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Titre : L'Afrique et les coups d'état ou l'illusion de la putsch-thérapie

Article · March 2019

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Alexe Fridolin Kitio


Gazi University
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Titre : L’Afrique et les coups d’état ou l’illusion de la « putsch-thérapie »
Alors que de nombreux dirigeants africains s’accrochent au pouvoir désespérément, on a
parfois l’impression que seul un putsch peut libérer les populations de la prison qu’est leur pays
enserré dans la mauvaise gouvernance. Dans son article, Alexe Kitio Kenfack, explique que les
putschistes sont très rarement animés d’une mission en faveur du bien commun. Le pouvoir
arraché, ils en font ce que les prédécesseurs en avaient fait, et souvent pire. Aussi l’auteur
propose d’ouvrir la voie à une parlementarisation de la vie politique africaine à même de
construire « le minimum de consensus social » qui manque souvent aux sociétés africaines.

La dernière tentative de coup d’état en date du 7 janvier 2019 au Gabon a ressuscité le


débat sur une pratique qui pendant toute la seconde moitié du XXe siècle s’était presque imposée
comme « mode normal » d’accession au pouvoir en Afrique. L’Afrique serait-elle toujours en
proie à la « putsch-thérapie » ? Entendue l’illusion même du putsch comme forme de thérapie et
donc de solution au blocage des institutions dans un environnement africain où la démocratie et
l’alternance peinent encore à s’imposer comme règles indiscutables du jeu politique. La présente
réflexion vise à revisiter et à questionner cette posture pour s’en distancer en ouvrant sur des
transformations politiques vertueuses à même de construire le minimum de consensus entre
acteurs, seul gage de la pacification de la vie politique en Afrique.
Le putsch comme arbitre institutionnel du jeu politique africain
De manière générale le coup d’état ou putsch s’entend de l’usage de la force dans
l’accession au pouvoir politique au sein d’un Etat, soit par action militaire, soit par une action
populaire civile, entrainant le renversement illégal des dirigeants en place. Les études des auteurs
Jonathan Powell et Clayton Thyne recensent 475 coups d’état dans le monde, dont un plus grand
nombre en Afrique. Depuis 1950 l’Afrique aura été le théâtre d’un total de 204 putschs, dont 104
échoués, 100 réussis, et 139 complots en vue de coup d’état. Déjà, entre 1960 et 1982 près de
90% des 45 Etats indépendants d’Afrique noire avait connu l’expérience d’un coup d’Etat,
faisant pratiquement de celui-ci un véritable mécanisme institutionnel d’alternance politique. De
1960 à 1999 il y a eu entre 39 et 42 coups d’état par décennie. Tandis que la décennie 2000 est
seulement marquée par 22 putschs en Afrique, et que pour la décade 2010 seuls 16 sont
enregistrés. La dernière tentative au Gabon au même titre que ses devancières dans la même
décennie rappelle donc au bon vieux souvenir des velléités tapies dans l’ombre.
Dans cet ordre d’idées, les bombardements aérien de l’armée française, opérés du 3 au 6
février 2019, sur une colonne de rebelles progressant vers N’Djamena ou encore les contestations
populaires observées en Algérie depuis fin février et courant mars 2019, sont à prendre au
sérieux.
Le putsch comme thérapie politique désigne donc ce reflet qu’est parvenu à renvoyer les
coups d’état comme mode institutionnel « quasi normal » de changement politique à un moment
donné de l’histoire africaine lorsque le jeu politique apparaît comme n’offrant plus d’autres
issues. Le cas de la République Centrafricaine est suffisamment éloquent à ce propos. Ce pays
indépendant depuis le 14 août 1960 a connu pas moins de 5 coups d’état. Alors que l’élection

1
libre peine à s’imposer comme dans bon nombre d’Etats africains à la même époque, le coup
d’état devient l’ultime arbitre d’un jeu politique sclérosé où les acteurs ne veulent ni attendre leur
tour, ni passer la main. La putsch-thérapie s’impose ici comme régulateur politique paradoxal.
Une dynamique quasi identique est observable au Burkina Faso entre 1966 et 2015. Le Burkina
étant d’ailleurs le pays africain avec le plus grand nombre de putsch réussis, soit sept, tandis que
le Soudan détient le record du plus grand nombre cumulé de coups d’état, soit 14 au total.
Putsch-thérapie ou le mythe de la « démocratie bottée »
L’idée d’une transition politique « vertueuse » imposée de force par la combinatoire
« treillis-bottes » a ainsi parfois fait son chemin. Alain Antil notait à ce sujet qu’on ne peut pas
dire que tous les putschs sont mauvais. Dans l’histoire, certains ont été opportuns. Les exemples
du Ghana sous Jerry Rawlings ou d’un Mali réinventé sous Amadou Toumani Touré sont forts
révélateurs. Mais le mythe de « l’Etat garnison » ou « Etat caserne » va vite se heurter à des
limites, les exemples précédents s’avérant très souvent n’être que l’arbre qui cache la forêt.
Même la Déclaration d’Alger de 1999 par laquelle les Chefs d’Etat et l’Union Africaine
s’inscrivent en porte à faux contre cette pratique des putschs n’y aura rien changé, vu que même
le président en exercice de l’Union Africaine en 2019, l’Egyptien Al Sissi, est lui-même issu
d’un coup d’état de 2013.
Impact des putschs
Suivant une tradition établie, les coups d’état n’ont toujours conduit qu’à une
appropriation privée et rentière du pouvoir par les différents groupes, loin des paradigmes
révolutionnaires, de transformation et de rupture ayant motivé l’action initiale. C’est la
théorisation de « l’Etat butin de guerre » dont l’avenir miroite entre dépeçage et déliquescence.
De manière générale, le sous-développement de l’Afrique, l’absence de diversification des
économies source de dépendance et de marginalisation du continent, le doivent le plus souvent
aux coups d’Etat. Ici, le raccourci de la spécialisation dans les matières premières ou les
ressources extractives a rapidement été érigé en modèle aux mains des seigneurs de guerre hier
comme aujourd’hui au Libéria, en Sierra Leone, au Nigeria sous Sani Abacha, Au Burkina Faso,
en Guinée, en Lybie, en Somalie ou en RDC.
Pour un renforcement de la parlementarisation de la vie politique africaine
En dépit des différents modèles précédemment articulés, Raymond Carré de Malberg
rappelait qu’il n’y a pas de place dans le droit constitutionnel pour une théorie juridique des
coups d’Etat. Aussi pour sortir de cette pratique, l’urgence est au dialogue et à la
parlementarisation du jeu entre les élites politiques, c’est-à-dire la recherche d’un minimum de
consensus. La parlementarisation de la vie politique ne saurait s’apparenter à une formule
magique tant les expériences et les trajectoires du politique peuvent être fluctuantes d’un pays à
l’autre. Néanmoins le substrat communautaire commun des sociétés africaines dans un rapport
différencié eut-égard aux modèles segmentaires d’ailleurs, doit être renforcé et mis en avant. En
réalité, les dynamiques politiques commencent à offrir une configuration d’ouverture lorsque les
élites intègrent le passage du combat au débat. La poignée de main historique au Kenya entre les
« frères » ennemis (Uhuru Kenyatta et Odinga), la diplomatie de paix du premier ministre

2
éthiopien Abiy Ahmed dans la Corne de l’Afrique, ou encore la transition observée en
République Démocratique du Congo entre les présidents Kabila et Tshisekedi, sont autant de
révélateurs du pouvoir du dialogue, pour taire à jamais le pouvoir des armes et de la violence
dans les dynamiques politiques africaines.

http://www.libreafrique.org/Alexe-Kitio-illusion-putsch-therapie-afrique-270319

https://www.afrik.com/l-illusion-de-la-putsch-therapie-en-afrique

http://madagascar.niooz.fr/l-illusion-de-la-putsch-therapie-en-afrique-30375996.shtml

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