve comme à Tahiti, le toere , •-
accompagné du "traditionnel" "pitnu biscuits" .
La danse du bénitier, les gestes qui l'accompagnent, mais surtout les rires entendus qui x
ponctuent son exécution, démontrent toute l'ambiguité du terme. Le kokona est associé-
ail sexe féminm.
- le rapport à la jeunesse. Ici aussi la danse est exécutée exclusivement par les- x
jeunes. Et il semble que cela remonte à des temps immémoriaux, puisque c'est à \
Tatakoto que Stimson a relevé le terme de Karioi qui renvoie, d'après la définition qu'il
a obtenu de la bouche des Anciens du ^village au début du siècle, à un groupe de jeunes -
célibataires qui s'adonnent à la pratique de la danse et du chant.
l3
= cylindre de bois évidé qui est l'élément essentiel de l'orchestre tahitien.
14
C'est un instmment de musique obtenu à partir d'une grosse boîte de biscuits métallique
néo-zélandaise "Arnotts" sur laquelle on tape, produisant urr sorr aigu.
5Û
projet Patrimoine 95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse- 09/04/97
En résumé, on retrouve à Tatakoto les mêmes débats qu'à Tahiti. Comme si les >
ternies de la question de la transmission et de la préservation du patrimoine culturel ne •
devaient rien à la situation contemporaine confuse que connaît la capitale de la •
Polynésie française. Il est fort à parier que les ancêtres du Tahiti • d'autrefois se •
querellaient déjà de la sorte et dans les mêmes termes pour cette question àxx -.
patrimoine culturel et de sa légitimité. C'est en tous cas ce que laisse supposer la •
présence des longues généalogies que les spécialistes en la matière, les haere po •
i
51
projet Patrimome-95 DOM 33 Rapport n°2a : analyse 09/04/97
// convient de dire quelques mots sur la façon dont nous avons procédé à nos
entretiens, et sur la manière dont nous allons les exposer ici. La plupart des .
entretiens, non directifs, sont longs. Ils sont aussi très nombreux. Nous avons ici -
extrait les thèmes que nous avons traité dans notre travail. Chaque entretien est
précédé d'un petit commentaire sur l'interlocuteur concerné.
Quant-aux échanges avec les danseurs, ce sont plus des conversations •.
informelles qu'on a entretenu avec eux, des réflexions prises sur le vif ••
consignées et rapportées dans notre étude, notamment au cours du festival des
arts où nous vivions* les événements ensemble. Les entretiens formels gênent les .,
jeunes qui ont peur de « mal dire ». Aussi une part importante des entretiens ici
rapportés concerne des chefs de groupe, même si dans la réalité, ce sont •
d'abord les jeunes qui ont instruit notre étude.
p.2 08/04/97-rapport Patrimoine 95 DOM 33 ; rapport 2b : extrartsd'intcrviews-" >
i
Sur la sexualité :
Ce qui est con dans ce milieu, c'est qu'on parle de sexe. H ne faut pas
mélanger sexe et danse. C'était pire avant. On est naturels, comme avant. Mais \
c'est vrai qu'un aparîma donne des-frissons dans tout le corps.
(...) Les rae-rae, ça me dérange beaucoup. A Samoa, j'avais honte qu'un rae-rae \
représente le groupe. Si je fais un groupe, je ne veux pas de rae-rae dedans, je
veux des hommes « hommes » et des femmes « femmes ». ,
on s'est disputés, car( je n'ai pas voulu créer l'association qu'il voulait monter
avec moi pour fabriquer des costumes. Chez Iriti, chacun fait son costume. Chez
Coco, le costume ets déjà fait, mais c'est lui qui le garde après le spectacle. Chez -
Iriti, c'est plus physique. Les gestes sont mieux chez Coco. C'est dur de travailler
avec Coco, parce qu'il change tout le temps. Iriti désigne des petits chefs qui-
enseignent aux danseurs.
pendant mes vacances à-Tahiti, j'ai vu pour la première fois un heiva} Avant, ça .
ne m'intéressait pas. En 1980, ma soeur qui dansait chez Coco, m'a-fait venir. .
J'ai répété pendant trois jours et je me suis retrouvé devant à Vaiete! C'était la-N
panique. A l'époque, on se battait pour le groupe. Pas comme aujourd'hui où on .
change souvent de groupe. .
i
p. 7 08/04/97 -rapport Patrimoine^ DOM 33 ; rapport2b : extraits d'interviews
de sexe, d'orgie. C'est péjoratif. Maintenant ça commence à être mieux. Mais pas
pour tout le monde.
Maintenant, je n'ai plus de travail. Je viens de finir mon service. J'ai ma copine
qui subvient à mes besoins. On s'est connus grâce à la danse. EHe est enceinte-, s
S'il y avait pas moi, elle arrêterait la danse. C'est pour me surveiller; avoir un oeil-
sur moi. Et elte a raisetn!
(...) Quand tu danses, tout le monde te regarde. C'est comme les rock star en
France. Ils t'admirent. Quand je danse et que-je sais que des femmes me-,
regardent, j e suis fier. Séduire c'est important. Celui <pti <Ht le contraire, il ment. •.
« Si onrt'est plus" beau, il faut plus danser. Si tu as trente-cinq ans et que-tu -
en fais trente, eh ben tant mieux.
Je veux rester chez Coco. Quand.tu es chez Coco, tu atteins un certain niveau. Tu
peux danser dans tous les groupes. Coco, c'-est le prestige. La troupe, elle a trente- .
cinq ans; Toujours à la tête. Je suis allé au Japon avec Manouche.-C'est Coco qui .
me l'avait dit. Mais en rentrant; j'ai continué-dans ses- shows d'hôtel, et en plus-
avec le groupe de Coco. Coco n'aimait pasvll m'a dit queje faisais la putain. >r
Sur l'identité :
Mon père est français et ma mère polynésienne: Je suis pas né ici. Je suis
né en Martinique-. J'ai grandi chez mes grands-parents, et puis après- avec le- .
cousin de ma mère, car mes grands-parents sont retournés dans les îles. Ma mère
n'était pas capable de m'éfever. Et puis, elle a fait sa vie-. .
(...)Je me sens complètement polynésien. Quand je suis avec mes copains
tahitiens; avec mon nom, eux ils disent que je suis jforaw'.(français) C'est pas \
grave parce -que je sens que je suis polynésien. Et quand je suis avec- mes copains .
demis et français, je suis îaipuei (tahitien en argot). Je suis entre les deux. Pour -.
moi, je suis Maqhi.
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Parce qu'un demi, c'est un tahitien; même un français qui naît ici. Un polynésien, N
c'est un Maohi. »
(...) Je revendique un peu l'identité Maohi. Y a pas que la danse. Moi, ce qui N
m'intéresse le plus, c'est l'histoire de ce pays. Nos ancêtres- nous ont donné-un- s
patrimoine à travers la danse. J'aime danser parce que c'est Maohi. Y a toujours
urrpett de-traditionnel, même si les missionnaires ont beaucoup détruit. Et it y a
aussi de l'innovation. Si on reste dans la tradition, on ne progresse pas. C'est ce
que Coco fait. Il prend des valeurs traditionnelles et il rajoute.
la danse d'un pays. Je prends un exemple simple. Quand vous entenódez une
« bouirée », automatiquement^ vous faites un. rapprochement avec la France. •
C'est le « twist » pour l'Amérique, la « hula » pour Hawaii. La danse fait partie •
intégrante de ce pays.
Le folklore? Il faut oublier ce mot-là. Si nous devons figer, nous devons mettre
tous ces gens là avec Manouche (directrice du musée des îles). Je veux, pas que-
ce soit le cas. Nous n'avons pas le droit de mourir. Nous devons évoluer avec le
temps. Si orr est arrivés un jour où la France est avec Paris, c'est pas venu du jour
au lendemain. On n'a pas gardé ça comme cela. Pour ce pays, avec l'accord des .
districts, des îles, nous devons évoluer. Nous n'avons pas le droit de mourir. •
Nous devons évoluer avec le temps. Je veux montrer que pour ce pays, les îles et >
les districts gardent leurs valeurs et que Tahiti n'a plus de rattaches, ni à une
montagne, ni à une île, ni à une légende.-.
Entrettetravec-Irma :
Irma est une interprète de chants- traditionnels réputée à Tahiti. Elle vit ^
maintenant à Bora-Bora et s'occupe du groupe de danse de son district ,qtti .
participait au heiva de Bora-Bora de- ceite année. Nous l'avons rencontré à ••
Bora-Bora pour discuter avec elle de ce concours local qui venait juste de se- .
terminer.
« Le heiva do Bora-Bora est conçu pour les gens de l'île. C'est une fête .
vraiment polynésienne, un moment historique où les gens de l'île s'expriment. •
(...)Les gens ici ne dansent que pour le plaisir. On a monté le groupe pour ceux
qui ne travaillent pas. Or, les plus persévérants sont ceux qui travaillent. Les -
autres, on ne les voit pas aux répétitions. C'est pour ça d'ailleurs qu'ils ne
travaillent pas!
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(...) Pour la danse, il n'y a pas d'âge. C'est plutôt les mamans qui dansent bien.
Pour le concours individuel, c'est des jeunes qui se présentent. Les papas dansent
bien, mais le jury favorise les jeunes. On. ne veut pas confronter un papa à un
jeune.
J'ai commencé à danser à sept-huit ans dans les fêtes paroissiales. Moir .
père était pasteur: Et puis, à douze ans, je suis rentré dans le groupe deCoco. J'y •
suis resté de 1970 à 1973. En 1973, je suis rentré dans le groupe de Joël. J'ai .
alors passé un an air Japon. J'avais dix-huit ans. Mon père est parti aux Australes: s
Je l'ai suivi. J'ai créé là-bas un groupe d'environ cinquante personnes. Il y avait'
trois groupes de trois villages. Après le concours, on allait de maison en maison •
pour boire.Je suis arrivé à Papara vers 1976. C'est grâce à la danse tahitierme que
je me suis enrichi. Dans la religion, ce n'est pas comme à Vaiete. Il y a un respect
vestimentaire. On est plus couvert. Je suis allé deux fois seulement à Vaiete en •
tant que danseur En 1987, j'ai obtenu le premier prix en amateur, et en 1990, j'ai -
eu le premier prix pour la légende des trois vallées de la commune.
(:..)Je suis né danseur. Je n'étais pas préparé. L'inspiration arrive. Je suis contre-
le fait d'aller chercher ailleurs, d'évoluer avec l'extérieur, par exemple avec -
Hawaii ou Samoa. Le pas, c'est fixe. Quand on sautille, ce n'est plus notre danse. •
C'est Fiji, Samoa., Hawaii.
J'aime bien quand le concours se déroule place Tarahoi, car cela fait rappeler le
temps des Anciens, surtout grâce au sable. Pour construire mes chorégraphies, je—
vais voir les vieux de la commune.- Mais ils n'ont pas les mêmes versions. Par •
exemple pour la signification du mot « Papara ». Selon un vieux, on peut couper
Papara en deux : papa signifie rocher et ra le soleil. Selon A.Salmon, Papara,
c'est la jouissance, l'accouplement. C'est l'histoire d'une dame qui a-été violée
par un aïto (chef guerrier) des Australes. Comme elle avait des ailes, elle a pu se
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sauver. Elle est allée se laver. L'eau est devenue jaune à cause des restes du viol.
Papara, c'est ces restes.
(...)Le premier critère pour réussir dans h danse traditionnelle, c'est qu'il -
faut armer la danse et la vivre. Il y a des grosses qui s'expriment mieux.il y a
aussi des beautés gâchées, des filles belles qui ne savent pas danser. A la fin d'un \
heiva, les jeunes partent avec un-certain bagage, avec une valise pleine d'amour •
de la danse.
(...)La tradition, c'est important. La tradition, c'est être tahitien, c'est moi. - x
Il faut évoluer d'accord. Mais pas faire n'importe quoi. Par exemple, le hivinau :
je le fais en plusieurs petits groupes. Ca c'est évoluer dans la tradition. II ne faut •
pas que le moderne coiffe la tradition. -
Il faudrait deux concours : un traditionnel à Vaiete et un autre, moderne.
« Ils ont tapé sur le conservatoire. Ils ont dit que la danse au conservatoire
était de la hula, de la danse marquisienne et même de la samba!
(...) Le but du conservatoire est d'apprendre les bases. Bien sûr, je n'étais pas là
il y a cent ans! Je suis la plus ancienne des danseuses Je. danse ce.que j'ai vu à
l'époque.
(...) On rre peut pas demander aux jeunes de retourner à la brousse. Nous sommes N
au 20ème-siècle. C'est normal que ça évolue. C'est vrai, on a perdu. Mais Coco -
dit faux^ la.culture n'est pa,s morte.
(...) Ils ont dit aussi que le programme individuel de Vairanui était vulgaire (il
s'agit d'une de-ses élèves qm s'est présentée au concours dans la catégorie \
individuelle débutante):-Le tutu'e\ ils trouvent ça vulgaire! Et le faami alors! -
C'est peut-être pas vulgaire alors?! ••
C'est un mouvement du sexe d'avant en arrière. C'est vulgaire dans la tête de-
ceux qui le disent! Ils veulent enlever des pas.Si on veut vraiment la tradition, il
ne reste que quatre pas.
(...) Maco a dit que le seul bon spectacle, c'est cehri de Manouche. Alors que- les •-
masques qu'elle fait porter à ses danseurs, ça s'est jamais vu chez" les Tahitiefts!
(...) C'est les jeunes qui souvent nous donnent des leçons. Il suffit de voir les
petits quand on leur donne un programme libre. -.
(...) Le travail-du conservatoire, c'est de donner des repères à ces jeunes-: la--
droite, la gauche, le hautet le bas. C'est un premier pas dans l'intégration. ,
A_ßroßos_de_Samoa :
« On n'a pas représenté l'ensemble des archipels. On a montré que Tahiti. Les -N
Papous, eux, ont présenté différentes tribus. On aurait dû faire parer!. \
On a fait comme d'habitude- : On est les plus forts, on est les plus beaux. On est - •
partis là-bas avec l'esprit de compétition.
Les autres groupes présentent à chaque festival les mêmes danses. Ils ont leur
tradition une fois pour toute. Ca ne change pas. Pas nous. On change chaque fois.
On. n'est jamais d'accord sur la tradition.
On a juste voulu plaire au lieu de présenter un spectacle authentique. »
Dans les années soixante, c'est les belles filles qui allaient danser. En-
même temps, c'était tabou. Pour la religion et les parents, c'était de la danse
erotique. Aujourd'hui, tout le monde cherche à danser. La danse traditionnelle
existait avant, mais ce n'était pas pour les jeunes filles de bonne famille. En 1952, -.
un grand-ministre est venu à Borabora. C'est là qu'on m'a demandé de danser. x
C'est Sanford Les mouvements étaient très-simples : la balance et le faarori
(roulé). Chez les Mormons, on dansait. Chez eux, on dit qu'il y a un temps pour
rire, pleurer et danser.
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(...)A Tahiti, it n'y a que la plastique qui compte. C'est parce que dans les années
soixante, il y avait le« club Med », et c'était plus agréable pour les Européen* de -•.
regardef des bellesfiHesdanser; puisqu'ils ne comprenaient pas les paroles et les-.
mouvements.
(...)I1 ne faut pas oublier les pas de base. Par exemple, les pas sur la pointe, ,
c'est nous qui les avons introduits dans la paroisse quand on a fait la danse de •.
T oiseau.
(...)Toute la fantaisie Tient de Hawaii. Si on mélange les danses du Pacifiquer ,
c'est un mauvais travail académique, car les enfants croient que c'est ça la danse%
tahitienne. Il y a aussi de plus en plus de vulgarité dans la danse aujourd'hui. Par -.
exemple, en 19S2, Paulina a introduit un pas, le totoro qui vient du mot motoro.{ •
le motom, bien connu dans les- îles consiste pour un garçon à s'introduire v
La création, c'est bien. Il faut évoluer, mais il faut faire attention-. Un groupe qui
végète meurt. Il faut évoluer à condition de ne pas vulgariser.
A l'époque, chaque fille avait son morceau. Moi, c'était le Takoto. Je dansais
toujours sur ce rythme.
(...)J'aidû arrêter quand je me suis-mariée, car la belle-famille ne voulait pas que
je continue.
<c C'est le côté culturel qui m'a attiré dans la danse traditionnelle. Je me
sens plus polynésien, plus maohi maintenant. »
« Je danse parce que je sais qu'il y a plein de femmes qui- me regardent et
qui m'admirent. Quand je suis sur scène- et que-je sens tous ces regards, je suis-
fier. »