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Résumé INTRODUCTION
Dans cet article, nous proposons de Les évolutions socio-politiques au
comprendre l’émergence des groupes Burkina Faso ces dernières années, ont
d’autodéfense « les koglwéogo ». conduit à de profonds bouleversements des
L’émergence de ces entités d’auto-défense formes de l’État, des politiques publiques
répond à une exigence dans un et des paradigmes fondant l’action
environnement où la multiplication des politique. Ces bouleversements ont conduit
attaques à main armée des vols d’animaux à l’élaboration de nombreuses réformes de
et d’autres formes de violences perpétrées l’État cherchant à refonder celui-ci. Les
contre les populations dans les milieux années 2015-2016 voient la coïncidence de
ruraux et péri-urbain dans le contexte modifications structurelles profondes dans
d’une gouvernance en pleine le domaine de la sécurité avec l’émergence
déliquescence, les communautés ont décidé de nouveaux acteurs. Cette multiplication
de s’organiser par elle-même, avec ses des acteurs tente de remettre en cause le
propres moyens matériels et humains et en rôle de l’État comme principal acteur dans
toute indépendance et autonomie vis- à- vis le domaine sécuritaire par ces nouveaux
de l’État, sous la forme de groupes acteurs aussi bien au niveau global que
d’autodéfense communautaires dont les local. La crise socio- politique réduit les
koglwéogo. Ces acteurs qui semblaient être ressources dont l’État dispose et la
une alternative à la sécurité, sont plus ou multiplication des domaines des politiques
moins perçus, de par les exactions de augmente ses difficultés à gérer des
certains de leurs membres comme une groupes et des intérêts issus des
source d’insécurité. En mettant la main sur revendications de plus en plus nombreux et
la chaine répressive dans son ensemble, les provoque ainsi un « constat désenchanté
Koglweogo s’arrogent le droit d’arrêter, de sur l’État et ses défaillances »1. Un constat
juger et de sanctionner, par des amendes, d’échec porté sur les politiques publiques
sévices corporels et humiliations, au terme sécuritaire. Depuis les années 2015-2016,
de tribunaux populaires expéditifs. Ils se les représentants politiques comme un
rendent ainsi coupables d’infractions au certain nombre de scientifiques évoquent
droit. Les défenseurs des droits humains et tour à tour la crise de l’Etat providence.
les représentant du système judiciaire tirent Pour le sociologue E. MORIN, le
la sonnette d’alarme et dénoncent un concept de crise se définit à partir de
groupe en pleine expansion qui pourrait quatre traits caractéristiques : « une ou
devenir difficilement maitrisable, jusqu’à plusieurs perturbations qui rendent un
mettre en péril les structures de l’Etat de système incapable d’apporter des solutions
droit et de la cohésion sociale. 1
MASSARDIER, (Gilles), Politiques et action
publiques, Paris, Armand Colin, 2003.
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beaucoup plus large, mais nous retenons vision bottom up de l'action publique, qui
celle du Programme des Nations Unies se traduit notamment par l'hypothèse que
pour le Développement (PNUD), qui les services extérieurs de l'Etat, loin de se
conçoit la sécurité comme « la protection réduire au seul rôle de mise en œuvre plus
contre tout événement brutal susceptible de ou moins passive et conformiste,
perturber la vie quotidienne ou de porter participent de manière active, et en lui
préjudice à son organisation dans les imprimant leur propre logique, à la
foyers, sur le lieu de travail ou au sein de production des politiques publiques au
la communauté »15. La notion de la concret. Il s’agit de donner la possibilité
sécurité, contrairement16 aux approches (…) aux acteurs non- étatiques dans le
basées sur la sécurité nationale qui domaine de la sécurité, permettant aux
privilégient l’État reléguant ainsi l’individu « citoyens de développer leur propre
au second plan. A la sécurité classique, résistance face à des situations
centrée sur la défense militaire de la difficiles »20. La sécurité humaine réside «
population et du territoire, se sont ajoutées dans l’aptitude de chacun à agir de façon
des dimensions nouvelles : renouveau de la autonome, pour son propre compte mais
problématique terroriste, prolifération des aussi pour celui d’autrui »21. La « sécurité
armes, de grands banditismes etc. Peu à humaine » développe une conception de la
peu, des dispositifs, (…) se sont ainsi sécurité qui n’est plus nationale mais
construites de véritables politiques globale, qui n’est plus militaire mais civile,
publiques de sécurité qui concernent et qui a pour sujet l’être humain et ses
l'action de la police, de la justice ou encore besoins fondamentaux22. Pour reprendre
les politiques de la ville17. Axworthy, L'édification23 d'un État
Le rapport du millénaire du démocratique et efficace, qui reconnaît la
Secrétaire général de l’ONU indique que le valeur de sa population et protège les
monde se dirige vers un nouveau concept minorités, est un élément essentiel de la
de sécurité : « Il s’agit aujourd’hui de stratégie de promotion de la sécurité
protéger les communautés et les individus humaine dont relève les koglwéogo. Par
des actes de violence internes »18. Une19 ailleurs, l'amélioration de la sécurité
attention privilégiée sera donnée à une humaine de la population renforce la
15 20
PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR BASTY, (Florence), La sécurité humaine : un
LE DEVELOPPEMENT (PNUD), Les nouvelles renversement conceptuel pour les relations
dimensions de la sécurité humaine, Rapport internationales, Op. Cit. p. 4.
21
mondial sur le développement humain 1994, Paris, Commission sur la sécurité humaine, La sécurité
Editions, Economica, 1994, p.23-47. humaine maintenant, Paris, Presses de Sciences Po,
16
BASTY, (Florence), La sécurité humaine : un 2003.
22
renversement conceptuel pour les relations GERVAIS, (Myriam) et ROUSSEL, (Stéphane),
internationales, Presses de Sciences Po, n° 32,2008, « De la sécurité de l’État à celle de l’individu :
p. 25. l’évolution du concept de sécurité au Canada
17
BAUER, (Alain), SOULLEZ, (Christophe), Les (1990-1996) », Etudes Internationales, vol. XXIX,
politiques publiques de sécurité, Paris, PUF, 2011 mars 1998, p. 25. ; RIOUX, (Jean-François) (dir.),
18
Voir le rapport du millénaire du Secrétaire La sécurité humaine : une nouvelle conception des
général de l’ONU, 2002, Nous les peuples – Le rôle relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2001.
23
des Nations Unies au XXIe siècle. AXWORTHY, (L.), « La sécurité humaine : la
http://www.un.org/french/millenaire/sg/report/ sécurité des individus dans un monde en
19
THOENIG, (Jean-Claude), La gestion systémique mutation », Politique étrangère, n°2 - 1999 -
de la sécurité publique, Revue française de 64ᵉannée. pp. 333-342;
sociologie, 1994, 35-3. doi : https://doi.org/10.3406/polit.1999.4857
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dans chaque commune rurale de Saponé, et qu’éprouvent les services de l’Etat (police,
à Kaya et à Fada N’gourma, de Karangasso gendarmerie, justice) à mettre un terme à
vigué. Les personnes interrogées ont été l’insécurité. Ils seraient nés dans un
identifiées avec l’aide d’individus et contexte d’insécurité (1) dû à la faillite de
d’organisations de la société civile. Les l’Etat (2).
entretiens ont été réalisés en français, en
fulfulde, la langue parlée par l’ethnie 1- Dans un contexte d’insécurité
peulh, en moorée et en dioula avec l’aide
d’interprètes. Depuis le début des années 1990, le
La première partie de cet article Burkina Faso connaît une criminalité
s’intéresse à la genèse des politiques marquée par la violence qui suscite une
publiques au travers d’un questionnement psychose collective et un sentiment de
sur les contextes sociaux, politiques ou révolte au sein des populations, aussi bien
administratifs qui conduisent aux décisions dans les villes que dans les campagnes. Les
constitutives des koglwéogo. La deuxième manifestations les plus courantes de cette
partie se doit d’étudier la reconnaissance criminalité enregistrées par les services de
des koglwéogo comme acteurs de la sécurité montrent qu’il s’agit très souvent
sécurité, les processus de décision, les d’attaques à main armée, de cambriolages
normes, les pratiques et les résultats de ces aussi bien dans les maisons de commerce
acteurs dudit champ. que dans les domiciles privés. De plus en
plus, le constat établi fait ressortir que ces
I- LA GENESE D’UNE attaques à main armées sont commises de
NOUVELLE REFERENTIELLE jour sur les axes routiers et de nuit dans les
D’ACTION centres urbains. En témoignent les
innombrables braquages sur les axes
A partir de 2013, des groupes « routiers, des cambriolages et des attaques
Koglweogo » ont vu le jour dans la armées, avec à la clé des pertes en vie
province du Bazèga (région du centre-sud), humaine, l’abus des drogues sont d’autant
sans reconnaissance juridique aucune et d’aspects de cette insécurité. Nombreux
souvent à l’insu de l’administration sont les citoyens des villes et des
publique, ce qui a commencé à attirer campagnes qui ont été victimes de ces
l’attention des autorités locales. Ces malfaiteurs.
groupes se sont constitués, par contagion Au regard des armes utilisées et de
de proximité, dans les régions l’ingéniosité avec laquelle ces braquages
administratives du centre-nord, du plateau sont effectués, des personnes interrogées
central, du centre-est, de l’est, du centre- estiment que la société ressent un malaise
ouest, du sud-ouest et plus récemment, profond non seulement, par la présence au
dans les régions du Sahel et du centre. sein des communautés des différentes
formes de crimes et délits, mais aussi par
A- L’EMERGENCE DES l’implication dans le phénomène les
KOGLWEOGO militaires ou les policiers radiés 2011. Si la
criminalité violente et non violente a des
C’est suite aux méfaits des bandits incidences directes beaucoup plus
sur les populations et aux difficultés importantes sur certains individus et
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complexe, aux contours flous, qui interagit durée, ces entrepreneurs doivent donc
dans la mise en œuvre de l’action publique. développer leurs idées et propositions à
Plutôt que de dénier la pluralité des centres l’avance afin de pouvoir agir dès
de pouvoirs et la fragmentation des l’ouverture de cette fenêtre et avant que
programmes de lutte contre l’insécurité, il celle-ci ne se referme.
entend désormais s’appuyer sur les Pour reprendre FERRET : «
ressources des acteurs non étatiques. l’entrée par le discours et sa construction
Le gouvernement de Roch Marc déboucherait sur une réflexion assez
Christian KABORE montre son intérêt féconde, tenant compte des deux axes, faits
pour la question de l'émergence des et idées, les faits influençant la
koglwéogo dans le domaine de la sécurité, construction d’un système de pensée qui
des acteurs politiques et administratifs se joue à son tour, sur la manière dont sont
mobilisent pour faire ressortir et publiciser lus les faits »63. Face aux députés de
l’intervention des koglwéogo dans le l’Assemblée nationale le 22 avril 2016,
domaine de la sécurité et en faire une Simon Compaoré souligne en ces termes :
priorité de l’agenda gouvernemental. Les « Ceux qui sont dans les bureaux, sous les
Koglweogo sont rapidement devenus un climatiseurs et qui déclarent de manière
enjeu politique et font régulièrement péremptoire, qu’il faut sortir un décret
l’objet d’un discours bienveillant du supprimant les Koglwéogo (...), ceux qui
gouvernement à travers l’ancien ministre pensent qu’on va prendre un décret et dire
de la Sécurité, Simon Compaoré. Il que telle structure d’initiative n’existe
procède ainsi à une série de sorties sur le plus, se trompent. Ce n’est pas nous qui
territoire burkinabè pour discuter avec les avons créé les Koglwéogo (...). Nous
représentants des Koglweogo et des acteurs avons plus de 8 900 villages, 45 provinces,
traditionnels de la sécurité. Il profite lors 13 régions, 358 communes urbaines et
de son passage à Kantchari pour souligner rurales. Quelle que soit notre bonne
que : « Depuis trois jours maintenant, volonté, on ne peut pas avoir en nombre
partout où nous sommes passés, les suffisant des gendarmes, des policiers pour
policiers, les gendarmes m’ont dit qu’ils assurer la sécurité des paysans (...). Ce
mènent le même combat avec les faisant, ces discours rendent possible,
Koglweogo »61. Cette mise en récit établit orientent et justifient l’action que les
ainsi un lien entre ce qui est aujourd’hui et pouvoirs publics adoptent ou doivent
ce qui devrait être demain, lien qui a pour adopter.
effet de circonscrire les actions et solutions Dans ce contexte d’incapacité de
pouvant être mises en œuvre62. Les l’Etat à répondre au besoin de sécurité des
fenêtres d’opportunité étant de courte populations et sur la nécessité de compter
sur les alliés locaux aussi bien à la
61
SAWADOGO, ( Tiga Cheick), Simon Compaoré campagne qu’en ville. Ces groupes
aux Koglweogo de Kantchari : « Même les chiens d’autodéfense ont en effet fait preuve
ont des papiers », Journal, Lefaso.net, 17 janvier d’utilité selon une partie de la population
2018.
62
RADAELLI, (Claudio M.), “Fenêtre
d’opportunité”, In : Dictionnaires des politiques 63
FERRET, (J.), "Y aura-t-il des élections cette
publiques, 3e édition, sous la direction de Laurie année ? Technologie des partenariats et oubli du
Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet, politique", Les Cahiers de la sécurité intérieure,
Paris, Presses de Sciences Po, 2010. n°50, 2002.
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vivant dans des zones où les forces de Ce nouveau modèle implique une
sécurité sont absentes ou bien ne sont pas reconnaissance des koglwéogo (1) et la
proactives. Les acteurs traditionnels de la subordination des koglwéogo aux
sécurité sont appelée à composer avec ces exigences de l’Etat (2) avec la
nouveaux acteurs. En contrepartie, les transformation conséquente des normes,
acteurs politiques de l’opposition et des règles et procédures guidant la mise au
organisations de la société civile suggèrent point des politiques publiques.
au gouvernement d’assainir le secteur en
définissant leurs champs d’action. Dans cet 1- Vers une reconnaissance des
ordre idée, l’Etat providence va mobiliser acteurs
des instruments juridiques pour délimiter
strictement leurs prérogatives et modes Nombre de représentants politiques
d’intervention, des koglwéogo. perçoivent le sentiment d’insécurité
comme la résultante d’un sentiment
II- VERS UNE LEGISLATION ET d’impuissance des individus face aux
UN ENCADREMENT DES phénomènes de délinquance, impuissance
KOGLWEOGO amplifiée par l’impression de ne pas être
entendus par les pouvoirs publics. Ils ont
Les protestations se font néanmoins donc vu dans l’organisation des koglwéogo
virulentes au sein de l’opinion publique, de un moyen de développer les occasions
la presse et de l’opposition dont tous d’échanges et de coopération. A partir des
réprouvent les dérives des milices informations détenues par les habitants et
patronales et s’inquiètent des risques en des attentes qu’ils formulent, ils espèrent
termes de libertés publiques. Suite aux apprécier plus finement les types de
inquiétudes, les pouvoirs publics ont programmes à engager et leurs impacts sur
souhaité réglementer ces koglwéogo pour le degré de satisfaction de la population.
qu’ils ne puissent plus agir au mépris des Au-delà, une collaboration des koglwéogo
libertés publiques, mais très vite, le est recherchée pour limiter, outre le
pouvoir politique sera confronté à la sentiment d’insécurité. Les pouvoirs
difficile mise en œuvre de la police de publics pensent que cette implication est
proximité (B). susceptible de produire une réduction des
taux de grand banditisme et générateurs de
A- LA DECISION POLITIQUE sécurité, en reconnaissant les acteurs non-
étatiques, de prendre en charge, pour
L’idée de monopole étatique partie, la sécurité des populations de leurs
suppose la suprématie d’une décision différentes localités. Lors de nos entretiens,
publique traversant le fil de la hiérarchie une autorité dans le domaine de la sécurité,
administrative pour être appliquée telle il souligne que : « comprendre la
quelle aux niveaux opérationnels résurgence des acteurs locaux comme la
d’intervention. Il insiste désormais sur ses manifestation de la crise de l’Etat est sans
efforts pour rassembler l’ensemble des doute peu satisfaisant ».
intervenants autour d’un projet d’action Il ne s’agit ni la faillite de l’Etat ni
concerté. Il affirme un nouveau modèle sa privatisation, mais plutôt sa
d’action publique fondé sur le partenariat. réorganisation permanent en n’impliquant
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les acteurs locaux sans pour autant les tenir gouvernement se les approprie »67. De
a priori pour une atteinte à son autorité et à l’encadrement de ces associations d’auto-
sa souveraineté. Au fur et à mesure défense, le ministre en charge de la
qu’augmentent les vulnérabilités et les Sécurité a fait savoir que « le
menaces qui pèsent sur la quiétude des gouvernement compte, non seulement les
populations, une pression s’exerce sur les obliger à se faire reconnaître légalement,
États pour qu’ils prennent des mesures mais aussi les accompagner en termes de
dans un contexte où « l’Etat ne peut plus coordination et de suivi de leurs activités
tout faire »64, il est donc indispensable de de prévention de l’insécurité tout en
parvenir à la lutte contre l’insécurité sans formant leurs membres au respect des
l’accompagnement des acteurs non- droits humains »68. L’action publique ne
étatiques. En 2016, le Ministre Simon doit plus simplement être le résultat d’un
COMPAORE, effectue une tournée à la choix politique, de préférences ou de la
rencontre des koglwéogo où ils sont mise en œuvre d’intérêts de groupes
installés. A cette occasion et en présences minoritaires et puissants mais doit
des acteurs sécuritaires, le Ministre salue la s’appuyer sur des normes. Toujours dans
contribution de ces acteurs locaux dans la sa plaidoirie pour le maintien de ces
lutte contre l’insécurité et face aux députés, groupes d’auto-défense, il a révélé que :
il souligne que : « Les systèmes de sécurité « dans le cadre de la relecture du décret
et de justice mis en place par l’Etat dans sur les Comités locaux de sécurité, un
beaucoup de localités ne permettent pas projet prévoit la reconnaissance par l’Etat,
une protection des personnes et de leurs des structures communautaires de sécurité,
biens, laissant les populations à elles- nées de la volonté des populations à la
mêmes face aux délinquants. Ce qui donne base, dans les villages, secteurs, milieux
une certaine légitimité à ces groupes socio-professionnels pour la prévention de
d’auto-défense»65. Cet argument produit l’insécurité et leur encadrement par une
l’adhésion du gouvernement à ce groupe. Il coordination communale de sécurité
a par ailleurs indiqué que : « le dirigée par le maire. Mieux, il a estimé
gouvernement a privilégié la voie de la qu’une bonne mise en œuvre de ce
sensibilisation et de l’encadrement de ces mécanisme permettra de mettre un terme
associations d’auto-défense »66. aux actions désordonnées et aux dérives
Alors, « des solutions au problème des Koglwéogo, tout en leur accordant un
sont formulées, légitimées (par le biais crédit de légalité au même titre que les
d’un consentement politique) et le autres associations »69.
Désormais, les acteurs intervenant
traditionnellement sur les questions d’ordre
sécuritaire vont devoir collaborer avec les
64
BOURCART, (Léo), « The state can’t do
everything any more : understanding the evolution nouveaux acteurs. Cette décision
of civil defense policies in France », In :
Resilience : International Policies, Pratiques and 67
JACQUOT, (Sophie), « Approche séquentielle
Discours, vol3 n0 1, 2015, p. 44. (stages approach) », In : Laurie Boussaguet et al.,
65
TANKOANO, (Mamouda), Simon Compaoré à Dictionnaire des politiques publiques, Presses de
propos d’une éventuelle récupération politique des Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Références », 2014 (4e
koglweogo : « Celui qui s’amuse, il va se brûler les éd.), p. 82-90.
doigts», Journal Le pays, 25 avril 2016. 68
Ibidem.
66 69
Ibid. Ibid.
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« implique la prise en compte du contexte les discours servent les acteurs qui les
dans lequel elle s’inscrit et des contraintes véhiculent pour donner de la cohérence à
qui pèsent sur l’action publique : leurs propres actions, pour rationaliser
institutions »70. Celui-ci n’imposerait plus leurs propres choix, ils permettent aussi de
le changement social par le biais d’un droit « convaincre [et persuader] les autres
autoritaire mais fédèrerait les initiatives, acteurs politiques de la plausibilité et de la
initierait des coopérations, expérimenterait légitimité de leurs idées »73. A l’issu d’un
de nouvelles modalités d’action, forum national sur la sécurité, organisé à
informerait, conseillerait et coordonnerait Ouagadougou, le 18 octobre 2017, les
l’ensemble des interventions. L’État entend forces vives de la nation ont formulé une
conserver un rôle prépondérant dans la dizaine de recommandations en vue
définition des objectifs et des priorités d’améliorer l’offre de sécurité au Burkina
d’action publique71. Par ce biais, l’État Faso dont la a prise en compte des
concilie la nécessité de définir de grandes opinions des acteurs non étatiques tels que
orientations politiques nationales avec une les groupes d’auto-défense dans un
marge d’initiative indispensable des nouveau plan d’actions sécuritaire et
gouvernés72. Ces groupes seront désormais l’encadrement de ces groupes d’auto-
encadrés par l’Etat et se conformer à la défense suivant les textes en vigueur. Le
réglementation en matière de détention et processus d’élaboration des orientations de
de port d’armes à feu en vigueur au la sécurité souligne en effet la nature
Burkina Faso. À travers cette démarche, le restreinte du forum au sein duquel les
gouvernement burkinabé cherche à directives de prise en charge sont élaborées
contrôler plus fermement les groupes et le petit nombre d’acteurs qui y ont accès.
d’autodéfense tandis que des réflexions
sont en cours pour créer une police de 2- La subordination des koglwéogo
proximité qui pourra inclure toutes les aux exigences de l’État
initiatives locales de sécurité.
L’action publique sécuritaire L’État entend conserver un rôle
devient alors le produit d’une négociation prépondérant dans la définition des
entre l’Etat et des acteurs non étatiques. Il objectifs et des priorités d’action
insiste sur la nécessité d’avoir un publique74. Au travers d’un jeu subtil
récépissé : demander à avoir un papier aux intriquant pédagogie et injonction. Il ne
préfets, aux maires, aux hauts s’agit plus pour lui d’imposer le
commissaires (…), c’est très important. Si changement par le biais d’un droit
autoritaire, mais de fédérer des initiatives,
70
HALPERN, (Charlotte), « Décision », In : Laurie de susciter des coopérations et d’impulser
Boussaguet et al., Dictionnaire des politiques de nouvelles modalités d’action. Par ce
publiques, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « biais, l’État concilie la nécessité de définir
Références », 2014 (4e éd.), p. 205.
71
PAPADOPOULOS, (Y.), Complexité sociale et
73
politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1995. DIETMAR, (Braun) « Interests or Ideas? An
72
GLEIZAL, (J.-J.), L’élaboration des politiques de Overview of Ideational Concepts in Public Policy
sécurité en France (1982-2002), In : FROMENT, Research. » Dans D. Braun et A. Busch, dir. Public
(J.-C.), GLEIZAL, (J.-J.), KALUSZYNSKI, (M.) Policy and Political Ideas. Cheltenham: Edward
(dir.), Les États à l’épreuve de la sécurité, Elgar Publishing, 1999, p 14.
74
Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, PAPADOPOULOS, (Y.), Complexité sociale et
2003, p. 33. politiques publiques, Op. Cit.
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associations se créent librement, elles se à d’autres acteurs non étatiques que dans le
doivent d’avoir un récépissé délivré par respect de la légalité, d’où le décret sur la
une autorité compétente. En usant de ses police de proximité. C’est dire aussi qu’un
normes, l’Etat tente de canaliser, d’orienter acteur non Etatique ne peut pas s’autoriser
et d’instrumentaliser ces acteurs pour d’exercer une telle mission sans avoir été
qu’ils contribuent à la restauration de son habilité par l’Etat. Au regard de ces
efficacité et de sa légitimité, en obligeant règlementations de leurs activités, les
les koglwéogo à se conformer aux lois de koglwéogo, se sont abstenus de se
la république et ne pas avoir une mission conformer à la loi qui détermine leurs
de souveraineté comme domaine d’activité modes d’intervention. Par conséquent, ces
d’où le refus des koglwéogo. Son ambition groupes ne peuvent avoir cette mission et
est d’éviter les dérives particularistes que ne peuvent se l’approprier et agissent dans
pourrait causer les koglwéogo. Malgré le un cadre non conforme à la loi sur la
décret portant la police de proximité, liberté d’association et non reconnu par les
l’Histoire s’est chargée de démontrer, que lois de la république. En son article 12, ces
les autorités étatiques n’ont pu maîtriser SCLS devront avoir une base légale,
totalement la mise en œuvre effective des respecter l’intégrité physique des présumés
politiques engagées. La hiérarchie peine à bandits, s’abstenir de prélever des « impôts
imposer sa rationalité à des exécutants qui ». Aly Son souligne que : « ce groupe a
ne poursuivent ni ne respectent l’ensemble fait de la sécurité publique un travail à
des consignes et objectifs qu’elle temps plein. Et s’ils ne veulent pas se
détermine. conformer à la loi, c’est parce que la
police de proximité telle que prévue et
B- LA DIFFICILE MISE EN organisée par la loi est une activité
ŒUVRE DE LA POLICE DE bénévole, qui ne peut nourrir son
PROXIMITE homme »85.
Lorsque l’idée de bénévolat est
A bien des égards, l’Etat n’est proposée aux koglwéogo, elle n’a pas fait
guère en mesure d’imposer unilatéralement pas l’unanimité au sein du groupe. Ainsi,
ses décisions à ses exécutants d’où la les acteurs à l’échelle nationale portent de
défiance de l’Etat par les koglwéogo à manière dominante un discours
l’égard de la loi sur la police de proximité s’inscrivant clairement dans le cadre la
(1) et les exactions commises par ceux-ci prise en charge, voire de réintroduire une
(2). participation financière des koglwéogo, Ce
type de condition pose donc un obstacle
1- La défiance de l’Etat par les très clair à toute tentative de de légalité de
koglwéogo à l’égard de la loi sur la ces groupes et l’absence de moyens
police de proximité contraignants et de capacités financières à
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brouiller les repères existants entre les des relations trop étroites. En définitive,
rôles des acteurs, les échelles d’action pour l’administration juridique, les
publique et les étapes du processus koglwéogo n’existent pas comme
décisionnel89. « L’instabilité, la faible partenaire à part entière. L’intensité des
maîtrise et les ambiguïtés (voire les relations avec les forces de sécurité varie
contradictions) font souvent partie de en fonction des localités, et du degré de
l’action publique qui parfois s’apparente à présence de celles-ci. S’il n’est pas rare
un bricolage aléatoire d’activités que Koglweogo et forces de l’ordre
hétérogènes portées par des acteurs s’entendent et coopèrent sur certaines
multiples, fragmentés et fluctuants »90. Ce affaires, il arrive aussi que des Koglweogo
sont ces caractéristiques floues et soient arrêtés et mis en prison lorsque les
incertaines du processus de l’intervention autorités estiment que ces derniers vont
de koglwéogo dans le domaine de la trop loin. En outre, imprégnée de l’image
sécurité. fortement connotée des milices, l’opinion
Pour reprendre les termes de publique craint les dérives éventuelles d’un
l’analyse autour du concept de « travail contrôle social abusif.
institutionnel », ces nouveaux acteurs
pourraient entreprendre un travail de « 2- Des exactions commises par des
déstabilisation » des institutions existantes, koglwéogo
en opposition avec le travail de « maintien
» réalisé jusqu’à présent par les acteurs91 La brutalité des méthodes de ces
des forces de défense et de sécurité. Il groupes suscite de vives inquiétudes dans
s’agirait alors d’analyser les interactions la population et parmi les défenseurs des
entre acteurs. Les membres du parquet sont droits humains. « Si la quête ou le besoin
réticents à s’investir aux côtés du pouvoir de sécurité et de justice des populations est
politique considérés, face à la immense et pressant, cela ne devrait
multiplication des affaires politico- nullement faire le lit des pratiques
judiciaires. Pour ne pas freiner leur action illégales, attentatoires aux libertés et
en cas de poursuites éventuelles, ils droits fondamentaux », souligne un
redoutent et évitent d’entretenir avec eux enquêté. Leurs méthodes, parfois faites de
tortures, de traitements humiliants et
89
HASSENTEUFEL, (Patrick), et FONTAINE, dégradants, de séquestrations entraînant
(Joseph), “Quelle sociologie du changement dans
parfois des morts, sont dénoncées par les
l’action publique ? Retour au terrain et
"refroidissement" théorique”. In : To change or not défenseurs des droits de l’homme, à
to change ? Les changements de l’action publique à l’instar du Mouvement burkinabé des
l’épreuve du terrain, sous la direction de Patrick
Hassenteufel et Joseph Fontaine, 9–29. Res Publica, droits de l’homme et des peuples
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002. (MBDHP), contraignant les autorités à
90
HASSENTEUFEL, (Patrick), Sociologie réagir pour que la dignité de la personne et
politique : l’action publique, Paris, Armand Colin,
2011. la vie soit respecté. Lors d’une conférence
91
LAWRENCE, (Thomas B.), et SUDDABY, de presse, le 7 mars 2016, Simon
(Roy) “Institutions and institutional work”. In :
Compaoré, le ministre de l’Intérieur,
Handbook of organization studies, 2e édition, sous
la direction de Steward R. Clegg, Cynthia Hardy, soulignait que : « Ces groupes
Thomas B. Lawrence et Walter R. Nord, 215–254. d’autodéfense doivent s’exercer en toute
Londres, Thousand Oaks, New Dehli : Sage
Publications, 2006. légalité et commencer par se faire
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L’émergence des koglweogo dans le secteur de la sécurité au Burkina Faso
reconnaître […] On ne peut pas penser un meurtres du chef de village ainsi que les
seul instant qu’il est possible pour l’État membres de sa famille qui seraient le fait
central d’installer des brigades de de groupes islamistes armés. Après ces
gendarmerie dans chaque village. Nos massacres, des ordres auraient été donné
moyens humains et matériels sont limités par des koglwéogo d’« exterminer tous les
»92. Alors ces acteurs apparaissent « ainsi hommes peuls » accusés d’avoir aidé les
comme l’érosion de la souveraineté de « terroristes » et à provoquer « un
l’Etat93 ou comme la manifestation d’une carnage »97.
souveraineté fragmentée »94. Des déplacés ont décrit ce qu’ils
Ce groupe aux contours encore considèrent comme étant des efforts
flous et dont l’existence même fait débat déployés de manière organisée par la
s’est illustré par des attaques meurtrières communauté adverse et sa milice pour
contre les populations dans plusieurs détruire leurs moyens de subsistance et, à
localités du pays. Parmi ces attaques on terme, les pousser à partir de leurs villages.
peut citer celles des membres de la Des Peuls, parmi lesquels des dirigeants,
communauté peulh de Yirgou dans la assurent que les groupes d’autodéfense ont
province du Sanmentaga. Dans cette utilisé la lutte contre les islamistes armés
localité, la communauté mossi vivant avec comme un prétexte pour expulser les Peuls
les peulh, les accuse d’être des des terres fertiles.
informateurs, des alliés des djihadistes, De nombreuses personnes ont
pourtant difficile à prouver. Le journal souligné lors du focus group que : « la
wakat sera relève que : « sur la base de communauté moaga, traditionnellement
simples suspicions et de fausses agricoles, et la communauté peulh,
accusations, les groupes d’auto-défense traditionnellement pastorales, ont depuis
Koglwéogo avec certains villageois de longtemps des désaccords concernant
Yirgou, « ont attaqué une vingtaine de l’accès aux terres et aux ressources en
villages et ont perpétré des massacres sur eau. Mais ces désaccords ont rarement
des membres de la communauté Peulh débouché sur des affrontements sanglants,
pendant trois jours (1er au 3 janvier 2019) mais avec l’ingérence des koglwéogo ont
»95 dont 210 personnes qui ont été tuées au débouché à ce massacre ». Dans
cours de cette barbarie et plus de 19 000 Franceinfo, le président du Mouvement
déplacés96. Ces massacres commis par des burkinabé pour les droits de l'homme et
koglwéogo semblent être pour venger des des peuples (MBDHP) Chrysogone
Zougmouré, révèle également que : « le
92
problème de cette montée de la justice
Ibid.
93
BLOM HANSEN, (T.), STEPPUTAT, (F.) (eds), privée, de ces gens qui font justice eux-
Sovereign Bodies. Citizens, Migrants and States in mêmes est une très grande menace pour le
the Postcolonial World, Princeton/Oxford, vivre ensemble et les rapports
Princeton University Press, 2005.
94
David PRATTEN, Atreyee Sen, Global
97
Vigilantes: Perspectives on Justice and Violence, DOUCE, (Sophie), Au Burkina Faso, les Peuls
Londres, Hurst, 2007, p. 423. victimes d’une stigmatisation meurtrière, Journal
95
BOUGOUM, (Bernard), Yirgou: « Le monde Afrique, du 04 février 2019. En savoir
L’extermination a été planifiée », selon le CISC, plus
Journal Wakat sera, 1 février 2019. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/04/
96
DRABO, (Colette), Drame de Yirgou, Journal Le au-burkina-faso-les-peuls-victimes-d-une-
pays, 04 février 2019. stigmatisation-meurtriere_5418966_3212.html
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