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Introduction
BIEN PARLER POUR MIEUX VIVRE
La langue française est complexe, son orthographe, anarchique, sa
grammaire, pleine d’embûches, sa conjugaison, impossible à maîtriser, bref, c’est
une langue… euh, que dire ?… Quel qualificatif cet apôtre du tout-anglais avait-il
employé un soir de débat houleux ?… « Indubitable ? », non, mais quelque
chose de ce genre… « Imbitable », c’est cela : « imbitable » ! Élégant, non ? Au
moins reconnaissait-il par ce qualificatif distingué que notre langue est une
maîtresse indomptable, inaccessible à qui veut la posséder sans égards. Chez
cet ami, la sévérité du jugement n’était finalement que l’expression d’un dépit
amoureux.
Il confondait aussi complexité et richesse, car la richesse de notre langue
peut impressionner les béotiens de telle sorte qu’ils se découragent et
préfèrent finalement opter pour la médiocrité, les approximations, les fautes.
Se drapant d’un manteau de dérision doublé de mauvaise foi, ils vous assènent
alors de fausses raisons, des contre-vérités, des arguments totalement éculés
comme celui qui, au motif que la langue est vivante, ouvre la porte à tous les
excès, maquille les erreurs en inventions, déguise les fautes en trouvailles et
laisse le champ libre aux anglicismes les plus hideux, les plus inutiles et les plus
destructeurs, ceux que je nomme « lexicophages » parce qu’ils prennent la
place de mots français plus précis, plus nuancés, plus subtils, tant de mots qui
vont se retrouver dans la basse-fosse d’un lexique oublié, qualifié de « vieilli »
ou de « rare » dans les dictionnaires.
Par un bien étrange paradoxe, ces béotiens pensent se glorifier en adoptant
les anglicismes à la mode, alors même que, de l’anglais, ils sont généralement
de bien piètres locuteurs. Quant à leur langue maternelle, celle qu’ils trouvent
trop complexe et qu’ils revendiquent « vivante », ils la tuent à petit feu et sont
presque fiers d’en être les fossoyeurs.
Je crie donc « halte au feu ! », si petit soit-il. Il faut sauver notre belle langue
française, en grand danger de s’éteindre à force d’être agressée. Les fautes en
tout genre se multiplient et s’étalent sur tous les supports médiatiques ; nos
chers bavards des ondes hertziennes sont de plus en plus nombreux à ne pas
savoir construire leurs phrases de façon cohérente ; outre les anglicismes
destructeurs, ils parsèment leurs interventions de « voilà », de « eh bien », de
« en fait », ils répètent les tournures exaspérantes jusqu’à l’écœurement, ils
font des liaisons là où elles sont interdites, ils ne lient pas là où il faudrait lier,
leur reconnaissance des « h » aspirés est défaillante, leur vocabulaire est
indigent, à tel point que souvent, ces parleurs patentés cherchent en vain le
mot juste susceptible d’exprimer leur pensée avec précision, etc.
Pourtant, par qui veut vraiment la comprendre, la bien écrire, la bien lire, la
bien parler, la langue française se laisse volontiers dompter ; sa syntaxe devient
alors cohérente, sa conjugaison, logique, sa grammaire, compréhensible. À qui
cherche à en remonter le cours, le lexique se précise à la faveur de
l’étymologie et l’on fait de passionnantes découvertes.
En septembre 2014, j’ai publié Langue française, arrêtez le massacre ! J’y ai
mentionné les fautes relevées chez ceux dont la fonction est principalement de
parler ou d’écrire. Mieux que de dénoncer journalistes et hommes politiques
coupables, j’ai explicité la nature de leurs erreurs en les replaçant, aussi
souvent que possible, dans leur contexte étymologique.
En septembre 2016, Langue française, le massacre continue ! fut édité à
son tour, venant compléter mon travail à partir de nouveaux exemples et de
quelques thèmes supplémentaires. Je disposais ainsi d’un inventaire sinon
exhaustif, du moins bien rempli et bien représentatif des difficultés les plus
courantes rencontrées par nos concitoyens en matière de langue française. J’ai
réparti ces difficultés en séquences regroupant chacune sept chapitres :
« Féminin ou masculin ? », « Pléonasmes », « Solécismes », « Barbarismes »,
« Anglicismes », « Tournures exaspérantes » et « Pataquès et fautes de
prononciation ». À partir de ce « riche » matériau et à la demande de mon
éditeur, Stéphane Chabenat, j’ai réfléchi à la possibilité d’un ouvrage didactique
apte à rendre tout un chacun capable d’améliorer sa maîtrise du français en ne
consacrant à ce projet que cinq minutes par jour et ce, pendant deux cents
jours. Vingt-neuf pages d’exercices corrigés permettent de vérifier les progrès
accomplis.
Cet ouvrage n’est pourtant ni un traité de grammaire, ni un manuel scolaire,
ni même un livre d’exercices type « cahier de vacances » (le bel oxymore !). J’ai
souhaité y joindre l’agréable à l’utile, ayant recours à des historiettes, des
anecdotes, des références à certains faits historiques ou d’actualité, de sorte
que la mémoire soit aidée, chaque point de langue étant associé, aussi souvent
que possible, à une particularité originale, de préférence humoristique. Par
rapport aux deux ouvrages cités, les exemples sont presque toujours nouveaux,
essentiellement empruntés aux journaux et magazines. Avec une divine
générosité, cette presse écrite m’a donné chaque jour mon pain quotidien de
solécismes, barbarismes, anglicismes, ceux-là même qui correspondaient au
sujet précisément traité, de sorte que l’on peut suivre l’avancée chronologique
de mon travail aux dates de publication des articles incriminés.
Rêvons ensemble d’une société où chacun s’exprimerait clairement, ayant
acquis les moyens de mettre son langage en parfait accord avec sa pensée.
L’invective s’y ferait rare, car l’invective n’est qu’un triste expédient quand le
langage est pauvre. La violence s’y atténuerait, car la violence suit l’invective.
Est-ce donc si utopique ?
Que ce livre soit à la fois utile et agréable, telle est mon attente. Son but
n’est pas de faire des tribuns de nous tous, ni même des Saint Jean Bouche
d’or, mais au moins nous fera-t-il comprendre que l’aptitude à mettre son
langage au service de sa pensée est la garantie du bien parler sans lequel il ne
saurait y avoir d’harmonie entre les hommes. À défaut d’être de brillants
orateurs, sachons simplement exprimer nos idées de façon évidente, limpide, et
chérissons notre français, ce bel et riche idiome, modèle de raison et de clarté,
qui nous permet d’atteindre un si noble objectif.
J.M., le 8 décembre 2017
Attention ! Dans les pages qui suivent, ce pictogramme rappelant un sens
interdit est toujours placé devant un mot fautif ou une phrase incorrecte.
N’empruntez jamais ces voies : elles sont impraticables !
Solécismes1 Les chiffres placés en exposant à droite de certains mots
renvoient au glossaire situé à la fin du livre.
À la fin de chaque chapitre, trois indiquent les préceptes qu’il serait
souhaitable de mémoriser.
1
APOGÉE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Doit-on dire « un apogée » ou « une apogée » ?
La terminaison « ée » peut nous induire en erreur en nous incitant à choisir le
féminin. En effet, ne dit-on pas « une allée », « une année », « une azalée », « une
cheminée », « une dictée », « une fée », « une fumée », « une idée », « une
journée », « une mosquée », « une orchidée », « une panacée », « une pensée »,
« une vallée », « une dragée », « une gorgée », « une plongée », « une rangée », et
toute une… flopée d’autres exemples ?
Oui, mais on dit aussi « un lycée », « un caducée », « un camée », « un
mausolée », « un musée », « un prytanée», « un scarabée », « un trophée » et
quelques autres mots d’un emploi plus rare dont « hypogée » (construction,
notamment funéraire, située en dessous du niveau du sol).
« Apogée » n’est donc pas une exception, que le mot soit utilisé au sens
propre de « point extrême de l’orbite d’un astre par rapport au centre de la
Terre » (en ce sens, son contraire, « périgée », est tout aussi masculin) ou au
sens figuré de « plus haut degré ».
Comment donc s’y retrouver ? Existe-t-il un moyen mnémotechnique ?
Savoir que ces mots masculins en « ée » sont d’origine grecque ou latine et que
« ée » y est un vestige de la finale latine « eum/eus » ne nous avance guère.
Alors ? Alors, le problème n’est, en l’occurrence, pas si épineux qu’il y paraît
puisque la distinction féminin/masculin ne se pose que pour quelques mots
qu’il suffit, en fin de compte, d’apprendre par cœur.
En tout cas, gardons-nous d’invoquer une pseudo-théorie qui voudrait
établir un lien entre genre grammatical et sexe (identification sexuelle),
attribuant une masculinité à certains objets ou concepts et une féminité à
d’autres : le sexe des mots est aussi irréel que celui des anges et l’on
chercherait en vain dans un mausolée je ne sais quel caractère viril susceptible
de s’opposer aux particularités féminines d’une mosquée. En outre, expliquer
que le masculin assume la fonction du genre neutre, qui n’existe pas
spécifiquement en français, ne nous permet pas davantage de résoudre notre
problème.
Soyons-en donc persuadés : le genre grammatical est, le plus souvent, tout
simplement arbitraire, comme l’illustre cette historiette rapportée en 1830 par
Dominique Joseph Mozin dans son Florilège d’anecdotes françaises et
allemandes :
« Henri IV ayant dit “un cuiller d’argent”, tous ses courtisans se
regardèrent. Il consulta Malherbe et lui demanda si cuiller était masculin. “Ce
mot, répondit Malherbe, sera toujours féminin, jusqu’à ce que Votre Majesté
fasse un édit qui ordonne, sous peine de la vie, qu’il devienne masculin.” »
Le genre des mots n’a cependant jamais dépendu du bon plaisir des rois,
jarnicoton !
Le genre d’un nom n’est pas nécessairement indiqué par sa terminaison.
Le genre d’un nom ne marque pas nécessairement l’identité sexuelle de l’être que ce
nom désigne.
Au jour d’aujourd’hui
PLÉONASMES
L’expression est florissante. Elle se glisse dans les interviews, notamment au
cours des micros-trottoirs. L’interviewé croit qu’elle lui attribue une manière de
supériorité intellectuelle, de celle que conférerait l’usage des formules dans le
vent. « Au jour d’aujourd’hui », voilà qui fait bien, voilà qui en impose, voilà qui
vous distingue du commun des mortels. Illusion ! Prétention ! Vanité ! Plutôt
que de vous grandir, « au jour d’aujourd’hui » vous rabaisse au rang des m’as-tu-
vu. Pire, car, au-delà de la pédanterie, de la suffisance, de l’afféterie que dénote
son usage, l’expression est linguistiquement incorrecte. En effet, elle n’est ni
plus ni moins qu’un double pléonasme, une affreuse tautologie que le bon
Émile Littré avait dénoncée en son temps dans son Dictionnaire de la langue
française : « Le jour d’aujourd’hui, pléonasme populaire et fort peu
recommandable. »
Expliquons-nous.
Quand le mot « aujourd’hui » fut forgé au XIIIe siècle, il constituait déjà un
pléonasme, « hui » étant issu du latin ho die (hoc die voulant dire « en ce jour »).
« Aujourd’hui » signifie donc : « au jour d’en ce jour ». On ne saurait s’exprimer
plus lourdement ? Eh bien si, en employant « au jour d’aujourd’hui » qui
équivaut, LITTÉRALEMENT, à « au jour du jour d’en ce jour ». N’en jetez plus !
Certains érudits tenteront d’apporter la contradiction en citant quelques
auteurs, Lamartine en particulier qui, en 1820, parle de Dieu en ces termes :
« Il le sait, il suffit : l’univers est à lui,
Et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui. »
(L’Homme in Méditations poétiques)
Mais il s’agit là de poésie et le poète a recours à la fameuse licence
poétique : « le jour d’aujourd’hui », double pléonasme volontaire souligne ici, de
façon justement opportune, le caractère éphémère et fugace du temps qui
nous est accordé, caractère que des expressions tenues pour équivalentes,
telles que « le jour présent », failliraient à exprimer.
Évidemment, dans le langage quotidien, il ne saurait être question de licence
poétique. Loin d’exprimer je ne sais quelle brièveté du temps humain, loin
d’apporter une plus grande précision au repère temporel, « au jour
d’aujourd’hui » ne dit que la pauvreté lexicale du locuteur 7.
Abandonnons donc cette expression au profit de « à ce jour », « à l’heure
actuelle » ou encore « au moment où nous parlons », « de nos jours »,
locutions simples et parfaitement compréhensibles.
Compte tenu de l’étymologie, l’expression « au jour d’aujourd’hui » constitue un
double pléonasme.
L’employer relève d’un certain pédantisme ; à moins que ce ne soit du panurgisme.
MALGRÉ QUE
SOLÉCISMES1
On l’entend de plus en plus souvent. Les défenseurs de notre langue en
appellent à la cohérence étymologique pour en condamner l’usage tandis que
les permissifs l’approuvent sans réserve :
« Malgré que » est souvent employé malgré que
le strict respect de la langue l’interdise.
Chœur des laxistes : « Cette phrase ne nous choque pas et tout le monde la
comprend. »
Chœur des puristes : « Elle est incorrecte. Il faut dire “bien que (ou
quoique) le strict respect de la langue l’interdise”. »
Éclairons donc les lanternes. Si nous décomposons « malgré » en « mal » et
« gré », on en comprend mieux le sens : « mauvais gré » ; « malgré » est alors une
préposition* synonyme de « contre son gré », « à contrecœur », « contre la
volonté de », « sans le consentement de », significations que l’on retrouve dans
des énoncés tels que :
Ils se sont mariés à l’église malgré le grand-père
Aristide qui est un incorrigible mécréant.
Dans certains énoncés, « malgré » peut être remplacé par « en dépit de » ou,
dans des contextes plus soutenus, par « nonobstant » bien que « nonobstant »
soit obsolète :
Malgré son lourd handicap,
Philippe Croizon a traversé la Manche à la nage.
« Gré » apparaît aussi dans des expressions figées** comme « bon gré, mal
gré », « de gré ou de force », qui opposent le bon vouloir au refus, l’acceptation
à la contrainte :
La cirrhose du foie guette Gérard Mambudleau ; bon gré, mal gré, il devra se
soumettre à une cure de désintoxication. De gré ou de force, il lui faudra
renoncer au beaujolais.
L’incohérence de la locution « malgré que » devient alors évidente, car si l’on
applique le mot à mot en tenant compte des équivalences, on obtient des
constructions où le charabia le dispute au galimatias.
« Malgré que » doit donc bien être banni. Préférons-lui « bien que » ou
« quoique ».
« Malgré » est composé de « mal » et de « gré » : l’idée de « mauvais gré », d’« absence
de consentement », de « contrainte », est donc bien présente.
« Malgré que » est syntaxiquement incorrect.
« Bien que » et « quoique » sont préférables à « malgré que ».
* La préposition apparaît dans la locution « Malgré-nous » qui s’est substantivée et qui a désigné les
Mosellans et Alsaciens enrôlés de force (contre leur gré) dans la Wehrmacht et les camps de travail
allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Les « Malgré-nous » étaient Français de cœur.
** Notons aussi l’expression littéraire et archaïque « malgré qu’on en ait ». On la trouve déclinée chez
Molière, Madame de Sévigné, Mérimée ou encore George Sand. Elle équivaut à « quelle que soit la
réticence (l’insatisfaction, la contrainte) que l’on éprouve ».
4
ACHALANDÉ
APPROVISIONNÉ
BARBARISMES 2
L’étymologie est toujours d’un bon secours : qu’est-ce qu’un « chaland » ? Le
mot n’est plus guère utilisé. Forgé sur le participe présent du verbe « chaloir »
signifiant « être important », « susciter l’intérêt », que l’on trouve notamment
dans l’expression littéraire et archaïque « peu me chaut » voulant dire « peu
m’importe », un « chaland » est un client, précisément un acheteur fidèle à un
même marchand, un même commerce, pour lesquels il éprouve un intérêt
particulier. Un magasin fréquenté, en nombre, par de tels acheteurs est
donc un magasin bien « achalandé ». De « chaland » sont issus « chalandage »
(qui nous permet d’éviter l’anglicisme « shopping ») et « chalandise »,
essentiellement utilisé dans l’expression « zone de chalandise », c’est-à-dire
« zone d’attraction commerciale ». « Achalandé » peut aussi s’appliquer à la
« patientèle » d’un médecin, d’un dentiste, d’un kinésithérapeute, etc.
Le sens exact de « chaland » n’étant plus perçu, le phénomène que les
linguistes nomment métonymie3 s’est appliqué : la clientèle a fait place aux
marchandises et « bien achalandé » a pris le sens de « bien approvisionné » en
produits divers.
Attention, « chaland », synonyme de « client (fidèle) », n’a rien à voir* avec le
« chaland » qui désigne le grand bateau à fond plat utilisé sur rivières et canaux
pour transporter des marchandises. C’est ce chaland dont il est question dans
la chanson à succès Le Chaland qui passe, créée par Lys Gauty en 1933,
reprise l’année suivante par Tino Rossi :
Le chaland glisse, sans trêve
Sur l’eau de satin
Où s’en va-t-il ? Vers quel rêve ?
Vers quel incertain
Du destin ?
* Rien à voir ? Pas si sûr. On peut en effet supposer que l’un est issu de l’autre par le biais d’une
métonymie : il est question, pour le bateau comme pour le client, d’aller chercher des marchandises.
« Achalandé » vient de « chaland », vieux mot pour « client ».
Un magasin bien achalandé a donc une nombreuse clientèle.
« Bien achalandé » ne signifie donc pas « bien approvisionné », « qui offre un grand
choix d’articles ».
5
COACH
ANGLICISMES
En Hongrie, dans le district de Tata, à quelque 65 km à l’ouest de Budapest
se trouve le village de Kocs (prononcer [kotʃ]). Au XVe siècle, les charrons de
Kocs inventèrent un véhicule hippomobile qui acquit très vite une grande
popularité. La voiture et le nom de la ville par lequel on prit l’habitude de la
désigner s’exportèrent dans toute l’Europe. Ainsi, on se mit à parler de
Kotsche, puis de Kutsche, en Allemagne, de cocchio en Italie transformé en
cochio dans le parler vénitien, etc.
De cette forme vénitienne est issu notre « coche », apparu en 1545 pour
nommer d’abord une voiture hippomobile transportant des voyageurs puis
toute voiture tirée par des chevaux. « Coche » a donné « cocher » et
« cochère » (une porte est dite « cochère » quand elle peut laisser passer un
coche).
Les Anglais nous ont emprunté « coche » dans les années 1550, et l’ont
phonétiquement puis orthographiquement transformé en « coach ». Vers 1830,
les étudiants britanniques ont intégré « coach » dans leur argot universitaire
pour désigner un professeur qui, assistant personnellement un étudiant, le
« transporte » d’un niveau N à un niveau N+ lui permettant de passer ses
examens. Avec ce sens d’assistant personnel, nos voisins d’outre-Manche ont
très vite utilisé « coach » dans le domaine sportif. Fort de cette acception
précise, « coach » nous est revenu vers 1930.
Le snobisme aidant, « coach » a fait des ravages dans notre lexique puisqu’il
s’est progressivement substitué à des mots français plus précis comme
« entraîneur, assistant, conseiller, moniteur, répétiteur, précepteur,
instructeur, guide, mentor »… bref ! tout substantif désignant une personne
qui, ayant quelque compétence dans un domaine donné, obtient licence d’en
faire profiter une clientèle. Dans une société où l’on se soucie prioritairement
de son développement personnel et professionnel, les « coaches » ont pignon
sur rue et le « coaching » fait florès tandis que les mots eux-mêmes agissent en
anglicismes lexicophages4 (mangeurs de lexique), mettant à l’écart et au
rancard toute une partie de notre vocabulaire.
L’anglais coach vient du français « coche », lui-même issu du hongrois Kocs, via le
vénitien cochio.
Kocs est le nom d’un village hongrois qui donna son nom à la voiture hippomobile qui
y fut inventée.
Le français possède quantité de mots précis qui rendent l’emploi de coach tout à fait
inutile, voire nuisible dès lors que ces mots sont ipso facto mis aux oubliettes.
6
ON EST SUR…
TOURNURES EXASPÉRANTES
Le procédé est souvent à l’œuvre qui permet à des expressions du langage parlé
d’évoluer d’une innovation originale vers une répétition exaspérante. De telles tournures séduisent
en effet d’abord par leur nouveauté, de sorte que tout un chacun se les approprie et, à la faveur de la
chambre d’écho que constituent les médias, l ’expression est reprise à l’infini, jusqu’à
devenir banale et parfaitement insupportable.
Tel est le cas de « On est sur ». Demande-t-on à l’expert œnologue ce qu’il
pense de la nouvelle cuvée de Chasset-Montrachagne qu’il déclarera
éventuellement : « On est sur un millésime exceptionnel », affirmation qui sera
étayée par : « On est sur des notes boisées, des arômes de fruits rouges, on est
aussi sur des nuances de violette. » Le spécialiste justice de Bavard-TV sollicité
à propos du meurtre de la richissime veuve Delorembart commencera son
propos par « On est sur une affaire d’une grande complexité. » Le porte-parole
des dentifrices Alagomme s’exprimant sur la propriété antalgique de leur
dernière pâte termine ainsi son message publicitaire : « On est sur une vraie
bonne nouvelle pour les personnes souffrant de dents sensibles. » Les mêmes
professionnels de la communication interrogés il y a quelques années auraient
dit : « Il s’agit de… », « Nous sommes en présence de… », « Nous avons
affaire à… », « Nous faisons face à… », « Il est question de… », mais en aucun
cas « On est sur… ».
Est-ce à dire qu’il faut refuser les « nouveautés lexicales » et s’en tenir aux
expressions existantes (j’entends déjà les accommodants et les laxistes nous
seriner la vieille rengaine selon laquelle la langue est vivante) ? Certes non,
mais encore faut-il que les innovations soient sensées et linguistiquement
correctes, ce qui n’est pas le cas de « On est sur… », car la préposition « sur »,
malgré les multiples emplois qu’elle admet, ne permet pas celui qui nous
intéresse : l’idée de contact avec « le sol ou bien un support quelconque où
s’exerce la pesanteur » n’est notamment pas présente, pas plus au sens propre
qu’au sens figuré.
Alors, abandonnons cette formule : elle abâtardit notre langue !
« On est sur… » fait partie de ces formules d’abord originales qui, à force d’être
répétées, deviennent exaspérantes.
Dans l’emploi qui en est fait, « on est sur… » est impropre sur le plan linguistique.
Ce qui frappe les autr’ élèves. Ce qui frappe les autres [z] élèves.
Ces fautes ne sont qu’un aspect d’un phénomène plus général qui connaît
une ampleur grandissante : l’absence de rigueur dans l’emploi des liaisons. On
ne lie plus là où il faudrait lier, on lie là où il ne le faudrait pas ; on commet
maint pataquès (singulièrement lorsqu’il est question de prix en euros) ; à
l’initiale des mots, on ne distingue plus les « h » aspirés des « h » muets ; on ne
tient pas compte des signes de ponctuation (les virgules, notamment), etc. Il en
résulte une véritable anarchie touchant l’oralité de notre langue française,
pourtant si belle quand elle est bien dite !
Ces différents points font l’objet de fiches spécifiques dans le présent
ouvrage.
Faire une liaison sans tenir compte de la terminaison grammaticale du premier mot
est une faute.
APRÈS-MIDI
FÉMININ OU MASCULIN ?
Émile Zola nous donne involontairement la réponse en utilisant l’un et
l’autre : masculin dans Une page d’amour, féminin dans L’Argent.
« Et, à partir de ce jour, ses plus heureux après-midi
furent ceux où son amie l’abandonnait. »
(Émile Zola, Une page d’amour, deuxième partie,
ch. 3, 1878)
« Deux mois plus tard, par une après-midi grise
et douce de novembre, madame Caroline monta
à la salle des épures […] »
(É. Zola, L’Argent, ch. 7, 1891)
« Un après-midi », « une après-midi » : l’un et l’autre se disent ou l’un ou
l’autre se dit indifféremment, sans que le sens ni la forme d’« après-midi » en
soient affectés. « Après-midi » fait donc partie de ces noms français qui sont à
la fois féminins et masculins.
Voici une liste de ces noms :
alvéole, après-midi, enzyme (féminin pour l’Académie), éphémère (féminin
pour le TLF*), goulache (goulasch ; ragoût de bœuf à la hongroise), imago
(forme adulte d’un insecte à métamorphoses ; masculin chez Larousse, féminin
pour le TLF), malvoisie (vin grec), mérule (champignon lignivore), météorite
(féminin dans l’usage commun mais masculin pour les scientifiques), palabre (au
pluriel, le plus souvent), parka, perce-neige, phalène, réglisse (le féminin est
plus logique, compte tenu de l’étymologie), thermos.
Pour de tels noms, la faute de genre n’est donc pas possible. Cool, non ?
(Petite concession au parler des jeunes). Une ou un après-midi ? À chacun de
choisir mais, féminin ou masculin, ce nom composé est INVARIABLE : « des
après-midi ». L’académicien Jean-Marie Rouart nous offre un bel exemple :
« Seul dans son petit appartement de l’île Saint-Louis
par un de ces après-midi glacés et venteux de janvier,
il était agité par des affres. »
(Avant-Guerre, ch. XVI)
Notons toutefois que les préconisations de 1990** admettent le « s » à la fin de « midi ».
« Après-midi » est aussi bien féminin que masculin.
Rares sont les noms qui peuvent ainsi être utilisés au féminin ou au masculin sans
que la forme ni le sens en soient affectés.
* TLF : Trésor de la langue française, dictionnaire établi par une unité de recherche du Centre national
de la recherche scientifique.
** À l’initiative de Michel Rocard, Premier ministre, le Conseil supérieur de la langue française s’est
réuni en 1990 pour statuer sur des rectifications orthographiques pouvant être apportées à notre
langue. Les résultats de ces travaux ont été publiés au Journal officiel de la République française du
6 décembre 1990, dans les « documents administratifs » et non dans les « lois et décrets ». Ils ne
constituent donc pas une « réforme » à proprement parler. D’ailleurs, l’« ancienne » orthographe est
toujours de rigueur.
9
S’AVÉRER EXACT
PLÉONASMES
Le latin adverare est constitué du préfixe ad- et du radical verare issu de
verus, « vrai ». Adverare a donné « s’avérer » qui signifie donc,
étymologiquement, « se révéler vrai, juste, se vérifier, se confirmer ». « S’avérer
vrai » est donc un pléonasme. « S’avérer exact » en est également un, tout
comme « s’avérer juste ».
Ce pléonasme est fréquent, y compris dans des ouvrages édités, et notre
San-Antonio national ne démentira pas :
« Tout ce que vous avez décrit s’est avéré exact. »
(Frédéric Dard, Du plomb pour ces demoiselles,
Fleuve noir, 1951).
Quant à « s’avérer faux », c’est une contradiction dans les termes, donc, une
tournure fautive dont l’emploi « risque d’être mal accueilli », selon Jacques
Capelovici, alias « Maître Capelo ». Elle n’est pourtant pas absente de
certaines « littératures ». Contrairement à ce que certains prétendent, elle ne
peut pas être considérée comme un oxymore6, car l’oxymore est une figure de
rhétorique censée enrichir un discours. À vous de juger si, dans ces exemples,
le discours est enrichi :
« Mais tout cela s’est avéré faux,
ce qu’on a reconnu après la guerre. »
(Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques
des massacres et génocides, Le Seuil, 2005.)
« […] le diagnostic initial de schizophrénie
s’était avéré faux. »
(Henri Grivois, Luigi Grosso, La Schizophrénie
débutante, John Libbey Eurotext, 1998.)
Évitons donc « s’avérer exact, s’avérer vrai, s’avérer juste » que l’on
remplacera par « se révéler exact… ».
Abandonnons sans regret « s’avérer faux, s’avérer inexact » auxquels peut se
substituer « être infirmé » ou « se révéler inexact ».
« Avérer » vient du latin adverare où verare est de la famille de verus, « vrai ».
« S’avérer vrai » est donc un pléonasme, « s’avérer faux », une ânerie.
Ces locutions fautives seront corrigées si l’on remplace « avérer » par « révéler ».
10
« Plus pire », « moins pire », « aussi pire » sont des abominations.
À force d’être commises volontairement, par plaisanterie, ces fautes se sont banalisées
et semblent ne plus choquer personne.
AVATAR MÉSAVENTURE
BARBARISMES
L’initiale « av » nous renvoie à d’autres mots comme « avarie », « avanie »,
« aventure », mots chargés d’une connotation péjorative, l’idée d’aléa fâcheux,
d’incident désagréable, s’imposant à l’esprit. « Avatar » revêt alors une
signification qui n’est pas la sienne, il devient synonyme de « mésaventure »,
« péripétie » : la consonance nous fait commettre un contresens relevant du
barbarisme. Avatar, le film de James Cameron sorti en 2009, peut-il nous aider
à retrouver le véritable sens de ce mot ? En tout cas, certains écrivains ont
commis ce contresens. Pierre Benoît, par exemple, dans L’Atlantide (1919), met
en parallèle « avatars » et « péripéties » :
« Mais n’attends pas de moi que je complique
une histoire déjà assez fertile en péripéties
par le récit des avatars de cette manucure. »
(p. 225)
Dans Mort à crédit (1936), Louis Ferdinand Céline fait d’« avatar » un
synonyme d’« aléa » :
« Ça faisait partie des aléas, des avatars du métier. »
(Mort à crédit, 1936).
D’autres encore… Mais qu’est-ce donc vraiment qu’un « avatar » ?
Issu du sanskrit Avatãra, « descentes », le mot est d’abord lié au Bhagavad-
Gita (« Chant divin »), texte sacré de l’Inde écrit il y a 2 500 ans. On y apprend
que Vishnou serait déjà descendu dix fois sur terre sous dix incarnations
différentes. Les plus célèbres sont Râma dont les exploits héroïques sont
relatés dans le Râmâyana (« Le Parcours de Râma »), Krishna, né d’un cheveu
noir de Vishnou et Siddharta Gautama, fondateur du boud-dhisme, connu
comme le « bouddha historique ».
« Irruptions de dieu sur terre » et « incarnations de Vishnou », telles sont les
significations originelles avec lesquelles le mot « avatar » s’est introduit en
français au début du XIXe siècle. Le mot a ensuite revêtu les acceptions plus
générales de « transformation », « métamorphose », « incarnation* ».
Grâce aux logiciels, aux forums de discussion et, surtout, aux jeux vidéo, le
mot « avatar » a quelque peu retrouvé son sens initial : il désigne en effet
l’apparence qu’un internaute choisit de revêtir afin d’évoluer dans les espaces
virtuels et ludiques que l’informatique permet de créer.
* En 1856, Théophile Gautier publia une nouvelle justement intitulée Avatar. Il y est réellement
question d’incarnation.
« Avatar » vient d’un mot sanskrit signifiant « descente ».
On confond souvent « avatar » et « mésaventure ».
« Avatar » a d’abord désigné chacune des incarnations de Vishnou ; le mot est ensuite
devenu synonyme de « métamorphose », « transformation ».
12
LOW COST
ANGLICISMES
Cet anglicisme destructeur a fait ses premières apparitions dans le domaine
des compagnies aériennes où il est de bon ton de parler de vols low cost. Son
emploi s’est rapidement étendu à toute la société de consommation : le
qualificatif s’y applique à tout produit ou service dont le superflu a été
supprimé pour que le prix en soit allégé ; par exemple, les passagers d’une
compagnie aérienne low cost ne bénéficient plus de collations, boissons ou
repas gratuits pendant le vol, la prise en charge de leurs bagages peut être
payante, leurs billets ne sont ni échangeables ni remboursables, etc.
Si l’on peut comprendre l’utilisation de « low cost » dans le cas d’offres
commerciales à caractère international, ce que sont, à l’évidence, les moyens et
longs courriers, on ne peut guère l’admettre pour des articles et services
commercialisés dans le seul Hexagone. Un produit cosmétique ou
pharmaceutique, des cours par correspondance, une chambre d’hôtel, du
matériel de bricolage, une coupe de cheveux, un service de déménagement ou
de pompes funèbres (pour ne prendre que quelques exemples récents) ne
doivent pas être qualifiés de low cost dès lors que les clients potentiels sont
français ; ils ne peuvent être que bon marché, pas chers, à prix réduit, à petit
prix, à bas coût, etc.
Notre langue française est riche, elle peut se passer d’anglicismes quand
ceux-ci sont illégitimes et si le contexte, le snobisme, la cuistrerie, le
panurgisme ou toute autre « raison » nous incite à employer « low cost », faisons
au moins l’effort de le bien prononcer.
La voyelle de « low » est diphtonguée : [lou], celle de « cost » ne l’est pas,
elle ne se prononce pas non plus comme le [o] fermé de « holocauste » mais
comme le [ɔ] ouvert de « poste » : [kɔst].
Précisons enfin que « cost » vient du français « coût », du moins de ses
formes anciennes : « cust » et « coust » apparaissent dans des ouvrages du
e
XIII siècle, époque où le mot est aussi intégré au lexique anglais.
« Low cost » a d’abord légitimement qualifié des vols moyens et longs courriers.
Il est toutefois illégitime dans un contexte commercial exclusivement français puisque
des expressions comme « bon marché » ou « à bas coût » sont disponibles.
(FAIRE) BOUGER
LES LIGNES
TOURNURES EXASPÉRANTES
Elle est à la mode, les journalistes de l’audiovisuel en sont aussi friands que
les hommes politiques, elle émaille chroniques, interviews et débats auxquels
elle donne un ton à la fois moderne et magistral, mais elle laisse l’auditeur
perplexe et dubitatif : que veut donc dire le beau parleur par « faire bouger les
lignes » ? De quelles « lignes » s’agit-il ? Celles que Myriam El Khomri
prétendait vouloir faire bouger le 8 octobre 2015 sont-elles les mêmes que
celles dont parlait Jean-Marc Ayrault un mois et demi plus tôt ? Le 11 mai 2011,
Jean-Pierre Chevènement souhaitait-il faire bouger les mêmes lignes que
François Hollande quand celui-ci, selon Gilles Bouleau lors de l’interview du 11
février 2016, nomma Emmanuel Macron au ministère de l’Économie ?
Certains emploient la locution sans le verbe « faire », comme dans cette
question de Laurent Delahousse à Édith Cresson :
« Vous rêviez de bouger les lignes ? »
L’expression devient alors deux fois plus exaspérante puisqu’exprimée dans
une syntaxe familière. En effet, le verbe « bouger » se retrouve transitif, ce qu’il
ne peut être qu’avec un complément d’objet direct désignant une partie du
corps : bouger la tête, le pied, ne pas bouger le petit doigt, etc.
Bien sûr, on va vous expliquer que, dans tous les cas, « (faire) bouger les
lignes » est une métaphore, une expression imagée qu’il faut prendre au sens
figuré. Admettons, mais à quoi l’image renvoie-t-elle ? À des réformes qu’il
faudrait engager ? À des frontières entre partis politiques qu’il faudrait
déplacer ? À des idées ou des lois qu’il faudrait modifier ? À des mentalités
qu’il faudrait faire évoluer ? À tout cela à la fois ? À force d’être imprécises, les
lignes en question sont mouvantes, de sorte qu’il est finalement inutile de les
faire bouger. Elles bougent d’elles-mêmes ! Bref, « faire bouger les lignes » ne
veut pas dire grand-chose ; c’est en cela un bel exemple de langue de bois.
« Faire bouger les lignes » est une expression qu’affectionnent politiques et
journalistes.
Sa signification est particulièrement vague.
Plutôt que de recourir à la langue de bois dont elle est un exemple, mieux vaut
employer une locution plus précise, en accord avec le contexte : « engager ou réaliser des
réformes », « remettre en question les partis politiques », « faire évoluer les idées », etc.
14
Le « h » de « hurler » est aspiré : il interdit donc toute élision et toute liaison.
Pour éviter l’hiatus et croyant bien faire, on prononce la liaison entre « hurler » et le
mot qui précède, commettant ainsi un pataquès.
En français, le « h » aspiré le fut vraiment, jusqu’au XVIe siècle ; il était alors assimilé
à une consonne.
TESTEZ-VOUS !
1. Corrigez, s’il y a lieu.
a) Les prophéties de Nostradamus se sont-elles avérées exactes ?
b) Celle de Paco Rabanne sur la chute de la station Mir s’est bel et bien
révélée fausse.
c) La politique du gouvernement Schmoll est bien plus pire que celle du
gouvernement Schmurtz.
d) On peut dire que Mr Hyde est un avatar du docteur Jekyll.
e) Cette chaîne d’épiceries propose des produits low cost de qualité.
2. Remplacez l’expression exaspérante par une expression française
simple et plus précise.
a) Droit du travail, impôt sur la fortune, loi sur la moralisation de la vie
politique, loi sur la lutte contre le terrorisme, hausse de la CSG, etc.,
décidément, le gouvernement a fait bouger les lignes !
b) Propos sexistes, harcèlement sexuel, autoritarisme, refus des tâches
ménagères : chez certains hommes, il faudrait faire bouger les lignes.
3. Quel est le titre français généralement adopté pour le roman d’Emily
Brontë, Wuthering Heights ?
4. Corrigez, si nécessaire.
a) L’hurlement du loup inspire la crainte et la tristesse.
b) « Cessez de hurler ! » lança le surveillant aux élèves turbulents.
5. Dans la phrase « Les alouates sont des singes hurleurs d’Amérique
tropicale », il faut faire la liaison entre « singes » et « hurleurs ». Vrai ou
faux ?
15
PÉNATES
FÉMININ OU MASCULIN ?
PANACÉE UNIVERSELLE
PLÉONASMES
Il ne saute ni aux yeux ni aux oreilles, en tout cas pas à ceux de Richard
Anthony, interprète et parolier de Sirop Typhon, chef-d’œuvre incontestable
de la chanson française des années 1960, modèle de poésie et de pensée
humaniste. En voici le refrain :
Si maître Bernard est féru de latin, il ne semble pas l’être de grec, pas plus
que Musset, son créateur. Chateaubriand aussi parle de « panacée universelle »
(dans son Essai sur les révolutions), tout comme Balzac (dans César Birotteau)
ou Eugène Sue (dans Les Mystères de Paris).
Notons que « panacée » dans ses toutes premières acceptions, désigna une
« herbe des prés » (Ronsard), une « plante servant de remède » (idem) et aussi,
dans l’Antiquité, une herbe que l’on brûlait avec d’autres pour éloigner les
serpents.
Aujourd’hui, évitons le pléonasme en parlant de « remède universel », de
« remède absolu » ou, simplement, « de « panacée », tout court.
« Panacée universelle » est un pléonasme.
Le mot vient du grec panakeia formé de pan, « tout » et akos, « remède ».
« EN MÊME TEMPS »
ET « À LA FOIS »
SOLÉCISMES
« Il faut aujourd’hui renforcer nos frontières,
avoir une politique réaliste en matière migratoire
et en même temps faire notre devoir. »
(Emmanuel Macron)
L’expression vient de connaître un regain de popularité grâce à l’élection
présidentielle et au coup de projecteur porté sur l’usage par trop fréquent que
le président en fait, ce « en même temps » étant pris pour le signe de fâcheuses
tendances politiques : promettre tout et son contraire et ménager la chèvre et
le chou. Soit ! Mais si la critique peut être recevable sur le plan politique, si la
répétition de l’expression relève du tic de langage, l’usage qu’en fait l’ex-
présidentiable (ou, si vous préférez, l’actuel président) est correct. En
revanche, doubler dans une même phrase « en même temps » d’un « à la fois »
crée une bien laide redondance qui vaudrait à la tournure de figurer dans cette
rubrique et en même temps dans la précédente. Ouvrons donc le Petit
Larousse :
• En même temps, dans le même instant, simultanément ; à la fois.
• À la fois, tout à la fois, en même temps.
Voilà qui est clair. Si « à la fois » est mentionné comme synonyme de « en
même temps » et « en même temps » comme synonyme de « à la fois », c’est
bien que les deux locutions adverbiales sont interchangeables et qu’il n’est nul
besoin d’employer l’une et l’autre à l’appui d’une affirmation multiple ni de
répéter l’une ou l’autre. Voici quelques citations qui illustrent cette lourdeur
de syntaxe. Qu’elles aient été prononcées par des hommes politiques ne rend
pas la faute plus vénielle :
« Il y aura deux expressions à la fois parfaitement
en ligne et à la fois complémentaires. »
(Édouard Philippe)
« L’Europe est une chance à la fois diplomatique,
à la fois politique, à la fois économique. »
(Karine Berger)
« Jean-Marc Ayrault était à la fois très lucide
et en même temps très combatif. »
(Najat Vallaud-Belkacem)
« Et en même temps on fixe des priorités
et en même temps on décide de redonner de la compétitivité aux
entreprises. »
(Stéphane Le Foll)
Convenons ensemble que ces déclarations sont à la fois lourdes et
navrantes. Leurs auteurs sont pourtant censés avoir une pensée logique, en
même temps qu’une langue cohérente et maîtrisée.
« À la fois » signifie « en même temps » et « en même temps » veut dire « à la fois ».
Employer les deux locutions dans une même phrase engendre donc une laide
redondance.
Que des hommes politiques la commettent souvent n’excuse pas la faute.
18
COMMÉMORATION
CÉLÉBRATION
BARBARISMES
Que faisons-nous avec notre mémoire ? Nous nous souvenons, nous nous
remémorons (M. de La Palisse dixit), c’est-à-dire que nous convoquons des
images, des odeurs, des saveurs, des sons liés à des événements passés (tout le
monde a une chanson, un air, un visage ou une petite madeleine en tête !)
La mémoire peut être individuelle si elle n’intéresse qu’une personne,
collective si tout un groupe est concerné. Toute mémoire collective se nourrit
de la somme des souvenirs qu’une population convoque sur un événement
donné. Dans tous les cas, les souvenirs convoqués sont commémorés, du latin
classique commemorare, « évoquer » (littéralement, « se rappeler ensemble »).
Naissances, mariages, morts, victoires, réussites, etc. peuvent en effet donner
lieu à des commémorations où il est bien question de « se souvenir ensemble ».
Étymologiquement solennelles (une seule fois l’an) et logiquement fixées aux
dates anniversaires, elles sont l’occasion d’assemblées, de cérémonies, de
discours, de banquets, de danses, de fêtes, etc. Mais sachons bien distinguer
l’événement lui-même de son anniversaire :
L’événement est commémoré, mais l’anniversaire est célébré ou
simplement fêté.
La confusion entre « commémoration » et « célébration » est pourtant
fréquente, chaque anniversaire de portée nationale donnant l’occasion à nos
chers parleurs professionnels de se mélanger les pinceaux. Exemple :
« Cette année, vous le savez, on commémore
le centenaire du génocide arménien. »
(Thierry Beccaro, France 2, le 16 juillet 2015)
Erreur ! Ce que nous savons, c’est que l’on commémore le génocide et que
l’on en célèbre le centenaire (sans toutefois le fêter, compte tenu du caractère
dramatique de l’événement).
« La cérémonie, célébrée en l’abbaye
de Westminster, commémorait le 60e anniversaire
du couronnement de la reine. »
(Pauline Gaillard, article publié dans Gala le 4 juin 2013)
Faux ! La cérémonie ne commémorait pas le 60e anniversaire du
couronnement de la reine ; elle commémorait le couronnement et célébrait
l’anniversaire, qui pouvait d’ailleurs être également fêté, mais pas dans l’abbaye
de Westminster !
« Commémorer », du latin commemorare, signifie « ramener en mémoire ».
On commémore un événement.
On célèbre un anniversaire.
19
ALTERNATIVE
ANGLICISMES
Afin que rien ne soit saccagé dans votre tête, précisons bien les choses. Une
alternative est cette obligation de CHOISIR entre DEUX partis, deux solutions,
deux possibilités. Elle entraîne l’emploi de « ou bien » ou de « soit » ou,
simplement, de « ou ». Pourtant, le mot « alternative » est aujourd’hui souvent
utilisé à tort en lieu et place, selon les cas, de « solution de remplacement »
ou d’« alternance ». En cela, « alternative » est bien un anglicisme. La confusion
est particulièrement fréquente dans le monde politique en période électorale.
Illustration par l’exemple :
« La seule alternative qu’on propose,
c’est le repli national. »
(Laurent Wauquiez, le 5 mai 2014 sur France 2 dans
l’émission Mots croisés).
En français, « alternative » désigne une situation où l’on doit choisir entre deux
solutions.
Employé dans le sens de « solution de remplacement », « alternative » est un
anglicisme.
Il est aussi recommandé de ne pas confondre le mot avec « alternance ».
* Cette nouvelle acception du mot « alternative » sera peut-être un jour officiellement reconnue par
l’Académie française qui l’intégrera alors dans son dictionnaire. Pour l’heure, ce n’est pas le cas !
20
Pendant notre séjour à Paris
NOUS AVONS FAIT LE
MUSÉE D’ORSAY
TOURNURES EXASPÉRANTES
Quel énorme mensonge et quelle incroyable prétention ! Ils ne sont que
quelques-uns à pouvoir, à la rigueur, revendiquer cette réalisation : l’architecte
Laloux qui a établi les plans de la gare monumentale d’Orsay, gare d’abord
conçue pour amener jusqu’au cœur du Paris 1900, les visiteurs de la fameuse
Exposition universelle, l’entrepreneur Chagnaud qui en a exécuté les travaux,
le président Giscard d’Estaing qui décida de réaménager la gare en musée
destiné à abriter des œuvres d’art du XIXe siècle, restructuration confiée aux
architectes Philippon, Bardon et Colboc. Ces six-là et, bien sûr, tous les
ouvriers, ont vraiment FAIT le musée d’Orsay, mais vous, dérisoires
échantillons d’une foule anonyme, n’avez rien fait d’autre que le visiter.
« Nous avons fait le musée d’Orsay » ! Cette tournure est d’autant plus
exaspérante qu’elle est devenue monnaie courante. C’est encore un exemple
de la polyvalence du verbe « faire », factotum taillable et corvéable à merci,
sorte de passe-partout linguistique appelé à la rescousse pour cacher la misère
lexicale de celui qui parle et c’est là que le bât blesse, car, dans de telles
situations, « faire » se substitue à des verbes plus précis, plus signifiants, mais
moins immédiatement disponibles à l’esprit de qui cherche ses mots sans jamais
les trouver vraiment ; mais pourquoi se creuser les méninges puisque « faire »
est là, à la disposition du parleur paresseux ? « Faire » est bon à tout faire,
« faire » fait tout et cela plaît bien à notre interlocuteur qui a presque tout fait
quand il a fait la capitale : d’abord le musée d’Orsay qu’il a fait avec sa femme
après avoir fait Notre-Dame, ils ont aussi fait le musée du quai Branly pendant
que leurs voisins, M. et Mme Chapouillot, préféraient faire la tour Eiffel, l’Arc
de Triomphe et les Champs-Élysées. Ils devaient se retrouver tous les quatre
pour faire le Père-Lachaise, mais, morts de fatigue, ils ont abandonné l’idée
pour ne faire finalement que le tombeau de l’Empereur aux Invalides, terminant
ainsi leur séjour parisien dans la joie et la bonne humeur. Tout cela en une seule
journée : il faut le faire !
Halte ! C’en est trop ! Vous tous, touristes de tous poils, explorateurs
d’opérette, globe-trotters à la petite semaine, cessez de « faire » ! Choisissez
donc plutôt, selon les cas, de visiter, voir, explorer, parcourir, découvrir,
admirer, etc.
Dans un parler relâché, « faire » est un cache-misère trahissant paresse linguistique
ou pauvreté de vocabulaire.
On l’emploie à la place de verbes plus précis et mieux adaptés au contexte.
Petite scène de la vie ordinaire où l’on ne sait plus dire les multiples noms
du dieu Argent
La jeune fille est vexée. La pauvre ! Elle croyait pourtant bien faire et bien
dire en soulignant d’un [Z] franc, massif et, selon elle, opportun, l’idée de
pluriel induite par « vingt », oubliant par là même que toute liaison doit prendre
en compte la finale du premier mot.
L’idée de pluriel induite par les nombres n’implique pas l’adjonction d’un « s »,
prononcé [Z] à la fin des adjectifs numéraux cardinaux, tous invariables à l’exception de
« vingt » et de « cent » quand ils désignent des vingtaines et centaines entières.
On dit vingt [T] euros comme on dit vingt [T] heures ou vingt [T] ans.
TESTEZ-VOUS !
TENTACULE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Bien que certains écrivains l’utilisent au féminin, le nom commun « tentacule » est
bien masculin.
La terminaison d’un nom n’indique pas son genre grammatical.
Le genre d’un nom est donc parfaitement arbitraire : « tentacule » en est une nouvelle
illustration.
23
PRÉVOIR À L’AVANCE
PLÉONASMES
Si, comme l’écrit Paul Fort, le bonheur est dans le pré, il faut bien admettre
que l’anticipation et l’antériorité (dans le temps comme dans l’espace) s’y
trouvent aussi, du moins dans le préfixe « pré- », du latin prae, « avant,
devant » : prédire (« dire avant »), préméditer (« méditer avant, décider avant »),
prénommer (« nommer avant, donner un nom avant le nom »), préparer
(« apprêter à l’avance »), présider (« siéger devant », du latin sedere, « être assis,
siéger »), prévenir (« venir devant »), prévoir (« voir à l’avance »), pour ne citer
que quelques verbes.
Vouloir préciser de tels verbes en leur adjoignant l’adverbe « avant » ou les
locutions adverbiales « à l’avance » ou « par avance », c’est faire un pléonasme,
car la précision n’en est pas une. Elle est inutile et trahit une ignorance : celle
de la signification du préfixe « pré- ».
Il en est ainsi de « prévoir à l’avance » : est-il possible et simplement
cohérent de « prévoir après », une fois que s’est produit l’événement
concerné ? À moins que l’on ne se trouve dans un monde imaginaire et
fantastiquement absurde ; celui d’Alice de Lewis Carroll, par exemple :
Wonderland.
La faute n’est pourtant pas rare comme l’illustrent les citations suivantes :
« Sur terre battue, où le jeu est plus lent, il peut mettre
en place des plans de jeu, prévoir à l’avance. »
(Interview de Toni Nadal par Benjamin Montel,
parue dans L’Express du 18 juin 2017)
« Avec ce type d’informations, les villes seront à même
de prévoir à l’avance les mesures à prendre pour limiter
les épisodes de pollution. »
(Boursorama, article publié le 27 juin 2017)
« Le nouveau projet d’Amazon : prévoir à l’avance
ce que voudront acheter ses clients. »
(La Tribune.fr, article du 20 janvier 2014)
Dans ces trois exemples, « prévoir » tout court aurait fait l’affaire. Bien sûr, il
n’y a pas pléonasme si l’on précise « prévoir » par « (très) longtemps à
l’avance » ou « peu de temps à l’avance ».
Pléonasme du même acabit et de la même fréquence : « prévenir à
l’avance ». Le pléonasme est tout aussi patent si l’on remplace « à l’avance » par
« en amont », formule employée le 5 décembre 2017 par Agnès Buzyn, ministre
de la Santé, qui « trouve qu’on aurait pu [la] prévenir en amont » de
l’augmentation des cotisations décidée par les mutuelles.
Le préfixe « pré- » vient du latin prae signifiant « devant, avant, à l’avance ».
« Prévoir à l’avance » est donc un pléonasme.
Toutefois, « prévoir (très) longtemps à l’avance » est une formulation correcte.
24
PALLIER À
SOLÉCISMES
« […] créer un club pour pallier au manque d’activité
vélocipédique pendant les rigoureux mois d’hiver. »
(Sofoot.com, article publié le 2 juillet 2017
par Julien Duez)
M. Duez ignore qu’on ne dit ni n’écrit « pallier au » ou « pallier à », mais
« pallier », tout court. En termes grammaticaux, on dit que le verbe « pallier »
est uniquement transitif direct et non transitif indirect.
L’étymologie peut à nouveau venir au secours de notre mémoire. À l’origine,
on trouve le latin tardif palliare, « couvrir d’un pallium ». Qu’est-ce qu’un
« pallium » ? D’abord un manteau grec adopté par les Romains, puis tout
manteau recouvrant les autres vêtements, avant d’être une couverture ou un
couvre-pieds. « Pallium » peut aussi désigner un ornement liturgique que les
papes, primats et archevêques métropolitains sont autorisés à porter sur la
chasuble pendant l’office. L’idée principale est donc celle de « couvrir »,
« recouvrir » voire « protéger » ; « pallier » s’emploie de la même façon, sans
préposition.
Comment expliquer que l’on assortisse si souvent le verbe « pallier » de la
préposition « à » ? Sans doute par l’influence du verbe « remédier », dont le
sens est proche, mais qui est, lui, transitif indirect. On dit en effet « remédier
à ».
Le journaliste aurait donc dû écrire :
« […] créer un club pour pallier le manque d’activité vélocipédique… »
ou
« […] créer un club pour remédier au manque d’activité vélocipédique… »
« Pallier » vient du latin palliare, « couvrir d’un pallium », c’est-à-dire d’un
manteau.
« Pallier » est transitif direct et non indirect. On ne dit donc pas « pallier à ».
L’influence de l’expression synonyme « remédier à » peut expliquer cette faute
fréquente.
25
PÉCUNIER
BARBARISMES
La démarche cérébrale semble être la suivante : « pécunier » est le masculin
d’un adjectif dont « pécunière » serait le féminin, tout comme « rancunier » et
« rancunière », « financier » et « financière », « premier » et « première »,
« dernier » et « dernière », « singulier » et « singulière », etc., les exemples ne
manquent pas ! Donc, si l’on parle de « ressources pécunières », il est logique
de parler d’« intérêts pécuniers ». CQFD ! Le hic, c’est que « pécunier » n’existe
pas plus que « pécunière ». Vous aurez beau éplucher tous les dictionnaires : du
Larousse au Hachette en passant par celui de l’Académie française, le TLF, le
Robert, grand ou petit, le Littré et tous les autres, vous ne dénicherez jamais
l’ombre de « pécunier » ni même la trace de « pécunière ».
Toutefois, vous trouverez sans peine
‒ « pécunieux », synonyme littéraire de « fortuné », « très riche » ;
‒ « pécune », mot d’autrefois signifiant « argent comptant » (équivalent du
très moderne « cash » ou de l’argotique « fraîche ») ;
‒ « pécuniaire », qui se rapporte à l’argent…
Et le voilà, le traître, celui qui nous induit en erreur ! Car, d’un point de vue
phonétique, « pécuniaire » a des allures féminines. Alors, fier de soi, mais en se
méprenant sur l’orthographe, on lui invente un compagnon et l’on tombe dans
le barbarisme. Qu’on le sache donc une bonne fois pour toutes : « pécuniaire »
est en même temps féminin et masculin, comme le sont « ferroviaire »,
« fiduciaire », « judiciaire », « nobiliaire », « plénipotentiaire », « subsidiaire »,
« tertiaire », etc. On parlera donc aussi bien d’une « difficulté pécuniaire » que
d’un « ennui pécuniaire ».
Éclairage étymologique : « pécune », « pécunieux » et « pécuniaire » sont
dérivés du latin pecunia, « fortune, richesse », mais, à l’origine, « richesse en
bétail », le latin pecus signifiant précisément « bétail, troupeau ». En effet, c’est
à l’importance du bétail qu’il possédait qu’on estimait la richesse d’un individu.
Les adjectifs « pécunier » et « pécunière » n’existent pas.
BOOSTER
ANGLICISMES
Ce curieux animal lexical qui réunit un mot anglais, « boost », et une
terminaison française, « -er », marque de l’infinitif des verbes du premier
groupe, cet animal est un monstre dévoreur de verbes : en effet, on entend de
plus en plus souvent nos contemporains utiliser « booster » en lieu et place de
« stimuler », « dynamiser », « renforcer », « doper », « relancer », « gonfler »,
« améliorer », « promouvoir », d’autres encore, parfaitement adaptés aux
divers contextes et situations. Nous avons donc affaire à un nouvel anglicisme
lexicophage qui, par ailleurs, est particulièrement laid, commençant par
l’onomatopée que l’on emploie pour faire semblant d’effrayer : boo = bouh !
Autant de raisons de ne pas intégrer « booster » à notre vocabulaire !
Pourtant, le quotidien Le Monde nous apprend que « les jurys peuvent
«booster» les notes » des candidats au bac 2017, un article de Ouest-France
rapporte le propos du directeur de l’office de tourisme de Vannes selon lequel
« la ligne LGV devrait booster les courts séjours », info-tours.fr nous dit
« Comment Tours Métropole veut booster le tourisme », Femme Actuelle
publie un article où il est question de « booster la brillance de ses cheveux »,
Minutenews.fr nous fait part d’« une découverte majeure pour booster les
antibiotiques avec des huiles essentielles ». N’en jetez plus !
Mais comment donc expliquer que l’on se prête avec autant de
complaisance à la corruption de notre langue ? Quelle mode scélérate, quel
snobisme ridicule et quelle inconscience sont à l’œuvre dans cette
contamination ? Quelles que soient les réponses, tout nous incite à ne pas
entrer dans la ronde : prenons-en la résolution, jurons de ne jamais utiliser ces
anglicismes et prenons plaisir à rechercher les mots français les plus aptes à
exprimer notre pensée avec justesse.
« Booster » est un anglicisme de plus en plus souvent utilisé.
De nombreux verbes français plus précis et mieux adaptés sont à notre disposition
pour éviter l’emploi de « booster ».
Éliminons « booster » de notre vocabulaire et résistons à l’invasion des anglicismes.
27
VOILÀ
TOURNURES EXASPÉRANTES
Voici l’extrait d’une interview datant de juillet 2011 :
« Non ben très bien, c’est vrai que VOILÀ,
depuis l’début j’ai très bien été accueilli, c’est ça aussi
qu’a facilité les choses euh VOILÀ j’me suis tout
d’suite mis dedans et concentré. VOILÀ, le coach m’a
appelé et VOILÀ c’était à moi de tout donner
et VOILÀ, dès que j’suis rentré, on m’a tout d’suite mis
bien, on m’a encouragé et VOILÀ, j’suis rentré sans
pression et c’est ça qu’a fait le p’tit plus et VOILÀ,
j’ai tenté et c’est au fond, j’suis très content. »
Voilà un modèle de rhétorique que l’on doit à un joueur nouvellement admis
dans l’équipe de France de ballon rond. Dans une anthologie des discours
footballistiques, ce serait, sans aucun doute, l’un des meilleurs morceaux
choisis. Ce charabia est ponctué de sept « voilà » qui ne jouent aucun rôle
linguistique, qui ne servent à rien si ce n’est à combler les vides d’un propos qui
n’est lui-même que viduité, car, qu’il soit préposition, verbe (« vois là ») ou
adverbe (les lexicographes8 ne sont pas d’accord), « voilà » s’emploie dans des
cas assez précis :
‒ attirer l’attention sur quelqu’un ou quelque chose ;
‒ présenter quelqu’un ou quelque chose ;
‒ introduire un commentaire ou une explication ;
‒ marquer la fin d’un propos (et la satisfaction de celui qui l’a tenu).
« Voilà » n’est donc pas destiné à remplir cette fonction de « bouche-trou »
qu’on lui assigne trop souvent ; son rôle n’est pas non plus de résumer une
pensée ni de se substituer à une pensée absente. « Voilà » semble en effet
signifier :
‒ je ne sais pas quoi vous dire ;
‒ j’ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas comment (À moi, Boileau !) ;
‒ vous savez ce que je veux vous dire.
Dans l’exemple proposé en introduction, les « voilà » du footballeur n’ont
pas de réelle fonction dans le dialogue, si ce n’est ce que les linguistes
appellent « fonction phatique » du langage. Ces multiples « voilà » n’apportent
aucune information, mais permettent d’engager et de maintenir l’attention de
l’interlocuteur, de susciter son intérêt. Conclusion logique : plus les « voilà »
sont nombreux, moins le discours est intéressant.
« Voilà » sert à introduire, présenter ou conclure.
« Voilà » peut aussi avoir une fonction « phatique » : établir et maintenir le contact
entre les interlocuteurs.
La ponctuation empêche la liaison.
Tout signe de ponctuation joue le même rôle qu’un « H » aspiré.
En chantant « Allons z’enfants », on commet donc une faute, « Allons » étant
logiquement suivi d’une virgule.
TESTEZ-VOUS !
1. Corrigez, s’il y a lieu.
a) Stéphane Hessel a écrit Indignez-vous !, un opuscule qui fut un grand
succès de librairie.
b) Une orchite est l’inflammation d’une testicule.
c) Quand on conduit, il faut toujours prévoir à l’avance le comportement des
autres usagers de la route.
d) Pour éviter l’incident, il aurait suffi de prévoir la réaction de l’enfant peu
de temps à l’avance.
e) Pour remédier au « massacre » de la langue française, il serait judicieux de
rétablir la dictée quotidienne à l’école primaire.
f) Sa sœur connaît bien des ennuis pécuniers.
g) Le latin pecus, qui veut dire « bétail », est à l’origine de l’adjectif
« pécuniaire ».
2. Remplacez l’anglicisme par un mot français adéquat.
a) Quelques séances de balnéothérapie, rien de tel pour vous booster !
b) Cette publicité a été très efficace pour rebooster nos ventes.
c) Pour booster son image, notre président a parfois recours à la démagogie.
3. Ponctuez la phrase suivante de manière à la rendre interrogative.
Les nouvelles régions sont elles aussi facilement gérables que les anciennes
4. Ponctuez cette même phrase pour en faire une affirmation.
29
AUGURE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Titre d’un article publié par Claire Lemaître sur Boursier.com le 1er juillet
2017 :
Finances publiques : l’audit de la Cour des Comptes
de mauvaise augure pour l’équipe Macron
Et, sur LaDepeche.fr du 7 juillet 2017, sous la plume
d’Alexandre Efremenko :
Loin, très loin des 92 milliards investis en 2012.
Mais de bonne augure tout de même pour renouer
avec la croissance.
Les journalistes du monde de la finance seraient-ils fâchés avec le genre
grammatical du mot « augure » ? Qu’il soit qualifié de bon ou de mauvais, le
nom « augure » est masculin. Évidemment, à l’oral, la confusion des genres est
indécelable car « bon augure » se dit de la même façon que « bonne augure » ;
idem pour « mauvais augure » et « mauvaise augure » : la liaison vient à propos
masquer l’ignorance, à moins qu’elle ne soit plutôt responsable de la
féminisation du mot.
« Augure » est masculin quelle qu’en soit la signification : « présage » ou
« personne prétendument capable de faire d’exactes prédictions ». Son origine
nous renvoie à l’Antiquité romaine : les augures étaient les signes que les
prêtres (eux-mêmes dénommés « augures ») interprétaient pour voir l’avenir,
connaître la volonté des dieux, s’assurer de leur avis et de leur protection. Les
augures particuliers déduits de l’observation des oiseaux, leur chant, leur vol,
leur comportement, etc., recevaient aussi le nom d’« auspices ». De nos jours,
« auspice » et « augure » ont le plus souvent un sens figuré. Comme « augure »,
« auspice » est du genre masculin. Presque exclusivement employé au pluriel,
on le trouve dans des expressions figées comme :
‒ « sous les auspices de » : avec le soutien de, sous le patronage de ;
‒ « sous les meilleurs auspices » : dans des circonstances très favorables.
« Augure » a donné naissance aux verbes « augurer », pressentir que quelque
chose se produira, et « inaugurer », mettre en service de façon officielle et
solennelle.
« Augure » est du genre masculin, comme « auspice », son synonyme.
Un « augure » est un présage ou un prêtre de l’Antiquité romaine capable
d’interpréter les signes permettant des prédictions.
ÉTANT ABSENTS,
VEUILLEZ NOUS LAISSER
UN MESSAGE
SOLÉCISMES
Ce genre d’annonce était naguère assez fréquent sur les répondeurs
téléphoniques, parfois agrémenté de l’utile précision : « après le bip sonore »,
comme si un « bip » pouvait ne pas être « sonore » ! Mais ne chipotons pas,
malgré ce pléonasme, tout le monde comprend un tel avertissement : ceux à
qui on voulait parler ne sont pas chez eux et l’on s’exécute en enregistrant un
petit mot. Fort bien, mais l’on devrait logiquement ne pas comprendre cette
phrase, car elle est syntaxiquement incohérente. Le sujet sous-entendu du
verbe au participe présent doit en effet être le même que celui du verbe à
l’impératif. En l’occurrence, « veuillez » et « étant (absents) » doivent avoir le
même sujet. Ce qui est aberrant puisque « étant absents* » équivaut à « parce
que nous sommes absents ». Les possesseurs de ce sacré répondeur
téléphonique auraient été mieux inspirés de tourner ainsi la formule :
« Étant absents, nous vous prions de nous laisser
un message après le bip (ou le signal sonore). »
Les pinailleurs ne manqueront pas de souligner l’absurdité de ma
proposition : si vous êtes absents, comment pouvez-vous prier qui que ce soit
de faire quoi que ce soit, comment pouvez-vous même prétendre nous parler,
fût-ce par le truchement de votre fichu répondeur ?
Ces énoncés que la confusion des sujets rend incohérents ou ambigus
reçoivent le nom d’« amphibologies ». Si l’équivoque est source de comique, on
peut alors parler de « janotisme » (ou « jeannotisme »), Janot (ou Jeannot)
étant un personnage de comédie, niais et ridicule.
Exemples de janotismes :
Le deuxième classe fut privé de permission
pour avoir jeté un seau d’eau à la tête
de son adjudant qui était plein.
Pierre conduisit son toutou sur la pelouse
pour assouvir ses besoins.
Ces exemples sont évidemment exagérés, mais si les janotismes sont rares,
les amphibologies ne sont pas exceptionnelles et les équivoques qu’elles
produisent peuvent être regrettables. Viennent alors à l’esprit les célèbres vers
de Boileau :
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Lorsque le verbe est au participe présent ou passé, le sujet est sous-entendu (implicite).
Dans ce cas, le sujet doit être le même pour les deux propositions.
Un sujet mal identifié peut être cause d’amphibologie, voire de janotisme.
* N.B. Bien que « étant (absents) » soit un participe présent, la proposition n’est pas participiale, car
dans une proposition participiale, le participe a son sujet propre.
32
SOI-DISANT
PRÉTENDU(E)(S)
BARBARISMES
Commençons par écarter les confusions que l’on peut faire à propos de
« soi ».
‒ Ce n’est pas l’adverbe signifiant « d’accord », écrit avec un « t » :
Soit, je ferai ce que vous me dites.
‒ Ce n’est pas non plus la conjonction synonyme de « ou bien », que l’on
redouble pour marquer l’alternative, toujours avec le « t » final :
Soit vous acceptez ma proposition,
soit je vous donne ma démission !
‒ Ce n’est pas davantage la 3e personne du singulier du présent du
subjonctif :
Il faut qu’il soit parti avant midi.
Il s’agit bien du pronom personnel réfléchi 3e personne du singulier,
orthographié sans « t » final, équivalent de « soi-même », comme dans
Chacun pour soi et Dieu pour tous.
« Soi-disant », forme conjuguée de « se dire », a le sens de « qui se dit soi-
même », « qui se dit lui-même » avec l’idée de contre-vérité ou d’exagération.
Dans
C’est un pianiste soi-disant virtuose
on comprend que ce pianiste se dit lui-même virtuose, qu’il se prétend tel, à
tort, et qu’en réalité ce doit être un pianiste bien médiocre.
« Soi-disant » est invariable (même si certains auteurs du passé l’ont parfois
accordé). Il ne prend la marque ni du féminin, ni du pluriel. On écrira donc :
Sa petite amie est une soi-disant Miss Auvergne
et
Le Parlement européen contient bon nombre de soi-disant tribuns.
On comprend que la petite amie ne fut peut-être que deuxième dauphine et
que les députés européens qui se disent tribuns sont soupçonnés de n’être
que de piètres orateurs.
Et puisqu’il est question de « se dire soi-même », « soi-disant » ne peut être
utilisé que par des êtres doués d’une parole consciente, ce qui élimine tout
objet au sens large du terme. Des énoncés qui parlent de « soi-disant
dégradations commises dans un camping par des enfants » ou d’« un camping
soi-disant dégradé… » sont donc fautifs. Est-ce, comme l’affirme Larousse, être
puriste que de proposer alors l’emploi de « prétendu(s) » et
« prétendument » à la place de « soi-disant » ?
Dans « soi-disant », « soi » ne prend pas de « t » final.
« Soi-disant » est invariable et signifie « qui se dit soi-même ».
« Soi-disant » ne peut donc logiquement s’appliquer qu’à des personnes. Dans les
autres cas, il vaut mieux employer « prétendu » et « prétendument ».
33
IMPACTER
ANGLICISMES
Ici, c’est la crise qui pourrait nous impacter tous, là, c’est le Brexit qui va
impacter l’énergie européenne, ailleurs, ce sont les objets connectés qui
impacteront notre mobilité ; tel magazine nous apprend que notre santé
risque d’être impactée par le grignotage du soir, tel autre prétend que les
modifications du Code de la route peuvent impacter tous les conducteurs,
bref, nous sommes cernés par quantité d’impacts potentiels dont on se
demande comment ils auraient pu autrefois s’exprimer, alors que ce verbe
« impacter » n’était pas encore en usage (n’avait pas encore impacté notre
vocabulaire), précisément avant 1992, date de sa première attestation. Il s’est
ensuite propagé à toute vitesse, comme d’une traînée de poudre, empruntant
le support des réseaux sociaux et de leurs étalages impudiques, la voie des
médias (et la voix des journalistes), celle des politiques et de leurs discours
convenus et, de fil en aiguille, la parole de tout un chacun… car nombreux sont
ceux qui adoptent les mots à la mode, par mimétisme, sans vraiment se poser
la question du sens exact, ni celle de l’origine.
En l’occurrence, dans le sens où il est utilisé par les bavards médiatisés, à
savoir « heurter » ou « avoir des conséquences (plutôt négatives) sur… »,
« impacter » n’est pas accepté par l’Académie française, le TLF le dénonce
comme anglicisme et Larousse parle d’un emploi « familier ». En 2000, dans
Caïn et Abel avaient un frère, Philippe Delaroche écrit :
« À côté des verbes irréguliers, s’est constituée depuis les années 1980 une
nouvelle famille, celle des verbes laids. Sont apparus valider, checker, initier,
générer, impacter. Ils font autorité plus qu’ils ne signifient. Ils attestent de
l’appartenance du locuteur à la sphère manageuriale. »
Il dénonce un sabir9 en usage dans l’industrie, les services et l’administration.
Comble de l’anglomanie, l’emploi de « to impact on », signifiant « avoir des
répercussions sur », engendre en Grande-Bretagne même, une réelle
désapprobation, le verbe y étant considéré comme faisant partie d’un jargon
commercial.
Autant de raisons d’abandonner le trop fréquent verbe « impacter »,
redoutable lexicophage qui rejette dans les oubliettes quantité de verbes et
locutions bien français, en parfaite harmonie avec les divers contextes, pour
peu que l’on s’y intéresse : « influencer », « affecter », « toucher », « influer
sur », « se répercuter sur », « avoir des conséquences sur », « avoir une
incidence sur », etc.
« Impacter » est un anglicisme à la mode, surtout dans les milieux politique,
économique et journalistique.
Avec le sens d’« influencer », le verbe « impacter » n’est pas accepté par l’Académie
française ni « to impact on », par les lexicographes8 britanniques.
« Impacter » doit être remplacé par « influencer », « affecter », « toucher », « se
répercuter sur », etc.
34
ÇA L’FAIT
TOURNURES EXASPÉRANTES
L’expression aurait pu tout aussi bien figurer dans la catégorie
« Anglicismes », car elle provient, de toute évidence, de l’anglais « that does
it », idiotisme10 dont la traduction littérale ne pouvait donner qu’une idiotie. En
effet, la raison d’être d’un pronom est de remplacer un nom, utilisé
antérieurement ou rendu explicite par le contexte ou la situation, de sorte que,
sous-entendu, il est parfaitement compris par les interlocuteurs. Or, ceux qui
lancent « ça l’fait ! », par mimétisme, ceux-là seraient bien embarrassés s’ils
devaient préciser à quoi le pronom personnel « le » fait allusion. Idem pour « ça
va l’faire », « ça peut l’faire », « ça l’fait pas ! », etc. Mais, saperlipopette !
Qu’est-ce que ça fait ? Qu’est-ce que ça va faire ? Qu’est-ce que ça peut faire ?
Qu’est-ce que ça ne fait pas ?… Boule de gomme !
On peut alors se demander si cette expression se fonde sur une pensée
bien définie ou si l’employer relève d’une sorte d’automatisme comme c’est de
plus en plus souvent le cas, ce que l’on peut regretter, car, à force de recourir à
des locutions figées caractéristiques d’une langue de bois, façon politiciens
démagogues, à des anglicismes lexicophages qui aplanissent les nuances, on
appauvrit notre pensée, incontestablement.
« Ça l’fait ! » On dit que cette tournure eut sa période de gloire à la fin des
années 1990. Aujourd’hui, elle serait devenue ringarde. Pourtant, je l’entends
encore, notamment dans la bouche de personnes d’un certain âge. Pensent-
elles se rajeunir en adoptant ainsi le parler branché de leurs enfants ou petits-
enfants ?
En pareilles circonstances, quelles autres expressions peuvent dire notre
satisfaction, notre approbation, notre accord ?
« Ça me va ! », « Ça me plaît ! », « Ça me convient ! », « Ça marche ! », « Ça
roule ! », voire « Ça colle ! » sont tout à fait correctes et de loin préférables à
« Ça l’fait ! » D’ailleurs, « Ça l’fait » n’est plus guère à la mode ; « ça l’fait », ça ne
la fait plus. Quoi donc ? L’affaire, bien sûr !
« Ça le fait ! » est une traduction littérale de l’anglais « That does it ! »
L’expression utilise un pronom personnel qui ne remplace aucun nom : elle est donc
absurde.
De nombreuses tournures comme « Ça me convient », « Ça marche », « Ça fait
l’affaire », « Ça me va » sont préférables à « Ça l’fait » !
35
ARMISTICE
FÉMININ OU MASCULIN ?
« Il se servit du mot amnistie, et fit dans toute
la conversation presque toujours cette faute. »
Cette anecdote, rapportée par Émile Littré dans son Dictionnaire de la
langue française, se trouve dans Mémoires sur le consulat, l’Empire et le roi
Joseph (1858) du comte Miot de Mélito (note en bas de la page 90).
De quelle faute s’agit-il ? De la confusion entre les mots « amnistie » et
« armistice ».
De quelle conversation est-il question ? De celle qui eut lieu à Brescia le 19
prairial an IV (5 juin 1796) lors de l’armistice signé avec les représentants
napolitains.
Qui fit cette faute ? Le général Napoléon Bonaparte. Il faut dire que le mot
« armistice » était nouveau puisqu’il ne fut intégré au dictionnaire de l’Académie
française qu’à partir de la quatrième édition (1762), d’ailleurs mentionné féminin,
par erreur, comme nous le précise Littré. L’erreur sera corrigée dès l’édition
suivante (1798).
Issu du latin médiéval armistitium formé sur le latin classique arma,
« arme(s) » et statio, de stare, « être arrêté » selon les uns, sistere, « arrêter »,
selon les autres, un « armistice » est donc une « suspension d’armes », c’est-à-
dire un « arrêt des hostilités » ou un « cessez-le-feu » qui, de provisoire, devient
définitif s’il est suivi d’un traité de paix.
Comme « interstice » et « solstice », « armistice » est masculin, contrairement
à « justice ». La confusion d’« armistice » avec « amnistie », phonétiquement
proche, peut expliquer la confusion des genres grammaticaux, « amnistie » étant
féminin comme « dynastie », « eucharistie », « hostie », « modestie », « sacristie »,
etc.
Comme « interstice » ou « solstice », « armistice » est du genre masculin : UN
armistice.
Ne pas confondre, comme Napoléon le fit, « armistice » et « amnistie ».
TRI SÉLECTIF
PLÉONASMES
Il fut instauré au début des années 1990. Depuis, nos concitoyens ont pris la
bonne habitude de trier leurs déchets selon les différents conteneurs, bleus,
jaunes ou verts, mis à leur disposition par les municipalités. Un siècle plus tôt,
un certain M. Poubelle, préfet de la Seine, avait déjà publié une ordonnance
imposant l’usage de « plusieurs récipients pour recevoir les résidus de
ménage. » Eugène René Poubelle fut donc l’initiateur du tri… que l’on ne
qualifiera pas de « sélectif », évitant ainsi un pléonasme, car trier suppose un
choix et choisir, c’est bien faire une sélection. Tout tri est donc, par définition,
sélectif.
La formule est donc indubitablement impropre. Son créateur en prit-il
conscience ? L’a-t-il conservée en connaissance de cause, pour plus d’efficacité
auprès des consommateurs qu’elle entend inciter à plus de civisme ? D’ailleurs,
vouloir que ce pléonasme disparaisse est sans doute vain, car le matraquage
incitatif qui dure depuis un quart de siècle l’a désormais solidement enraciné
dans les mœurs. En voulant enseigner « les bons gestes » pour trier les
déchets, on colporte le pléonasme. Une preuve parmi tant d’autres, un article
publié dans l’Est éclair le 23 juillet 2017, intitulé
« Les enfants apprennent le tri sélectif. »
Il est donc probable que ce slogan fautif soit aussi durable que le
développement auquel il est associé.
À moins que vous, lecteurs, que j’espère nombreux et convaincus, ne
décidiez non seulement de ne plus l’employer, mais aussi d’inciter vos proches
à faire de même. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, on verra peut-
être un jour les expressions « tri domestique » et « tri ménager » remplacer
un « tri sélectif » devenu inénarrable, au sens premier du terme.
Tout tri imposant un choix, donc une sélection, l’expression « tri sélectif » est un
pléonasme.
Vouloir extirper « tri sélectif » du vocabulaire de nos concitoyens est sans doute une
entreprise vaine.
On peut toujours essayer de proposer « tri domestique » ou « tri ménager » en
remplacement de « tri sélectif ».
38
« Ceci dit » est une tournure incorrecte qui doit être remplacée par « cela (étant) dit ».
39
SOUHAITER
SES VŒUX PRÉSENTER
SES VŒUX
BARBARISMES
L’ineptie revient tous les ans à partir du 1er janvier et, selon la tradition,
jusqu’au 31, plus à l’écrit qu’à l’oral, sur les cartes de vœux devenues rares ou
dans les méls qui les remplacent. Célébrer les anniversaires est une autre
occasion d’utiliser cette formule stupide. Les exemples ne manquent pas : ici,
ce sont « les people [qui] vous montrent en images comment souhaiter vos
vœux » (L’Internaute.com du 29 décembre 2016), là, par la voix de Pierre
Meignan, c’est « la rédaction française de Radio Prague [qui nous] souhaite à
toutes et à tous ses meilleurs vœux de bonheur sur notre planète Terre »
(30 décembre 2016), ailleurs, Le Journal de Montréal du 30 juin 2017 nous
apprend qu’à l’occasion du 150e anniversaire de leur pays, « Donald Trump
souhaite aux Canadiens ses meilleurs vœux. »
Inepte, stupide, les qualificatifs ne sont pas exagérés, car « souhaiter ses
vœux » relève du charabia. Ouvrons les dictionnaires à l’entrée « vœu » : outre
les trois conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance, le mot est
défini par « souhait » qui est donc son exact synonyme. Qu’en est-il alors de
« souhait » ? Larousse en donne cette définition : « Aspiration vers quelque
chose qu’on n’a pas […] Formuler des souhaits de bonheur », et à l’image de
tous les autres dictionnaires, il propose « vœu » comme synonyme de
« souhait ». Par conséquent, « souhaiter ses vœux » revient à « souhaiter ses
souhaits ». On mesure alors pourquoi l’expression est aberrante, incohérente,
illogique, inepte et stupide. Dès lors, pour l’anniversaire de Firmin, le mariage
de Gertrude et Gaspard, la naissance d’Euphrosyne et la nouvelle année, on
« présentera ses vœux », on les « offrira », mais on ne les « souhaitera » plus.
« Souhaiter ses vœux » est une expression incohérente.
« Souhait » et « vœu » sont synonymes.
FAIRE LE BUZZ
ANGLICISMES
La télévision, la radio et la presse écrite sont de formidables amplificateurs,
non seulement pour les événements en tous genres, des tragédies humaines
aux faits divers sans importance, mais insolites, en passant par les remous de la
politique, de l’économie et de la culture, bref de tout ce qui forme le brouhaha
médiatique ordinaire et quotidien, mais aussi pour les mots et les expressions
qui disent tout cela, lexique incontrôlable dès lors qu’il s’est installé sur les
ondes hertziennes. Si la nouvelle est extraordinaire, inattendue et à la limite de
l’inconcevable, elle sera reprise par l’ensemble des médias, du plus petit canard
de province aux chaînes d’information internationales en passant par les
« réseaux sociaux ». Pour dire cela, on aurait naguère utilisé une bien belle
expression, « défrayer la chronique » :
« À Plymouth en décembre 1621 se déroula un événement
qui dut défrayer la chronique. »
(Bulletin. Études, documents, chronique littéraire, 1978)
« Les exactions de la Milice, arrivée en mai 1944, vont
défrayer la chronique. »
(Pierre Groc, Chronique de Mont-de-Marsan sous
l’Occupation, 2012, p. 5)
« Soixante ans plus tard, cette affaire qui défraya
la chronique dans la France des années 1950
n’a toujours rien perdu de sa dimension
profondément énigmatique. »
(Emmanuel Pierrat, Les Grandes Énigmes
de la justice, 2010)
Le mot « chronique » a désigné, au XVIIe siècle, les ragots colportés sur les
individus. « Défrayer » voulait dire « payer les frais de », par conséquent,
« alimenter ». « Défrayer la chronique », c’est donc d’abord « alimenter les
conversations (médisantes) », puis « être le sujet dont tout le monde parle ».
Depuis le début des années 1990 fleurit une autre locution, issue du verbe
anglais « to buzz », « bourdonner, vrombir » : « faire le buzz ». Elle signifie « créer
l’événement (médiatique) », l’événement en question pouvant être désigné par
un anglicisme déjà vieilli, le mot « scoop ». Dans nos trois exemples, remplaçons
« défrayer la chronique » par « faire le buzz » : l’effet obtenu est risible.
Vous direz ce que vous voulez, moi je préfère « défrayer la chronique »,
expression bien adaptée aux circonstances, parfaitement française et digne
d’être réactualisée ; à la rigueur, « créer l’événement » fera aussi l’affaire.
L’anglais « to buzz » signifie « bourdonner, vrombir ».
« Faire le buzz » est donc un anglicisme.
Remplaçons-le par « défrayer la chronique » ou « créer l’événement (médiatique) ».
41
SILENCE RADIO
TOURNURES EXASPÉRANTES
Au nombre des tournures exaspérantes figurent évidemment les clichés
dont les ondes nous gratifient quotidiennement, lors des journaux télévisés
notamment. Formules creuses que la fréquence d’utilisation a fini par rendre
stériles, inaptes à provoquer chez l’auditeur le moindre sursaut, ces
expressions participent à faire des commentaires journalistiques des modèles
de langue de bois.
Le « silence radio » fait partie de ces clichés où les mots vont par deux,
comme les vaches à bicyclette ou les adeptes de l’Église de Jésus-Christ des
saints des derniers jours. Ainsi, le silence est devenu systématiquement
« radio », comme les masses étaient autrefois « laborieuses », les salutations,
« distinguées » et les chemins, « poudreux », comme aujourd’hui le célibataire
est « endurci », le moment, « donné », la majorité, « silencieuse » ou le silence,
« assourdissant », ce silence étant comparable à notre silence « radio ».
L’expression est d’abord apparue chez les militaires qui, en temps de guerre,
pour ne pas se faire repérer par l’ennemi, interrompaient toute communication
radio. L’usage de cette locution a évolué du sens propre (communications
radio réellement interrompues) au sens figuré (refus de parler), tout en
s’étendant à d’autres domaines, en particulier le domaine politique où,
lorsqu’un sujet s’avère trop sensible, les gouvernants adoptent un mutisme
absolu… à moins que ce mutisme ne cache une incapacité à traiter le sujet en
question. Refuser de répondre aux journalistes inquisiteurs en invoquant la
raison d’État ou le secret Défense peut être, selon les cas, une justification
recevable parce que légitime, ou un prétexte pour ne pas dévoiler une vérité
qui dérange. Dans de tels contextes, l’emploi de l’expression « silence radio »
est parfaitement adéquat, mais il peut être aussi abusif lorsque le silence est
qualifié de « radio » sans logique, machinalement, à la façon d’un réflexe
conditionné. Exemples :
MC Solaar : après un long silence radio !
(Titre d’un article paru sur StarAfrica.com
le 7 juillet 2017)
Après une longue période de silence radio,
Jérémy Chatelain a fait son retour.
(Pure People, 30 juillet 2017)
Que devient donc le Front national ?
Silence radio dans les médias ! Il ne faudrait pas
que le bon peuple s’affole.
(Boulevard Voltaire, 28 juillet 2017)
Dans ces trois exemples, un simple « silence » aurait suffi !
L’expression « silence radio » est passée du domaine militaire à ceux de la politique et
du journalisme en même temps que du sens propre au sens figuré.
Qualifier certains silences de « radio » n’est pas toujours justifié.
Adjoindre le mot « radio » au mot « silence » procède souvent d’une sorte de « réflexe
conditionné ».
42
LA VOYELLE [œ̃]
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
La paresse phonétique est un poison qui tue la langue, à petit feu. C’est elle
qui nous fait raccourcir les mots par la fin (apocope) ou le début (aphérèse,
beaucoup plus rare), c’est elle qui nous fait utiliser des anglicismes au prétexte
qu’ils sont plus courts que les mots français correspondants (voire !), c’est elle
aussi qui, dans les liaisons, nous incite à ne pas tenir compte des terminaisons
grammaticales, c’est elle enfin qui fait que nous remplaçons certaines voyelles
dont la prononciation est contraignante, par d’autres, plus simples. Tel est le
cas de la voyelle nasale antérieure arrondie [œ̃] de « brun » qui tend à
disparaître au profit de la voyelle nasale antérieure écartée [ɛ̃] de « brin ».
Cette voyelle [œ̃] n’est pas aussi rare qu’on le laisse entendre parfois. On la
trouve dans une soixantaine de mots. Quelques-uns des plus communs sont
réunis dans ce petit texte :
Chaque lundi matin, encore à jeun, dans l’humble
bungalow battu par les embruns, elle prenait soin
de ses longs cheveux bruns qu’elle imprégnait
d’un très discret parfum.
Complétons cet énoncé par une phrase utilisant « un », « alun », « défunt »,
« emprunt », « opportun » et « quelqu’un », on aura alors une liste convenable
des mots usuels où se niche cette voyelle en voie de disparition :
Quelqu’un lui avait pris la pierre d’alun qu’elle tenait de
son grand-père défunt : un emprunt vraiment peu
opportun !
On peut même s’amuser à établir une liste où chaque mot contenant notre
voyelle [œ̃] est apparié à un autre lui ressemblant, mais contenant la voyelle
[ɛ̃] :
[œ̃] [ɛ]
À jeun Agen
Alun Alain
Bungalow Bengali
Brun Brin
Embruns Embringuer
Emprunt Empreint
Lundi L’indigo
Parfum Par faim
Autant de prétextes pour restaurer la voyelle [œ̃], autant d’exercices pour la
bien prononcer (lèvres arrondies et projetées) et préserver ainsi la richesse
phonétique de notre langue française.
La paresse phonétique nous incite à ne plus prononcer correctement la voyelle [œ̃].
HÉMISPHÈRE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Capitale du Land de Saxe-Anhalt, la ville allemande de Magdebourg, au
bord de l’Elbe, est célèbre pour l’expérience de physique qui y fut réalisée en
1656, son bourgmestre, Otto von Guericke, en ayant été le principal initiateur. Il
s’agissait de démontrer l’existence de la pression atmosphérique en maintenant
deux hémisphères ensemble et en créant le vide à l’intérieur de la sphère ainsi
formée, grâce à une pompe à vide inventée par Otto von Guericke. Huit
chevaux étaient attelés à l’hémisphère de droite et huit autres à l’hémisphère
de gauche. Malgré la puissance de traction développée par les deux attelages,
en l’occurrence, 25 000 newtons, il fut impossible de séparer les hémisphères.
Cette expérience, connue sous le nom des « Hémisphères de Magdebourg »,
démontre l’action de la pression atmosphérique.
Détail important :
A. Les hémisphères sont creux
ou
B. Les hémisphères sont creuses ?
Réponse A. « Hémisphère » est bien du genre masculin, que l’on parle de la
moitié du globe terrestre ou de la moitié du cerveau.
C’est, avec « planisphère », une exception, car « sphère » étant du genre
féminin, il est logique que ses nombreux composés savants le soient aussi :
atmosphère, biosphère, exosphère, hétérosphère, homosphère, hydrosphère,
ionosphère, lithosphère, magnétosphère, mésosphère, photosphère,
stratosphère, thermosphère, troposphère, même blogosphère et, entendu
récemment, fachosphère, et la liste n’est pas close.
« Hémisphère », comme « planisphère », est du genre masculin.
Ce sont deux exceptions car « sphère » et tous ses autres composés sont féminins.
La liste de ces composés est ouverte.
44
L’adjectif « solidaire » contient l’idée d’obligation réciproque.
« Solidaires les uns des autres » est donc un pléonasme.
« Solitaires tout seuls » est un pléonasme comparable.
45
Verbe transitif indirect (avec préposition « de ») → complément d’objet indirect →
DONT et CE DONT.
Verbe transitif direct (sans préposition) → complément d’objet direct → QUE et CE
QUE.
Les verbes intransitifs n’admettent, par définition, aucun complément d’objet donc,
aucun pronom relatif n’est nécessaire.
46
CONSÉQUENT
IMPORTANT
BARBARISMES
L’ex Spice Girls serait contrainte de payer
une somme conséquente à son futur ex-mari.
(Publié dans Voici le 15 juillet 2017 par Virginie Hilssone)
Une dépense conséquente voire impossible
pour les plus faibles revenus
(Publié dans La Nouvelle République le 3 août 2017
par Caroline Tronche)
La victime s’en tire avec un nombre de jours
d’interruption total de travail conséquent.
(Publié dans La Voix du Nord le 1er août 2017
par Morad Belkadi)
« Vicieux et impropre », c’est ainsi que Bescherelle qualifie cet emploi de
« conséquent ». Larousse, Littré et Quillet lui emboîtèrent le pas et, pourtant,
on continue de penser, journalistes en tête, que « conséquent » est synonyme
d’« important ». « Important » serait devenu trop banal, il aurait perdu de son
importance. « Conséquent » aurait plus de distinction, plus de style. Tu parles,
Charles ! Ces considérations sont le fait de pédants, de gens qui souhaitent ne
pas parler comme le commun des mortels, mais ce faisant, ils se trompent et
entraînent leurs lecteurs dans la confusion. « Conséquent » n’a jamais été
synonyme d’« important » ! Est « conséquent » celui qui agit avec esprit de
suite, en accord avec sa pensée, en cohérence avec ses valeurs. Ainsi, son
jugement sera lui-même conséquent. Mettre en adéquation ce que l’on fait
avec ce que l’on dit, ce que l’on dit avec ce que l’on pense, c’est être
conséquent. Un nombre de jours d’arrêt de travail, une dépense, une somme
versée à son ex-compagne ne peuvent donc pas être conséquents !
Le barbarisme peut-il s’expliquer par la ressemblance entre « conséquent »
et « considérable » ?
Notons qu’« inconséquent » est plus fréquemment employé que son
contraire. Une personne est inconséquente quand elle se met en contradiction
avec elle-même, quand ses actes ne sont pas en accord avec ses paroles.
Mesdames et Messieurs les parleurs, cessez de faire les importants ! Vos
« conséquents » sont inopportuns et si vous les utilisiez avec le sens
d’« important », il importe que vous ne fassiez plus cette méprise. Errare
humanum est, perseverare diabolicum* !
« Conséquent » ne veut pas dire « important ».
« Conséquent » qualifie celui qui agit en accord avec ce qu’il pense.
La ressemblance entre « conséquent » et « considérable » peut expliquer la méprise.
47
INITIER
ANGLICISMES
Que n’initie-t-on pas de nos jours ?
De grandes coproductions européennes, une enquête approfondie sur le
rachat de Monoprix par le groupe IBL, un dialogue sur les questions
sécuritaires avec l’Algérie, une véritable guérilla contre les hackers
(= pirates de l’informatique) et même un « groupe de contact » pour préparer
l’après-conflit en Syrie, les « initiateurs » étant respectivement : SFR, la
commission de compétition de l’île Maurice, l’Union européenne, Microsoft et
notre président de la République, Emmanuel Macron. Que d’initiatives en
perspective ! L’ennui, c’est que le verbe « initier » n’a jamais eu ce sens-là en
français. Cette acception est le fruit d’un emprunt à l’anglais « to initiate ». Il
s’agit donc d’un anglicisme, quand bien même « to initiate » résulte, comme le
français « initier », d’un emprunt au latin initiare. Vous vous dites que tout cela
est de l’hébreu et vous y perdez votre latin ? Rien de plus normal ! Essayons
donc d’éclairer les lanternes.
Le latin initiare eut trois acceptions principales successives :
‒ admettre aux mystères et à la pratique d’un culte (Ier siècle av. J.-C.) ;
‒ enseigner les principes d’un art, d’une science (Ier siècle ap. J.-C.) ;
‒ être à l’origine, au début de (IVe siècle).
L’anglais « to initiate » est dérivé du verbe latin auquel il a emprunté, dès le
tout début du XVIIe siècle, ses trois acceptions.
Le français « initier », également issu du latin initiare, fait son entrée au
lexique au XIVe siècle avec le sens d’« admettre à la connaissance et à la
participation des mystères de l’Antiquité » ; au début du XVIIe siècle apparaîtra le
sens de « donner à quelqu’un les premiers éléments d’un savoir ésotérique » et
aussi « introduire quelqu’un dans une société (secrète) ».
La troisième acception, « être à l’origine, à l’initiative de », n’est donc pas
contenue dans le français « initier ». Elle est empruntée à l’anglais et représente
donc un anglicisme que l’on évitera en ayant recours à « instaurer »,
« engager », « lancer », « inaugurer », « prendre l’initiative de » ou encore
« être l’initiateur (l’initiatrice) de ».
Le français « initier » et l’anglais « to initiate » sont issus du latin initiare.
Le français, contrairement à l’anglais, n’a emprunté que deux acceptions latines sur
trois.
ENTRE GUILLEMETS
TOURNURES EXASPÉRANTES
Attention ! Votre réserve est-elle suffisante ? Veillez à ne pas vous en laisser
démunir, car, aujourd’hui, on en use et abuse, la tendance étant d’en mettre un
peu partout, y compris là où ce n’est pas vraiment nécessaire. Nos
contemporains adorent même en accompagner l’usage de ce petit geste furtif :
les mains levées de chaque côté du visage, ils se mettent à agiter rapidement
index et majeurs. Vous l’aurez compris, je parle des guillemets.
Guillemet, diminutif de Guillaume, est un prénom dont le féminin,
Guillemette, est un peu plus fréquent. L’invention de ce signe typographique
serait en effet due à un certain Guillaume, imprimeur du XVIIe siècle. Le nom
commun dérivé, « guillemet », est attesté en 1677 et le Dictionnaire de
l’Académie française le mentionne à partir de sa deuxième édition (1718). Petit
Guillaume serait bien surpris de la vogue dont jouit encore son double signe de
ponctuation, quelque trois cents ans après son invention.
Il faut dire que l’utilisation qui en est faite de nos jours est outrancière.
Signes de ponctuation, les guillemets appartiennent au domaine de l’écrit. Ils
peuvent y encadrer un discours direct. Comme tout signe de ponctuation, ils
donnent de précieuses indications pour réussir une lecture à haute voix. On ne
les précise oralement que dans le cas où ils encadrent une citation ; l’usage est
alors de dire « je cite » ou « ouvrons les guillemets », avant le passage concerné
et « fin de citation » ou « fermons les guillemets », après.
Ce cas mis à part, le rôle des guillemets est d’isoler tout ou partie d’un texte
écrit pour en montrer la singularité (mot d’argot ou étranger) ou faire
comprendre notre désapprobation nuancée, voire notre désaccord avec ce
qu’exprime ledit passage. On dispose alors, à l’oral, de locutions telles que
« pour ainsi dire », « si j’ose dire », « si j’ose m’exprimer ainsi » ; selon les cas,
des adverbes comme « prétendument », « supposément » ou « soi-disant »
(voir 32) peuvent aussi convenir. La plupart du temps, cependant, la locution
« entre guillemets » agrémentée ou non de ce débile chatouillis de l’air, est
totalement hors de propos puisqu’en réalité on a en tête quelque chose
comme « ne me reprochez pas ce que je vais dire » ou « je vais dire plus ou
moins que ce que je pense » ou « je ne suis pas sûr d’employer le bon mot » ou
encore « je ne suis pas certain de ce que j’avance », etc.
Signe typographique de ponctuation, les guillemets s’utilisent à l’écrit.
À l’oral, ils encadrent une citation et sont transposés par les locutions « je cite » et
« fin de citation ».
Le plus souvent ils veulent dire que le locuteur n’est pas sûr de son discours ni du
vocabulaire qu’il emploie.
49
GRAPHÈMES ET PHONÈMES
SOLDES
FÉMININ OU MASCULIN ?
À l’origine, on trouve le bas latin sol(i)dus, substantif issu de l’adjectif
solidus, « compact, dense, massif, solide ». Solidus nous a donné l’adjectif
« solide » et le nom commun « sou » qui, à l’origine, était une pièce d’or avant
de changer maintes fois de valeur et ne plus représenter que l’ancienne pièce
de cinq centimes de nos grands-parents.
Restant dans le contexte monétaire, sol(i)dus a aussi donné naissance, via
l’italien soldo et le moyen français soulde, à la « solde » des gendarmes et des
militaires. Les « soldes » dont, par périodes, on profite pour s’offrir des articles,
notamment des vêtements, à meilleur marché, comme le solde qui résulte de la
différence entre débit et crédit, sont de même étymologie, MAIS, si la solde
versée au « soldat » (autre mot de même origine) est du genre féminin, le solde
« de tout compte » est de genre masculin tout comme les « soldes » qui
ouvrent droit à des rabais. Ces soldes-là sont le plus souvent au pluriel. Un
autre mot de même famille, soulte, désignait la somme versée dans un partage
(héritage) pour compenser l’inégalité des lots ; c’était aussi un équivalent du
« solde » (créditeur ou débiteur). « Solde », masculin, a remplacé soulte,
féminin, à la fin du XVIIe siècle.
Les soldes d’hiver comme les soldes d’été sont donc masculins et pluriels,
ce qu’ignore Orange, anciennement France Télécom :
« Chez Orange, les soldes semblent en effet
plus avantageuses. »
(Publié par Orange le 28 juin 2017
sur Monpetitforfait.com)
Il est vrai que cette entreprise, la première de France pour les
télécommunications, déploie depuis longtemps un zèle remarquable pour
promouvoir la langue française, comme le montrent des trouvailles linguistiques
telles que « livebox », « coach numérique », « marketing mobile »,
« webconseiller », « business services », « projet packagé », « pass projets », etc.,
sans oublier l’ancienne filiale « Wanadoo » dont le nom est tout droit issu de
l’argot américain wanna do, contraction populaire de want to do.
Les soldes sont aussi féminisées par le quotidien Ouest-France :
« Commencées mercredi 28 juin,
les soldes se terminent aujourd’hui. »
(Édition du 8 août 2017)
Pire, le magazine Paris Match, bafoue, par-dessus le marché, la règle
d’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire « avoir » :
« Les soldes d’été ont débutées mercredi à Paris,
comme à Londres. »
(Publié le 30 juin 2017 par parismatch.com
avec la complicité de Booking.com)
Mêmes horreur sur le site de LCI le 4 juillet 2017 :
« Les soldes d’été ont débutées mercredi 28 juin. »
Du latin sol(i)dus sont issus « solide », « sou », « soulte », « solde », « soldat » et
« soldes ».
Féminin pour la solde du soldat, masculin pour le solde de tout compte et les soldes
d’été ou d’hiver.
Les soldes permettant de faire de bonnes affaires sont presque toujours au pluriel.
51
PREMIÈRE(S) PRIORITÉ(S)
PLÉONASMES
Précieux conseil de l’oncle Jean :
En cas de doute, toujours s’en remettre au dictionnaire : Petit Larousse,
Hachette, Petit ou Grand Robert, Dictionnaire de l’Académie française,
Dictionnaire du TLF (CNRS), éventuellement Littré. Peu importe, mais
compulsez et confrontez !
En l’occurrence, tous soulignent l’idée de « précéder », de « passer devant »
(dans l’espace) ou « avant » (dans le temps). Dérivé du latin médiéval prioritas,
« préséance », lui-même issu du latin classique prior, « premier (de deux) »,
priorité perd toute sa cohérence si vous le mettez au pluriel, a fortiori si, ce
faisant, vous les qualifiez de premières, ce que n’hésite pas à faire cette
journaliste du quotidien Les Échos :
« Occuper les 110 enfants fait partie des premières
priorités de la direction du centre. »
(Édition du 6 août 2017)
La Voix du Nord n’est pas en reste :
« Différents groupes de travail vont se pencher
sur les premières priorités. »
(Édition du 17 juillet 2017)
BFMTV.com mérite le même tableau d’horreur :
« La sécurité et la qualité sont nos premières
priorités. »
(Édition du 13 juillet 2017)
Peut-il y avoir deux premières priorités ; de la qualité et de la sécurité,
quelle priorité va vraiment venir en premier ?
On s’en doute, le pléonasme trouve une bonne terre d’asile en politique :
« C’est elle qui justifie que le Gouvernement
fasse de l’école l’une de ses premières priorités pour ne
pas dire la première. »
(Propos de Bernard Cazeneuve, Premier ministre,
rapportés sur le site du gouvernement le 6 janvier 2017)
L’écheveau de ces « premières priorités » ‒ elles sont parfois au nombre de
cinq ‒ est un vrai casse-tête et l’on perdrait la raison à vouloir le démêler. Le
problème étant linguistiquement insoluble, on se demande s’il n’est pas la
cause, chez nos gouvernants, sinon d’un immobilisme, du moins d’une certaine
indécision.
Ils s’en tireraient bien mieux s’ils remplaçaient ces priorités par des
objectifs, des missions ou des mesures urgentes.
Le mot étant issu du latin prior, « premier », une « priorité » ne peut, en bonne
logique, être qualifiée de « première ».
Parler de « premières priorités », au pluriel, est un pléonasme encore plus grand.
QUE Y’A
SOLÉCISMES
Les débats médiatiques offrent un terrain privilégié pour la dégradation de
notre langue française. Le temps limité, les interruptions intempestives, la
volonté d’aller, coûte que coûte, au bout de son propos et des arguments qui
le sous-tendent, bref, la frénésie des échanges empêche que l’on soit attentif
au bien-parler. Pourtant, la maîtrise du langage permet la maîtrise du débat où
le sang-froid est la condition du sans-faute. De plus en plus rares, hélas, sont
les débatteurs aguerris qui forcent l’admiration par leur calme, leur parfaite
expression et la clarté de leurs interventions. On a plus souvent droit à du
bafouillage, des approximations, des mots tronqués, des contractions et des
élisions en tout genre telles que « c’que j’veux dire », « j’vous ai pas coupé »,
« pasque », « I’ z ont », « c’qu’ i’ faut », « I’ faut que », « I’ faudrait que ! »… Ah !
cette suppression du « l » final dans ce tout petit pronom de deux lettres :
« il » ! Parfois même, cornegidouille, il passe carrément à la trappe : « y a », « y
avait », « faut que », « faudrait que », etc. Misère !
Terrain privilégié, disais-je. Une laideur y prend souvent racine et peut y
pousser à foison. Mauvaise herbe dans le jardin des mots, cette formulation
insidieuse parsème les discours. Une fois repérée par l’auditeur, elle lui devient
vite insupportable : « que y a » et « que y ait » pour « qu’il y a » et « qu’il y ait ».
Trois exemples :
« Toutes les associations humanitaires
disent que y a un problème. »
(Yves Thréard dans C dans l’air sur France 5,
le 25 janvier 2016)
« Je crois que y a un doute. »
(Julien Drey, idem)
« En quoi c’est un problème que y ait des experts
aux commandes de l’État ? »
(Frédéric Taddeï dans Ce Soir (ou jamais !),
le 3 avril 2015)
Ces « que y a » et « que y ait » constituent, qui plus est, une faute de
syntaxe. En effet, « que y a » est la bien moche contraction de « que il y a » et
« que il » ne peut, en bon français, que se contracter en « qu’il ». Raison de plus
pour arracher ces « que y a » et « que y ait » et faire en sorte qu’ils ne
repoussent jamais plus !
Les conditions d’un débat comme d’un simple échange oral peuvent favoriser les
approximations de langage (contractions, élisions, mots tronqués).
Le sang-froid y est une condition du sans-faute.
COMMISSAIRIAT
COMMISSARIAT
BARBARISMES
« Quelque 1 261 personnes ont trouvé la mort
en Méditerranée […] selon un décompte du Haut-
commissairiat aux réfugiés des Nations unies. »
(La Croix, 30 avril 2016)
« «J’ai honte de travailler à Aulnay», a lâché d’emblée
ce fonctionnaire du commissairiat d’Aulnay-sous-Bois. »
(Le Parisien, 4 mars 2017)
« Franck Tanneau sera reçu au commissairiat
pour l’affaire des PV de Culture(s) en fête. »
(L’Indépendant, 5 novembre 2014)
« Commissairiat » ou « commissariat » ?
L’adjonction d’un suffixe peut ne pas suffire à créer un nouveau nom. C’est
le cas dans la dérivation qui nous intéresse : elle comprend l’ajout du suffixe « -
at », mais aussi la transformation de « - aire » en « - ari ».
actionnaire → actionnariat secrétaire → secrétariat
fonctionnaire → fonctionnariat sociétaire → sociétariat
notaire → notariat volontaire → volontariat
partenaire → partenariat vicaire → vicariat
prolétaire → prolétariat etc.
Le nom ainsi dérivé en « - ariat » désigne le lieu où travaille celui dont le nom
se termine par « -aire » (« secrétariat », « commissariat ») ; il peut aussi en
désigner la qualité ou l’état (« fonctionnariat »). Dans d’autres cas, c’est
l’ensemble des individus qui est désigné par le nom dérivé (« actionnariat ») ; le
« volontariat » se définit comme la participation (bénévole) à un service,
l’engagement volontaire dans l’armée, etc.
Le nom dérivé de « commissaire » est « commissariat ».
Glamour
ANGLICISMES
Parce qu’ils sont d’origine anglo-américaine, les anglicismes sont parfois
difficiles à comprendre ‒ M. de La Palisse n’aurait pas dit mieux ! Il en est
cependant qui sont obscurs par eux-mêmes, sans que l’origine soit en cause ou
parce que cette origine, précisément, se trouve à mille et une lieues,
sémantiquement parlant, si loin que l’anglicisme est devenu nébuleux. Tel est le
cas de « glamour ». Faites l’expérience : à Marie-Charlotte qui vient de vous
dire en gloussant : « Je trouve que notre première dame est trop glamour ! »,
passant sur l’emploi aberrant de « trop », demandez ce qu’elle entend par
« glamour » et appréciez à sa juste valeur l’embarras qui est alors le sien. Elle
finira par répondre, quelque peu excédée : « Bah ! tu vois bien c’que j’veux
dire ! » Eh bien non, ma cocotte, justement, je ne vois pas ! D’ailleurs, comment
verrais-je, puisque toi-même ne comprends pas ce mot que tu as pourtant
employé. « Glamour » ? … Au secours, professeur !
L’étymologiste vous laissera bouche bée en vous affirmant que « glamour »
vient du français « grammaire ». Au Moyen Âge, on qualifiait de « grammaire »
tout livre aussi difficile à comprendre que les « grammaires latines » ; ainsi les
ouvrages traitant de magie, seulement intelligibles aux seuls initiés, étaient des
« grammaires » et deviendront des « grimoires » au XVIe siècle. Le mot
« grammaire » nous a été emprunté par les Britanniques au début du XIVe siècle
avec ces mêmes sens. « Grammaire » deviendra « grammar » et, en Écosse,
« gramarye, gramory, gramery », dès le XVe siècle. Prononciation écossaise
aidant, ces formes donneront « glamor, glamour » au début du XVIIIe, par simple
évolution phonétique. Que reste-t-il aujourd’hui de la magie du Moyen Âge ?
Des idées adoucies, le charme-incantation-ensorcellement s’étant affaibli en
charme-attraction-séduction.
D’ailleurs, l’adjectif « magique » employé par nombre de nos contemporains
à propos de tout et n’importe quoi continue de perdre le sens fort qu’il avait
autrefois. Tout comme « glamour », le mot « magique » s’affadit. L’évolution
lexicale et sémantique de notre langue est tout aussi séduisante que
déconcertante. La vie des mots est, comment dire… glamour ? Non, magique !
La grammaire latine était incompréhensible pour les non-initiés. Pour cette raison, le
mot « grammaire » a également désigné les ouvrages d’occultisme, de magie.
Emprunté par nos voisins d’outre-Manche, le mot « grammaire » a connu la même
évolution.
L’évolution phonétique a transformé « grammar » en « glamour », mot réemprunté en
français sous forme d’anglicisme tandis que le sens s’est atténué : en tant qu’adjectif,
« glamour » a vu sa signification s’affaiblir d’« ensorcelant » à « séduisant ».
55
Eh bien
TOURNURES EXASPÉRANTES
L’interjection ou plus précisément, la locution interjective « eh bien » a pour
fonction d’introduire, d’exprimer ou de souligner des sentiments ou des
émotions spontanées comme :
> l’étonnement,
« Eh bien, mon cochon, on ne se refuse rien ! »
> l’admiration,
« Eh bien, je n’en ai jamais vu d’aussi beau ! »
> l’hésitation,
« Eh bien, que dire ? Peut-être que… »
> la moquerie,
« Eh bien, si j’étais toi, je le ferais mettre
dans le journal ! »
> la dénégation,
« Eh bien, je vous assure, elle n’a jamais dit ça ! »
L’intonation accompagnant « eh bien » est, notons-le, tout aussi expressive
que la locution elle-même.
Rien de tout cela, pourtant, dans l’usage que l’on fait généralement de cette
interjection ! Elle n’interjette ni n’exprime désormais plus rien, si ce n’est cette
navrante incapacité du locuteur à construire et conduire un discours structuré
et cohérent : dans une telle situation, les « eh bien » se multiplient pour
combler les vides et masquer ainsi son embarras et ses hésitations. En vain, car
les « eh bien » sont si nombreux qu’on n’entend plus qu’eux ; une preuve ?
Connectez votre téléviseur à une chaîne d’information en continu et attendez
qu’un(e) envoyé(e) spécial(e) s’exprime sur le fait d’actualité dont il est
question : voulez-vous parier que des « eh bien ! » inopportuns vont ponctuer
son discours ?
« Eh bien » fait donc partie de ces expressions « bouche-trou » qui, avec
« voilà », « en fait », « euh », et quelques autres, encombrent notre expression
orale, inutilement, y compris si l’on tente de leur attribuer une fonction
phatique. Puisque l’heure est, me dit-on, au « dégagisme », profitons-en pour
faire notre ménage langagier. Bon débarras !
La locution interjective « eh bien » peut souligner plusieurs émotions dont l’expression
est, à l’oral, précisée et renforcée par l’intonation.
Pourtant, elle est plus souvent employée comme « bouche-trou » quand le locuteur est
incapable de construire son discours sans hésiter, de façon fluide.
Débarrassons notre parole de toutes ces formules inutiles.
56
La ligature « œ »
d’« œsophage »
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
On trouve cette ligature « œ » à l’initiale de plusieurs mots français :
œcuménique, œdème, Œdipe, œnologie, etc.
Ainsi qu’à l’initiale de : œillet, œuf, œuvre, etc.
Selon les règles de prononciation de notre langue, l’initiale des mots de la
première liste ne se prononce pas comme celle des mots de la seconde. De là
à prétendre que les personnes qui ne font pas cette distinction phonétique
commettent une erreur, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. De façon
générale, il est délicat et quelque peu risqué de parler d’erreurs de
prononciation : les règles de prononciation ne sont pas gravées dans le même
marbre que celles qui régissent grammaire et orthographe. Reprochera-t-on à
un Bordelais, un Toulousain ou un Marseillais de prononcer les « e » muets, ou
à un gars du Nord de dire des « guints » pour des « gants » ou une « canchon »
pour une « chanson » ? Prétendre que les accents régionaux sont des accents
fautifs déclencherait bien des levées de boucliers !
Toujours est-il que les mots de la première liste commencent par le
phonème [e] comme dans « Édith », « ésotérique » ou « énarque » et non par le
phonème [ø] d’« eucalyptus », « eucharistie » ou « eunuque », qui correspond
aux mots de la seconde liste. C’est ainsi, même si 99 % des Français, toutes
régions confondues, se plaignent d’un « eudème » plutôt que d’un « édème »,
parlent d’une cérémonie « eucuménique » et non « écuménique », du complexe
d’« Eudipe » alors qu’il faudrait dire « Édipe », même si un certain Sigmund n’en
est pas remis sur son piédestal. Notons au passage que tous les mots
commençant par [ø] sont d’origine latine alors que ceux commençant par [e]
viennent du grec. « Œdème » et « Œdipe » sont, en outre, issus de la même
racine grecque : le verbe oidein, « enfler ». Il est associé à pous (podos), « pied »
pour donner Oidipus, « Œdipe », littéralement, « pieds enflés ».
La ligature « œ » placée à l’initiale des mots « œcuménique », « œdème », « Œdipe »,
« œnologie », « œsophage », etc., se prononce [e] comme dans « édifice » et non pas [ø]
comme dans « Europe ».
La quasi-totalité des Français n’appliquent pourtant pas cette règle de prononciation.
Les mots dont la ligature « œ » placée à l’initiale se prononce [e] sont d’origine
grecque.
TESTEZ-VOUS !
1. Corrigez, si nécessaire.
a) Les soldes d’hiver sont plus avantageux que ceux d’été.
b) M’occuper du jardin n’est pas ma première priorité.
c) La dictature du prolétairiat s’est imposée en Russie au siècle dernier.
d) Pouvez-vous me dire où se trouve le commissairiat de police ?
2. Remplacez l’anglicisme par un mot français.
a) Ce film n’est pas aussi glamour que je l’imaginais.
b) Il y a quelque chose de glamour chez cette jeune actrice.
3. Quelle est l’étymologie de glamour ?
4. Quels livres du Moyen Âge étaient considérés comme
incompréhensibles par les non-initiés ?
5. De quelles locutions correctes les formulations orales « que y a » et
« que y ait » sont-elles les déformations ?
6. Citez cinq mots commençant par la ligature « œ » correspondant au
phonème [e].
57
OBÉLISQUE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Son jumeau est resté là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, à sept cents
kilomètres au sud du Caire où, depuis près de deux siècles, il doit se sentir bien
seul. Il faut dire que ce jumeau qui faisait partie du royal cadeau ne fut
finalement pas embarqué : la générosité du vice-roi d’Égypte était allée jusqu’à
offrir les deux au roi de France, mais ne transporter qu’un spécimen fut une
entreprise tellement titanesque et, c’est le cas de le dire, pharaonique, qu’il eût
été déraisonnable de la doubler ! En tout cas, la place parisienne de la
Concorde se trouve très honorée de servir d’écrin à ce très vénérable
monument et tant pis pour le temple de Louksor ! En attendant, le monument
en question a atteint une célébrité presque égale à celle de l’Arc de Triomphe
ou de la tour Eiffel comme Jacques Lanzmann et Jacques Dutronc le laissent
entendre dans Il est cinq heures, Paris s’éveille (1968) :
« La tour Eiffel a froid aux pieds
L’Arc de Triomphe est ranimé
Et l’Obélisque est bien dressé(e)(?)
Entre la nuit et la journée »
À propos, comment écrivez-vous le participe passé de « dresser » dans
« l’Obélisque est bien dressé » : « é » ou « ée » ?
« é », « obélisque » est du genre masculin, comme « astérisque », « disque »,
« lentisque », « ménisque » et « risque » et contrairement à « bisque » (de
homard), « francisque » et « odalisque ».
« Obélisque » est issu du latin tardif obeliscus, dérivé du grec obeliscos,
« petite broche (pour rôtir) », diminutif de obelos, « broche », par comparaison
de formes.
Pour mémoriser le genre masculin d’« obélisque » (et « astérisque »),
pensons au gros Gaulois de Goscinny et Uderzo (« moi, gros !? »), celui qui
porte un menhir (anachronisme !) et à son petit compagnon, brave et costaud
(vive la potion magique !), mais ne confondons pas les terminaisons « - isque »
et « - ix ».
« Obélisque » et « astérisque » sont masculins.
« Obélisque » vient du grec obeliscos, « petite broche à rôtir » (ça tombe bien !).
SYNCHRONISÉS
EN MÊME TEMPS
PLÉONASMES
L’image, il est vrai, est impressionnante : sur fond de nuages, une dentelle
humaine parfaitement régulière dont les éléments se sont rejoints en une
harmonieuse chorégraphie avant de se détacher et se disperser dans le ciel
norvégien. Les éléments ? Cinquante-deux parachutistes, en chute libre, bras
et jambes également écartés.
Si l’image est un modèle de perfection, d’élégance et de maîtrise, on ne
saurait en dire autant de la présentation qui en est faite par Julian Bugier à la
fin du journal télévisé de 20 heures sur France 2, le mercredi 16 août. Jugez
vous-même :
« Du parachutisme en Norvège.
Cinquante-deux parachutistes synchronisés dans le ciel
en même temps. C’est toujours impressionnant.
C’est du jamais vu et c’est plutôt joli. »
Soulignons d’abord l’incohérence que constitue l’emploi simultané de
« toujours » et « jamais » : comment un « genre d’image » peut-il être
« TOUJOURS impressionnant » si c’est « du JAMAIS vu » ?! Il y a contradiction
dans les termes. Julian Bugier voulait évidemment dire : « Ce genre d’image est
toujours impressionnant. Celle-ci est inédite. »
Cette aberration n’efface pas la redondance contenue dans la phrase
précédente : si ces cinquante-deux parachutistes sont « synchronisés », c’est
forcément « en même temps ». C’est l’exacte définition que Le Petit Larousse
propose pour « synchrone » :
« Se dit des mouvements qui se font
dans un même temps. »
Dans Le Petit Robert, à l’entrée « synchronisé, ée », on peut lire :
« Rendu synchrone » et « Qui se fait en même temps. »
Cette définition est précisément inscrite dans le mot même. En effet, le
préfixe « syn- » vient du grec sun qui exprime l’idée d’union aussi bien dans le
temps que dans l’espace. Il entre dans la composition de nombreux noms tels
que « synapse », « syncrétisme », « synergie », « synonyme », « synopsis »,
« syntagme », « syntaxe », « synthèse », etc.
Il devient « sym - » devant « b » (« symbiose ») et « p » (« sympathie »).
Quant à « -chrone », il est issu du grec khronos, « temps ».
Les mots ont un sens. Bien écrire et bien parler supposent que l’on se
préoccupe en permanence de cette évidence.
« Synchronisé en même temps » est un pléonasme particulièrement lourd.
« Synchronisé » vient du grec sun qui exprime l’idée d’union et de khronos, « le
« temps ».
LES PRÉSIDENTS
AVEC LEURS ÉPOUSES
RESPECTIVES
SOLÉCISMES
« Ils ont donc dîné ensemble, avec leurs épouses
respectives »
La première phrase fut dite sur l’un de ces médias télévisuels où les
informations sont diffusées en boucle. La deuxième est extraite d’un article
publié dans Le Journal du Dimanche, le 27 juillet 2017.
Non, il n’est pas question du Zaïrois Mobutu Sese Seko, ni du Sud-Africain
Jacob Zuma, présidents polygames qui, en leur temps, ont défrayé la
chronique. Dans le premier exemple, le journaliste faisait allusion à Emmanuel
Macron et Donald Trump ; dans le deuxième, il s’agissait d’Emmanuel Macron
et de Nicolas Sarkozy. Brigitte Macron, Melania Trump et Carla Bruni auraient-
elles du souci à se faire ? Emmanuel, Donald et Nicolas nous auraient-ils caché
quelque autre épouse illégitime, dévoilée pour la circonstance ? Telle est bien,
en effet, la signification de l’expression « leurs épouses respectives » : chaque
président a plusieurs épouses ! Sans l’adjectif « respectives » qui, en
l’occurrence, veut dire « qui reviennent ou appartiennent à chacun des
présidents », le doute eût été permis, mais, là, l’imprécision est levée : chaque
président est au moins bigame, ce qui, en France, est interdit et sanctionné
(article 340 du Code pénal).
L’emploi de l’adjectif possessif « leur » est, lui, réglementé, non par le Code
pénal, mais par une petite dose de grammaire et une bonne dose de bon sens.
Pour le bon sens, je ne peux rien faire… mais pour la grammaire, voici les
règles simples (N.B. Comprenez « objet possédé » au sens large, l’objet
pouvant être une personne et « possédé » pouvant faire référence aux liens
familiaux comme aux rapports d’amitié ou d’inimitié).
Trois cas sont possibles :
Un seul objet possédé pour tous les possesseurs : « leur » est au singulier.
Ils sont partis en vacances avec leur neveu.
… leur fille, leur fils, leur nièce, leur tante, etc. Avec « leur femme », c’est plus scabreux !
Plusieurs objets possédés par possesseur : « leur » est au pluriel.
Les stagiaires sont venus avec leurs livres.
Notre exemple peut convenir avec ou sans « respectives » et avec polygamie.
ENTREPRENARIAT
ENTREPRENEURIAT
BARBARISMES
« L’entreprenariat, ils y ont songé depuis longtemps. »
(La Nouvelle République, édition du 27 juillet 2017)
« Ils bénéficient ainsi de la possibilité
de se former à l’entreprenariat »
(Ouest-France, édition du 1er août 2017)
« Entreprenariat : l’âge d’or ? »
(Boursier.com, édition du 21 juillet 2017)
« Pour encourager les femmes
à se lancer dans l’entreprenariat, le candidat
Les Républicains propose de créer «un fonds» »
(Le Figaro, article publié le 8 mars 2017 par Clémentine
Maligorne)
Réfléchissons !
Nous avons vu que les substantifs se terminant par « -ariat » étaient issus
d’autres substantifs se terminant par « -aire ». Ainsi « commissariat » est dérivé
de « commissaire » ou « secrétariat », de « secrétaire ».
En bonne logique, « entreprenaire » devrait donc être le nom ayant donné
naissance à « entreprenariat ». Or, « entreprenaire » n’existe pas, y compris
comme doublon d’« entrepreneur ». Alors ? Alors, la piste est fausse ! Elle est
même doublement fausse car « entreprenariat » n’existe pas non plus.
Prenons le problème dans l’autre sens. La terminaison d’« entrepreneur »
diffère de celle de « commissaire ». La terminaison « -ariat » de « commissariat »
prend en compte la finale « -aire » de « commissaire » qui se contracte en « -ar »
à laquelle se joint le suffixe « -iat ». Il suffit d’accoler ce même suffixe « -iat » à
« entrepreneur » pour obtenir « entrepreneuriat ». « Entreprenariat » est donc
un barbarisme.
La première attestation du mot « entrepreneuriat » date de 1988. Il désigne
« l’activité ou la fonction d’entrepreneur ».
Pourquoi le barbarisme a-t-il si souvent réussi à détrôner le mot correct ?
Probablement pour des raisons phonétiques, « entrepreneuriat » étant plus
difficile à prononcer, mais aussi par influence de mots comme « fonctionnariat »,
« notariat », « actionnariat », etc.
Les noms se terminant par « -aire » (« commissaire ») engendrent des noms se
terminant par « -ariat » (« commissariat »).
« Entrepreneur » se termine par « -eur » ; il donne naissance, dans les années 1980
au nom « entrepreneuriat ».
Le barbarisme « entreprenariat » continue pourtant à s’imposer dans de nombreux
cas.
61
SUPPORTER
ANGLICISMES
« Allez, les Bleus ! (Allez, les Verts ! les Jaunes et Verts,
les Jaunes et Bleus, etc.) »,
« On est les champions (bis), on est, on est, (ter) »,
« On a gagné, les doigts dans l’nez ! Ils ont perdu,
les doigts... »
Ces morceaux d’anthologie sont censés encourager ou célébrer « les
dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares
qui se disputent sur gazon l’honneur minuscule d’être champions de la balle
au pied », pour reprendre la désopilante description du regretté Pierre
Desproges, lui qui, le 16 juin 1986, déclarait sur France Inter dans l’une de ses
Chroniques de la haine ordinaire intitulée À mort le foot : « Je vous hais,
footballeurs ! » S’il les supportait, ça ne pouvait qu’être au sens français du
terme, c’est-à-dire, « endurer les conséquences pénibles d’un événement », en
l’occurrence la Coupe du monde de football et non pas « encourager, soutenir
une équipe sportive » participant à cette Coupe du monde.
En effet, « supporter » signifiant « soutenir, encourager » est un dangereux
anglicisme qui joue aussi le rôle du faux ami, situation qui se comprend
facilement si l’on se transporte quelques siècles en arrière :
‒ au XIIe siècle, « supporter » est attesté en français avec le sens de « subir,
endurer », alors que le latin supportare dont il est issu signifiait « soutenir ». La
signification française évolue ;
‒ au XIVe siècle notre verbe prend un sens plus proche de son étymologie : il
devient synonyme de « prendre en charge, venir en aide, secourir » ;
‒ au siècle suivant, le français se charge d’une nouvelle acception :
« endurer, accepter ce qui est dans les limites de l’acceptable », sens qu’il
conservera en français de façon exclusive.
C’est à la toute fin du XIVe siècle que « supporter » nous est emprunté par
nos voisins. Devenu to support, le verbe veut d’abord dire « soutenir,
favoriser », sens qui sera adopté au XIXe siècle dans le domaine politique puis, au
e
XX , dans le vocabulaire sportif. Doté de cette acception, il retraverse la
Manche dans les années 1960 pour devenir l’anglicisme que nous connaissons.
Expression d’un « consentement volontaire et enthousiaste » ou d’un
« consentement à contrecœur et pénible », « supporter » engendre surtout
l’équivoque, l’ambiguïté. Quel que soit le domaine où sévit l’anglicisme,
remplaçons-le par « soutenir, épauler, encourager » ou « favoriser » dans un cas,
« tolérer, endurer » ou « subir », dans l’autre, affichant ainsi la couleur.
En français, « supporter » signifie « tolérer, subir patiemment ».
Au XIVe siècle, il est passé en Angleterre où il a pris le sens de « soutenir, encourager »,
avant de revenir en France avec cette signification.
EN FAIT
TOURNURES EXASPÉRANTES
L’expression « en fait » n’est pas condamnable en elle-même. Elle est tout à
fait signifiante dès lors que le substantif « fait » y retrouve son sens précis de
« réalité observable », mais reconnaissons que ce n’est presque jamais le cas.
Parfois, elle introduit tout de même une idée précise, une vérité qui vient de
se révéler à l’esprit du locuteur ou du narrateur, à moins qu’elle n’annonce une
rectification, une contradiction, une conclusion, une déduction ou une
reformulation, bref, une manière de reprendre en la modulant une pensée déjà
exprimée. Deux exemples pris chez de grands auteurs :
« En fait, tout dépend de moi et je ne sais encore
à quoi me décider. »
(Albert Camus, Le Malentendu, Acte II, scène 1)
« En fait, nous sommes une liberté qui choisit
mais nous ne choisissons pas d’être libres :
nous sommes condamnés à la liberté. »
(Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, Gallimard, p. 565)
Dans les deux cas, « En fait » exprime une prise de conscience. Chez Sartre,
elle introduit en plus une reformulation, plus synthétique, d’une idée
précédemment développée.
De tels emplois relèvent d’une logique de la pensée, ils sont donc
acceptables, mais « en fait » est, aujourd’hui, plus souvent utilisé comme
ponctuation, à la façon de « voilà », « eh bien » ou, pire, « euh ».
Ils ne remplissent aucune des fonctions mentionnées plus haut. Ils ne
fournissent aucune information. Ils sont le signe d’une pensée qui se cherche.
Ils sont inutiles et encombrent le discours.
Reprenons l’énoncé ci-dessus en le ponctuant de quelques « en fait ».
« En fait, ils ne remplissent aucune des fonctions mentionnées plus haut. En
fait, ils ne fournissent aucune information. Ils sont, en fait, le signe d’une
pensée qui se cherche. En fait, ils sont inutiles et, en fait, encombrent le
discours. »
Petite expérience probante ! Les « en fait » n’ont rien ajouté au sens du
texte ; ils n’ont fait qu’en alourdir la forme et leur répétition est insupportable.
Puisque, comme le dit Sartre, nous sommes une liberté qui choisit, choisissons
de ne plus utiliser ces « en fait ». Chassons-les ! S’ils sont signifiants, on peut
malgré tout en éviter l’assommante répétition par l’emploi de « pour ainsi
dire », « en vérité », « en réalité », « en somme », « à dire vrai », etc.
La locution « en fait » peut exprimer une modulation de la pensée.
Le [t] euphonique :
ILS ONT RÉPONDU [T]
À L’APPEL
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
C’est indiscutable, la langue française se veut fluide et privilégie tout ce qui
lui permet de l’être, à commencer par les liaisons12 et élisions13. A contrario,
quand les liaisons sont empêchées par la ponctuation, la présence de « h »
aspirés ou les appositions, l’élocution s’en trouve hachée et des éléments du
texte, ainsi isolés, sont éventuellement mis en valeur. Malgré tout, deux
voyelles peuvent être mises en présence quand la voyelle finale d’un mot
rencontre la voyelle initiale du mot suivant. Alors, c’est l’hiatus14 et c’est une
tragédie, car le français déteste les hiatus. On veut donc absolument l’éviter en
provoquant l’euphonie15. Pour ce faire, on commet un pataquès, de façon plus
ou moins consciente.
Illustration par l’exemple :
Ils ont répondu à l’appel.
La voyelle finale de « répondu » entre en conflit avec la préposition « à ». La
mémoire (subconsciente ?) appelle alors la liaison que l’on fait
systématiquement quand le verbe est à la troisième personne (singulier ou
pluriel) du présent de l’indicatif :
Il répond [t] à l’appel.
ou
Ils répondent [t] à l’appel.
La liaison, machinalement transposée, nous fait alors dire et entendre :
Ils ont répondu [t] à l’appel.
Le [t] ainsi ajouté est dit « euphonique ».
On connaît tous des chansons populaires où fleurit ce [t] euphonique :
Marlbrough s’en va-t-en guerre, Margoton va-t-à l’eau.
On le trouve aussi, employé de façon plus légitime, dans certaines formes
verbales interrogatives comme :
« Aime-t-il son père ? », « À quoi pense-t-elle ? », « Parviendra-t-il ? »,
« Comment va-t-il ? », etc.
Existe aussi le [z] euphonique qui fera l’objet d’une autre fiche (voir 133).
L’hiatus est contraire à l’esprit de la langue française.
Pour l’éviter, le langage populaire a recours au [t] euphonique.
MÉMOIRES
FÉMININ OU MASCULIN ?
Petit échange familial où un grand-père espiègle joue sur un genre
grammatical impropre pour déclencher un malin quiproquo.
‒ Grand-père, ne penses-tu pas que tes mémoires seraient fascinantes ?
‒ Pas plus que les tiennes, Pitchounette, même beaucoup moins, compte
tenu de mon âge.
‒ Tu dis n’importe quoi ! C’est justement parce que tu n’es plus tout jeune
et que ta vie a été riche qu’elles en intéresseraient plus d’un.
‒ Mais non, ma chérie, c’est toi qui délires. Vois-tu, ma mémoire visuelle ne
m’a jamais permis d’enregistrer la couleur des yeux de mes petites amies, ma
mémoire auditive m’a fait oublier le son de leur voix, ma mémoire des
sensations (les savants disent « kinesthésique ») est tellement développée que
je ne sais même plus si elles avaient la peau douce, quant à la mémoire liée à
l’écriture (les savants disent « scripturale »)…
‒ Qu’est-ce que tu me racontes, grand-père, je ne te parle pas de ces
mémoires-là ! Je te parle des mémoires que l’on écrit, ta biographie, quoi !
‒ Vois-tu, Pitchounette, il faut respecter le genre grammatical : bien des
mots changent de sens en changeant de genre et les mémoires que l’on écrit
pour laisser une trace de sa vie, ces mémoires-là, comme tu dis, sont toujours
au masculin pluriel : tu aurais dû me dire : « tes mémoires seraient fascinants »
et non « fascinantes » !
Pitchounette quitte la pièce en haussant les épaules et en levant les yeux au
ciel, mais au fond d’elle-même, elle sait bien que son grand-père a raison et s’il
n’avait craint d’être « relou » et de la « saouler », il aurait ajouté qu’au masculin
singulier, un mémoire désigne tout document que l’on rédige pour défendre
une cause, appuyer une recherche et obtenir un diplôme comme, par exemple,
un mémoire de maîtrise.
LA mémoire permet d’emmagasiner des souvenirs et de stocker des informations.
Les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand sont non seulement le récit de sa
vie mais ILS sont aussi INTÉRESSANTS en tant que témoignage historique.
Cet étudiant doit rédiger UN mémoire de master sur « Le problème de l’eau potable en
Afrique subsaharienne ».
65
UNANIMEMENT PAR
TOUT LE MONDE
PLÉONASMES
Nous sommes le 3 novembre 2011. À Cannes se sont réunis les chefs d’État
du G20 et le président Sarkozy, lors d’une conférence de presse, déclare :
« Le message qui a été adressé à l’ensemble
de la classe politique grecque hier par l’Allemagne
et la France a facilité une prise de conscience qui,
si elle devait se confirmer, serait saluée unanimement
par tout le monde. »
« … unanimement par tout le monde » ! Voilà une formule indiscutablement
pléonastique. L’étymologie le confirme : « unanime » vient du latin unanimus
formé sur unus, « seule, unique » et animus, « âme ». L’adverbe
« unanimement » veut donc dire « d’une seule âme », entendons « d’un commun
accord », « par tous ». Il est donc permis de glisser le signe « égal » entre
« unanimement » et « par tout le monde » ; le pléonasme apparaît alors dans
toute sa « splendeur » :
Unanimement = par tout le monde
Le président aurait dû choisir : l’un OU l’autre, mais pas l’un ET l’autre !
Dans sa volonté d’insister sur les conséquences positives de l’initiative
franco-allemande et le succès rencontré par l’ultimatum lancé à la Grèce, le
président redouble à la fois d’enthousiasme et d’expressions ayant le même
sens. Des bravos pour l’un, des sifflets pour l’autre ! Discours écrit (par Henri
Gaino) ? La faute serait impardonnable. Discours improvisé ? C’est
l’improvisation même qu’il faudrait alors incriminer, car un orateur digne de ce
nom ne se lance pas dans des formulations qu’il est incapable de maîtriser, a
fortiori si l’orateur est président de la République.
Quant à nous, simples mortels, rappelons-nous que :
Le latin unanimus signifie « une seule âme » (unus + animus)
Unanimement = par tout le monde
Se référer à l’étymologie permet d’éviter certains pléonasmes.
66
« C’est… qui », « C’est… que », « Il y a… qui », « Il y a… que » sont des gallicismes,
c’est-à-dire des tournures spécifiquement françaises.
En abuser alourdit le discours.
Ce peut être aussi un moyen de faire attendre sa réponse ou d’en construire une.
67
PERDURER DURER
BARBARISMES
Utiliser des verbes tels que « durer », « continuer », « se poursuivre », voire
« persister » ou « se prolonger », vous n’y pensez pas ! Ils sont trop communs,
trop banals, ils manquent de classe ; il faut trouver quelque chose d’un peu
plus rare, de plus « aristocratique », qui distingue celui qui parle du commun
des mortels… Voyons… Mais oui, « PERDURER » ! Voilà le mot que l’on
cherchait ; voilà qui fera bien ! Il faut le remettre en circulation et quand, à son
tour, il sera utilisé sans scrupule par le vulgum pecus, on en dénichera bien un
autre.
Allons-y :
« Cette intelligence offensive a perduré tout au long
de la partie [de football] » (ladepeche.fr du 26 août 2017)
« L’effet des vacances perdure peu une fois
de retour au travail »
(ICI.Radio-Canada.ca, du 14 août 2017)
« L’autisme est un trouble qui se présente
dès la petite enfance et perdure jusqu’à l’âge adulte. »
(L’INFO.re du 26 août 2017)
Telle présentatrice météo nous annonce « un temps maussade qui devrait
perdurer durant tout le week-end », mieux ! tel spécialiste de la Bourse nous
prédit « une nouvelle rechute de l’or noir qui devrait perdurer jusqu’à demain
au moins », et bien d’autres inepties du même genre naviguent sur les ondes
hertziennes comme dans la presse écrite, car inepties il y a si l’on considère le
sens exact de « perdurer » : « se perpétuer ». Dans un sens plus faible,
« perdurer » peut signifier « durer longtemps », mais il ne saurait, en aucune
façon, s’accommoder d’une limite temporelle ; son étymologie nous éclaire en
ce sens : le latin impérial perdurare, « subsister », « durer éternellement ».
Quand on dit « perdurer jusqu’à… », il y a contradiction dans les termes,
surtout si l’on précise « demain matin* » ; « perdurer à tout jamais » est un
pléonasme et c’est une stupidité de vouloir que « perdure » quelque chose de
provisoire.
Bref, Mesdames et Messieurs du monde médiatique, revoyez vos copies et
faites en sorte que ce barbarisme ne « perdure » pas.
« Perdurer » vient du latin perdurare, « durer éternellement ».
« Perdurer » ne peut admettre une limite temporelle.
« Persister », « se poursuivre », « continuer » ou simplement « durer » peuvent
avantageusement remplacer « perdurer ».
68
FLYER
ANGLICISMES
Pour annoncer un événement, concert, représentation théâtrale, publication
d’un livre, conférence, vente, ouverture d’un magasin, d’un restaurant, le bon
vieux prospectus faisait parfaitement l’affaire, d’autant que son étymologie, le
latin prospectus, nous parle de « perspective », de « vue d’ensemble » et que le
mot est entré dans le lexique français au début du XVIIIe siècle avec le sens de
« document annonçant la parution d’un livre ».
Puis il y eut le « tract », emprunté dans les années 1830 à l’anglais
d’Amérique, lui-même dérivé du latin tractatus, « traité, petit ouvrage sur un
sujet ».
Le « tract » a rapidement revêtu le caractère d’un pamphlet politique ou
publicitaire et l’utile « prospectus » est tombé en désuétude. Nos
contemporains, victimes d’une anglomanie galopante sévère, lui préfèrent le
flyer, depuis 1992, date de sa première attestation française. La loi phonétique
du moindre effort a dû également jouer son rôle : comment le « prospectus »,
trisyllabique et d’une prononciation périlleuse, pouvait-il lutter contre le léger
et presque monosyllabique « flyer » ?
« Flyer » est un anglicisme inutile : dans tous les exemples ci-dessous, le mot
« prospectus » pouvait être utilisé ; « tract » pouvait aussi convenir, surtout
pour les trois premiers :
« Un flyer insultant a été glissé sous la porte
d’un salon où un groupe de jeunes noirs regardaient
la télévision. »
(Slate.fr, 13 août 2017)
« Des flyers de carnaval aux relents racistes irritent. »
(20 minutes, 28 février 2017)
« Distribution de flyers, de badges, affichage
dans tout le lycée. »
(Ouest-France, 18 mai 2017)
« Sur le flyer récupéré à la buvette, il est écrit
“Feu d’artifice et cafés-concerts dans les bars
du village”. »
(lepopulaire.fr, 25 août 2017)
Laissons le « flyer » retraverser la Manche et faisons en sorte que le mot
« prospectus » reprenne son envol.
L’anglicisme « flyer » a détrôné le « prospectus ».
ÊTRE EN CAPACITÉ DE
TOURNURES EXASPÉRANTES
Tout le monde connaît la formule détournée : « Pourquoi faire simple quand
on peut faire compliqué ? » Elle s’applique avec exactitude à l’expression « être
en capacité de… », qui se porte au mieux chez nos hommes politiques. Ils en
usent, ils en abusent, comme d’une trouvaille si ingénieuse qu’ils ne peuvent ni
ne veulent s’en passer :
« C’est quelqu’un [le Premier ministre] qui doit être en
capacité de tenir une majorité parlementaire de projet. »
(Propos d’Emmanuel Macron rapporté
dans Parismatch.com du 15 mai 2017)
« Manuel Valls pourrait même être en capacité
de créer un groupe politique indépendant. »
(Europe1.fr, article publié le 9 mai 2017)
« Et on veut nous faire croire qu’on est en capacité
de rebondir. »
(Lejdd.fr, 24 juin 2017, propos de Xavier Bertrand
sur le résultat des législatives)
« Alors pour donner des leçons, il faut être
en capacité de le faire. »
(Lci.fr, 14 juillet 2017, propos de Laurent Wauquiez
sur Emmanuel Macron)
Formule prétentieuse, « être en capacité de… » nous évoque les Précieuses
ridicules du temps de Molière qui s’ingéniaient à remplacer un simple mot, jugé
trop vulgaire, par une périphrase ampoulée. En l’occurrence, un verbe,
« pouvoir », devient « être en capacité de… », alors qu’il serait plus en accord
avec l’esprit de la langue française de dire « avoir la capacité de » et qu’existe
déjà « être capable de ». Utiliser le verbe « être » plutôt qu’« avoir » relève, en
outre, d’une anglicisation de la syntaxe dont le « modèle » est to be in charge
of (cf. 145).
Est-ce que celui qui « EST en capacité de » est mieux armé que celui qui « A
la capacité de », lui-même plus fort que celui qui, simplement, « est capable
de » et, a fortiori, celui qui, tout bonnement, « peut » ?
« Être en capacité de » est une périphrase calquée de l’anglais.
« Avoir la capacité de » correspond mieux à l’esprit de la langue française.
On peut faire encore plus simple avec « être capable de » et, simplement, « pouvoir ».
70
* Titre emprunté au chapitre III du septième livre (tome 1) des Misérables de Victor Hugo.
TESTEZ-VOUS !
1. Corrigez, s’il y a lieu.
Écrites de 1954 à 1959, les Mémoires de guerre de Charles de Gaulle sont
composées de trois tomes.
2. Quelle est la signification étymologique de l’adjectif « unanime » ?
3. Qu’est-ce qu’un « gallicisme » ?
4. Citez trois verbes qui peuvent remplacer « perdurer » quand celui-ci
est employé abusivement.
5. Par quels mots français peut-on remplacer l’anglicisme « flyer » ?
6. « Tract » et « flyer » sont-ils synonymes ?
7. Remplacez « être en capacité de » par une expression plus simple et
plus française.
a) Le nouveau gouvernement est en capacité d’imposer de nombreuses
réformes.
b) Le ministre de l’Agriculture est en capacité de répondre aux allégations
mensongères de l’opposition.
8. Dans « cent euros », la liaison est-elle obligatoire ?
9. À quelles conditions « cent » se met-il au pluriel ?
71
STALACTITE
Stalagmite
FÉMININ OU MASCULIN ?
On connaît tous le moyen mnémotechnique permettant de ne pas
confondre « stalactite » et « stalagmite » : la stalactite tombe (en réalité, elle se
forme de haut en bas et c’est la petite goutte d’eau perlant à son extrémité qui
finit par tomber après avoir déposé une infime couche de sels calcaires), tandis
que la stalagmite monte (elle s’érige, lentement, très lentement, après avoir
reçu le calcaire dissous dans les gouttes d’eau tombées de la stalactite).
Le premier élément, « stalac(g)- » est issu d’un verbe grec, stalazein
signifiant « couler goutte à goutte, filtrer ».
Le deuxième contient notre aide-mémoire : « …tite tombe », « …mite
monte », très astucieux ! D’autant qu’il peut aussi nous aider à retrouver le
genre grammatical de l’un et l’autre, sachant qu’ils ont le même. « …tite » nous
fait penser à « petite », « stalactite » est donc féminin !
« …mite » nous renvoie au petit insecte, mite des vêtements ou mite
alimentaire, le mot est bien féminin : une mite.
Les mots se terminant par « -ite » sont particulièrement nombreux et bien
distribués entre féminin (ammonite, calcite, carmélite, dynamite, élite, frite,
fuite, limite, marmite, orbite, pépite, visite, etc.) et masculin (anthracite,
barnabite, cénobite, ermite, hypocrite, parasite, plébiscite, satellite, termite,
etc.).
Bien des mots en « -ite » désignent des maladies, tous féminins : amygdalite,
appendicite, bronchite, bursite, cardite, encéphalite, entérite, laryngite, otite,
péritonite, phlébite, tendinite, trachéite, etc.
« Stalactite » comme « stalagmite » sont des noms féminins.
SECOUSSE SISMIQUE
PLÉONASMES
En octobre 2009, un téléfilm américain a été diffusé. Le réalisateur en est
David Michael Latt, le titre original, MegaFault et le titre français, Secousse
sismique. Dans l’annonce qui en est faite sur Tele-loisirs.fr, on entend le
commentaire suivant :
« La planète est victime d’une secousse sismique
sans précédent. »
Le 8 août 2017, Le Dauphiné libéré titre :
« Une secousse sismique ce matin ? »
Le 20 août 2017, Tunisie numérique annonce :
« Tunisie ‒ Sfax : une secousse sismique
de 3,9 degrés sur l’échelle de Richter. »
Le 29 août 2017, Rfi nous apprend qu’après le lancement
d’un missile nord-coréen au-dessus du Japon,
« des trains à grande vitesse et les métros de Tokyo
se sont arrêtés automatiquement, comme après
une secousse sismique forte. »
« Secousse sismique » ? La locution est encore prisée par les médias, alors
qu’elle est incorrecte. Il est vrai que le pléonasme, pourtant indiscutable,
n’apparaît pas d’emblée : « sismique » est l’adjectif correspondant au nom
commun « séisme ». Les deux mots ont donc une même étymologie : le grec
seismos, « secousse, tremblement de terre ». Par conséquent, parler de
« secousse sismique », c’est parler de « secousse de secousse ». Remplaçons
« sismique » par « tellurique », du latin tellus, « la terre ». Tellus a également
donné « tellurien, tellurienne », adjectifs synonymes de « tellurique ».
L’expression « secousse tellurienne » est donc également possible.
« Séisme », « secousse tellurique », « secousse tellurienne » sans oublier
« tremblement de terre », moins « savant » mais tout à fait correct, les
expressions acceptables sont assez nombreuses pour qu’on évite le pléonasme
« secousse sismique ».
« Séisme » et « sismique » viennent du grec seismos, « tremblement de terre ».
AÉROPAGE ARÉOPAGE
BARBARISMES
Le mot « aréopage » (et non « aéropage ») n’est certes pas très usuel. Son
emploi est surtout littéraire et journalistique. Le mot désigne précisément une
assemblée d’experts reconnus pour leurs compétences dans un domaine
précis, réunis pour débattre d’une question relevant de ce domaine, mais, dans
les articles de presse, on l’emploie pour un groupe de personnes officielles, un
cercle de notables. Il est souvent déformé en « aéropage » :
« Ce soir-là, au cœur de la nuit parisienne,
l’aéropage de proches et d’intellectuels débat. »
(Laregledujeu.org, article de Laurent David Samana)
« Pour être complet sur l’aéropage d’officiels,
on notera aussi la présence d’Alain Bocquet. »
(La Voix du Nord, article publié par Jérémy Lemaire
le 1er mars 2017)
« L’éclipse politique de Marion Maréchal-Le Pen
[…] n’a pas amélioré l’optimisme de cet aéropage de
personnalités en quête d’un débouché politique. »
(Slate.fr, article publié par Gaël Brustier le 18 août 2017)
Pourquoi cet « aéropage » erroné ?
Par influence probable des noms commençant justement par « aéro- », du
grec aeros, « air » : « aérodrome, aérogare, aéronef, aéronaute, aéroport,
aéroplane, etc. », mais… « aéropage » n’existe pas, même pas pour désigner une
page volante qui serait l’équivalent français du flyer anglais (proposition
fantaisiste ; cf. 68) ! Ajoutons qu’il est plus facile de prononcer « aéro- » que
« aréo -», du moins pour certaines personnes, car pour d’autres, c’est le
contraire, d’où les « aréoport », « aréodrome », etc.
Comme souvent, l’étymologie éclaire la forme.
À Athènes, à l’ouest de l’Acropole, une colline de marbre gris surplombe
l’Agora. Dans l’Antiquité, tout au long de la période démocratique (de ‒ 500 à
‒ 300), un conseil de neuf sages investi de pouvoirs judiciaires avait l’habitude
de s’y réunir nuitamment. Cette colline (pagos) était dédiée à Arès (Areios =
d’Arès), dieu de la Guerre, équivalent du Mars romain. Le mot « Aréopage »
(Areios Pagos) s’appliqua d’abord à cette colline d’Arès puis, par métonymie,
au Conseil de sages. Le nom, devenu commun, prit enfin son sens actuel,
d’abord écrit « ariopage ». Notons qu’il désigne aussi, depuis 1834, la plus haute
institution judiciaire de Grèce.
Le mot « aéropage » n’existe pas, c’est une déformation d’« aréopage ».
« Aréopage » vient du grec Areios pagos, « colline d’Arès », Arès étant le dieu grec de
la Guerre.
De nos jours, un « aréopage » est une assemblée d’experts ou de célébrités.
75
VINTAGE
ANGLICISMES
Cet anglicisme fait fureur pour qualifier une robe, un meuble, un abat-jour,
un vase, un miroir, ou tout objet de décoration. Il s’applique finalement à tout
et n’importe quoi, pourvu que ce « tout-et-n’importe-quoi » ait au moins trente
ans ou qu’il soit une copie d’un « tout-et-n’importe-quoi » des années 1990,
voire d’avant.
Mot à la mode employé pour des objets « tendance », ce qualificatif ne
pouvait qu’être usuel chez Charles-Hubert ou Marie-Chantal qui, bien sûr,
perdraient de leur suffisance et de leur appartenance snobinarde s’ils
remplaçaient « vintage » par « d’époque » ou « copie d’ancien » ou encore
« réplique ».
L’anglicisme vintage est apparu en français dans les années 1960, d’abord
appliqué aux vieux portos ou aux champagnes millésimés, emploi pertinent
puisque « vintage » est issu du français « vendange ».
Rapide survol chronologique
‒ En français du XIIIe siècle, vendenge désignait simplement un vin, un cru,
mais aussi la période où l’on récolte le raisin et la récolte elle-même.
‒ À la fin du XIVe siècle, les Anglais nous empruntent le mot avec ces mêmes
significations.
‒ Il devient vendage et vindage (absence de voyelle nasale outre-Manche).
‒ Au début du XVe, on trouve les formes ventage et vintage (forme
actuelle).
‒ Ce n’est qu’au XVIIIe qu’apparaît l’acception de « vin millésimé ».
‒ La notion générale d’appartenance à une époque révolue date du XIXe.
‒ Vintage-car date de 1920. L’expression s’applique aux voitures anciennes
de collection.
‒ Quarante ans plus tard, le mot vintage (re)traverse la Manche.
« Vintage » vient du vieux français « vendenge », signifiant au XIIIe siècle « vin »,
« période des vendanges » et « récolte de raisin ».
Emprunté par les Anglais au XIVe siècle, le mot devient « vindage » puis « vintage ». Il
nous revient au XXe sous cette forme, désignant un vieux porto ou un champagne
millésimé.
« Vintage » s’est ensuite appliqué à tout objet ancien, « d’époque » antérieure à 1990
ou « copie d’ancien » (« réplique ») ou « de style ancien », mots et expressions préférables
à l’anglicisme.
76
Avoir vocation À…
TOURNURES EXASPÉRANTES
1. « Terrorisme : “Les psychiatres n’ont pas vocation
à collaborer avec le ministère de l’Intérieur.” »
(Propos de Gérard Collomb rapporté
par lemonde.fr le 21 août 2017)
2. « Migrants en Lot-et-Garonne :
“Ils n’ont pas vocation à rester.” »
(Sud-Ouest, publié le 10 août 2017 par J.-C. W.)
3. « Une centrale nucléaire n’a pas vocation
à faire des arrêts et redémarrages… »
(lesechos.fr, article de Gérard Creuzet
publié le 1er septembre 2017)
4. « Nous avons vocation à incarner une alternance . »
(Lefigaro.fr, propos d’Olivier Faure, article
de Mathilde Siraud publié le 1er septembre 2017)
Dans la série « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué »,
« avoir vocation à… » est à rapprocher d’« être en capacité de… » (cf. 69) On
prétend aussi qu’Henri Guaino et Nicolas Sarkozy, l’un auteur des discours de
l’autre, auraient joué un grand rôle non négligeable dans la vulgarisation de
cette expression qui a très vite envahi la parole politique, toutes tendances
confondues. Aujourd’hui, « avoir vocation à… » semble faire partie du
vocabulaire de M. et Madame Tout-le-Monde. Sont-ils sûrs de l’utiliser en en
connaissant le sens exact ?
En latin, vox, vocis, c’est la voix et vocare signifie « appeler, convoquer ».
Cette idée d’appel que l’on retrouve dans « vocation » peut avoir le sens fort
d’« appel de Dieu » que moines, moniales et autres personnes d’Église
prétendent avoir, sinon entendu, du moins ressenti, qui les a incités à entrer en
religion. Il y a aussi, avec un sens plus faible, cet appel, cette attraction que
peut exercer telle profession que l’on embrasse parce qu’on a, dit-on, la
« vocation » : dans la médecine, les arts, l’enseignement, l’armée, etc. Ce n’est
pas rien que ces vocations-là et le mot est chargé de notions telles que
prédestination, don de soi, irrésistibilité, devoir, mission, etc. Qu’en reste-t-il
dans les exemples ci-dessus et que signifie une « vocation » qu’on attribue à un
objet comme dans le troisième exemple où il est question de centrale
nucléaire ?
Pour éviter l’emphase dans le discours, le snobisme, la bêtise et le ridicule
qui vont avec, il vaut mieux remplacer « avoir vocation à… » par « être habilité
à » (1), « être destiné à… » (2), « avoir le droit de… » (2), « être prévu pour » (3),
« être susceptible de… » (4) et, avec un sens beaucoup plus neutre, les simples
verbes « devoir » et « pouvoir ».
« Avoir vocation à… » est une périphrase pompeuse surtout utilisée en politique.
MOUÉLLEUX
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
La publicité est, par essence, démagogique. Pour que les consommateurs
achètent, il faut les caresser dans le sens du poil, savoir quelle cible ils
représentent, dans quelle catégorie socioprofessionnelle ils se classent (la
ménagère de cinquante ans n’est qu’un exemple), proposer ce qu’ils aiment,
parler comme eux, quitte à commettre les mêmes fautes. Les « spots » de
publicité doivent tenir compte de tous ces critères et, de ce point de vue,
certains sont des modèles du genre, des petits chefs-d’œuvre de rhétorique,
car, toutes proportions gardées, les publicitaires visent le même objectif que
Jaurès dans ses harangues ou Bossuet dans ses sermons : convaincre. Les
images doivent être percutantes et les mots doivent faire mouche, la façon de
dire valant autant que le discours lui-même.
Il faut alors comprendre que défendre la langue française n’intéresse guère
messieurs les publicitaires. Dans cette optique, les atteintes au bien-parler
sont, pour eux, sans importance ; elles sont même souhaitables dès lors
qu’elles participent au but qu’ils se sont fixé : persuader le consommateur.
Alors, vive(nt) les onomatopées (on comprend mieux « waouh ! »
qu’« incroyable »), bonjour les négations incomplètes (plus personne n’utilise
« ne… pas »), une ovation pour les interrogations mal fichues (c’est qui qui dit
quoi ?), bravo les expressions infantilisantes (« c’est cro cro bon ! », « dites
“bang” à la saleté ! »), chapeau bas les anglicismes (ça fait bien, même si M. et
Madame Tout-le-monde parlent un anglais déplorable !), bienvenues les
prononciations fautives (liaisons erronées ou absentes, faux phonèmes, etc.) !
Notre « mouélleux » se classe dans cette catégorie. Ces faux phonèmes sont
voulus par les publicitaires parce que le Français moyen est censé parler ainsi.
Précisons d’abord que « moelleux » fait partie de ces adjectifs dont la
publicité use et abuse, avec « gourmand » (appliqué, par métonymie, à ce qui se
mange plutôt qu’à celui qui mange), « léger » (pardon, « light » !), « nouveau »
(parce que « tout nouveau, tout beau » !), « génial » (concession au vocabulaire
des ados et « adulescents »), « glamour » (anglicisme où chacun met ce qu’il
veut ‒ cf. 83) sans oublier « magique » (un sésame pour le rêve) et quelques
autres.
Pas une brioche ni un gâteau au chocolat, pas un camembert ni un fromage
de chèvre, pas un steak haché ni une tranche de jambon blanc qui ne soit
réputé mouélleux plutôt que moualleux, prononciation correcte de l’adjectif
« moelleux » (sans tréma sur le « e » !) parce qu’il paraît que l’on prononce
mouélleux dans les chaumières, les gens de chez nous vivant toujours, comme
chacun sait, sous l’Ancien Régime, à l’époque où le roué disouait : « L’État, c’est
moué ! »
« Moelleux » se prononce « moualleux » et non « mouélleux ».
Cette faute de prononciation est, comme tant d’autres, volontairement reprise et
véhiculée par la publicité.
MADAME LA MINISTRE ou
MADAME LE MINISTRE ?
FÉMININ OU MASCULIN ?
Madame le Ministre*,
Lors de votre récente intervention à l’Assemblée nationale, vous avez repris le président qui vous
annonçait d’un « Madame le Ministre », en rectifiant d’un péremptoire « Madame la Ministre ». Monsieur
le président avait raison. Vous aviez tort. Dans notre langue française, « ministre » est du genre masculin,
comme « professeur », « auteur », « proviseur », « procureur », etc. Vouloir féminiser ces noms (surtout en
ajoutant un abominable « e » à la fin des quatre derniers exemples) me semble relever d’un faux combat.
Le genre grammatical n’indique en rien une catégorisation sexuelle : « fourchette » et « cuillère » ne sont
pas dotés d’attributs sexuels féminins, pas plus que « couteau » n’est investi d’une quelconque virilité. Le
soleil n’est pas plus mâle que la lune n’est femelle. Cette féminisation abusive des titres et des fonctions
serait à la rigueur acceptable si elle ne risquait d’entraîner une confusion.
Exemple : en voulant signifier d’une femme ministre qu’elle est, de tout le
gouvernement, le membre le plus méritant, le plus efficace, le plus couronné de succès, que direz-
vous ?
« Madame X est la meilleure ministre du gouvernement » ? Non, car cela signifierait :
« De toutes les femmes membres du gouvernement, elle est la meilleure. »
L’excellence absolue impose que l’on dise : « Madame X est le meilleur ministre du gouvernement » et l’on
comprendra alors : « Elle est le meilleur ministre, femmes et hommes confondus. »
Vouloir porter le combat pour le droit des femmes sur le terrain linguistique
est une fausse piste qui risque d’obérer les vraies. Les enjeux sont ailleurs et je
ne pense pas que les mentalités évolueront sur la base de considérations
grammaticales erronées**.
Bien respectueusement,
J.M.
Cette lettre rappelle une célèbre controverse : le genre grammatical
indique-t-il une appartenance sexuelle ? La réponse est clairement « non » et
elle correspond à ce que préconise l’Académie française : « en ce qui concerne
les titres, les grades et les fonctions, au nom de la neutralité institutionnelle
et juridique qui leur est attachée, l’Académie française recommande d’éviter,
dans tous les cas non consacrés par l’usage, les termes du genre dit «féminin»
et de préférer les dénominations de genre non marqué », qui se confond,
grammaticalement avec le genre masculin. Ce genre « non marqué » fait office
de neutre qui, en français n’existe pas de façon spécifique. On se rappelle
l’incident qui s’est produit à l’Assemblée nationale en juillet 2014 : le député
UMP, Julien Aubert, fut lourdement sanctionné pour s’être adressé à Sandrine
Mazetier en disant « Madame le président » ; 1 378 euros en moins sur son
indemnité parlementaire ! La prétendue présidente de séance ‒ par intérim ‒
s’appuyait sur une circulaire de Laurent Fabius datée du 11 mars 1986.
De l’Académie ou de l’Assemblée, qui suivre ? Pour ma part, je choisis
l’expert.
* Il s’agit de Madame Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes et porte-parole du
gouvernement. La missive est restée… lettre morte.
** D’où l’ineptie et l’incongruité de l’écriture dite « inclusive » (voir annexe).
En français, le genre grammatical dit « masculin » est non marqué : il remplit aussi
l’office du genre « neutre », inexistant en tant que tel**.
Il est plus académique de dire « Madame le ministre » ou « Madame le président ».
L’Académie française s’est opposée en cela à l’Assemblée nationale.
79
TÉLÉCOMMANDER
À DISTANCE
PLÉONASMES
Tel site propose une « télécommande à distance pour téléphone fixe », tel
autre vend une « télécommande à distance sans fil pour détection incendie »,
sur un troisième, c’est un « interrupteur avec télécommande à distance » que
l’on trouve. Lemarin.fr titre ainsi un article publié le 1er septembre 2017 :
« Wärtsilä réussit la télécommande à distance d’un navire supply » et le 24
janvier 2016, dans le journal de France 2, un reportage sur les technologies
médicales de pointe compare un « robot chirurgien » à « une drôle de pieuvre
télécommandée à distance ».
Mettons les choses au point. Issu de grec télé, « loin », notre préfixe « télé- »
signifie à lui seul « à distance ». Ainsi « télévision », vision à distance,
« téléphonie », parole à distance, « télescope », observation à distance,
« télépathie », « télégramme », « téléphérique », etc.
L’apocope « télé » pour « télévision » a évidemment brouillé les cartes et on
a oublié le sens de ce préfixe, à moins qu’on ne l’ait jamais su, ce qui explique
ce pléonasme qui nous dit deux fois que tel objet est « commandé à distance ».
Les cartes sont encore plus brouillées par l’emploi de cette télé-là dans des
mots composés où elle ne peut pas être remplacée par « à distance » :
« téléthon » composé du premier élément de « télévision » et du second de
« marathon », « télé-crochet », « téléfilm », « télégénique », « téléreportage »,
etc.
Dans plusieurs mots composés toutefois, « télé » est une apocope de « télévision »,
comme, par exemple, « téléfilm » ou « téléthon ».
80
PERSONNE
SOLÉCISMES
Voilà un mot d’une grande originalité comme notre langue sait en produire.
Il peut être un nom commun désignant un « individu de l’espèce humaine »,
« quelqu’un, homme ou femme ». Nul ne niera qu’il est alors du genre féminin :
UNE personne. Dans ce cas, pourquoi est-il repris, à tort, par un pronom
masculin ? Notre ex-Premier ministre nous en a fourni une belle illustration en
septembre 2015 dans Des Paroles et des actes (on passera sur la négation
incomplète !) :
« Ça concerne quelques centaines de personnes
qui sont pas tous au même régime. »
On trouve souvent cette faute, même à l’écrit :
« Le nombre de partenaires sexuels qu’une personne a
dans sa vie varierait en fonction du pays où il réside. »
(Glamour, article d’Ava Skoupsky, publié le 4 septembre
2017, [c’est moi qui souligne])
Autre étrangeté, légitime cette fois : « personne » peut aussi être un pronom
dont le sens est précisément l’opposé du sens attribué au nom féminin : si
celui-là évoque un représentant du genre humain, homme ou femme dont
l’identité est ou non indiquée, comme dans « Connaissez-vous cette
personne ? », celui-ci en désigne l’absence, l’inexistence, par exemple : « Ici, je
ne connais personne ! », ou encore : « J’ai cherché partout la personne dont
vous m’aviez parlé, mais à la gare, il n’y avait personne. » Autre exemple :
« Nous avons posé la question à tout le monde, à chaque personne, l’une après
l’autre, mais personne n’a su répondre. » « Personne », pronom indéfini, est aux
personnes ce que « rien », autre pronom indéfini, est aux objets.
Un seul et même mot dont les significations peuvent être contraires en
fonction du contexte : voilà qui est non seulement étonnant, mais aussi source
potentielle d’erreurs si la syntaxe n’est pas au rendez-vous, comme dans cette
déclaration de madame le maire de Paris le 27 septembre 2015, dans le 20 h de
France 2, au sujet de son désaccord avec la « ligne Macron » :
« C’est pas un secret pour personne ! »
Tel quel, le propos équivaut à « C’est un secret pour tout le monde ! » ou
« C’est un secret pour quelqu’un ! » « Personne » ayant ici son sens négatif, il
fallait supprimer une négation et dire :
« C’est un secret pour personne ! »
Dernier détail, « personne » vient du latin persona, « masque de l’acteur ».
Tout est dit !
Le nom commun « personne » est du genre féminin.
« Personne », pronom indéfini, peut être la négation de ce nom commun, comme il
l’est du nom « quelqu’un ».
Il peut y avoir là source de confusions si la syntaxe n’est pas maîtrisée.
81
NAGUÈRE JADIS
BARBARISMES
Jadis et Naguère est le titre d’un recueil que Verlaine publia en 1884. Il
contient des poèmes ‒ dont le célèbre Art poétique qui ouvrait la voie au
symbolisme ‒ écrits à diverses périodes, les unes lointaines, les autres
récentes, en accord avec le titre, car, contrairement à ce que certains pensent,
les deux adverbes ne sont pas synonymes et ne renvoient pas tous les deux à
un lointain passé.
« Naguère », il est vrai, appartient à un vocabulaire littéraire, à un style
soutenu plus utilisé à l’écrit qu’à l’oral et c’est dommage, car ce petit mot de
deux syllabes est une forme abrégée de la phrase « il n’y a guère », entendons
« il n’y a guère de temps ». « Naguère » nous situe donc dans un passé récent et
n’est pas synonyme d’« autrefois »
Parce que « jadis », autre dissyllabe, est souvent associé à « naguère », les
significations sont régulièrement confondues, méprise dont Verlaine ne saurait
être tenu pour responsable. Comme « naguère », « jadis » est une abréviation,
mais elle est moins directement compréhensible, car la phrase initiale est en
ancien français : « ja a dis » signifie « (il y a) déjà des jours », c’est-à-dire « il y a
longtemps ». La présence de « déjà » dans la composition de « jadis » apporte
une touche de nostalgie, de regret, voire de remords, l’action passée étant mise
en perspective par rapport à maintenant. La terminaison « -dis » partage la
même origine que la finale « -di » des jours de la semaine : le latin diem, « jour ».
Dans quelque temps, certains pourront dire : « Jadis, je confondais
“naguère” et “jadis”, mais naguère, j’ai appris à les différencier. » N’hésitons pas
à (ré-)utiliser ces adverbes. Bien que courts, ils en disent long, et s’ils manquent
de précision, ils ne sont pas dénués de poésie.
« Naguère » et « jadis », quoique souvent associés, n’ont pas le même sens.
DÉCADE
ANGLICISMES
« Le Breton va enchaîner dans la décade
à suivre plus de 10 traversées de l’océan Atlantique
en course et participer à 6 reprises à la plus exigeante
des épreuves en solo, la Solitaire du Figaro entre France,
Espagne, Irlande et Angleterre. »
(adonnante.com, communiqué de presse
du 6 septembre 2017)
Le Breton en question, c’est Éric Peron ; ce navigateur est vraiment très
fort. Autant d’exploits en dix jours seulement, voilà qui est digne d’Hercule ou
de Superman ! Car c’est bien de dix jours que se compose une « décade »,
contrairement à l’anglais pour lequel a decade représente dix ans… Non, ne me
dites pas que le traducteur serait tombé dans le panneau ! S’il est coupable, il
peut toutefois bénéficier de circonstances atténuantes, car cette acception
apparaît bien dans l’histoire du mot « décade », histoire plutôt chaotique !
Le bas latin decas, decadem, dont notre nom est issu, avait plusieurs sens :
« dix », « dizaine », « espace de dix ans ». En outre, il est associé à l’« Histoire
romaine », Ab Urbe condita libri de Tite-Live : cette œuvre monumentale se
compose de 142 livres regroupés par dizaines ; chacune de ces subdivisions
reçoit le nom de « décade ».
La période de dix jours que le Français nomme « décade » prit en 1793 un
caractère administratif officiel : elle fit l’objet d’une disposition adoptée par un
comité révolutionnaire comprenant le député Romme, le peintre David et les
poètes Fabre d’Églantine et André Chénier ; le calendrier révolutionnaire
imaginé par cette commission comprenait douze mois (de Germinal à Ventôse)
subdivisés en « décades », périodes de dix jours remplaçant les semaines :
primdi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi, décadi. On
parle de « décade révolutionnaire » ou « républicaine ».
La période de dix ans que l’Anglais associe à decade et que le Français
désigne, lui, par le mot « décennie » est l’une des acceptions de l’étymon17 bas
latin. Randle Cotgrave la reprend en 1611 dans A Dictionarie of the French and
English Tongues et elle est toujours de mise. En français, elle résulte d’une
influence de l’anglais et ne représente donc qu’un anglicisme.
En français, une décade est une période de dix jours.
En anglais, a decade est une période de dix ans correspondant à notre « décennie ».
En français, l’équivalence décade / dix ans est la conséquence d’un anglicisme.
83
PROFITER
TOURNURES EXASPÉRANTES
L’usage s’en fait de plus en plus fréquent et cette répétition devient
insupportable ; il ne s’agit pas du verbe lui-même qui est évidemment correct,
mais de la construction intransitive dans laquelle on l’emploie. Elle se répand à
tel point que certains dictionnaires ne manqueront pas de la mentionner dans
une future édition. On rencontre d’ailleurs un signe qui ne trompe pas, son
emploi dans la publicité : il est vrai que, par démagogie, les publicitaires
intègrent systématiquement dans leurs productions les nouvelles façons de
s’exprimer, quelque impropres qu’elles soient. Dans une récente publicité
Toyota, le récitant déclare, d’une voix sérieuse :
« Nous sommes en ville, nous sommes
à la campagne, nous travaillons, nous profitons,
nous sommes déjà plus de dix millions. »
Et ce « nous profitons », lancé dans l’absolu sur un ton ferme, coïncide avec
l’image d’un homme en train de plonger dans un lac. Il est clair que pour le
publicitaire créateur de ce spot, « profiter » veut dire « se donner du bon
temps »… mais cette acception est impropre !
Un emploi intransitif de « profiter » existait bien jadis : on disait d’un
nourrisson ou d’un jeune enfant qu’il « profitait » quand il se fortifiait ; une
superstition prétendait même qu’un hoquet persistant était signe qu’un bébé
« profitait ». Mais à part cette acception familière et quelques rares exemples
littéraires et vieillis où « profiter » signifie « faire des bénéfices », notre verbe ne
connaît que des emplois en transitivité indirecte :
‒ « profiter de… », qui engendre la forme infinitive « en profiter » et les
formes impératives « profites-en », « profitons-en » et « profitez-en » ;
‒ « profiter à quelqu’un ».
Alors, quand vos amis vous salueront avant de partir en vacances, surtout ne
leur dites pas : « Profitez ! », mais « Profitez-en ! ». Dans les deux cas, on
comprendra que vous faites allusion à leurs vacances, mais, syntaxiquement
parlant, seule la deuxième construction sera correcte. Par la première, vous ne
pourriez que leur ordonner familièrement de prendre du poids en étant
éventuellement secoués par le hoquet !
L’emploi intransitif de « profiter » peut être littéraire, obsolète, familier ou tout
simplement incorrect.
« Profiter » ne peut qu’être utilisé de manière transitive indirecte : « profiter de » et
« profiter à ».
VINGT-TEU-DEUX
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
Si la langue française n’aime pas les hiatus, répugnant à faire se suivre deux
voyelles qu’elle s’empresse donc de séparer, le cas échéant, par un « t » ou un
« z » euphonique, il lui est également difficile d’enchaîner oralement certaines
consonnes. C’est notamment le cas des consonnes identiques ou de celles que
les linguistes ont baptisées « homorganes », c’est-à-dire sollicitant, pour leur
prononciation, les mêmes points d’articulation ou des points d’articulation
rapprochés.
Exemples de consonnes homorganes
[t] et [d] : il s’agit de deux occlusives dont le point d’articulation se situe,
précisément et sans que vous en soyez conscient, entre l’apex de la langue et
l’arrière des incisives supérieures (apico-dentales), l’une étant sonore (elle fait
intervenir les cordes vocales), l’autre, sourde.
Ainsi, dans « vingt-deux », nous avons la succession des deux consonnes en
question et dans « vingt-trois », ce sont les deux mêmes consonnes qui se
suivent. Qu’à cela ne tienne, la difficulté est improprement levée en intercalant
le son « teu » entre les consonnes incriminées :
« vingt-teu-deux » et « vingt-teu-trois ».
« Vingt-deux » a acquis une incontestable notoriété grâce à Fernand
Raynaud et son célèbre « vingt-teu-deux à Asnières » dont se souviennent les
plus âgés d’entre nous : il ne doit toutefois pas servir d’exemple phonétique.
En revanche, l’expression « 22, v’là les flics ! » nous offre un « vingt-deux »
exemplaire.
Notons que le problème ne se pose pas pour « vingt-quatre », « vingt-cinq »,
« vingt-six », « vingt-sept », « vingt-huit » et « vingt-neuf ». Quant à « vingt et un »,
il est étranger à l’affaire.
Toutefois, s’il est difficile de bien prononcer, tels quels, « vingt-deux » et
« vingt-trois », ce n’est pas impossible : insistons sur l’articulation du [t] et le pli
sera vite pris.
En tout cas, faites suivre ces « vingt-deux » et « vingt-trois » du mot
« degrés », exprimé ou sous-entendu, et vous aurez deux des petites bêtes
noires printanières ou estivales qui agacent les présentateurs météo.
Les consonnes dont la prononciation est très proche sont dites « homorganes ».
Il est difficile de les prononcer à la suite.
La tentation est donc grande de dire « vingt-teu-deux » et « vingt-teu-trois ».
TESTEZ-VOUS !
1. Pourquoi les noms de titres ou de fonctions comme « président » ou
« ministre » ne doivent-ils pas être féminisés ?
2. Que signifie le préfixe « télé- » ?
3. Citez cinq noms utilisant le préfixe « télé - » dans son sens
étymologique.
4. Quelle est l’étymologie du mot « personne » ?
5. Quel est le sens de l’adverbe « naguère » ?
6. « Jadis » et « naguère » sont-ils synonymes ?
7. Que veut dire « décade » en français ?
8. Que veut dire « decade » en anglais ?
9. Quel mot désigne, en français, une période de dix ans ?
10. Corrigez, si besoin.
a) Quand on est jeune, il faut savoir profiter !
b) Il a su profiter de ses séances d’entraînement.
c) À qui cette réforme profite-t-elle ?
85
ANTIDOTE
FÉMININ OU MASCULIN ?
« […] une antidote contre “la peur et le cynisme”. »
(ledauphine.com, article publié le 9 septembre 2017)
L’antidote en question est The Shape of Water, film de Guillermo del Toro,
réalisateur mexicain auquel on doit évidemment pardonner cette faute.
« Antidote » est en effet du genre masculin, ce qui peut étonner, car la
terminaison « -ote » concerne généralement des noms féminins : « tremblote,
anecdote, gargote, redingote, compote, litote, capote », etc. « Antidote » n’est
pourtant pas une exception : « despote, pote, azote, prote, vote, pilote », etc.
sont également masculins.
Dans « antidote », le second élément a la même origine que « dot » et
« dotation », le latin dotare, « doter » ; anti- signifie « contre ». « Antidote »,
c’est donc « ce que l’on donne contre », l’idée de poison étant sous-entendue.
Pour aider la mémoire, constatons qu’« antidote » est plus ou moins synonyme
de « remède », mot masculin, et aussi, très exactement, de « contrepoison »,
autre mot masculin. Dans La Mort de Crispe, drame de Tristan, le personnage
de Fauste exprime cette équivalence dans un quatrain redondant où le mot
« amour », au singulier, est, lui, féminin.
« C’est d’un monstre cruel qu’elle a reçu la vie
Mais parmi cet espoir, je crains avec raison
Que l’amour qu’elle a prise et qu’elle m’a ravie,
Lui serve d’antidote et de contre-poison. »
(Acte V, scène 1 - 1781)
Arbitraire du genre qui peut varier selon les époques !
Les noms se terminant par « -ote » peuvent être des deux genres.
« Antidote » est masculin, comme ses synonymes « remède » et « contrepoison ».
PROJET D’AVENIR
PLÉONASMES
J’en vois qui s’agitent ; j’en entends qui rouspètent :
« Mais enfin, il est tout à fait possible que des projets appartiennent au
passé, qu’ils se soient réalisés ou non ! On peut bien parler de “projets du
passé” ! “Projet d’avenir” n’est donc pas un pléonasme.
‒ Minute, papillon ! Si ces projets ont été réalisés, ce ne sont plus des
projets et s’ils ne l’ont pas été, de deux choses l’une : soit vous les avez
abandonnés et ils n’existent plus en tant que projets, soit vous avez décidé de
les conserver et ce sont, à nouveau, des projets dont la réalisation est, par
définition, à venir. »
Quelque chose à faire, un objectif à atteindre, une première ébauche à
développer, un plan à exécuter : ces idées sont inscrites dans le mot lui-même,
« projet » étant le déverbal de « projeter », littéralement, « jeter en avant »,
dont la transposition temporelle est « réaliser dans un avenir plus ou moins
proche ».
La messe est donc dite : « projet d’avenir » est bel et bien un pléonasme et
pourtant bien des exemples montrent que l’on ne s’en soucie guère :
‒ « Projets d’avenir » est le titre d’une rubrique conçue par la Fondation
BNP-Paribas relayée sur le site lemonde.fr ;
‒ La franchise Les Savants Fous nous présente, le 11 septembre 2017, un
nouveau franchisé ainsi que « l’accompagnement dont il bénéficie et ses
projets d’avenir » ;
‒ Lesechos.fr du 6 septembre 2017 nous annonce, dans un article de
Gabriel Grésillon, que « l’Union européenne est relancée et fait des projets
d’avenir » ;
‒ Dans l’édition du 11 septembre 2017 de 24heures.ch, Michela Bovolenta
déclare : « Travailler toujours plus n’est pas un projet d’avenir ni pour les
femmes, ni pour les travailleurs, ni pour les jeunes. » ;
‒ Ledauphine.com rapporte l’annonce de Laurent Wauquiez, président LR
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, selon laquelle « plus de 70 millions
d’euros [seront] consacrés au développement des projets d’avenir de
Valence. »
Ne soyons pas de ceux qui s’en moquent ou qui n’en ont pas pris conscience
et quand nous faisons des projets, faisons-les tout simplement, sans ajouter
« d’avenir ».
Étymologiquement parlant, le verbe « projeter » signifie « jeter devant ».
D’un point de vue temporel, l’idée d’avenir est donc bien comprise dans le nom
« projet ».
LEQUEL
SOLÉCISMES
Un petit voyage en Crête, ça vous dit ?
L’île aux 35 millions d’oliviers, la plus grande des îles grecques, la Candie
antique, le décor idyllique des amours de Zeus et Europe, de celles de Minos
et de Pasiphaé, du Labyrinthe et du Minotaure, la civilisation minoenne,
Héraklion… la Crête est une île enchanteresse, mais elle eut aussi, dans
l’Antiquité, mauvaise réputation. Les Crétois, pourtant chaleureux, ouverts et
accueillants, étaient alors accusés d’être fourbes, menteurs et querelleurs, se
livrant mutuellement d’incessantes guerres intestines, mais sachant se réunir
contre un ennemi commun. Cette union des Crétois se nommait en grec
sugkrêtismós, ce qui a donné « syncrétisme », mot d’abord employé pour
désigner la synthèse de diverses doctrines philosophiques (platonisme,
aristotélisme et stoïcisme), puis le mélange de pratiques religieuses ainsi que le
rapprochement et la synthèse de différents cultes et enfin, la fusion de
pensées disparates apparemment inconciliables.
En linguistique, on parle aussi de syncrétisme lorsque plusieurs éléments
grammaticaux sont fusionnés en un seul.
Tel est le cas des pronoms relatifs composés que bien des beaux parleurs
médiatiques semblent ne plus connaître, au point d’utiliser « lequel » comme
unique suppléant.
Quelques exemples :
« L’Europe à 28, c’est une zone d’échanges
économiques […] dans lequel on essaie d’avoir
des partenaires privilégiés avec lesquels
on fait des échanges. »
(Laurent Wauquiez sur France 2, dans l’émission
Mots croisés du 5 mai 2014)
« On en oublie la direction dans lequel
on veut emmener des gens. »
(Michel Bettan, vice-président et responsable
de l’expertise PR Corporate, sur France 2 dans l’émission Ce Soir ou jamais du
11 avril 2014)
« Y a plusieurs leviers sur lequel il faut agir. »
(Nadine Morano, invitée du 12/13 de France 3,
le 24 janvier 2016)
Édifiant, non ?
Un petit tableau pour raviver la mémoire pourrait donc ne pas être inutile.
Masculin singulier Féminin singulier Masculin pluriel Féminin pluriel
Sans préposition lequel laquelle lesquels lesquelles
COURRIER # LETTRE
BARBARISMES
« Le contenu de ce courrier de notification diffère
selon que le licenciement est prononcé […]. »
(editions-tissot.fr, article publié le 12 septembre 2017)
« Plusieurs marginaux de Mons, principalement
des SDF, ont reçu un courrier de la municipalité. »
(Article de Morad Belkadi, publié le 5 septembre 2017
dans La Voix du Nord)
Ces deux récents exemples en sont une nouvelle preuve : le pli (si j’ose dire)
est désormais pris, on emploie le mot « courrier » en lieu et place du mot
« lettre ». Des formules telles que « En réponse à votre courrier du… »,
« J’accuse réception de votre courrier », « Votre courrier a retenu toute notre
attention » semblent désormais consacrées par l’usage. Pourtant, « courrier » et
« lettre » ne sont pas synonymes et ne l’ont jamais été, n’en déplaise à ceux qui
pensent, bien à tort, que « courrier » fait plus chic, plus classe, que « lettre ».
Qu’ils prennent donc le temps d’ouvrir n’importe quel dictionnaire ; ils
constateront que les divers sens du mot « courrier » peuvent se regrouper en
quatre acceptions où il n’est nullement question de lettre ou missive :
1°. Messager (estafette, porteur de dépêches) ;
2°. Voiture, avion, bateau (autrefois diligence, malle-poste) assurant le
transport des lettres, dépêches et journaux (cf. L’affaire du courrier de Lyon) ;
3°. Titre de certains journaux ‒ Le Courrier de l’Ouest, Le Courrier picard,
Le Courrier républicain - ou de rubriques journalistiques ‒ Courrier des
lecteurs, courrier du cœur, etc.
4°. Ensemble de la correspondance (lettres, colis et imprimés) reçue ou
envoyée par une personne ou une société.
Ce dernier sens est le plus courant.
La marquise de Sévigné et la comtesse de Grignan ne se sont pas échangé
des courriers, mais bien des lettres et Beethoven n’a pas composé de
« Courrier à Élise ».
Que le contexte soit administratif ne justifie pas davantage l’emploi du mot
« courrier ».
Pour toutes ces raisons, le courriel ne doit aussi désigner que l’ensemble
des méls que vous avez reçus dans votre « boîte électronique ».
Les mots « courrier » et « lettre » ne sont pas synonymes.
« Courrier » désigne généralement tout ce que le facteur dépose dans votre boîte à
lettres.
CHALLENGE
ANGLICISMES
Du rugby au cyclisme, en passant par la pétanque, la marche, la
photographie et les voitures anciennes, on ne compte plus les challenges qui
sont organisés un peu partout en France. De tels challenges où un titre associé
à un trophée telle une coupe est remis en jeu à chaque édition, généralement
annuelle, sont dans la fidèle descendance de la Challenge Cup qui nous est
venue (ou plutôt revenue) au XIXe siècle, avec le mot et sa nouvelle signification
sportive, de chez nos voisins britanniques. Pourtant, à l’origine du mot, il était
question d’accusation et l’on en fait maintenant un synonyme de « défi » !
Une petite explication ne serait peut-être pas superflue.
Dérivés du latin calumniari, « accuser faussement, être chicanier », deux
verbes sont apparus en français : « calomnier », toujours en usage et calengier,
« accuser faussement ». De ce dernier sont issues les formes calenge, calunge,
chalonge et enfin chalenge dont le premier sens fut « accusation (fausse) », un
« chalengement » étant une « provocation », une « dispute ». De l’idée
d’« accusation », le sens a glissé, au XIIe siècle, vers celle de « défi », accuser
quelqu’un revenant à lui lancer le défi de comparaître en justice.
Au début du XIVe siècle, les Britanniques nous empruntent le mot. Outre-
Manche, « challenge » va perdre ses connotations judiciaires et revêtir, au
e
XIX siècle, ses acceptions sportives. De nos jours, « challenge » est de retour en
français avec un sens qui s’est généralisé à tous les domaines, plus
particulièrement celui de l’économie : il désigne toute entreprise que l’on veut
absolument réussir quelque difficile qu’elle soit. Le mot « défi » est donc bien
synonyme, mais il est dédaigné par les snobs et tous ceux qui les imitent ; ils lui
préfèrent « challenge » qu’ils s’évertuent à prononcer « tchalén-dge », à
l’anglaise, ignorant que ce mot est d’origine française.
Le nom dérivé, « challenger », est aussi un anglicisme, d’abord utilisé dans le
monde de la boxe avant de concerner tous les sports ainsi que les jeux,
concours et compétitions, éventuellement télévisés, où il désigne celui qui
brigue le titre et que l’on pourrait tout aussi bien qualifier, selon les cas, de
« compétiteur », d’« adversaire », de « concurrent » ou de « rival », autant de
mots français parfaitement adaptés. Et si l’on décidait de ne plus employer
d’anglicismes « lexicophages » : voilà un beau défi, digne d’être relevé, un vrai
challenge en somme !
« Challenge » est un vieux mot français qui voulait dire « (fausse) accusation ».
Au XIVe siècle, il a été emprunté par les Anglais qui lui ont donné son acception
sportive.
Il nous est revenu au XIXe siècle avec une signification élargie. « Défi » est synonyme.
90
EN MODE
TOURNURES EXASPÉRANTES
« Mélenchon candidat s’est mis en mode séduction. »
(C politique, France 5, reportage diffusé le 13 mars 2016)
Cette locution est une traduction littérale de l’anglais in mode, formule
empruntée au lexique de la technologie dont les progrès permettent aux
téléviseurs de passer du mode analogique au mode numérique, aux appareils
photographiques, du mode manuel au mode automatique, aux ordinateurs de
démarrer en mode sans échec, à votre lave-vaisselle de fonctionner en mode
économique, etc. On remarquera que dans son utilisation « conventionnelle »,
« en mode » est le plus souvent suivie d’un adjectif. Pourtant, un rappeur
baptisé Rohff écrivit en 2005 un texte déconcertant où il multiplie l’expression
en la faisant suivre d’un nom commun, voire de toute une proposition ; on me
dit que ce petit chef-d’œuvre de poésie lyrique aurait banalisé la locution « en
mode » intégrée à cette structure syntaxique originale et, somme toute,
pratique. Mais, trop banalisée et trop pratique, elle a perdu de son originalité ;
on l’entend à tout bout de champ : ici, c’est un patron épuisé qui se met « en
mode vacances », là, une fillette qui s’habille et joue « en mode princesse »,
ailleurs, un élève de terminale qui s’est enfin mis « en mode réussite » ou ce
slogan pour une nouvelle voiture : « Passez en mode fun ! » Fleurissent aussi
des exemples qui ne manquent pas de sel, comme cette candidate d’un
concours de chant qui se livre à des « envolées lyriques, en mode “Cercle des
poètes disparus” » où cette jeune actrice que l’on retrouve « en mode “Alerte à
Malibu” ». Comprenne qui pourra ! Cet « en mode » est tellement à la mode
que les journalistes « branchés » n’hésitent pas à lui sacrifier le sens même de
leur phrase, et qui dit « branché » dit « anglicismes » ! Cela donne des titres
énigmatiques. Que signifie, par exemple, cette manchette, parue le 12
septembre 201٧ sur fan2.fr :
« […] toutes ces stars en mode BOOBS OUT
avec un crop top »
PASQUE
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
La langue parlée donne lieu à des approximations parfois lexicales, souvent
phonétiques, plus rarement grammaticales. Bien fol qui voudrait l’empêcher !
Le manque de temps et la frénésie quasi permanente qu’il engendre, conjugué
avec une incontestable paresse linguistique, nous incitent à aller au plus court,
à accepter l’élocution médiocre de façon plus ou moins consciente, d’où
l’abondance des formes raccourcies comme « y a » (il y a), « que y a » (qu’il y a),
« c’que j’veux dire » (ce que je veux dire), « c’qui s’passe » (ce qu’il se passe), « i
z ont » (ils ont), « c’qu’y faut » (ce qu’il faut), « y a pas d’raison » (il n’y a pas de
raison »), etc.
Cette façon de s’exprimer est pardonnable dans le cas de conversations
banales, à bâtons rompus, où l’on évoque, la pluie, le beau temps et l’état de
santé du cousin Raymond. Elle l’est moins quand il s’agit d’interviews ou de
débats, politiques notamment, à la radio ou à la télévision. On se demande
même parfois si certains débatteurs n’y ont pas recours volontairement, par
démagogie, pour faire « peuple ».
« Pasque » fait partie de ces approximations. Une syllabe gagnée sur la
forme correcte, « parce que », c’est toujours mieux que rien, me direz-vous.
Certes, mais alors, si « parce que » introduit une cause, une justification,
pourquoi ne pas utiliser la conjonction de subordination « puisque »,
authentique dissyllabe qui peut remplir la même fonction, à quelques nuances
près (notions d’évidence et de fatalité liées à « puisque » alors que « parce
que » est plus neutre).
« Je vous offre ce bijou puisque (= parce que) vous le
valez bien. »
Mieux ! Puisqu’il est question d’économiser les syllabes, la conjonction de
coordination « car », monosyllabique et parfaitement équivalente, s’avère
encore plus avantageuse :
« Je vous offre ce bijou, car (= parce que) vous le valez
bien. »
Toutefois, seul « parce que » répond à la question « pourquoi ? », ce que ne
font ni « puisque » ni « car ». En outre, étant une conjonction de coordination,
« car » ne peut pas être placée en tête de phrase.
Il y a donc plusieurs cas où l’emploi de « parce que » est inévitable : prenons
alors le temps et le soin de bien le dire, [paʀs(ə)kə], même si le [R] qui précède
le phonème [sə] n’est pas facilement prononçable ; il ne l’est ni plus ni moins
que dans « lorsque ».
La langue parlée implique des simplifications phonétiques.
La transformation de « parce que » en « pasque » en est un exemple. Pourtant, si la
prononciation du phonème [RS (ə)] est difficile, elle n’est pas impossible.
On peut aussi, dans certains cas, remplacer « parce que » par « puisque » ou « car ».
TESTEZ-VOUS !
1. Corrigez, si nécessaire.
a) La lecture peut être une antidote efficace contre le manque de culture.
b) Je ne remets pas en question les arguments que vous développez dans
votre dernier courrier.
2. Pouvez-vous donner un synonyme d’« antidote » ?
3. Pourquoi l’expression « projet d’avenir » est-elle un pléonasme ?
4. Citez trois noms pouvant se substituer à l’anglicisme « challenger ».
5. Par quel mot français pouvez-vous remplacer l’anglicisme
« challenge » ?
6. Complétez les phrases en ajoutant le pronom relatif adéquat.
a) On va vous sortir du pétrin dans … vous vous êtes mis.
b) Les causes pour … Don Quichotte se bat sont toujours nobles.
c) Au musée Rodin, j’ai pu voir les sculptures … vous faites allusion.
d) Entre le 27 novembre et le 3 décembre se situe, selon les années, le jour
à partir … les enfants peuvent commencer à ouvrir leur calendrier de l’avent.
92
ÉCHAPPATOIRE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Parlant des créateurs de mode latino-américains, un designer affirme :
« Nous sommes un échappatoire face
à ce qui se passe dans le monde. »
(Fashion week in SFR News, 14 septembre 2017)
Un représentant de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme prétend
que si l’armée syrienne réussit à encercler Daech de trois côtés,
« Daech aura l’Euphrate pour seul échappatoire. »
(Le Point, 13 septembre 2017)
Dans les deux cas, il y a erreur… d’un point de vue grammatical car si ses
synonymes « faux-fuyant », « subterfuge », « prétexte », sont masculins,
« échappatoire » est du genre féminin comme ses autres synonymes, « excuse »
et « dérobade » : UNE échappatoire. Dans la longue liste des noms communs
se terminant par « -toire », « échappatoire » fait figure d’exception, avec
« histoire », « préhistoire », « trajectoire » et « victoire » ; tous les autres, en
effet, sont masculins : « auditoire », « conservatoire », « consistoire »,
« directoire », « écritoire », « exutoire », « génitoire », « laboratoire »,
« moratoire », « observatoire », « offertoire », « oratoire », prétoire »,
« promontoire », « purgatoire », « réfectoire », « répertoire », « réquisitoire »,
« suppositoire », « territoire » et « vomitoire ». Vingt et un contre cinq ; les uns
masculins, les autres féminins : il est normal que les autres subissent l’influence
des uns.
Une petite aide mnémotechnique ?
7 sur 20 en histoire ! et vous partiez de 6 : la belle trajectoire ! Pas de quoi
crier victoire. Quoi ? Vous préférez la préhistoire ! N’espérez pas vous en tirer
avec une telle échappatoire !
« Échappatoire » est féminin.
SE RAPPELER DE
QUELQUE CHOSE
SOLÉCISMES
Dans le cadre d’un dossier sur le sommeil, publié le 17 septembre 2017 dans
La Tribune de Genève, une scientifique déclare :
« Les personnes motivées vont mieux
se rappeler de leurs rêves. »
L’entraîneur d’une équipe de football fait allusion aux circonstances d’une
cuisante défaite et délivre ce sage conseil :
« Il faudra se rappeler de cela pour
ne pas commettre les mêmes erreurs. »
(La Voix du Nord, le 15 septembre 2017)
La scientifique et l’entraîneur commettent cette faute de syntaxe, comme
bon nombre de nos concitoyens : il se pourrait bien qu’ils confondent
(normalement : « confondissent ») « se rappeler » avec « se souvenir de ».
« On se rappelle quelque chose », mais « on se souvient de quelque
chose » ; autrement dit, « se rappeler » est transitif direct alors que « se
souvenir de » est transitif indirect. Les constructions qui en découlent sont
donc bien différentes. Comparez :
De quoi vous souvenez-vous ? Que vous rappelez-vous ?
Je me souviens de mon enfance à Pau. Je me rappelle mon enfance à Pau.
C’est ce dont je me souviens. C’est ce que je me rappelle.
Je m’en souviens. Je me le rappelle.
Ne pas confondre « se rappeler » et « se souvenir de ».
RÉNUMÉRER
Rénumération
BARBARISMES
« L’œuvre d’Hyppolite est assez fascinante en elle-
même pour intéresser des écrivains consciencieux, sans
qu’il soit besoin de les rénumérer. »
(École et Tiers-monde in Le Courrier, 1985, p. 59)
« Contractuel et rénumération »
(Titre d’un article de Sophie Soykurt,
publié le 31 mars 2015 dans La Gazette des communes)
Affirmons-le d’emblée, haut et fort et une bonne fois pour toutes : le verbe
« rénumérer » et le substantif « rénumération » n’existent pas ! Ils se glissent
pourtant dans les articles de presse aussi bien que dans les conversations
lorsqu’il est question de revenus et de salaires, car on les confond avec
« rémunérer » et « rémunération ».
« Rémunérer » signifie « payer pour un travail fourni ou un service rendu », la
« rémunération » désignant la somme correspondante, le salaire. Le verbe vient
du latin remunerare, «récompenser, offrir un présent en retour », formé du
préfixe re- et munerare, « gratifier », munus, muneris voulant dire « cadeau ».
La confusion s’explique aisément. Elle résulte d’une métathèse, plus
précisément de l’inversion des consonnes « m » et « n ». Cette inversion est
facilitée par l’existence des mots « énumérer » et « énumération » dont le sens
est aussi en adéquation avec le contexte : « énumérer » signifie, en effet,
« énoncer un par un tous les éléments d’un ensemble ». On y reconnaît le latin
numerus, « nombre ».
Dire « rénumérer » pour « rémunérer et « rénumération » plutôt que
« rémunération » sont, si l’on ose l’oxymore, des « fautes intelligentes » liées à
un certain bon sens… mais ce sont bien des fautes, de vrais barbarismes.
« Rénumérer » et « rénumération » n’existent pas.
MIX
ANGLICISMES
Au revoir, « mélange » ! Adieu, « combinaison » ! Bon vent, « assemblage » !
À la revoyure, « association » ! Salutations, « panachage » ! Bonjour, mix et
bonjour, tristesse…, car voilà un nouvel anglicisme lexicophage que l’on utilise
par mode, par snobisme, par panurgisme, par inadvertance, sans se rendre
compte que, non seulement, il n’était pas nécessaire, mais que, en plus, il va
mettre au rancart tous les mots français que l’on vient d’énumérer et qui,
pourtant, exprimaient plus de nuances, plus de subtilité. C’est ainsi ! Le lexique
anglo-américain, véhicule d’une paresse linguistique associée à la mondialisation
capitaliste galopante, envahit notre vénérable langue française, la phagocyte, et
c’est une tendance irrépressible.
Holà ! Qu’est-ce que cette parole défaitiste ? Si invasion il y a, mobilisons-
nous et résistons ! Si « mix » tend à s’imposer, comme tous les anglicismes
inutiles, c’est parce que nous le laissons faire. Il fut d’abord utilisé dans le
domaine technologique de l’audiovisuel (1922 pour l’image et douze ans plus
tard pour le son), où « mixage » était déjà en usage depuis 1934, et nous l’avons
aussi laissé entrer dans nos cuisines à la même époque (années 1930) avec le
« mixeur » que ni le « mélangeur » ni le « broyeur », officiellement
recommandés, n’ont pu repousser. Il a récemment fait une incursion dans le
monde de l’énergie et dans le cadre du « développement durable » ; il s’y est
imposé dans l’expression « mix énergétique » alors même que l’Académie
recommandait « bouquet énergétique ».
Si les anglicismes tueurs de mots français ont ainsi le vent en poupe, ne
sommes-nous pas responsables ? Ne pouvons-nous pas décider de ne pas les
employer ? Ne sommes-nous pas habilités, en tant que Français amoureux de
notre langue, à reprendre ceux de notre entourage qui en abusent ? D’autant
que « mix », comme deux tiers du lexique d’outre-Manche, vient du français, en
l’occurrence, de « mixte », emprunté au XVe siècle.
Alors, rebonjour, « mélange » ! Salut à toi, « combinaison » ! Bienvenue,
« assemblage » ! Ave, « panachage » ! etc.
« Mix » est un anglicisme qui tend à faire disparaître « mélange », « combinaison »,
« assemblage », etc.
PAS D’SOUCI
TOURNURES EXASPÉRANTES
C’est devenu la réplique favorite, d’abord de tous ceux dont la fonction ou
le métier impose de plaire. Dans cette société de consommation où l’on a
développé la notion du « client roi », du « client [qui] a toujours raison », on
donne aux acheteurs l’illusion d’être d’importantes personnes, tandis que les
vendeurs se frottent les mains. On prône la relation de confiance entre
commerçants et clients, mais l’hypocrisie y tient une certaine place. Quelle que
soit la demande du client, la réponse du vendeur doit être rassurante : le
« non » est banni tout comme les adjectifs négatifs, « impossible », ses
synonymes et tous les congénères : que du positif ! Voilà un contexte propice à
la naissance de répliques toutes faites comme « Pas de problème ! », « Pas
d’inquiétude ! », « Aucun problème ! », « Tout va bien ! », « Tout est possible ! »
Pour encore plus de diversité, l’imagination fertile de l’homo consumericus a
récemment mis « Pas d’souci » en circulation. Cette trouvaille lexicale a
tellement plu qu’elle s’est invitée sans peine au bureau où elle se veut
rassurante, et finalement dans les conversations ordinaires de monsieur et
madame Toulemonde où elle agit comme une sorte de mantra guérisseur, un
antidote à la crise, un baume placebo formulé par Émile Coué. Utilisée à tout
bout de champ ‒ « tant tellement souvent », aurait dit Sol le clown ‒,
l’expression est devenue insupportable, employée machinalement dans de
multiples circonstances à la place de plusieurs autres réponses telles que :
‒ « Je suis d’accord » : « Pouvez-vous me prêter vingt euros ? ‒ Pas
d’souci ! »
‒ « Ne vous inquiétez pas ! » : « Mon mari a eu un comportement
désagréable ; j’en suis désolée. ‒ Pas d’souci ! »
‒ « Cela n’est pas grave ! » : « Je vous ai fait rater votre train ‒ Pas
d’souci ! »
‒ « C’est possible. Je peux le faire. » : « Il faudrait remplacer la cartouche
d’encre de l’imprimante. ‒ Pas d’souci ! »
On entend donc « Pas d’souci ! » à tout propos, en tous lieux, à toute heure,
de telle sorte que le mot « souci » y perd même assez souvent son véritable
sens de « préoccupation », d’« inquiétude ». Qui plus est, quand « souci » est
employé comme synonyme d’« inquiétude », on se demande lequel des deux
interlocuteurs doit ne pas s’inquiéter. Alors, mettons, sans scrupule, « pas
d’souci ! » au rebut !
L’expression « Pas d’souci ! » est utilisée comme une sorte de formule magique aux
effets bénéfiques.
Elle est une façon de nier les petits problèmes quotidiens.
Elle est surtout devenue insupportable et devrait être remplacée par des formules
diverses.
98
Dire « croivent » pour « croient » est une faute de prononciation assez fréquente.
C’est en conjuguant « croire » comme on conjugue « boire » que l’on commet la faute.
L’étymologie explique pourquoi les deux verbes se conjuguent différemment.
TESTEZ-VOUS !
1. Citez quatre synonymes d’« échappatoire ».
2. Vous souvenez-vous des quatre autres mots se terminant par « -toire »
et qui, féminins comme « échappatoire », font figure d’exception ?
3. Citez au moins quatre noms qui permettent d’éviter mix, anglicisme
inutile.
4. Corrigez, le cas échéant.
a) « Un malheur n’arrive jamais seul », dit le proverbe. En effet, ils se
succèdent généralement l’un après l’autre.
b) J’ai bien du mal à me rappeler de mes récitations de l’école primaire.
c) Tout ce que je me souviens, c’est que nous faisions une dictée par jour.
d) Jean-Jacques a refusé ce poste d’ingénieur parce que la rénumération
était trop faible.
5. Par quelles formules variées peut-on remplacer l’insupportable « Pas
d’souci ! » ?
6. Comment peut-on expliquer cette forme impropre du verbe
« croire » que représente « ils croivent » ?
99
OBSÈQUES
FÉMININ OU MASCULIN ?
« Le matin du 1er septembre étaient célébrées
les obsèques de l’actrice [Mireille Darc], en présence
de nombreux anonymes venus lui rendre hommage. »
(Huffington Post, 1er septembre 2017)
« Célébrées » ou « célébrés », autrement dit, féminin pluriel ou masculin
pluriel ?
Précisons d’abord qu’« obsèques », comme son synonyme « funérailles, fait
partie de ces noms communs toujours au pluriel. Voici la liste des plus
courants :
alentours, arrhes, calendes (grecques), condoléances, confins, dépens, ébats,
entrailles, fiançailles, frais, funérailles, gens, honoraires, mœurs, obsèques,
pénates, sévices, ténèbres, thermes, us, vêpres, victuailles, vivres.
Monsieur de La Palisse ajouterait qu’ils n’ont pas de singulier (du moins dans
l’acception qui nous intéresse), qu’ils prennent toujours un « s » final, qu’ils
entraînent un accord pluriel pour les adjectifs qui les qualifient et pour les
verbes dont ils sont sujets.
Un exemple avec « ténèbres », extrait de Quatre-vingt-treize de Victor
Hugo :
« Elle aperçut […] un énorme édifice qui semblait bâti avec des ténèbres plus
noires que toutes les autres ténèbres qui l’entouraient. »
Revenons aux « obsèques » et à la question de leur genre. Une petite astuce
pour le retrouver facilement ? Pensons que le mot à une connotation officielle
par rapport au mot « enterrement », neutre et de moins en moins approprié
puisqu’il y est question d’inhumation (terre = humus). Des obsèques supposent
UNE cérémonie. Posons donc l’équivalence :
obsèques = cérémonie funèbre.
Tout comme « cérémonie (funèbre) » dont il partage la signification, le nom
« obsèques » est du genre féminin :
« Les obsèques de Jean d’Ormesson furent nationales,
pas celles de Johnny Halliday qui, elles, furent
populaires et très émouvantes. »
« Obsèques » fait partie des noms qui sont toujours pluriels.
« Obsèques » est surtout employé dans un contexte officiel et cérémonial.
Comme « cérémonie funèbre » qui lui est synonyme, « obsèques » est du genre féminin.
100
L’ENVIRONNEMENT
QUI L’ENTOURE
PLÉONASMES
Le 18 septembre 2017 sur BFMTV, Anthony Morel présente sa chronique
Culture Geek. Ce jour-là, elle est consacrée à une prouesse technique : à
Nantes, la construction d’une maison en trois jours grâce à l’impression 3D.
Commentaire d’Anthony Morel :
« On va pouvoir adapter la forme de la maison
à l’environnement qui l’entoure. »
Anthony Morel est tellement content de sa trouvaille qu’il la répète cinq
secondes après :
« À Nantes, on a pu adapter la forme de la maison
à l’environnement qui l’entoure. »
Et je me pose cette question cruciale : n’aurait-il pas été préférable
d’adapter la forme de la maison à l’entourage qui l’environne ?
Voilà un pléonasme qui sort de l’ordinaire : on croit que l’inventaire en est
clos, c’est sans compter avec l’imagination créatrice de nos beaux parleurs
médiatisés. Entre le « synchronisés en même temps » de M. Bugier, les
« rengaines que l’on entend souvent » de M. Le Foll » (à venir !),
l’« unanimement par tout le monde » d’un certain président et cet
« environnement qui l’entoure » de M. Morel, il n’y a aucune place pour le
doute : les bavards des ondes hertziennes sont d’extraordinaires pourvoyeurs
d’expressions pléonastiques. À croire qu’ils le font exprès ! Celle-ci toutefois
est une perle rare et ce n’est pas sans plaisir que j’ouvre le dictionnaire pour
vérifier la parfaite coïncidence :
« Environnement : ce qui entoure de tous côtés. » (Larousse)
« Entourer : former l’environnement, le cadre, le contexte. » (Larousse)
Banco !
Je me demande si M. Morel aurait trouvé quelque réconfort en constatant
que M. Larousse commet lui-même un pléonasme quand il propose « ce qui
entoure de tous côtés » pour définir le mot « environnement », comme s’il était
possible d’entourer quoi que ce soit sans que ce soit « de tous côtés ».
Bref ! « Adapter la forme de la maison à l’environnement » eût été suffisant !
Quand on sait ce que les mots veulent dire, quand on sait d’où ils viennent,
on est armé pour éviter ce type de redondances. Militons pour que la
linguistique en général et l’étymologie en particulier trouvent la place qu’elles
méritent dans le système éducatif français !
Les interventions médiatiques permettent d’allonger la liste des pléonasmes.
ASSIS-TOI !
SOLÉCISMES
« Se faire dire : assis-toi sur une chaise et reste comme
ça pour les 15 prochaines années, c’est inimaginable
pour un jeune aujourd’hui. »
Ce propos du directeur de la Fédération des établissements
d’enseignement privé du Québec est rapporté dans un article de Jessica
Nadeau publié le 22 septembre 2017 dans Le Devoir, quotidien québécois.
« Assis-toi ! », voilà un ordre (ou une invite) assez fréquent, ce qui ne
l’empêche pas d’être gramma-ticalement incorrect.
On a pourtant, fait exceptionnel, le choix entre deux formes d’impératif :
« assieds-toi ! » ou « assois-toi ! ». Deux options dont « assis-toi ! » ne fait pas
partie. « Assis » existe bien en tant que participe passé, pas comme impératif. Il
ne peut être un ordre que si un autre verbe est sous-entendu : « (sois) assis ! »,
« (reste) assis ! », etc. Un tel emploi nous fait penser au dressage d’un chien :
« Couché(e) ! debout ! assis(e) ! »
Pourquoi existe-t-il deux conjugaisons pour ce verbe « asseoir » ? La
réponse se trouve dans son étymologie et ce n’est évidemment pas une
surprise. Ces deux conjugaisons sont la survivance de formes régionales : Littré
nous révèle qu’en Picardie, « asseoir » se disait assir tandis que, dans le Berry,
on disait assidre, forme plus proche de l’étymon latin : adsidere.
N.B. Si, d’aventure, votre mémoire vous fait défaut ou si vous hésitez entre
« assieds-toi ! » et « assois-toi ! », vous pouvez toujours dire : « prends un
siège ! » ou « prenez un siège ! », bien que cette invite ait un caractère un peu
trop littéraire, évoquant les célèbres vers de Corneille :
« Prends un siège, Cinna, prends, et sur toute chose.
Observe exactement la loi que je t’impose. »
(Corneille, Cinna, acte V, scène 1)
« Assis » est un participe passé. « Assis-toi ! » est donc une forme fautive.
APPORTER AMENER
BARBARISMES
« Le meilleur moyen de savoir si l’on peut apporter
son animal au travail est de demander à ses collègues
[…] et à son patron ! »
(Wamiz, 13 septembre 2017)
« “Nous aurons des jumelles, un télescope, mais il est
aussi possible d’amener son propre matériel.” »
(Article publié le 25 août 2017 dans La Charente libre)
N’en déplaise aux chasseurs, amateurs de safaris africains, aficionados de
corridas, massacreurs de bébés phoques et autres tortionnaires d’animaux,
depuis 2015, les animaux sont considérés dans le Code civil comme des « êtres
vivants doués de sensibilité » : on ne peut donc plus les « apporter » quelque
part, on ne peut que les « amener ».
A contrario, il est préférable d’« apporter » son matériel plutôt que de
l’« amener ».
Cette confusion des verbes « amener » et « apporter » revient de façon
récurrente, surtout dans le langage parlé. La distinction est pourtant assez
évidente.
« Amener » s’emploie pour les êtres animés, donc les animaux et les êtres
humains. Cependant, « amener » peut aussi avoir le sens de « transporter
jusqu’à destination, acheminer », et peut, dans ce cas, s’appliquer à des
produits, des marchandises.
« Apporter » ne peut s’appliquer qu’aux inanimés (choses) et aux concepts :
on dira, par exemple, « apporter de l’aide à un nécessiteux ».
Ce qui vaut pour « apporter » vaut aussi pour « rapporter », « emporter »,
« importer », « exporter », etc.
Ce qui vaut pour « amener » vaut aussi pour « emmener », « ramener »,
« promener », etc.
Deux petites astuces mnémotechniques ?
La ressemblance phonétique entre « amener » et « animés »,
ou encore,
la « porte » qui est dans « apporter » est bien une chose (un inanimé).
« Amener » et « apporter » ne sont pas vraiment synonymes.
PITCH
ANGLICISMES
Ce mot dont on me dit qu’il est d’origine anglo-saxonne, est, depuis les
années 1990, la coqueluche des chroniqueurs de l’audiovisuel chargés de
présenter les nouveaux romans et les nouveaux films (je n’ai pas remarqué
qu’on pouvait faire le pitch d’un opéra !), car, après avoir donné le nom de
l’écrivain ou du réalisateur ainsi que le titre de l’œuvre (avez-vous remarqué
que les titres en anglais ne sont plus traduits ?) vient le temps du résumé, de la
synthèse, de l’intrigue, du scénario, de l’argument, sans dévoiler la fin, bien
sûr…
‒ Non surtout pas !
‒ Mais, que dis-je ? De quoi parlé-je ? De résumé ? De synthèse ?
D’intrigue ?
‒ Quelle ringardise, en effet ! Ne savez-vous pas que le mot adéquat est le
mot pitch ?
‒ Pardon, votre honneur, comment ai-je pu oublier ?… Non seulement le
mot, mais aussi et surtout la gourmandise que l’on éprouve à le prononcer :
pppitchchch ! comme d’une marque de soda ! Ça ne s’oublie pas !
« Pitch » est donc un anglicisme, du moins morphologiquement, car, d’un
point de vue sémantique, l’unique signification que le mot connaît sur le
continent, il semble l’avoir revêtue pendant sa traversée de la Manche. Dans
les îles britanniques, sur les quelque dix-sept acceptions proposées pour
« pitch » dans l’Oxford English Dictionary, celle de « résumé » d’un film ou d’un
roman ne figure point !
Voilà d’excellentes raisons de nous débarrasser de ce « pitch » inutile.
Le mot « pitch » est un anglicisme auquel on donne un sens qui n’est pas attesté en
anglais.
Les chroniqueurs littéraires et cinématographiques aiment employer ce mot.
Il serait pourtant préférable d’utiliser un mot bien français tel que « résumé »,
« intrigue » ou « synthèse ».
104
UN MONDE
DE BISOUNOURS
TOURNURES EXASPÉRANTES
Les Bisounours sont de mignons oursons, héros de petits dessins animés
créés pour les très jeunes enfants et diffusés à la télévision dans les années
1980. Le nom évoque à la fois la tendresse des bisous et la douceur des
nounours en peluche ; au Canada, on les appelle les Calinours. Leur monde
n’est fait que de gentillesse, de bons sentiments, d’harmonie et de petits
bonheurs : une sorte d’utopie dont le sens premier du terme (utopia = « (en)
aucun lieu ») nous dit qu’un tel monde n’existe pas. Le succès des Bisounours
fut tel qu’ils sont devenus une référence, en particulier pour les politiques et
les syndicalistes :
« Un certain nombre de gouvernements sont naïfs
face aux problématiques de l’immigration.
C’est ce que j’appelle le monde des Bisounours. »
(Propos tenu par Marine Le Pen lors de son séjour
au Québec le 22 mars 2016),
« Emmanuel Macron est-il un Bisounours ? »
(Titre d’un article publié dans lemonde.fr du 1er mars
2016, sous la plume de Gérard Courtois)
« Baisse des loyers : “Macron vit dans le monde
des Bisounours” »
(Titre d’un article d’Alexandre Sulzer, publié dans
L’Express le 5 septembre 2017)
« Les salariés ont besoin d’être accompagnés, le
monde du travail ce n’est pas le monde des Bisounours. »
(Propos de Laurent Berger, secrétaire général de la
CFDT, rapportés le 1er septembre 2017 dans Le Parisien)
Cette comparaison avec les oursons gentillets est devenue universelle. Elle
permet de réprouver les naïfs, les crédules et les optimistes invétérés, ceux
qui, bien au chaud dans leur bulle, ne connaissent pas ou ne veulent pas
connaître les violences ni les injustices du monde réel. Bisounours par-ci,
Bisounours par-là… mais enfin, plutôt que cette référence infantilisante, la
littérature ne nous offre-t-elle pas d’autres domaines imaginaires où il ferait
bon vivre, auxquels on pourrait comparer notre monde afin d’en souligner, par
contraste, toute la médiocrité, toutes les faiblesses, toute la négativité ?
L’Eldorado des conquistadors, l’Utopie de Thomas More, l’Arcadie de la
Renaissance, le meilleur des mondes possibles du Candide de Voltaire, le pays
des merveilles de Lewis Caroll, le pays de Cocagne des frères Grimm, l’abbaye
de Thélème de Rabelais, etc.
Messieurs les discoureurs, les références ne manquent pas ! mais, à quoi
bon ! on a, finalement, celles que l’on mérite.
Le monde des Bisounours fait allusion à un dessin animé pour les très jeunes enfants.
C’est devenu une sorte de référence universelle qui nous permet de souligner
l’imperfection de notre monde réel.
Il existe pourtant de nombreuses références culturelles moins cucul la praline.
105
NOTRE / LE NÔTRE
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
On a vu que le phonème [o] de « Saône » tendait à disparaître chez certains
locuteurs au profit du phonème [ɔ] de « sonne ».
Cette tendance est cependant inversée dans un cas bien précis, celui de
l’adjectif possessif « notre » dont la voyelle « o » représente le phonème [ɔ] et
que certains personnages, de l’audiovisuel notamment, affublent du phonème
[o], celui que l’on trouve normalement dans la prononciation du pronom
possessif. S’agit-il vraiment d’un défaut de prononciation (confusions de
phonèmes) ou doit-on plutôt voir là une confusion de graphèmes entraînant
une inversion de phonèmes ?
Expliquons-nous.
Cet ancien Premier ministre dit « nôtre pays, nôtre gouvernement », etc.,
avec le phonème [o]. Ce phonème caractérise le pronom possessif, « le nôtre »,
en cohérence avec l’accent circonflexe qui indique à la fois la disparition d’un
ancien « s » et la fermeture du phonème par rapport au [ɔ] ouvert.
Qu’est-ce qui peut rendre compte de ce « transfert » de l’accent
circonflexe ? Un simple défaut d’élocution ou une méprise orthographique,
cette dernière pouvant trahir une méprise grammaticale, l’adjectif possessif
étant confondu avec le pronom possessif.
La même distinction vaut pour la 2e personne du pluriel de l’adjectif et du
pronom possessif.
Profitons de ce point de prononciation pour rappeler le point de grammaire
qui lui est associé.
Adjectifs possessifs [ɔ] Pronoms possessifs [o]
1re personne du pluriel notre le nôtre, la nôtre, les nôtres
2e personne du pluriel votre le vôtre, la vôtre, les vôtres
Chez certains locuteurs, le phonème ouvert [ɔ] de l’adjectif possessif « notre » tend à
être remplacé par le phonème fermé [o] du pronom possessif « le nôtre ».
TERMITE
FÉMININ OU MASCULIN ?
« Des milliers de termites volantes
dans la nuit s’envolent et meurent calcinées
sous la chaleur des ampoules. »
(Article de Bruno Meyerfeld publié dans
Le Monde Afrique in lemonde.fr du 2 mai 2016)
Qu’ils aient des ailes et soient attirés par la chaleur des ampoules ne suffit
pas à les féminiser. Non, Monsieur Meyerfeld, le nom « termite » n’est pas
féminin, contrairement au mot « mite », que ce dernier désigne la variété
vestimentaire ou alimentaire.
Pour LA mite, se rappeler que son genre est féminin ne pose aucun
problème. La « mite » se distingue DU « mythe » mais les mythes sont à l’origine
de LA « mythologie » et même si l’on aime la mythologie, on préfère ne pas
avoir de « mite au logis ».
Pour LE termite, un moyen mnémotechnique s’impose ; enlevons
simplement le « t » initial : on obtient « ermite », nom masculin !
UNE mite mais UN termite.
Le nom « termite » est issu du latin tarmes, « ver qui ronge le bois ».
L’origine de « mite » est différente : le néerlandais mite de même sens ou le
latin mica, « miette ».
Corrigeons donc, en toute cordialité, le texte de M. Meyerfeld :
« Des milliers de termites volants dans la nuit s’envolent et meurent calcinés
sous la chaleur des ampoules. »
« Termite » est du genre masculin.
« É » « ER »
Participe passé infinitif
SOLÉCISMES
« Ma fille est restée coincer dans l’utérus. »
(forums.famili.fr, 17 septembre 2001)
« Je ne l’ai pas entendu pleuré. »
(idem)
« Bon courage mais ca va passé. »
(forums.famili.fr, 25 décembre 2004)
« Mais il a preciser a ma belle mère
qu il ne voulait pas de problemes ! »
(forums.famili.fr, 1er mars 2005)
La faute est fréquente, notamment sur les forums d’Internet*. Parce que la
finale de l’infinitif des verbes du premier groupe se prononce comme celle du
participe passé de ces mêmes verbes, il est facile de les confondre à l’écrit.
Autrement dit, « -er » est souvent confondu avec « -é » ou « -és » ou « -ée » ou
« -ées ».
Remarquons d’abord que la finale du participe passé ne se résume pas à un
phonème mais qu’elle porte aussi l’indication du genre
« -é » « -ée »
et du nombre
« -é » ou « -ée » « -és » ou « -ées ».
Elle indique que l’action est passée, même si elle a encore une influence sur
le présent.
L’emploi de l’infinitif seul correspond à un ordre, une invite, une prière. Dans
tous les cas, l’action ainsi exprimée reste à faire.
J’en entends qui chuchotent : « “-é” ou “-er” », est-ce si important ?
L’essentiel, n’est-ce pas d’être compris ? » Eh bien, justement ! Laissez-moi
vous raconter une anecdote.
Naguère et peut-être encore aujourd’hui dans certains établissements
hospitaliers, les informations essentielles sur le traitement, les gestes accomplis
et les « constantes » (tension, température, pouls) du patient alité étaient
indiqués sur une petite pancarte avec fiche de soins, accrochée au pied du lit,
fiche que le médecin-chef pouvait consulter pendant sa tournée. Sur une telle
fiche, l’infirmière de nuit avait écrit : « donner anti
coagulant » pour « donné anticoagulant ». Je vous laisse imaginer la suite.
Notons que l’inverse n’eût pas été moins inquiétant.
* Si vous voulez faire des progrès en français, n’allez surtout pas consulter les forums d’Internet !
La confusion « -er » / « -é » est fréquente.
Les informations données par ces désinences verbales sont essentielles.
L’infinitif correspond à un ordre, une invite, donc une action à venir ; le participe
passé indique une action terminée même si elle peut avoir une influence sur le présent.
109
PRÉMISSES PRÉMICES
BARBARISMES
Tous les hommes sont mortels.
Or, Socrate est un homme.
Donc, Socrate est mortel.
Tous les bacheliers ont entendu leur prof(esseur) de philo(sophie) ‒ les
parenthèses sont à l’intention des faiseurs d’apocopes ‒ leur expliquer ce
syllogisme. Ils se souviennent donc que la troisième proposition (« Donc,
Socrate est mortel ») est la conclusion qui découle des deux autres
propositions appelées « prémisses » : la « prémisse » majeure (« Tous les
hommes sont mortels ») et la « prémisse » mineure (« Or, Socrate est un
homme ») : raisonnement impeccable !… et, votre prof de phi de vous proposer
un autre syllogisme :
Un cheval bon marché est rare.
Or, tout ce qui est rare est cher.
Donc, un cheval bon marché est cher.
Votre pr. de φ vous démontre alors que ce nouveau syllogisme est faux
parce que le raisonnement est faux et le raisonnement est faux parce que les
prémisses n’ont que l’apparence de la vérité. Je vous donne volontiers le
moyen mnémotechnique pour que vous ne confondiez pas ces « prémisses »-là
avec les « autres ». Souvenez-vous tout simplement que ces prémisses-là sont
deux et qu’elles s’écrivent et s’épellent avec deux « s ». Le hasard ne fait-il pas
bien les choses ? Ajoutons que « prémisse » peut aussi désigner une
proposition dont on tire une conclusion logique.
Les autres « prémices » peuvent être deux comme elles peuvent être plus
nombreuses, mais elles ne peuvent en aucun cas être une. Le nom est donc
nécessairement féminin pluriel. Comme leur homonyme, elles ont à voir avec le
début de quelque chose. Elles désignent, par exemple, dans certaines religions,
une portion de nourriture que l’on prélève au début d’un repas et que l’on
offre aux dieux. Elles peuvent aussi désigner les premiers-nés dans un troupeau
ou les premiers fruits de saison ou les premières fleurs printanières servant
d’offrande ou encore les premières créations d’un artisanat ou d’une industrie,
etc. Le nom peut être aussi un simple synonyme de « commencement »
lorsqu’il est question d’une réalisation importante ou d’un événement, parfois
météorologique : on a par exemple entendu sur France Info, le 10 septembre
2017 :
« Des vents violents, prémices du cyclone à Miami. »
Est-il besoin d’ajouter que ces « prémices » peuvent aussi désigner les
préliminaires d’une certaine activité à laquelle tout le monde pense ?
Les « prémisses » avec deux « s » sont les deux propositions d’un syllogisme.
Les « prémices » avec un « c » désignent, entre autres, le commencement d’une
réalisation ou d’une activité.
BY, MY
ANGLICISMES
Par « anglicisme » on entend généralement un nom ou une expression que le
français emprunte à l’anglais ou plutôt un nom ou une expression venu de
l’anglais, qui s’installe en français sans y avoir été invité, une sorte de parasite
lexical, en somme.
D’autres « anglicismes parasitaires » sont cependant plus inquiétants parce
qu’insidieux et sournois. Ils appartiennent au monde de la publicité où les
auteurs de slogans n’hésitent pas à recourir à des procédés douteux dans le
seul but de vendre encore et encore. Leurs emprunts à l’anglo-américain ne
concernent plus seulement des noms, mais des petits mots qui passent
presque inaperçus : prépositions et adjectifs possessifs.
Premier exemple, la préposition française « par » est de plus en plus souvent
remplacée par la préposition anglaise correspondante, « by », ce qui ouvre
éventuellement la voie à d’autres anglicismes, glissés subrepticement. Les
exemples abondent : « RED by SFR », collection de chaussures pour femmes
« Made by Sarenza », « Travel by Air France », « La Communauté by Caisse
d’Épargne », « Programme TV by Télé 2 semaines », « Restaurants by
Accorhotels », « SPA by Clarins », « Maria by Callas » (titre d’une exposition
sur la cantatrice), etc.
Deuxième exemple, les adjectifs possessifs de la 1re personne, multiples en
français parce qu’ils s’accordent en genre et en nombre (« ma, mon, mes »)
cèdent désormais la place à « my ». Comme pour « by », les exemples sont
nombreux : « MY Million » de la Française des jeux, « MyCanal », « MyTF1 »,
« My Dacia », « UPS My Choice », « My Renault », etc.
Contre ces intrusions illicites, mobilisons-nous ! Ne nous laissons pas
angliciser à notre insu et contre notre gré. Nous savons que l’anglo-américain
est la langue de la mondialisation capitaliste et la publicité est l’un de ses
agents. Mesdames et Messieurs les rédacteurs publicitaires, vous n’ignorez pas
que la loi vous fait obligation de vous exprimer en français. Rappel :
« La langue de la République est le français. »
(Article 2 de la Constitution)
« Dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou
d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un
bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances,
l’emploi de la langue française est obligatoire. »
(Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, article 2)
L’anglicisation de notre langue se fait, de manière insidieuse, par l’emploi de plus en
plus fréquent de petits mots tels que prépositions et adjectifs possessifs.
Les exemples sont nombreux avec « by » et « my ».
Est-il possible de ne pas avoir d’état d’âme ?
L’expression « sans état d’âme » est à la mode tout en étant insignifiante.
Elle peut être remplacée par des locutions familières bien françaises et pleines de sens.
112
QU’ILS SOYENT
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
À l’instar de « ceux qui croivent » (cf. 98), « qu’ils soyent » est d’abord une
faute de prononciation. La phonétique peut en effet facilement en rendre
compte. Le verbe « être » conjugué au subjonctif présent donnant « que nous
soyons » et « que vous soyez » aux deux premières personnes du pluriel, il est
normal, selon le bon sens populaire, que l’on trouve « qu’ils soyent » à la
troisième, prononcé « qu’ils souaillent ». En analysant plus précisément ce
subjonctif présent, on se dit que « qu’ils soyent » à la troisième personne du
pluriel est tout aussi cohérent que « qu’il soit » à la troisième du singulier :
‒ « que je sois », « que tu sois », « qu’il (elle) soit » ;
‒ « que nous soyons », « que vous soyez », « qu’elles (ils) soyent ».
D’ailleurs, cette forme était parfaitement correcte au XVIe siècle :
« Admoneste-les qu’ils soyent sujets
aux Principautez et Puissances. »
(Jehan Calvin, Commentaires
sur le Nouveau Testament, ch. III, 1540)
Elle l’était encore au XIXe :
« Ils veulent faire que les biens soyent à eux. »
(Lamennais, De la Servitude volontaire, 1839)
Il est probable que la prononciation ait été « qu’ils souaillent », en
cohérence avec la forme écrite et que cette 3e personne du pluriel ait influencé
la troisième du singulier.
Pour de semblables raisons, la forme « qu’ils (elles) voyent » a été correcte
pour le verbe « voir » :
‒ « je vois », « tu vois », « il (elle) voit »
‒ « nous voyons », « vous voyez », « ils (elles) voyent ».
Aujourd’hui cependant, « qu’ils soyent » est une forme fautive. Il faut dire et
écrire « qu’ils soient ».
« Qu’ils soyent » constitue le même type de faute que « ils croivent ».
« Qu’ils soyent » est la suite logique de « que nous soyons », « que vous soyez ».
« Qu’ils soyent » a été une forme correcte du XVIe au XIXe siècle.
TESTEZ-VOUS !
1. Corrigez la phrase suivante, s’il y a lieu.
N’achetez pas cette villa, sa charpente est dévastée par des termites
ravageuses.
2. Quelle astuce mnémotechnique permet de se rappeler le genre du
mot « termite » ?
3. Les mots « mite » et « termite » partagent-ils la même étymologie ?
4. Dans « La réunion est reportée sine die », que signifie « sine die » ?
5. Complétez le texte avec les verbes suivants, sachant que leur
terminaison peut indiquer soit un participe passé, soit un infinitif.
arriver, asseoir, fixer, bavarder, tourner, traverser, parler
« L’automobiliste n’a pas vu la fillette … . D’habitude, il garde les yeux … sur
la route, mais ce jour-là, il était en train de … avec son épouse, … à sa droite.
Incapable de … sans … la tête vers sa passagère, tout en conduisant, il lui
était impossible de voir l’enfant …. »
6. De quels éléments un syllogisme est-il constitué ?
7. Citez deux synonymes de « prémices ».
8. Remplacez la formule « sans état d’âme » par des expressions plus
explicites.
a) Ce célèbre violoniste a décidé, sans état d’âme, de ne plus donner de
concerts.
b) C’est sans état d’âme que cet homme d’affaires a poussé un petit artisan
à la faillite.
c) Sans état d’âme, Néron a fait exécuter de nombreux chrétiens.
113
CARTOUCHE
FÉMININ OU MASCULIN ?
« Car l’examen minutieux du cartouche* de
Toutankhamon gravé sur l’or montre bien les traces
effacées d’un précédent nom royal ! »
(Sciences et Avenir, dossier de Bernadette Arnaud
publié le 30 novembre 2015)
Non, il n’y a pas d’erreur, ce cartouche-là est bien masculin. Il se dit shenou
en égyptien et désigne un symbole de forme ovale, fermé par un nœud, à
l’intérieur duquel le nom et les titres d’un pharaon sont gravés en hiéroglyphes.
Le cartouche en question a donc révélé que le destinataire du splendide
masque d’or n’était pas Toutankhamon : un coup de tonnerre dans le ciel des
égyptologues. Un cartouche de plus dans la liste de ceux qui ont permis
d’écrire l’histoire de l’Égypte antique. C’est notamment en déchiffrant les
hiéroglyphes contenus dans les cartouches royaux que Jean-François
Champollion a fait progresser l’égyptologie.
CE cartouche et CELLE que l’on insère dans le magasin d’un fusil ou dans le
logement d’une imprimante ont la même étymologie : le latin carta, « papier,
carton » via l’italien cartoccio, « cornet de papier » (analogie de forme ?) pour
l’un, et cartuccia, « cartouche (munition) » pour l’autre.
« Cartouche » est masculin quand il s’agit du symbole contenant des hiéroglyphes.
« Cartouche » est féminin quand il désigne la charge d’explosif ou la recharge d’une
imprimante, d’un stylo, etc.
PRÉPARER À L’AVANCE
PLÉONASMES
Nous l’avons vu à propos de « prévoir à l’avance » (cf. 23), le préfixe « pré- »,
du latin prae, « avant, devant », exprime l’« anticipation » ou l’» antériorité ».
Ajouter « à l’avance » ou « avant » n’apporte aucune information
complémentaire, mais provoque un pléonasme dont l’évitement permet à
notre langue de ne pas connaître d’embonpoint, donc de se porter mieux.
Voyez ces quelques exemples tirés d’une récente presse. Retirez « à
l’avance » en chacun d’eux : le résultat est un style plus léger, sans déficit
d’information.
« Vous avez ainsi tout votre dressing à portée de main
et pouvez préparer vos tenues à l’avance. »
(Voici, 25 septembre 2017)
« À préparer à l’avance et même à conserver au
congélateur. »
(Andréa Jourdan, Le Journal de Montréal,
le 13 septembre 2017)
« Il faudra la rendre vivante [votre campagne] en
communiquant régulièrement […] à travers des news à
préparer autant que possible à l’avance. »
(Publicité MAIF. in lemonde.fr du 15 septembre 2017)
Dans ce dernier exemple, on notera le comique involontaire de l’expression
« autant que possible » et l’emploi snobinard de l’anglicisme « news » plutôt
que « nouvelles ».
Bien sûr, le pléonasme disparaît si l’on précise la durée (« longtemps à
l’avance », « peu de temps à l’avance », « deux heures à l’avance », etc.) comme
dans cet autre exemple :
« C’est une vocation, un mode de vie, et il faut s’y
préparer longtemps à l’avance. »
(RTL info, 21 septembre 2017)
Je vois bien que plusieurs d’entre vous sont frustrés. Ils se disent que sans
« à l’avance », la phrase est maladroite, déséquilibrée, qu’il lui manque quelque
chose. Rassurez-vous, ce syndrome de manque lexical est une réaction
normale ; vous êtes trop habitué(e)(s) au pléonasme pour pouvoir vous en
passer subitement. Aucun sevrage n’est cependant prescrit.
Le préfixe « pré- » indique l’antériorité, l’anticipation.
« Préparer à l’avance » est donc un pléonasme.
Supprimons « à l’avance » ou précisons la durée.
115
APRÈS QUE +
SUBJONCTIF
SOLÉCISMES
« Juste après que tu sois parti hier, elle m’a appelé. »
(Erwan Angelofys, Après mes 15 ans,
Éditions Textes gais, 2012)
« Le Saint-Esprit entrait dans l’ecclésiologie
après que l’édifice de l’Église eût été construit
avec le seul matériau christologique. »
(John Zizioulas, Christologie, pneumatologie
et institutions ecclésiales, 1981)
Dans la première citation, « que tu sois parti » est un subjonctif passé ; il faut
un passé antérieur : « que tu fus parti ».
Dans la seconde citation, « que l’édifice de l’Église eût été construit » est un
plus-que-parfait du subjonctif à la voix passive ; il faut un plus-que-parfait de
l’indicatif : « avait été construit », ou un passé antérieur : « eut été construit ».
Une irréductible lève la voix : « Mais ce n’est pas beau, cet indicatif ! Moi, je
préfère le subjectif et je continuerai d’utiliser le subjectif ! »
Dois-je lui expliquer que le subjonctif ‒ non le subjectif ‒ est le mode de
l’incertitude, de la subjectivité, du doute, de l’éventualité, et qu’il ne convient
donc pas pour une action déjà accomplie, car une proposition introduite par
« après que » exprime forcément une action passée ?
« Après que » ne peut donc pas s’accommoder d’un temps du subjonctif sauf
dans un monde incohérent à la Lewis Caroll pour lequel les temps de l’indicatif
seraient trop prosaïques.
Finalement, je ne lui expliquerai pas, ce serait une perte de temps !
Je ne lui expliquerai pas non plus que l’on peut toujours contourner
l’obstacle du mode et du temps en s’exprimant différemment, en ayant recours
à une tournure qui évite toute forme verbale conjuguée. Par exemple, plutôt
que « après que tu fus parti », on peut dire : « après ton départ » ; à la place de
« après que l’édifice de l’Église eût été construit », le journaliste pouvait
écrire : « après la construction de l’édifice… » ou, mieux : « une fois l’édifice de
l’Église construit », et le tour aurait été joué !
Le subjonctif est le mode du doute, du souhait, de l’incertitude. L’indicatif est le mode
du réel, de l’accompli.
« Après que » introduit une action forcément réalisée. Il appelle donc l’indicatif.
INFRACTUS
BARBARISMES
En 1990 fut réalisé un joli film intitulé La Fracture du myocarde. L’auteur,
Jacques Fansten, nous raconte l’histoire du jeune Martin qui n’a jamais connu
son père et dont la maman vient de mourir. De peur d’être envoyé à la DDASS,
Martin décide de cacher la mort de sa mère ; il est aidé en cela par ses copains
de classe.
De quoi la maman de Martin est-elle morte ? D’une « fracture du
myocarde ». C’est ainsi que le jeune garçon a compris le nom de cet accident
cardiaque qui se nomme précisément « infarctus ».
Ce nom, « infarctus », est une altération d’infartus, participe passé du verbe
latin infarcire, « remplir, farcir, bourrer » ; en effet, cet accident cardiaque
résulte d’une obturation des artères coronaires. « Infarctus » apparaît pour la
première fois en 1826 dans le Traité de l’auscultation médiate de René Marie
Hyacinthe Laennec.
Les trois consonnes successives « rct » rendent le mot difficile à prononcer
ou, du moins, il est perçu comme tel, car celui ou celle qui prétexte cette
difficulté est capable de dire sans peine que le parc Montsouris à Paris est un
parc très romantique, et dans « parc très », on a bien la succession « -rct- ».
Cette pseudo-difficulté phonétique et l’influence de mots comme
« fracture » ou « infraction » expliquent que bien des gens transforment
« infarctus » en infractus. On a là un bel exemple de métathèse, cette
interversion de phonèmes, si fréquente en français. C’est grâce à ou à cause
d’une métathèse que sont nés les mots « fromage » (formage), « moustique »
(mousquite), « réglisse » (licorice), « brebis » (berbix), etc.
Infractus se lexicalisera peut-être, c’est-à-dire qu’il sera peut-être
officiellement intégré à notre lexique avec la bénédiction des académiciens que
l’on nomme « immortels ». Pour l’heure, il n’a pas sa place dans le dictionnaire.
C’est un barbarisme que l’on doit rejeter.
« Infarctus » vient du latin infarcire, « bourrer, farcir ».
DEAL
ANGLICISMES
Le verbe anglais « to deal » a beaucoup de significations, tout comme le nom
qui lui est associé. Aux jeux de cartes, « to deal » signifie « distribuer » et le nom
« deal » désigne la « donne » ; celui qui donne, qui distribue, est donc le dealer.
C’est par référence à ce lexique des cartes, plus précisément celui du poker,
que le président américain Franklin D. Roosevelt a baptisé en 1932 son
programme politique destiné à lutter contre les conséquences économiques et
sociales de la Grande Dépression : the New Deal ; « la nouvelle donne », devint
alors une formule internationalement célèbre.
Dans les années 1980, le nom « deal » fait son entrée dans notre vocabulaire
en tant qu’anglicisme avec une autre de ses acceptions : « négociation »,
« transaction », « marché », « accord ». C’est avec la bénédiction des
banquiers, des patrons et des économistes que cet anglicisme a pu
durablement s’implanter dans le monde de la finance avant de se faire une
place également sûre dans le vocabulaire de tout un chacun.
Dernière évolution, toujours avec le sens de négociation, de trafic, mais
illicite cette fois, avec le vocabulaire de la drogue et ses anglicismes bien
connus :
‒ le verbe « dealer », revendre de la drogue (monstre lexical où une
désinence verbale française, celle de l’infinitif « -er », s’ajoute au radical anglais
deal) ;
‒ le nom deal, « marché », « trafic » ;
‒ et le nom dérivé : dealer (parfois francisé en « dealeur ») : « trafiquant »,
« revendeur ».
Aucun de ces anglicismes n’est indispensable puisque nous avons des
équivalents bien français. Alors, pourquoi ne pas décider de nous en passer
après les avoir déclarés ringards ?
Le New Deal de Franklin D. Roosevelt (1932) a assuré au mot une notoriété quasi
mondiale.
« Dealer, deal » (noms communs) et « dealer » (verbe) sont des anglicismes qui se
sont invités en français avec leurs multiples acceptions dans plusieurs domaines
(finance, trafic de drogue).
Décidons de les ignorer et utilisons leurs équivalents français.
118
La prononciation du français est régie par des règles. Certaines règles rendent
certaines liaisons facultatives. D’autres règles rendent d’autres liaisons obligatoires.
testez-vous !
1. Qu’est-ce qui a permis à Champollion de faire progresser
l’égyptologie ?
2. Qui a, le premier, utilisé le mot « infarctus » et en est peut-être le
créateur ?
3. Quel phénomène linguistique « menace » le mot « infarctus » ?
4. Pouvez-vous citer trois mots « victimes » de ce phénomène ?
5. Par quels mots peut-on remplacer l’anglicisme « deal » ? Citez-en
trois.
6. Quel mot français est susceptible de remplacer « dealeur » (dealer) ?
7. Plutôt que l’inepte formulation « C’est une tuerie ! », comment
exprimer votre contentement d’avoir apprécié un excellent mets, un
dessert notamment ?
8. Quel a été l’autre sens figuré du mot « tuerie » ?
9. Citez trois expressions figées où les liaisons sont obligatoires.
10. La phrase suivante est-elle correcte ? Si elle ne l’est pas, corrigez-la.
« Longtemps après que les poètes aient disparu, leurs chansons courent
encore dans les rues. »
120
AMOURS, DÉLICES
ET ORGUES
FÉMININ OU MASCULIN ?
Amours, délices et orgues est une comédie musicale d’André Berthomieu,
sortie en 1946. C’est aussi le titre d’un recueil de petites histoires
humoristiques d’Alphonse Allais publié en 1898. C’est enfin le titre d’un
spectacle musical de Pierre Lapointe présenté en 2017.
Pourquoi ces trois mots ont-ils été réunis pour constituer le titre de trois
œuvres différentes qui ont connu ou connaissent un réel succès populaire ?
« Amour », « délice » et « orgue » sont les trois seuls noms de la langue
française dont le genre diffère selon qu’ils sont au singulier ou au pluriel : de
masculins au singulier, ils deviennent féminins au pluriel :
Gilbert Bécaud a chanté
« Mon amour est mort mais il renaîtra plus riche
et plus fort »
Serge Gainsbourg a écrit et interprété La Chanson de Prévert où l’on
entend
« Jour après jour, les amours mortes n’en finissent plus de
mourir. »
Idem pour le mot « délice » :
« Cette tarte fine est un vrai délice. »
« Mais, tandis qu’un grand roi venge ainsi mes injures,
Vous qui goûtez ici des délices si pures,
S’il permet à son cœur un moment de repos,
À vos jeux innocents appelez ce héros. »
(Jean Racine, prologue d’Esther, 1689).
Même particularité pour le mot « orgue » :
« Entre ces deux pôles, un petit orgue (Roj Stevens)
appose une touche de solennité, une guitare mal
peignée (Tim Felton) taquine les nerfs. »
(Article de François Gorin publié dans Télérama
le 18 septembre 2017)
« Les accords des grandes orgues tonnèrent lorsqu’il
entama sa lente remontée de l’allée centrale. »
(Yves Viollier, Notre-Dame des Caraïbes :
Les Saisons de Vendée, Robert Laffont, 2011).
N.B. En réalité, la règle n’est pas aussi rigide. Il semble que le masculin au
singulier soit dicté par l’étymologie, l’étymon des trois mots étant masculin.
Pourtant, « amour » est parfois féminin, même au singulier. Le féminin au pluriel
s’explique par le caractère poétique des textes où l’on trouve ces trois mots.
Mais le pluriel du mot « orgue », le plus souvent dans l’expression « grandes
orgues », a surtout une valeur emphatique.
« Amour », « délice » et « orgue » sont masculins au singulier, mais féminins au
pluriel.
Il s’agit des trois seuls noms de la langue française qui présentent cette particularité.
En réalité, le genre des trois mots n’est pas vraiment fixé.
121
DES PRÉCÉDENTS
DANS LE PASSÉ
PLÉONASMES
« Il y a déjà eu des précédents dans le passé »
Lorsque notre ancien président de la République a fait cette déclaration à
propos de la crise financière de 2008, personne n’a semblé s’émouvoir.
Circulez, il n’y a rien à voir… ni à entendre ! Pourtant, cette petite phrase
contient un double pléonasme qui aurait dû sauter aux oreilles des nombreux
auditeurs présents.
« Déjà », « précédents » et « passé » sont les éléments d’une véritable
tautologie. On ne peut pas même invoquer la méconnaissance d’un de ces trois
mots pour excuser la faute, car notre président ne pouvait évidemment pas
ignorer leur signification.
Un « précédent » est un fait antérieur qui, par analogie, permet de
comprendre ou d’accepter un autre fait situé, lui, dans le présent. Qui dit
« antérieur » dit « qui précède dans le temps ». En l’occurrence, le président
faisait allusion à la crise de 1929 qui permettait de comprendre celle de 2008
et, par conséquent, d’agir en connaissance de cause… ou presque.
« Déjà » signifie « auparavant, dans le passé ». Cet adverbe est formé de
« dès » et de l’ancien français ja, faisant référence à un moment du passé, issu
du latin jam que l’on retrouve dans « jadis » et « jamais ».
En résumé, « Il y a déjà eu des précédents dans le passé » équivaut à « il y a
eu dans le passé des faits passés analogues dans le passé ». À moi, Malherbe !
À moi, Boileau ! L’amphigouri contamine jusqu’au sommet de l’État.
Avec « unanimement par tout le monde, » et « solidaires les uns des autres »,
ces « précédents dans le passé » confirment l’addiction aux pléonasmes de
notre ancien président.
Un « précédent » est un fait passé analogue à un fait présent et qui en éclaire les
caractéristiques.
AUCUN FRAIS
SOLÉCISMES
« Il n’y a donc déjà aucun frais,
à l’heure actuelle, en cas de possession seule
d’une quantité minime de marihuana. »
(Tribune de Genève, article publié le 29 septembre 2017)
« Aider les particuliers à vendre leur bien immobilier
sans aucun frais d’agence. »
(Le Figaro, article de Guillaume Errard publié
le 22 septembre 2017)
Faute ! « Aucuns » doit ici prendre un « s », ce qui peut en étonner… plus
d’un puisque, en l’occurrence, « aucun » signifie encore moins que l’unité qui,
elle, appelle le singulier. Comment expliquer ce qui semble bien tenir de
l’incohérence ? « Frais » est toujours au pluriel : lorsque l’on doit payer des
frais, même si la facture n’est pas très salée, ils ne peuvent se réduire à « un
frais », cela ne se dit pas ; on ne peut pas compter les frais par unités
successives : un frais, deux frais, trois frais, etc. Dans tous les cas, on parle de
« frais » au pluriel. Or, « aucun » étant un adjectif, il s’accorde avec le nom
auquel il se rapporte et prend donc ici la marque du pluriel.
Ce qui vaut pour « frais » vaut aussi pour tous les noms exclusivement
pluriels comme « obsèques », par exemple (cf. 99) dont l’étude nous a donné
l’occasion de proposer une liste des plus usuels de ces noms, mais attention ! il
faut absolument prendre en compte l’acception pour laquelle le nom ne peut
être que pluriel : le mot « victuaille » peut illustrer cette règle, car il existe une
acception, certes vieillie, où « victuaille » désigne UN aliment dont on fait
provision ; « victuailles » n’est exclusivement au pluriel que lorsqu’il est
question de denrées diverses ; « victuailles » est alors synonyme de « vivres »,
substantif masculin pluriel :
« N’ayant aucunes victuailles à bord de notre navire, et
espérant trouver de quoi nous restaurer, nous
débarquâmes de force vingt-sept ou trente de nos
hommes. »
(Propos du navigateur William Adams, rapportés et
traduits dans le livre Samourai William de Giles Milton,
Les Éditions Noir sur Blanc, 2014).
Dans « aucuns frais », « aucuns » se met au pluriel parce que « frais » est toujours
pluriel.
SOLUTIONNER
BARBARISMES
Le ministre de l’Agriculture déclare avoir déployé 300 équivalents temps plein
qui seront
« en première ligne avec les agriculteurs pour
répondre au téléphone [et] solutionner un certain
nombre de difficultés. »
(Ouest-France, le 28 septembre 2017)
Lors d’une réunion avec les parents d’élèves, une principale de collège affirme :
« Le dialogue permet de solutionner beaucoup
de choses. »
(LaDepeche.fr, le 27 septembre 2017)
Je lis ici et là que « solutionner » ne serait pas vraiment un barbarisme. Il a
été formé en ajoutant la désinence « -er » au nom « solution » après avoir
doublé le « n », comme « additionner » a été construit à partir d’« addition » et
« auditionner » à partir d’« audition ». Ce verbe du premier groupe s’est
progressivement installé en français à partir de la toute fin du XIXe siècle. Littré
nous dit : « Ce verbe nouveau est d’un assez mauvais style. » Il est désormais
devenu usuel dans le langage courant. Il évite ainsi d’affronter les difficultés de
conjugaison de son synonyme, « résoudre », verbe du 3e groupe qu’il remplace
de plus en plus souvent.
Soit, mais pourquoi ne pas admettre alors d’autres verbes qui seraient
formés avec la même « cohérence » et pour les mêmes raisons ?
Que dites-vous de ces propositions :
‒ absoudre → absolution → absolutionner,
‒ ou encore : dissoudre → dissolution → dissolutionner ?
Et puisqu’il s’agit d’éviter les verbes du 3e groupe en leur substituant des
verbes du 1er construits à partir de noms dérivés, soyons audacieux :
moudre → mouture → mouturer.
Il est, je crois, préférable de refermer la boîte de Pandore et d’y enfermer
« solutionner », définitivement. Par souci d’équité, on l’accompagnera
d’« émotionner » pour redonner vie à « émouvoir ».
Monsieur le ministre et Madame la principale devront donc revoir leur
discours, d’autant qu’ils n’auront pas à conjuguer « résoudre », mais juste à
employer son infinitif !
« Solutionner » a été formé sur le modèle d’« additionner » et « auditionner ».
Il remplace de plus en plus souvent le verbe « résoudre ».
Il s’agit d’une solution de facilité qu’il est préférable de ne pas adopter.
124
FAIRE SENS
ANGLICISMES
Il est des anglicismes qui semblent s’ignorer. Nous l’avons vu à propos
d’« alternative » (cf. 19), d’« initier » (cf. 47) et de « décade » (cf. 82), par
exemple. C’est aussi le cas pour « faire sens », locution qui fait aujourd’hui
florès. Cette expression, pensent ses partisans, fait classe, elle ne doit pas faire
peur, car, si l’on considère d’autres locutions bien françaises qui suivent la
formule « faire + nom », « faire sens » ne fait pas exception, elle nous fait même
plaisir alors, faisons face à ses détracteurs et faisons-lui bon accueil.
Tout cela est bel et bon, mais, l’ennui, c’est que « faire sens » n’est vraiment
pas français.
Nous avons, dans notre belle langue,
‒ « avoir du sens », « avoir un sens » :
« Se demander si la vie mérite d’être vécue revient
aujourd’hui à se demander si la vie peut avoir un sens »
(Jean Grondin, Du sens de la vie,
Les Éditions Fides, 2003) ;
‒ « donner un sens » ou « donner du sens » :
« Donner du sens, c’est associer, c’est lier, c’est marquer
des rapports. Donner du sens, c’est créer de l’ordre. »
(Daniel Mercier, L’Ordre et le sens in Multimédia et
construction des savoirs, Presses universitaires de
Franche-Comté, 2000).
On a encore « être sensé » mais, en aucun cas, « faire sens », qui est une
traduction littérale de l’anglais « to make sense ». L’expression a d’abord séduit
les parleurs médiatisés du monde économique, mais qui s’en étonnera ?
Ainsi, Carlos Ghosn, PDG de Renault Nissan, a déclaré le 15 septembre 2017
qu’il n’y avait pas de nécessité à modifier la structure de l’alliance
« aussi longtemps que cela fait sens ».
Monsieur le PDG pense-t-il que l’emploi de « faire sens » lui confère une
certaine valeur intellectuelle ? On peut se laisser prendre facilement aux
charmes de « faire sens », même quand, d’ordinaire, on s’exprime parfaitement
dans un style irréprochable et que l’on se fait un point d’honneur à respecter la
langue française :
« Rien n’interdit de faire sens avec beauté,
avec lyrisme. »
(Christiane Taubira, conférence donnée à l’Institut
du Monde arabe le 9 janvier 2017)
Alors, parce qu’il est une traduction littérale d’une expression anglaise, cet
anglicisme n’est pas moins illégitime que les autres, ceux qui résultent d’un
emprunt direct, mais tout aussi inutile. Tromper sa propre langue en se laissant
séduire par l’anglo-américain, voilà qui n’a aucun sens, voilà qui est insensé.
« Faire sens » est une traduction littérale de l’anglais « to make sense ».
Il s’agit donc d’un anglicisme à part entière.
C’est la traduction littérale de l’anglais « the cherry on the cake (ou on top) ».
On peut lui substituer l’expression française « pour couronner le tout », ou « en guise
de touche finale ».
126
Les fautes de liaison sont souvent liées à la méconnaissance des « h » aspirés.
Elles engendrent aussi l’abondance des hiatus.
Savoir lier les mots participe à l’art de l’éloquence.
TESTEZ-VOUS !
1. Corrigez, s’il y a lieu.
a) L’empereur Titus fut surnommé « L’amour et les délices du genre
humain ». Il s’agissait évidemment de délices romains et d’amours impériaux.
b) En entrant dans la cathédrale, il fut surpris par les accords puissants des
grandes orgues.
c) L’ancien propriétaire n’a entrepris aucun travaux dans son appartement.
d) Je viens d’avoir une idée géniale pour solutionner votre problème.
e) Elle est capable de s’émotionner grandement à la vue d’une simple goutte
de sang.
f) L’écriture inclusive fait-elle vraiment sens dans le contexte du féminisme ?
2. « Il y a déjà eu des précédents dans le passé ». Cette affirmation du
président Sarkozy constitue un double pléonasme. Pourquoi ?
3. Alors qu’elle se compose de deux mots français, l’expression « faire
sens » est un anglicisme. Pourquoi ?
4. Par quelles expressions bien françaises peut-on remplacer « faire
sens » ?
5. Que peut-on dire à la place de « cerise sur le gâteau » (deux
expressions) ?
6. Donner deux exemples où « aucuns » s’écrit avec un « s » final.
7. Par quel mot peut-on désigner l’art de bien faire un discours ?
127
VIVRES
FÉMININ OU MASCULIN ?
« Des vivres offertes aux victimes des inondations
à Ziguinchor. »
(Rewmi.com, titre d’un article publié le 15 sept. 2017)
« Ces rapatriés volontaires ont également
bénéficié de vivres offerts par le Programme
alimentaire mondial. »
(laminute.info, article publié le 14 septembre 2017)
Du journal d’un parti politique sénégalais (Rewmi) ou de celui du Cameroun
(laminuteinfo), lequel a raison : « des vivres offertes » ou « des vivres offerts » ?
Autrement dit, le nom « vivres » est-il féminin ou masculin ?
C’est le journal camerounais qui a raison : « vivres » est bien masculin pluriel.
Ce caractère masculin est rarement visible. Il ne peut apparaître que par le
biais des accords qu’il détermine, avec un adjectif ou un participe passé comme
« offerts » dans notre exemple.
« Vivres » n’est que très rarement utilisé au singulier ‒ même lorsque les
vivres viennent à manquer, ohé ! ohé ! ‒, ce qui ne facilite pas l’identification de
son genre grammatical. Il existe néanmoins une locution qui nous dit tout, mais
elle est un peu tombée en désuétude :
« Le vivre et le couvert ».
La Fontaine en fait usage dans Le Rat qui s’est retiré du monde :
« Il fit tant de pieds et de dents
Qu’en peu de jours il eut au fond de l’ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ? »
(Fables, VII, 3)
Cette locution est généralement mal interprétée. On croit que « couvert »
fait allusion à ce que l’on met sur la table pour chaque repas. Si tel était le cas,
l’expression serait redondante parce que reprenant deux fois la même idée,
celle de nourriture. Tel est bien en effet le sens de « vivre », mais tel n’est pas
le sens de « couvert » qui fait référence au logement, « couvert » étant « ce qui
couvre, ce qui protège, ce qui abrite », du participe passé de « couvrir ».
La locution « le vivre et le couvert » est parfois confondue avec « le gîte et
le couvert » où « couvert » revêt son sens habituel.
Pour en revenir au nom « vivres », notons que c’est un synonyme de
« victuailles », mais « victuailles » est employé au féminin pluriel alors que
« vivres », redisons-le, est un masculin pluriel.
« Vivre » au singulier est un équivalent de « nourriture ».
Le nom « vivre » est de genre masculin.
Il est le plus souvent utilisé au pluriel.
128
MOI,
PERSONNELLEMENT, JE…
PLÉONASMES
Quand, enfant ou adolescent, je commençais mes phrases par un simple « Je
veux… », ma grand-mère me reprenait illico pour m’inviter à plus de mesure et
de modestie en me lançant : « Le roi dit «nous voulons» ! » J’aurais pu lui faire
remarquer que cette première personne du pluriel à la place de la première du
singulier, loin d’être une marque d’humilité était, tout au contraire, la
manifestation de la majesté, de la grandeur, de la puissance souveraine qui
appelle la révérence. M’aurait-elle repris davantage si j’avais dit, « Moi,
personnellement, je veux… » ?
Cette formule redondante s’invite bien souvent dans les débats ; elle
permet d’attirer l’attention des participants sur celui qui prend la parole,
invitant ainsi à ce qu’on lui prête une oreille attentive. Elle relève donc de ce
que les linguistes appellent « fonction phatique du langage » : elle n’apporte
aucune information, mais permet simplement d’établir une communication.
Agiter une sonnette, frapper dans ses mains, siffler ou, action plus discrète, se
racler la gorge auraient la même utilité et aboutiraient au même résultat.
On ne peut donc pas parler de narcissisme, d’égocentrisme ni d’orgueil, sur
le plan psychologique et, sur le plan linguistique, si « Moi, personnellement,
je… » est bien un pléonasme, est-il vraiment répréhensible ?
Moi, pour ma part, personnellement et pour ce qui me concerne, je réponds
non. La fatuité sera davantage dans l’intonation du personnage qui soulignera
sa prise de parole de ce « Moi, personnellement, je… »
La formule « Moi, personnellement, je… » est une redondance.
LA PROPOSITION
QU’IL M’A FAIT
Solécismes
Répondant à Léa Salamé dans L’Émission politique sur France 2, le
28 septembre 2017, le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré :
« J’ai accepté la proposition qu’Emmanuel Macron
m’a fait une semaine après son élection présidentielle. »
Il est étonnant d’entendre une telle faute dans la bouche d’un personnage
occupant de si hautes fonctions et qui, par ailleurs, s’exprime avec une assez
bonne maîtrise du français. Ah, cette règle d’accord du participe passé employé
avec l’auxiliaire « avoir » ! Que d’encre et de salive elle aura fait couler ! Elle
nous a presque empêchés de dormir. Est-elle donc si complexe pour assombrir
à ce point nos souvenirs d’école ? Cas étrange : elle semble encore plus
compliquée quand elle s’applique au participe passé du verbe « faire ».
Dans On n’est pas couché du 13 juin 2015, Léa Salamé, parlant du président
Hollande, affirme :
« La grande réforme fiscale, il ne l’a pas fait ! »
Vincent Giret, journaliste au Monde, sur France Info, le 3 février 2016, nous
parle des
« timides promesses que le gouvernement a fait à Bruxelles », etc.
Soyons laconique.
La règle : Tout participe passé employé avec l’auxiliaire « avoir » s’accorde
obligatoirement avec le complément d’objet direct quand celui-ci est placé
avant ledit auxiliaire.
Cas « Édouard Philippe » :
‒ Le complément d’objet direct est le pronom relatif « qu’ » mis pour « la
proposition » ; ce COD, « qu’ », est bien placé avant « a », donc le participe
passé de « faire » s’accorde. « Proposition » est un nom féminin, donc le
participe passé devient « faite ».
« J’ai accepté la proposition qu’Emmanuel Macron
m’a faite »
Cas « Léa Salamé » :
‒ Le complément d’objet direct est « La grande réforme fiscale », placé
avant l’auxiliaire « a » : le participe passé s’accorde. « Réforme » est féminin
donc « faire » devient « faite »
« La grande réforme fiscale, il ne l’a pas faite ! »
Cas « Vincent Giret » :
‒ Le même processus aurait amené le journaliste à parler des
« timides promesses que le gouvernement
a faites à Bruxelles ».
Arrive un moment où la règle se métamorphose en réflexe et les phrases
deviennent harmonieuses, car l’harmonie est bien l’art de former et d’enchaîner
les accords. Qui a dit que la grammaire était une chanson douce ?
Le participe passé employé avec « avoir » s’accorde avec le COD si celui-ci est placé
avant l’auxiliaire.
Cette règle est si simple que vous l’avez spontanément comprise.
Faites que vos phrases soient harmonieuses.
130
SENSÉ CENSÉ
BARBARISMES
« L’engin est conçu pour être lancé à l’aide
d’une fusée puis, à l’issue de sa mission, est sensé
effectuer une rentrée atmosphérique et se poser. »
(Sciences et avenir, article d’Erwan Lecomte,
publié le 4 septembre 2017)
« Offrir son corps en repas est un choix
censé qui suit l’évolution de l’espèce. »
(Dailygeekshow.com, article ‒ sur les araignées ‒
publié le 23 septembre 2017)
Intervertissons les deux participes passés soulignés et le tour est joué !
Que signifie « être sensé » ? Avoir du « sens », voire du « bon sens ».
L’orthographe explique la parenté entre « sens » et « sensé ».
Pour « censé », la sémantique est un peu plus complexe. Le latin censere,
d’où « censé » est issu, veut dire « juger, estimer ». Dans l’Antiquité romaine, un
« censeur » (censor) était d’abord un juge chargé d’établir le « cens », c’est-à-
dire le nombre de citoyens romains afin d’estimer leurs richesses pour
déterminer le montant de leurs impôts. On retrouve aussi la racine cens- dans
les mots « censure » et « recensement ». « Cens » a évolué vers l’idée de
« redevance » et « censeur » vers celle de « juge des mœurs et des opinions » et
de « contrôleur des écrits et des œuvres de l’esprit ». Dans un lycée, le
« censeur » avait pour rôle de surveiller les études et d’assurer la discipline.
Revenons à « censé » : il s’agit du participe passé d’un verbe qui n’existe plus
et qui signifiait « juger, censurer ». On peut remplacer « censé » par « réputé »,
« supposé », « présumé », sans changer le sens de la phrase comme dans :
« Nul n’est censé ignorer la loi. »
Observons que « censé » est suivi d’un infinitif, ce qui peut être un moyen de
le distinguer de « sensé ».
Voilà quelques éléments qui vous permettront de ne plus vous méprendre.
Vous êtes donc censé être suffisamment sensé pour ne plus confondre
« sensé » et « censé ».
« Sensé » signifie « qui a du sens ».
« Censé » est le participe passé d’un verbe disparu, censer, « censurer », issu du latin
censere, « estimer, juger ».
« Censé » est suivi d’un infinitif.
131
TURNOVER
ANGLICISMES
« Si vous avez des salariés qui sont pas motivés,
pas engagés, malheureux avec beaucoup de turnover,
on voit qu’y a beaucoup de turnover. »
(Muriel Pénicaud, ministre du Travail,
Cash investigation, le 27 septembre 2017)
Madame le ministre du Travail n’est-elle pas tenue, en tant que ministre de
la République, de ne pas employer d’anglicismes inutiles ? Ne doit-elle pas
respecter l’article 2 de la Constitution qui stipule : « La langue de la
République est le français » ?
Les mondes de l’économie, de la politique et du sport raffolent de cet
emprunt au vocabulaire d’outre-Manche. Il est vrai que dans ces trois milieux, la
pratique est habituelle qui consiste, à renouveler le personnel en contrat
précaire plus souvent que de raison, à remanier le gouvernement en faisant
entrer quelques têtes nouvelles ou à recruter à prix d’or des footballeurs
renommés qui donneront dans le ballon quelques coups de pied victorieux
pour satisfaire les supporteurs. L’anglicisme « turnover » est aussi en usage dans
le secteur commercial pour qualifier le réapprovisionnement plus ou moins
fréquent des stocks de marchandises.
Snobisme, panurgisme, inconscience, bêtise ? Les quatre à la fois ?
Comment justifier autrement ces atteintes répétées à notre propre langue ?
Ces causeurs radiophoniques et télévisuels se rendent-ils compte qu’en
parlant de la sorte ils se font les fossoyeurs du français, car, à force de
« turnover » et de tous les autres emprunts lexicophages passés et à venir
(notre liste ne contient aucun anglicisme légitime !), ce sont de grands pans de
notre lexique qui sont jetés dans les oubliettes de la langue à une vitesse jamais
atteinte par le passé ? En fonction des contextes, ce seul « turnover » met
progressivement au rancart « roulement », « rotation », « renouvellement »,
« taux de renouvellement », « réapprovisionnement », « réassortiment »,
« réassort », etc.
Ne soyez donc de cette confrérie*, mais priez le dieu Logos, non pour qu’il
absolve les anglomanes, mais pour qu’il les contraigne à employer le mot juste
parmi tous ceux qu’il propose dans notre bel idiome.
L’anglicisme « turnover » est de plus en plus utilisé dans les milieux de l’économie,
de la politique et du sport.
Aucune raison valable ne peut justifier ce recours à l’anglais.
QUE DU BONHEUR !
TOURNURES EXASPÉRANTES
Plusieurs œuvres ont pour titre Que du bonheur ! : une série télévisée, deux
collections de bandes dessinées, au moins cinq romans, etc. C’est dire le
succès rencontré par cette formule exclamative. C’est le type même
d’expression qui fut originale et drôle quand elle est apparue, si originale, si
drôle que chacun se l’appropria, la resservant en de multiples occasions, au
sens propre quand elle est un jugement porté sur une situation, une
occurrence, un événement, bref, un état de fait vraiment heureux ou, au
contraire et par ironie, une circonstance désagréable.
Évidemment, dans la plupart des cas, l’expression est exagérée. Les
philosophes, les psychologues, les médecins, les théologiens ont tenté de
définir le bonheur. Pour les uns, il s’agit de ne le confondre ni avec le plaisir, ni
avec la joie ; pour les autres, il suppose la méditation et réside dans la
réalisation de soi ; pour les troisièmes, il résulte de la production d’endorphine
par le cerveau ; pour les derniers, il n’est pas de ce monde. Dans tous les cas,
on sait ce qu’il n’est pas, on sait ce qui le fait être, mais on ne sait pas ce qu’il
est. On subodore qu’il se nourrit d’absolu, d’idéal et d’inaccessible. Bref, on en
parle sans le connaître, il est un peu l’Arlésienne de nos vies. Alors, résignés, on
le pluralise, on le rapetisse pour obtenir des petits bonheurs, de ceux que l’on
rencontre en cheminant et qui ressemblent fort à des petits plaisirs.
L’expression « Que du bonheur ! » n’est donc pas très heureuse puisque,
finalement, elle n’est jamais vraiment adaptée aux situations. « Que du
bonheur » ? Non. « Que du plaisir » ? Peut-être. « Que de la joie » ? Oui ! Elle
est cette sensation de plénitude, conséquence du plaisir que l’on vient de
connaître, plaisir souvent composé de petits bonheurs.
Tout cela n’est pas si confus qu’il y paraît. Monsieur Dupont vient de lire un
bon roman. Page après page, il a savouré plusieurs petits plaisirs : le style de
l’auteur lui a plu, l’intrigue, bien ficelée, l’a enchanté, il a apprécié la vérité des
personnages, il a donc éprouvé du plaisir à lire ce roman, tant et si bien qu’il
repose le livre avec le sentiment d’un bien-être total. Il peut exprimer cela en
disant « Quel plaisir ! » ou « Quelle joie ! » ou encore « Que du plaisir ! », voire
« Que des petits bonheurs ! », mais pas « Que DU bonheur ! ».
Alors, abandonnons cette expression, elle est inappropriée parce
qu’exagérée.
À défaut de savoir ce qu’il est, on sait que le bonheur se situe dans un absolu éloigné
des situations banales de notre vie quotidienne.
L’expression « Que du bonheur ! » est non seulement devenue rengaine, mais elle est
en plus toujours inappropriée.
« Quel plaisir ! » ou « Que du plaisir ! » semblent plus justes.
133
ENZYME
FÉMININ OU MASCULIN ?
« Pas besoin de la crise pour constater l’évolution
de l’enzyme glouton. »
(Le Figaro, commentaire d’un lecteur sur un article
publié le 4 janvier 2015)
« Les biologistes ont injecté dans le génome
du moustique Anopheles gambiae […]
une enzyme gloutonne. »
(Article sur le paludisme publié dans Le Devoir
le 5 octobre 2017)
« Enzyme gloutonne » ou « enzyme glouton » ? Qui a raison, le lecteur du
Figaro ou le journaliste du Devoir, quotidien québécois ?
Qui s’en souvient encore ? En 1969, la multinationale Unilever lance une
nouvelle lessive, Ala,
« le détergent glouton, toujours affamé de taches. Il dévore toutes les taches,
même les plus coriaces car il contient des multi-enzymes ; ils ont un appétit
terrible pour les taches de thé, de café, de chocolat, de vin, d’œuf, d’aliments
pour bébé, d’herbe, de sauce, de fruit, de sang mais ils respectent les tissus et
les couleurs. »
Ces enzymes sont représentés par des petits ronds gratifiés d’une énorme
bouche, façon Shadoks (créés l’année précédente) et, dans ce film publicitaire
comme sur les affiches et les prospectus de l’époque (on ne parlait pas encore
de flyers !), ils sont bien masculins. D’autres marques de lessive (Skip, Super
Croix) adoptèrent cet argument publicitaire en même temps que la masculinité
des « enzymes ».
D’un point de vue biochimique, les enzymes sont des substances
protéiniques qui, lors de réactions chimiques, peuvent avoir un rôle de
catalyseur, en particulier dans notre organisme.
Les dictionnaires (Robert, Larousse, TLF) attribuent au nom « enzyme » les
deux genres. Toutefois, notre vénérable Académie française penche plutôt
pour le féminin.
L’étymon est le grec en, préfixe, et zumê, « levain », que l’on retrouve dans
azyme, « sans levain ».
« Enzyme » fut popularisé en France par plusieurs marques de lessive.
PERMETTRE DE POUVOIR
PLÉONASMES
Ces deux verbes sont de plus en plus souvent inséparables chez ceux qui
s’expriment sur les ondes ou par leur plume.
Illustrations par l’exemple :
« Cela va permettre aux petits commerces
et restaurants de notre commune de pouvoir
diversifier leurs offres. »
(Communiqué publié dans Zinfos 974 le 4 octobre 2017)
« Aujourd’hui, il permet […] aux travailleurs
de pouvoir facilement se déplacer. »
(Article de Giovanni Vale, publié le 30 août 2017
dans Touteleurope.eu)
« […] permettre à tout congolais de pouvoir participer
à la gestion […] de notre pays »
(Article publié dans Actualite.CD le 5 octobre 2017)
« On ne devrait pas permettre de pouvoir avoir des
plants de pot dans les maisons. »
(Article de MartIn Croteau, paru dans La Presse CA
le 19 septembre 2017)
Question : dans les extraits ci-dessus, peut-on supprimer, l’infinitif
« pouvoir » sans pour autant modifier le sens ?
La réponse est oui.
‒ « permettre de diversifier » ;
‒ « permet de facilement se déplacer » ;
‒ « permettre de participer » ;
‒ « permettre d’avoir ».
Dans tous les cas, « pouvoir » après « permettre de » n’apporte aucune
information. Il ne fait que créer une redondance, donc une lourdeur de la
phrase.
C’est une bonne hygiène syntaxique que de supprimer ce qui n’apporte
aucune information supplémentaire dans la phrase. C’est la condition d’un style
clair et léger.
Dans la formule « permettre de pouvoir », « pouvoir » n’apporte généralement pas
d’information.
On peut dès lors s’en passer.
J’irais # J’irai
SOLÉCISMES
«J’irais voter le jour où il y aura un référendum légal. »
(ladepeche.fr, propos d’une Catalane rapporté dans un
article publié par Henri de Laguérie le 5 octobre 2017)
« Cependant, j’irais aujourd’hui, de manière critique,
à la manifestation de la CGT, de la CNT et d’autres collectifs. »
(Le Club de Médiapart, article de Thomas Ibanez,
publié le 3 octobre 2017)
« En fonction de l’évolution du gouvernement,
je prendrais ma décision. »
(Propos d’un député transcrits par Marc Louison
dans Actu.fr le 4 octobre 2017)
« Quand je serais grande… je le tuerai. »
(Titre d’une fiction sur TF1, article publié sur tf1.fr
par Élodie Leroy le 20 septembre 2017)
Précisons d’abord que, dans les exemples ci-dessus, la confusion est
imputable au journaliste, non à la personne dont le journaliste rapporte les
propos.
De quelle confusion est-il question ? De celle que l’on fait bien (trop)
souvent ente la 1re personne du singulier du futur simple de l’indicatif et la
1re personne du singulier du conditionnel présent. En des termes plus simples,
on termine le verbe par « -ais » au lieu de « -ai ».
Dans les quatre exemples ci-dessus, il est bien question d’un futur simple de
l’indicatif, non d’un conditionnel, le (la) journaliste aurait dû écrire : « j’irai », « je
prendrai », « je serai », sans « s » à la fin. Dans le cas d’un conditionnel, ce « s »
final serait le bienvenu.
Comment distinguer le futur du conditionnel ?
On peut avoir, dans la phrase, des éléments qui indiquent que l’action ou
l’état se situe dans l’avenir. Un conditionnel suppose une proposition
subordonnée hypothétique commençant par « si ». Cette subordonnée peut
n’être que sous-entendue. Dans cette proposition, le verbe est à l’imparfait,
c’est le verbe de la principale qui se met au conditionnel.
Ex. 1 : « Si un référendum était organisé, j’irais voter » ;
Ex. 2 : « Si j’étais d’accord avec leurs revendications, j’irais à la
manifestation » ;
Ex. 3 : « Si le gouvernement évoluait dans le bon sens, je prendrais ma
décision » ;
Ex. 4 : « Si j’étais grande, je le tuerais ».
ASTUCE : Si l’on remplace la 1re personne du singulier par la 1re du pluriel, la
terminaison du conditionnel est « -ions », alors que celle du futur est
simplement « -ons ».
« -ais » est la désinence du conditionnel (1re pers. du sing. du cond. présent) ; « -ai »
est celle du futur.
Le contexte indique le temps et le mode du verbe de la principale.
Le conditionnel suppose une subordonnée hypothétique commençant par « si ».
137
BALLADE BALADE
BARBARISMES
Brassens l’a chantée ; elle est au centre d’un recueil intitulé Le Testament :
« Dites moy où, n’en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, né Thaïs
Qui fut sa cousine germaine
………………………………………………
Mais où sont les neiges d’antan ? »
Dans Les Femmes savantes de Molière, Trissotin dit d’elle, qu’à son goût
« […] c’est une chose fade
Ce n’en est plus la mode elle sent son vieux temps »
Pourtant,
« C’était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i. »
Celle-là est romantique, d’Alfred de Musset ; c’est une apostrophe à la
Lune.
Gilbert Bécaud la met à l’honneur en même temps que le personnage
d’Arlequin.
Que suis-je ?
Je suis la « ballade », ce poème médiéval de forme régulière se terminant
par un envoi ‒ modèle qui sera régulièrement repris au cours des siècles ‒ ou
cet autre poème romantique de forme plus libre, ou enfin cette chanson
populaire, parfois dansée, fort en vogue dans l’Angleterre du XIXe siècle et
souvent dansée. Dansée ? C’est aussi ce que nous dit l’étymologie, le latin
ballare, « danser », via l’occitan ballada, de ballar, « danser » qui nous a aussi
donné le « ballet ».
En exemple 1, on reconnaît le début de la Ballade des dames du temps
jadis de François Villon (XVe siècle). L’exemple 3 nous propose la première
strophe de la Ballade à la lune de Musset (XIXe). L’exemple 4 fait référence à la
jolie chanson La Ballade des baladins de Bécaud, titre qui nous amène
opportunément à l’autre « balade », car si certains danseurs et danseuses se
déplacent avec tant de grâce et de légèreté qu’ils semblent avoir deux ailes
(deux « l »), ces deux « l » ne sont pas nécessaires pour se « balader », donc
pour faire une « balade ». Mot familier synonyme de « promenade », cette
« balade » a la même étymologie que l’autre « ballade ».
Une « ballade » avec deux « l » est une chanson à danser, un poème médiéval ou
romantique.
Avec un seul « l », une « balade » est une « promenade ».
DÉFINITIVEMENT
ANGLICISMES
« Ce joueur qui est définitivement
sous le charme de Bielsa »
(Buzzsport.fr, titre d’un article paru le 6 octobre 2017)
« Le Front national : un parti définitivement
incapable de gouverner »
(Courrier international, titre d’un article publié
le 22 septembre 2017)
Soyons clair d’emblée : ce n’est pas le mot « définitivement » en lui-même
qui est accusé d’être un anglicisme, mais le sens dans lequel certains
l’emploient. Cet adverbe, formé sur l’adjectif « définitif », fait partie de notre
vocabulaire depuis le XVIe siècle, mais avec un sens bien précis : « de façon
définitive ». Si Mélanie vous dit que son petit ami Gontran l’a « définitivement »
quittée, cela signifie que Gontran est parti irrémédiablement, pour toujours,
qu’il ne reviendra pas. Or, ce n’est pas là le sens de « définitivement » dans les
deux citations données en exemple, l’adverbe y est synonyme de
« clairement », « sans aucun doute possible », « absolument », signification de
l’anglais « definitely ». Nuance ! La notion d’irrévocabilité du « définitivement »
français ne se retrouve pas dans le « definitely » anglais. On peut aussi dire que
l’idée de certitude absolue que revêt l’anglais « definitely » n’est pas présente
dans notre « définitivement » ou alors, si tel est le cas, « définitivement »
devient un anglicisme.
Des cas similaires ont déjà été étudiés : « alternative » (cf. 19), « impacter »
(cf. 33), « initier » (cf. 47), « décade » (cf. 82) et « juste » (cf. 173).
Cette anglicisation de notre langue française est particulièrement sournoise,
beaucoup plus insidieuse que l’emprunt direct d’un mot, car elle avance
« masquée ».
« Définitivement » signifie « de façon définitive », « irrémédiablement », « pour
toujours ».
L’anglais « definitely » a le sens de « clairement », « sans aucun doute possible ».
ÇA A ÉTÉ ?
TOURNURES EXASPÉRANTES
Ça y est, il vient vers nous, il n’a plus rien à nous apporter si ce n’est la
douloureuse, nous allons donc y avoir droit, je le sens, j’en mettrais ma main à
couper…
« Ça a été ? »
Et voilà ! C’était inéluctable ! Ça nous pendait au nez comme un sifflet de
deux sous ! aurait dit ma grand-mère. Un froid est jeté autour de la table. Les
autres convives, qui me connaissent bien, redoutent l’esclandre.
Il n’y aura pas d’esclandre. Ça ne mène à rien, hormis faire que tout le
monde soit mal à l’aise. J’opte pour une réponse didactique et sereine.
« Nous venons d’apprécier un excellent repas. Votre service fut impeccable,
digne du haut rang auquel cette table s’est hissée. La carte est d’une grande
richesse, notamment la carte des vins dont le choix est remarquable. Nous
aurions donc aimé que vous vous enquissiez de notre satisfaction en des
termes plus nobles que “Ça a été ?” »
Le garçon est confus. Le rouge pivoine vient à ses joues. Il tente de se
rattraper et nous lance en rafale, soudain ragaillardi :
« Cela vous a-t-il plu ? Êtes-vous satisfaits ? Le repas était-il à votre
convenance ? »
Fichtre ! Je savais bien qu’un établissement aussi coté que La Belle
Amphitryonne ne pouvait qu’exiger de son personnel une belle maîtrise du
français.
« Bravo, jeune homme ! Vous pouvez donc éliminer “Ça a été ?” de votre
vocabulaire, il n’est digne que d’une gargote. »
Moralité : Ne nous contentons pas d’un lexique indigent et cherchons à
exprimer une même idée de diverses manières, c’est un exercice toujours
enrichissant.
« Pour demander à son invité s’il est satisfait, « Ça a été ? » est une tournure bien
pauvre.
Elle nous est pourtant servie dans les restaurants, même les mieux cotés.
De telles « originalités » n’ont rien à voir avec les changements qui sont censés faire
vivre et « évoluer » le langage.
TESTEZ-VOUS !
1. Dans une publicité de 1969, l’enzyme était-il glouton ou était-elle
gloutonne ?
2. « Enzyme » est formé sur le grec zumê. Que signifie zumê ?
3. Par quoi les ballades médiévales doivent-elles se terminer pour
prétendre justement à l’appellation de « ballade » ?
4. Quelle astuce mnémotechnique permet de distinguer la « ballade » de
la « balade » ?
5. Plutôt que le vulgaire « ça a été ? », quelles formules un serveur stylé
peut-il employer pour demander aux clients s’ils sont satisfaits ?
6. Dans quels cas l’adverbe « définitivement » peut-il être considéré
comme un anglicisme ?
7. Citez quatre autres mots bien français dont certains emplois sont des
calques de l’anglais ?
8. Comment peut-on distinguer le futur simple du conditionnel présent
dans le cas d’une première personne du singulier comme, par exemple,
« j’irais » et « j’irai » ?
9. Corrigez, s’il y a lieu.
a) Le cycliste Lance Armstrong est définitivement coupable de s’être dopé à
maintes reprises.
b) Si le temps le permet, j’irais faire une petite balade.
c) S’il ne pleuvait pas, j’irai volontiers me promener.
d) Le vélo électrique permet de pouvoir grimper les côtes sans trop
d’effort.
141
ANAGRAMME
FÉMININ OU MASCULIN ?
À la niche, le chien !
Le monde est-il l’œuvre du démon ?
Peut-on deviner son devenir ?
Il suffit parfois d’un veto pour annuler un vote.
Marie était née pour aimer.
Dans chacune de ces phrases, les mots en gras sont des anagrammes :
chacun d’eux est obtenu par la transposition des lettres de l’autre mot en
caractères gras. Parce qu’un mot peut en cacher un autre dont le sens lui est
parfois secrètement et énigmatiquement lié, l’art de l’anagramme est l’un des
éléments de la poésie et de l’ésotérisme, car il permet de révéler, à partir d’un
simple mot, une multitude de significations cryptées.
Le cinquième de nos exemples nous évoque ces vers de Ronsard extraits
des Amours de Marie :
« Marie, qui voudroit vostre beau nom tourner
Il trouveroit aimer : aimez-moi donc, Marie
Vostre nom de nature à l’amour vous convie,
A qui trahist Nature il ne faut pardonner »
Exploitant ce caractère ésotérique de l’anagramme, le philosophe Étienne
Klein et le pianiste compositeur Jacques Perry-Salkow ont publié en 2011 un
livre dont le sous-titre est Le Sens caché du monde… mais quel est le titre :
a) Anagrammes renversantes
ou
b) Anagrammes renversants ?
Réponse a) Anagrammes renversantes. « Anagramme » est bien du genre
féminin, comme le petit poème qu’on appelle « épigramme » et contrairement à
« gramme », « monogramme », « télégramme », « programme », « pictogramme »,
« organigramme », « idéogramme », « hologramme » et autres mots finissant par
« -gramme » (88 en tout).
Évidemment, le mot « anagramme » ne s’immisce que très rarement dans les
conversations quotidiennes, mais ce qu’il signifie peut donner lieu à des
devinettes distrayantes telles que les logogriphes : trouver plusieurs mots
composés des mêmes lettres.
Le mot « anagramme » est du genre féminin : UNE anagramme.
Sur les 88 mots composés avec « -gramme », le genre féminin d’« anagramme » est une
exception, avec « épigramme ».
De par le lien « secret » qui relie le mot original au mot transposé, l’anagramme est
l’un des fondements de la poésie et de l’ésotérisme.
142
SI J’AURAIS SU…
SOLÉCISMES
Ceux qui ont vu le joli film d’Yves Robert d’après le livre de Louis Pergaud,
La Guerre des boutons, n’ont pas oublié l’irrésistible réflexion que Petit Gibus
prononce après chacune de ses déconvenues :
« Ben mon vieux, si j’aurais su, j’aurais pas v’nu ! »
Cette phrase ‒ qui n’est d’ailleurs pas dans le livre ‒ est l’un des éléments
auxquels le film, sorti en 1962, doit sa popularité. Elle est drôle parce qu’on lui
associe la frimousse dépitée du gamin joué par Martin Lartigue ; elle est drôle
aussi parce qu’elle est récurrente (comique de répétition) ; elle est drôle enfin
parce qu’elle contient deux énormes fautes de conjugaison, fréquentes chez les
enfants et chez les personnes qui n’ont pas eu la chance de recevoir une
véritable instruction. Pour ces gens-là, le bon sens l’emporte sur les froides
règles de grammaire, règles qui déterminent, entre autres, la concordance des
temps.
Il est ici question du mode conditionnel dont l’emploi définit un schéma
associant une proposition principale à une proposition subordonnée
hypothétique généralement introduite par la conjonction « si ». Puisque cette
subordonnée est hypothétique, puisqu’elle exprime une condition, on se dit
qu’elle doit contenir le conditionnel (en l’occurrence, passé première forme).
Logique ! « Si j’aurais su » est donc cohérent… mais faux ! La subordonnée
hypothétique doit ici contenir le plus-que-parfait de l’indicatif : « Si j’avais su ».
Illogique, mais juste !
La deuxième faute de conjugaison concerne la proposition principale. Le
verbe y est bien mis au conditionnel, mais dans ses formes composées, « venir »
doit utiliser l’auxiliaire « être ». On devrait donc entendre : « je ne serais pas
venu », plutôt que « j’aurais pas v’nu ».
La phrase corrigée est la suivante :
« Eh bien mon vieux, si j’avais su, je ne serais pas venu ! »
Parce que correcte, cette phrase n’aurait pas sa place dans un tel contexte ;
elle serait même considérée comme trop littéraire, d’un style trop soutenu
pour rapporter les malheurs de Petit Gibus. Parlons-en, justement, du style
littéraire et soutenu ! poussé à l’extrême, il aboutit à cette phrase :
« L’aurais-je su (que) je ne serais pas venu ! »
Cette fois, nous avons bien le conditionnel passé première forme dans la
subordonnée hypothétique. L’inversion du verbe et du sujet et l’emploi du
conditionnel équivaut à l’hypothétique introduite par « si ». Autrement dit : la
phrase hautement incorrecte utilisant le conditionnel est comparable à la
phrase plus que correcte utilisant le même conditionnel. Étonnant, non ?
« Si j’aurais su… » est une faute fréquente chez les enfants et les personnes parlant
un français approximatif.
Dans la subordonnée hypothétique il faut utiliser le mode indicatif.
MATURE
BARBARISMES
L’adjectif connaît un emploi fréquent dans le domaine de la cosmétique
pour désigner une peau qui n’est plus très lisse ni très éclatante et qui a besoin
de crèmes, d’huiles, d’onguents, de baumes, de maquillages spécifiques (à base
de produits en « -ique » dont on n’a jamais entendu parler) pour paraître plus
jeune, mais attention, une peau « mature », ce n’est pas tout à fait la même
chose qu’une « vieille peau ».
« Comment donner de l’éclat à une peau mature ? »
(Version Femina, 19 septembre 2017)
Le sport est un autre jardin où fleurit l’adjectif « mature ». Qu’y qualifie-t-il ?
Un joueur de football qui se débrouille plutôt bien pour son âge (Voyez
comme il est grand, ce petit !), une équipe dotée d’une longue expérience, à
moins que la jeunesse ne soit compensée par un meilleur sens des
responsabilités (Allez le FC Metz !)
« À Nantes, nous devrons être plus malins
et plus matures. »
(Luxemburger Wort, 29 septembre 2017)
Peuvent aussi être « mature(s) » (dans le désordre) :
Un secteur industriel, le marché de la téléphonie, une course à pied
québécoise, un festival de cinéma africain, des textes de chansons, bref, un peu
tout et n’importe quoi. Remplaçons, selon les exemples, « mature » par
« expérimenté », « adulte », « développé », « ancien », « vieux » (avec
parcimonie), « qui a de la bouteille », où simplement « mûr » (dont il est un
doublon) et nous pourrons éviter ce mot suspect. Le Robert soupçonne un
anglicisme masqué et ne reconnaît son authenticité que lorsqu’il s’applique à un
« poisson prêt à frayer » ; le TLF ne le connaît pas et Larousse lui attribue une
acception spécifique : « qui est arrivé à une certaine maturité psychologique ».
En fin de compte, il semble, d’une part, que « mature » soit un euphémisme
pour « vieux » et que, d’autre part, pour la gent Marie-Chantal, il permette
d’éviter « mûr », beaucoup trop français : « Pensez donc, mon Charles-Hubert,
très avancé pour son âge, n’est tout de même pas une poire ! »
Comprenons simplement que le latin maturus a donné le français « mûr »
après nombre de métamorphoses phonético-graphiques, mais qu’il a donné
l’anglais mature, à l’issue d’une évolution beaucoup moins complexe.
De la même famille, « immature » et « prématuré » sont plus franchement de
notre côté de la Manche.
« Mature » est un adjectif souvent utilisé bien que considéré comme un anglicisme.
C’est un euphémisme qui permet d’éviter « mûr », « vieux » et autres qualificatifs
dépréciatifs dans certains contextes.
Comme l’adjectif « mûr(e) », il vient du latin maturus, mais a connu une évolution
moins complexe.
145
ÊTRE EN CHARGE DE
ANGLICISMES
« Il a été élu avec 62 % des suffrages face à Arielle
Piazza, adjointe en charge des sports de Bordeaux.
Une première dans le monde feutré des élus en charge
du sport. À noter qu’Alexandre Berman, adjoint
en charge du sport à la mairie de Tarascon fait
son entrée au comité directeur. »
(Ladepeche.fr, article publié le 6 octobre 2017
par Arnaud Paul)
« Un groupe de travail en charge de simplifier
les règles dans l’éolien »
(Titre d’un article publié le 6 octobre 2017
dans batiactu.com)
Pour les gouvernements et les conseils régionaux, départementaux et
municipaux, l’expression « (être) en charge de » est bien tentante. Elle permet
de préciser la spécialité dans laquelle l’heureux élu devra exercer, ses talents,
peut-être, sa responsabilité, sûrement. Pour les premiers, qui à l’Intérieur, qui à
la Défense, qui à l’Éducation nationale, etc., pour les derniers, qui à la Voirie,
qui aux Associations, qui à la Culture, etc., mais, s’il vous plaît, Monsieur le
journaliste de La Dépêche, SVP Messieurs les porte-parole, SVP Messieurs du
service communication, pas « en charge de » qui est la traduction littérale de
l’anglais « in charge of » mais « chargé de » ou « qui a la charge de », expressions
françaises parfaitement convenables et, qui plus est, idiomatiques.
De telles différences correspondent à la syntaxe spécifique de chaque
langue ; ne pas en tenir compte et interchanger les formules, c’est ne pas
respecter l’esprit de chacun des deux idiomes.
D’autres calques syntaxiques trahissent cette anglicisation sournoise de
notre langue, comme une maladie qui défigure et corrompt le corps de
l’intérieur ; ainsi l’emploi de « faire sens » plutôt que d’« avoir du sens » (cf. 124),
de « définitivement » signifiant « absolument, sans le moindre doute » et non
« de manière définitive » (cf. 138), de « décade » avec le sens de « décennie »
(cf. 82), d’« alternative » substitué à « solution de remplacement » (cf. 19), de
« juste », là où le Français dirait « tout simplement » (cf. 173), etc.
Veillons au grain !
« Être en charge de » est un anglicisme que l’on emploie à la place de « avoir la
charge de » ou « être chargé de ».
« Être en charge nbbv bbvcn bde » ne correspond pas à la syntaxe idiomatique du
français.
De tels exemples trahissent une anglicisation sournoise de notre langue.
146
« Mille » étant invariable, il ne prend jamais de « s » final.
« Mille » prend le « s » du pluriel quand il s’agit de la mesure de longueur.
Existe aussi le village des « Milles » qui dépend administrativement d’Aix-en-
Provence.
TESTEZ-VOUS !
1. Quel est l’autre mot qui, avec « anagramme » et par rapport aux
autres composés de « gramme », constitue une exception parce qu’il est
féminin ?
2. Citez cinq autres mots construits avec « gramme ».
3. Réécrivez dans un français correct la célèbre phrase de Petit Gibus :
« Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu ! »
4. Citez quatre adjectifs qui, selon les contextes, peuvent être utilisés à
la place de « mature ».
5. Que dire à la place de la tournure « être en charge de », calque de
l’anglais « to be in charge of » ?
6. Comment varier les formules introductives pour ne pas toujours
recourir à « c’est vrai que » (trois exemples) ?
7. Écrivez en toutes lettres : 2 000, 3 200, 4 800, 6 600.
8. Dans quel cas « mille » prend-il un « s » ?
148
HALTÈRES
FÉMININ OU MASCULIN ?
Le mot « haltères » est généralement utilisé au pluriel, ce qui brouille
quelque peu l’identification du genre grammatical. Ce pluriel peut, associé au
mot « poids », désigner le sport lui-même : « poids et haltères » est alors
synonyme d’« haltérophilie ». Il peut aussi faire référence aux « haltères de
musculation » qui vont par deux, une pour chaque main.
Au singulier, il s’agit de cet appareil constitué d’une barre à chaque
extrémité de laquelle on fixe des disques de poids différents pour rendre les
haltères…
A. plus ou moins lourdes
ou ?
B. plus ou moins lourds.
Réponse B. : plus ou moins lourds.
Le mot « haltère » est en effet masculin : on dit « UN haltère » comme « un
adultère, un baptistère, un caractère, un cratère, un critère, un magistère, un
ministère, un monastère, un presbytère, un stère », etc. et, contrairement à
« une artère, une patère », etc. Il faut redire ici que la terminaison d’un nom ne
détermine pas son genre grammatical. Pourquoi un tel arbitraire dans ce
domaine : mystère !
Revenons à notre « haltère ». Son « h » initial n’étant pas aspiré, il faut faire la
liaison.
Des [Z] haltères.
Il y aura aussi élision de la voyelle contenue, par exemple, dans la
préposition qui précède :
Les exercices de musculation se font, entre autres, au moyen d’haltères.
« Haltère » est du genre masculin : UN haltère.
Assurons-nous de bien connaître le sens exact des mots que nous utilisons.
150
EN VÉLO
SOLÉCISMES
« Un petit tour en vélo »
(Slate.fr, légende d’un dessin de Denis Pessin
publié le 6 octobre 2017)
« Istres : 853 km en vélo pour le sourire de Romain »
(LaProvence.com, titre d’un article paru
le 2 octobre 2017)
« Transport : aller au travail en vélo »
(Titre d’un reportage paru dans le 13 h de France 2
le 21 septembre 2017)
Pour nos Immortels, la question se pose en ces termes : il faut réserver la
préposition « en » (qui signifie « dans ») aux voyages que l’on effectue à
l’intérieur du véhicule : « en voiture, en train, en avion, en bateau ». Sinon, il faut
utiliser la préposition « à ». Comme on ne prend pas place à l’intérieur du vélo,
à moins d’être téléporté dans une contrée lointaine, type Lilliput, et de parler
au nom de minuscules bonshommes ayant réussi à entrer dans le cadre et le
guidon, il faut dire « à vélo » : le dessinateur et les deux journalistes ont alors
commis un solécisme.
Mais il semble bien que la question ne soit pas aussi tranchée.
Dans son excellente chronique du Figaro, le non moins excellent Claude
Duneton (1935-2012) observait le 10 février 2011 que la distinction « dedans /
dehors » était prise en défaut avec « en tricycle, en side-car, en tandem (jamais
«à tandem») » et, le cas échéant, « en tapis volant ». « C’est par un phénomène
d’hypercorrection dans les classes sociales aisées ‒ relayées craintivement
par les instituteurs publics ‒ que la forme en vélo a été bannie sans aucune
nécessité proprement linguistique au profit de à vélo » et Claude Duneton de
recommander « en vélo » quand on fait allusion au moyen de transport et « à
vélo » si l’on met plutôt en valeur la notion d’équilibre, comme dans « cet
enfant sait déjà se tenir à vélo. »
Selon Maurice Grevisse (Le Bon usage), on peut dire les deux et le
grammairien cite Mauriac, Montherlant et Troyat à l’appui d’« en vélo ».
Faites donc votre choix et retenez les arguments qui le sous-tendent.
L’Académie française recommande de dire « à vélo », selon la distinction dedans /
dehors.
Claude Duneton réserve « en vélo » au moyen de transport et « à vélo » s’il est
question d’équilibre.
Maurice Grevisse accepte les deux et cite plusieurs écrivains pour justifier « en vélo ».
151
COURBATU COURBATURÉ
BARBARISMES
Les deux formes existent.
Qui ressent des courbatures est « courbaturé ».
Qui se sent épuisé et endolori comme s’il avait été battu à bras raccourcis
est « courbatu ».
En 1974, l’auteur-compositeur-interprète néerlandais Dick Annegarn sort un
album contenant la chanson Bruxelles.
« Tu vas me revoir Mademoiselle Bruxelles
Mais je ne serai plus tel que tu m’as connu
Je serai abattu courbatu combattu
Mais je serai venu »
Le rapprochement des trois participes passés « abattu, courbatu,
combattu » met en évidence l’unique « t » de « courbatu ». Il s’agit pourtant
bien d’un dérivé du verbe « battre » puisque « courbatu » est formé de son
participe passé et de l’adjectif « court » (également amputé de son « t » final)
issu de l’expression « à bras raccourcis », probable allusion aux manches que
l’on relève avant de cogner son adversaire.
« Courbatu » a donné naissance à « courbature » dès la fin du XVIe siècle. Le
nom désigne cette douleur mêlée à une sensation de grande fatigue
consécutive à un effort prolongé :
« Je me lève, j’étire mes vieux bras où je sens la bonne courbature du travail
acharné. »
(Romain Rolland, Colas Breugnon, 1919)
Le verbe « courbaturer » est issu du nom commun « courbature ». Son
participe passé, « courbaturé », a été refusé par l’Académie française jusqu’en
1970, « courbatu » étant la seule forme acceptée. On peut en conclure que les
deux formes étaient synonymes. « Courbaturé » s’est alors différencié de
« courbatu » par cette notion spécifique de douleur musculaire.
En résumé :
courbatu → courbature → courbaturer → courbaturé.
Toutefois, le verbe « courbattre » n’existe pas.
« Courbatu » signifie « endolori, épuisé, comme après avoir été battu à bras
raccourcis. »
Une « courbature » est une douleur musculaire provoquée par un long effort.
LE PRÉSIDENT
ET LES ANGLICISMES
ANGLICISMES
Constitution du 4 octobre 1958
Titre premier :
De la souveraineté
Article 2. La langue de la République est le français.
Le 10 octobre 2017, la France était l’invitée d’honneur à la Foire du livre de
Francfort, considérée comme la plus grande manifestation littéraire
européenne. Emmanuel Macron, président de la République française,
prononce un discours d’inauguration qui lui permet de faire un remarquable
éloge de la langue française et de la francophonie. Bernard Pivot salue dans
cette allocution un discours inspiré. Emmanuel Macron défenseur de la langue
française et zélateur de la francophonie ? Voire !
Que ce soit à Paris, à Francfort, à Rabat au Maroc, à Tallin en Estonie, à RTL,
à Europe 1, au magazine Challenge ou au salon Vivatech, le président Macron
glisse dans certains de ses discours une effarante quantité d’anglicismes qui
sont autant de fers de lance de l’offensive économique libérale qu’il veut
instaurer, car si la langue de la République est le français, celle du capitalisme,
des affaires et de la finance est bien l’anglais. Personne n’en voudrait au
président si, d’aventure, il proposait un équivalent français pour chaque
anglicisme qu’il emploie, bien au contraire ! Regroupés, ils font un festival !
Jugez plutôt :
speech : discours, laïus. crowdfunding : financement participatif
buffer : mémoire tampon silver economy : marché des seniors
helpers : assistants (auxiliaires) venture capital : capital risque
impeachment : mise en accusation job mentoring : tutorat professionnel
greentech : éco-innovations start-up nation : nation de jeunes pousses
cleantech : écotechnologies task force : force opérationnelle
D’aucuns crieraient au scandale, ils n’auraient pas tort.
Non seulement le président bafoue la Constitution en son article 2 mais
Il se rend coupable de ne pas remplir une partie de ses fonctions telle qu’elle est
énoncée par cette même Constitution en son article 5 : « Le président de la République
veille au respect de la Constitution. »
Si l’on ne peut pas être plus royaliste que le roi, efforçons-nous d’être plus républicains
que le président : rejetons les anglicismes inutiles !
153
QUELQUE PART
TOURNURES EXASPÉRANTES
« Omar Sy endosse avec entrain le rôle et admet
qu’il était «aussi rassuré quelque part». »
(Article de Marie-Pierre Ferey, publié le 13 octobre 2017
dans La Voix du Nord)
« Nous allons quelque part taxer les personnes
les plus pauvres. »
(Communiqué AFP paru dans Corse-Matin
le 12 octobre 2017)
« La concurrence est quelque part faussée, car nous
avons notre manière de faire les choses, avec un modèle économique viable. »
(Rugbyrama, article publié le 12 octobre 2017)
« Ça m’interpelle quelque part au niveau du vécu » fut une phrase moqueuse
souvent dite dans les années 1970 sur un ton condescendant, la bouche en cul-
de-poule. Imitant leur façon de parler, on voulait ainsi ridiculiser les snobs qui
se prenaient pour des « intellectuels ». L’expression « quelque part au niveau
du vécu » connut un tel succès que le dessinateur Jacques Faizant en fit le titre
d’une de ses bandes dessinées, parue chez Denoël en 1991.
D’ironique, l’expression « quelque part » est passée dans le langage courant
dans les années 1980, dissociée d’« au niveau du vécu », avec le sens détourné
qu’elle avait dans son emploi moqueur : elle est synonyme d’« en quelque
sorte », « d’une certaine façon » et permet de faire comprendre que notre
pensée est floue, imprécise. Cette signification est bien mentionnée dans Le
Grand Robert, mais en tant que « Jargon à la mode ». Elle est clairement
rejetée par l’Académie française qui considère que « quelque part » ne peut
avoir qu’une acception: « en un lieu indéfini, qu’on ne peut pas ou ne veut pas
préciser ».
La locution « quelque part » fut détournée de sa signification première : « en un lieu
indéterminé ».
Elle le fut pour ridiculiser une certaine bourgeoisie qui voulait se donner des allures
intellectuelles.
L’Académie française rejette cet emploi de « quelque part » synonyme d’« une certaine
manière ».
154
TROIS MILLIONS
DE FEMMES SONT [T]
HARCELÉES
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
« Treize femmes, au moins, l’accusent d’harcèlement. »
(13 h de France 2, le 11 octobre 2017, reportage
sur l’affaire Weinstein)
« Trois millions de femmes sont [T] harcelées
sur leur lieu de travail. »
(Marie-Sophie Lacarrau, 13 h de France 2,
le 11 octobre 2017)
La soirée TV de ce 11 septembre 2017 était aussi consacrée à ce thème avec
une fiction et un dossier de l’émission Infrarouge (France 2) et ce fut l’occasion
d’entendre d’autres pataquès de la même eau tels qu’« un [N] harcèlement ».
Un vent de folie souffle donc parmi les journalistes et les présentateurs de
l’audiovisuel qui ne savent plus où donner de l’aspiration quand les mots ont la
mauvaise idée de commencer par un « h ». Nos oreilles n’en finissent plus d’être
agressées par ces « h » normalement muets qui sont aspirés et ceux qui
devraient être aspirés, mais ne le sont pas. Cela nous donne une belle
collection :
« Vous [Z] hurlez de douleur » (cf. 14), « 5 700 [H] avions » (cf. 35), « Cent
[H] euros » (cf. 70), « Un air très [H] humide » (cf. 126), « Les [Z] handicapés »
(cf. 133).
Gageons que d’autres exemples nous attendent.
Devant cette anarchie dans la reconnaissance des « h », que faire ?
Dresser la liste des mots dont l’initiale est un « h » aspiré, beaucoup moins
nombreux que ceux commençant par un « h » muet ? Pourquoi pas ? Voici la
liste des principaux verbes :
hacher, hachurer, haïr, haler, hâler, haleter, handicaper, hanter, happer,
haranguer, harasser, harceler, harnacher, hâter, haubaner, hausser, héler, hennir,
hérisser, heurter, hiérarchiser, hisser, hocher, honnir, hoqueter, houleux,
houspiller, huer, humer, hurler.
Si le cœur vous en dit ! Le « par cœur » a ses vertus !
Le « h » de « harceler » est aspiré.
Aucune liaison ni aucune élision n’est possible
Trente verbes commencent par un « h » aspiré. Pourquoi ne pas les apprendre par
cœur ?
TESTEZ-VOUS !
1. Citez cinq noms dont la finale est « -tère » et qui, comme « haltère »,
sont masculins.
2. Citez deux noms féminins se terminant par « -tère ».
3. Selon l’Académie, quel critère nous commande de dire « à vélo »
plutôt qu’« en vélo » ?
4. Quelle différence y a-t-il entre « courbatu » et « courbaturé » ?
5. Que dit l’article 2 du titre premier de notre Constitution ?
6. Par quelle expression correcte doit-on remplacer la locution
« quelque part » quand celle-ci est détournée de son véritable sens ?
7. Quelle est la traduction des anglicismes suivants, notamment prisés
par notre président de la République ?
silver economy, crowdfunding, task force
8. Citez cinq verbes commençant par un « h » aspiré.
155
GÎTE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Facile !
‒ On dit bien que l’on offre à quelqu’un « le gîte et le couvert » !
‒ Dans son émission J’irai dormir chez vous, sur France 5, Antoine de
Maximy, visitant des pays étrangers dont il veut connaître les us et coutumes;
mais dont il ne parle pas la langue, réussit à nouer des relations avec les
autochtones et à trouver un « gîte » pour la nuit.
‒ Dans la deuxième fable de son neuvième livre, Les Deux Pigeons, La
Fontaine fait dire à l’un des volatiles :
« Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le cœur
De notre imprudent voyageur. »
‒ Restons avec le fabuliste puisqu’il utilise aussi le mot « gîte » désignant le
repaire du lièvre, notamment dans ces deux très beaux vers :
« Un Lièvre en son gîte songeait
(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) »
(Le Lièvre et les Grenouilles, II, 14)
Aucun doute possible : le mot « gîte » est bien masculin !
Holà, l’ami ! Vous allez trop vite en besogne et ne réfléchissez point comme
il faut. Évidemment, quand il s’agit du lieu où l’on peut se loger, dormir pour la
nuit ou de l’endroit où s’abrite le lièvre, « gîte » est bien masculin, mais n’avez-
vous ja ja jamais navigué, ohé ! ohé ! Ne savez-vous pas qu’un navire (petit ou
grand) qui « donne de LA gîte » s’incline et que cette inclinaison transversale
(latérale) reçoit aussi le nom de « bande » ? Cette gîte-là est bien du genre
féminin.
« Gîte » fait donc partie de ces noms qui ont les deux genres, mais qui
changent de sens en changeant de genre.
« Gîte » est masculin quand il est synonyme de « logis » ou de « repaire » (pour le
lièvre).
« reporter à une date ultérieure » dit donc deux fois la même chose.
Le pléonasme demeure si l’on remplace « à une date ultérieure » par « à plus tard ».
157
AVOIR L’AIR
SOLÉCISMES
« Il y avait une compagnie de CRS entière
et ils avaient l’air tendu. »
(lunion.fr, article publié le 26 septembre 2017)
« Ils avaient l’air bizarre, c’est pour ça
que je suis resté méfiant. »
(StreetPress.com, article de Tomas Statius, publié
le 1er octobre 2017)
« C’est une petite femelle qui avait l’air anémié,
manquait de tonus. »
(Lefigaro.fr, le 11 octobre 2017)
Fautes ? Vous rappelez-vous les règles de grammaire de votre enfance ?
L’une d’elles dressait une liste que vous deviez apprendre par cœur, celle des
verbes d’état (opposés aux verbes d’action) : « être, paraître, avoir l’air,
sembler, devenir, demeurer, rester ».
L’adjectif qui suit le verbe d’état est donc en position d’attribut du sujet et
s’accorde avec ce dernier… Stop ! Vous n’avez pas envie de retourner sur les
bancs de l’école ? Je vous comprends ! Alors, retenez simplement que tout se
passe avec « avoir l’air » comme si nous avions, à sa place, le verbe « être »,
verbe d’état par excellence. Reprenons nos exemples et voyons si « avoir l’air »
peut y être remplacé par « être » :
Il y avait une compagnie de CRS
entière et ils étaient tendus.
Ils étaient bizarres c’est pour ça que je suis resté méfiant.
C’est une petite femelle qui était anémiée, manquait
de tonus.
C’est simple ! Ce serait simple si « avoir l’air » n’était assimilable qu’à un
verbe d’état, était toujours remplaçable par « être », ce qui n’est pas le cas. Il
arrive que dans la locution « avoir l’air », « l’air » soit le complément d’objet
direct du verbe « avoir ». L’adjectif qui suit est alors vraiment épithète du mot
« air » avec lequel il s’accorde.
« Elle a l’air malin, elle a bon caquet, le soleil dans l’œil. »
(Jean Vautrin, Le Journal de Louise B., ch. 25, groupe Robert Laffont, 2011)
« Mais elle a l’air malheureux d’un gosse
qui n’a pas eu son jouet. »
(Calixthe Beyala, Le Petit Prince de Belleville,
Albin Michel, 2014)
« Elle avait l’air inquiet, mais c’était peut-être à cause
de l’attitude que lui-même affichait. »
(Michel Jeury, Cette terre : les Colmateurs, volume 1,
ch. 12, Milady, 2016)
Dans ces extraits, c’est bien « l’air » qui est respectivement qualifié de
« malin », « malheureux » et « inquiet », adjectifs épithètes de « air » et non pas
attributs du sujet « elle ». Dans le cas contraire nous aurions eu « maligne »,
« malheureuse » et « inquiète ».
« Avoir l’air » peut être un « verbe d’état » auquel « être » peut se substituer.
ÉVIDENT FACILE
BARBARISMES
« C’est pas évident ! », telle est l’exclamation de tout un chacun devant une
situation difficile, une tâche qui le tient en échec. Il aurait pu dire : « Ce n’est
pas facile ! » Outre le rétablissement de la double négation, l’expression serait
plus appropriée : si l’acte à accomplir est difficile, s’exclamer « Ce n’est pas
facile ! », c’est admettre cette difficulté et du même coup, reconnaître son
inaptitude, sa faiblesse, son manque de force, d’ingéniosité ou d’intelligence,
selon la nature de la tâche à accomplir, bref, c’est avouer que l’on n’est pas à la
hauteur.
« C’est pas évident ! » nous dit tout autre chose. L’exclamation fait
référence, non plus à une difficulté qui vous met et vous tient en échec, mais au
manque de transparence et de visibilité. Quand je dis « C’est pas facile ! »,
j’avoue mon incompétence par ignorance ou incapacité ; quand je dis « C’est
pas évident ! », je rejette la faute sur l’acte à accomplir ou le problème à
résoudre, nul ne peut me tenir responsable de l’absence de solution, nul ne
peut alors m’en vouloir. Hop ! Le tour est joué… Oui, mais l’ennui, c’est que
l’expression « Ce n’est pas évident ! » est impropre, l’emploi d’« évident » est
abusif. Est évident ce qui s’impose à l’esprit de façon spontanée, sans qu’une
démonstration soit nécessaire. Une évidence, c’est une vérité qui éclate sans la
nécessité d’une preuve.
Installer une prise de courant alors que les fils sortant de la cloison sont
trop courts, ce n’est pas facile ; résoudre un problème de mathématiques alors
qu’on a oublié de vous fournir une donnée, ce n’est pas facile ; prendre un bain
de mer le jour de l’an, ce n’est pas facile ; reconnaître une œuvre musicale à
l’écoute des premières mesures, ce n’est pas facile. L’évidence n’a que faire
dans la solution de tous ces problèmes. Elle n’a rien à faire non plus dans la
résolution des difficultés suivantes.
« Être déraciné n’est pas évident, mais ils sont bien
décidés à réussir leur intégration en France. »
(Article de Véronique Bertin publié le 15 octobre 2017
dans La Voix du Nord)
« Ce n’est pas évident de passer, en saison hiver,
de 50 salariés permanents à près de 200. »
(La Montagne, article publié le 15 octobre 2017)
« Ils sont aussi très vifs, il n’est pas évident
de les capturer dans la volière. »
(Ouest-France, article publié le 14 octobre 2017)
Remplaçons « évident » par « facile » et l’évidence, justement, sera rétablie.
« Ce n’est pas facile ! » est l’exclamation appropriée devant une difficulté.
« Ce n’est pas évident ! » convient lorsque l’absence d’évidence est effectivement en
cause, ce qui est rare.
En disant « Ce n’est pas évident ! », vous faites comprendre que le problème lui-même
est en cause, non votre aptitude à le résoudre.
159
GAP
ANGLICISMES
Le documentaire Travail, ton univers impitoyable, diffusé sur France 2 le 27
septembre 2017 dans Cash Investigation, nous montre une Élise Lucet tout
étonnée :
« Y a un gap énorme entre la manière
dont on perçoit l’utilité du travail dans la société
et la manière dont on le ressent soi-même. »
Je me demande comment le petit grand-père qui n’a pas eu la chance
d’apprendre l’anglais ou dont les connaissances dans la langue dite « de
Shakespeare » ne sont pas suffisantes pour englober le mot « gap », comment
ce petit grand-père-là peut comprendre le propos de madame Lucet.
Je me demande si le propos de madame Lucet aurait souffert de voir le mot
« gap » remplacé par un mot bien français. Madame Lucet avait l’embarras du
choix : « fossé », « écart », « différence », « décalage », « intervalle », d’autres,
sans doute, si l’on se creuse les méninges.
Quels avantages y a-t-il à utiliser l’anglicisme « gap » ? Aucun, si ce n’est
celui d’être plus court et de se voir gratifié d’une sorte de supériorité. Tu
parles !
Quels avantages y a-t-il à ne pas l’utiliser ? Au moins deux :
‒ permettre à plusieurs mots français de ne pas être abandonnés dans les
oubliettes de notre lexique et d’y rejoindre le vocabulaire passif ;
‒ permettre à notre petit grand-père de comprendre madame Lucet.
Question subsidiaire : pourquoi, sachant cela, Élise Lucet utilise-t-elle des
anglicismes, elle qui, par ailleurs, s’exprime généralement en bon français ?
Je cherche encore la réponse.
L’anglicisme « gap » peut ne pas être compris de tous les auditeurs et téléspectateurs.
Plusieurs mots français peuvent être utilisés plutôt que « gap ».
Pourquoi donc utiliser l’anglicisme « gap » ? Il est inutile !
160
… FAIT PARTIE
DE NOTRE ADN
TOURNURES EXASPÉRANTES
Je revois et j’entends encore le grand Salvador Dali nous parler de l’acide
désoxyribonucléique avec emphase en faisant claquer les consonnes de ce nom
alors bien étrange et bien compliqué pour la plupart des auditeurs. Il faut dire
que dans les années 1960, la découverte de cette structure moléculaire était
encore toute récente. Aujourd’hui, la notion s’est vulgarisée : chacun sait plus
ou moins clairement que tout individu est précisément défini par un ADN qui
lui est propre. Cette idée a si bien tracé son chemin que le sigle ADN est
devenu synonyme d’identité et qu’il est employé de plus en plus souvent au
sens figuré pour dire ce qui caractérise un individu aussi bien qu’une entreprise
ou n’importe quelle communauté humaine. Dire de telle qualité qu’elle est
dans l’ADN d’une entreprise, c’est dire qu’elle la caractérise de façon
incontestable et définitive, mais c’est le dire de manière savante en laissant
entendre que l’on a des connaissances scientifiques et l’on joue les « m’as-tu-
entendu » qui vont généralement de pair avec les « m’as-tu-vu ».
Cet ADN est désormais partout, et ce que l’ont met dedans est incroyable :
« Or notre cahier des charges étant plus souple,
l’innovation fait partie de notre ADN. »
(LesEchos.fr, 17 octobre 2017)
« L’identité protestante […] fait partie intégrante
de notre «ADN» évangélique. »
(Famillechretienne.fr, article de Pierre Jova publié
le 17 octobre 2017)
« La recherche et le développement font partie
de son ADN. »
(Echorepublicain, 11 octobre 2017)
« Cet acte “fait partie de l’ADN de l’entreprise”. »
(Franck Bensaid, article publié le 17 octobre 2017
dans Leprogres.fr)
L’innovation, l’identité protestante, la recherche et le développement, un
certain acte… et aussi, dans d’autres utilisations, être « green », le harcèlement
sexuel (pour l’ADN d’Hollywood), la solidarité, un arôme équitable, etc. C’est
fou ce que l’on peut mettre dans l’ADN ! D’innovante, l’expression est devenue
énervante. Je me demande si ceux qui l’utilisent savent vraiment ce qui se
cache derrière ces trois lettres.
Remplaçons donc l’ADN par son équivalent plus directement
compréhensible : l’« identité » ou, si l’on veut conserver l’allusion biologique :
« nos gènes », « vos gènes », « ses gènes », « leurs gènes », etc. Sachons varier
les plaisirs. Là où il y a des gènes, il peut y avoir des plaisirs.
Depuis la découverte de l’acide désoxyribonucléique, la notion d’ADN s’est vulgarisée.
Au sens figuré, l’expression « fait partie de notre ADN » s’est banalisée.
SCOLOPENDRE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Un mot difficile à glisser dans la conversation courante ! Qu’il désigne
l’arthropode dont certaines espèces sont venimeuses, ou la fougère qui pousse
dans les ravins et sur les vieux murs, le mot « scolopendre » ne fait pas partie
des sujets que l’on aborde quotidiennement, mais, sachant que l’arthropode
est communément appelé « mille-pattes », vous pouvez toujours lors d’un
repas entre amis, proposer cette devinette : « Qu’est-ce qui fait 999 fois tic et
une fois toc ? »
Réponse : un mille-pattes avec une jambe de bois.
Et vous pouvez renchérir en expliquant que l’on connaît environ 10 000
espèces de mille-pattes, qu’aucune n’est vraiment dotée de mille pattes, que
celle qui a le plus de pattes est le myriapode avec 700 seulement, et vous
rebondissez sur vos deux pattes en demandant un exemple de myriapodes
bien représenté en France. Dès que le nom « scolopendre » est cité vous
précisez qu’il est féminin, tant pour le myriapode que pour la fougère… et le
tour est joué !
Pourquoi avons-nous tendance à mettre « scolopendre » au masculin ?
Sur dix noms communs se terminant par « -endre » ou « -andre »
(phonétiquement semblables), cinq sont masculins, « gendre, esclandre,
méandre, scaphandre, palissandre » et cinq sont féminins : « calandre, cendre,
coriandre, misandre » et notre « scolopendre ». Le combat est donc
parfaitement égal et la parité, respectée ; cependant, les mots masculins sont
beaucoup plus usuels que les féminins.
CQFD !
Le mot « scolopendre » désigne un mille-pattes ou une fougère.
Dans les deux cas, il est féminin : UNE scolopendre.
Sur dix noms se terminant par « -endre » ou « -andre » (même phonétique), cinq sont
masculins, cinq sont féminins.
163
À cause d’une tendance ridicule, on prend plaisir à remplacer la préposition « à »
par la préposition « sur ».
On ne doit pas dire « habiter sur Paris », « travailler sur Lyon », « aller sur
Marseille ».
La préposition « à » remplit parfaitement cet office.
165
HAPPY FEW
ANGLICISMES
« Je suis en extase et rien à voir avec une soirée
que j’aurais pu passer avec des “Happy Few”
des médias, des privilégiés, toujours les mêmes. »
(Chronique de Guy Birenbaum, francetvinfo.fr,
le 20 octobre 2017)
« Sans ces salauds de pauvres, les routes parisiennes
seraient plus paisibles et plus fluides, car réservées
aux happy few, capables de se mouvoir avec d’onéreuses piles sur roues. »
(Article de Marc Suivre, publié le 17 octobre 2017
dans contrepoints.org)
« Quant au divertissement, il est aussi présent
(surtout peut-être pour les “happy few” gravitant dans
les milieux de l’art contemporain, de la presse
ou de la communication). »
(Article publié dans lesechos.fr par Annie Coppermann le 19 octobre 2017)
Parler de « quelques privilégiés » ou « de rares élus », voire de « quelques
personnes choisies » plutôt que de happy few n’aurait dévalorisé ni la
chronique de Guy Birenbaum ni l’article de Marc Suivre. L’emploi de
l’anglicisme dans l’article d’Annie Coppermann semble plus justifié, compte
tenu du contexte snob dont il est question. Tous trois et tous les autres
utilisateurs de ce « happy few » peuvent-ils se prévaloir de celui qui a, le
premier, introduit l’anglicisme dans le vocabulaire français ? Il s’agit de Stendhal
qui, en 1839, termine sa Chartreuse de Parme par cette dédicace : « To the
happy few », comprenons : « Aux quelques privilégiés capables de me suivre et
m’apprécier. » Il avait déjà exprimé l’idée dans Vie de Henri Brulard, roman
inachevé, (1835-1836) : « J’écris pour des amis inconnus, une poignée d’élus qui
me ressemblent : les happy few. »
Il n’est pas rare de trouver « happy few » précédé de « quelques » :
« Carla Bruni […] a interprété en live devant
quelques happy few quelques chansons
de son nouvel album. »
(Gala.fr, article publié le 18 octobre 2017
par Virginie Rousset).
Dans ce cas, l’anglicisme se double d’une tautologie puisque « quelques » est
la traduction de « a few ». « Quelques rares happy few » est doublement
pléonastique : « few » (sans article) exprime en effet la notion de rareté.
Stendhal a, le premier, utilisé l’anglicisme « happy few » en 1839.
« Quelques happy few » est un anglicisme doublé d’un pléonasme.
Utilisons plutôt « quelques privilégiés », « de rares élus » (Stendhal parle d’« une
poignée d’élus ») ou encore de « quelques personnes choisies ».
167
CLIVANT
TOURNURES EXASPÉRANTES
« La popularité d’Emmanuel Macron remonte,
mais il est de plus en plus clivant. »
(Titre d’un article publié le 5 octobre 2017 dans
Huffingtonpost.fr par Alexandre Boudet)
« “Il refuse d’être clivant, il veut être inclusif.” »
(Europe1.fr, article publié le 17 octobre 2017, propos
attribués à Jean-Luc Mélenchon)
« Clivant » ! Cet adjectif, utilisé depuis quelques années, fleurit surtout en
terrain politique. Il a souvent qualifié Nicolas Sarkozy, plus précisément son
attitude, ses propos, ses chevaux de bataille, etc. C’est à l’occasion de la
campagne présidentielle de 2012 que « clivant » aurait envahi les discours
électoraux :
« Il paraît que tous ces thèmes sont “clivants” puisque c’est le nouveau mot à
la mode pour cette campagne. »
(Thierry Desjardins, Le « clivage » dans les broutilles, 18 février 2012)
Aujourd’hui, « clivant » s’applique à Emmanuel Macron, Édouard Philippe,
Gérard Collomb, Laurent Wauquiez, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Valls,
Robert Ménard…
Qui dit mieux ? Toute la palette politique est concernée, de l’extrême
gauche à l’extrême droite. Hormis la tribu politique, « clivant(e) » est aussi bien
pratique pour caractériser certains thèmes, certaines idées : le mariage des
homosexuels, l’euthanasie, l’ouverture dominicale des commerces, une date
pour commémorer mai 68, l’euro, une métaphore (premiers de cordée), la
parité (forcément !), la réforme des retraites, une campagne de communication,
une musique hip-hop, une histoire d’amour (celle de Brigitte Bardot et Samy
Frey dans La Vérité) et l’on a envie d’ajouter « un raton laveur ».
Épatant cet adjectif que l’on peut appliquer à tout ce qui divise l’opinion, à
tout ce qui permet de n’être pas d’accord, à tout ce qui crée la guéguerre, qui
permet l’invective réciproque, le barouf à l’Assemblée nationale, la discorde
dans les familles, les différends, les brouilles, les engueulades, les empoignades,
les échauffourées, les bagarres en tous genres. C’est dire l’utilité de ce
« clivant(e) ». On se demande même comment on a pu faire sans lui.
L’ennui, c’est que le verbe « cliver » n’a d’officielle que l’acception de
« fendre ». Avec « diviser » et « qui divise » comme significations respectives,
« cliver » et « clivant » ne figurent au dictionnaire qu’en tant que néologismes.
Or la langue française a le sens des nuances : « fendre » n’est pas « diviser » !
Raison de plus pour être exaspéré en entendant ce néologisme mille fois
répété sur les ondes. Bien sûr, on a « scissionnaire » un peu long (trois
syllabes !), savant, certes, mais pourquoi ne pas tenter de le remettre en
usage ?
« Clivant » est un mot à la mode, surtout utilisé en politique.
C’est un néologisme, car « cliver » n’admet pas l’acception que l’on donne à
« clivant ».
Quid de « scissionnaire » ?
168
ENCORE CE « H » ASPIRÉ
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
Voici un petit texte qui accumule les « h », tant muets qu’aspirés. À vous de
les identifier et d’adapter votre lecture (à haute voix) en en tenant compte.
L’« h » hypocrite et le « h » haïssable
Est-il aspiré ? Est-il muet ? Doit-il hacher le discours, le rendre haletant,
presque hoquetant ou bien le préserver sans heurt et en toute harmonie ?
Aspirer l’« h » quand il est muet, faire la liaison ou l’élision alors qu’aspiré, il
interdit l’une et l’autre, c’est perdre son honneur et rougir sous les huées, bref,
c’est une honte. Mais comment ne pas hésiter ? Savoir que le « h » aspiré nous
vient du germanique et que l’autre, le muet, est issu du latin, ne nous avance
guère. Voilà un héritage invisible qui n’enlève rien au hasard. Le « h » nous
hante et nous harcèle et l’« h » nous horripile. Ces « h » nous sont hostiles, ils
sont un handicap. Pour un peu, ils nous feraient hurler !
Des écueils ? Des hésitations ? Des incertitudes ?
Vous avez encore au moins une chance, mais avant, me permettrez-vous de
vous donner un petit conseil.
Pour bien réciter une poésie, votre vieil instituteur ne vous invitait-il pas à
parsemer le texte de ces signes pratiques qui indiquent une liaison ({) ou une
césure (/) ?
Appliquons donc cette bonne vieille méthode.
Solution au prochain chapitre consacré aux « pataquès et fautes de
prononciation ».
TESTEZ-VOUS !
1. Citez trois noms qui, terminés par « -endre » ou « -andre », sont
féminins, comme « scolopendre ».
2. Citez trois noms qui, terminés par « -endre » ou « -andre » sont
masculins, contrairement à « scolopendre ».
3. Pourquoi, malgré les apparences, l’expression « fermer les maisons
closes » n’est-elle pas un pléonasme ?
4. Corrigez, le cas échéant.
a) Cette auto-stoppeuse désire aller sur Saint-Tropez.
b) Mes parents habitent encore près de Nantes.
c) Pourquoi voulez-vous absolument travailler sur Lyon ?
5. À quel vocabulaire l’expression « au temps pour moi ! » appartient-
elle ?
6. Quelles sont les deux expressions susceptibles de remplacer
l’anglicisme « happy few » ?
7. Qui a, le premier, introduit « happy few » en français ?
8. Comment, dans un texte écrit, peut-on indiquer qu’un mot dont
l’initiale est un « h » muet doit être lié avec le mot précédent ?
9. Même question pour les césures obligatoires devant un « h » aspiré.
169
ESPÈCE
FÉMININ OU MASCULIN ?
A-t-on jamais vu un nom s’accorder en genre avec son complément ?
Illustration : Dans « un kilo d’abricots », il se trouve que le nom « abricots »
est masculin comme le nom commun « kilo » dont il est le complément. « Kilo »
doit-il se féminiser si son complément est féminin : « une kilo de cerises » ?
« Une course de bicyclettes » deviendrait « un course de vélos ». Enfonçons le
clou avec deux noms synonymes d’« espèce » : « un genre de chapeau »
donnerait « une genre de robe » ; « une sorte de poésie » s’opposerait à « un
sorte de poème ». Comme il se doit, cela vous choque ; alors, n’êtes-vous pas
tout pareillement choqué quand « une espèce de machine » devient « un
espèce d’engin » ?
Cette faute est récurrente, y compris chez les intellectuels, écrivains,
journalistes, philosophes, discoureurs en tous genres qui, à la télévision,
évoquent « un espèce d’énorme vide politique », « un espèce de tabou sur la
com à gauche », « un espèce de chantage », « un espèce de piège », « un espèce
de spectre », « un espèce de bricolage amateur », « un espèce d’annexe du
PS », « un espèce de syndrome », etc. STOP !!!
Mesdames et Messieurs les bavards médiatiques, sachez au moins donner
l’exemple en matière de langue et sachez vous-mêmes que dans tous les cas (y
compris les cas d’espèce), quels que soient les compléments, quels que soient
les emplois et les acceptions, « espèce » est un nom féminin : UNE espèce de…
Le genre du nom « espèce » ne dépend pas de son complément.
On ne doit dire ni « une genre de… » ni « un sorte de… ».
Il n’est pas plus correct de dire « un espèce de… » : « espèce » est féminin.
170
… SINUEUX QUI
SERPENTE
PLÉONASMES
« […] où serpente une route à la fois sinueuse et sèche. »
(Haïti Press Network, texte de Lionel Édouard
paru le 4 octobre 2017)
« Pour explorer la route sinueuse qui serpente
sur sa corniche étroite. »
(TourMag.com, 10 novembre 2016)
« Une route sinueuse et déserte qui serpente
dans un décor volcanique […] »
(L’Argus, 20 mars 2017)
Qu’elle soit sèche, sur une corniche ou dans un décor volcanique ne change
rien à l’affaire : si la route est sinueuse, c’est qu’elle serpente et si elle
serpente, elle est forcément sinueuse. Voyons si les dictionnaires nous le
confirment.
Demandons à Grand Robert :
« Serpenter : aller ou être disposé suivant une ligne sinueuse. »
Voyons du côté de Petit Larousse :
« Serpenter : décrire des sinuosités. »
L’aspect poétique des descriptions atténue sans doute la faute et à défaut
de pléonasme avéré, soulignons, dans les trois citations, la redondance.
En revanche, le pléonasme est indéniable si l’on parle de « méandres
sinueux », comme Christiane Goor dans son article paru le 7 juin 2017 dans
Epoch times :
« Le Lot dessine un sillon de vie, celui des hommes qui ont apprivoisé ses
rives entre falaises abruptes et terres alluviales au fil de méandres sinueux. »
ou Maryse Emel dans son texte publié le 21 juin 2017 dans nonfiction.fr :
« Le récit est tout à la fois une histoire particulière, celle de Pauline, et une
histoire générale, celle de la mémoire dans ses méandres sinueux. »
« Méandres » est l’un des nombreux noms communs issus de noms propres.
L’étymologie confirme le pléonasme que constitue l’expression « méandres
sinueux » : Méandre (Maiandros en grec, Menderes en turc) est un fleuve
d’Asie Mineure (ancienne Phrygie correspondant à l’actuelle Turquie), long de
450 km. Il passait près de l’antique ville de Magnésie. Caractérisé par son cours
particulièrement sinueux, Méandre a donné naissance au nom commun en 1522.
Une route sinueuse ne peut que serpenter.
Une rivière sinueuse est forcément constituée de méandres.
SOUFFRIR SOUFFRIR DE
SOLÉCISMES
« La légitimité de notre bureau ne souffre d’aucune contestation. »
(MaliActu.net, article publié le 20 octobre 2017)
« Sa victoire en mai sur décision des juges avait été vivement discutée, sa
défaite en octobre ne souffre d’aucune contestation. »
(Lemonde.fr et AFP, article publié le 22 octobre 2017)
« Elle ne souffre d’aucune discussion. »
(sudouest.fr, article d’Alain Goujon,
paru le 22 octobre 2017)
« […] des œuvres dont la magnificence
ne souffre d’aucune critique. »
(lenouvelliste.com, article publié le 21 octobre 2017)
Il est successivement question du bureau d’une fédération de football, du
résultat d’un combat de boxe, de la défaite d’une équipe de rugby, d’une
exposition d’artisanat d’art.
Dans les quatre cas, la faute est au rendez-vous. Souffrez, Messieurs et
Mesdames les journalistes, que je vous critique, vous reprenne et vous corrige.
Sachez que l’absence ou la présence d’une toute petite préposition change
totalement le sens de votre phrase.
Le verbe « souffrir » employé avec « de » est indirectement transitif, c’est-à-
dire qu’il accepte un complément d’objet, mais indirectement. Il veut dire alors
« éprouver des douleurs physiques ou morales ». Sans cette préposition « de »
(on devrait d’ailleurs plutôt parler de « postposition »), il devient directement
transitif et change de sens pour signifier « accepter », « tolérer », « admettre »,
ce qui est, de toute évidence, le sens qu’il revêt dans nos quatre exemples.
Ce tout petit mot, « de », comme toute postposition, a d’importantes
conséquences sur la syntaxe. Théophraste nous le prouve en deux nouveaux
exemples :
Théophraste est un artiste.
A. Il souffre de n’être pas connu.
B. Il ne souffre aucune critique injustifiée.
A. De quoi souffre-t-il ?
B. Que ne souffre-t-il pas ?
A. Le mal dont il souffre est moral.
B. Les critiques qu’il ne souffre pas sont les critiques injustifiées.
Ne pas confondre « souffrir » et « souffrir de ».
Une simple préposition (postposition) peut changer le sens d’un verbe.
Une simple préposition (postposition) verbale change la syntaxe.
172
MARTYR MARTYRE
BARBARISMES
L’étymologie, encore et toujours, nous ouvre la voie vers une lumière
bénéfique : celle d’une compréhension clairement enrichie. C’est le cas du mot
« martyr » qui nous vient du grec martur (martus), « témoin », via le latin
chrétien martyr (martus, martyr, martyris), « témoin de Dieu », martyrium
désignant, toujours en latin l’« action de témoigner sa foi ». Être témoin de
Dieu, c’est se sentir le devoir de soutenir qu’il s’est incarné en Jésus-Christ et
qu’il fut crucifié, même si, pour cela, il faut souffrir intensément.
Les hagiographies (les vies de saints) sont en effet d’une violence extrême :
refusant d’abjurer leur foi, la plupart de ces « témoins de Dieu » subirent
d’atroces supplices avant de connaître une fin immonde : décapités (Alban,
Aurèle, Catherine, Côme, Damien, Denis, Félix, Inès, Jean le Baptiste, Nathalie,
Pancrace, Paul, Reine), brûlés vifs (Agnès, Juliette, Laurent), crucifiés
(Barthélemy, Pierre), lapidés (Didier, Matthias), éventrés (Érasme, Mamert),
emmurés (Sept Dormants), empalé (Benjamin), broyé sous une meule (Victor)
et tant d’autres ! Ces chrétiens des premiers âges furent des martyrs (Bossuet
précise « martyrs de Jésus-Christ »). Si l’on pense plus précisément à Agnès,
Catherine, Inès, Juliette, Nathalie et Reine, on parlera, évidemment, de
martyres. Au XIIe siècle, l’« i » grec avait disparu (ou n’était pas encore apparu) :
les martyrs étaient donc des « martres ». La colline au nord de Paris prit le nom
de Montmartre, c’est-à-dire « mont des martyrs », parce que des reliques de
chrétiens torturés à mort y furent vénérées. Parce qu’ils moururent pour
n’avoir pas abjuré, ces chrétiens furent béatifiés puis canonisés par l’Église. Ils
devinrent donc bienheureux avant d’être des saints. Les souffrances qu’ils
endurèrent prirent le nom de « martyre » (avec un « e » final qui n’a rien à voir
avec une féminisation puisque le mot est masculin).
Les chrétiens qui moururent dans d’atroces souffrances pour n’avoir pas voulu renier
leur foi sont des « martyrs ».
Plus spécifiquement, les femmes qui connurent le même sort sont des « martyres ».
JUSTE
ANGLICISMES
Notre époque connaît une pléthore de « juste ». Non pas une immense
quantité de personnes équitables, éprises de justice, dont le sommeil n’est
troublé par aucun remords : ce serait trop beau ! Il n’est pas plus fait référence
aux « justes parmi les nations », ceux qui ont porté secours à des juifs pendant
la Seconde Guerre mondiale : ce serait encore plus beau ! On ne parle pas non
plus de l’adjectif synonyme d’« équitable », d’« exact », de « véritable », de
« légitime », synonyme encore d’« à peine suffisant ». Il ne s’agit pas davantage
de l’adverbe « juste » signifiant « avec justesse », comme dans « jouer juste »,
« avec précision », comme dans « ma maison est juste à côté du cinéma
Olympia ». On peut aussi éliminer le prénom « Juste », celui qui déclenche un
quiproquo hilarant dans Le Dîner de cons. Non, aucun de tous ces « juste »-là
dans la pléthore de « juste » dont il est question. Alors ? Alors, ce « juste »-là
n’est pas dans le dictionnaire et pour cause : ce n’est qu’une traduction
littérale, inutile et snobinarde de l’anglais « just » dont une traduction exacte et
parfaitement française serait « (tout) simplement » ou, dans un style plus
familier : « tout bonnement ».
« Il n’y a pas de secret, ils étaient juste
plus rapides que nous. »
(L’Équipe, propos de Sebastian Vettel,
article publié le 22 octobre 2017)
→ Il n’y a pas de secret, ils étaient (tout) simplement plus rapides que nous.
« On n’est pas injouables, on est juste bien organisés,
solidaires, et on défend bien. »
(sports.orange.fr, propos d’un entraîneur de football, 20 octobre 2017)
→ On n’est pas invincibles, on est simplement bien organisés, solidaires, et
on défend bien.
« Merci d’écouter ce morceau de Lali Puna qui est juste excellent. »
(Lesinrocks.com, article de Clémence Van Egmond, publié le 4 octobre 2017)
→ Merci d’écouter ce morceau de Lali Puna qui est tout simplement
excellent.
Cet emploi de « juste » s’explique donc par l’influence de l’anglais « just » ;
qui plus est, « juste » est un adverbe court, deux critères qui plaisent aux jeunes
(et moins jeunes) ; il a donc pris racine dans leur langage. Il y prolifère au point
de s’inviter même là où il n’a rien à faire puisqu’il n’apporte aucune information.
S’exclamer, par exemple, « C’est juste énorme ! » ne signifie pas davantage que
« C’est énorme ! » qui ne signifie déjà pas grand-chose. Si « énorme » est
employé au sens de « formidable », « incroyable » ou d’autres adjectifs
superlatifs du même tonneau, contentons-nous de le dire, tout simplement, et
mettons au rebut ce « juste » qui ne sert à rien (les grammairiens parlent
d’« explétif »).
Le mot « juste » est souvent utilisé dans un sens non reconnu par les dictionnaires.
C’est la traduction littérale de l’anglais « just ».
Quand il est signifiant, « juste » peut alors être remplacé par « (tout) simplement ».
174
CHANGER DE LOGICIEL
TOURNURES EXASPÉRANTES
Toute innovation technologique, toute invention scientifique donnent lieu à
la création de mots, voire de tout un vocabulaire. Tel est le cas de
l’informatique. Née avant la Seconde Guerre mondiale, développée et
démocratisée à partir des années 1970, l’informatique a connu une évolution
considérable dont le summum fut atteint avec l’Internet et ses applications que
sont le world wide web (la « toile »), le courrier électronique et la messagerie
instantanée. Cette révolution ne pouvait que donner naissance à un important
lexique, conçu et traduit par des commissions spécialisées avant d’être publié
dans des revues de terminologie telles que la Banque des mots.
Nous avons ainsi à notre disposition toute une série de mots en « -ciel » :
logiciels, didacticiels (logiciels éducatifs), ludiciels (logiciels de jeux), progiciels
(logiciels à l’intention des entreprises), progéniture qui n’a vécu que peu de
temps. Seul « logiciel » continue de vivre et de prospérer, y compris par
procuration et sous d’autres cieux que ceux qui l’ont vu naître. Il est lui-même
de bonne naissance puisqu’il a hérité du « logic » de « logique » et de la finale
« -iel » de « matériel ».
En politique, on aime utiliser le mot au sens figuré :
« Mais où est le bug dans le logiciel
d’Emmanuel Macron ? »
(atlantico.fr, article publié le 11 octobre 2017)
« Hôpitaux publics: un appel à “changer de logiciel” »
(Le Figaro + AFP, 20 août 2017)
« Il faut donc changer de logiciel diplomatique
si l’on veut sortir de la crise actuelle. »
(Libération, Tribune de Théo Clément sur la Corée du Nord, publiée le 11
juillet 2017)
Un logiciel est un ensemble de programmes et de données structurées en
fichiers, programmes devant être exécutés par un ordinateur. Transposer le
concept du logiciel à d’autres domaines que l’informatique était une bonne
idée, originale et pertinente, mais, dans les médias, elle tend à devenir
répétitive et risque à la longue d’être insupportable, surtout pour ceux qui
n’entendent pas grand-chose à l’informatique et ne savent pas ce qu’est un
logiciel. Même si la tentation est grande de montrer que l’on est branché (en
l’occurrence « connecté ») en ponctuant ses discours d’expressions imagées
faisant référence aux sciences et à la technologie, veillons à ne pas dépasser la
mesure, au risque de devenir abscons et obscurs. Par ailleurs, même si l’image
du logiciel est bien comprise, elle peut être trop floue ; soyons alors explicites
et plutôt que « changer de logiciel » et, selon les cas, parlons de « changer de
méthode », « changer de gestion », « changer de politique », etc.
Transposer la notion de « logiciel » à d’autres domaines que l’informatique semblait
être une bonne idée.
Elle devient toutefois répétitive et peut être perçue comme insupportable.
ENCORE ET TOUJOURS
CE « H » ASPIRÉ
QUI, DÉCIDÉMENT, NOUS INSPIRE
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
Comme promis, voici le texte plein de « h », augmenté des
‒ signes de liaison : { ;
‒ et de séparation /.
Lisez-le encore plusieurs fois à haute voix.
Est-il aspiré ? Est-il muet ? Doit-il / hacher le discours, le rendre / haletant,
presque / hoquetant ou bien le préserver sans / heurt et en toute { harmonie ?
Aspirer l’« h » quand il est muet, faire la liaison ou l’élision alors qu’aspiré, il
interdit l’une et l’autre, c’est perdre son { honneur et rougir sous les / huées,
bref, c’est une / honte. Mais comment ne pas { hésiter ? Savoir que le « h »
aspiré nous vient du germanique et que l’autre, le muet, est issu du latin, ne
nous avance guère. Voilà un { héritage invisible qui n’enlève rien au / hasard.
Le « h » nous / hante et nous / harcèle et l’« h » nous { horripile. Ces « h » nous
sont { hostiles, ils sont un / handicap. Pour un peu, ils nous feraient / hurler !
Savoir prononcer le « h » fait partie des subtilités de la langue française. Les
principaux mots commençant par un « h » aspiré ont été inventoriés. On a déjà
mémorisé les principaux verbes et les principaux noms communs. Voici, pour
compléter l’inventaire, la liste des principaux adjectifs, celle des principaux
adverbes et prépositions, celle de quelques noms propres et quelques mots
exotiques. Nous sommes désormais capables d’éviter tout pataquès lié à la
prononciation des « h ». C’est une qualité précieuse, surtout si nous sommes
régulièrement amenés à prendre la parole en public.
hagard, haineux, haïssable, harassant, hardi, hargneux, hâtif, haussier, haut,
hautain, hâve, hideux, hiérarchique, hollandais, hongre, hongrois, honteux, huit
(mais pas dans « dix-huit » !), huitième
haineusement, hardiment, hideusement, hiératique, honteusement, hormis,
hors, huitièmement
Habsbourg, Hainaut, Hanovre, Havane, Henriade, Hollande, Hongrie,
Hottentot, Hun, Huron
habanera (espagnol), hamac (arawak), hammam (arabo-turc), hara-kiri
(japonais), harem (arabe), hasard (arabe)
TESTEZ-VOUS !
1. Citez deux expressions synonymes d’« une espèce de ».
2. Citez quatre adjectifs commençant par un « h » aspiré.
3. Citez quatre noms propres ayant un « h » aspiré comme initiale.
4. Que veulent dire les décideurs en tous genres quand ils parlent de
« changer de logiciel » ?
5. Corrigez, si nécessaire.
a) Mes ordres ne souffrent d’aucun retard dans leur exécution.
b) Ma tante souffre d’une bronchite chronique.
c) Souffrez, chère amie, que je vous déclare ma flamme.
d) On compte nombre de martyres parmi les adeptes du christianisme
naissant.
e) Robinson Crusoé réussit à fabriquer un espèce de radeau avec des
vestiges du vaisseau naufragé
f) Il fut ensuite capable de se construire une sorte de cabane avec des
branchages.
176
CÂPRE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Ces condiments sont parfaits pour relever la pizza sicilienne (en plus de la
tomate, de la mozzarella, du basilic, des anchois et des champignons), l’aile de
raie au beurre noir et de nombreux plats traditionnels de la cuisine
méditerranéenne, maltaise notamment. Les câpriers sont de petits arbustes qui
poussent en abondance sur les îles de Méditerranée, notamment l’archipel
maltais, les îles éoliennes, Chypre et Pantelleria. Les câpres sont les boutons
floraux du câprier. Pour devenir ce condiment apprécié des gourmets, ces
boutons de fleur sont mis à confire dans le vinaigre. Il ne faut pas confondre les
câpres et les câprons qui sont, eux, les fruits du câprier, c’est-à-dire les
boutons floraux parvenus à maturité. Les câprons sont plus gros que les
câpres, ce qui revient à dire que
A. Les câpres sont plus petits que les câprons
ou
B. Les câpres sont plus petites que les câprons ?
Réponse B. : « Câpre » est du genre féminin UNE câpre.
D’aucuns diraient spontanément « un câpre » si l’occasion de le dire se
présentait, ce qui est assez rare puisque les câpres vont presque toujours par
poignées. Pourquoi le masculin semble-t-il s’imposer à de nombreux esprits ?
Influence phonétique ? Pas d’un autre nom en « -âpre » en tout cas, car
« câpre » est unique de son « espèce ». Il est alors probable que l’oreille
rapproche « câpre » de la sonorité la plus proche : « -âtre » ; or, sur les
quatorze noms communs français se terminant par « -âtre », treize sont
masculins (« âtre, albâtre, amphithéâtre, théâtre, psychiatre, bellâtre,
iconolâtre, idolâtre, mulâtre, pâtre, emplâtre, plâtre, parâtre »), un seul est
féminin : « marâtre ».
C’est une explication.
« Câpre » est du genre féminin : UNE câpre.
Pourtant, nombreux sont ceux qui masculinisent ce nom.
Peut-être par contamination des treize noms communs se terminant par « -âtre »,
sonorité la plus proche, le substantif « câpre » étant phonétiquement seul en son genre.
177
DÉNOUEMENT FINAL
PLÉONASMES
« Le feuilleton qui oppose Mohand-Cherif Hannachi à la nouvelle direction
de JSK, n’est pas près de connaître son dénouement final. »
(liberté-algerie.com, article de Mohamed Haouchine
publié le 26 octobre 2017)
« […] la cause des migrants en particulier ‒ point qui jouera un rôle dans le
dénouement final. »
(letemps.ch, critique de Sylvie Neeman publiée le 21 octobre 2017)
« Il faudra, bien sûr, attendre le dénouement final. »
(La Voix du Nord, article publié le 17 octobre 2017)
Si vous le prenez au sens propre (c’est le cas de le dire !), le mot peut
évoquer une histoire drôle, celle que nous racontait Coluche quand il tournait
en dérision les slogans publicitaires, plus particulièrement, ceux qui vantent le
mérite des lessives qui « lavent plus blanc que blanc », qui font disparaître les
taches sur les torchons, même quand on a fait un nœud dessus, mais, nous dit
l’humoriste, ça prend plus de temps, il faut faire les nœuds et après, il faut les
défaire et « les nœuds qui ont été dans l’eau, bonjour ! ». Il faut faire les nœuds
et les défaire, dit Coluche. Il ne dit pas « nouer les torchons et les dénouer »,
verbes qui sont quelque peu tombés en désuétude. A fortiori, il ne parle pas
du « dénouement » des torchons, car, bien que le mot ait aussi ce sens-là, Le
Grand Robert nous précise que son emploi est rare et Larousse ne le
mentionne pas.
En revanche, les dictionnaires le définissent ainsi : « Ce qui termine, dénoue
une action au théâtre », ou « Action de mettre fin à un récit, événement final
qui résout l’intrigue. »
Un dénouement est donc inévitablement final et nous avons bien affaire à un
pléonasme de la meilleure espèce, car le mot se suffit à lui-même.
Dans la tradition classique, le dénouement doit être un lieto fine, expression
italienne signifiant « fin heureuse ». Elle fut en usage jusqu’au début du
e
XIX siècle, surtout dans le domaine de l’opéra. Malgré une intrigue malheureuse
et compliquée, un « Deus ex machina » ou un retournement de situation
inattendu intervient pour tout arranger. À la fin du Don Giovanni de Mozart,
par exemple, après que le héros a été précipité dans les enfers, une série de
danses joyeuses conclut l’opéra, ballets que les metteurs en scène modernes
décident généralement de couper. Le spectateur quitte ainsi la salle avec, en
mémoire, l’image forte et indélébile d’un Don Juan châtié par le cadavre
statufié du commandeur.
Un dénouement se situe nécessairement à la fin d’une histoire, réelle ou fictive.
L’expression « dénouement final » est donc un pléonasme.
À l’opéra, le dénouement doit être un lieto fine, selon la tradition.
178
« Quelque », adjectif indéfini employé devant un nom s’accorde avec celui-ci sauf
quand « quelque » est synonyme d’« environ ».
« Quelque », adverbe, peut être placé devant un adjectif ou un nom suivi de « que ». Il
est, dans ce cas, invariable.
La locution « quel que » en deux mots est suivie du verbe « être » au subjonctif et
« quel » s’accorde avec le sujet qui suit ce verbe.
179
SAVOIR GRÉ
BARBARISMES
(Il est conseillé de relire la fiche n° 3)
L’amalgame entre « savoir gré » et « être reconnaissant » est assez fréquent,
notamment dans les lettres officielles où, de manière formelle, on remercie son
correspondant par avance de la bonne volonté avec laquelle il rendra le
service que l’on sollicite ou donnera le renseignement que l’on demande. On
écrit alors :
« Je vous serais gré de bien vouloir… »
et l’on a tout faux. Même certains « auteurs » se laissent prendre au piège :
« Cependant, je vous serais gré
de me laisser visiter votre club ; j’aimerais poser
quelques questions à vos employés. »
(Lisa Kleypas, La Loterie de l’amour, traduit de l’anglais
par Perrine Dulac, ch. 1, édition J’ai lu, 2016)
« ‒ Pourriez-vous lui remettre ceci le plus vite
possible, exhorta alors Howard.
Madeleine prit d’une main hésitante
la précieuse missive.
‒ Je vous en serais gré, l’assura Howard. »
(Caroline Royer, Amour et Conquête, p. 82,
FriesenPress, 2014)
Précisons d’abord que si, dans la formule « je vous serais reconnaissant »,
« reconnaissant » est un adjectif, dans « je vous saurais gré », « gré » est un nom
commun qui, de nos jours, n’est plus utilisé que dans des expressions figées
comme « au gré de » (au plaisir de), « de gré ou de force », « de son plein gré »,
« contre son gré », « de gré à gré », « bon gré, mal gré ». On retrouve « gré »
dans les verbes « agréer », « maugréer », les adjectifs « agréable » et
« désagréable », les adverbes « agréablement » et « désagréablement », les
noms « agrément » et « désagrément », la préposition « malgré », etc. Le groupe
« savoir + adjectif » serait incohérent puisque n’existent en français que les
groupes « savoir + verbe à l’infinitif » (savoir lire), « savoir + article + nom »
(« savoir les fables de La Fontaine »), « savoir + proposition » (« savoir que
grand-père arrive par le train »).
Au Moyen Âge, on précisait « savoir bon gré » ou « savoir mauvais gré ». Il
s’agit donc d’une très vieille locution qui apparaît en français dès le XIe siècle.
Tant li preierent par grant umilitet Ils prièrent tant et avec une si grande
Que la moillier donat feconditet : humilité
Un fil lor donet, si l’en sourent bon gret. Qu’il rendit l’épouse féconde
(Vie de saint Alexis ‒ laisse VI, v. 1050) Et leur donna un fils, ce dont ils lui furent
reconnaissants (ils lui surent gré).
Est-ce assez pour savoir que « je vous serais gré… » est une horreur de
barbarisme ?
On dit « être reconnaissant » ou « savoir gré », mais pas un mélange des deux.
« Je vous saurais gré de… » est une formule épistolaire.
FORWARDER
ANGLICISMES
Si, si, je vous assure, ça existe, hélas ! Le procédé est, d’ailleurs, devenu
assez banal. Prenez un mot anglais qui a traversé la Manche (le Channel, pour
les snobs anglophiles), adjoignez-lui la terminaison « -er » des verbes du
premier groupe, le plus facile, pensez donc ! Pas question de recourir à la
désinence « -re », caractéristique des verbes du troisième groupe, ou « -ir » qui
signe l’appartenance au deuxième ou au troisième ! Pourquoi se compliquer la
vie inutilement ?
L’opération terminée, vous êtes en présence d’un… monstre lexical, d’un
verbe monstrueux composé d’un « corps » anglais et d’une « queue » française.
C’est le cas de « booster », de « coacher », « speeder », « relooker » (encore
plus monstrueux avec son préfixe français ; il a bonne mine !), « lifter »,
« dispatcher », « benchmarker », et d’une multitude d’autres. Des verbes
corrompus, altérés, abâtardis.
Pour l’heure, c’est « forwarder » qui nous occupe.
Examinons cette curieuse bête linguistique : nous avons l’anglais « forward »
qui peut être un adverbe signifiant « en avant », un nom désignant en sport une
passe « en avant », ou un verbe, « to forward », « expédier » ou « faire suivre » ;
c’est ce dernier qui nous intéresse : avec sa terminaison « -er », « forwarder »
appartient au lexique de l’informatique, cette technologie qui est une si grande
pourvoyeuse d’anglicismes ! « Forwarder », parfois abrégé en « fwd », s’applique
aux messages électroniques qu’il faut faire suivre, transférer, ou que l’on a
fait suivre, transférés, deux verbes bien français qui ont toujours parfaitement
rempli leur office et qui auraient continué de le faire, sans la concurrence de
cet incongru compagnon.
« Forwarder » est une horreur inutile, une insulte à notre langue française, un
affront à ceux qui l’aiment. De tels mots sont plus que des anglicismes
lexicophages, ce sont des gros mots. Qu’ils soient proscrits !
L’anglicisme « forwarder » est un monstre lexical, composé d’un radical anglais et
d’une désinence française.
« Faire suivre » et « transférer » disent la même chose, mais en bon français
C’EST ÉNORME !
TOURNURES EXASPÉRANTES
Par moquerie, l’acteur Fabrice Luchini l’a intégrée dans ses délires
médiatico-politico-littéraires, pour notre plus grand plaisir ; il la prononce avec
une emphase phonétique convenant parfaitement au sens propre de l’adjectif :
« C’est énoooorme ! » Cette diction coïncide avec l’étymologie, le latin
enormis, « hors de la norme, démesuré ».
Si la diction de monsieur Luchini est démesurée, l’emploi outrageusement
répétitif que les médias font de cette tournure l’est aussi. Tout donne lieu à
cette exclamation qui s’accommode fort bien d’une hausse de sourcils (tout
augmente !) et d’yeux quasiment exorbités : le nombre d’appels pour dénoncer
les harcèlements sexuels, le pourcentage d’insatisfaction concernant les
attentes aux urgences de l’hôpital, le nombre de visites virtuelles d’une
exposition sur Victor Hugo, l’impact du footballeur Neymar sur l’équipe du
PSG, le succès remporté par Les Fourberies de Scapin à la Comédie française,
l’engouement pour le rugby, le salaire décroché par François Fillon pour son
nouvel emploi dans le privé et l’âge… de Jeanne Calment. « C’est énorme ! »,
exclamation qui ponctue tout fait exceptionnel et qui remplace quantité
d’autres, recourant à un qualificatif plus adéquat comme, dans le désordre :
« c’est beaucoup ! », « c’est étonnant ! », « c’est considérable ! », « c’est
inattendu ! », « c’est inacceptable ! », « c’est merveilleux ! », « c’est unique ! »,
« c’est exorbitant ! », « c’est astronomique ! », « c’est épatant ! » (tournure
favorite de Jean d’Ormesson), « c’est incroyable ! », etc.
Je pense à une présentatrice de télévision qui masquait l’indigence de son
lexique en ricanant à tout bout de champ et en faisant un usage outrancier de
« c’est énorme ! ». Elle pensait sans doute se donner ainsi une image
dynamique, jeune, moderne, faisant celle qui est au courant des expressions
dans le vent, car elle était aussi friande d’anglicismes lexicophages. Dans la
boîte à images, cette présentatrice n’est malheureusement pas seule de son
espèce, car, disons-le tout net, chez de nombreux contemporains, la pauvreté
de vocabulaire, … c’est énorme !
Tournure à la mode, « c’est énorme ! » a envahi le discours des présentateurs de
programmes télévisés tout en s’invitant dans le langage de tout un chacun.
« C’est énorme ! » est devenu une exclamation remplaçant toutes celles qui soulignent
un événement inattendu, exceptionnel, considérable, etc.
Son emploi cache (ou trahit) souvent un manque de vocabulaire.
182
C’est une rumeur colportée par un journal pour adolescents qui a prétendu le
contraire.
TESTEZ-VOUS !
1. Pouvez-vous citer quatre noms communs se terminant par « -âpre » ?
2. Pouvez-vous citer cinq noms communs se terminant par « -âtre » ou « -
atre » ?
3. Au théâtre et à l’opéra, qu’appelle-t-on lieto fine ?
4. Citez trois noms qui, avec « final », forment un pléonasme.
5. Complétez les phrases suivantes par « quel que », « quelles que »,
« quelques » ou « quelque » :
a) … soit le résultat de l’élection, notre candidat aura mené une belle
campagne.
b) Il a fallu … six cents heures pour réaliser cette tapisserie.
c) Pourrais-tu m’acheter … pommes ?
d) Je ne l’aime pas, … soient ses qualités.
6. Citez deux verbes susceptibles de remplacer l’abominable
« forwarder ».
7. Citez trois exclamations qui, selon les contextes, peuvent remplacer
« C’est énorme ! »
8. Est-il correct de faire la liaison dans « J’ai mangé des haricots » ?
183
ÉPITAPHE
FÉMININ OU MASCULIN ?
1. « Ci-gît Allais. Sans retour. »
2. « Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,
Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange,
La chose simplement d’elle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va. »
3. « Ci-gît ma femme : Oh ! qu’elle est bien,
Pour son repos et pour le mien ! »
Le mot « épitaphe » est féminin. Il désigne une inscription funéraire.
L’autre mot se terminant par « -taphe » est « cénotaphe ».
Un « cénotaphe » est UN monument funéraire ne contenant aucun corps.
184
MONOPOLE EXCLUSIF
PLÉONASMES
Pôlein en grec ancien signifie « vendre » et monos, « seul, unique » ;
monopôlion s’appliquait à un « droit acquis de vendre des denrées
spécifiques ». Le mot grec a donné le latin impérial monopolium dont le sens
était déjà celui du français moderne « monopole » : privilège ou droit exclusif
de fabriquer ou de vendre un produit, une denrée. Par quel cheminement le
mot a-t-il intégré notre langue au XIVe siècle (1343) avec le sens de
« conspiration » avant que sa signification d’aujourd’hui soit attestée dès 1358 ?
En tous cas, la notion d’exclusivité est bien comprise dans la définition
même du mot « monopole » et il ne fait aucun doute que l’expression
« monopole exclusif » soit un pléonasme. Alors, pourquoi les auteurs des lignes
suivantes ne l’ont-ils pas perçu ?
« Centralisation des crédits entre les mains de l’État,
par le moyen d’une banque nationale avec un capital
d’État et un monopole exclusif. »
(Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848)
« Je risquais […] de faire la part trop belle au sel
vénitien, de lui conférer un caractère de monopole exclusif. »
(Jean-Claude Hocquet, Le Sel et la fortune de Venise,
production et monopole, Avertissement, p. 10,
Presses universitaires Septentrion, 1978)
« Mais le rôle d’une banque centrale dotée de certains
privilèges n’implique nullement son monopole exclusif. »
(Victor Brants, Les Grandes Lignes de l’économie
politique, 1901, Collection XIX, 2016)
« Le monopole exclusif des pompes funèbres échoit
aux fabriques des églises. »
(Emmanuel Bellanger, La Mort, une affaire publique,
p. 17, Éditions de l’Atelier, 2008)
On pourrait multiplier les exemples. Le pléonasme se répand dans les livres
traitant d’économie, comme si le mot « monopole » avait perdu de sa force,
comme si sa signification s’était érodée au fil du temps. Mais il n’en est rien : un
monopole est encore et toujours, par définition, un droit ou privilège exclusif.
Le mot se suffit donc à lui-même.
L’idée d’exclusivité est contenue dans l’étymologie de « monopole ».
L’expression « monopole exclusif » est un pléonasme.
La faute est fréquente, notamment dans les ouvrages traitant d’économie.
185
SANS FAUTE(S)
SOLÉCISMES
Je suis souvent resté perplexe devant cette difficulté de notre belle langue
française et quand on me pose la question du nombre, singulier ou pluriel qui
doit s’appliquer au nom qui suit « sans », je suis sans voix. Du moins, je l’étais.
Quand un doute apparaît sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire ou plutôt, en
l’occurrence, sur ce qu’il faut écrire ou ne pas écrire, on cherche une règle de
grammaire qui puisse vous donner la solution, comme on attend d’un
théorème, d’un axiome ou d’un postulat qu’il vous résolve un problème de
mathématiques. Mais cela ne se peut pas, car il n’y a point ce genre de règle qui
ferait entendre cette chanson douce : « Quand on emploie la préposition
«sans» exprimant le manque, l’exclusion ou l’absence, le nom qui suit cette
préposition se met au pluriel quand… et au singulier quand… »
Le seul recours, c’est notre bon sens, notre logique. « Sans » exprime ce qu’il
n’y a pas. Faisons alors cette supposition : « S’il y avait, est-ce qu’il y aurait un
seul ou plusieurs ? »
Si votre orthographe est plutôt défaillante, vous feriez plus d’une faute lors
d’une dictée, vous écrirez : « Je pourrais faire cette dictée sans fautes. » Si vous
êtes un as, vous écrirez « sans faute » en précisant éventuellement : « sans
aucune faute, sans la moindre faute, sans faute du tout ». Il est parfois
impossible de trancher : les deux solutions sont alors admises : « Ce vieil
homme est sans ami(s) » avec une préférence pour le pluriel, car, plus jeune, il
avait sans doute plus d’un ami. Il peut aussi n’y avoir qu’une réponse possible et
elle est indiscutable : « Le marié est arrivé sans gants », « À la fin de la noce,
la mariée était sans souliers », « À la fin de la nuit de noces, elle était sans
culotte. »
Normalement, pour un nom exprimant une notion abstraite, après « sans »,
le singulier s’impose : « Sans amour, la vie est un échec. » Mais il peut y avoir
des cas particuliers : « Si Don Juan avait été prêtre, il aurait vécu sans
amours. »
Pour finir, méditons ces exemples fameux :
« Un repas sans fromage est une belle à qui il manque un œil. » (Anthelme
Brillat-Savarin)
« Mais un fripon d’enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d’à moitié
La Volatile malheureuse »
(La Fontaine, Les Deux Pigeons)
« Bayard, le Chevalier sans peur et sans reproches. »
« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » (Corneille, Le Cid, II, 2)
Pluriel ou singulier, le nom qui suit « sans » ? La réponse réside dans le bon sens.
Posons-nous la question : « S’il y en avait, est-ce qu’il y en aurait plus d’un ? »
Devant un nom exprimant une notion abstraite, le singulier est normalement de mise,
mais il y a des cas particuliers.
186
LES PERSONNELS
BARBARISMES
Voilà un pluriel des plus singuliers. Il ne peut, à la rigueur, se comprendre
que dans des situations bien particulières où l’on ferait référence, par exemple,
à plusieurs entreprises ou à plusieurs filiales d’une même multinationale dont
les personnels seraient vraiment réunis en une sorte de grand congrès ou,
virtuellement, par le biais de l’informatique, mais, hormis de tels cas que l’on
peut qualifier d’exceptionnels, rien ne peut justifier l’emploi du mot
« personnel » au pluriel pour désigner l’ensemble des personnes qui, travaillant
pour ou dans une entreprise, un organisme, dans une même profession, un
même corps, en constitue LE personnel. Pourtant :
« Trois personnels membres de la CGT
du centre hospitalier de Bastia ont entamé
ce lundi une grève de la faim. »
(Le Quotidien du médecin, article d’Anne Bayle-Iniguez,
paru le 2 novembre 2017)
« C’est un document publié par Bercy, intitulé
«Personnels affectés aux cabinets ministériels»,
en annexe au projet de loi de finances pour 2018. »
(Le Parisien, édito de Charles de Saint-Sauveur,
le 1er novembre 2017)
« Personnel » est donc un nom collectif (ce que les fonctionnaires du
ministère de l’Éducation nationale feraient bien de rappeler à leurs collègues
des Finances). Toutefois, en tant que tel, il est assez particulier.
En effet, un nom collectif ‒ c’est-à-dire qui désigne un ensemble de
personnes, d’animaux ou de choses ‒ peut être suivi d’un nom au pluriel qui est
son complément.
Exemples :
une assemblée de notables / un comité d’experts /
une bande de voyous / une douzaine d’huîtres /
un troupeau de chèvres
En outre, rien n’empêche que ce nom soit lui-même employé au pluriel : on
peut parfaitement dire : « Plusieurs bandes de voyous se sont mêlées à la
manifestation des enseignants pour en découdre avec la police » ou « Trois
troupeaux de chèvres paissent dans la vallée d’Aulps. »
A contrario, le nom collectif « personnel » ne peut guère être au pluriel et le
complément de nom qui l’accompagne, lui-même au singulier.
Exemples :
le personnel de service / le personnel de direction /
le personnel de santé /
le personnel de maison / le personnel d’encadrement
Ce complément de nom peut être remplacé par un adjectif. On parle du
« personnel enseignant », du « personnel navigant » (dans l’aviation, désigne
l’équipage, par opposition aux personnes qui, travaillant pour la même
compagnie, restent au sol), du « personnel hospitalier, administratif, dirigeant,
technique, médical », etc.
Dire « les personnels » pour « le personnel » ou « les employés » est un barbarisme.
« Personnel » est un nom collectif (d’une grande « singularité »).
En tant que « collectif », le nom « personnel » peut être précisé par un complément de
nom (singulier) ou un adjectif.
187
PANEL
ANGLICISMES
Comme quelque quatre-vingt mille autres, le mot « panel » fut français avant
d’intégrer le vocabulaire d’outre-Manche. Certains de ces mots nous sont
revenus beaucoup plus tard en tant qu’anglicismes : « panel » est de ceux-là. Il
n’est que l’une des formes anciennes du mot « panneau » qui a d’abord désigné
une pièce de tissu ou un coussin de selle, du latin pannus, « morceau d’étoffe ».
Les Anglais nous empruntent ce mot « pan(n)el » au tout début du
e
XIV siècle ; en quelques décennies, le mot va se spécialiser dans le domaine
juridique, s’appliquant à un morceau de parchemin sur lequel est écrite la liste
des jurés retenus pour former le jury d’un procès donné. C’est par ce biais que
panel a revêtu le sens général de « liste de personnes sélectionnées pour
donner un avis, débattre et, le cas échéant, émettre un jugement ».
Son retour parmi nous est récent : il est attesté pour la première fois en
1953 dans le contexte des sondages et enquêtes d’opinion ; il y désigne un
échantillon de femmes et d’hommes, représentatif de la population, que l’on
soumet à un questionnaire pour évaluer l’état et l’évolution de l’opinion sur un
sujet donné comme Internet dans le premier des exemples suivants ou la
télévision dans le deuxième :
« Aucun renseignement collecté grâce
à ce formulaire ne sera utilisé à d’autres fins
que l’élaboration du panel de testeurs. »
(UFC- Que choisir, 12 octobre 2017)
« C’est à toutes ces questions qu’un panel
de Français a été invité à répondre. »
(Économie Matin, article de Laure de Charrette,
publié le 2 novembre 2017)
Le mot « panel » s’applique aussi à un ensemble d’experts invités à débattre
à l’occasion d’une table ronde, chaque membre de ce comité étant un
« panéliste » parce qu’ayant été « panélisé ».
Le sens de « panel » s’est généralisé. Il est devenu synonyme de « choix »,
« ensemble », « échantillon », « palette » ou encore « éventail ». Cet anglicisme
emprunté à nos emprunteurs n’était donc pas vraiment indispensable.
« Panel » fut un mot français, forme ancienne de « panneau », que nous
empruntèrent les Anglais.
Son sens évolua outre-Manche.
Il nous est revenu au XXe siècle, intégrant notre lexique sous l’appellation
« anglicisme ».
188
LA PARTIE IMMERGÉE
(ÉMERGÉE) DE L’ICEBERG
TOURNURES EXASPÉRANTES
« “Cela pourrait n’être que la partie immergée de
l’iceberg”, poursuit le titre américain, car depuis le début
de l’année, plusieurs femmes ont accusé Polanski
de violences, de harcèlement et même de viol. »
(Courrier international, 2 novembre 2017)
« La révélation (tardive) de l’affaire Weinstein
en octobre 2017 n’était que la partie immergée de l’iceberg. »
(Cosmopolitan, 24 octobre 2017)
« Il est la partie immergée de l’iceberg,
tout en haut d’un système basé sur le harcèlement,
la dépréciation et l’ingérence. »
(Le Journal du dimanche, propos d’Emma Thompson
(mal ?) rapportés par Stéphane Joby dans son article
du 16 octobre 2017)
Décidément, les affaires Weinstein et Polanski auront fait couler beaucoup
d’encre. Pas assez toutefois pour que le principe d’Archimède soit bouleversé
et que la partie la plus importante d’un iceberg (90 % ‒ émergée) se trouve au-
dessus de la surface de la mer, la partie la moins importante se retrouvant ipso
facto en dessous (immergée).
Vous avez appris comme moi, au collège ou au lycée, que « tout corps
plongé dans un liquide… » ; bien sûr, l’énoncé, depuis, s’est offert des termes
plus scientifiques et les calculs se sont affinés, mais le principe reste le même
et que l’iceberg soit beaucoup plus volumineux au-dessus qu’en dessous, cela
ne se peut pas, même au sens figuré : l’affaire Weinstein doublée de l’affaire
Polanski n’est bien que la partie visible d’un immense scandale de société dont
la partie la plus importante reste à découvrir et les icebergs n’ont pas, que je
sache, basculé cul par-dessus tête. Alors ?
Alors… à moins que… attendez voir… bon sang, mais c’est bien sûr, ils
confondent « immerger » et « émerger » ! Voilà l’explication !
Les deux verbes ont une racine commune qui leur vient du latin mergere,
« plonger, s’enfoncer » mais l’un a pour préfixe im-, « dans », l’autre, e-,
raccourci de ex-, « en dehors ». « Immergée » veut donc dire « qui plonge (qui
est dans l’eau) » et « émergée », « qui est hors de l’eau ». Les deux participes
passés sont phonétiquement proches, ce qui laisse aux interviewés le bénéfice
du doute, mais pas aux journalistes censés transcrire leurs propos. Ceux-là
seraient bien inspirés de s’immerger plus souvent dans leur dictionnaire.
« Immerger » et « émerger » sont issus du latin mergere, « plonger ».
Mais ils sont, par leur préfixe, parfaitement opposés.
L’expression « partie immergée de l’iceberg » est d’autant plus exaspérante que, par
confusion lexicale, elle est souvent employée mal à propos.
189
GAGEURE
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
« Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. »
(La Fontaine, Le Lièvre et la Tortue, VI, 10)
« Tient la gageure à peu de gloire ». Quand, découvrant cette fable,
l’écolier arrive à ce vers, il n’y comprend rien. Le mot « gageure » est pour lui un
parfait alien lexical, un intrus issu de quelque langue absconse parce que
savante. Le maître peut alors avoir la bonne idée de rapprocher ce vers du
troisième où la tortue s’adresse au lièvre :
« Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Si tôt que moi ce but. »
« Gageons… gageure », voilà qui apporte quelque éclairage. « Gager », c’est
déposer quelque chose en gage dans le cadre d’un pari dont le motif est
synonyme de « gageure ». Le lièvre considère cette gageure, donc ce motif de
pari, comme peu glorieux tant il est vrai qu’un lièvre ne peut pas vraiment
s’enorgueillir de battre une tortue à la course : pas de quoi se vanter !
Tout est donc clair ; tout sauf la prononciation de notre mot, qui n’est donc
plus tout à fait un alien lexical : « gageure ». Naturellement, on a tendance à
prononcer la terminaison de « gageure » comme celle de « voyageur », ce qui
donne ceci en transcription phonétique : [gaʒœʀ] ; cette prononciation est
fréquente mais contestée. L’Académie affirme que dans « gageure », « eu » se
prononce « u », c’est-à-dire [y] ; la finale de « gageure » est donc semblable à
celle de « parjure » et l’on obtient cette nouvelle transcription phonétique :
[gaʒyʀ].
Le mot « gageure » n’est donc plus un secret et avec cette cent quatre-vingt-
neuvième fiche, on s’achemine doucement vers la fin de l’ouvrage avec cet
objectif : parvenir à un français impeccable à raison de cinq minutes par jour.
L’atteindrons-nous ? En tout cas, c’est là une véritable gageure, et je la tiens à
beaucoup de gloire !
« Gager » et « gageure » sont de la même famille.
Une « gageure » est un motif de pari pour lequel on met quelque chose en gage.
La finale de « gageure » se prononce comme celle de « parjure ».
TESTEZ-VOUS !
1. Quels sont les deux seuls noms communs se terminant par « -taphe » ?
2. L’un des deux signifie : « (écrit) sur une tombe ». Lequel ?
3. Répondez aux questions.
a) Qui peut faire une dictée sans faute ?
b) Qui peut faire une dictée sans fautes ?
4. Mettez le mot entre parenthèses au singulier ou au pluriel.
a) Mieux vaut ne pas se retrouver sans (argent).
b) Mieux vaut ne pas se retrouver sans (pépète).
5. Par quoi peut-on remplacer le barbarisme « les personnels (d’une
entreprise) » ?
6. Quels mots français peut-on choisir pour éviter l’anglicisme « panel »
(trois exemples) ?
7. Quelle est l’origine du mot « panel » ?
8. Quelle est la différence entre « émerger » et « immerger » ?
9. Le mot « gageure » rime-t-il avec « injure » ou avec « largeur » ?
190
PALABRE
FÉMININ OU MASCULIN ?
Le mot nous vient de l’espagnol palabra, métathèse16 de parabla, du latin
parabola, « parole », mais cette parole a pris en français plusieurs significations
bien particulières :
‒ au pluriel, faire des « palabres », c’est se livrer à une discussion
interminable et sans grand intérêt ; c’est le sens actuel le plus usité ; on le
retrouve dans le verbe « palabrer ».
‒ au singulier, « palabre » désigne, en Afrique noire, l’assemblée coutumière
où les hommes discutent des affaires importantes et prennent les décisions qui
s’imposent. Le mot s’applique aussi à toute discussion qui peut tourner au
vinaigre et donner lieu à des échanges conflictuels, d’où l’expression « faire
palabre » signifiant « chercher la bagarre » ;
‒ toujours en Afrique noire, « l’arbre à palabres » est l’arbre du village sous
lequel les gens se retrouvent pour discuter ;
‒ curieusement, le mot a fait référence aux cadeaux qu’il fallait offrir aux
petits rois des côtes africaines pour s’attirer leurs bonnes grâces ;
‒ enfin, « palabre » qualifiait jadis tout discours grandiloquent, toute parole
délivrée avec emphase.
Tout cela ne nous dit pas si le mot est féminin ou masculin ; doit-on parler
de « palabre africaine » ou « africain » ? Qu’en disent les écrivains ?
« […] cette peuplade […] pour qui la vie, c’est la palabre,
la guerre et la fête, et qui fait de la nonchalance
et de l’impassibilité la marque de la noblesse. »
(Paul Hazoumé, Doguicimi, Larose, 1938)
« Quel est le palabre que nous n’aurions
pas pu régler dans notre case ? »
(Venance Konan, Nous revenons de si loin, in FratMat.info,
16 octobre 2017)
Qui, du Béninois Paul Hazoumé ou de l’Ivoirien Venance Konan, a raison ?
LA palabre ou LE palabre ?
Les deux, mon adjudant ! « Palabre » fait partie de ces noms acceptant les
deux genres sans que leur signification change (cf. la liste à la fiche 8).
« Palabre », « parabole » et « parole » ont une origine commune : le latin parabola,
« parole (divine) », mais aussi « comparaison ».
« Palabre » est des deux genres bien que le féminin soit plus souvent employé.
UN CIEL DE TRAÎNE
À L’ARRIÈRE
PLÉONASMES
Les présentateurs de bulletins météorologiques font parfois preuve d’une
belle imagination pour inventer des tournures qui n’appartiennent qu’à eux
(masculin générique !). On en a déjà trouvé quelques-unes au long de cet
ouvrage ; celle-ci, récente, ne manque pas de charme :
« Un ciel de traîne à l’arrière. »
La précision « à l’arrière » s’imposait-elle ? Je cherche la définition de
« traîne » dans le TLF et je lis cette première définition :
« Partie d’un vêtement long prolongeant le dos
et traînant sur le sol derrière la personne qui marche. »
Et, plus loin :
« MÉTÉOR. (Par analogie du précédent).
Zone postérieure d’un système nuageux par rapport
à la direction de son déplacement. »
On ne saurait être plus précis. « Traîne » désignant une « zone postérieure »,
un « ciel de traîne » ne peut donc être qu’« à l’arrière » et, sans aucun doute, on
a bien affaire à un pléonasme.
Faute vénielle, j’en conviens, qui dénote toutefois une certaine paresse de
l’esprit : on ne fait plus vraiment attention au sens précis des mots que l’on
utilise et, la pensée n’étant plus sollicitée, la parole devient plus ou moins
automatique. Cela n’est évidemment pas très grave si l’on parle de la pluie et
du beau temps ; d’ailleurs, le plus souvent, un pléonasme de ce genre passe
inaperçu : seul un coupeur de cheveux en quatre (suivez mon regard !) le fera
remarquer ; un haussement d’épaules ou un sourire accueilleront alors le « ciel
de traîne à l’arrière ».
Le sourire s’accentuera quand on essaiera d’imaginer une « traîne à l’avant » :
une jolie princesse en robe de mariée courant en talons hauts dans l’allée
centrale de Westminster derrière deux gamins endimanchés fonçant vers
l’autel en tirant sa longue « traîne » dont le nom, pour le coup, devrait être
différent !
Autre possibilité : la même jolie princesse marchant à reculons toujours en
talons hauts vers l’autel de l’abbatiale devançant les deux mêmes gamins
endimanchés qui commencent à en avoir marre de porter cette fichue traîne
dans des situations aussi absurdes ! Alors, ayons pitié des deux gamins et que la
princesse aille se rhabiller : une traîne doit être à l’arrière, un ciel de traîne
aussi, un point, c’est tout, et il fera beau demain ! Non, mais…
L’inventaire des pléonasmes est un inventaire ouvert.
Parler sans vraiment réfléchir au sens des mots employés est source de pléonasmes.
« Un ciel de traîne à l’arrière » illustre bien cette idée.
192
Français français
SOLÉCISMES
« Le français Talismanic a brillé dans
la Breeders’ Cup Turf (G.1, 2400 mètres)
ce samedi 4 novembre. »
(BFMTV.com, article de Frederic Kita, publié
le 5 novembre 2017)
« La chaîne CopyComic Videos s’est donné
une mission : dénoncer les plagiats
de nos comiques Français. »
(fr.ubergizmo.com, publié le 5 novembre 2017)
« Les 10 séries françaises préférées
des français sont… »
(Titre d’un article publié sur allociné.fr le 1er novembre
2017 par Jean-Maxime Renault)
La règle est pourtant simple. Il faut, préalablement déterminer si le mot
exprimant la nationalité est un adjectif ou un nom.
Pour le nom, l’identification est facilitée par la présence d’un article (défini
ou indéfini) ou d’un indéfini exprimant une pluralité imprécise (« plusieurs »,
« quelques ») ou encore d’un adjectif numéral. Le nom de nationalité
commence TOUJOURS par une majuscule :
« Le Français est réputé râleur. »
« Une Française a remporté le tournoi
de tennis de Wimbledon. »
« Plusieurs Américains se trouvaient dans l’avion
qui s’est abîmé en mer. »
« Neuf Anglais sur dix boivent du thé au petit déjeuner. »
L’adjectif de nationalité est en rapport avec un nom dont il est soit épithète,
soit attribut. Il commence par une minuscule sauf quand, en apposition, il se
trouve aussi en tête de phrase.
« Pablo Neruda est un poète espagnol. »
« Les parents d’Yves Montand étaient italiens. »
Les trois exemples qui ouvrent ce chapitre sont donc fautifs : dans le
premier et le troisième, « Français » aurait dû être écrit avec un « F » majuscule,
dans le deuxième, avec un « f » minuscule.
Les substantifs (noms) de nationalité commencent toujours par une majuscule.
Les adjectifs de nationalité commencent par une minuscule.
Les adjectifs de nationalité peuvent être, comme tous les adjectifs, attributs ou
épithètes.
193
ANGLICISMES
NAME DROPPING
« To drop » signifie « lâcher », « laisser tomber » (au sens propre du terme !)
et « name », « nom » au sens large, l’idée étant ici plurielle (le plus possible, en
l’occurrence) bien que le « s » soit absent, « name » ayant une fonction et une
position adjectivales et l’adjectif étant invariable en anglais.
Il est donc question de laisser tomber des noms, de les lâcher au cours
d’une conversation, des noms célèbres de personnes vivantes ou, mieux,
récemment disparues (elles ne pourront pas vous contredire !) et si vous
« laissez tomber » seulement leur prénom dans un premier temps pour laisser
croire que vous êtes ou fûtes vraiment proches, voire intimes, c’est encore
mieux. Illustrons cela par un petit monologue de Charles Hubert (Charl’Hub
pour les intimes) :
« J’en parlais justement à Lambert la semaine dernière lors du meeting de
soutien à Yannick : il faut vraiment accélérer la reforestation d’Haïti. D’ailleurs
Philippe était là et, engagé comme il l’est, il s’est déclaré prêt à se joindre au
mouvement, et l’on ne désespère pas de convaincre Jean-Luc d’en faire
autant. »
Mine plus ou moins ébahie de l’assistance qui aura bien sûr l’occasion
d’entendre les choses se préciser. Elle apprendra vite de la bouche même de
Charl’Hub (faisons-lui confiance !) qu’il parlait de Lambert Wilson, Yannick
Jadot, Philippe Torreton et Jean-Luc Mélenchon, personnalités qu’il a peut-
être eu l’occasion de voir dans un meeting, mais de loin. Qu’importe ! au jeu de
la vantardise snobinarde, de la fanfaronnade bobo, tous les moyens sont bons
pour impressionner son interlocuteur et faire naître en lui un sentiment
d’infériorité, ce qui est l’un des objectifs de ces « lâchers de noms », de ces
« énumérations ».
Le « lâcher de noms » peut aussi concerner des titres d’œuvres (title
dropping), ce qui laisse entendre, non seulement que vous avez de l’instruction,
une culture importante, mais également, si l’énumération contient des titres
d’œuvres dont parle la presse parisienne, que vous êtes au courant des tout
derniers succès culturels : la classe !... ou le ridicule, comme celui d’une
snobinette de ma connaissance (nul n’est parfait !) qui avait terminé son
énumération par ces mots : « Moi, personnellement, l’œuvre qui me bouleverse
et me tire les larmes, c’est le Requiem de Jean Sébastien Bach ! » Et le moins
dupe des interlocuteurs de se surprendre à réciter les paroles de l’Ecclésiaste :
« Vanité des vanités, tout est vanité. » Pour information : Jean Sébastien n’a
jamais composé de « Requiem ».
Citer des « célébrités » en faisant croire qu’on les connaît, tel est le name dropping.
Pour impressionner l’auditoire, on peut aussi citer des titres d’œuvres (title
dropping).
Les procédés sont répréhensibles tout comme les anglicismes qui les nomment et que
l’on peut remplacer par « lâcher de noms » (« de titres ») ou « énumération ».
195
À PLUS / À TOUTE
TOURNURES EXASPÉRANTES
Le « s » de « plus » est prononcé, ce qui implique que « plus » soit le
comparatif de « beaucoup » ‒ le « plus » de « J’en veux plus » (= « davantage »)
et non celui de « Je n’ai plus vingt ans ». Quant au « e » de « toute », il n’a
d’autre rôle que de faire prononcer un « t » final qui, dans la tournure en
question, ne se fait entendre que par sa liaison avec la voyelle qui suit.
Autrement dit, cette prononciation, dans les deux cas, de la consonne finale,
nous induit en erreur et nous empêche de comprendre l’apocope si l’on admet
que le mot « apocope » peut s’appliquer à la disparition d’un ou plusieurs mots
à la fin d’une expression figée.
« À plus » représente en effet une apocope de l’expression figée « à plus
tard ! » et « à toute » est celle de « à tout à l’heure ! », car, ne nous y trompons
pas, prononcer de telles formules in extenso demande un effort surhumain qui
justifie qu’on les raccourcisse. De plus, cela vous donne un petit air jeune et
branché qui n’est pas inintéressant, loin de là !
Alors, soyez-en sûr, si votre ami coupe court (c’est le cas de le dire !) à la
conversation en vous lançant : « Excuse-moi, vieux, j’ai un rendez-vous
important, il faut que je te quitte ; allez, à toute ! », vous serez le dernier des
bourricots si vous comprenez « à toute vitesse ! » ou « à toutes fins utiles ! » ;
s’il conclut plutôt sa phrase par « à plus ! », il n’y aura rien à comprendre sinon
que votre ami aura décidé de suivre cette mode ridicule qui lui fait accourcir « à
plus tard » n’importe comment !
Notre époque adore les apocopes, elle aime que tout soit apetissé :
« anniversaire » devient « anniv’ », « petit déjeuner » s’abrège en « p’tit déj’ »,
« après-midi » en « aprèm’ », et souvent, les mots ne se disent plus que par leur
préfixe comme « micro » (« -phone », « -scope » ou « -ordinateur » ? »), « radio »
(« -phonie » ou « -scopie » ?), « chir » (« -urgien » ou « - opracteur » ?), « para »
(« -chutiste » ou « -plégique » ?), « cata » (« -strophe » ou « -racte ? »), « com »
(« -munication » ou « -munauté » ?), « psy » (« -chologue », « -chanalyste » ou « -
chiatre » ?), etc. : les mots de notre belle langue sont impitoyablement
raccourcis par des locuteurs inconscients qui ne se rendent même pas compte
que cet élagage non seulement l’enlaidit, mais risque, en plus, de la rendre
absconse.
Revenons à nos tournures exaspérantes. Même si l’on m’en prie, je n’agréerai
jamais ces expressions de salutations compressées que sont « à plus ! » et « à
toute ! » et je n’agréerai pas davantage ces autres formules insignifiantes que
sont « à très vite ! » et « à tout bientôt ! ».
« À plus » et « à toute » sont des formules tronquées qui n’ont aucun sens.
Elles sont de nouvelles illustrations du goût de notre époque pour les apocopes.
À force de raccourcir les mots, notre société deviendra championne, sinon de
l’incompréhension, du moins du massacre de notre langue.
196
LA PONCTUATION ? RESPECT !
PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION
Des conseils ont été donnés pour bien distinguer les « h » aspirés des « h »
muets (cf. 161, 168 et 175). Avant d’en venir à des recommandations du même
genre pour bien tenir compte de la ponctuation, tordons le cou à une idée
assez communément partagée. Nombreux sont ceux qui considèrent la
ponctuation inutile ; les mêmes ne font d’ailleurs aucune différence entre un
point et une virgule, ignorent l’existence du point-virgule, emploient les points
de suspension à mauvais escient ou font un usage aussi considérable
qu’inconsidéré du point d’exclamation et des guillemets, à moins qu’ils
n’écrivent sans ponctuer leurs textes, ce qui supprime les doutes et les
hésitations.
« La ponctuation ne sert pas à grand-chose ! » Telle fut aussi la réponse d’un
instituteur à l’inspecteur qui s’indignait de virgules mal placées dans la copie
d’un élève. « La ponctuation ne sert pas à grand-chose, dites-vous, eh bien,
voudriez-vous aller au tableau et écrire sous ma dictée :
L’INSPECTEUR DIT LE MAÎTRE EST UN IMBÉCILE »
Le maître s’exécute, regrettant déjà ses paroles.
« Maintenant, reprend l’inspecteur, ayez l’amabilité d’ajouter à la phrase
cette ponctuation dont vous prétendez qu’elle ne sert pas à grand-chose ! »
L’instituteur réfléchit et comprend vite que deux solutions sont possibles :
« L’inspecteur dit : “Le maître est un imbécile !” »
ou,
« L’inspecteur, dit le maître, est un imbécile. »
Bien sûr, l’instituteur opte pour la première solution.
« Voyez-vous, conclut l’inspecteur, loin de moi l’idée de vous prendre pour
un imbécile, mais cette ponctuation que vous considériez comme quasiment
inutile, vous comprenez maintenant qu’elle sert tout de même à donner son
sens à la phrase. »
Ajoutons qu’elle permet aussi de lire à haute voix de façon parfaitement
intelligible, lecture qui, de surcroît, donne à votre discours une incontestable
autorité, à condition de suivre ces préceptes :
‒ comptez mentalement « un » à chaque virgule, « deux » à chaque point-
virgule, « deux » aussi à chaque deux-points et « trois » à chaque point, y
compris les points d’exclamation, d’interrogation et de suspension. Ces pauses
permettent aussi d’anticiper la découverte, donc la compréhension de la
phrase suivante ;
‒ adoptez l’intonation adéquate que la lecture anticipée vous aura permis
de définir.
Vous délivrerez ainsi un discours impeccable et, satisfait du résultat obtenu,
vous proclamerez :
La ponctuation ? Respect !
La ponctuation donne son sens à la phrase.
Elle rend aussi le discours oral parfaitement intelligible.
À la lecture, elle ménage des pauses qui permettent d’anticiper la phrase suivante.
TESTEZ-VOUS !
1. Citez deux noms communs ayant la même étymologie que « palabre ».
2. En Afrique noire, qu’est-ce que l’« arbre à palabres » ?
3. Complétez les phrases suivantes avec l’adjectif ou le nom de
nationalité correspondant au pays cité entre parenthèses.
a) Les (Amérique) sont souvent considérés comme les gendarmes du
monde.
b) La célébrité du cinéma (Amérique) doit beaucoup à Hollywood.
c) Le (Finlande) est une langue scandinave.
d) Non, le (France) moyen ne mange pas souvent de cuisses de grenouilles !
e) Le flamenco est une danse (Espagne).
4. Donnez trois synonymes de « tout de suite ».
5. Quel est le sens de l’expression « de suite » ?
6. Donnez quatre exemples d’apocopes qui réduisent le nom à son
préfixe.
197
RÉGLISSE
FÉMININ OU MASCULIN ?
L’aventure étymologique du mot « réglisse » est passionnante.
Formé à partir de glykys, « sucre », qui a donné notre « glucose », et de
rhiza, « racine », à l’origine de notre « rhizome », glykyrrhiza désignait, en grec
ancien, une « racine sucrée ». Le mot deviendra liquiritia en bas latin sous
l’influence du latin liquor, « liquide ». En français du XIIe siècle, liquiritia devient
licorece puis licorice (qui nous est d’ailleurs emprunté par les Anglais).
Chambardement au XIIIe siècle dans l’ordre des voyelles : par métathèse,
licorice se transforme en ricolice, reculice, requelisse, et régulisse*, peut-être
par « contamination » de « règle », le produit étant commercialisé en longs
bâtons.
Sous sa forme actuelle, « réglisse » est cependant attesté dès la fin du
e
XIV siècle dans Le Ménagier de Paris (1393 ?) ; mais quelle est la phrase exacte
TAUX D’ALCOOLÉMIE
PLÉONASMES
« 0,57. C’est le taux d’alcoolémie, en milligramme par
litre d’air expiré, que ce Dijonnais de 35 ans affichait
lorsqu’il a été contrôlé par la police. »
(Bien public, article publié le 7 novembre 2017)
« Laurent fait appel sur l’appréciation de la marge
d’erreur du taux d’alcoolémie relevé. »
(La Nouvelle République, article publié
le 25 octobre 2017)
« Charente : sept mois de prison pour l’automobiliste
au taux d’alcoolémie record »
(Le Parisien, titre d’un article publié par
Victor Fortunato, le 15 septembre 2017)
Le mot « alcoolémie » a été créé récemment (1938) à partir du mot « alcool »
augmenté du suffixe « -émie » issu du grec haimia, « sang ». Ce suffixe a servi à
former de nombreux mots savants désignant la présence dans le sang de ce
que signifie le premier élément :
‒ glycémie = présence de sucre (glucose, voir fiche précédente) ;
‒ leucémie = présence anormalement élevée de leucocytes ;
‒ urémie = présence d’urée ;
‒ alcoolémie = présence d’alcool.
Une confirmation par les dictionnaires s’impose.
À l’entrée « alcoolémie », on lit
‒ dans Le Grand Robert : « taux d’alcool (éthylique) dans le sang » ;
‒ dans Le Petit Larousse : « teneur du sang en alcool éthylique » ;
‒ dans le TLF : « présence d’alcool éthylique dans le sang ».
« Taux d’alcoolémie » est donc une redondance, puisqu’il s’agit de « taux de
taux d’alcool dans le sang ». Ce « taux de taux » est une véritable « tautologie »
et les journalistes auraient dû choisir : « alcoolémie » ou « taux d’alcool ».
Rappel : il est interdit de conduire avec une alcoolémie (ou un taux d’alcool
dans le sang) égale ou supérieure à 0,5 gramme (0,2 pour les permis
probatoires).
Boire ou conduire, il faut choisir ; taux d’alcool et alcoolémie, aussi !
Dans « alcoolémie », le suffixe « -émie » vient du grec haimia, « sang ».
ATTENTION INTENTION
BARBARISMES
L’hésitation se manifeste essentiellement dans le domaine de la
correspondance ‒ si, si ! Quelques irréductibles envoient encore des lettres
par voie postale. Pour s’assurer que votre lettre (et surtout pas « votre
courrier » !) sera lue par le bon destinataire que faut-il donc préciser sur
l’enveloppe et au début de la missive : « À l’attention de… » ou « À l’intention
de… » ?
La réponse réside évidemment dans la signification de chaque expression :
‒ « à l’attention de … » précise que vous souhaitez attirer l’attention de telle
ou telle personne sur l’objet de votre « bafouille » : demande particulière,
critique, réclamation, éloge (attention : « UN éloge » !), réponse, etc. ;
‒ « à l’intention de… » signifie que vous agissez spécifiquement pour
monsieur X ou madame Y, en son honneur ; elle précise que ce que vous faites
lui est spécialement destiné. On peut donc admettre que la formule soit
utilisée au début de votre babillarde si celle-ci est favorable à monsieur X ou
madame Y, le ou la complimente, le ou la félicite, etc., mais elle sera plus à sa
place en présentation d’un discours, pour introduire la dédicace d’un poème,
etc.
La nuance est subtile, car vous pouvez par exemple rédiger une lettre de
félicitations à l’intention de monsieur XY dont vous voulez préalablement
attirer l’attention : « J’attire l’attention de monsieur XY sur cette lettre que j’ai
rédigée à son intention. » La langue française vaut aussi par sa capacité à
exprimer les nuances.
La formule « à l’attention de » précise quel est l’exact destinataire de votre lettre, celui
dont vous souhaitez attirer l’attention.
« À l’intention de » est utilisé en introduction d’un discours, d’une lettre d’éloge, d’un
poème, d’un acte spécialement dédié à telle ou telle personne.
Entre les deux formules, la nuance est subtile.
200 bis
BARBARISMES CÉLÈBRES
Voici, seulement pour rire ou sourire, un petit rappel commenté de
quelques barbarismes fameux, proférés tout de go par des personnages
politiques en vue.
Pourtant, ils n’étaient que quatre !
Le 23 avril 1961, le général de Gaulle, président de la République, s’adresse
aux Français pour proclamer l’état d’urgence et en profite pour fustiger les
généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, qui, la veille, ont pris le pouvoir en
Algérie par un putsch militaire, pouvoir que le général de Gaulle qualifie
d’insurrectionnel, putsch qu’il appelle « pronunciamiento » militaire. Il ajoute :
« Ce pouvoir a une apparence : un quarteron
de généraux en retraite. »
Le mot « quarteron » sonne comme une injure et c’est évidemment pour
cela que de Gaulle l’a choisi. Le mot n’a cependant pas le sens de « groupe de
quatre ». Il est dérivé de « quart » ou de « quartier », non de « quatre », et
désigne le quart d’une livre ou, régionalement, le quart d’un cent. Toutefois,
une acception récente fait de « quarteron » un synonyme de « petit nombre ».
Louis Aragon l’emploie en ce sens en 1958 quand dans La Semaine sainte, il
nous parle d’« un quarteron de conjurés monarchistes ». De Gaulle avait-il lu
Aragon ?
Une nouvelle forme de courage ?
Des journalistes et politiciens bien intentionnés ont voulu faire de l’incident
un événement planétaire quand Ségolène Royal, alors candidate à l’élection
présidentielle, déclara le 6 janvier 2007 :
« Comme le disent les Chinois, qui n’est pas venu
sur la Grande Muraille n’est pas un brave. Qui va
sur la Grande Muraille conquiert la bravitude. »
« Bravitude » ! Quel barbarisme ! Comment, madame Royal veut présider la
France alors que ses lacunes en français vont jusqu’à ne pas connaître le mot
« bravoure » qu’elle remplace par un néologisme ?
Tout doux, Messieurs les polémistes, n’allez pas trop vite en besogne !
Cette « bravitude » que François Hollande qualifia subtilement de
« chinoiserie » n’équivaut pas exactement à « bravoure ». Quand, dans des
temps anciens, la Grande Muraille était un rempart contre les invasions,
mongoles notamment, les guerriers chinois devaient vraiment faire preuve de
« bravoure », mais aujourd’hui, la gravir n’implique aucun péril et une dose de
« bravitude » peut suffire. Comme l’a dit Jack Lang, « bravitude » est un beau
néologisme, fruit d’un esprit créatif.
Une allusion au français médiéval ?
Nous sommes le 27 mars 2012 à Nantes. Nicolas Sarkozy, au cours du
meeting électoral qu’il tient, évoque les
« réponses qu’on va regarder avec cette méprisance,
cette attitude hautaine ».
« Méprisance » plutôt que « mépris », la substitution est originale. Il est
simplement dommage que « méprisance » n’existe pas. Il a certes existé dans
ces temps médiévaux où la langue française prenait son indépendance par
rapport au latin. Aux XIVe et XVe siècles, « mesprisance » signifiait bien « mépris »,
« mépris » ayant alors le sens de « méprise ». M. Sarkozy connaît-il si bien cette
langue que les linguistes ont baptisée « moyen français » ?
Que celui qui n’a jamais, par inadvertation, déformé des mots, leur jette la
première pierre ! Je doute toutefois que l’on puisse en venir à une quelconque
lapidance, même morale. Alors, faisons preuve d’un peu d’indulgitude même si
d’aucuns considèrent que de tels barbarasmes sont rédhibiteurs, surtout quand
ils sont commis par des personnalités de cet acabat.
: sens interdits à répartir devant les fautes identifiées dans le
dernier paragraphe.
201
ÊTES-VOUS CONFORTABLE
DANS CETTE POSITION ?
ANGLICISMES
« Êtes-vous confortable dans cette position ? »
(Patrice Bouchardon, De l’énergie des arbres à l’homme,
Le Courrier du livre, 2017)
« Booba confortable mais sans surprise sur son “Trône” »
(Titre d’un article publié par Stéphanie Binet
le 2 décembre 2017 sur lemonde.fr)
« Est-ce que je me sens confortable ici et maintenant ? »
(Isabelle Filliozat, Bien dans sa cuisine,
J.-C. Lattès, 2012)
La métonymie3 a encore frappé ! Pas assez fort toutefois pour que l’adjectif
« confortable » soit purement et simplement accepté, en ce sens, par nos
dictionnaires, à l’exception du TLF. Larousse y voit un emploi « familier »,
Robert, lui, le dénonce comme anglicisme.
Qualifiant une personne, « confortable » résulterait, en effet, d’une
traduction littérale de la formulation anglaise : Are you comfortable ?, « Êtes-
vous confortable ? » Il serait en effet plus correct de dire : « Êtes-vous
confortablement installé ? » ou « Êtes-vous à l’aise ? » et laisser l’adjectif
« confortable » qualifier un objet (chaise, fauteuil, lit), une position, une
situation, « confortable » pouvant alors devenir synonyme de « fortuné, à l’abri
du besoin ».
L’histoire de ce vocable est cependant un peu plus alambiquée. Les Anglais
nous ont d’abord emprunté le nom commun « confort », dès le début du
e
XIII siècle. À la fin de ce même siècle, c’est le verbe « conforter » qui aurait