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ANALYSE DES POLITIQUES SOCIALES

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I. INTRODUCTION ET HISTORIQUE

Le pouvoir public n’a été investi que de missions de sécurité civile et militaire pendant
longtemps (de l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens sur son territoire et la
sécurité nationale par le développement d’une diplomatie) (Didier Tabuteau, 2012). Les
sécurités sociales ou dispositifs permettant d’être «à l’abri des péripéties» qui risquent de
dégrader le statut social de l’individu, relevaient d’un triptyque:

 Découlaient de la richesse acquise, la propriété


 Elles s’organisaient au sein des communautés paysannes dans le monde agricole, des
guildes, corporations dans les villes
 Et dépendaient enfin de la bienfaisance et de la charité pour les déshérités.

La rencontre de deux phénomènes a remis en cause cet équilibre et présidé à l’avènement de


la notion de politique sociale :

 La révolution industrielle a détruit les fondements des solidarités traditionnelles, de


l’entraide familiale et locale avec l’exode rural et la dislocation des liens familiaux et
de proximité.

De même, elle a exacerbé les risques encourus par les travailleurs dans les mines et industries,
créant une insécurité sociale sans précédent.

 Parallèlement, avec la conceptualisation à partir du 17 ème siècle d’un risque


accessible aux calculs et le développement des techniques d’assurance qui va en
découlé, les fondements économiques des nouvelles formes de mutualisation ont été
posés.

Lorsqu’aux XVIII et XIX siècles, la problématique de la pauvreté a trouvé place dans le débat
politique aidée en cela par la « libéralisation » des sociétés, trois solutions apparaissent :

 L’œuvre sociale a posé le principe d’une «dette sociale», c’est-à-dire d’une solidarité
due par la Nation aux plus démunis du simple fait de leur appartenance au genre
humain ou à la collectivité des citoyens

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 D’autre part, de nouvelles solidarités ont vu le jour sous l’égide du mutualisme.
Moyennant l’adhésion à des caisses de socialisation des risques, certains salariés ont
pu bénéficier des filets de protection sociale.
 La dernière solution reposait sur le concept de prévoyance, supposée concilier la
protection contre les risques sociaux et la responsabilité individuelle. De l’effort
personnel d’épargne et d’assurance devait naître la nécessaire protection contre les
risques sociaux.

A la fin du XIX siècle, la théorie du risque social a progressivement favorisé une hybridation
des différentes formules qui avaient été élaborées. Les trois piliers
modernes de la protection collective contre les risques sociaux ont alors pu se constituer:

 L’assurance et la prévoyance ont donné naissance à des dispositifs privés et facultatifs


(assurance-vie, assurance-décès, assurance-invalidité,…).
 L’assurance et le mutualisme ont défini une forme de protection sociale
complémentaire explicitement intégrée dans le champ des politiques sociales.
 Le mutualisme et la notion de dette sociale ont donné naissance au système de
protection sociale obligatoire: des lois bismarckiennes à socle professionnel aux
systèmes beveridgiens à vocation universelle.

Selon Laurent OLIVIER (2014), l’histoire de l’État providence commence au XIXe siècle, à
des degrés différents selon la culture économique et sociale de chaque pays. Les régimes
sociaux occidentaux se sont construits en fonction des trajectoires historiques des États, des
idéologies, des cultures et des civilisations, des besoins, des risques, propres aux sociétés
européennes ou nord-américaines (Diallo, M-K, 2014).

La situation est fort différente en Afrique par rapport aux autres continents. L’État en Afrique
subsaharienne n’a jamais été un Etat-providence « au sens où l’on entend généralement une
situation dans laquelle la population se voit garantir une série plus ou moins étendue de biens
et de services à travers des politiques publiques de redistribution » (Quantin, 1994, p. 24)
même si dès le lendemain des indépendances, certains pays (Sénégal, Guinée, Ghana, Mali,
Bénin, Tanzanie) ont essayé de mettre en pratique des politiques d’inspiration socialiste
(Charles, 1965) avec une intervention de l’État dans de nombreux secteurs.

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Dans le contexte de la première guerre mondiale les États adopteront des mesures
interventionnistes plus actives sur le plan économique ou fiscal. Elles seront maintenues après
le conflit au titre de mesures sociales. Mais cette intervention régulatrice croissante de l’État
dans le domaine social, qui vise à encadrer les conditions de vie et de production, a aussi une
dimension réparatrice. Des facteurs extérieurs à l’État ont contribué à renouveler les modes de
régulations des conditions sociales.
Les organisations caritatives, souvent confessionnelles, tendent à perdre de leur influence ou à
se laïciser, au profit des syndicats, des organisations mutuellistes ou du mouvement
coopératif. Surtout, l’apparition du parti de masse ouvrier a permis de porter la revendication
sociale au niveau des institutions représentatives.

C’est dans les années 70 que les théories de l’État providence ont été remises en question, sur
un plan économique et philosophique. Il s’agissait en particulier de contester le modèle
keynésien, si opérationnel jusqu’à la fin des années 60. Pierre Rosanvallon(1981) a révélé
les facteurs explicatifs de ce déclin en France repérable à travers plusieurs crises.

La crise financière : Pierre Rosanvallonconstate à partir des années 1970 un écart croissant
entre les recettes et les dépenses sociales, notamment de santé, partout financées par une
hausse rapide des prélèvements obligatoires (impôts + cotisations sociales).
La fin de la forte croissance des Trente Glorieuses, le poids de la montée de la dette et du
déficit, remettent donc en cause le mode de financement de la sécurité sociale. L’allongement
de la durée de la vie pousse tout d’abord l’État-providence à supporter des dépenses de santé
importantes.

La crise de légitimité: Les dépenses de l’État sont devenues de plus en plus opaques, et les
dépenses sociales sont de moins en moins tolérées car perçues comme un impôt. La crise est
aussi idéologique, avec dans les années 80 des thèses contestant le principe même de
l’intervention de l’État. La montée de l’individualisme a valorisé. Le mérite et la
responsabilité, au détriment de la solidarité. L’État est contesté dans sa finalité de gestion des
problèmes sociaux.

La crise de l’efficacité: La crise de l’efficacité est la troisième crise de l’État providence


identifiée par Pierre Rosanvallon. Un des objectifs sociaux de l’État-providence, la lutte
contre la pauvreté, n’a pas disparu au cours des Trente Glorieuses malgré les moyens

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financiers. Depuis la crise, de nouvelles formes de pauvreté sont apparues que l’État-
providence est impuissant à faire disparaître.

Une crise philosophique: Pierre Rosanvallon constatait une crise philosophique de l’État
providence. Deux problèmes majeurs apparaissent : la désagrégation des principes
organisateurs de la solidarité et l’échec de la conception traditionnelle des droits sociaux à
offrir un cadre pour penser la situation des exclus. L’État providence s’identifiait à une forme
de société assurantielle. Or, les deux univers de l’assurance sociale et de la solidarité tendent à
se séparer, sous l’effet des évolutions démographiques, de la dissociation croissante entre la
sphère des cotisants et celle des ayants droit, la connaissance accrue des différences entre les
individus et les groupes.

Actuellement, il existe de nombreuses théories mettant en relation la protection sociale et


l’État-providence. Les premières font référence aux modèles dichotomiques de protection
sociale que sont le modèle bismarckien et celui de Beveridge, tandis que les analyses de Gosta
Esping-Andersen, de Richard Titmusset les théories distributives mettent en relation l’État
social, la famille et le marché.

Bref, selon Diallo, M., 2014, en Europe et en Amérique du nord, les modèles semblent être en
déphasage avec les risques tandis qu’en Amérique latine (Lautier, B.,2006), en Asie (AISS,
2009) et Afrique (OIT, 2004), les gouvernements peinent à bâtir des modèles solides et à
étendre la protection sociale à l’ensemble des populations.

1. 2. Définitions

Pour définir les politiques sociales, il faut nécessairement se référer à l’intervention de l’Etat
(ou des autorités publiques sur le plan local). Sans intervention de l’Etat, il est possible
d’avoir des mesures de protection sociale (associations confessionnelles, associations,
mutuelles, fondations, etc.). Toutefois, selon Vaillancourt, pour que les mesures sociales
deviennent des politiques sociales au sens fort, il faut qu’il des interventions des pouvoirs
publics. Ces interventions prennent trois formes administratives selon Didier Tabuteau :

 Les transferts sociaux visant l’amélioration de la répartition des revenus;

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 L’offre de services collectifs ou services publics (éducation, santé, services sociaux,
transports publics, logement, etc.) pour les rendre accessibles sur une base universelle
(à toute la population) ou sélective (à une partie de la population)
 La régulation administrative

JOIN-LAMBERT M-T: « ‘une invention’ nécessaire pour rendre gouvernable une société
ayant opté pour un régime démocratique, dans le cadre d’un système libéral ».

Elles sont inscrites historiquement dans les modes d’intervention des Etats depuis le XIX
siècle en tant que politique publique.

Elles se traduisent par « un ensemble d’actions mises en œuvre progressivement par les
pouvoirs publics pour parvenir à transformer les conditions de vie d’abord des ouvriers puis
des salariés et éviter les explosions sociales, la désagrégation des liens sociaux ». Ce champ
correspond, dans leur ordre d’apparition , aux politiques du travail (conditions de travail et
relations collectives employeurs et salariés), à la protection sociale (aide sociale, politique
d’assurances sociales puis de sécurité sociale, vieillesse, santé, famille, indemnisation du
chômage), aux politiques de la formation professionnelle et de l’emploi, ainsi qu’aux
différentes politiques dites ’transversales’ plus récentes: revenu minimum et politiques locales
d’insertion qui lui sont liées, intégration immigrés, politique ville

– Hamadou Konate, qui, après avoir dépouillé différents documents et


publications du CRDI écrit :

« Les politiques sociales sont le fruit de mesures et de mécanismes politiques conçus,


planifiés et mis en application pour répondre aux besoins fondamentaux des êtres humains.
Elles découlent de décisions nationales et locales qui visent un développement plus efficace
des ressources humaines en vue de changements d’ordre social et économique (Konaté, 1997 :
25) »

– Vaillancourt et Ducharme (2000) ont élaboré ce qui suit :

« Les politiques sociales sont des interventions de l’État et des pouvoirs publics qui
contribuent au bien-être et à la citoyenneté des individus, des collectivités locales, voire des
régions, et cela d’une manière qui fait reculer la “marchandisation” et la “familiarisation”. »

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La marchandisation : c’est-à-dire à une tendance à confier à la logique marchande la solution
des problèmes sociaux.

La « familiarisation » qui est définie comme un processus qui modifie le partage des
responsabilités entre l’État, le marché, l ‘économie sociale et l’économie domestique en
transférant des responsabilités vers les familles et l’économie domestique. Concrètement, la «
familiarisation » signifie une augmentation des tâches assumées par les femmes, sans
rémunération et sans «visibilité ».

L’étatisation : plus de responsabilités à l’État.

 La privatisation ou de la marchandisation: plus de responsabilités au marché ou au


privé à but lucratif
 et la solidarisation : plus de responsabilités à l’économie sociale

Vaillancourt et Jetté, 1997 :57; Esping-Andersen, 1999 :277-294

L’État providence, c’est une sorte de métaphore religieuse pour désigner une puissance
tutélaire distribuant ses bienfaits à tous. Historiquement, cette notion a été inventée par les
ennemis de l’intervention de l’État dans le domaine social. Nous n’avons pas besoin d’un État
providence, mais d’un État protecteur, ou d’un État social, pour assurer la protection contre
des risques fondamentaux comme la maladie, les accidents de travail, une vieillesse
impécunieuse ou, aujourd’hui, des risques autrefois peu apparents, comme la dépendance ».
Robert Castel

L’appellation État providence met l’accent sur le risque social, alors que le welfare insiste
plus positivement sur le bien-être social.

Les politiques sociales sont des compromis sociaux dynamiques entre les acteurs syndicaux,
économiques et étatiques

 Sylvain Lefèvre

L’Association des nations des États de l’Asie du Sud-est (ASEAN) soutient que « La
protection sociale renvoie plus à une réalité bien plus large que la sécurité sociale. La sécurité
sociale est souvent exclusivement assimilée au régime contributif tandis que le terme de

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protection sociale renvoie non seulement à la sécurité sociale proprement dite, mais aussi aux
différents modes de financement des programmes, lesquels peuvent être tantôt contributifs,
tantôt non contributifs ». (Polet, 2014, p. 40).

Elle comprend des politiques et des programmes qui visent à réduire la pauvreté et à atténuer
la fragilité des individus face au chômage, à l’exclusion sociale, à la maladie, au handicap et
au vieillissement, en les aidant à faire face à ces risques lorsqu’ils surviennent (Merrien,
2013). Les auteurs soutiennent que la protection sociale aide à protéger les pauvres de la faim
et de la misère ; participe au développement humain et à la croissance économique à long
terme (Nicholas et Rachel, 2014).

1. 3. Objectifs des politiques sociales

 Protéger les travailleurs


 Garantir un minimum de bien-être aux individus
 Réduire les inégalités sociales
 Promouvoir la cohésion sociale
 Améliorer l’égalité des chances

II. LA FABRIQUE DES POLITIQUES SOCIALES

Des camps antagonistes s’affrontent : progressisme et conservatisme

Progressisme : conquêtes sociales

Conservatisme : fustige l’irresponsabilité, l’assistanat et la dérive des comptes publics.

La fabrique des politiques sociales mobiliserait donc essentiellement : des valeurs, des
convictions et de la volonté politique qui, au gré des rapports de force, susciteraient l’avancée
ou le recul des droits sociaux perfectibles ou limités. Les politiques sociales en plus des
valeurs mobilisent des principes, des représentations, des paradigmes qui réfèrent à des cadres
explicatifs ou système de justification. ( Robert Lafore, juriste)

III. LA STRUCTURATION DES POLITIQUES SOCIALES

3. 1. Les principes et le contenu de la politique sociale varient en fonction

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 Du problème à résoudre,
 De l’objectif à atteindre,
 De la solution privilégiée
 Des moyens à mobiliser…. (ex: couverture universelle)

Deux grandes catégories de principes :

 Ceux qui gouvernent l’accès aux prestations et services: qui a droit ?


 Ceux qui gouvernent le financement de ces prestations et services: qui paie l’accès aux
prestations ?

Pas de consensus aujourd’hui sur la place devant revenir en matière sociale aux principes tels
que: l’égalité, l’universalité ou l’équité.

3. 2. Les politiques de sécurité sociale

Logique assurantielle (j’ai droit parce que j’ai cotisé)

Ces politiques ont vocation à distribuer des prestations dites universelles et ne sont pas
soumises à des conditions de ressources. (Ex: en cas d’accident l’individu peut prétendre à
une pension indépendamment de ses ressources).

Les concepteurs peuvent cependant remettre en cause ce principe d’universalité et mettre en


avant une logique assistantielle, d’égalité concrète ou encore d’équité.

 (La condition de ressource fait foi ici)

Complément familial, l’aide au logement. Allocations familiales soumises à condition de


ressources en France depuis 1997 remises en cause depuis 1999

 L’absence de croissance peut conduire au retour du principe d’équité puisque la


protection sociale est très couteuse.

3. 3. Les Politiques d’aide et d’action sociale

La logique assistantielle prévaut ici « je suis aidé bien que je n’aie pas préalablement cotisé
et/ou parce que je suis dans le besoin ».

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Elles ont donc pour vocation à soumettre à condition de ressources l’accès aux prestations
mises en place.
Mais, comme pour la sécurité sociale, cette logique peut être inversée au gré des concepteurs.

3. 4. Financement des politiques de sécurité sociale

Il s’agit ici de voir la part devant revenir aux cotisations patronales et/ou salariales et à la
fiscalité et, au sein de cette dernière, à tel ou tel type de prélèvement. La solution retenue
varie en général selon le principe ou les principes mis en branle. (universalité, égalité etc….).

Financement: aide et action sociale

3. 5. Financement des politiques d’aide et d’action sociale

C’est la fiscalité puisque l’accès est gratuit.

L’accès est souvent conditionné ou modulé ou les deux à la foi

IV. LA JURIDICISATION DES PROBLEMES SOCIAUX : LA CONSTRUCTION


JURIDIQUE DES POLITIQUES SOCIALES

Diverses dénominations évolutives ont été données aux problèmes sociaux selon les époques :

 Pauvreté,
 Indigence,
 Mendicité,
 Vagabondage
 Inadaptés
 Précarité
 Exclusion

Comme toute politique publique, la politique sociale passe par un encodage dans et par le
droit.
Et le droit se garde bien de consacrer et de faire découler directement de ces notions des
prérogatives ou des obligations.

EX : a contrario « la loi d’orientation sociale »

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Les systèmes institutionnels qui donnent ses structures à la protection sociale s’inspirent des
principes de justice prévalant dans la société.

4. 1. La notion de justice

« Dans Théorie de la justice », John Rawls critique l’utilitarisme classique, responsable de


différence et des inégalités individuelles et sociales. Pour Rawls, la justice, fondement de la
cohésion sociale, veut que les citoyens soient égaux en droit, en situation (équité), en chance
et en liberté. Les inégalités de chance dues à des statuts, des places ou des classes légitimées
par des déterminants financiers, économiques, sociaux, culturels et politiques sont un obstacle
à la paix et à la vie sociale.» (Diallo, M-A, 2014)

Dans la société démocratique trois visions du « juste » s’entrechoquent :

 La justice comme égale dignité de chacun garantie par une égalité des droits, a minima
les droits de la personne, au plus large l’égalité des chances (société égalitaire (diolas);
 La justice comme juste rétribution des efforts accomplis par chacun, égalité selon les
mérites si l’on veut, qui proportionne les avantages de chacun à ses contributions
 La justice comme nécessaire compensation au bénéfice de ceux qui sont considérés
comme moins dotés et désavantagés par le sort ou par l’ordre social.

Tout mécanisme de protection reposant sur un transfert de ressources collectives vers


des individus ou groupes, dans la finalité de protéger ceux ou de leur apporter une aide,
doit composer avec ce substrat et constituer un équilibre ménageant chacune de ces
dimensions bien que contradictoires. La diversité des institutions nationales de
protection sociale s’explique par :

La portée et la hiérarchie de ces dimensions selon les époques et chaque société


singulière.

NB : AUCUNE DE CES CATEGORIES NE PEUT PREVALOIR AU POINT


D’ANNIHILER LES AUTRES

4. 2. Structure fondamentale de la construction juridique du social

Elle repose sur la définition :

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 D’un champ d’application personnel
 Et d’un champ matériel

4. 2. 1. Champ d’application personnel

Il concerne les personnes qui vont entrer dans le dispositif de protection en s’y voyant
attribuer des droits et obligations.

Des critères juridiques divers tels que l’âge (plan Sésame), le sexe, le statut tel que la filiation,
le mariage, le salariat… découpent, dans la réalité sociale concrète, des catégories de
bénéficiaires ainsi discriminées dans la masse indifférenciée des « pauvres », « exclus » etc.
….

4. 2. 2. Le champ matériel

Il s’agit de la qualification des faits ou des situations qui ouvriront des droits et des prestations
au constat de leur survenance ou de leur existence.

V. LES DEUX MATRICES DE LA PROTECTION SOCIALE: LE BESOIN ET LE


RISQUE SOCIAL

5.1 Notion de besoin social

Première vision juridique dérivée de l’héritage des dispositifs caritatifs.

En application de la structure évoquée plus haut, le besoin ne suffit pas pour ériger les
personnes concernées en bénéficiaires d’un système d’aide.

Ce dernier doit être construit à l’intersection : du critère matériel et du critère personnel

 Au plan personnel

La situation de besoin ne peut être prise en compte et réparée par une prise en charge publique
que si:

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Le demandeur est dans l’incapacité de subvenir par lui-même à ses besoins (absence de
ressource justifiée par l’incapacité au travail ou l’exemption de l’obligation au travail pour les
enfants et les personnes en charge d’enfants)

Et si, de plus, il ne peut recourir aux obligations de ses alliés (obligations alimentaires) par
rapport auxquelles l’aide publique est subsidiaire. (Solidarités intrafamiliales)

Ces obligations sont juridiquement organisées par le code civil. Que prévoit le code
sénégalais?

 Au plan matériel

Le besoin doit être constaté concrètement (en est-il ainsi au Sénégal?) : par exemple un besoin
vital tel que l’hébergement, entretien physique élémentaire, soin ne pouvant être satisfait par
ses propres moyens ou ceux de ces obligés alimentaires.

Ces critères d’évaluation, de catégorisation procèdent de la discrimination voire de


l’exclusion.

5.2 Notion de risque social

Les situations problématiques sont constituées ici en considérant que certaines situations
sociales comportent des risques à prendre en charge collectivement pour :

 Annihiler
 Ou amoindrir les effets de leur survenance.
 Historiquement ce modèle est lié à la production industrielle, au salariat

En l’absence de toute autre ressource que le salaire, le travailleur est dominé par la logique de
marché. (Ex: coût de la vie, des denrées de premières nécessité, logement etc.).
Ces incertitudes ou aléas étant liés à la logique de marché, l’assurance sociale internalise ces
derniers dans le coût du travail sous forme de cotisations perçues à proportion des salaires
versés et aménage des formes d’indemnisation pour assurer une garantie de revenu au
travailleur et à sa famille lorsqu’un des risques prévus se réalise. La logique des assurances
sociales tient à cela.

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Le droit identifie diverses circonstances factuelles relatives à ces aléas construits comme
risques sociaux et en définit les critères d’identification. Les
notions d’accident de travail et de maladie professionnelle, de maladie, d’invalidité ou de
charges familiales sont construites de façon à les rattachées à l’activité professionnelle, à
déterminer la nature et les effets qui les constituent.

Différents régimes de protection sociale (ou mécanismes d’indemnisation spécifique)


proviennent de ces considérations. Cependant, les
assurances sociales sont aujourd’hui généralisées, étendues même au non-actif, déconnectées
de l’activité professionnelle (universalisées).

La matrice du risque social conçoit dans certains contextes les situations problématiques à
réparer comme des résultantes inéluctables du fonctionnement social (la société au banc des
accusés) et conduit alors à en socialiser le coût au moyen d’une mise en solidarité du monde
du travail et, potentiellement, par extension des catégories d’ayants droit et des droits dérivés,
de l’ensemble de la société.
C’est là une des voies de passage d’une protection sociale résiduelle, telle qu’elle est
maintenue aux Etats-Unis, vers une protection sociale généralisée de toute la population.

L’autre voie est la protection sociale universelle comme dans les pays scandinaves où existent
des droits sociaux étatisés, attachés à la simple citoyenneté. La réparation ou
compensation a posteriori peut enfermer les bénéficiaires dans des situations d’assistés et de
naturaliser ainsi leur situation en constituant la protection sociale en structure d’enfermement.

VI. LA PROTECTION SOCIALE EN AFRIQUE

Les agences onusiennes ont commencé à faire la promotion de la protection sociale dans les
pays du sud à travers leurs agences régionales et nationales. La Commission des Nations unies
pour le développement social a adopté une résolution en 2010 pour inciter l’OIT à renforcer
ses stratégies de protection sociale par l’assistance aux pays dans l’élaboration de SPS (Kadio,
K, 2018).

En Afrique, des réunions de haut niveau avaient déjà eu lieu en signe précurseur d’une
nouvelle orientation continentale pour renforcer le rôle de l’État dans les politiques sociales.
Dès 2004, à Ouagadougou (Burkina Faso), suite au sommet de l’Assemblée des chefs d’État
de l’Union africaine (UA), les pays s’étaient engagés à travers une déclaration et un Plan

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d’action de Ouagadougou à améliorer les conditions de vie des personnes vulnérables. Cela
devrait être opérationnalisé par l’amélioration des services de protection sociale, notamment
des régimes de retraite, des services de santé accessibles et d’autres régimes de sécurité
sociale (African Union, 2009).

De nos jours, la plupart des pays africains n’ont pas encore un système de protection sociale
bien structuré, fonctionnel et totalement protecteur même si on note de plus en plus dans les
discours des autorités publiques une volonté d’activation de la protection sociale au sens de «
représentations nouvelles et de discours nouveaux sur les systèmes de protection sociale»
(Barbier, 2006, p. 14).

De plus, depuis les années 1980 avec la rigueur imposée par les institutions de Bretton
Woods, l’État a réduit considérablement son soutien, procédé à une privatisation des
entreprises nationales (Sanni Yaya, 2007) et une restructuration de l’administration publique
dans la plus part des pays africains.

Aujourd’hui, l’État africain est un État de type minimaliste qui se désengage des grands
investissements au profit du privé et des partenaires. En conséquence, la plupart des pays
n’assurent même pas une politique sanitaire satisfaisante (Gautier 2012) et la couverture
sociale est assez faible.

La plupart des pays du sud ont bâti leur système de protection sociale en référence aux
recommandations du Organisation Internationale du Travail (OIT) qui à travers la
Convention nº 102 de 1952 définit les neuf domaines de la sécurité sociale : l’accès aux
soins de santé, l’assurance maladie, le chômage, la retraite, les accidents du travail, les
allocations familiales, l’assurance maternité, l’assurance invalidité et les pensions de
survivants (Diallo, M-A, 2014).

6.1 Objectifs visés par la protection sociale

 Objectifs matériels : survivre en cas de maladie ou quand on est chargé de famille


nombreuse
 Objectifs sociaux : réduire les inégalités devant les risques de la vie

6.2 Enjeux de la protection sociale

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Prémunir contre les risques de basculement dans la pauvreté;

Minimiser leur vulnérabilité;

Favoriser la stabilité sociale;

Promouvoir le développement économique et social;

Instrument de redistribution de richesses et de justice sociale;

6.3 La distinction des principes canoniques de la protection sociale

La nécessité d’une telle distinction se justifie par la remise en cause des politiques sociales à
cause de leur coût, du développement de l’assistanat et de sa bureaucratie complexe et
inefficace.

Il s’agit :

 Le principe de redistributivité
 Le principe de proportionnalité
 Le principe d’universalité

Le principe de redistributivité : la solidarité partagée

La solidarité est la responsabilité mutuelle qui s’établit entre plusieurs personnes (dictionnaire
Bescherelle). La lutte
contre la pauvreté est à l’origine des politiques sociales. Elle a été théorisée lors de la
révolution française à travers la «dette» de la Nation à l’égard des plus déshérités et
l’obligation de secours public qui en résulte.

Elle constitue la logique dominante de nombreuses politiques éducatives, sanitaires et


sociales. Les prestations familiales sous conditions de ressources. L’ambition de ces
politiques est de permettre à chacun d’atteindre un niveau de vie minimal.
Ces politiques de redistribution verticales sont difficiles à mettre en œuvre compte tenu de la
complexité à appréhender l’ensemble des revenus et leur évolution, l’apparition de nouvelles
précarités et de grandes exclusions.

Le principe de proportionnalité : la solidarité économique

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 Il ne s’agit pas de réaliser une redistribution verticale mais de garantir une solidarité
économique par l’octroi de revenus de remplacement dans certaines situations.
 La sécurité sociale en est l’expression à travers les pensions de retraite et d’invalidité
entre autres.
 La politique sociale a, dans ce cas, deux ressorts:

 Elle impose une obligation de cotiser à l’ensemble des actifs ainsi qu’aux employeurs
pour leurs salariés.
 Elle apporte ensuite une garantie économique de solvabilité des régimes institués.

Le principe d’universalité: la solidarité citoyenne

Les droits sociaux traduisent également l’appartenance à la collectivité. Il ne s’agit plus


seulement de garantir aux déshérités un statut social minimal ou de revenus proportionnés à
l’effort contributif fourni mais d’ouvrir à tous certains droits.

VII. LA PROTECTION SOCIALE AU SENEGAL

Ensemble des dispositifs pour assurer et aider les individus devant les aléas majeurs de la vie,
elle renferme tous les mécanismes de prévoyance collective et individuelle qui permettent aux
individus et familles de faire face aux conséquences liées à la survenance de risques sociaux.

« La protection sociale est un ensemble de mesures de prévention, de protection, de


promotion et de transformation sociale dont l’objectif est la prévention et la réduction
de l’exclusion sociale et de l’inégalité, de la pauvreté et de la vulnérabilité. »

Les mesures de prévention sont basées sur le principe d’assurance sociale et de solidarité afin
de faire face, comme groupe, aux risques qui se présentent au cours de notre vie. Il s’agit des
soins de santé, pensions, allocations en cas de grossesse, chômage, invalidité et maladie de
longue durée, ainsi que des compensations pour des accidents de travail.

Les mesures de protection sont basées sur l’assistance sociale et visent principalement les plus
pauvres et les plus vulnérables dans la société.

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Les mesures de promotion constituent un ensemble de dispositifs mis en place pour permettre
à chacun de développer ses capacités et donc de prendre en main son propre développement -à
travers l’accès à l’éducation et la formation continue, l’accès aux moyens de production
(microcrédits etc.), l’autonomie alimentaire, l’apprentissage et le respect des règles en matière
de santé et sécurité au travail, etc.

Les mesures de transformation visent à produire des changements sociaux. Ceux-ci


permettent de conscientiser les gens de l’exclusion sociale et de l’inégalité, de la pauvreté et
la vulnérabilité et incitent la société à les prévenir et combattre par le biais des différentes
mesures de protection sociale. Il s’agit d’organiser les gens dans des organisations sociales et
syndicales pour collectivement défendre leurs droits, mener des actions, des campagnes de
sensibilisation et du plaidoyer ciblé.

En général, la protection sociale est souvent réduite aux mesures de protection et de


prévention

« Le Sénégal comme la majorité des pays africains est confronté à l’absence de protection
sociale. Depuis l’indépendance, les différents gouvernements ont tenté de mettre en place un
système de protection sociale transversal axé sur la sécurité sociale et l’action sociale.
Seulement cette stratégie connaît de nombreuses limites.

Aujourd’hui, la protection sociale est de nouveau au centre des préoccupations des autorités
politiques qui voient en elle un instrument de développement économique et social et un
moyen de réduction de la pauvreté.

Le régime sénégalais de protection sociale est bâti autour de deux axes : l’action sociale et
l’assurance sociale. Ces deux éléments constituent les piliers du régime sénégalais et leurs
rôles varient en fonction des catégories cibles, des ressources financières, humaines et
techniques qui y sont consacrées. » (Diallo, M A, 2014).

7.1 La politique d’action sociale

Elle est fondée sur un système non contributif qui est directement assuré par l’État qui
l’organise, le finance et le met en œuvre. Elle est menée en direction des groupes vulnérables.
Il s’agit d’apporter assistance aux populations en situation difficile sur les plans économique
et social, de favoriser l'insertion sociale des personnes handicapées, de promouvoir les

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associations locales, les établissements et centres d'accueil pour enfants déshérités, de mettre
en œuvre des programmes en faveur de l'enfance déshéritée et de soutenir les personnes du
troisième âge.

7.2 La politique de prévoyance sociale

Le modèle sénégalais est avant tout fondé sur la prévoyance sociale. Le système créé dans les
années 1970 tente d’offrir une couverture à tous les travailleurs et leurs ménages. La
prévention et la prise en charge du risque santé pour les travailleurs se font à travers la Caisse
de Sécurité Sociale (CSS)84 et les Institutions de Prévoyance maladie (IPM) tandis que la
retraite est gérée par l’Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) et le Fonds
National de Retraite (FNR). Cette diversité des structures sociales a pour objectif d’assurer au
maximum les Sénégalais contre les risques santé et vieillesse à partir de leur emploi.

7.3 Les mécanismes de solidarité traditionnels

« La contrainte économique la plus apparente émanant de la communauté a trait à la


redistribution ... La réussite économique individuelle est une aubaine pour la collectivité dans
la mesure où elle favorisera l’ordre communautaire. En effet, le plus petit aura toujours droit à
l’aide du plus grand. Ce dernier voit automatiquement ses obligations ajustées à son statut
social: il ne cherchera pas soustraire à s’y soustraire car le gain économique tiré d’un refus de
donner se traduira par une perte importante de crédit auprès de la communauté et des
conséquences aléatoires dans l’incertain communautaire » François Régis Mahieu

« Le solidarisme est une richesse proprement africaine «l’Afrique pourrait aussi nous donner
des leçons de solidarité ... L’Afrique n’a peut-être pas encore de vrais partis condition sine
qua none dit-on de la vraie politique Mais elle bruisse de solidarités: familles, ethnies,
tontines, sectes maçonneries ...»

VIII. LES MODELES DE POLITIQUES SOCIALES DANS LES PAYS


SCANDINAVES : L’EXEMPLE DE LA SUEDE

8.1 L’originalité du modèle Suédois

L’originalité de la Suède, que l’on retrouve dans une large mesure dans les autres pays
nordiques, est que, dès les années 1930, les politiques sociales qui se sont mises en place ont

19
été conçues comme un investissement productif visant à concilier efficacité économique et
équité sociale

8.2 Fondements et caractéristiques principales du modèle suédois

Quelques personnages ont joué un rôle majeur dans la formation de l’État-providence suédois,
déterminant les caractéristiques institutionnelles à partir desquelles il a continué de se
développer pendant tout le XXe siècle et qui font, aujourd’hui encore, la spécificité du
modèle.

Alvaet Gunnar Myrdal ainsi que Gustav Möller sont ainsi généralement reconnus comme les
architectes principaux de l’État-providence suédois (Rothstein, 1985 et 1998 ; Hirdman,
1989).

Ils sont les premiers ayant pensé la dimension productiviste et d’investissement social du
modèle ainsi que sa politique familiale très progressiste, le second ayant formé le caractère
universel du modèle autour de services de qualité sur lesquels reposent tant la légitimité du
système que sa capacité à fortement réduire les inégalités (Korpiet Palme, 1998).

8.3 Une politique sociale productive et prophylactique

A. et G. Myrdal, deux éminents sociaux-démocrates développent une nouvelle vision pour la


politique sociale. Leurs idées figurent dans de nombreux rapports et ouvrages, le plus célèbre
étant le livre de 1934 intitulé Kris i befolkningsfrågan[Crise dans la question de la
population].

Retournant les préoccupations des conservateurs autour de la quantité et de la qualité de la


population, ils mettent en avant l’argument selon lequel la baisse de la fécondité est due à des
difficultés socio-économiques provoquées par l’industrialisation et l’urbanisation rapide.

Pour A. et G. Myrdal, il était donc nécessaire de renforcer l’aide aux familles, notamment par
une amélioration des logements et l’instauration d’aides au logement, mais aussi par le biais
de politiques soutenant le travail des femmes ( le modèle de famille à deux revenus étant
censé protéger les familles de la pauvreté) tout en leur permettant de réaliser leur fécondité
souhaitée.

20
Mais pour les Myrdal, augmenter la fertilité ne devait pas être un but en soi. Plus important
que la « quantité » de la population devait être sa « qualité ».

Ici, les Myrdal, adressant les préoccupations eugénistes des conservateurs qui craignaient que
les aides aux familles ne profitent d’abord aux enfants des couches populaires de « qualité
inférieure », soutiennent que la « qualité des enfants » n’est pas déterminée biologiquement
mais qu’elle est liée à des facteurs socio-économiques et à l’éducation (Appelqvist, 2007).

Ainsi était-il nécessaire, si on voulait garantir la « qualité » de la population, de mettre en


œuvre un vaste ensemble de politiques telles que le développement de services d’accueil pour
les jeunes enfants, le développement des services d’éducation et de santé, des politiques de
soutien aux familles et à l’emploi des femmes, qui permettraient d’investir dans le capital
humain de la nation.

Sans une population en bonne santé et éduquée qui se reproduit, la productivité de


l’économie ne peut être soutenue.

Les politiques sociales proposées étaient ainsi présentées non seulement comme un moyen de
garantir la sécurité individuelle, la redistribution des richesses et la reproduction de la
population, mais aussi, et surtout, comme une façon de promouvoir une organisation plus
efficace de la production. G. Myrdal utilise alors le terme de « politique sociale productive »
pour désigner cette nouvelle conception du rôle de la politique sociale pour l’économie.

Cette nouvelle conception se veut pragmatique et s’oppose à la politique sociale alors en place
qui est décriée comme étant : « […] superficielle –[…] elle soigne les symptômes mais ne
traite pas le mal à la racine. On donne l’assistance aux pauvres, des aides au chômage aux
chômeurs, on met les malades dans des hôpitaux, les alcooliques dans des maisons pour
alcooliques, les fous dans des asiles, etc. mais on fait infiniment peu pour éviter que ces
phénomènes se produisent » (Myrdal, 1932:24, traduction de l’auteure).

Une telle politique sociale est prophylactique et préventive, et non pas simplement
symptomatique ou curative. Au début, la politique sociale doit, par nécessité, être restreinte à
la phase curative.

Des services universels de qualité pour offrir les mêmes capabilités à tous

21
Cette idée d’une politique sociale productive va trouver un écho favorable auprès de Gustav
Möller, ministre des Affaires sociales de 1932 à 1951.

Ce dernier souhaite mettre en place une bureaucratie sociale moderne, basée sur un principe
d’« universalisme » afin de simplifier la gestion de l’aide sociale et d’ôter les stigmates
attachés à celle-ci, mais aussi de façon à faire bénéficier toute la population, riches et pauvres,
de mêmes prestations de qualité. L’accent est alors mis sur le
développement de services publics universels de façon à soutenir les individus tout au long de
leur vie. En effet, le fait d’offrir des prestations en espèces ne garantit nullement que le
marché réponde convenablement à la demande, et ne permet pas de garantir un même accès et
une même qualité de services à toute la population.

Le principe avancé par G. Möllersera d’offrir des services identiques pour tous mais de
qualité élevée pour que ne se crée pas une demande pour des services alternatifs privés chez
les plus riches (Tilton, 1990).

Une politique d’emploi active

La stratégie d’investissement social trouvera également son expression dans le modèle


économique mis en place dans les années 1950, le fameux modèle « Rehn-Meidner». Il s’agit,
d’une part, d’accroître la productivité en forçant les entreprises les moins productives à
disparaître ou à se rationaliser. C’est par le biais d’une politique salariale solidaire que les
entreprises les moins productives seraient conduites à disparaître.
En effet, l’idée de G. Rehnet R. Meidnerétait d’amener les syndicats à négocier, pour chaque
branche, un même salaire pour un même travail, tirant ainsi les salaires vers le haut, mais en
obtenant néanmoins de la part des syndicats que cette hausse se fasse de façon solidaire afin
d’obtenir une certaine compression des salaires entre les différentes branches.

Puisqu’il s’agissait néanmoins de maintenir le plein emploi, il fallait, d’autre part, développer
une politique d’emploi active permettant de reformer et de réorienter la main-d'œuvre ainsi
dégagée par la fermeture des entreprises les moins productives vers les entreprises les plus
productives et vers de nouveaux secteurs pour lesquels il manquait de la main-d'œuvre.

La social-démocratie suédoise est parvenue à réconcilier les deux objectifs d’égalité et


d’efficacité qui avaient jusque-là été compris comme des objectifs contradictoires.

22
« L’égalité n’a pas été promulguée comme étant simplement compatible avec l’efficacité. Elle
est devenue, au contraire, une condition préalable à son optimisation ».

Les Conséquences

Les inégalités de revenu sont les plus faibles (un coefficient de Gini (degré d’inégalité de la
distribution des revenus dans une société donnée) autour de 2,4 contre une moyenne
européenne de 3,1 en 2011 (données Eurostat).

La Suède présentant un indice mondial de la compétitivité (Global Competitiveness Index,


GCI) qui la place parmi les cinq pays les plus compétitifs au monde depuis de nombreuses
années. Le taux d’emploi global en Suède se situant à 81,5 %, ce qui représente le taux
d’emploi le plus élevé de l’OCDE derrière l’Islande.

IX. LA NOUVELLE APPROCHE EN POLITIQUE SOCIALE : L’INVESTISSEMENT


SOCIAL

L’idée de « troisième voie », proposée par Anthony Giddens entendait dépasser le modèle de
la social-démocratie mis en place après la Seconde guerre mondiale –keynésianisme,
économie mixte, domination de l’État sur la société civile, État providence traditionnel,
égalitarisme (…) –et celui du néolibéralisme des années 1980 –État minimal, économie de
marché sans contraintes, assistance sociale réduite, politique de classe dans la redistribution
des revenus. Cette doctrine a alimenté le débat idéologique sur la social-démocratie, mais
nous retiendrons ici surtout une certaine conception de l’État. (Laurent Olivier, 2014)

Contrairement à une idée répandue, le rôle de l’État reste important. Giddens insiste sur le
rôle de l’État comme investisseur social (comme chez Esping-Andersen). A la différence des
néolibéraux, il parle même d’étendre le rôle de la sphère publique. Cette politique implique
une « nouvelle économie mixte » une réorientation des investissements de l’État, des
dépenses accrues dans le domaine éducatif, en particulier pour la formation permanente et la
requalification, et la multiplication des partenariats avec le système dit du « troisième secteur
» (mutuelles, associations, économie solidaire…). Ce modèle exclut en revanche de restaurer
la propriété publique des moyens de production. (Laurent Olivier, 2014)

Giddens prône la « redistribution des possibilités », par opposition à la redistribution des


richesses. La valorisation de « l’égalité réelle des chances » suggère la possibilité ouverte à

23
tous dans une société donnée d’avoir accès à des « biens stratégiques » fondamentaux, tels
que l’éducation, la santé, le travail, etc. C’est l’égalité d’accès et non de résultat qui est
valorisée. (Laurent Olivier, 2014) Toute forme d’égalitarisme est condamnée par
la troisième voie, celui-ci renvoyant à la vieille gauche accusée d’avoir « étouffé » l’égalité
des chances au profit d’une idée d’égalité abstraite. Autre thématique de la troisième voie, la «
communauté », alternative à la communauté traditionnelle, est un lieu de détermination de
l’ensemble de la vie de l’individu. Elle suggère un effort civique, sur le thème du lien étroit
entre droits et devoirs. La troisième voie défend aussi le principe de « responsabilité », qui
s’inscrit dans la même relation logique : Giddens ne conçoit pas de droits sans obligations.
(Laurent Olivier, 2014)

Avec l’idée d’investissement social GøstaEsping-Andersen entend rompre avec la perspective


statique, des politiques sociales réparatrices et compensatrices ne visant qu’à soulager les
difficultés avérées des individus ou à maintenir les revenus perdus. Il invite à adopter une
perspective dynamique attentive aux trajectoires de vie, et une stratégie préventive fondée sur
une logique d’investissement social : promouvoir les investissements nécessaires aujourd’hui
pour éviter d’avoir à indemniser demain. Cette politique de l’État providence est d’abord une
politique familiale visant certaines catégories démographiques, les femmes et les enfants
constituant une priorité, parce qu’ils sont les seuls susceptibles d’accroître les ressources à
consacrer aux retraites à venir. (Laurent Olivier, 2014)

9.2 L’investissement social en occident

Dans la plupart des pays riches, à niveau élevé de protection sociale, la prise d’acte est claire.

Les politiques sociales ont en général atteint, sur plusieurs décennies, nombre d’objectifs
initialement assignés (couverture de la population, limitation de l’extrême pauvreté,
amélioration de l’état de santé), mais elles rencontrent des difficultés substantielles liées aux
mutations sociales (persistance du chômage des moins qualifiés, vieillissement
démographique, tensions générationnelles, obsolescence des qualifications professionnelles,
accentuation de la monoparentalité).

L’idée procède d’un constat martelé: les systèmes de protection sociale, en particulier en
Europe, avec leurs différences, se sont constitués non pas pour prévenir les problèmes
sociaux, mais plutôt pour compenser les charges liées à leurs conséquences.

24
9.3 L’investissement social en Afrique

Dans les pays en développement, le sujet de l’investissement social passe, aujourd’hui, par les
analyses et propositions visant un « socle de protection sociale».
L’OIT en 2012 stipule « la sécurité sociale est un investissement dans les hommes et les
femmes leur donnant la capacité de s’adapter aux changements de l’économie et du marché
du travail ».

9.4 L’analyse de l’investissement social

Le concept d’investissement social sera utile aux décideurs publics s’il permet l’utilisation
d’indicateurs évaluatifs et une opérationnalisation intuitivement convaincante. Trois fonctions
complémentaires de la politique d’investissement social permettent cette opérationnalisation :

1) la fonction de stock, qui améliore le « stock » de capital humain ;

2) la fonction de flux, qui facilite le « flux » des transitions sur le marché du travail et tout au
long du cycle de vie ;

3) la fonction d’amortisseur (buffer), qui repose sur de solides filets sociaux universels et sur
des amortisseurs économiques (Hemerijck, 2014)

9.4.1 La fonction de stock

La fonction de stock concerne la productivité et s’attache à développer et à préserver le capital


humain selon un continuum qui va de la petite enfance et se poursuit par l’apprentissage tout
au long de la vie. Le développement du capital humain repose sur l’éducation dès le plus
jeune âge et l’éducation préscolaire.

Il est tout aussi important de préserver ce capital que de le développer, car l’érosion des
compétences qui résulte, par exemple, de l’inadéquation entre les compétences et l’emploi,
constitue un risque réel sur le marché du travail moderne. Un niveau d’études élevé accroît
l’emploi, en particulier les emplois intéressants et à forte productivité (Nelson et Stephens,
2012).

9.4.2 La fonction de flux

25
La fonction de flux vise à faciliter les transitions et donc à optimiser et à rendre plus efficiente
la répartition de la main-d'œuvre. Ces transitions incluent non seulement les périodes de
chômage mais aussi l’intégration des catégories désavantagées sur le marché du travail, les
transitions vers un secteur d’activité plus prospère, ou de la parentalité à l’emploi, etc.
Soutenir la fonction de flux revient à considérer que, même s’il est crucial de mieux
rémunérer le travail (« make work pay »), il est aussi parfois (surtout à long terme) plus
important de mieux rémunérer les transitions (« make transitions pay»).

9.4.3 La fonction d’amortisseur

La fonction d’amortisseur est la plus facile à expliquer, car elle fait référence, pour l’essentiel,
au « keynésianisme par une porte dérobée ». Elle vise à apporter une protection adéquate sous
la forme d’un revenu minimum, à permettre une distribution des revenus plus égale et à
stabiliser le cycle économique en atténuant les chocs –ce qui était essentiellement la mission
de la protection sociale de l’après-guerre. Ainsi que le souligne à juste titre Nolan (2016),
affirmer la supériorité des politiques d’« activation » sur les politiques « passives » est
contestable, à la fois empiriquement et sur le plan normatif.
En s’appuyant sur ces trois fonctions, les pouvoirs publics peuvent mieux comprendre quels
types de politiques sont nécessaires pour une stratégie d’investissement social efficace.

X. TERRITORIALISATION ET POLITIQUES SOCIALES LOCALES

10.1 La notion de « territoire » dans les politiques sociales (Robert Lafore, Jean-Luc
Outin)

Le terme est largement utilisé à tous les niveaux et il est venu se substituer jusque dans les
textes constitutionnels au qualificatif « local » qui dénommait antérieurement les découpages
essentiellement administratifs dans lesquels l’État central projetait ses administrations
déconcentrées et dans lesquels étaient établies des personnes publiques autonomes,
dénommées les « collectivités locales ».

 Cette nouvelle dénomination recouvre une mutation de ces espaces d’action publique et de
leurs régimes de fonctionnement.

26
 Passant de la notion de « local » à celle de « territoire », on semble chercher: un
dépassement de simples délimitations géographiques de l’espace de façon à appréhender
les dynamiques socio‐économiques et socio‐politiques en jeu qui combinent sentiers de
dépendance et innovations.
 Le développement des intercommunalités confèrent une grande acuité à une telle
approche.
 Partant de l’action sociale et de ses logiques « territorialisées », il peut être effectivement
fécond de s’interroger sur ce qui constitue la spécificité, si tant est qu’il y en a une, de ces
logiques :

 dans la façon de concevoir les questions publiques à prendre en compte et de les


traiter,
 dans la façon d’organiser les interventions, notamment du point de vue des acteurs
concernés,
 de les légitimer et de les évaluer et
 de les « gouverner ».

Le passage au « territorial » marque‐t‐il une inflexion notable et si oui, de quelle nature est
cette inflexion ?

Par exemple, il s’agit d’apprécier comment les discours et les démarches en termes de
transversalité des interventions, de proximité des populations, de participation et de
responsabilisation des acteurs infléchissent (et à quel degré) les façons de faire pour répondre
aux besoins.

Cela interroge la genèse des « savoirs territorialisés » et leurs caractéristiques en termes de


normes d’action et de représentations. De plus, leurs traductions opérationnelles doivent
composer avec des cadres nationaux et des contraintes budgétaires plus ou moins stricts.

D’autres questions tournent autour de l’échelon pertinent de l’intervention sociale pour traiter
de problèmes complexes, des difficultés liées au fonctionnement « multi niveaux » (infra
communal, communal ; intercommunal, départemental, national, etc.), des marges de
manœuvre territoriales pour la conception et la mise en œuvre des dispositifs ainsi que les
inégalités territoriales qui en découlent.

L’enjeu est en définitive:

27
 de mettre en évidence les caractéristiques du « territoire » et des « politiques
territorialisées »
 d’évaluer si la thématique « territoriale » est en congruence ou non avec l’émergence
éventuelle d’un nouveau modèle d’action sociale et
 plus largement de « gouvernementalité », à savoir de formes d’aménagement et
d’exercice du pouvoir.

Plusieurs des rapports de recherche font état d’un changement dans les conceptions des
politiques d’action sociale, dans le cadre de leur territorialisation. L’essentiel tiendrait dans
la volonté de mettre à l’écart les logiques sectorielles héritées qui découpent bénéficiaires et
organisations par publics cibles en construisant des modes d’interventions (prestations
matérielles et financières) selon des catégories et sous‐catégories :

 substituer à ce modèle d’appréhension des problèmes sociaux une approche qui se


veut « globale » et « transversale », centrée sur les « besoins » de chaque personne
singulière avec un ensemble de prestations diversifiées intervenant successivement ou
simultanément
 décloisonner les acteurs au sein de l’action sociale et à désectoriser ce secteur d’action
publique en le connectant à l’emploi, à la santé, à l’éducation, à la formation, au
logement, etc…

Les thèmes du « parcours », de « l’accompagnement », de « l’individualisation » tout autant


que de « l’accès aux droits » et de « l’inclusion » sont autant de symptômes de ces
reconfigurations.

10.2 Les politiques sociales locales: fondements, dispositifs, acteurs et régulations

Les fondements

L’analyse des politiques sociales locales doit être l’occasion de préciser et de problématiser la
manière dont le territoire, en tant que nouvelle catégorie d’action, participe aux
recompositions que l’on observe au sein des politiques sociales.

S’agit‐il d’aménagements à la marge dont la portée générale reste limitée ou participent‐ils


d’une transformation substantielle du système global de solidarité collective ?

28
Comment cela s’articule‐t‐il avec la recherche d’une nouvelle combinaison entre les principes
de sécurité sociale, d’assistance et de prévoyance que l’on observe dans la protection sociale ?
Quels liens avec les évolutions en matière de financement de celle-ci?

En premier lieu, l’approche de l’action publique par le territoire conduit à s’interroger sur
l’échelon pertinent qu’il convient de retenir pour concevoir les politiques sociales.
Or, la répartition appropriée des compétences dévolues à chacun peut se heurter au
développement d’interventions combinant des champs variés (l’emploi, la formation,
l’hébergement, l’action sociale, la santé, etc.) relevant d’échelons différents.
Les questions relatives à leur coordination dans la durée, en termes de priorités à définir, de
ressources à mutualiser, de formes d’intervention pluri‐institutionnelle à concevoir se trouvent
posée

En deuxième lieu, au‐delà des enjeux d’efficacité de l’action publique, l’enchevêtrement des
compétences qui est pointé ici est difficile à interpréter. Pour certains, il est assimilé à des
problèmes de transparence démocratique de l’action publique. Pour d’autres, il est au
contraire un gage de pluralité et de mise en concurrence dans l’action publique

En troisième lieu, la pertinence du périmètre de l’intervention sociale est de plus en plus


examinée à travers le prisme de l’efficience gestionnaire et de la rationalisation des moyens.

En quatrième lieu, cette promotion du territoire interroge les inégalités de traitement des
populations qui peuvent en découler. Cette approche implique, en effet, de trouver un
équilibre entre les principes d’égalité et de solidarité nationale et les libertés locales. En
d’autres termes, comment est gérée la tension entre l’autonomie des collectivités territoriales
et l’encadrement normatif de l’État relatif à la mise en œuvre des politiques sociales ?

Les prestations, les équipements et les services : quelles caractéristiques et quelles


innovations dans les territoires ?

L’observation et l’analyse pourront être développées dans plusieurs directions.

En premier lieu, il serait intéressant de préciser, sur chacun des territoires étudiés, la manière
dont les innovations éventuelles que l’on peut observer s’articulent avec des phénomènes de
dépendance au sentier, c'est‐à‐dire de dépendance à l’égard de politiques passées. Comment
se fait la combinaison entre l’une et l’autre tendance ?

29
En deuxième lieu, l’analyse devrait permettre d’éclairer le débat portant sur le partage ou la
tension entre politiques universelles et politiques catégorielles. Cette tension se manifeste‐t‐
elledans la configuration d’ensemble observée sur un territoire ? N’est‐elle apparente que
pour certains segments de l’offre ? Quels sont les champs et les interventions les plus
concernées par le ciblage ? Quelles sont les contreparties éventuellement mises en place ?

En troisième lieu, la question des critères de « justice locale » tels que le besoin, le mérite,
l’efficacité, etc. pourrait être posée. Une autre façon d’aborder la question serait de reprendre
la distinction entre le « social de compensation », remède à l’exclusion, et le « social de
compétition » qui cherche à remettre les individus dans le circuit de l’emploi pour qu’ils
retrouvent une autonomie suffisante (Donzelot, 1994).

En quatrième lieu, la question de l’accompagnement des personnes semble essentielle à divers


titres. De par les différents champs du social dans lesquels l’accompagnement est mis en
place, les collectivités locales se trouvent particulièrement impliquées. Cette notion renvoie au
fait qu’un professionnel et un bénéficiaire définissent en commun les objectifs et les modalités
des actions à entreprendre. En faisant du bénéficiaire un acteur à part entière dont les projets
et les compétences sont reconnus, le registre de l’intervention se modifie pour passer « d’un
idéal éducatif à un horizon capacitaire » (Guiliani, 2013).

Les systèmes d’acteurs territoriaux : entre hiérarchie et coopérations, encadrements et


autonomie

Il s’agira de caractériser les systèmes d’acteurs constitués dans le cadre des politiques locales
et d’analyser leurs modes de gouvernance. En particulier, on s’intéressera aux diverses formes
de combinaisons « acteurs publics/acteurs privés –acteurs marchands/acteurs non marchands
» que l’on peut repérer selon les domaines et les modes d’intervention. L’émergence du
territoire et de l’approche globale des personnes et de leurs besoins pose la question de la
coordination entre ces différents acteurs.

Normes d’action et identités professionnelles

30
Du point de vue des ressources que les acteurs locaux peuvent utiliser, il faut tenir compte de
leur grande diversité et ne pas se limiter à la dimension financière, même si celle‐ci a toute
son importance.

Les mécanismes de régulation : quels outils et quels effets ?

Les politiques sociales locales sont devenues plus complexes, non seulement en termes
d’interventions mais aussi d’un point de vue technique, gestionnaire et budgétaire. À un
niveau général, la décentralisation des compétences pose la question de l’organisation des
financements correspondants et des transferts de ressources nécessaires.

Plusieurs questions peuvent être envisagées.

La connaissance des besoins et la recherche de la qualité?

Les enjeux de l’observation sociale territoriale sont multiples : identifier et repérer les besoins
et les attentes sociales, exprimés ou invisibles ; mesurer et anticiper les évolutions et
construire des scenarii prospectifs ; connaître les territoires pour dresser des typologies afin de
mieux répartir les moyens ; disposer d’outils d’aide à la décision.

Comment la préoccupation d’un meilleur accès des populations aux dispositifs locaux est‐elle
prise en compte, notamment pour appréhender la qualité de leur mise en œuvre ?

Enfin, l’analyse de l’implication des personnes dans l’élaboration des politiques et dans la
mise en œuvre des dispositifs concernant les groupes auxquels elles appartiennent constitue
une entrée originale.

Les financements et les mécanismes de péréquation

En parallèle aux nouvelles compétences qui leur sont confiées dans le champ social, les
collectivités locales voient leurs budgets alimentés par des transferts multiples. Souvent jugés
insuffisants pour faire face aux charges correspondantes, les fonds reposent sur une gamme
diversifiée d’instruments : dotations et subventions en provenance de l’État.

XI. TYPOLOGIES ET MODELES DANS L’ANALYSE DES POLITIQUES


SOCIALES

31
La question de la pauvreté s’inscrivant dans des configurations institutionnelles propres à
chaque société, l’analyse de ses fondements devrait tenir compte des piliers ci-après :

–le marché du travail et ses régulations,


–les compromis sociaux entre les acteurs syndicaux, économiques et étatiques, –le
traitement politique réservé aux personnes pauvres, –
les représentations sociales de la pauvreté. (Lefèvre, Sylvain, 2011) auxquels on peut ajouter
la famille et la communauté.

Les modèles et typologies suivant permettent on ne peut plus d’analyser la plupart des
dispositifs de politiques sociales ou de protection sociale mis en œuvre dans la plupart des
pays à travers le monde.

Il n’en demeure pas moins que certaines interventions en politiques sociales ne se laissent pas
aisément saisir par ces archétypes.

Les variétés analytiques de la protection sociale ou des politiques sociales nous amènent à
proposer des modèles et typologies d’analyse des politiques sociales ou système de protection
sociale plus ou moins divergents. Sous ce rapport, sans prétendre être exhaustif, nous
passerons en revue l’essentiel des modèles d’analyse proposés depuis les schémas
dichotomiques de Otto Eduard Léopold Von Bismarck et William Henry Beveridge jusqu’au
plus récents, dont celui de Didier Tabuteau,en passant par Richard Titmuss, GostaEsping-
Andersen, Anthony Giddensentre autres.

Le Modèle de Bismarch

Les assurances sociales découlent du travail, elles organisent pour les travailleurs et leurs
familles une protection contre les risques de la vie. Leur ressort financier est la contribution
directe des travailleurs par le paiement de cotisations (Didier Tabuteau). Le modèle
bismarckien, dit d’assurance sociale obligatoire, est un système bâti autour de la notion de
statut professionnel et de risque au travail avec une couverture sociale des employés contre les
risques liés à leurs activités.

Les travailleurs bénéficient de prestations en fonction de leurs cotisations (montant, durée) et


peuvent en faire bénéficier leurs familles. Ce type de régime est foncièrement corporatiste
dans sa cible (les travailleurs), son mode d’organisation, de fonctionnement et de gestion

32
(autogestion ou cogestion). C’est un régime pour les travailleurs et par les travailleurs dans la
mesure où les salariés restent les principaux bénéficiaires des prestations et le système,
financé et géré par les acteurs professionnels.

De plus, ce type de régime protège souvent les travailleurs de statuts professionnels stables et
bien définis, tels les salariés (Friot, 1998). Les autres travailleurs « précaires » (intérimaires,
salariés à mi-temps, stagiaires) ou les sans statut comme les travailleurs « au noir » souvent ne
bénéficient pas de tous les avantages du système, surtout en matière de retraite, de santé ou de
chômage (Castel R., 2007).

Le modèle de Béveridge

La protection sociale dérive de l’appartenance à la collectivité. Un pacte social garantit une


protection plus ou moins large mais indépendante du statut professionnel (Didier Tabuteau).
Le modèle de protection sociale proposé par Beveridge est un système de protection dit
universaliste. Les individus bénéficient de la sécurité sociale en fonction, non pas
exclusivement de leur emploi ou de leur fonction, mais de leur statut de citoyen. Le principe
de ce modèle est de couvrir automatiquement tous les citoyens sans obligation de cotisations
préalables ni de lien avec la profession. La protection sociale est essentiellement financée par
l'impôt.

La citoyenneté est un élément fondamental qui lui permet de bénéficier d’avantages sociaux et
de protection contre les risques majeurs: santé, vieillesse, famille, travail. Dans ce régime, être
citoyen c’est disposer de droits politiques mais aussi de droits de protection sociale
(Schnapper, 1989). Ces derniers sont garantis par un État fortement protecteur qui assure une
redistribution plus ou moins égale des ressources. Toutefois, dans ce type de régime, la grande
difficulté est de définir la notion de citoyenneté sans discrimination puisque le système de
Beveridge repose sur une philosophie démocratique et universaliste.
D’ailleurs, certaines études sociologiques montrent que le modèle beveridgien n’incluait pas
les femmes et n’était donc pas pleinement démocratique (Gautier & Heinen, 1993). Mamadou
Aguibou Diallo

Le modèle de Pierre Laroque

Le système d’assurance sociale français, élaboré par Pierre Laroque sous l’influence de la
tradition mutualiste française essaye de s’en démarquer. En effet, Pierre Laroque propose aux

33
Français un système hybride (modèle d'« assurance d'assistance ») dans lequel on retrouve des
éléments de chacun des régimes mais où la sécurité sociale organisée en grands « risques »
demeure une institution centrale (Barbier & Theret, 2009). Ce modèle est caractérisé par trois
grands éléments: les assurances sociales, l’aide et l’action sociale et les institutions
mutualistes et de prévoyance.

Le modèle français de François-Xavier Merrien

Il repose sur une différenciation entre les systèmes visant à protéger de la misère les indigents
et ceux attachant des droits sociaux à l’appartenance à la collectivité. Bienfaisance politique
d’un côté et citoyenneté sociale de l’autre. C’est la distinction entre le modèle « résiduel » et
le modèle « institutionnel ». Dans le premier les politiques sociales viennent pallier les
carences des autres protections existantes et dans le second elles traduisent une ambition de
cohésion sociale.

Le modèle de Richard Titmuss

Il propose un modèle comprenant: le résiduel, l’industriel-méritocratique et l’institutionnel.


Dans le modèle résiduel, on note une forte présence de la famille et du marché. L’État n’y
intervient qu’en dernier lieu lorsque les solidarités primaires (familiales, communautaires,
professionnelles) ou le marché ont montré leurs limites. Ce modèle se résume au maintien de
filets de base en assurant le strict minimum, laissant le reste au marché. Seulement, le marché
ne permet pas à lui seul de garantir une sécurité sociale optimale aux travailleurs car le
système est dominé par une logique capitaliste.

Le modèle de Gosta-Esping Andersen

Les différents modèles qu’il présente, permettent d’identifier différents types de «


démarchandisation » partielle du travail salarié, correspondant à trois types d’État
providence : l’État providence libéral, l’État providence conservateur corporatiste, l’État
conservateur social-démocrate. (Laurent Olivier, 2014)

 Dans l’État-providence « libéral », modèle représenté en Australie, au Canada, aux États-


Unis, au Royaume-Uni, en Irlande et en Nouvelle-Zélande, l’assistance est fondée sur une
évaluation stricte des ressources. Les transferts universels et les programmes d’assurance
sociale restent résiduels.

34
Ainsi, l’État encourage le marché de la protection sociale en subventionnant les programmes
privés d’assurance ou de prévoyance, en ne garantissant que le minimum.

Le régime libéral a un niveau de dépenses sociales et d’impôt moins élevé et moins important
que les autres régimes. Les transferts, financés par l’impôt, restent modestes, l’assistance
n’étant fournie qu’en dernier recours aux personnes les plus démunies, qui doivent « prouver
» qu’elles en ont vraiment besoin, et peuvent être socialement stigmatisées. Le marché doit
être « entravé » le moins possible par des interventions de l’État.
Ce modèle moins redistributif est économiquement plus inégalitaire. Les transferts sont
principalement orientés vers les personnes en âge de travailler. Les mesures actives d’aide aux
chômeurs à trouver un emploi sont importantes. Ce modèle se caractérise par la faiblesse du
syndicalisme, des écarts assez élevés entre salaires.

 Le second « monde » de l’État providence, dit « conservateur-corporatiste », caractérise


des Etats comme l’Allemagne, l’Autriche, la France, la Belgique et l’Italie, marqués par
un héritage important d’étatisme, de corporatisme et d’influence de l’Église. Ces États de
tradition conservatrice et/ou marqués par le réformisme catholique ont développé un degré
de politique sociale précoce. Un consensus s’est perpétué pour l’octroi large de droits
sociaux

L’impact redistributif y est cependant limité par la préservation des différences de classe et de
statut. Les prestations sociales sont dans ce modèle, conditionnées par le versement de
cotisations prélevées sur les salaires (Italie, France et Autriche). Dans ce modèle
conservateur, les bénéfices sont organisés par types de métier. Le corporatisme fut une
réponse conservatrice à la fragmentation sociale dans des pays tardivement industrialisés. Les
droits sociaux dépendent de l’appartenance à un groupe professionnel ou à une classe sociale.
L’attachement à l’emploi est déterminant pour bénéficier d’une retraite complète dans un
régime donné. La protection sociale a ainsi pour effet de préserver et d’institutionnaliser les
différences de statut social et de mettre au jour la distinction entre les personnes actives sur le
marché du travail (et leur famille) et celles qui en sont exclues. Du fait de l’influence
chrétienne, les politiques de l’État favorisent les ménages où le père est la principale source
de revenu familial. Les obligations familiales pour les femmes mariées apparaissent comme la
justification de leurs droits dérivés de leur conjoint salarié. Malgré un taux de syndicalisation
en baisse, les syndicats continuent d’y jouer un rôle important.

35
 Enfin, l’État-providence « social-démocrate », le moins répandu, est particulièrement
illustré de façon idéal-typique par les pays nordiques (Danemark, Finlande, Norvège,
Suède), nations qui ont une forte tradition démocratique et de rejet du catholicisme. Ce
sont surtout des coalitions politiques sociales démocrates successives qui ont insufflé les
principes d’universalisme et de « démarchandisation» des droits sociaux. Dans ce
système, l’ensemble des catégories sociales bénéficie d’un régime généralisé d’assurance
de protection sociale de haut niveau qui neutralise le marché et génère une solidarité
globale favorisant l’État-providence.

Les sociaux-démocrates suédois inaugurent cette combinaison des droits universels du citoyen
avec des allocations élevées, progressives et proportionnelles au salaire financées par des
impôts élevés. Cette volonté de redistribution ainsi que ces droits et protections, ont protégé
les systèmes sociaux-démocrates de toute remise en cause révolutionnaire. A la différence des
deux autres modèles, ce régime vise le plein emploi et les syndicats forts favorisent des
structures salariales homogènes.

Le « modèle nordique », notamment la prise en charge par l’État de tous les besoins sociaux,
doit cependant être nuancé aujourd’hui13. En effet, de nouvelles formes d’organisation
économique et d’institutions de protection sociale y ont été créées face aux risques sociaux,
afin de rendre autonomes les citoyens, en leur donnant les outils pour qu’ils puissent se
prendre en charge eux-mêmes.

Le modèle de Anthony Giddens: La « Troisième voie »

L’idée de « troisième voie », proposée par Anthony Giddens entendait dépasser le modèle de
la social-démocratie mis en place après la Seconde guerre mondiale. Contrairement à une idée
répandue, le rôle de l’État reste important. Giddens insiste sur le rôle de l’État comme
investisseur social (comme chez Esping-Andersen). A la différence des néolibéraux, il parle
même d’étendre le rôle de la sphère publique.
Cette politique implique une réorientation des investissements de l’État, des dépenses accrues
dans le domaine éducatif, en particulier pour la formation permanente et la requalification, et
la multiplication des partenariats avec le système dit du « troisième secteur » (mutuelles,
associations, économie solidaire…).

36
Ce modèle exclut en revanche de restaurer la propriété publique des moyens de production. Si
l’État demeure garant de biens publics tels que l’éducation ou la santé, il n’en n’est plus
considéré comme le nécessaire fournisseur, mais devient un Etat stratège, partenaire.

Giddens prône la « redistribution des possibilités », par opposition à la redistribution des


richesses. La valorisation de « l’égalité réelle des chances » suggère la possibilité ouverte à
tous dans une société donnée d’avoir accès à des « biens stratégiques » fondamentaux, tels
que l’éducation, la santé, le travail, etc. C’est l’égalité d’accès et non de résultat qui est
valorisée. Toute forme d’égalitarisme est condamnée par la troisième voie. Elle suggère un
effort civique, sur le thème du lien étroit entre droits et devoirs. La troisième voie défend
aussi le principe de « responsabilité », qui s’inscrit dans la même relation logique : Giddens
ne conçoit pas de droits sans obligations.

C’est une « troisième voie dans le sens où c’est un essai pour dépasser tant l’ ancienne [old-
style] social-démocratie que le néolibéralisme »

Tableau comparatif synthétique des principaux référentiels selon Giddens

La social-démocratie Néolibéralisme Troisième Voie


classique (la nouvelle droite) (ou
(ancienne gauche) thatcherisme)

37
Participation « étendue » Gouvernement minimal Action publique si nécessaire et
(pervasive) de l’État dans Société civile autonome efficace, rôle de
la vie économique et Fondamentalisme en ce qui l’État limité mais à réaffirmer
sociale concerne le rôle Partenariat avec la société civile et
État domine la société primordial du marché nouvel individualisme
civile Autoritarisme moral et fort Marché comme outil à privilégier
Collectivisme individualisme économique lorsqu’il est performant.
Management keynésien Marché du travail est un Surveillance des conséquences du
par la demande, plus marché comme un autre libre-échange
corporatisme et doit donc être « libre » (de Responsabilité et acceptation des
Rôle restreint accordé au toute intervention conséquences
marché : économie de l’État) des styles de vie choisis
sociale ou mixte Acceptation de l’inégalité Flexibilité et prise de risque
Plein emploi Nationalisme traditionnel nécessaires sur le
Fort égalitarisme État-providence conçu marché du travail
État-providence complet, comme un filet de sécurité Inégalité comme exclusion,
étendu, protégeant les inclusion comme
citoyens « du berceau au objectif légitime de l’action
tombeau publique
État social actif conçu comme État
facilitateur de
la prise de responsabilités et de
risque individuelles

Patchwork ou Grille d’analyse d’une PS selon Didier Tabuteau (2012)

38
Après respectivement Béveridge et Bismark, Richard Titmusset GostaEsping-Andersen,
Didier Tabuteau nous propose une grille d’analyse des PS se justifiant par :

o Le développement de l’Etat-providence et la recherche de solidarités renforcées


fortement affectés par les bouleversements macro-économiques
o Et la multiplication des interventions sociales s’adaptant aux réalités et échappant aux
logiques doctrinales retenues pour l’examen des politiques sanitaires, éducatives et
sociales.

Selon lui cinq critères permettent d’analyser les politiques sociales selon leurs configurations
et leur évolution depuis trois décennies :

 Le critère organique
 Le critère financier
 Le critère instrumental
 Le critère périmétrique
 Le critère comportemental

Le critère organique

C’est le critère traditionnellement privilégié dans l’analyse des politiques sociales. Ici
l’institution en charge de la politique sociale est la référence. Il s’agit de l’Etat central à
travers différents dispositifs institutionnels, des collectivités locales, du privé et de la société
civile.

Le critère financier

L’analyse sous le prisme du critère du financement rejoint pour partie celle induite par le
critère organique.

Les interventions sous l’égide de l’Etat et des collectivités locales ont longtemps été financées
par l’impôt. Les interventions des organismes de protection sociale sont financées par les
cotisations.
Sous un autre angle, le critère financier permet d’apprécier l’intensité de la redistribution
verticale des politiques sociales. Les
plans de maîtrise des dépenses sociales peuvent également être analysés à travers ce critère.

39
L’augmentation des tickets modérateurs, des forfaits ou des franchises induit une
redistribution défavorable aux malades. Le critère financier
conduit enfin à identifier les politiques sociales poursuivies par voie d’incitation fiscale dont
le coût pour la collectivité peut être très élevé. Exemple: des crédits et des réductions d’impôt
contribuent à l’accompagnement des personnes en situation de handicap de même au soutien
des associations œuvrant dans le secteur social.

NB : L’approche financière est rendue particulièrement difficile par la multiplicité ou


superposition des sources de financement.

Le critère instrumental

On distingue traditionnellement les prestations en nature et les prestations en espèce.

 Les prestations en nature font référence à l’ensemble des services de nature sociale
accessibles aux usagers avec ou sans participation financière ou frais. C’est le cas de
l’école publique et du système public de santé.

 Quant aux prestations en espèce, elles matérialisent l’ambition des politiques sociales
d’utiliser des ressources collectives pour accroître le revenus de personnes confrontées
à un risque spécifique ou dont les ressources sont insuffisantes. Pensions de retraite,
allocations familiales, indemnité de chômage. Ces prestations sont par moment
traduites en prestations en nature lorsque l’on craint que ces prestations soient utilisées
à d’autres fins.

Les prestations peuvent être intégrales ou différentielles.

Le critère périmétrique

La définition des politiques sociales reposent sur l’énoncé de conditions juridiques, qui en
explicitent ainsi le périmètre populationnel mais aussi financier. C’est d’abord le caractère
contributif ou non contributif du droit ouvert.

Une deuxième catégorie est attachée à la personne bénéficiaire. Les prestations peuvent être
subordonnées à des conditions d’âge etc…

40
Une troisième catégorie renvoie à la nature du risque couvert et à l’intensité du besoin
individuel. Les indemnisations spécifiques de victime reposent sur le principe. C’est le fait
d’être victime d’un accident ou d’une infraction pénale qui permet de bénéficier de ces
régimes d’indemnisation. Exemple des lois Badinter et Kouchner en France et le bateau le
Diola.

La dernière catégorie est relative à la nature du service auquel le bénéficiaire veut accéder.

Le critère comportemental

Les interventions sociales peuvent être subordonnées au respect de conditions plus ou moins
contraignantes. C’est la notion de «workfare» ou contrepartie obligatoire pour les
bénéficiaires d’une prestation (obligation de travail ou d’efforts d’insertion).

Nixon (1969) utilise l’expression le premier : « what America needs now is not more welfare,
but more « workfare» ». Welfare-to-work selon Bill Clinton (1996).

Les critères comportementaux peuvent donner lieu à deux démarches :

 La première est de nature punitive: le bénéficiaire est sanctionnée en cas de non-


respect. Le versement des indemnités de chômage entre dans ce cadre de même que
les bourses de sécurité familiale à l’origine.
 Une autre voie est de nature incitative. Elle s’inscrit dans une démarche de prévention
du risque.

Des typologies globales adaptées aux pays du Sud (Mamadou A. Diallo)

Les différentes approches théoriques élaborées dans ce cadre tentent souvent de mettre en
relation l’État, le marché et la famille, trois institutions actuellement au centre de la plupart
des systèmes sociaux de sécurité.

 Premièrement, l’État en tant que créateur et garant de la viabilité des systèmes


sociaux, est le principal financeur des politiques sociales. C’est aussi l’acteur qui
élabore les priorités et les stratégies de protection sociale pour les différentes
catégories de populations. Au moyen des politiques sociales, il garantit une certaine
sécurité par rapport aux risques liés à l’âge, à la maternité, à l’emploi, à la maladie
et/ou aux accidents professionnels.

41
 Deuxièmement, le marché participe à son tour à la protection sociale parce qu’il
propose des prestations à des personnes et des groupes non couverts par l’État ou les
structures traditionnelles (Blanchet, 1997).

 Troisièmement, la famille, unité sociale de base et en même temps lieu de solidarité


traditionnelle, soutient les personnes grâce à une certaine assistance pendant les
moments de vulnérabilité (maladie, accidents, maternité, chômage). Elle est le lieu de
travail et de prise en charge, d’entretien et de soins aux enfants et aux adultes
dépendants, comme le montrent les travaux de Jane Jenson(1997) ou de Jane Lewis
(1997). Aussi, par la solidarité, l’unité familiale contribue à l’intégration de l’individu
dans le corps social (socialisation). Enfin, la famille est l’instance la plus sollicitée
pour lutter contre l’exclusion sociale dans certaines sociétés parce que les individus
sont liés par des éléments très forts comme la parenté et la solidarité.

Le modèle de Delphine Chauffaut et Pauline Domingo

Il comprend:

 Les politiques de « redistribution »;


 Les politiques incitatives
 Et les politiques d’amélioration de la qualité de vie

Les politiques de « redistribution »

Certaines politiques sociales sont fondées sur le principe de donner plus à ceux qui en ont le
plus besoin. Cette redistribution est dite « verticale » quand elle consiste en des transferts
financiers vers les plus démunis.

Elle est dite « horizontale » lorsqu’elle opère des transferts financiers entre différentes
catégories (bien portants vers les malades, des familles sans enfant vers celles avec enfants,
etc…)

Les politiques incitatives

Elles se fondent sur une modification attendue du comportement des individus, pour produire
des effets individuels ou sociaux bénéfiques. Il s’agit par exemple des politiques dites d’ «

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activation », incitant au retour à l’emploi de chômeurs, ou de politiques de santé publique
invitant, par mesure de prévention, à l’adoption de comportements sains.

Les politiques d’amélioration de la qualité de vie

Certaines politiques sociales cherchent à améliorer la qualité de vie des individus sans
nécessairement induire des transferts financiers directs.

Les politiques de rénovation urbaine, d’accès gratuit, ou des tarifs inférieurs aux prix du
marché, à des services prisés, tels les crèches, les centres de loisirs font partie de cette
catégorie de politiques.

Le modèle comparatif de l’investissement social

État-providence « investisseur » Soutien et État-providence « infirmier »


préparation Réparation et indemnisation

Intervention en amont, a priori Intervention en aval, a posteriori

Armer, former pour éviter le risque Attendre le fait générateur pour intervenir

Préparation – Etat préventif Réparation – État curatif

Dépenses actives Dépenses passives

Les jeunes, les femmes et les enfants Les hommes, les vieux

Pré-distribution - Autonomie Redistribution - Garantie

Emplois publics de qualité Emplois publics précarisés

Augmentation de dépenses ciblées Réductions de cotisations et d’impôts

43
Le modèle de Louise Carignan

On peut ici distinguer quatre types de politique sociale en fonction des risques couverts, des
secteurs et des catégories concernés: les politiques sociales globales, les politiques
sectorielles, les politiques catégorielles et les politiques transversales.

Les politiques sociales globales

Elles visent à garantir collectivement une forme de sécurité contre les risques sociaux liés à la
maladie, à l’invalidité, à la vieillesse, à l’absence de travail ou à des revenus insuffisants
(sécurité sociale, revenu minimum garanti, assurance chômage). Par, ces politiques il s’agit de
« garantir à chaque citoyen qu’en toute circonstance il sera à même d’assurer dans des
conditions convenables sa substance et celle des personnes à charge

Les politiques sectorielles

Elles sont celles établies par secteur d’activités (politique de la santé mentale, du logement,
décrochage scolaire, etc.)

Les politiques catégorielles

Elles sont celles établies par catégorie de personnes (politique de l’enfance, de l’adolescence,
de la vieillesse, des personnes immigrantes, victimes de violence, etc.)

Les politiques transversales

Elles sont celles qui peuvent croiser, concerner les secteurs et les catégories (la politique de la
pauvreté, de l’exclusion sociale, l’égalité des personnes, la non-discrimination, etc.)

‘Empowerment’ et politiques sociales: trois modèles (radical, néolibéral et social-


libéral)

Le concept ‘empowerment’ a à la fois influencé les politiques et les pratiques sociales.

D’une part, du point de vue des pratiques sociales, les acteurs de l’encadrement social sont
passés de relations de bienfaisance à des rapports de collaboration.

44
D’autre part, son ambition étant de lutter contre les inégalités de classe, de race et de genre,
les institutions de développement international en ont fait un de leurs principaux mots d’ordre.

Les travaux de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener sur le concept ont débouché sur la
distinction de trois modèles: le modèle radical des origines, le modèle néolibéral et le modèle
social-libéral.

Le modèle radical

Il évoque les idéaux :

-De justice sociale


-De redistribution
-De changement social

Le modèle néolibéral

Selon ce modèle, l’empowerment vise à ‘permettre aux individus d’exercer leurs capacités
individuelles et à prendre des décisions rationnelles dans un contexte d’économie de marché’.
(être entrepreneur de sa propre vie)

Le modèle social-libéral

Il promeut la liberté individuelle, les droits civiques, l’intervention publique sans pour autant
remettre en cause les inégalités sociales.

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Typologie de l’Etat social et configurations du Travail social selon Thierry
Dock

État keynésien État néo-libéral État social actif

Cadre économique Économie mixte Fondamentalisme du Marché :


marché outil à privilégier et à
surveiller

Rôle de l’État État étendu État minimal État facilitateur

Modèle social État-providence, Laisser faire État social actif


État social “passif“

Marché de l’emploi Marché régulé (notamment Marché comme les Flexisécurité


via des conventions autres
collectives de travail)

Dans une première période, qui est largement marquée par le britannique John Maynard
Keynes (1883-1946), un des plus influents économistes du 20e siècle. Keynes est
particulièrement célèbre pour sa théorie relative à la nécessité pour l’État d’intervenir afin
d’éviter le sous-emploi. Tirant les enseignements des années 1920 et 1930, le plein emploi et
une protection sociale ambitieuse sont des références fortes dans les politiques mises en place
après la Seconde Guerre mondiale. Une crise majeure trouve sa source dans le premier choc
pétrolier en 1973. Malgré la survenance de celle-ci, les acteurs, décideurs politiques et
interlocuteurs sociaux, continuent à fonctionner dans le cadre du modèle d’inspiration
keynésienne, construit sur les bases du Projet d’accord de solidarité sociale de 1944, appelé
communément « Pacte social ». L’État est interventionniste.

Le deuxième paradigme correspond à la montée en puissance et à la mise en œuvre des


préceptes prescrits par des penseurs néo-libéraux, dont Friedrich Hayek constitue une figure
de référence. Ce paradigme considère que l’État social a pris une importance excessive et que
cette importance est la source principale de la crise. Pour Hayek, il importe de transférer au
marché les principales compétences de la protection sociale, laissant à l’État la seule mission
de protéger les individus les plus pauvres par une politique d’assistance.

46
Un troisième paradigme s’est déployé à partir de la deuxième partie des années 1990. Il est
nourri par les réflexions et les travaux d’intellectuels issus de la social-démocratie tels
Anthony Giddensou encore Pierre Rosanvallon. Plutôt que de penser le retour vers un État
social keynésien et refusant les propositions néo-libérales, ils théorisent les contours d’une
troisième voie, celle d’un État social actif.

Etat social et travail social

État keynésien État néo-libéral État social


actif
Rôle de l’État État étendu État minimal État facilitateur
Place de l’individu Égalitarisme Individualisme radical Nouvel
individualisme
Portage des Les responsabilités Les responsabilités Équilibre des
responsabilités sont collectives sont individuelles responsabilités
Configuration du Contribution à la Primauté au travail Travailleur social
travail social construction du social individuel. comme magistrat
collectif Rôle compassionnel social

Avec l’État keynésien, la sécurité sociale et les politiques sociales de manière plus générale
sont envisagées comme une base permettant de poursuivre l’objectif de plein emploi et
d’assurer une sécurité d’existence ambitieuse.

La figure du travailleur social est double. Elle est celle d’un professionnel exerçant des
compétences de plus en plus pointues dans les grandes administrations et institutions de la
sécurité sociale (parastataux, hôpitaux, etc.). Mais c’est aussi celle d’un acteur engagé dans la
construction du collectif. Ils sont nombreux à être employés dans des organisations porteuses
de mouvements sociaux telles que, par exemple, les syndicats de travailleurs.

L’État keynésien est aussi celui marqué par le souci de l’égalité qu’il s’agit de promouvoir à
travers des politiques orientées vers la redistribution des revenus. Celle-ci s’appuie sur
différents mécanismes : la fiscalité, la sécurité sociale et le financement de services collectifs
étendus. Loin de la caricature distillée par les doctrinaires néo-libéraux, les responsabilités
sont avant tout celles du collectif et non pas celles de l’individu.

À l’inverse, l’État néo-libéral prône un État minimal. Avec l’État néo-libéral, les orientations
tracées pour le travailleur social sont profondément redéfinies. Ce qui est attendu de lui, ce
n’est certainement pas qu’il contribue à nourrir le collectif. Comme signalé plus haut, le bon

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fonctionnement des marchés repose sur la stimulation de la concurrence entre des acteurs
multiples et atomisés. Le travail social reste nécessaire car les marchés ne peuvent permettre
de répondre à l’ensemble des besoins. Mais ce travail social, il s’agit de l’orienter vers
l’individu dans une seule perspective assistancielle.
Puisqu’il s’agit de privilégier le libre fonctionnement des marchés, les attentes à l’égard du
travail social ne s’inscrivent pas non plus dans le registre du changement. À l’opposé de la
figure d’un meneur ou d’un animateur, les responsables néo-libéraux attendent de lui qu’il
opère dans un registre que l’on pourrait qualifier de compassionnel. Pour éviter des troubles
sociaux, il convient, non pas d’éviter le creusement d’inégalités, mais bien d’éviter que des
individus basculent dans une pauvreté qui menacerait l’équilibre de la société.

L’idéologie néo-libérale n’a aucunement disparu mais les contours des politiques sociales ont
progressivement été façonnés par un nouveau paradigme, celui de la troisième voie, plus
communément appelé État social actif.

Contexte actuel et Perspectives

 Prévalence élevée du secteur tertiaire


 Montée des emplois précaires
 Les exigences de l’égalité entre les sexes
 Baisse de la croissance

Conclusion

L’analyse de ces modèles fait apparaître des axes d’intervention en perspective de


l’amélioration des politiques sociales dont entre autres :

 Revoir les mécanismes de pilotage ou leur gouvernance en faveur de l’unicité


 La restructuration des politiques sociales autour des trois principes canoniques
 Le renouveau de la réflexion sur les services publics, la lutte contre les inégalités et le
financement des politiques sociales.

En définitive, analyser une politique sociale passe d’abord par une maîtrise du processus
d’élaboration et de la structuration de cette politique sociale à travers ses principes, ses
matrices et ses concepts concurrents. D’autre part, les typologies et modèles d’analyse des

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politiques sociales apparaissent comme incontournables dans la caractérisation de toute
politique sociale.

Toutefois, le survol des différents modèles nous informe de la nature évolutive des
compromis sociaux dynamique et, par ricochet, des modèles d’analyse.

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