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l’Université
Toulouse
Capitole
L'entreprise et l'art | Alexandra Mendoza-Caminade
La Valorisation des
créations par
l’entreprise
Nicolas Binctin
p. 131-149
Full text
1 Le dialogue entre l’artiste et l’entreprise est ancien et riche. A
chaque évolution de l’industrie, les artistes en rendent compte
dans leurs œuvres, à la fois pour en donner une vision critique
mais aussi dans une optique purement représentative. Ils ont
dépeint des paysages affectés par les fumées et l’architecture même
des usines. Avec le fauvisme, l’industrie est associée aux paysages
industriels sombres et brumeux des périphéries des villes. Le
travailleur occupe une place centrale au sein des représentations
artistiques de l’industrie, l’artiste n’hésitant pas à dénoncer les
conditions de travail. A cette intégration de l’entreprise par l’art, il
faut ajouter de multiples autres approches où des entreprises
s’intègrent dans le paysage et l’identité culturelle d’un pays. Cette
volonté est secondée par les architectes qui donnent une
dimension artistique et esthétique aux bâtiments industriels. Les
artistes se sont particulièrement intéressés à quatre aspects de
l’industrie : les infrastructures, les progrès, les travailleurs, et les
produits.
2 Pour l’art, l’entreprise constitue une source de solutions techniques
pour de nouvelles formes d’expression. L’entreprise fournit des
innovations aux auteurs, on pense aux travaux sur la chaleur de
Klein réalisés dans le département R&D de GDF, aux créations
numériques, aux vidéastes, ou encore à l’utilisation de l’impression
3D. Les techniques et grandes innovations industrielles ont ouvert
le champ des possibilités artistiques, donnant naissance au le
cubisme ou au futurisme notamment. Au travers de leurs œuvres,
les artistes apportent un témoignage des avancées technologiques
et représentent les progrès industriels. L’art reflète l’innovation.
Les artistes représentent successivement l’arrivée du train, de
l’automobile puis de l’aéronautique dans la société. Par exemple,
les futuristes, fascinés par la vitesse et les moyens de transport et
de communication moderne, ont glorifié la puissance d’une
industrie. L’art se fait porte-parole des entreprises et de leur
dynamisme dans l’innovation.
3 L’art propose une vision du monde économique, du monde de
l’entreprise, il consomme les solutions qu’elle développe et nourrit
l’entreprise pour lui permettre de développer ses activités. L’artiste
mobilise aussi les mécanismes de l’entreprise pour organiser et
financer son travail créatif1. A partir du XXème siècle, les produits
de grande consommation deviennent des œuvres à part entière.
L’artiste les empile, les décompose, les revisite.
4 Dans ce contexte de dialogue et de complémentarité entre l’art et
l’industrie, la question de la valorisation des créations par
l’entreprise apparaît comme centrale. L’entreprise, créée pour
permettre une activité économique, mobilise des éléments de son
environnement pour améliorer son positionnement concurrentiel
et soutenir son activité économique. Si elle mobilise des œuvres, il
faut comprendre que les œuvres contribuent à cette dynamique
économique.
5 La notion de création est extrêmement large et il est probablement
nécessaire de la préciser pour répondre pleinement au sujet. D’un
point de vue de juriste de propriété intellectuelle, la création est le
fruit de l’activité intellectuelle humaine, peu importe le régime de
propriété, il s’agit d’une désignation du bien intellectuel, de la
chose produite par une personne qui crée. Ainsi, la création peut se
rattacher au brevet, à la marque, à l’obtention végétale ou au droit
d’auteur notamment. Toutefois, dans la logique de la présente
contribution, la création s’inscrit dans une acception plus
restreinte et renvoie à l’idée d’esthétisme. Dans ce cadre, la
création peut encore couvrir de très nombreuses réalités et
mobiliser des droits de propriété intellectuelle variés, droit
d’auteur, droit voisin, droit de producteur de base de données,
droit des marques, ou encore droit des dessins et modèles. Au-delà
de cette question juridique, la diversité des créations relevant de ce
champ est particulièrement vaste : on inclut à la fois des créations
ayant une expression très corporelle, tel le design, la sculpture, ou
le graphisme, et des expressions beaucoup plus incorporelles telle
la musique, les logiciels, ou les jeux vidéo. Dans tous ces cas, la
création artistique peut, ou doit, être mobilisée pour accompagner
le développement du produit commercialisé par l’entreprise, voire
constituer, en tant que telle, le produit. Le management de
l’innovation connaît une tendance forte à l’intégration du design
produit en amont de la conceptualisation de ce dernier, ce qui
change les conditions de travail tant des designers que des
ingénieurs2. Ce dialogue est certainement une première marque de
la valorisation des créations dans l’entreprise.
6 La notion de valorisation est aussi une notion complexe. La
valorisation désigne les actions engagées par un opérateur pour
mettre en valeur un bien ou une activité. Le plus souvent, la
valorisation est envisagée pour permettre de générer des revenus.
C’est probablement le sens, trop restreint, retenu par le législateur
lorsqu’il envisage la valorisation de la recherche publique. La
valorisation ne se confond pas avec l’évaluation, elle doit aussi être
envisagée au-delà de la question des seuls revenus générés. Ainsi,
l’entreprise qui mobilise les créations pour construire son image
auprès du public, comme d’autres font du sponsoring sportif ou de
l’action sociale, participe à la valorisation des créations sans
chercher directement à générer un revenu par cette action. La
valorisation s’inscrit dans une logique de processus, de moyens mis
en action par l’entreprise pour mettre en valeur les créations.
L’entreprise qui procède à cette valorisation ne cherche pas
nécessaire à connaître la valeur des créations, pas plus qu’elle
recherche automatiquement un gain direct attaché à cette
opération. Pour autant, dans l’économie de marché, les actions de
l’entreprise sont nécessairement guidées par sa nécessité de se
distinguer de ses concurrents et attirer vers elle des clients. En ce
sens, toute action de l’entreprise, même caritative, voire surtout
caritative, tend à s’inscrire dans cet environnement concurrentiel
et le besoin d’acquérir et de conserver une clientèle.
7 Dans cette optique, les interactions entre art et industries sont
constantes. L’influence que peut avoir le monde artistique doit être
utilisée par les entreprises comme un véritable outil de
communication. Il est un levier de croissance essentiel, facteur de
développement économique. En effet, si l’art s’inspire de
l’industrie, il affecte également la perception qu’en a le public.
Ainsi, adopter une politique managériale de coopération avec le
milieu artistique permet aux entreprises d’acquérir une visibilité
mondiale. Le produit, rendu plus attractif, permet de toucher des
consommateurs toujours plus nombreux et, par conséquent,
d’augmenter les ventes et de renforcer l’image de marque.
8 La création devient le cœur d’une activité mercantile qui est
traditionnellement perçue comme dangereuse pour l’auteur. Dans
cet esprit, le droit d’auteur français s’est arrogé la mission de
protéger l’auteur, un peu à l’image du consommateur, présumé
partie faible au contrat et qu’il faut protéger à la fois contre le
marché et contre lui-même. L’auteur connaît des restrictions à la
liberté de disposer de son vivant, notamment au travers de
l’interdiction de la cession globale des œuvres futures, et même,
encore récemment, à cause de mort. La libre disposition du droit
de suite lors de la succession de l’auteur n’a été rétablie que par la
loi Liberté de création. Les solutions retenues par le législateur
sont, à ce titre, parfois étranges car pour protéger l’auteur… on
l’expose aux aléas du marché et on le soumet à des délais de
paiement qu’aucun autre professionnel n’admet3.
9 A la lumière de ces éléments, on propose d’envisager la
valorisation des créations par l’entreprise sous deux angles, d’une
part, les créations portées par les entreprises (I) et, d’autre part,
l’entreprise portées par les créations (II) afin de mettre en avant un
double rapport de dépendance qui caractérise cette relation, trop
souvent encore présent sous l’angle de « je t’aime moi non plus ».
I – Les créations portées par l’entreprise
10 La création a besoin de l’entreprise pour s’épanouir, vivre, se
diffuser… On envisage la création dans un rapport de dépendance
ou de nécessité à l’égard de l’entreprise. Ce n’est pas une vision
utilitariste de la création ni une vision secondaire de celle-ci mais
certainement une vision pragmatique du rapport de la création au
monde économique. Les auteurs ont besoin de marchés, de clients,
pour que leurs créations se diffusent et qu’ils puissent vivre de leur
activité. Dans cette logique, des entreprises se sont créés pour
appréhender le marché dans une logique créative, la création
constitue alors leur cœur de l’activité de l’entreprise (B). Au-delà de
ce rapport de dépendance directe entre la création et l’entreprise,
où le projet entrepreneurial est totalement porté par la création, on
doit constater que les créations sont mobilisées par tous les types
d’entreprises (A).
Notes
1. X. Greffe, L’artiste-entreprise, Dalloz 2012.
4. Les costumes du personnel navigant sont également conçus par les plus
grands créateurs de la mode française Carven, Christian Dior, Balenciaga, Nina
Ricci, Jean Patou, et Christian Lacroix.
5. P. Courault et F. Bertin, Objets de pub, la réclame objet d’art, Ouest-France,
Rennes, 2001, p. 10.
8. Voir N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, 4ème éd. LGDJ 2016, n° 998 et
s.
12.
http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/images/Comment_utiliser_ce__guidePDF.pd
17. http://www.uis.unesco.org/culture/pages/framework-cultural-
statisticsFR.aspx?SPSLanguage=FR
21. Voir aussi la Fondation d’entreprise B. Braun Médical qui met en place une
exposition artistique itinérante dans les hôpitaux français afin d'améliorer les
conditions de vie des établissements de soin. Chaque année, une carte blanche
est donnée à 10 plasticiens sur un thème défini afin de sensibiliser les différentes
cibles : patients, personnel hospitalier, presse et grand public.
22. http://www.centre-francais-fondations.org/annuaire-des-fondations/1002
24. Roland Berger, Le poids des biens culturels pour les géants du net, rapport
pour la GESAC, sept. 2016,
https://www.rolandberger.com/gallery/pdf/Report_for_GESAC_Online_Intermediaries_2015_Nov_EUR.pd
26. http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Discours/Conference-de-
presse-Art-entreprise-pour-mieux-conjuguer-culture-et-monde-du-travail
27. https://group.renault.com/passion/art-et-lifestyle/la-collection-d-art/
29. F. Bousteau, op. cit., p. 26.
30. Voir aussi la PMI Henriot-Quimper ouvre son usine à des peintres et des
sculpteurs ; la société France Lanord et Bichaton, PMI dans la maçonnerie et la
menuiserie en Meurthe-et-Moselle, qui a accueilli en 2014 en résidence une
plasticienne.
Author
Nicolas Binctin