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Presses de

l’Université
Toulouse
Capitole
L'entreprise et l'art  | Alexandra Mendoza-Caminade

La Valorisation des
créations par
l’entreprise
Nicolas Binctin
p. 131-149

Full text
1 Le dialogue entre l’artiste et l’entreprise est ancien et riche. A
chaque évolution de l’industrie, les artistes en rendent compte
dans leurs œuvres, à la fois pour en donner une vision critique
mais aussi dans une optique purement représentative. Ils ont
dépeint des paysages affectés par les fumées et l’architecture même
des usines. Avec le fauvisme, l’industrie est associée aux paysages
industriels sombres et brumeux des périphéries des villes. Le
travailleur occupe une place centrale au sein des représentations
artistiques de l’industrie, l’artiste n’hésitant pas à dénoncer les
conditions de travail. A cette intégration de l’entreprise par l’art, il
faut ajouter de multiples autres approches où des entreprises
s’intègrent dans le paysage et l’identité culturelle d’un pays. Cette
volonté est secondée par les architectes qui donnent une
dimension artistique et esthétique aux bâtiments industriels. Les
artistes se sont particulièrement intéressés à quatre aspects de
l’industrie  : les infrastructures, les progrès, les travailleurs, et les
produits.
2 Pour l’art, l’entreprise constitue une source de solutions techniques
pour de nouvelles formes d’expression. L’entreprise fournit des
innovations aux auteurs, on pense aux travaux sur la chaleur de
Klein réalisés dans le département R&D de GDF, aux créations
numériques, aux vidéastes, ou encore à l’utilisation de l’impression
3D. Les techniques et grandes innovations industrielles ont ouvert
le champ des possibilités artistiques, donnant naissance au le
cubisme ou au futurisme notamment. Au travers de leurs œuvres,
les artistes apportent un témoignage des avancées technologiques
et représentent les progrès industriels. L’art reflète l’innovation.
Les artistes représentent successivement l’arrivée du train, de
l’automobile puis de l’aéronautique dans la société. Par exemple,
les futuristes, fascinés par la vitesse et les moyens de transport et
de communication moderne, ont glorifié la puissance d’une
industrie. L’art se fait porte-parole des entreprises et de leur
dynamisme dans l’innovation.
3 L’art propose une vision du monde économique, du monde de
l’entreprise, il consomme les solutions qu’elle développe et nourrit
l’entreprise pour lui permettre de développer ses activités. L’artiste
mobilise aussi les mécanismes de l’entreprise pour organiser et
financer son travail créatif1. A partir du XXème siècle, les produits
de grande consommation deviennent des œuvres à part entière.
L’artiste les empile, les décompose, les revisite.
4 Dans ce contexte de dialogue et de complémentarité entre l’art et
l’industrie, la question de la valorisation des créations par
l’entreprise apparaît comme centrale. L’entreprise, créée pour
permettre une activité économique, mobilise des éléments de son
environnement pour améliorer son positionnement concurrentiel
et soutenir son activité économique. Si elle mobilise des œuvres, il
faut comprendre que les œuvres contribuent à cette dynamique
économique.
5 La notion de création est extrêmement large et il est probablement
nécessaire de la préciser pour répondre pleinement au sujet. D’un
point de vue de juriste de propriété intellectuelle, la création est le
fruit de l’activité intellectuelle humaine, peu importe le régime de
propriété, il s’agit d’une désignation du bien intellectuel, de la
chose produite par une personne qui crée. Ainsi, la création peut se
rattacher au brevet, à la marque, à l’obtention végétale ou au droit
d’auteur notamment. Toutefois, dans la logique de la présente
contribution, la création s’inscrit dans une acception plus
restreinte et renvoie à l’idée d’esthétisme. Dans ce cadre, la
création peut encore couvrir de très nombreuses réalités et
mobiliser des droits de propriété intellectuelle variés, droit
d’auteur, droit voisin, droit de producteur de base de données,
droit des marques, ou encore droit des dessins et modèles. Au-delà
de cette question juridique, la diversité des créations relevant de ce
champ est particulièrement vaste : on inclut à la fois des créations
ayant une expression très corporelle, tel le design, la sculpture, ou
le graphisme, et des expressions beaucoup plus incorporelles telle
la musique, les logiciels, ou les jeux vidéo. Dans tous ces cas, la
création artistique peut, ou doit, être mobilisée pour accompagner
le développement du produit commercialisé par l’entreprise, voire
constituer, en tant que telle, le produit. Le management de
l’innovation connaît une tendance forte à l’intégration du design
produit en amont de la conceptualisation de ce dernier, ce qui
change les conditions de travail tant des designers que des
ingénieurs2. Ce dialogue est certainement une première marque de
la valorisation des créations dans l’entreprise.
6 La notion de valorisation est aussi une notion complexe. La
valorisation désigne les actions engagées par un opérateur pour
mettre en valeur un bien ou une activité. Le plus souvent, la
valorisation est envisagée pour permettre de générer des revenus.
C’est probablement le sens, trop restreint, retenu par le législateur
lorsqu’il envisage la valorisation de la recherche publique. La
valorisation ne se confond pas avec l’évaluation, elle doit aussi être
envisagée au-delà de la question des seuls revenus générés. Ainsi,
l’entreprise qui mobilise les créations pour construire son image
auprès du public, comme d’autres font du sponsoring sportif ou de
l’action sociale, participe à la valorisation des créations sans
chercher directement à générer un revenu par cette action. La
valorisation s’inscrit dans une logique de processus, de moyens mis
en action par l’entreprise pour mettre en valeur les créations.
L’entreprise qui procède à cette valorisation ne cherche pas
nécessaire à connaître la valeur des créations, pas plus qu’elle
recherche automatiquement un gain direct attaché à cette
opération. Pour autant, dans l’économie de marché, les actions de
l’entreprise sont nécessairement guidées par sa nécessité de se
distinguer de ses concurrents et attirer vers elle des clients. En ce
sens, toute action de l’entreprise, même caritative, voire surtout
caritative, tend à s’inscrire dans cet environnement concurrentiel
et le besoin d’acquérir et de conserver une clientèle.
7 Dans cette optique, les interactions entre art et industries sont
constantes. L’influence que peut avoir le monde artistique doit être
utilisée par les entreprises comme un véritable outil de
communication. Il est un levier de croissance essentiel, facteur de
développement économique. En effet, si l’art s’inspire de
l’industrie, il affecte également la perception qu’en a le public.
Ainsi, adopter une politique managériale de coopération avec le
milieu artistique permet aux entreprises d’acquérir une visibilité
mondiale. Le produit, rendu plus attractif, permet de toucher des
consommateurs toujours plus nombreux et, par conséquent,
d’augmenter les ventes et de renforcer l’image de marque.
8 La création devient le cœur d’une activité mercantile qui est
traditionnellement perçue comme dangereuse pour l’auteur. Dans
cet esprit, le droit d’auteur français s’est arrogé la mission de
protéger l’auteur, un peu à l’image du consommateur, présumé
partie faible au contrat et qu’il faut protéger à la fois contre le
marché et contre lui-même. L’auteur connaît des restrictions à la
liberté de disposer de son vivant, notamment au travers de
l’interdiction de la cession globale des œuvres futures, et même,
encore récemment, à cause de mort. La libre disposition du droit
de suite lors de la succession de l’auteur n’a été rétablie que par la
loi Liberté de création. Les solutions retenues par le législateur
sont, à ce titre, parfois étranges car pour protéger l’auteur… on
l’expose aux aléas du marché et on le soumet à des délais de
paiement qu’aucun autre professionnel n’admet3.
9 A la lumière de ces éléments, on propose d’envisager la
valorisation des créations par l’entreprise sous deux angles, d’une
part, les créations portées par les entreprises (I) et, d’autre part,
l’entreprise portées par les créations (II) afin de mettre en avant un
double rapport de dépendance qui caractérise cette relation, trop
souvent encore présent sous l’angle de « je t’aime moi non plus ».
I – Les créations portées par l’entreprise
10 La création a besoin de l’entreprise pour s’épanouir, vivre, se
diffuser… On envisage la création dans un rapport de dépendance
ou de nécessité à l’égard de l’entreprise. Ce n’est pas une vision
utilitariste de la création ni une vision secondaire de celle-ci mais
certainement une vision pragmatique du rapport de la création au
monde économique. Les auteurs ont besoin de marchés, de clients,
pour que leurs créations se diffusent et qu’ils puissent vivre de leur
activité. Dans cette logique, des entreprises se sont créés pour
appréhender le marché dans une logique créative, la création
constitue alors leur cœur de l’activité de l’entreprise (B). Au-delà de
ce rapport de dépendance directe entre la création et l’entreprise,
où le projet entrepreneurial est totalement porté par la création, on
doit constater que les créations sont mobilisées par tous les types
d’entreprises (A).

A – Les créations nécessaires à l’activité de l’entreprise


11 La mobilisation par l’entreprise de créations pour son activité est
une démarche ancienne et qui connaît des applications dans
l’ensemble des secteurs. La valorisation des créations par
l’entreprise ne dépend pas du secteur d’activité de l’entreprise
mais plutôt de la politique de l’entreprise et sa capacité à s’inscrire
dans son temps. La production industrielle suppose in fine la vente.
Dans la société de consommation du XXIème siècle, la concurrence
entre les produits est extrêmement importante. L’esthétique est un
élément indispensable, par exemple dans la publicité du produit, et
cette considération va jusqu’à dépasser sa fonction utilitaire
première, on pense notamment aux produits commercialisés par
Apple, dont les caractéristiques techniques sont similaires à celles
des produits concurrents et où le design constitue le principal
élément différenciant. Les artistes interviennent pour renouveler
et dynamiser l’image d’un produit, et, indirectement, d’une
entreprise. Ainsi, la soupe Campbell doit en grande partie sa
notoriété à Andy Warhol, et réciproquement. Les artistes ont une
influence palpable sur la connaissance qu’ont les consommateurs
des produits. Ils deviennent un élément de plus en plus clé dans la
communication des entreprises.
12 L’artiste participe à la création de l’image de l’entreprise. Renault
avait demandé à Vasarely de métamorphoser son logo, le sculpteur
Joan Rebull a dessiné le flacon de l’Air du temps de Nina Ricci. La
SNCF fit appel à Christian Lacroix pour aménager les TGV Est. La
Maison Bernardaud, qui a fêté ses 150 ans en 2013, a, quant à elle,
lancé une ligne de services d’artistes de renom tel David Lynch, JR,
ou Sophie Calle. Le Concorde symbolisait ce lien profond entre
industrie et création, il représentait pour le designer une vitrine
idéale. La décoration intérieure de l’appareil et les tenues du
personnel navigant furent confiées à de célèbres créateurs4. La
première cabine du supersonique fut aménagée par Raymond
Loewy. L’un de ses élèves, Pierre-Gautier Delaye, la réaménagea en
1988. Andrée Putman créa également une décoration intérieure
pour l’avion. Enfin, pour passer le millénaire, le collectif Radi
Designers dota le Concorde d’un nouvel intérieur qu’il conserva
jusqu’à son dernier vol.
13 Les artistes n’ont pas seulement pour fonction de représenter une
industrie à une époque; ils peuvent insuffler une nouvelle
dynamique à la politique de communication d’une entreprise et
participer à sa visibilité. La force publicitaire devient un atout
recherché5. Au cœur de la société de consommation, les affiches
placardées dans les villes constituent un sujet artistique en tant
que tel. Le principal axe de réflexion sur le statut de la publicité est,
peut-être, fondé sur l’objet même de la publicité. Certains
choisissent d’exclure la publicité de l’art car elle n’a pas pour
finalité d’être créative, elle doit avant tout assurer la promotion
commerciale d’un produit. D’autres estiment, en revanche, que la
publicité peut être considérée comme un art à part entière, en
contact permanent avec son public. La création serait l’unique
condition de l’art publicitaire.
14 À l’image des œuvres artistiques issues de commandes royales, le
fait que la publicité soit initiée et commandée par une entreprise
ne doit pas faire obstacle à la reconnaissance de cet art. En
l’occurrence, Delaunay, Hergé, Man Ray, et bien d’autres, ont
réalisé au cours de leur carrière des affiches publicitaires. La
publicité intègre l’art grâce à l’esthétique. Par ce biais, les produits
se distinguent  ; la représentation du produit prend le dessus sur
son utilité. Accéder au rang d’œuvre artistique présente un
avantage considérable pour l’industrie  : la publicité créative et
esthétique, dès lors, représente artistiquement l’entreprise qu’elle
défend. On pense à Bernard Villemot, l'un des artisans de l'affiche
publicitaire et la création d’image pour les entreprises. Les
éléments publicitaires en eux-mêmes, que ce soit une bouteille
Perrier ou Orangina, sont au cœur de son travail6.
15 La théorie de l’unité de l’art laisse, en droit d’auteur, un espace
large pour accueillir ces formes d’expression artistique utilitaires
et permettre à l’auteur, au service de l’entreprise, de demeurer
pleinement auteur au sens juridique du terme. Dans toutes ces
hypothèses, l’entreprise sollicite la création, elle l’exploite, elle la
rémunère. La création est un élément qui complète l’activité de
l’entreprise, la rend plus attractive pour ses clients. La création est
portée par l’entreprise, ses projets, ses contraintes aussi. Le
créateur s’adapte aux demandes de l’entreprise et cette dernière
est mise en valeur par l’apport du créateur. Ce dernier apporte un
supplément d’âme à l’offre de l’entreprise sans pour autant
influencer directement celle-ci. L’art devient un argument de vente
pour l’entreprise, car le produit est plus attractif. En intégrant un
artiste à la production, le produit bénéficie d’une véritable plus-
value. On ne dénombre plus les partenariats entre artistes et
producteurs, tels que la bouteille Coca-Cola dessinée par Jean-Paul
Gauthier ou Nescafé appelant Billy The Artist pour décorer sa
machine Dolce Gusto.
16 La collaboration entre un auteur et l’entreprise suppose
essentiellement la maîtrise de solutions contractuelles relevant du
contrat d’entreprise et du contrat de cession ou concession de
droits de propriété intellectuelle. La création est une commande de
l’entreprise, elle rémunère à ce titre de travail de l’auteur. Le
contrat de commande est relativement peu encadré par la loi7. La
jurisprudence est venue préciser les conditions de son
interprétation, notamment quant à l’obligation de divulgation
pesant sur l’auteur. Le contrat de commande n’emporte pas
transfert du droit de propriété sur le bien intellectuel, il est donc
nécessaire que la convention entre l’auteur et l’entreprise arrête
aussi les conditions dans lesquelles cette dernière pourra utiliser
l’œuvre. On peut prévoir aussi bien une cession qu’une concession,
avec toutes les variantes que ces contrats peuvent intégrer8.
17 Cette première intégration, importante mais encore limitée, de l’art
dans l’entreprise connaît une évolution importante où la création
n’est plus portée par l’entreprise, elle devient la cause et leur cœur
de l’entreprise.

B – Les créations au cœur de l’activité économique


de l’entreprise
18 La valorisation des créations par l’entreprise est plus simple à
appréhender lorsque l’entreprise a pour activité centrale
d’exploiter des créations. Ce secteur d’activité, assez disparate et
encore mal étudié, connaît une prise en considération croissante. Il
est désigné comme le secteur des industries culturelles et créatives.
19 Le concept d’industrie culturelle a été introduit par T.  Adorno et
M.  Horkheimer dès  1947, économistes de l’Ecole de Frankfurt
immigrés aux Etats-Unis, dans leur ouvrage La Dialectique de la
Raison9. Née de l’analyse critique de la standardisation et de la
reproduction de masse des produits de contenu, de la radio, la
télévision et du cinéma, la notion d’industrie culturelle trouve un
nouvel essor à la fin des années soixante-dix à travers une analyse
économique des modalités de production et de diffusion des biens
et services culturels, notamment dans les travaux de recherche de
B.  Miège en France10. L’avènement de l’économie du savoir, la
dématérialisation des créations et des échanges ont offert à cette
notion une consécration totale et centrale dans l’environnement
économique contemporain.
20 Faisant l’objet de nombreuses variantes, la définition des industries
culturelles est sensible aux changements des techniques de
production, de reproduction, de distribution et de consommation
des produits culturels. Elle peut cependant être formalisée comme
«  l’ensemble en constante évolution des activités de production et
d’échanges culturels soumises aux règles de la marchandisation, où
les techniques de production industrielle sont plus ou moins
développées, mais où le travail s’organise de plus en plus sur le mode
capitaliste d’une double séparation entre le producteur et son
produit, entre les tâches de création et d’exécution »11.
21 Dans les années quatre-vingt-dix, le concept d’industries créatives
voit le jour, en  Australie, puis se développe au Royaume-Uni. Ces
industries sont définies comme « toute industrie qui a pour origine
la créativité individuelle, l’habileté et le talent et qui a le potentiel de
produire de la richesse et de l’emploi à travers la création et
l’exploitation de la propriété intellectuelle »12. La notion de créativité
est liée à la capacité à générer de nouvelles idées. Si les industries
culturelles y font appel tout comme les industries créatives, les
premières requièrent également un contenu culturel, artistique ou
patrimonial pas nécessairement recherché par les secondes. Si ces
deux notions s’appuient sur les droits de la propriété intellectuelle,
les industries créatives n’y font pas systématiquement appel. Elles
reposent essentiellement sur la créativité et potentiellement sur
une image de marque. Au-delà des industries culturelles
traditionnellement reconnues, l’édition, le cinéma, la musique, la
radio, la télévision et les arts de la scène, la notion d’industries
créatives peut inclure les jeux vidéo, l’architecture, le design, la
publicité, l’artisanat d'art, la mode ou le tourisme culturel. Des
concepts proches, bien que différents, ont émergé ces dernières
années tels que les industries de contenu ou les industries
protégées par le droit d’auteur (copyright industries).
22 Les industries culturelles et créatives, à la fois source de
rayonnement et d’attractivité, sont un acteur majeur de l’économie
mondiale. Elles participent de l’identité d’un pays et d’un savoir-
faire et créent des richesses de plus en plus importantes. Au niveau
mondial, l’Unesco s’est ouverte au monde économique en mettant
en avant les enjeux économiques complexes attachés à ces
industries. L’Union européenne s’est emparée de cette question dès
2010 à l’occasion d’un rapport sur ces industries13. En France, E&Y
publie régulièrement un panorama sur les industries culturelles et
créatives qui met en évidence le poids économique des industries
culturelles et créatives, qui dépasse celui des télécommunications,
de la chimie, ou de l’automobile14. Les industries culturelles et
créatives constituent un marché d’avenir où l’évolution du monde
industriel est nourrie par les arts plastiques. Les industries
créatives sont des acteurs majeurs de l'économie de la
connaissance. Leur développement rapide est le reflet de la
contribution de plus en plus importante de l’économie de
l’immatériel à la croissance économique15. Moteur d’attractivité et
de compétitivité, les industries culturelles possèdent une des
meilleures opportunités de développement économique. Malgré la
crise économique de ces dernières années, elles ont su résister et
connaissent une croissance dynamique. Ces industries culturelles
et créatives génèrent en France un chiffre d’affaires direct
d’environ 75 milliards d’euros par an et contribue très fortement à
la balance commerciale16. Elles ont pleinement intégré les
technologies numériques dans leur fonctionnement et leur offre de
services. Elles recherchent des modèles économiques innovants
pour répondre au mieux aux attentes et aux comportements du
public. Leur dimension internationale fait d’elles un enjeu
déterminant pour l’avenir de la liberté d'expression, de la diversité
culturelle et du développement économique. Si la mondialisation
des échanges et des nouvelles technologies suscite de nouvelles
perspectives positives, elle engendre aussi de nouvelles asymétries.
23 Les définitions des industries culturelles et créatives varient selon
les domaines d’activité que chacun choisit d’y inclure et ce choix a
une incidence sur la mesure de l’importance économique et
culturelle du secteur mais aussi sur les orientations et la
justification des politiques de soutien. Toutes ces approches ont
cependant un point commun : l’origine des offres est la création et
celle-ci est, d’une part, soumise à des règles industrielles et
d’économie de marché et, d’autre part, généralement dépendante
des droits de la propriété intellectuelle. La notion d’industrie
culturelle et créative recouvre des biens et services issus de
modalités de production et de reproduction plus ou moins
industrielles. Sont prises en compte les filières industrielles, semi-
industrielles et non industrielles pourvu qu’elles donnent lieu à la
création de produits mis sur le marché et soumis à un processus de
marchandisation leur conférant une valeur marchande. Ces
concepts ne se limitent pas au produit en tant que tel ; ils incluent
les secteurs d’activité permettant aux biens, aux services et aux
activités de contenu culturel, artistique ou créatif d’arriver
jusqu’au public et/ou sur le marché  : la reproduction et la
duplication, le support technique, la promotion, la diffusion, la
circulation, la vente et la distribution, etc. En prenant comme
référence le cadre pour les statistiques culturelles de l’UNESCO17,
les industries culturelles et créatives recouvrent les secteurs
d’activité ayant comme objet principal la création, le
développement, la production, la reproduction, la promotion, la
diffusion ou la commercialisation de biens, de services et activités
qui ont un contenu culturel, artistique et/ou patrimonial. Les
principales caractéristiques des industries culturelles et créatives
sont  : l’intersection entre l’économie et la culture, la créativité au
cœur de l’activité, le contenu artistique, culturel ou inspiré de la
création du passé, la production de biens et de services soumis à la
propriété intellectuelle, la double nature, i.e. économique
(génération de richesse et d’emploi) et culturelle  (génération de
valeurs, de sens et d’identité), l’innovation et le renouvellement
créatif, une demande et des comportements du public difficiles à
anticiper, et, enfin, un secteur marqué par la non-systématisation
du salariat comme mode de rémunération du travail et la
prédominance de micro-entreprises.
24 Au regard de la propriété intellectuelle, le point le plus délicat pour
ce secteur réside dans l’absence d’un statut clair pour les créateurs
salariés. Ce statut varie d’un régime de propriété intellectuelle à
l’autre et d’un pays à l’autre, notamment au sein de l’Union
européenne. Dans ces conditions, la dynamique créative des
entreprises se trouve affaiblie par une incertitude juridique quant
à la dévolution du droit de propriété. Une meilleure protection de
l’ensemble des parties, créateurs salariés et entreprise, impose
l’émergence d’un statut de créateur salarié pour l’ensemble de l’UE
qui permette une réelle circulation des créateurs, un partage des
cultures et une sécurité juridique pour l’ensemble des parties, sans
qu’il soit nécessaire de distinguer selon les régimes
d’appropriation18. Les industries culturelles et créatives mettent en
exergue la capacité d'apprentissage dans une dynamique
d'innovation et la capacité à détenir, protéger et développer des
ressources critiques. Cela implique de faire travailler des talents
entre eux, d’où la nécessité de faciliter juridiquement la mobilité
des créateurs salariés. Cette économie du savoir met les acteurs
créatifs sont au cœur du modèle. Il est important de les connaître
et de les mettre en relation les uns avec les autres mais également
avec l'ensemble des acteurs pouvant contribuer à une chaîne de
valeur ou un écosystème novateur. Le droit de la propriété
intellectuelle assure une sécurisation de ces échanges, les facilite,
apporte la confiance nécessaire au partage des connaissances
comme au partage de la valeur générée par leur agrégation et leur
exploitation. Ces industries sont caractérisées par une très forte
concentration de capital immatériel et une forte culture du risque
de l’investissement en amont. Il s’agit d’une industrie de prototype
qui comporte de nombreuses PME et TPE s'intégrant dans un
écosystème de relations afin d'emmener l'idée sur le marché. Elles
ont un potentiel collaboratif fort.
25 Les industries culturelles et créatives sont elles-mêmes dans une
phase de bouleversement. Alors que les créations étaient au cœur
de leur activité et de leur modèle économique, leur exploitation
générant directement les ressources des entreprises du secteur,
elles subissent l’émergence d’un autre modèle économique, celui
de l’exploitation des données personnelles. Les données
personnelles sont au cœur des modèles économiques des grands
acteurs qui participent aux industries créatives (Google, Facebook,
Amazon, Spotify, Netflix, ...). Ces modèles économiques imposent la
mise sur le marché de services « gratuits » financés par les revenus
publicitaires. Ces données, puisqu'elles concernent les relations
entre les utilisateurs et des œuvres culturelles et artistiques, ont un
«  caractère intime  » pour les entreprises qui les collectent. Les
industries culturelles et créatives permettent à l’exploitation de
données personnelles classiques reliées à l'identité, au profil de
l'utilisateur (nom, prénom, mail, etc) et assurant le bon
fonctionnement de la relation client. Elles génèrent des données
descriptives des contenus, telles les données de catalogage (pour
une chanson, le nom de l'artiste, de l'album, l'année, etc.) mais
aussi des données techniques (format, compression, etc.) et des
données juridiques (par exemple, les droits de diffusion d'une
œuvre). On peut encore prendre en compte des données relatives à
des informations générales sur la consommation des contenus
(nombre de commentaires, de vues, de lectures, etc.), et des
données d'enrichissement (évaluations, paroles, critiques, etc.)
parfois fournies par les utilisateurs. Surtout, il est possible de
prendre en considération des analyses portant sur des données
concernant l'usage, les comportements et les goûts de chaque
utilisateur. Elles peuvent être générales (durée en ligne ou
fréquence d'achat) mais également beaucoup plus fines (vitesse de
lecture d'un ebook), et des données de contexte, comme la
localisation d'un utilisateur. Les industries culturelles et créatives
se placent grâce à la qualité des données qu’elles permettent de
collecter au cœur de l’industrie du big data, de l’industrie des
algorithmes prédictifs. Cette évolution perturbe profondément le
modèle économique du secteur et les conditions dans lesquelles
intervient le partage de la chaîne de valeur. Le droit de la propriété
intellectuelle doit alors s’articuler aussi, pour les entrepreneurs,
avec le droit des données à caractère personnelle. Dans cette
économique de la donnée, des conflits d’intérêts entre les créateurs
et les collecteurs/exploitants des données émergent, ces derniers
veulent qu’un maximum d’œuvres circule et demeure accessible
pour nourrir leurs algorithmes, reléguant les œuvres au rang de
produit d’appel, de contenu, ou de simple «  carburant  » de leur
modèle économique.

II – L’entreprise portée par les créations


26 Le lien entre l’entreprise et la création, dans une logique de
valorisation, peut aussi être pensé dans un sens différent de celui
qui vient d’être exposé. L’entreprise peut naturellement être
l’initiateur de la création et portée celle-ci. Toutefois, l’histoire de
l’art et l’histoire économique montrent qu’il y a une autre
mobilisation par les entreprises des créations. La valorisation des
créations par l’entreprise prend alors la forme d’une sorte de
parasitisme de la création par l’entreprise. L’entreprise est portée
par la création. L’entreprise se construit une image avec la
création, elle ne la sollicite plus, elle ne l’intègre pas plus dans ses
produits et n’en fait pas une exploitation, elle s’appuie simplement
sur l’image de la création pour construire sa propre image (A).
27 Ce mouvement évident, qui trouve aussi indéniablement un
équilibre des intérêts entre les entreprises et les créateurs, peut
aussi être dépassé. En effet, si l’entreprise peut mobiliser les
créations pour valoriser son image, on constate un autre
mouvement, celui de la créativité de l’entreprise portée par les
créations. L’entreprise mobilise les créations non plus pour son
image mais pour développer sa propre créativité et l’implication de
ses salariés. La valorisation des créations prend alors un nouveau
tour, l’entreprise cherche à mieux fonctionner grâce à la présence
de créations et aux regards de créateurs sur son fonctionnement
(B).

A – La construction d’une image de marque : l’œuvre prétexte


28 La fondation Electra pour EDF, la Fondation Cartier pour le groupe
Richemont, le mécénat culturel Paul Ricard, la fête du cinéma avec
la BNP, le salon des métiers d’art soutenu par Vacheron Constantin,
la présence des joailliers lors de la biennal des antiquaires, le
financement des expositions du Grand-Palais, le mécénat
culturel19… Les opérations des entreprises pour financer la
diffusion de créations sont nombreuses et ont évidemment pour
objectif de participer à la création de leur image. Cette démarche
est légitime, et probablement utile pour permettre l’ensemble des
présentations évoquées. Toutefois, les créations sont un prétexte à
autre chose pour l’entreprise. Elle ne collectionne pas, elle ne
finance pas la création, elle s’inscrit dans le sillage de la création
pour en tirer un bénéfice spécifique, économique. En investissant
dans l’art, l’entreprise améliore l’opinion que le public a d’elle20.
Dans cet esprit, la banque HSBC, prise dans quelques affaires
délicates, a créé une fondation dédiée à la promotion de la
photographie contemporaine, démontrant une sensibilité artistique
échappant à l’idée que l’on se fait d’une banque sur sa logique de
profit. L’art est un excellent moyen de se démarquer de la
concurrence, de s’inscrire dans son temps, de donner du sens et de
mettre en avant les valeurs de la marque.
29 Nombreuses sont les initiatives culturelles qui subliment l’histoire
de la marque. Depuis 2011, la Société Foncière Lyonnaise, à travers
son programme artistique Mémoires Contemporaines, valorise son
patrimoine en donnant une carte blanche à des artistes pour
sublimer un site immobilier avec des œuvres monumentales
pérennes. Les Audi Talents Awards mettent en avant le potentiel
créatif et innovant de la marque à travers un concours de jeunes
créateurs. La marque Electrolux a également su faire la différence
en installant pendant deux ans sur le toit du Palais de Tokyo le
Nomiya, une capsule éphémère et futuriste, concept d’artiste,
invitant à une expérience gastronomique unique. Ainsi, elle a pu
toucher une nouvelle cible adepte de l’art contemporain, elle a
également bénéficié de retombées médiatiques et a vu sa notoriété
s'accroître21. Cette stratégie peut être illustrée par deux exemples
plus précis  : l’organisation de la Fondation Vuitton et
l’accaparement des créations par les réseaux sociaux.
30 Le cas de la Fondation Vuitton est particulièrement parlant car il
représente la quintessence de l’instrumentalisation de la création
au bénéfice de l’image de l’entreprise, en articulant en plus des
modèles fiscaux couvrant une partie de l’investissement. La
fondation aurait pu être une fondation Arnault et permettre à
Monsieur Arnault de présenter sa collection, à l’image de la
démarche engagée par Monsieur Pinault en France ou Monsieur
Broad aux Etats-Unis. Il s’agit en fait d’une Fondation Vuitton,
attachée à LVMH, qui permet d’assurer le financement de
l’opération par l’entreprise22 et non l’actionnaire personne
physique23. La venue au monde de ce bâtiment de verre et d’acier
dessiné par Frank Gehry a été l’objet d’une savante et minutieuse
planification médiatique. Une critique dithyrambique et élogieuse
fut portée par la presse nationale dont LVMH est l’un des
principaux bailleurs de fonds au travers de ses campagnes de
communication…et de son propre groupe de presse, jusqu’à faire
oublier les quelques voix divergentes et une presse étrangère
sensiblement moins emballée. En même temps, durant la Fashion
Week, le bâtiment a accueilli, avant même son inauguration, le
défilé de Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections
femme de Vuitton. Et, après une campagne de communication
consacrée au bâtiment lui-même, une intervention d’un autre
artiste a été initiée, Daniel Buren, pour reprendre une nouvelle
campagne de communication. Les œuvres, et plus encore le
bâtiment en tant que tel, ne sont là que pour nourrir l’image de
marque d’une société qui a impérativement besoin de symboles
forts pour vendre à prix d’or de la toile cirée avec des coins en
cuire.
31 Pour les réseaux sociaux, il est évident que l’œuvre est un prétexte
pour nourrir le réseau. Un rapport récent de la GESAC24, établi par
Roland Berger, montre que 30% des revenus en lignes sont générés
par l’exploitation d’œuvres. Les créations sont au cœur du modèle
économique des entreprises de la nouvelle économie, Facebook,
Google et autre Apple mais ces dernières tentent de s’émanciper de
la propriété intellectuelle en qualifiant les œuvres de «  contenu  »
devant circuler sans entrave des propriétaires. Par exemple, pour
les moteurs de recherche, l’étude montre que 30% des résultats
renvoient vers du contenu culturel dont la moitié renvoie
directement à ce contenu. Ainsi, le contenu mis en ligne, sans être
exploité directement par le moteur de recherche, génère de
l’activité pour ce dernier et contribue à développer ses revenus.
L'étude des usages pour Facebook, en France, indique 42% d'actions
liées à des contenus culturels, 28% pour de l'accès direct. Toujours
pour Facebook en France, l’étude indique 39% des actions de
publication et de partage liées à des contenus culturels. Ainsi, les
contenus culturels participent directement à 23% de la création de
valeur explicite des intermédiaires en ligne en Europe. Dans ces
cas, il est aussi évident que la création est un prétexte à d’autres
objectifs, la collecte de données pour la vente d’espaces
publicitaires ; l’œuvre ne doit que servir l’attractivité du réseau. Le
langage est révélateur, on passe des œuvres et de la création au
contenu et à son flux… La création est déclassée, elle ne sert qu’à
attirer des personnes sur les réseaux afin de pouvoir
commercialiser de la publicité et collecter des données
personnelles.
32 Dans un cas comme dans l’autre, l’utilisation de la création comme
prétexte appelle une interrogation sur l'acceptation de ces
exploitations et le partage de la valeur générée entre les
utilisateurs des œuvres et les créateurs des œuvres. La question est
la même pour l’exploitation des œuvres sur Youtube, l’exception de
contenu créé par les utilisateurs, l’idée que le moteur de recherche
ne serait qu’un intermédiaire qui ne ferait pas usage de ces
éléments dans la vie des affaires… La création prétexte engendre
une valeur pour l’exploitant qui doit être partagée avec les auteurs.
Par exemple, l’organisation d’une grande rétrospective d’un
plasticien, avec de nombreux partenaires dont les noms
apparaissent partout appelle nécessairement une rémunération
spécifique des auteurs dont les œuvres sont présentées au public.
Le droit d’exposition25 est le corollaire des actes de communication
faits par les financeurs aux travers des expositions pour construire
ou nourrir leur image auprès du public.
33 La propriété intellectuelle apparaît délaissée, contestée pour
nourrir ces nouveaux modèles. Le contrat est une voie essentielle
pour permettre aux auteurs de retrouver la maîtrise de leurs biens
intellectuels, les actions des sociétés de gestion collective sont aussi
impératives pour qu’un rapport de force s’établisse. La démarche
est délicate car elle est souvent présentée comme corporatiste et
passéiste, alors qu’elle en vise qu’à préserver le droit de propriété
et défendre les créateurs face à des utilisations parasitaires de la
création. Si celles-ci se font, elles doivent économiquement et
directement bénéficier pleinement aux auteurs et propriétaires de
biens intellectuels, avec leur accord au-delà de la juste ou équitable
rémunération dont on souhaiterait de plus en plus qu’ils se
contentent.

B – Les créations comme outil de travail dans l’entreprise


34 Les conditions de travail influencent particulièrement la
productivité des salariés, tant dans un environnement industriel
que dans des sociétés de service. La prise en considération de cet
environnement est l’objet d’une plus grande attention des
entreprises, pour permettre une meilleure implication des salariés.
Dans ce cadre, certaines entreprises ont décidé d’intégrer l’art dans
l’environnement de travail. Les bureaux de Google ont été décorés
pour favoriser le bien-être de l’employé et augmenter sa créativité
et sa productivité. L’art permet d’améliorer l’environnement de
travail et d’offrir aux travailleurs un regard sur le monde. Par
exemple, Jacques Villeglé avait remporté le concours «  Faites de
votre entreprise un lieu d’exposition  » consistant à impliquer
directement les salariés dans l’amélioration de leur cadre de travail
par le choix d’une œuvre d’art. Ainsi, les liens entre entreprise et
art ne se limitent pas aux actions de mécénat. Inviter un plasticien
à une réunion de brainstorming, concevoir des supports
publicitaires sur des matériaux originaux, fédérer les salariés à
travers un atelier de théâtre, transformer l’usine en lui intégrant
des couleurs proposées par un plasticien…
35 Le ministère de la Culture français s’est saisi de la question de l’art
dans l’entreprise en lançant, en 2014, l’opération «  Art &
Entreprise - pour mieux conjuguer culture et monde du travail »26,
et placer le redressement créatif au service du redressement
productif du pays. Le principe est de déployer des mini-expositions
de grandes collections nationales dans les entreprises à travers
l'Hexagone. Cette initiative modeste constitue l'un des éléments de
son plan d'action pour favoriser l'accès des salariés à l'art, mais
aussi pour encourager les synergies entre ces deux univers.
36 Depuis 2014, les obligations attachées au rapport sur la
responsabilité sociale et environnementale portent sur le bien-être
en entreprise (au même titre que les risques psycho sociaux). Le
bien-être dans l’entreprise passe aussi par l'apport du culturel,
outil indispensable au développement de la motivation, de la
transversalité, de la fierté d’appartenance, de l’innovation et de la
créativité. Une exposition ou une collection d’entreprise peut
prendre une forme dynamique et très productive si on
l’accompagne d’actions innovantes.
37 Les collections de la Société Générale, Neuflize Vie, Loist ne servent
pas qu’à décorer les murs. De nombreuses initiatives ont été mises
en place  : rencontres avec des artistes, conférences d’histoire de
l’art, workshops artistiques, journées des talents, acquisitions en
comité mixte (salariés et professionnels)... Il y a une tendance à la
médiation et à l'interactivité avec les salariés afin de permettre une
meilleure appropriation de ces actions. Depuis une dizaine
d’années, BNP Cardiff accueille ses nouveaux collaborateurs avec
des ateliers de team-building créatifs dirigés par des artistes, au
cours desquels ils vont pouvoir réfléchir et s’exprimer sur leur
vision de l’entreprise de manière innovante. Ces workshops
permettent de réfléchir autrement sur des thématiques
managériales et de favoriser la transversalité au sein de
l’entreprise. Plus en amont, pour sa campagne de recrutement,
Sephora a choisi le mouvement Street Art pour sa communication
ressources humaines, renouvelant sa stratégie et s’affichant comme
une marque connectée à son époque et proche de sa cible.
L’intégration de la création par l’entreprise dépasse la seule
question du mobilier design pour entrer plus profondément dans
son fonctionnement. Dans ce cadre, la valorisation de la création se
traduit dans le fonctionnement même de l’entreprise. Les œuvres
se retrouvent mobilisées par l’entreprise, il appartient à cette
dernière de s’assurer que les auteurs sont effectivement rémunérés
pour ces formes d’exploitation de leurs créations.
38 Renault27 avait ouvert ses portes à Arman dès 1967. «  Motivé  […]
par un sentiment ambivalent de sidération et de rejet vis-à-vis de la
société de production de masse »28, il avait saisi cette opportunité de
pouvoir directement puiser son inspiration dans une usine. Cette
dernière devient son nouveau «  palais  » ou son «  magasin de
couleurs »29. Grâce à cette mise à disposition des infrastructures et
des matériaux, Arman a réalisé, par exemple, Murex, accumulation
Renault n° 103. Dans la même démarche, l’entreprise avait ensuite
accueilli dans ses espace Jean Dubuffet qui développa de
nombreuses collaborations. Un département spécial, « Recherches.
Art et Industrie  », avait été fondé pour accompagner une étroite
collaboration entre Renault et ces artistes. La démarche,
développée de 1967 à 1985, était à la fois ambitieuse et
pragmatique. Renault mettait à disposition des artistes un soutien
technique, logistique et humain. Arman développa son art à partir
d’objets issus de la vie contemporaine et accepta de travailler dans
les usines Renault. Au cœur de la technique, il découvrit de
nouvelles formes et des matériaux inédits. Cet atelier de création à
grande échelle ouvrait la voie à d’autres collaborations aussi
fructueuses qu’inattendues : fourniture de pièces automobiles pour
les expansions de César, expertise des ingénieurs de Renault pour
répondre aux interrogations techniques de Vasarely ou Dubuffet,
approvisionnement de Rauschenberg ou de Tinguely qui ironisent
sur les débris de la société industrielle30… L’entreprise mettait à la
disposition de l'artiste un espace dédié dans son atelier mais aussi
les moyens humains et matériels nécessaires à son travail. Elle
l'assistait sur toute la partie ingénierie, en retranscrivant ses
besoins d'un point de vue technique.
39 En demandant des réalisations complexes, l’artiste pousse
l’entreprise dans ses retranchements, ce qui stimule l'esprit de
créativité des équipes, obligées de réfléchir davantage pour trouver
des solutions innovantes, dont l’entreprise pourra s’inspirer par la
suite31. Le rapport entre l’art et l’entreprise prend alors le chemin
d’un cercle vertueux de collaboration.
40 Paris, le 14 décembre 2016

Notes
1. X. Greffe, L’artiste-entreprise, Dalloz 2012.

2. F. Mayssal et A. Barthélemy, Design et Brevet – Quand l’innovation passe par le


design, rapport, éd. INPI 2011.

3. Voir N.  Binctin, «  L’auteur entrepreneur  », Mélanges M.  Germain, LexisNexis-


LGDJ 2015, p. 113.

4. Les costumes du personnel navigant sont également conçus par les plus
grands créateurs de la mode française Carven, Christian Dior, Balenciaga, Nina
Ricci, Jean Patou, et Christian Lacroix.

5. P.  Courault et F.  Bertin, Objets de pub, la réclame objet d’art,  Ouest-France,
Rennes, 2001, p. 10.

6. Outre Perrier et Orangina pour laquelle il a fait 25 créations en 35 ans, on peut


citer la Gitane de 1958, l’Emprunt, 1964, la campagne Air France, 1967, ou encore
Bergasol, 1976.

7. Voir notamment, S.  Denoix de Saint Marc, Le contrat de commande en droit


français, Litec, 1999, coll. IRPI, t. 19.

8. Voir N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, 4ème éd. LGDJ 2016, n° 998 et
s.

9. Th.  W.  Adorno, M.  Horkheimer, La Dialectique de la Raison. Fragments


philosophiques, Gallimard 1983.
10. Voir notamment B.  Miége, Les Industries du contenu face à l'ordre
informationnel, PUG, 2000 ; Capitalisme et industries culturelles, Grenoble, PUG,
2e, éd. 2004.

11. Unesco, Guide pour le développement des industries culturelles et créatives.

12.
http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/images/Comment_utiliser_ce__guidePDF.pd

13. Commission Européenne, Livre vert  - Libérer le potentiel des industries


culturelles et créatives, COM/2010/0183 final  ; voir aussi, Parlement Européen,
Rapport sur une politique communautaire cohérente pour les secteurs de la culture
et de la création, 30 nov.2016, 2016/2072(INI).

14. Rapport E&Y, 1er panorama des industries culturelles et créatives, « Au cœur


du rayonnement et de la compétitivité en France », Novembre 2013.

15. Voir notamment, M.  Lévy et J.-P.  Jouyet, L'économie de l'immatériel  : la


croissance de demain, 2006, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-
publics/064000880/

16. Dans le peloton de tête des industries culturelles, les arts visuels représentent


21,4 milliards d’euros de revenus directs. Ils sont suivis par  la publicité et
communication (14,4 milliards d’euros), la télévision  (12,7 milliards d’euros),  la
presse (11,3 milliards d’euros) et la musique qui pèse 7,9 milliards d’euros.

17. http://www.uis.unesco.org/culture/pages/framework-cultural-
statisticsFR.aspx?SPSLanguage=FR

18. Voir La construction européenne en droit des affaires : acquis et perspectives,


LGDJ 2016, p. 73.

19. Voir la contribution de J.-M. Décaudin.

20. Voir J. Tirole, Economie du bien commun, Puf 2016.

21. Voir aussi la Fondation d’entreprise B.  Braun Médical qui met en place une
exposition artistique itinérante dans les hôpitaux français afin d'améliorer les
conditions de vie des établissements de soin. Chaque année, une carte blanche
est donnée à 10 plasticiens sur un thème défini afin de sensibiliser les différentes
cibles : patients, personnel hospitalier, presse et grand public.

22. http://www.centre-francais-fondations.org/annuaire-des-fondations/1002

23. Sur les intérêts fiscaux du montage, voir notamment la contribution de


A. de Bissy.

24. Roland Berger, Le poids des biens culturels pour les géants du net, rapport
pour la GESAC, sept.  2016,
https://www.rolandberger.com/gallery/pdf/Report_for_GESAC_Online_Intermediaries_2015_Nov_EUR.pd

25. Voir N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., n° 166 et s.

26. http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Discours/Conference-de-
presse-Art-entreprise-pour-mieux-conjuguer-culture-et-monde-du-travail
27. https://group.renault.com/passion/art-et-lifestyle/la-collection-d-art/

28. F. Bousteau, Arman au Centre Pompidou, Beaux-Arts Editions, 2010, p. 26. 

29. F. Bousteau, op. cit., p. 26.

30. Voir aussi la PMI Henriot-Quimper ouvre son usine à des peintres et des
sculpteurs  ; la société France Lanord et Bichaton, PMI dans la maçonnerie et la
menuiserie en Meurthe-et-Moselle, qui a accueilli en 2014 en résidence une
plasticienne.

31. www.chefdentreprise.com - "L'art, un moyen efficace pour développer son


business"

Author

Nicolas Binctin

Professeur agrégé des Facultés de Droit,


Université de Poitiers
© Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2017

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Electronic reference of the chapter


BINCTIN, Nicolas. La Valorisation des créations par l’entreprise In: L'entreprise et
l'art [online]. Université Toulouse 1 Capitole: Presses de l’Université Toulouse
Capitole, 2017 (generated 17 mai 2023). Available on the Internet:
<http://books.openedition.org/putc/3926>. ISBN: 9782379280658. DOI:
https://doi.org/10.4000/books.putc.3926.

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MENDOZA-CAMINADE, Alexandra (ed.). L'entreprise et l'art. New edition [online].
Université Toulouse 1 Capitole: Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2017
(generated 17 mai 2023). Available on the Internet:
<http://books.openedition.org/putc/3824>. ISBN: 9782379280658. DOI:
https://doi.org/10.4000/books.putc.3824.
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