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Direction

éditoriale : Stéphane Chabenat


Éditrice : Pauline Labbé
Conception graphique et mise en pages :
Florence Cailly
Conception couverture : MaGwen

Les Éditions de l’Opportun


16 rue Dupetit-Thouars
75003 Paris

www.editionsopportun.com
Introduction

BIEN PARLER POUR MIEUX VIVRE


La langue française est complexe, son orthographe, anarchique, sa
grammaire, pleine d’embûches, sa conjugaison, impossible à maîtriser, bref, c’est
une langue… euh, que dire ?… Quel qualificatif cet apôtre du tout-anglais avait-il
employé un soir de débat houleux ?… « Indubitable ? », non, mais quelque
chose de ce genre… « Imbitable », c’est cela : « imbitable » ! Élégant, non ? Au
moins reconnaissait-il par ce qualificatif distingué que notre langue est une
maîtresse indomptable, inaccessible à qui veut la posséder sans égards. Chez
cet ami, la sévérité du jugement n’était finalement que l’expression d’un dépit
amoureux.
Il confondait aussi complexité et richesse, car la richesse de notre langue
peut impressionner les béotiens de telle sorte qu’ils se découragent et
préfèrent finalement opter pour la médiocrité, les approximations, les fautes.
Se drapant d’un manteau de dérision doublé de mauvaise foi, ils vous assènent
alors de fausses raisons, des contre-vérités, des arguments totalement éculés
comme celui qui, au motif que la langue est vivante, ouvre la porte à tous les
excès, maquille les erreurs en inventions, déguise les fautes en trouvailles et
laisse le champ libre aux anglicismes les plus hideux, les plus inutiles et les plus
destructeurs, ceux que je nomme « lexicophages » parce qu’ils prennent la
place de mots français plus précis, plus nuancés, plus subtils, tant de mots qui
vont se retrouver dans la basse-fosse d’un lexique oublié, qualifié de « vieilli »
ou de « rare » dans les dictionnaires.
Par un bien étrange paradoxe, ces béotiens pensent se glorifier en adoptant
les anglicismes à la mode, alors même que, de l’anglais, ils sont généralement
de bien piètres locuteurs. Quant à leur langue maternelle, celle qu’ils trouvent
trop complexe et qu’ils revendiquent « vivante », ils la tuent à petit feu et sont
presque fiers d’en être les fossoyeurs.
Je crie donc « halte au feu ! », si petit soit-il. Il faut sauver notre belle langue
française, en grand danger de s’éteindre à force d’être agressée. Les fautes en
tout genre se multiplient et s’étalent sur tous les supports médiatiques ; nos
chers bavards des ondes hertziennes sont de plus en plus nombreux à ne pas
savoir construire leurs phrases de façon cohérente ; outre les anglicismes
destructeurs, ils parsèment leurs interventions de « voilà », de « eh bien », de
« en fait », ils répètent les tournures exaspérantes jusqu’à l’écœurement, ils
font des liaisons là où elles sont interdites, ils ne lient pas là où il faudrait lier,
leur reconnaissance des « h » aspirés est défaillante, leur vocabulaire est
indigent, à tel point que souvent, ces parleurs patentés cherchent en vain le
mot juste susceptible d’exprimer leur pensée avec précision, etc.
Pourtant, par qui veut vraiment la comprendre, la bien écrire, la bien lire, la
bien parler, la langue française se laisse volontiers dompter ; sa syntaxe devient
alors cohérente, sa conjugaison, logique, sa grammaire, compréhensible. À qui
cherche à en remonter le cours, le lexique se précise à la faveur de
l’étymologie et l’on fait de passionnantes découvertes.
En septembre 2014, j’ai publié Langue française, arrêtez le massacre ! J’y ai
mentionné les fautes relevées chez ceux dont la fonction est principalement de
parler ou d’écrire. Mieux que de dénoncer journalistes et hommes politiques
coupables, j’ai explicité la nature de leurs erreurs en les replaçant, aussi
souvent que possible, dans leur contexte étymologique.
En septembre 2016, Langue française, le massacre continue ! fut édité à
son tour, venant compléter mon travail à partir de nouveaux exemples et de
quelques thèmes supplémentaires. Je disposais ainsi d’un inventaire sinon
exhaustif, du moins bien rempli et bien représentatif des difficultés les plus
courantes rencontrées par nos concitoyens en matière de langue française. J’ai
réparti ces difficultés en séquences regroupant chacune sept chapitres :
« Féminin ou masculin ? », « Pléonasmes », « Solécismes », « Barbarismes »,
« Anglicismes », « Tournures exaspérantes » et « Pataquès et fautes de
prononciation ». À partir de ce « riche » matériau et à la demande de mon
éditeur, Stéphane Chabenat, j’ai réfléchi à la possibilité d’un ouvrage didactique
apte à rendre tout un chacun capable d’améliorer sa maîtrise du français en ne
consacrant à ce projet que cinq minutes par jour et ce, pendant deux cents
jours. Vingt-neuf pages d’exercices corrigés permettent de vérifier les progrès
accomplis.
Cet ouvrage n’est pourtant ni un traité de grammaire, ni un manuel scolaire,
ni même un livre d’exercices type « cahier de vacances » (le bel oxymore !). J’ai
souhaité y joindre l’agréable à l’utile, ayant recours à des historiettes, des
anecdotes, des références à certains faits historiques ou d’actualité, de sorte
que la mémoire soit aidée, chaque point de langue étant associé, aussi souvent
que possible, à une particularité originale, de préférence humoristique. Par
rapport aux deux ouvrages cités, les exemples sont presque toujours nouveaux,
essentiellement empruntés aux journaux et magazines. Avec une divine
générosité, cette presse écrite m’a donné chaque jour mon pain quotidien de
solécismes, barbarismes, anglicismes, ceux-là même qui correspondaient au
sujet précisément traité, de sorte que l’on peut suivre l’avancée chronologique
de mon travail aux dates de publication des articles incriminés.
Rêvons ensemble d’une société où chacun s’exprimerait clairement, ayant
acquis les moyens de mettre son langage en parfait accord avec sa pensée.
L’invective s’y ferait rare, car l’invective n’est qu’un triste expédient quand le
langage est pauvre. La violence s’y atténuerait, car la violence suit l’invective.
Est-ce donc si utopique ?
Que ce livre soit à la fois utile et agréable, telle est mon attente. Son but
n’est pas de faire des tribuns de nous tous, ni même des Saint Jean Bouche
d’or, mais au moins nous fera-t-il comprendre que l’aptitude à mettre son
langage au service de sa pensée est la garantie du bien parler sans lequel il ne
saurait y avoir d’harmonie entre les hommes. À défaut d’être de brillants
orateurs, sachons simplement exprimer nos idées de façon évidente, limpide, et
chérissons notre français, ce bel et riche idiome, modèle de raison et de clarté,
qui nous permet d’atteindre un si noble objectif.


J.M., le 8 décembre 2017





Attention ! Dans les pages qui suivent, ce pictogramme rappelant un sens
interdit est toujours placé devant un mot fautif ou une phrase incorrecte.
N’empruntez jamais ces voies : elles sont impraticables !

Solécismes1 Les chiffres placés en exposant à droite de certains mots
renvoient au glossaire situé à la fin du livre.

À la fin de chaque chapitre, trois indiquent les préceptes qu’il serait
souhaitable de mémoriser.
1

APOGÉE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Doit-on dire « un apogée » ou « une apogée » ?
La terminaison « ée » peut nous induire en erreur en nous incitant à choisir le
féminin. En effet, ne dit-on pas « une allée », « une année », « une azalée », « une
cheminée », « une dictée », « une fée », « une fumée », « une idée », « une
journée », « une mosquée », « une orchidée », « une panacée », « une pensée »,
« une vallée », « une dragée », « une gorgée », « une plongée », « une rangée », et
toute une… flopée d’autres exemples ?
Oui, mais on dit aussi « un lycée », « un caducée », « un camée », « un
mausolée », « un musée », « un prytanée», « un scarabée », « un trophée » et
quelques autres mots d’un emploi plus rare dont « hypogée » (construction,
notamment funéraire, située en dessous du niveau du sol).
« Apogée » n’est donc pas une exception, que le mot soit utilisé au sens
propre de « point extrême de l’orbite d’un astre par rapport au centre de la
Terre » (en ce sens, son contraire, « périgée », est tout aussi masculin) ou au
sens figuré de « plus haut degré ».
Comment donc s’y retrouver ? Existe-t-il un moyen mnémotechnique ?
Savoir que ces mots masculins en « ée » sont d’origine grecque ou latine et que
« ée » y est un vestige de la finale latine « eum/eus » ne nous avance guère.
Alors ? Alors, le problème n’est, en l’occurrence, pas si épineux qu’il y paraît
puisque la distinction féminin/masculin ne se pose que pour quelques mots
qu’il suffit, en fin de compte, d’apprendre par cœur.
En tout cas, gardons-nous d’invoquer une pseudo-théorie qui voudrait
établir un lien entre genre grammatical et sexe (identification sexuelle),
attribuant une masculinité à certains objets ou concepts et une féminité à
d’autres : le sexe des mots est aussi irréel que celui des anges et l’on
chercherait en vain dans un mausolée je ne sais quel caractère viril susceptible
de s’opposer aux particularités féminines d’une mosquée. En outre, expliquer
que le masculin assume la fonction du genre neutre, qui n’existe pas
spécifiquement en français, ne nous permet pas davantage de résoudre notre
problème.
Soyons-en donc persuadés : le genre grammatical est, le plus souvent, tout
simplement arbitraire, comme l’illustre cette historiette rapportée en 1830 par
Dominique Joseph Mozin dans son Florilège d’anecdotes françaises et
allemandes :
« Henri IV ayant dit “un cuiller d’argent”, tous ses courtisans se
regardèrent. Il consulta Malherbe et lui demanda si cuiller était masculin. “Ce
mot, répondit Malherbe, sera toujours féminin, jusqu’à ce que Votre Majesté
fasse un édit qui ordonne, sous peine de la vie, qu’il devienne masculin.” »
Le genre des mots n’a cependant jamais dépendu du bon plaisir des rois,
jarnicoton !





Le genre d’un nom n’est pas nécessairement indiqué par sa terminaison.
Le genre d’un nom ne marque pas nécessairement l’identité sexuelle de l’être que ce
nom désigne.

Le genre d’un nom peut ne relever que de l’arbitraire.


2

Au jour d’aujourd’hui

PLÉONASMES



L’expression est florissante. Elle se glisse dans les interviews, notamment au
cours des micros-trottoirs. L’interviewé croit qu’elle lui attribue une manière de
supériorité intellectuelle, de celle que conférerait l’usage des formules dans le
vent. « Au jour d’aujourd’hui », voilà qui fait bien, voilà qui en impose, voilà qui
vous distingue du commun des mortels. Illusion ! Prétention ! Vanité ! Plutôt
que de vous grandir, « au jour d’aujourd’hui » vous rabaisse au rang des m’as-tu-
vu. Pire, car, au-delà de la pédanterie, de la suffisance, de l’afféterie que dénote
son usage, l’expression est linguistiquement incorrecte. En effet, elle n’est ni
plus ni moins qu’un double pléonasme, une affreuse tautologie que le bon
Émile Littré avait dénoncée en son temps dans son Dictionnaire de la langue
française : « Le jour d’aujourd’hui, pléonasme populaire et fort peu
recommandable. »
Expliquons-nous.
Quand le mot « aujourd’hui » fut forgé au XIIIe siècle, il constituait déjà un
pléonasme, « hui » étant issu du latin ho die (hoc die voulant dire « en ce jour »).
« Aujourd’hui » signifie donc : « au jour d’en ce jour ». On ne saurait s’exprimer
plus lourdement ? Eh bien si, en employant « au jour d’aujourd’hui » qui
équivaut, LITTÉRALEMENT, à « au jour du jour d’en ce jour ». N’en jetez plus !
Certains érudits tenteront d’apporter la contradiction en citant quelques
auteurs, Lamartine en particulier qui, en 1820, parle de Dieu en ces termes :

« Il le sait, il suffit : l’univers est à lui,
Et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui. »
(L’Homme in Méditations poétiques)

Mais il s’agit là de poésie et le poète a recours à la fameuse licence
poétique : « le jour d’aujourd’hui », double pléonasme volontaire souligne ici, de
façon justement opportune, le caractère éphémère et fugace du temps qui
nous est accordé, caractère que des expressions tenues pour équivalentes,
telles que « le jour présent », failliraient à exprimer.
Évidemment, dans le langage quotidien, il ne saurait être question de licence
poétique. Loin d’exprimer je ne sais quelle brièveté du temps humain, loin
d’apporter une plus grande précision au repère temporel, « au jour
d’aujourd’hui » ne dit que la pauvreté lexicale du locuteur 7.
Abandonnons donc cette expression au profit de « à ce jour », « à l’heure
actuelle » ou encore « au moment où nous parlons », « de nos jours »,
locutions simples et parfaitement compréhensibles.


Compte tenu de l’étymologie, l’expression « au jour d’aujourd’hui » constitue un
double pléonasme.
L’employer relève d’un certain pédantisme ; à moins que ce ne soit du panurgisme.

Préférons-lui des locutions plus simples et plus intelligibles comme « à ce jour » ou « à


l’heure actuelle ».
3

MALGRÉ QUE

SOLÉCISMES1


On l’entend de plus en plus souvent. Les défenseurs de notre langue en
appellent à la cohérence étymologique pour en condamner l’usage tandis que
les permissifs l’approuvent sans réserve :

« Malgré que » est souvent employé malgré que
le strict respect de la langue l’interdise.

Chœur des laxistes : « Cette phrase ne nous choque pas et tout le monde la
comprend. »
Chœur des puristes : « Elle est incorrecte. Il faut dire “bien que (ou
quoique) le strict respect de la langue l’interdise”. »

Éclairons donc les lanternes. Si nous décomposons « malgré » en « mal » et
« gré », on en comprend mieux le sens : « mauvais gré » ; « malgré » est alors une
préposition* synonyme de « contre son gré », « à contrecœur », « contre la
volonté de », « sans le consentement de », significations que l’on retrouve dans
des énoncés tels que :

Ils se sont mariés à l’église malgré le grand-père
Aristide qui est un incorrigible mécréant.

Dans certains énoncés, « malgré » peut être remplacé par « en dépit de » ou,
dans des contextes plus soutenus, par « nonobstant » bien que « nonobstant »
soit obsolète :

Malgré son lourd handicap,
Philippe Croizon a traversé la Manche à la nage.

« Gré » apparaît aussi dans des expressions figées** comme « bon gré, mal
gré », « de gré ou de force », qui opposent le bon vouloir au refus, l’acceptation
à la contrainte :

La cirrhose du foie guette Gérard Mambudleau ; bon gré, mal gré, il devra se
soumettre à une cure de désintoxication. De gré ou de force, il lui faudra
renoncer au beaujolais.

L’incohérence de la locution « malgré que » devient alors évidente, car si l’on
applique le mot à mot en tenant compte des équivalences, on obtient des
constructions où le charabia le dispute au galimatias.

« Malgré que » doit donc bien être banni. Préférons-lui « bien que » ou
« quoique ».


« Malgré » est composé de « mal » et de « gré » : l’idée de « mauvais gré », d’« absence
de consentement », de « contrainte », est donc bien présente.
« Malgré que » est syntaxiquement incorrect.
« Bien que » et « quoique » sont préférables à « malgré que ».

* La préposition apparaît dans la locution « Malgré-nous » qui s’est substantivée et qui a désigné les
Mosellans et Alsaciens enrôlés de force (contre leur gré) dans la Wehrmacht et les camps de travail
allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Les « Malgré-nous » étaient Français de cœur.

** Notons aussi l’expression littéraire et archaïque « malgré qu’on en ait ». On la trouve déclinée chez
Molière, Madame de Sévigné, Mérimée ou encore George Sand. Elle équivaut à « quelle que soit la
réticence (l’insatisfaction, la contrainte) que l’on éprouve ».
4

ACHALANDÉ
APPROVISIONNÉ

BARBARISMES 2



L’étymologie est toujours d’un bon secours : qu’est-ce qu’un « chaland » ? Le
mot n’est plus guère utilisé. Forgé sur le participe présent du verbe « chaloir »
signifiant « être important », « susciter l’intérêt », que l’on trouve notamment
dans l’expression littéraire et archaïque « peu me chaut » voulant dire « peu
m’importe », un « chaland » est un client, précisément un acheteur fidèle à un
même marchand, un même commerce, pour lesquels il éprouve un intérêt
particulier. Un magasin fréquenté, en nombre, par de tels acheteurs est
donc un magasin bien « achalandé ». De « chaland » sont issus « chalandage »
(qui nous permet d’éviter l’anglicisme « shopping ») et « chalandise »,
essentiellement utilisé dans l’expression « zone de chalandise », c’est-à-dire
« zone d’attraction commerciale ». « Achalandé » peut aussi s’appliquer à la
« patientèle » d’un médecin, d’un dentiste, d’un kinésithérapeute, etc.

Le sens exact de « chaland » n’étant plus perçu, le phénomène que les
linguistes nomment métonymie3 s’est appliqué : la clientèle a fait place aux
marchandises et « bien achalandé » a pris le sens de « bien approvisionné » en
produits divers.

Attention, « chaland », synonyme de « client (fidèle) », n’a rien à voir* avec le
« chaland » qui désigne le grand bateau à fond plat utilisé sur rivières et canaux
pour transporter des marchandises. C’est ce chaland dont il est question dans
la chanson à succès Le Chaland qui passe, créée par Lys Gauty en 1933,
reprise l’année suivante par Tino Rossi :

Le chaland glisse, sans trêve
Sur l’eau de satin
Où s’en va-t-il ? Vers quel rêve ?
Vers quel incertain
Du destin ?

* Rien à voir ? Pas si sûr. On peut en effet supposer que l’un est issu de l’autre par le biais d’une
métonymie : il est question, pour le bateau comme pour le client, d’aller chercher des marchandises.


« Achalandé » vient de « chaland », vieux mot pour « client ».
Un magasin bien achalandé a donc une nombreuse clientèle.
« Bien achalandé » ne signifie donc pas « bien approvisionné », « qui offre un grand
choix d’articles ».
5

COACH

ANGLICISMES



En Hongrie, dans le district de Tata, à quelque 65 km à l’ouest de Budapest
se trouve le village de Kocs (prononcer [kotʃ]). Au XVe siècle, les charrons de
Kocs inventèrent un véhicule hippomobile qui acquit très vite une grande
popularité. La voiture et le nom de la ville par lequel on prit l’habitude de la
désigner s’exportèrent dans toute l’Europe. Ainsi, on se mit à parler de
Kotsche, puis de Kutsche, en Allemagne, de cocchio en Italie transformé en
cochio dans le parler vénitien, etc.
De cette forme vénitienne est issu notre « coche », apparu en 1545 pour
nommer d’abord une voiture hippomobile transportant des voyageurs puis
toute voiture tirée par des chevaux. « Coche » a donné « cocher » et
« cochère » (une porte est dite « cochère » quand elle peut laisser passer un
coche).
Les Anglais nous ont emprunté « coche » dans les années 1550, et l’ont
phonétiquement puis orthographiquement transformé en « coach ». Vers 1830,
les étudiants britanniques ont intégré « coach » dans leur argot universitaire
pour désigner un professeur qui, assistant personnellement un étudiant, le
« transporte » d’un niveau N à un niveau N+ lui permettant de passer ses
examens. Avec ce sens d’assistant personnel, nos voisins d’outre-Manche ont
très vite utilisé « coach » dans le domaine sportif. Fort de cette acception
précise, « coach » nous est revenu vers 1930.
Le snobisme aidant, « coach » a fait des ravages dans notre lexique puisqu’il
s’est progressivement substitué à des mots français plus précis comme
« entraîneur, assistant, conseiller, moniteur, répétiteur, précepteur,
instructeur, guide, mentor »… bref ! tout substantif désignant une personne
qui, ayant quelque compétence dans un domaine donné, obtient licence d’en
faire profiter une clientèle. Dans une société où l’on se soucie prioritairement
de son développement personnel et professionnel, les « coaches » ont pignon
sur rue et le « coaching » fait florès tandis que les mots eux-mêmes agissent en
anglicismes lexicophages4 (mangeurs de lexique), mettant à l’écart et au
rancard toute une partie de notre vocabulaire.


L’anglais coach vient du français « coche », lui-même issu du hongrois Kocs, via le
vénitien cochio.
Kocs est le nom d’un village hongrois qui donna son nom à la voiture hippomobile qui
y fut inventée.
Le français possède quantité de mots précis qui rendent l’emploi de coach tout à fait
inutile, voire nuisible dès lors que ces mots sont ipso facto mis aux oubliettes.
6

ON EST SUR…

TOURNURES EXASPÉRANTES



Le procédé est souvent à l’œuvre qui permet à des expressions du langage parlé
d’évoluer d’une innovation originale vers une répétition exaspérante. De telles tournures séduisent
en effet d’abord par leur nouveauté, de sorte que tout un chacun se les approprie et, à la faveur de la
chambre d’écho que constituent les médias, l ’expression est reprise à l’infini, jusqu’à
devenir banale et parfaitement insupportable.

Tel est le cas de « On est sur ». Demande-t-on à l’expert œnologue ce qu’il
pense de la nouvelle cuvée de Chasset-Montrachagne qu’il déclarera
éventuellement : « On est sur un millésime exceptionnel », affirmation qui sera
étayée par : « On est sur des notes boisées, des arômes de fruits rouges, on est
aussi sur des nuances de violette. » Le spécialiste justice de Bavard-TV sollicité
à propos du meurtre de la richissime veuve Delorembart commencera son
propos par « On est sur une affaire d’une grande complexité. » Le porte-parole
des dentifrices Alagomme s’exprimant sur la propriété antalgique de leur
dernière pâte termine ainsi son message publicitaire : « On est sur une vraie
bonne nouvelle pour les personnes souffrant de dents sensibles. » Les mêmes
professionnels de la communication interrogés il y a quelques années auraient
dit : « Il s’agit de… », « Nous sommes en présence de… », « Nous avons
affaire à… », « Nous faisons face à… », « Il est question de… », mais en aucun
cas « On est sur… ».

Est-ce à dire qu’il faut refuser les « nouveautés lexicales » et s’en tenir aux
expressions existantes (j’entends déjà les accommodants et les laxistes nous
seriner la vieille rengaine selon laquelle la langue est vivante) ? Certes non,
mais encore faut-il que les innovations soient sensées et linguistiquement
correctes, ce qui n’est pas le cas de « On est sur… », car la préposition « sur »,
malgré les multiples emplois qu’elle admet, ne permet pas celui qui nous
intéresse : l’idée de contact avec « le sol ou bien un support quelconque où
s’exerce la pesanteur » n’est notamment pas présente, pas plus au sens propre
qu’au sens figuré.

Alors, abandonnons cette formule : elle abâtardit notre langue !


« On est sur… » fait partie de ces formules d’abord originales qui, à force d’être
répétées, deviennent exaspérantes.
Dans l’emploi qui en est fait, « on est sur… » est impropre sur le plan linguistique.

Préférons-lui des tournures comme « Nous avons affaire à … », « Il s’agit de… » et


quelques autres, parfaitement françaises.
7

DES ÊTR’ HUMAINS



PATAQUÈS5 ET FAUTES DE PRONONCIATION



Il ne s’agit pas d’un pataquès à proprement parler mais cette faute de liaison
n’en est pas moins insupportable. En quoi consiste-t-elle ? En l’escamotage de
la terminaison grammaticale du premier élément : en l’occurrence, la marque du
pluriel n’apparaît plus à l’oral. De telles fautes de liaisons se doublent donc de
fautes d’accord.
On devrait ici dire et entendre :

Des êtres [z] humains.

Les ondes hertziennes véhiculent, hélas, quotidiennement et de plus en plus
souvent, des illustrations de ce type de faute ; en voici une sélection (colonne
de gauche) avec, en regard, les liaisons qu’il aurait fallu prononcer.

On ne comprend pas que des lieux de culte On ne comprend pas que des lieux de
puiss’ être profanés. culte puissent [t] être profanés.
Les migrants qui n’ont pas obtenu le droit Les migrants … doivent [t] être
d’asile doiv’ être reconduits à la frontière. reconduits à la frontière.
Des chiffr’ et des lettres. Des chiffres [z] et des lettres.
Des racin’ et des ailes. Des racines [z] et des ailes.
Des parol’ et des actes. Des paroles [z] et des actes.
Les conséquences peuv’ être très graves. Les conséquences peuvent [t] être très
graves.

Ce qui frappe les autr’ élèves. Ce qui frappe les autres [z] élèves.

Ces fautes ne sont qu’un aspect d’un phénomène plus général qui connaît
une ampleur grandissante : l’absence de rigueur dans l’emploi des liaisons. On
ne lie plus là où il faudrait lier, on lie là où il ne le faudrait pas ; on commet
maint pataquès (singulièrement lorsqu’il est question de prix en euros) ; à
l’initiale des mots, on ne distingue plus les « h » aspirés des « h » muets ; on ne
tient pas compte des signes de ponctuation (les virgules, notamment), etc. Il en
résulte une véritable anarchie touchant l’oralité de notre langue française,
pourtant si belle quand elle est bien dite !
Ces différents points font l’objet de fiches spécifiques dans le présent
ouvrage.



Faire une liaison sans tenir compte de la terminaison grammaticale du premier mot
est une faute.

Cette faute de liaison se double d’une faute d’accord.


De telles fautes sont véhiculées par les médias. Ne nous laissons pas influencer.
TESTEZ-VOUS !


1. Choisissez « un » ou « une » selon le mot qui suit les points de
suspension.
… azalée ‒ … orchidée ‒ … caducée ‒ … camée ‒ … prytanée ‒ … hypogée

2. Remplacez le pléonasme par une expression correcte.
a) Au jour d’aujourd’hui, les relations humaines dépendent trop de l’argent.
b) Au jour d’aujourd’hui, personne ne peut précisément prédire le temps
qu’il fera dans un an et un jour.
c) Au jour d’aujourd’hui, il ne faut guère attendre de la politique qu’elle
améliore votre vie.

3. Réécrivez, si nécessaire, les phrases suivantes dans un français
correct.
a) Bien que ce livre ait été publié chez un petit éditeur, vous le trouverez
sûrement chez Calligrammes : c’est une librairie bien achalandée.
b) La mercerie Toucousue a dû mettre la clé sous la porte ; il faut dire
qu’elle était bien mal achalandée : le client se faisait rare.
c) Que Madame la comtesse se rassure : Benoît est très compétent et saura
faire progresser les enfants de madame la comtesse dans toutes les disciplines.
Il fera un excellent coach.
d) « On est cette année sur un virus grippal particulièrement agressif », a
déclaré le professeur Lasseringue dans le magazine de la santé.

4. Connaissez-vous les deux premiers vers de La Ballade des pendus de
François Villon ?



8

APRÈS-MIDI

FÉMININ OU MASCULIN ?



Émile Zola nous donne involontairement la réponse en utilisant l’un et
l’autre : masculin dans Une page d’amour, féminin dans L’Argent.

« Et, à partir de ce jour, ses plus heureux après-midi
furent ceux où son amie l’abandonnait. »
(Émile Zola, Une page d’amour, deuxième partie,
ch. 3, 1878)

« Deux mois plus tard, par une après-midi grise
et douce de novembre, madame Caroline monta
à la salle des épures […] »
(É. Zola, L’Argent, ch. 7, 1891)

« Un après-midi », « une après-midi » : l’un et l’autre se disent ou l’un ou
l’autre se dit indifféremment, sans que le sens ni la forme d’« après-midi » en
soient affectés. « Après-midi » fait donc partie de ces noms français qui sont à
la fois féminins et masculins.

Voici une liste de ces noms :
alvéole, après-midi, enzyme (féminin pour l’Académie), éphémère (féminin
pour le TLF*), goulache (goulasch ; ragoût de bœuf à la hongroise), imago
(forme adulte d’un insecte à métamorphoses ; masculin chez Larousse, féminin
pour le TLF), malvoisie (vin grec), mérule (champignon lignivore), météorite
(féminin dans l’usage commun mais masculin pour les scientifiques), palabre (au
pluriel, le plus souvent), parka, perce-neige, phalène, réglisse (le féminin est
plus logique, compte tenu de l’étymologie), thermos.

Pour de tels noms, la faute de genre n’est donc pas possible. Cool, non ?
(Petite concession au parler des jeunes). Une ou un après-midi ? À chacun de
choisir mais, féminin ou masculin, ce nom composé est INVARIABLE : « des
après-midi ». L’académicien Jean-Marie Rouart nous offre un bel exemple :

« Seul dans son petit appartement de l’île Saint-Louis
par un de ces après-midi glacés et venteux de janvier,
il était agité par des affres. »
(Avant-Guerre, ch. XVI)

Notons toutefois que les préconisations de 1990** admettent le « s » à la fin de « midi ».


« Après-midi » est aussi bien féminin que masculin.

Rares sont les noms qui peuvent ainsi être utilisés au féminin ou au masculin sans
que la forme ni le sens en soient affectés.

« Après-midi » est invariable.

* TLF : Trésor de la langue française, dictionnaire établi par une unité de recherche du Centre national
de la recherche scientifique.
** À l’initiative de Michel Rocard, Premier ministre, le Conseil supérieur de la langue française s’est
réuni en 1990 pour statuer sur des rectifications orthographiques pouvant être apportées à notre
langue. Les résultats de ces travaux ont été publiés au Journal officiel de la République française du
6 décembre 1990, dans les « documents administratifs » et non dans les « lois et décrets ». Ils ne
constituent donc pas une « réforme » à proprement parler. D’ailleurs, l’« ancienne » orthographe est
toujours de rigueur.
9
S’AVÉRER EXACT

PLÉONASMES



Le latin adverare est constitué du préfixe ad- et du radical verare issu de
verus, « vrai ». Adverare a donné « s’avérer » qui signifie donc,
étymologiquement, « se révéler vrai, juste, se vérifier, se confirmer ». « S’avérer
vrai » est donc un pléonasme. « S’avérer exact » en est également un, tout
comme « s’avérer juste ».
Ce pléonasme est fréquent, y compris dans des ouvrages édités, et notre
San-Antonio national ne démentira pas :

« Tout ce que vous avez décrit s’est avéré exact. »
(Frédéric Dard, Du plomb pour ces demoiselles,
Fleuve noir, 1951).

Quant à « s’avérer faux », c’est une contradiction dans les termes, donc, une
tournure fautive dont l’emploi « risque d’être mal accueilli », selon Jacques
Capelovici, alias « Maître Capelo ». Elle n’est pourtant pas absente de
certaines « littératures ». Contrairement à ce que certains prétendent, elle ne
peut pas être considérée comme un oxymore6, car l’oxymore est une figure de
rhétorique censée enrichir un discours. À vous de juger si, dans ces exemples,
le discours est enrichi :

« Mais tout cela s’est avéré faux,
ce qu’on a reconnu après la guerre. »
(Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques
des massacres et génocides, Le Seuil, 2005.)

« […] le diagnostic initial de schizophrénie
s’était avéré faux. »
(Henri Grivois, Luigi Grosso, La Schizophrénie
débutante, John Libbey Eurotext, 1998.)

Évitons donc « s’avérer exact, s’avérer vrai, s’avérer juste » que l’on
remplacera par « se révéler exact… ».
Abandonnons sans regret « s’avérer faux, s’avérer inexact » auxquels peut se
substituer « être infirmé » ou « se révéler inexact ».



« Avérer » vient du latin adverare où verare est de la famille de verus, « vrai ».
« S’avérer vrai » est donc un pléonasme, « s’avérer faux », une ânerie.

Ces locutions fautives seront corrigées si l’on remplace « avérer » par « révéler ».
10

Plus pire ; moins pire ;


aussi pire

SOLÉCISMES

Je me souviens qu’étant écolier, une telle faute était l’abomination des
abominations, du type de celles qui déclenchent des réactions outrancières :
les camarades se tournaient vers le maître, se mettaient la main gauche devant
leur bouche bée tout en agitant la droite de haut en bas et en proférant
l’onomatopée d’indignation : « Oh, la la ! » Il était alors clair que le maître allait
lourdement sévir : « Vous me copierez 500 fois… »

O tempora, o mores ! Depuis, on prit l’habitude de proférer ces horreurs
grammaticales par amusement, par dérision, les faisant toutefois suivre ou
précéder, pour montrer que l’on n’est pas dupe, de « Comme on dit ! » ou
« Comme dit l’autre ! », formules consacrées.

O tempora, o mores ! Aujourd’hui, on use de ces tournures hideuses sans
sourciller, sans s’émouvoir, sans prendre conscience qu’il s’agit de fautes
lourdes, du moins, il semble que l’on fasse comme si…

Illustration par l’exemple : voici quelques perles sorties de la bouche de
ministres, journalistes, animateurs, députés, etc.* :

« Peugeot, c’est moins pire que Renault. »
« Est-ce que j’ai dit que […] c’était très pire avec la gauche ? »
« C’est moins pire que ce à quoi vous vous attendiez. »
« On ne vote pas pour le meilleur mais pour le moins pire. »

Un petit rappel à l’ordre grammatical peut donc ne pas être superflu.

« Pire » est le comparatif de supériorité (ou le superlatif) de « grave »,
« mauvais », « mal », et tout autre adjectif exprimant l’idée d’imperfection, tout
comme « meilleur » est celui de « bien » et de « bon ». Il ne peut donc être
précédé ni d’un adverbe de comparaison (« plus », « aussi », « moins »), ni d’un
adverbe d’intensité (« très », « beaucoup », « peu », « assez », etc.). Il ne
viendrait à l’esprit de personne de dire « plus meilleur » ou « moins meilleur » !
Alors, dans nos exemples, remplaçons « pire » par « grave », « mauvais » ou
« mal », selon les cas.

* Noms et références sur demande.



« Plus pire », « moins pire », « aussi pire » sont des abominations.
À force d’être commises volontairement, par plaisanterie, ces fautes se sont banalisées
et semblent ne plus choquer personne.

« Pire » est le superlatif ou le comparatif de supériorité de « mal », « mauvais »,


« grave », etc. ; il ne peut donc pas être précédé d’adverbes comparatifs (plus, moins,
aussi) ou d’intensité (très).
11

AVATAR MÉSAVENTURE

BARBARISMES



L’initiale « av » nous renvoie à d’autres mots comme « avarie », « avanie »,
« aventure », mots chargés d’une connotation péjorative, l’idée d’aléa fâcheux,
d’incident désagréable, s’imposant à l’esprit. « Avatar » revêt alors une
signification qui n’est pas la sienne, il devient synonyme de « mésaventure »,
« péripétie » : la consonance nous fait commettre un contresens relevant du
barbarisme. Avatar, le film de James Cameron sorti en 2009, peut-il nous aider
à retrouver le véritable sens de ce mot ? En tout cas, certains écrivains ont
commis ce contresens. Pierre Benoît, par exemple, dans L’Atlantide (1919), met
en parallèle « avatars » et « péripéties » :

« Mais n’attends pas de moi que je complique
une histoire déjà assez fertile en péripéties
par le récit des avatars de cette manucure. »
(p. 225)

Dans Mort à crédit (1936), Louis Ferdinand Céline fait d’« avatar » un
synonyme d’« aléa » :
« Ça faisait partie des aléas, des avatars du métier. »
(Mort à crédit, 1936).

D’autres encore… Mais qu’est-ce donc vraiment qu’un « avatar » ?
Issu du sanskrit Avatãra, « descentes », le mot est d’abord lié au Bhagavad-
Gita (« Chant divin »), texte sacré de l’Inde écrit il y a 2 500 ans. On y apprend
que Vishnou serait déjà descendu dix fois sur terre sous dix incarnations
différentes. Les plus célèbres sont Râma dont les exploits héroïques sont
relatés dans le Râmâyana (« Le Parcours de Râma »), Krishna, né d’un cheveu
noir de Vishnou et Siddharta Gautama, fondateur du boud-dhisme, connu
comme le « bouddha historique ».
« Irruptions de dieu sur terre » et « incarnations de Vishnou », telles sont les
significations originelles avec lesquelles le mot « avatar » s’est introduit en
français au début du XIXe siècle. Le mot a ensuite revêtu les acceptions plus
générales de « transformation », « métamorphose », « incarnation* ».

Grâce aux logiciels, aux forums de discussion et, surtout, aux jeux vidéo, le
mot « avatar » a quelque peu retrouvé son sens initial : il désigne en effet
l’apparence qu’un internaute choisit de revêtir afin d’évoluer dans les espaces
virtuels et ludiques que l’informatique permet de créer.

* En 1856, Théophile Gautier publia une nouvelle justement intitulée Avatar. Il y est réellement
question d’incarnation.


« Avatar » vient d’un mot sanskrit signifiant « descente ».
On confond souvent « avatar » et « mésaventure ».
« Avatar » a d’abord désigné chacune des incarnations de Vishnou ; le mot est ensuite
devenu synonyme de « métamorphose », « transformation ».
12

LOW COST

ANGLICISMES



Cet anglicisme destructeur a fait ses premières apparitions dans le domaine
des compagnies aériennes où il est de bon ton de parler de vols low cost. Son
emploi s’est rapidement étendu à toute la société de consommation : le
qualificatif s’y applique à tout produit ou service dont le superflu a été
supprimé pour que le prix en soit allégé ; par exemple, les passagers d’une
compagnie aérienne low cost ne bénéficient plus de collations, boissons ou
repas gratuits pendant le vol, la prise en charge de leurs bagages peut être
payante, leurs billets ne sont ni échangeables ni remboursables, etc.

Si l’on peut comprendre l’utilisation de « low cost » dans le cas d’offres
commerciales à caractère international, ce que sont, à l’évidence, les moyens et
longs courriers, on ne peut guère l’admettre pour des articles et services
commercialisés dans le seul Hexagone. Un produit cosmétique ou
pharmaceutique, des cours par correspondance, une chambre d’hôtel, du
matériel de bricolage, une coupe de cheveux, un service de déménagement ou
de pompes funèbres (pour ne prendre que quelques exemples récents) ne
doivent pas être qualifiés de low cost dès lors que les clients potentiels sont
français ; ils ne peuvent être que bon marché, pas chers, à prix réduit, à petit
prix, à bas coût, etc.

Notre langue française est riche, elle peut se passer d’anglicismes quand
ceux-ci sont illégitimes et si le contexte, le snobisme, la cuistrerie, le
panurgisme ou toute autre « raison » nous incite à employer « low cost », faisons
au moins l’effort de le bien prononcer.
La voyelle de « low » est diphtonguée : [lou], celle de « cost » ne l’est pas,
elle ne se prononce pas non plus comme le [o] fermé de « holocauste » mais
comme le [ɔ] ouvert de « poste » : [kɔst].

Précisons enfin que « cost » vient du français « coût », du moins de ses
formes anciennes : « cust » et « coust » apparaissent dans des ouvrages du
e
XIII siècle, époque où le mot est aussi intégré au lexique anglais.



« Low cost » a d’abord légitimement qualifié des vols moyens et longs courriers.
Il est toutefois illégitime dans un contexte commercial exclusivement français puisque
des expressions comme « bon marché » ou « à bas coût » sont disponibles.

« Low cost » est un anglicisme « lexicophage ».


13

(FAIRE) BOUGER
LES LIGNES

TOURNURES EXASPÉRANTES



Elle est à la mode, les journalistes de l’audiovisuel en sont aussi friands que
les hommes politiques, elle émaille chroniques, interviews et débats auxquels
elle donne un ton à la fois moderne et magistral, mais elle laisse l’auditeur
perplexe et dubitatif : que veut donc dire le beau parleur par « faire bouger les
lignes » ? De quelles « lignes » s’agit-il ? Celles que Myriam El Khomri
prétendait vouloir faire bouger le 8 octobre 2015 sont-elles les mêmes que
celles dont parlait Jean-Marc Ayrault un mois et demi plus tôt ? Le 11 mai 2011,
Jean-Pierre Chevènement souhaitait-il faire bouger les mêmes lignes que
François Hollande quand celui-ci, selon Gilles Bouleau lors de l’interview du 11
février 2016, nomma Emmanuel Macron au ministère de l’Économie ?

Certains emploient la locution sans le verbe « faire », comme dans cette
question de Laurent Delahousse à Édith Cresson :

« Vous rêviez de bouger les lignes ? »

L’expression devient alors deux fois plus exaspérante puisqu’exprimée dans
une syntaxe familière. En effet, le verbe « bouger » se retrouve transitif, ce qu’il
ne peut être qu’avec un complément d’objet direct désignant une partie du
corps : bouger la tête, le pied, ne pas bouger le petit doigt, etc.

Bien sûr, on va vous expliquer que, dans tous les cas, « (faire) bouger les
lignes » est une métaphore, une expression imagée qu’il faut prendre au sens
figuré. Admettons, mais à quoi l’image renvoie-t-elle ? À des réformes qu’il
faudrait engager ? À des frontières entre partis politiques qu’il faudrait
déplacer ? À des idées ou des lois qu’il faudrait modifier ? À des mentalités
qu’il faudrait faire évoluer ? À tout cela à la fois ? À force d’être imprécises, les
lignes en question sont mouvantes, de sorte qu’il est finalement inutile de les
faire bouger. Elles bougent d’elles-mêmes ! Bref, « faire bouger les lignes » ne
veut pas dire grand-chose ; c’est en cela un bel exemple de langue de bois.
« Faire bouger les lignes » est une expression qu’affectionnent politiques et
journalistes.
Sa signification est particulièrement vague.

Plutôt que de recourir à la langue de bois dont elle est un exemple, mieux vaut
employer une locution plus précise, en accord avec le contexte : « engager ou réaliser des
réformes », « remettre en question les partis politiques », « faire évoluer les idées », etc.
14

VOUS [Z] HURLEZ


DE DOULEUR

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Voilà une liaison sinon dangereuse (elle risque d’attirer sur le locuteur7
ridicule et moquerie), du moins fautive. Le « h » du verbe « hurler » est
ASPIRÉ ; en conséquence, il empêche à la fois l’élision (on dira « arrêtez de
hurler » et non « arrêtez d’hurler ») et les liaisons [(on ne peut pas dire « elle
pouvait [T] hurler à la vue d’une araignée » ni « En entendant de tels propos, on
[N] hurlerait au fascisme. ») Bien sûr, ces règles s’appliquent aussi aux mots de
la même famille : « hurlement », « hurleur », « hurleuse », « Les Hauts de
Hurlevent » (« Hurlevent » est un néologisme créé pour traduire le titre du
roman d’Emily Brontë, Wuthering Heights).

Ces liaisons fautives s’expliquent par le désamour que notre langue
française éprouve à l’égard de l’hiatus 14, c’est-à-dire la rencontre de deux sons
vocaliques. Les consonnes [T], [Z] ou [N], que l’on insère spontanément,
empêchent l’hiatus. Elles sont, pour cette raison, qualifiées d’« euphoniques ».
Cependant, le pataquès qu’elles engendrent l’emporte sur l’évitement de
l’hiatus. On doit donc vraiment dire : « Vous [H] hurlez de douleur ».

J’entends quelques protestations à ma droite : si le français rejette les
hiatus, pourquoi les accepte-t-il devant les « h » aspirés que l’on ne prononce
pas plus que les « h » muets ? La réponse fait appel à l’histoire : si les « h »
aspirés ne se distinguent plus aujourd’hui des « h » muets que par l’interdiction
des élisions et des liaisons, ils furent, jusqu’au XVIe siècle, vraiment aspirés, à la
manière des « h » d’outre-Manche, accédant ainsi au statut de consonnes.

Les experts en étymologie vous diront que les mots commençant par un
« h » aspiré sont issus du germanique ou du latin médiéval (le « h » n’étant, dans
ce cas, pas originel : « hurler » en est un bon exemple puisqu’il vient du bas latin
urulare). Les mots commençant par un « h » muet sont, eux, d’origine latine.


Le « h » de « hurler » est aspiré : il interdit donc toute élision et toute liaison.
Pour éviter l’hiatus et croyant bien faire, on prononce la liaison entre « hurler » et le
mot qui précède, commettant ainsi un pataquès.

En français, le « h » aspiré le fut vraiment, jusqu’au XVIe siècle ; il était alors assimilé
à une consonne.
TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez, s’il y a lieu.
a) Les prophéties de Nostradamus se sont-elles avérées exactes ?
b) Celle de Paco Rabanne sur la chute de la station Mir s’est bel et bien
révélée fausse.
c) La politique du gouvernement Schmoll est bien plus pire que celle du
gouvernement Schmurtz.
d) On peut dire que Mr Hyde est un avatar du docteur Jekyll.
e) Cette chaîne d’épiceries propose des produits low cost de qualité.

2. Remplacez l’expression exaspérante par une expression française
simple et plus précise.
a) Droit du travail, impôt sur la fortune, loi sur la moralisation de la vie
politique, loi sur la lutte contre le terrorisme, hausse de la CSG, etc.,
décidément, le gouvernement a fait bouger les lignes !
b) Propos sexistes, harcèlement sexuel, autoritarisme, refus des tâches
ménagères : chez certains hommes, il faudrait faire bouger les lignes.

3. Quel est le titre français généralement adopté pour le roman d’Emily
Brontë, Wuthering Heights ?

4. Corrigez, si nécessaire.
a) L’hurlement du loup inspire la crainte et la tristesse.
b) « Cessez de hurler ! » lança le surveillant aux élèves turbulents.

5. Dans la phrase « Les alouates sont des singes hurleurs d’Amérique
tropicale », il faut faire la liaison entre « singes » et « hurleurs ». Vrai ou
faux ?



15

PÉNATES
FÉMININ OU MASCULIN ?

Question existentielle : à la fin de son odyssée, Ulysse fut-il content de


retrouver « ses chères pénates » ou « ses chers pénates » ?

Rappelons d’abord le sens de « regagner ses pénates ». C’est un équivalent


familier de « rentrer (revenir) chez soi ». Quelle est donc la signification de
« pénates ». ? Chez les Étrusques puis, chez les Romains, les pénates étaient
les dieux protecteurs du foyer. Ces divinités, chargées de protéger la maison,
les biens, le feu utilisé pour cuire les aliments, etc., étaient représentées par
des statuettes d’argile disposées dans un lieu servant d’autel. Attachées à la
famille, elles la suivaient lors de ses déplacements et déménagements.
Alors, masculin ou féminin le mot « pénates » ?
Qu’en est-il des autres noms se terminant par « -ate » ?
UNE agate, une cantate, une frégate, une patate, une prostate, une régate,
une sonate, une sourate, une tomate, etc.
Oui, mais…
UN acrobate, un aromate, un automate, DU bicarbonate, un mainate, du
phosphate, un stigmate, du sulfate, un suricate, etc.
On intégrera « pénates » à la liste des noms masculins, mais il faudrait aussi
l’intégrer à une autre, celle des noms communs toujours employés au pluriel
comme : affres, calendes, condoléances, décombres, environs, fiançailles,
funérailles, honoraires, miscellanées, mœurs, obsèques, prémices, ténèbres,
vêpres, etc.

À la fin de son odyssée, Ulysse fut donc bien content


de retrouver « ses chers pénates ».




Chez les Étrusques et les Romains, les « pénates » étaient les dieux protecteurs du
foyer.
« Pénates » est du genre masculin.
« Pénates » s’emploie toujours au pluriel.
16

PANACÉE UNIVERSELLE
PLÉONASMES

Il ne saute ni aux yeux ni aux oreilles, en tout cas pas à ceux de Richard
Anthony, interprète et parolier de Sirop Typhon, chef-d’œuvre incontestable
de la chanson française des années 1960, modèle de poésie et de pensée
humaniste. En voici le refrain :

Buvons, buvons, buvons


Le sirop Typhon, Typhon, Typhon,
L’universelle panacée, eh ! Eh !
À la cuillère
Ou bien dans un verre,
Rien ne pourra nous résister.

« Universelle panacée » est un pléonasme ; ne le saviez-vous pas ? Pourquoi


ce pléonasme n’est-il pas immédiatement perçu ? Parce que l’étymologie à
laquelle il est lié est grecque : panakeia, où les hellénistes peuvent reconnaître
pan, « tout » et akos, « remède ». Une panacée ne peut donc qu’être
universelle, un remède absolu, ce dont d’autres auteurs, bien avant lbrahim
Richard Btesh (vrai nom de Richard Anthony), n’ont pas semblé s’émouvoir.
Ainsi, à la troisième scène du premier acte de Carmosine, comédie qu’Alfred
de Musset publia en 1865, maître Bernard s’exclame :

Ne croirait-on pas que j’ai dans ma boutique la panacée universelle, et que


la mort n’ose plus entrer dans la maison d’un médecin ?

Si maître Bernard est féru de latin, il ne semble pas l’être de grec, pas plus
que Musset, son créateur. Chateaubriand aussi parle de « panacée universelle »
(dans son Essai sur les révolutions), tout comme Balzac (dans César Birotteau)
ou Eugène Sue (dans Les Mystères de Paris).

Notons que « panacée » dans ses toutes premières acceptions, désigna une
« herbe des prés » (Ronsard), une « plante servant de remède » (idem) et aussi,
dans l’Antiquité, une herbe que l’on brûlait avec d’autres pour éloigner les
serpents.

Aujourd’hui, évitons le pléonasme en parlant de « remède universel », de
« remède absolu » ou, simplement, « de « panacée », tout court.




« Panacée universelle » est un pléonasme.
Le mot vient du grec panakeia formé de pan, « tout » et akos, « remède ».

De nombreux auteurs ont pourtant parlé de « panacée universelle ».


17

« EN MÊME TEMPS »
ET « À LA FOIS »

SOLÉCISMES



« Il faut aujourd’hui renforcer nos frontières,
avoir une politique réaliste en matière migratoire
et en même temps faire notre devoir. »
(Emmanuel Macron)

L’expression vient de connaître un regain de popularité grâce à l’élection
présidentielle et au coup de projecteur porté sur l’usage par trop fréquent que
le président en fait, ce « en même temps » étant pris pour le signe de fâcheuses
tendances politiques : promettre tout et son contraire et ménager la chèvre et
le chou. Soit ! Mais si la critique peut être recevable sur le plan politique, si la
répétition de l’expression relève du tic de langage, l’usage qu’en fait l’ex-
présidentiable (ou, si vous préférez, l’actuel président) est correct. En
revanche, doubler dans une même phrase « en même temps » d’un « à la fois »
crée une bien laide redondance qui vaudrait à la tournure de figurer dans cette
rubrique et en même temps dans la précédente. Ouvrons donc le Petit
Larousse :
• En même temps, dans le même instant, simultanément ; à la fois.
• À la fois, tout à la fois, en même temps.

Voilà qui est clair. Si « à la fois » est mentionné comme synonyme de « en
même temps » et « en même temps » comme synonyme de « à la fois », c’est
bien que les deux locutions adverbiales sont interchangeables et qu’il n’est nul
besoin d’employer l’une et l’autre à l’appui d’une affirmation multiple ni de
répéter l’une ou l’autre. Voici quelques citations qui illustrent cette lourdeur
de syntaxe. Qu’elles aient été prononcées par des hommes politiques ne rend
pas la faute plus vénielle :

« Il y aura deux expressions à la fois parfaitement
en ligne et à la fois complémentaires. »
(Édouard Philippe)

« L’Europe est une chance à la fois diplomatique,
à la fois politique, à la fois économique. »
(Karine Berger)

« Jean-Marc Ayrault était à la fois très lucide
et en même temps très combatif. »
(Najat Vallaud-Belkacem)

« Et en même temps on fixe des priorités
et en même temps on décide de redonner de la compétitivité aux
entreprises. »
(Stéphane Le Foll)

Convenons ensemble que ces déclarations sont à la fois lourdes et
navrantes. Leurs auteurs sont pourtant censés avoir une pensée logique, en
même temps qu’une langue cohérente et maîtrisée.




« À la fois » signifie « en même temps » et « en même temps » veut dire « à la fois ».
Employer les deux locutions dans une même phrase engendre donc une laide
redondance.
Que des hommes politiques la commettent souvent n’excuse pas la faute.
18

COMMÉMORATION
CÉLÉBRATION

BARBARISMES



Que faisons-nous avec notre mémoire ? Nous nous souvenons, nous nous
remémorons (M. de La Palisse dixit), c’est-à-dire que nous convoquons des
images, des odeurs, des saveurs, des sons liés à des événements passés (tout le
monde a une chanson, un air, un visage ou une petite madeleine en tête !)
La mémoire peut être individuelle si elle n’intéresse qu’une personne,
collective si tout un groupe est concerné. Toute mémoire collective se nourrit
de la somme des souvenirs qu’une population convoque sur un événement
donné. Dans tous les cas, les souvenirs convoqués sont commémorés, du latin
classique commemorare, « évoquer » (littéralement, « se rappeler ensemble »).
Naissances, mariages, morts, victoires, réussites, etc. peuvent en effet donner
lieu à des commémorations où il est bien question de « se souvenir ensemble ».
Étymologiquement solennelles (une seule fois l’an) et logiquement fixées aux
dates anniversaires, elles sont l’occasion d’assemblées, de cérémonies, de
discours, de banquets, de danses, de fêtes, etc. Mais sachons bien distinguer
l’événement lui-même de son anniversaire :

L’événement est commémoré, mais l’anniversaire est célébré ou
simplement fêté.

La confusion entre « commémoration » et « célébration » est pourtant
fréquente, chaque anniversaire de portée nationale donnant l’occasion à nos
chers parleurs professionnels de se mélanger les pinceaux. Exemple :

« Cette année, vous le savez, on commémore
le centenaire du génocide arménien. »
(Thierry Beccaro, France 2, le 16 juillet 2015)

Erreur ! Ce que nous savons, c’est que l’on commémore le génocide et que
l’on en célèbre le centenaire (sans toutefois le fêter, compte tenu du caractère
dramatique de l’événement).

« La cérémonie, célébrée en l’abbaye
de Westminster, commémorait le 60e anniversaire
du couronnement de la reine. »
(Pauline Gaillard, article publié dans Gala le 4 juin 2013)

Faux ! La cérémonie ne commémorait pas le 60e anniversaire du
couronnement de la reine ; elle commémorait le couronnement et célébrait
l’anniversaire, qui pouvait d’ailleurs être également fêté, mais pas dans l’abbaye
de Westminster !


« Commémorer », du latin commemorare, signifie « ramener en mémoire ».
On commémore un événement.

On célèbre un anniversaire.
19

ALTERNATIVE
ANGLICISMES

Quoi ? « Alternative » serait un anglicisme ! N’est-ce pas un mot bien


français ? Si, si ! et même depuis 1401 si l’on en croit le Trésor de la langue
française. On le trouve alors dans l’expression « par alternative », signifiant
« alternativement ». À la fin du XVIIe siècle apparaît le sens actuel : « choix entre
deux propositions ou deux solutions ».
Cette définition est aujourd’hui*, avec diverses nuances, la seule valable. Si
le choix est difficile, le mot « dilemme » est alors équivalent. Une citation
extraite du Journal d’André Gide l’illustre de façon plaisante en même temps
qu’elle nous donne de Paul Valéry une image peu flatteuse :

« Après une telle «conversation», je retrouve


tout saccagé dans ma tête. La conversation
de Valéry me met dans cette affreuse alternative :
ou bien trouver absurde ce qu’il dit, ou bien trouver
absurde ce que je fais. » (9 février 1907)

Afin que rien ne soit saccagé dans votre tête, précisons bien les choses. Une
alternative est cette obligation de CHOISIR entre DEUX partis, deux solutions,
deux possibilités. Elle entraîne l’emploi de « ou bien » ou de « soit » ou,
simplement, de « ou ». Pourtant, le mot « alternative » est aujourd’hui souvent
utilisé à tort en lieu et place, selon les cas, de « solution de remplacement »
ou d’« alternance ». En cela, « alternative » est bien un anglicisme. La confusion
est particulièrement fréquente dans le monde politique en période électorale.
Illustration par l’exemple :
« La seule alternative qu’on propose,
c’est le repli national. »
(Laurent Wauquiez, le 5 mai 2014 sur France 2 dans
l’émission Mots croisés).

L’ancien ministre aurait dû dire :


« La seule solution de remplacement qu’on propose… »

Sur France 2, dans l’émission Envoyé spécial du 17 octobre 2013, Marion


Maréchal-Le Pen parle d’alternative alors qu’il s’agit d’alternance :

« Nous préparons l’alternative. »

En français, « alternative » désigne une situation où l’on doit choisir entre deux
solutions.
Employé dans le sens de « solution de remplacement », « alternative » est un
anglicisme.
Il est aussi recommandé de ne pas confondre le mot avec « alternance ».

* Cette nouvelle acception du mot « alternative » sera peut-être un jour officiellement reconnue par
l’Académie française qui l’intégrera alors dans son dictionnaire. Pour l’heure, ce n’est pas le cas !
20
Pendant notre séjour à Paris
NOUS AVONS FAIT LE
MUSÉE D’ORSAY

TOURNURES EXASPÉRANTES



Quel énorme mensonge et quelle incroyable prétention ! Ils ne sont que
quelques-uns à pouvoir, à la rigueur, revendiquer cette réalisation : l’architecte
Laloux qui a établi les plans de la gare monumentale d’Orsay, gare d’abord
conçue pour amener jusqu’au cœur du Paris 1900, les visiteurs de la fameuse
Exposition universelle, l’entrepreneur Chagnaud qui en a exécuté les travaux,
le président Giscard d’Estaing qui décida de réaménager la gare en musée
destiné à abriter des œuvres d’art du XIXe siècle, restructuration confiée aux
architectes Philippon, Bardon et Colboc. Ces six-là et, bien sûr, tous les
ouvriers, ont vraiment FAIT le musée d’Orsay, mais vous, dérisoires
échantillons d’une foule anonyme, n’avez rien fait d’autre que le visiter.

« Nous avons fait le musée d’Orsay » ! Cette tournure est d’autant plus
exaspérante qu’elle est devenue monnaie courante. C’est encore un exemple
de la polyvalence du verbe « faire », factotum taillable et corvéable à merci,
sorte de passe-partout linguistique appelé à la rescousse pour cacher la misère
lexicale de celui qui parle et c’est là que le bât blesse, car, dans de telles
situations, « faire » se substitue à des verbes plus précis, plus signifiants, mais
moins immédiatement disponibles à l’esprit de qui cherche ses mots sans jamais
les trouver vraiment ; mais pourquoi se creuser les méninges puisque « faire »
est là, à la disposition du parleur paresseux ? « Faire » est bon à tout faire,
« faire » fait tout et cela plaît bien à notre interlocuteur qui a presque tout fait
quand il a fait la capitale : d’abord le musée d’Orsay qu’il a fait avec sa femme
après avoir fait Notre-Dame, ils ont aussi fait le musée du quai Branly pendant
que leurs voisins, M. et Mme Chapouillot, préféraient faire la tour Eiffel, l’Arc
de Triomphe et les Champs-Élysées. Ils devaient se retrouver tous les quatre
pour faire le Père-Lachaise, mais, morts de fatigue, ils ont abandonné l’idée
pour ne faire finalement que le tombeau de l’Empereur aux Invalides, terminant
ainsi leur séjour parisien dans la joie et la bonne humeur. Tout cela en une seule
journée : il faut le faire !

Halte ! C’en est trop ! Vous tous, touristes de tous poils, explorateurs
d’opérette, globe-trotters à la petite semaine, cessez de « faire » ! Choisissez
donc plutôt, selon les cas, de visiter, voir, explorer, parcourir, découvrir,
admirer, etc.
Dans un parler relâché, « faire » est un cache-misère trahissant paresse linguistique
ou pauvreté de vocabulaire.
On l’emploie à la place de verbes plus précis et mieux adaptés au contexte.

On ne « fait » pas un pays, une région, un monument ou un musée, on les « visite ».


21

VINGT [Z] EUROS


PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION

Petite scène de la vie ordinaire où l’on ne sait plus dire les multiples noms
du dieu Argent

‒ Voilà, Monsieur, ça fait exactement vingt [Z] euros !


‒ Pardon ?
‒ Ça fait exactement vingt [Z] euros, Monsieur !
‒ Il y a erreur, Mademoiselle !
‒ Non, Monsieur, je vous assure : vingt [Z] euros, vous pouvez vérifier sur
votre ticket de caisse !
‒ Je ne parle pas de ce que je vous dois. Voyons… Avez-vous l’heure,
Mademoiselle ?
‒ Oui… Il est dix-huit heures.
‒ Bien ! Quelle heure sera-t-il dans deux heures ?
‒ Ben, vingt [T] heures, évidemment! Où voulez-vous en venir ?
‒ À ceci, Mademoiselle : vous dites bien vingt [T] heures et non vingt [Z]
heures, alors pourquoi dites-vous vingt [Z] euros plutôt que vingt [T] euros ?

La jeune fille est vexée. La pauvre ! Elle croyait pourtant bien faire et bien
dire en soulignant d’un [Z] franc, massif et, selon elle, opportun, l’idée de
pluriel induite par « vingt », oubliant par là même que toute liaison doit prendre
en compte la finale du premier mot.

Or « vingt » ne prend de « s » final que dans « quatre-vingts » quand « quatre-


vingts » n’est suivi d’aucun autre nombre :
Exemples :
vingt [T] euros, quatre-vingts [Z] euros, quatre-vingt-six [z] euros.
La même règle vaut pour « cent ».

Attention ! « Quatre-vingt » est invariable quand il indique un repère, une


marque, une borne et non une quantité :
Exemples :
Je me suis arrêté à la page quatre-vingt. / Il habite au numéro deux cent
quatre-vingt de la rue Tartifume.

Les liaisons doivent tenir compte de la terminaison du premier mot.

L’idée de pluriel induite par les nombres n’implique pas l’adjonction d’un « s »,
prononcé [Z] à la fin des adjectifs numéraux cardinaux, tous invariables à l’exception de
« vingt » et de « cent » quand ils désignent des vingtaines et centaines entières.
On dit vingt [T] euros comme on dit vingt [T] heures ou vingt [T] ans.
TESTEZ-VOUS !

1. Choisissez « un » ou « une » selon le mot qui suit les points de


suspension.
… sourate ‒ … aromate ‒ … mainate ‒ stigmate

2. Quel est le point commun entre les mots ?


« condoléances », « fiançailles », « honoraires » et « prémices ».
Citez quatre autres mots ayant ce même point commun.

3. Corrigez, s’il y a lieu.


a) Certaines plantes sont présentées comme des remèdes universels.
b) Le mot akos signifie « remède » en grec ancien.
c) Les pilules Stoptout furent vendues en tant que panacée universelle.
d) Pratiquer un sport collectif permet à la fois de garder la forme et en
même temps de développer son esprit d’équipe.
e) Un bon chef d’orchestre doit, à la fois, avoir une oreille développée et
savoir lire une partition complexe.
f) En 2016, on a commémoré le centenaire de la bataille de Verdun.
g) Une cave à vin d’appartement n’est pas est une alternative satisfaisante à
une cave naturelle.
h) Nous avons fait une escapade dans le Lot et en avons profité pour faire la
grotte du Pech Merle et celle de Cougnac.
i) Nous avons profité de notre séjour parisien pour faire le musée du Louvre.
22

TENTACULE
FÉMININ OU MASCULIN ?

Avez-vous déjà rencontré un kraken ? Cet abominable monstre marin


apparaît dans les contes scandinaves du Moyen Âge. Il fait partie de ces
effrayantes créatures qui hantent les profondeurs des océans et des lacs, si l’on
en croit les légendes mythologiques et folkloriques. Comme le Léviathan et les
autres dragons de la Bible, comme le monstre du Loch Ness et les autres
serpents de mer, comme Charybde, comme Scylla, le kraken ne pouvait vivre
que dans ce milieu fascinant parce qu’inconnu, inconnu parce qu’inaccessible :
les abysses. Il ne s’en éloigne que pour venir à la surface détruire les navires et
dévorer les équipages. C’est un gigantesque calamar, comparable à celui que
décrit Jules Verne dans Vingt mille lieues sous les mers. Cet impressionnant
mollusque a quitté le domaine imaginaire pour entrer dans le monde réel au
milieu du XIXe siècle quand des spécimens présentant les mêmes
caractéristiques furent découverts.

A. Ils possèdent de nombreuses tentacules.


Deux d’entre elles sont particulièrement longues.
ou
B. Ils possèdent de nombreux tentacules.
Deux d’entre eux sont particulièrement longs.

Quelle est la bonne proposition ?

La proposition B : « tentacule » est du genre masculin, comme « opuscule »,


« opercule », « corpuscule », « crépuscule », « fascicule », « testicule »,
« véhicule », « ventricule », etc., et contrairement à « bascule », « canicule »,
« clavicule », « majuscule », « molécule », « particule » et « pellicule ». La
terminaison ne détermine donc pas le genre d’un nom.

Revenons à « tentacule ». Plusieurs auteurs ont féminisé l’organe :
‒ Catherine Clément (La Syncope, Grasset, 1990, ch. 5 : « une tentacule ») ;
‒ Claude Lévi-Strauss (Anthropologie structurale, Plon, 1958, p. 216 : « les
tentacules gluantes ».)
Même Bescherelle, l’orthographe pour tous (Hatier, 2013, p. 193), ouvrage de
référence, classe « tentacule » parmi les noms féminins !

Dans ses Études de linguistique française (1946), le linguiste Albert Dauzat
souligne l’arbitraire du genre masculin de « tentacule ». Il pose la question :
« Les écrivains qui le font féminin sont-ils si fautifs ? »


Bien que certains écrivains l’utilisent au féminin, le nom commun « tentacule » est
bien masculin.
La terminaison d’un nom n’indique pas son genre grammatical.

Le genre d’un nom est donc parfaitement arbitraire : « tentacule » en est une nouvelle
illustration.
23

PRÉVOIR À L’AVANCE

PLÉONASMES



Si, comme l’écrit Paul Fort, le bonheur est dans le pré, il faut bien admettre
que l’anticipation et l’antériorité (dans le temps comme dans l’espace) s’y
trouvent aussi, du moins dans le préfixe « pré- », du latin prae, « avant,
devant » : prédire (« dire avant »), préméditer (« méditer avant, décider avant »),
prénommer (« nommer avant, donner un nom avant le nom »), préparer
(« apprêter à l’avance »), présider (« siéger devant », du latin sedere, « être assis,
siéger »), prévenir (« venir devant »), prévoir (« voir à l’avance »), pour ne citer
que quelques verbes.
Vouloir préciser de tels verbes en leur adjoignant l’adverbe « avant » ou les
locutions adverbiales « à l’avance » ou « par avance », c’est faire un pléonasme,
car la précision n’en est pas une. Elle est inutile et trahit une ignorance : celle
de la signification du préfixe « pré- ».
Il en est ainsi de « prévoir à l’avance » : est-il possible et simplement
cohérent de « prévoir après », une fois que s’est produit l’événement
concerné ? À moins que l’on ne se trouve dans un monde imaginaire et
fantastiquement absurde ; celui d’Alice de Lewis Carroll, par exemple :
Wonderland.

La faute n’est pourtant pas rare comme l’illustrent les citations suivantes :

« Sur terre battue, où le jeu est plus lent, il peut mettre
en place des plans de jeu, prévoir à l’avance. »
(Interview de Toni Nadal par Benjamin Montel,
parue dans L’Express du 18 juin 2017)

« Avec ce type d’informations, les villes seront à même
de prévoir à l’avance les mesures à prendre pour limiter
les épisodes de pollution. »
(Boursorama, article publié le 27 juin 2017)

« Le nouveau projet d’Amazon : prévoir à l’avance
ce que voudront acheter ses clients. »
(La Tribune.fr, article du 20 janvier 2014)

Dans ces trois exemples, « prévoir » tout court aurait fait l’affaire. Bien sûr, il
n’y a pas pléonasme si l’on précise « prévoir » par « (très) longtemps à
l’avance » ou « peu de temps à l’avance ».
Pléonasme du même acabit et de la même fréquence : « prévenir à
l’avance ». Le pléonasme est tout aussi patent si l’on remplace « à l’avance » par
« en amont », formule employée le 5 décembre 2017 par Agnès Buzyn, ministre
de la Santé, qui « trouve qu’on aurait pu [la] prévenir en amont » de
l’augmentation des cotisations décidée par les mutuelles.


Le préfixe « pré- » vient du latin prae signifiant « devant, avant, à l’avance ».
« Prévoir à l’avance » est donc un pléonasme.
Toutefois, « prévoir (très) longtemps à l’avance » est une formulation correcte.
24

PALLIER À

SOLÉCISMES



« […] créer un club pour pallier au manque d’activité
vélocipédique pendant les rigoureux mois d’hiver. »
(Sofoot.com, article publié le 2 juillet 2017
par Julien Duez)

M. Duez ignore qu’on ne dit ni n’écrit « pallier au » ou « pallier à », mais
« pallier », tout court. En termes grammaticaux, on dit que le verbe « pallier »
est uniquement transitif direct et non transitif indirect.
L’étymologie peut à nouveau venir au secours de notre mémoire. À l’origine,
on trouve le latin tardif palliare, « couvrir d’un pallium ». Qu’est-ce qu’un
« pallium » ? D’abord un manteau grec adopté par les Romains, puis tout
manteau recouvrant les autres vêtements, avant d’être une couverture ou un
couvre-pieds. « Pallium » peut aussi désigner un ornement liturgique que les
papes, primats et archevêques métropolitains sont autorisés à porter sur la
chasuble pendant l’office. L’idée principale est donc celle de « couvrir »,
« recouvrir » voire « protéger » ; « pallier » s’emploie de la même façon, sans
préposition.
Comment expliquer que l’on assortisse si souvent le verbe « pallier » de la
préposition « à » ? Sans doute par l’influence du verbe « remédier », dont le
sens est proche, mais qui est, lui, transitif indirect. On dit en effet « remédier
à ».

Le journaliste aurait donc dû écrire :

« […] créer un club pour pallier le manque d’activité vélocipédique… »
ou
« […] créer un club pour remédier au manque d’activité vélocipédique… »




« Pallier » vient du latin palliare, « couvrir d’un pallium », c’est-à-dire d’un
manteau.

« Pallier » est transitif direct et non indirect. On ne dit donc pas « pallier à ».
L’influence de l’expression synonyme « remédier à » peut expliquer cette faute
fréquente.
25

PÉCUNIER

BARBARISMES



La démarche cérébrale semble être la suivante : « pécunier » est le masculin
d’un adjectif dont « pécunière » serait le féminin, tout comme « rancunier » et
« rancunière », « financier » et « financière », « premier » et « première »,
« dernier » et « dernière », « singulier » et « singulière », etc., les exemples ne
manquent pas ! Donc, si l’on parle de « ressources pécunières », il est logique
de parler d’« intérêts pécuniers ». CQFD ! Le hic, c’est que « pécunier » n’existe
pas plus que « pécunière ». Vous aurez beau éplucher tous les dictionnaires : du
Larousse au Hachette en passant par celui de l’Académie française, le TLF, le
Robert, grand ou petit, le Littré et tous les autres, vous ne dénicherez jamais
l’ombre de « pécunier » ni même la trace de « pécunière ».
Toutefois, vous trouverez sans peine
‒ « pécunieux », synonyme littéraire de « fortuné », « très riche » ;
‒ « pécune », mot d’autrefois signifiant « argent comptant » (équivalent du
très moderne « cash » ou de l’argotique « fraîche ») ;
‒ « pécuniaire », qui se rapporte à l’argent…
Et le voilà, le traître, celui qui nous induit en erreur ! Car, d’un point de vue
phonétique, « pécuniaire » a des allures féminines. Alors, fier de soi, mais en se
méprenant sur l’orthographe, on lui invente un compagnon et l’on tombe dans
le barbarisme. Qu’on le sache donc une bonne fois pour toutes : « pécuniaire »
est en même temps féminin et masculin, comme le sont « ferroviaire »,
« fiduciaire », « judiciaire », « nobiliaire », « plénipotentiaire », « subsidiaire »,
« tertiaire », etc. On parlera donc aussi bien d’une « difficulté pécuniaire » que
d’un « ennui pécuniaire ».

Éclairage étymologique : « pécune », « pécunieux » et « pécuniaire » sont
dérivés du latin pecunia, « fortune, richesse », mais, à l’origine, « richesse en
bétail », le latin pecus signifiant précisément « bétail, troupeau ». En effet, c’est
à l’importance du bétail qu’il possédait qu’on estimait la richesse d’un individu.




Les adjectifs « pécunier » et « pécunière » n’existent pas.

Ignorant l’orthographe de sa terminaison et trompé par sa phonétique, on pense que


« pécuniaire » n’est que féminin.
« Pécuniaire » est à la fois féminin et masculin, comme « judiciaire », « tertiaire », etc.
26

BOOSTER

ANGLICISMES



Ce curieux animal lexical qui réunit un mot anglais, « boost », et une
terminaison française, « -er », marque de l’infinitif des verbes du premier
groupe, cet animal est un monstre dévoreur de verbes : en effet, on entend de
plus en plus souvent nos contemporains utiliser « booster » en lieu et place de
« stimuler », « dynamiser », « renforcer », « doper », « relancer », « gonfler »,
« améliorer », « promouvoir », d’autres encore, parfaitement adaptés aux
divers contextes et situations. Nous avons donc affaire à un nouvel anglicisme
lexicophage qui, par ailleurs, est particulièrement laid, commençant par
l’onomatopée que l’on emploie pour faire semblant d’effrayer : boo = bouh !
Autant de raisons de ne pas intégrer « booster » à notre vocabulaire !
Pourtant, le quotidien Le Monde nous apprend que « les jurys peuvent
«booster» les notes » des candidats au bac 2017, un article de Ouest-France
rapporte le propos du directeur de l’office de tourisme de Vannes selon lequel
« la ligne LGV devrait booster les courts séjours », info-tours.fr nous dit
« Comment Tours Métropole veut booster le tourisme », Femme Actuelle
publie un article où il est question de « booster la brillance de ses cheveux »,
Minutenews.fr nous fait part d’« une découverte majeure pour booster les
antibiotiques avec des huiles essentielles ». N’en jetez plus !
Mais comment donc expliquer que l’on se prête avec autant de
complaisance à la corruption de notre langue ? Quelle mode scélérate, quel
snobisme ridicule et quelle inconscience sont à l’œuvre dans cette
contamination ? Quelles que soient les réponses, tout nous incite à ne pas
entrer dans la ronde : prenons-en la résolution, jurons de ne jamais utiliser ces
anglicismes et prenons plaisir à rechercher les mots français les plus aptes à
exprimer notre pensée avec justesse.




« Booster » est un anglicisme de plus en plus souvent utilisé.
De nombreux verbes français plus précis et mieux adaptés sont à notre disposition
pour éviter l’emploi de « booster ».
Éliminons « booster » de notre vocabulaire et résistons à l’invasion des anglicismes.
27

VOILÀ

TOURNURES EXASPÉRANTES



Voici l’extrait d’une interview datant de juillet 2011 :

« Non ben très bien, c’est vrai que VOILÀ,
depuis l’début j’ai très bien été accueilli, c’est ça aussi
qu’a facilité les choses euh VOILÀ j’me suis tout
d’suite mis dedans et concentré. VOILÀ, le coach m’a
appelé et VOILÀ c’était à moi de tout donner
et VOILÀ, dès que j’suis rentré, on m’a tout d’suite mis
bien, on m’a encouragé et VOILÀ, j’suis rentré sans
pression et c’est ça qu’a fait le p’tit plus et VOILÀ,
j’ai tenté et c’est au fond, j’suis très content. »

Voilà un modèle de rhétorique que l’on doit à un joueur nouvellement admis
dans l’équipe de France de ballon rond. Dans une anthologie des discours
footballistiques, ce serait, sans aucun doute, l’un des meilleurs morceaux
choisis. Ce charabia est ponctué de sept « voilà » qui ne jouent aucun rôle
linguistique, qui ne servent à rien si ce n’est à combler les vides d’un propos qui
n’est lui-même que viduité, car, qu’il soit préposition, verbe (« vois là ») ou
adverbe (les lexicographes8 ne sont pas d’accord), « voilà » s’emploie dans des
cas assez précis :
‒ attirer l’attention sur quelqu’un ou quelque chose ;
‒ présenter quelqu’un ou quelque chose ;
‒ introduire un commentaire ou une explication ;
‒ marquer la fin d’un propos (et la satisfaction de celui qui l’a tenu).
« Voilà » n’est donc pas destiné à remplir cette fonction de « bouche-trou »
qu’on lui assigne trop souvent ; son rôle n’est pas non plus de résumer une
pensée ni de se substituer à une pensée absente. « Voilà » semble en effet
signifier :
‒ je ne sais pas quoi vous dire ;
‒ j’ai quelque chose à dire, mais je ne sais pas comment (À moi, Boileau !) ;
‒ vous savez ce que je veux vous dire.
Dans l’exemple proposé en introduction, les « voilà » du footballeur n’ont
pas de réelle fonction dans le dialogue, si ce n’est ce que les linguistes
appellent « fonction phatique » du langage. Ces multiples « voilà » n’apportent
aucune information, mais permettent d’engager et de maintenir l’attention de
l’interlocuteur, de susciter son intérêt. Conclusion logique : plus les « voilà »
sont nombreux, moins le discours est intéressant.


« Voilà » sert à introduire, présenter ou conclure.
« Voilà » peut aussi avoir une fonction « phatique » : établir et maintenir le contact
entre les interlocuteurs.

« Voilà » ne doit pas servir de bouche-trou trahissant une pensée chaotique,


anarchique et confuse.
28

CETTE CITATION EST,


[T] ELLE AUSSI,
TIRÉE DE LA BIBLE

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Règle : Les signes de ponctuation sont des stops obligatoires.

Cette règle ne souffre aucune exception. Que signifie-t-elle ? Qu’un signe de
ponctuation, quel qu’il soit (point, virgule, etc.) empêche toute liaison.
Pourtant, ignorant cette règle et par excès de zèle, certains journalistes font la
liaison, ce qui peut faire croire que la phrase est interrogative :

Cette citation est-elle aussi tirée de la Bible ?

Bien sûr, l’intonation permet d’éviter la confusion, mais le risque existe, si
minime soit-il, et, dans des phrases où l’intonation n’est que peu marquée, c’est
bien la liaison qui détermine la forme interrogative. Comparez :

Plusieurs villes de Champagne-Ardenne
ont [T] elles basculé à droite ?
Plusieurs villes de Champagne-Ardenne ont, elles, basculé à droite.

Le premier vers de la Marseillaise
La plupart des Français chantent ainsi le début de notre hymne national :

Allons [Z] enfants de la patrie

La liaison entre « allons » et « enfants » est, en général (de division), si bien
marquée que l’expression Allons z’enfants a été choisie, par dérision, comme
titre d’un roman d’Yves Gibeau (1952), adapté au cinéma par Yves Boisset en
1981. Il y est question d’un jeune homme antimilitariste contraint par son
adjudant de père de faire carrière dans l’armée.
Revenons à notre Marseillaise. « Allons » y est une incitation à se battre
pour la patrie. La syntaxe veut que le mot soit suivi d’une virgule (d’ailleurs bien
présente dans le manuscrit de Rouget de Lisle) qui rend donc la liaison
impossible. En conséquence, tout citoyen soucieux de respecter le texte de
son chant patriotique doit, de toute urgence et sans récriminer, remplacer ce
[Z] disgracieux par un silence volontaire et résolu. Gaaard’à vous ! Repos !


La ponctuation empêche la liaison.
Tout signe de ponctuation joue le même rôle qu’un « H » aspiré.
En chantant « Allons z’enfants », on commet donc une faute, « Allons » étant
logiquement suivi d’une virgule.
TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez, s’il y a lieu.
a) Stéphane Hessel a écrit Indignez-vous !, un opuscule qui fut un grand
succès de librairie.
b) Une orchite est l’inflammation d’une testicule.
c) Quand on conduit, il faut toujours prévoir à l’avance le comportement des
autres usagers de la route.
d) Pour éviter l’incident, il aurait suffi de prévoir la réaction de l’enfant peu
de temps à l’avance.
e) Pour remédier au « massacre » de la langue française, il serait judicieux de
rétablir la dictée quotidienne à l’école primaire.
f) Sa sœur connaît bien des ennuis pécuniers.
g) Le latin pecus, qui veut dire « bétail », est à l’origine de l’adjectif
« pécuniaire ».

2. Remplacez l’anglicisme par un mot français adéquat.
a) Quelques séances de balnéothérapie, rien de tel pour vous booster !
b) Cette publicité a été très efficace pour rebooster nos ventes.
c) Pour booster son image, notre président a parfois recours à la démagogie.

3. Ponctuez la phrase suivante de manière à la rendre interrogative.
Les nouvelles régions sont elles aussi facilement gérables que les anciennes

4. Ponctuez cette même phrase pour en faire une affirmation.

29

AUGURE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Titre d’un article publié par Claire Lemaître sur Boursier.com le 1er juillet
2017 :

Finances publiques : l’audit de la Cour des Comptes
de mauvaise augure pour l’équipe Macron

Et, sur LaDepeche.fr du 7 juillet 2017, sous la plume
d’Alexandre Efremenko :

Loin, très loin des 92 milliards investis en 2012.
Mais de bonne augure tout de même pour renouer
avec la croissance.

Les journalistes du monde de la finance seraient-ils fâchés avec le genre
grammatical du mot « augure » ? Qu’il soit qualifié de bon ou de mauvais, le
nom « augure » est masculin. Évidemment, à l’oral, la confusion des genres est
indécelable car « bon augure » se dit de la même façon que « bonne augure » ;
idem pour « mauvais augure » et « mauvaise augure » : la liaison vient à propos
masquer l’ignorance, à moins qu’elle ne soit plutôt responsable de la
féminisation du mot.
« Augure » est masculin quelle qu’en soit la signification : « présage » ou
« personne prétendument capable de faire d’exactes prédictions ». Son origine
nous renvoie à l’Antiquité romaine : les augures étaient les signes que les
prêtres (eux-mêmes dénommés « augures ») interprétaient pour voir l’avenir,
connaître la volonté des dieux, s’assurer de leur avis et de leur protection. Les
augures particuliers déduits de l’observation des oiseaux, leur chant, leur vol,
leur comportement, etc., recevaient aussi le nom d’« auspices ». De nos jours,
« auspice » et « augure » ont le plus souvent un sens figuré. Comme « augure »,
« auspice » est du genre masculin. Presque exclusivement employé au pluriel,
on le trouve dans des expressions figées comme :
‒ « sous les auspices de » : avec le soutien de, sous le patronage de ;
‒ « sous les meilleurs auspices » : dans des circonstances très favorables.

« Augure » a donné naissance aux verbes « augurer », pressentir que quelque
chose se produira, et « inaugurer », mettre en service de façon officielle et
solennelle.


« Augure » est du genre masculin, comme « auspice », son synonyme.
Un « augure » est un présage ou un prêtre de l’Antiquité romaine capable
d’interpréter les signes permettant des prédictions.

« Auspices » et « augure » sont aujourd’hui employés au figuré et dans des expressions


dites « figées ».
30

OPPOSER SON VETO



PLÉONASMES



Deux oppositions valent-elles mieux qu’une ? Ce serait révolutionnaire ! Eh
bien, justement, que diriez-vous d’un chant révolutionnaire ?


Madame Veto avait promis
De faire égorger tout Paris.
Mais son coup a manqué
Grâce à nos canonniers.

Monsieur Veto avait promis
D’être fidèle à son pays
Mais il y a manqué
Ne faisons pas d’quartier.

Dans ces deux couplets extraits de La Carmagnole (1792), l’hymne des Sans-
Culotte, Mme Veto est Marie-Antoinette et M. Veto, Louis XVI à qui la
Constitution de 1791 laissa le droit de s’opposer aux lois proposées par
l’Assemblée. Il lui sera ensuite reproché d’avoir abusé de ce droit de veto.
« Veto » signifie donc « refus, opposition », singulièrement dans un contexte
législatif. Issu du verbe latin vetare, « interdire, défendre », à la 1re personne du
singulier de l’indicatif présent, veto veut dire littéralement : « je m’oppose ».
« » Opposer son veto » est donc un pléonasme (« opposer son «je
m’oppose» ») que l’on doit remplacer par « mettre son veto » ou « frapper de
son veto ».
Pourtant, récemment encore, ce pléonasme s’est généreusement invité dans
les colonnes de nos quotidiens. Exemples :
À propos d’un prêt accordé à la Grèce par la zone euro, Le Figaro.fr nous
apprend que…

« … Madrid avait menacé le 16 juin d’opposer
son veto au versement […] »

La Voix du Nord, ignorant la mise en garde avisée et réitérée de l’expert
Bruno Dewaele, dans ses propres colonnes, nous parle de poursuites
annulées…

« … sous la pression de Madrid, qui avait menacé
d’opposer son veto au versement […] »

La Manche libre nous dit que, pour une école du Calvados…

« … la direction des services départementaux
de l’Éducation nationale aurait opposé son veto
au retour à la semaine de quatre jours. »

L’Est Éclair nous informe que…
« … Le Conseil d’État a opposé son veto à l’installation
d’un parc éolien. »

La Tribune de Genève, à propos de la nomination d’un Suisse au secrétariat
général de l’OSCE, affirme que…
« … Si aucun État n’oppose son veto, la décision
est définitive. »

Décidément, il semble bien qu’aucun veto n’interdise la persistance de ce
pléonasme !




En latin, veto signifie « je m’oppose ».

On ne peut donc pas « opposer son veto ».

On peut, en revanche, « mettre son veto » ou « frapper de son veto ».


31

ÉTANT ABSENTS,
VEUILLEZ NOUS LAISSER
UN MESSAGE

SOLÉCISMES



Ce genre d’annonce était naguère assez fréquent sur les répondeurs
téléphoniques, parfois agrémenté de l’utile précision : « après le bip sonore »,
comme si un « bip » pouvait ne pas être « sonore » ! Mais ne chipotons pas,
malgré ce pléonasme, tout le monde comprend un tel avertissement : ceux à
qui on voulait parler ne sont pas chez eux et l’on s’exécute en enregistrant un
petit mot. Fort bien, mais l’on devrait logiquement ne pas comprendre cette
phrase, car elle est syntaxiquement incohérente. Le sujet sous-entendu du
verbe au participe présent doit en effet être le même que celui du verbe à
l’impératif. En l’occurrence, « veuillez » et « étant (absents) » doivent avoir le
même sujet. Ce qui est aberrant puisque « étant absents* » équivaut à « parce
que nous sommes absents ». Les possesseurs de ce sacré répondeur
téléphonique auraient été mieux inspirés de tourner ainsi la formule :
« Étant absents, nous vous prions de nous laisser
un message après le bip (ou le signal sonore). »

Les pinailleurs ne manqueront pas de souligner l’absurdité de ma
proposition : si vous êtes absents, comment pouvez-vous prier qui que ce soit
de faire quoi que ce soit, comment pouvez-vous même prétendre nous parler,
fût-ce par le truchement de votre fichu répondeur ?

Ces énoncés que la confusion des sujets rend incohérents ou ambigus
reçoivent le nom d’« amphibologies ». Si l’équivoque est source de comique, on
peut alors parler de « janotisme » (ou « jeannotisme »), Janot (ou Jeannot)
étant un personnage de comédie, niais et ridicule.

Exemples de janotismes :

Le deuxième classe fut privé de permission
pour avoir jeté un seau d’eau à la tête
de son adjudant qui était plein.

Pierre conduisit son toutou sur la pelouse
pour assouvir ses besoins.

Ces exemples sont évidemment exagérés, mais si les janotismes sont rares,
les amphibologies ne sont pas exceptionnelles et les équivoques qu’elles
produisent peuvent être regrettables. Viennent alors à l’esprit les célèbres vers
de Boileau :

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.




Lorsque le verbe est au participe présent ou passé, le sujet est sous-entendu (implicite).

Dans ce cas, le sujet doit être le même pour les deux propositions.
Un sujet mal identifié peut être cause d’amphibologie, voire de janotisme.

* N.B. Bien que « étant (absents) » soit un participe présent, la proposition n’est pas participiale, car
dans une proposition participiale, le participe a son sujet propre.
32

SOI-DISANT
PRÉTENDU(E)(S)

BARBARISMES

Commençons par écarter les confusions que l’on peut faire à propos de
« soi ».
‒ Ce n’est pas l’adverbe signifiant « d’accord », écrit avec un « t » :
Soit, je ferai ce que vous me dites.

‒ Ce n’est pas non plus la conjonction synonyme de « ou bien », que l’on
redouble pour marquer l’alternative, toujours avec le « t » final :
Soit vous acceptez ma proposition,
soit je vous donne ma démission !

‒ Ce n’est pas davantage la 3e personne du singulier du présent du
subjonctif :
Il faut qu’il soit parti avant midi.

Il s’agit bien du pronom personnel réfléchi 3e personne du singulier,
orthographié sans « t » final, équivalent de « soi-même », comme dans
Chacun pour soi et Dieu pour tous.

« Soi-disant », forme conjuguée de « se dire », a le sens de « qui se dit soi-
même », « qui se dit lui-même » avec l’idée de contre-vérité ou d’exagération.
Dans
C’est un pianiste soi-disant virtuose
on comprend que ce pianiste se dit lui-même virtuose, qu’il se prétend tel, à
tort, et qu’en réalité ce doit être un pianiste bien médiocre.
« Soi-disant » est invariable (même si certains auteurs du passé l’ont parfois
accordé). Il ne prend la marque ni du féminin, ni du pluriel. On écrira donc :
Sa petite amie est une soi-disant Miss Auvergne
et
Le Parlement européen contient bon nombre de soi-disant tribuns.

On comprend que la petite amie ne fut peut-être que deuxième dauphine et
que les députés européens qui se disent tribuns sont soupçonnés de n’être
que de piètres orateurs.

Et puisqu’il est question de « se dire soi-même », « soi-disant » ne peut être
utilisé que par des êtres doués d’une parole consciente, ce qui élimine tout
objet au sens large du terme. Des énoncés qui parlent de « soi-disant
dégradations commises dans un camping par des enfants » ou d’« un camping
soi-disant dégradé… » sont donc fautifs. Est-ce, comme l’affirme Larousse, être
puriste que de proposer alors l’emploi de « prétendu(s) » et
« prétendument » à la place de « soi-disant » ?


Dans « soi-disant », « soi » ne prend pas de « t » final.
« Soi-disant » est invariable et signifie « qui se dit soi-même ».
« Soi-disant » ne peut donc logiquement s’appliquer qu’à des personnes. Dans les
autres cas, il vaut mieux employer « prétendu » et « prétendument ».
33

IMPACTER

ANGLICISMES



Ici, c’est la crise qui pourrait nous impacter tous, là, c’est le Brexit qui va
impacter l’énergie européenne, ailleurs, ce sont les objets connectés qui
impacteront notre mobilité ; tel magazine nous apprend que notre santé
risque d’être impactée par le grignotage du soir, tel autre prétend que les
modifications du Code de la route peuvent impacter tous les conducteurs,
bref, nous sommes cernés par quantité d’impacts potentiels dont on se
demande comment ils auraient pu autrefois s’exprimer, alors que ce verbe
« impacter » n’était pas encore en usage (n’avait pas encore impacté notre
vocabulaire), précisément avant 1992, date de sa première attestation. Il s’est
ensuite propagé à toute vitesse, comme d’une traînée de poudre, empruntant
le support des réseaux sociaux et de leurs étalages impudiques, la voie des
médias (et la voix des journalistes), celle des politiques et de leurs discours
convenus et, de fil en aiguille, la parole de tout un chacun… car nombreux sont
ceux qui adoptent les mots à la mode, par mimétisme, sans vraiment se poser
la question du sens exact, ni celle de l’origine.
En l’occurrence, dans le sens où il est utilisé par les bavards médiatisés, à
savoir « heurter » ou « avoir des conséquences (plutôt négatives) sur… »,
« impacter » n’est pas accepté par l’Académie française, le TLF le dénonce
comme anglicisme et Larousse parle d’un emploi « familier ». En 2000, dans
Caïn et Abel avaient un frère, Philippe Delaroche écrit :
« À côté des verbes irréguliers, s’est constituée depuis les années 1980 une
nouvelle famille, celle des verbes laids. Sont apparus valider, checker, initier,
générer, impacter. Ils font autorité plus qu’ils ne signifient. Ils attestent de
l’appartenance du locuteur à la sphère manageuriale. »
Il dénonce un sabir9 en usage dans l’industrie, les services et l’administration.
Comble de l’anglomanie, l’emploi de « to impact on », signifiant « avoir des
répercussions sur », engendre en Grande-Bretagne même, une réelle
désapprobation, le verbe y étant considéré comme faisant partie d’un jargon
commercial.
Autant de raisons d’abandonner le trop fréquent verbe « impacter »,
redoutable lexicophage qui rejette dans les oubliettes quantité de verbes et
locutions bien français, en parfaite harmonie avec les divers contextes, pour
peu que l’on s’y intéresse : « influencer », « affecter », « toucher », « influer
sur », « se répercuter sur », « avoir des conséquences sur », « avoir une
incidence sur », etc.


« Impacter » est un anglicisme à la mode, surtout dans les milieux politique,
économique et journalistique.
Avec le sens d’« influencer », le verbe « impacter » n’est pas accepté par l’Académie
française ni « to impact on », par les lexicographes8 britanniques.
« Impacter » doit être remplacé par « influencer », « affecter », « toucher », « se
répercuter sur », etc.
34

ÇA L’FAIT

TOURNURES EXASPÉRANTES



L’expression aurait pu tout aussi bien figurer dans la catégorie
« Anglicismes », car elle provient, de toute évidence, de l’anglais « that does
it », idiotisme10 dont la traduction littérale ne pouvait donner qu’une idiotie. En
effet, la raison d’être d’un pronom est de remplacer un nom, utilisé
antérieurement ou rendu explicite par le contexte ou la situation, de sorte que,
sous-entendu, il est parfaitement compris par les interlocuteurs. Or, ceux qui
lancent « ça l’fait ! », par mimétisme, ceux-là seraient bien embarrassés s’ils
devaient préciser à quoi le pronom personnel « le » fait allusion. Idem pour « ça
va l’faire », « ça peut l’faire », « ça l’fait pas ! », etc. Mais, saperlipopette !
Qu’est-ce que ça fait ? Qu’est-ce que ça va faire ? Qu’est-ce que ça peut faire ?
Qu’est-ce que ça ne fait pas ?… Boule de gomme !
On peut alors se demander si cette expression se fonde sur une pensée
bien définie ou si l’employer relève d’une sorte d’automatisme comme c’est de
plus en plus souvent le cas, ce que l’on peut regretter, car, à force de recourir à
des locutions figées caractéristiques d’une langue de bois, façon politiciens
démagogues, à des anglicismes lexicophages qui aplanissent les nuances, on
appauvrit notre pensée, incontestablement.
« Ça l’fait ! » On dit que cette tournure eut sa période de gloire à la fin des
années 1990. Aujourd’hui, elle serait devenue ringarde. Pourtant, je l’entends
encore, notamment dans la bouche de personnes d’un certain âge. Pensent-
elles se rajeunir en adoptant ainsi le parler branché de leurs enfants ou petits-
enfants ?
En pareilles circonstances, quelles autres expressions peuvent dire notre
satisfaction, notre approbation, notre accord ?
« Ça me va ! », « Ça me plaît ! », « Ça me convient ! », « Ça marche ! », « Ça
roule ! », voire « Ça colle ! » sont tout à fait correctes et de loin préférables à
« Ça l’fait ! » D’ailleurs, « Ça l’fait » n’est plus guère à la mode ; « ça l’fait », ça ne
la fait plus. Quoi donc ? L’affaire, bien sûr !




« Ça le fait ! » est une traduction littérale de l’anglais « That does it ! »

L’expression utilise un pronom personnel qui ne remplace aucun nom : elle est donc
absurde.
De nombreuses tournures comme « Ça me convient », « Ça marche », « Ça fait
l’affaire », « Ça me va » sont préférables à « Ça l’fait » !
35

5 700 [H] avions



PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Transposition aéronautique d’une histoire aviaire où Toto n’avait pas appris
sa leçon sur les liaisons. Avec Toto, il s’agissait de compter les oiseaux. Petit
Louis aurait dû, lui, apprendre à compter les avions.

La maîtresse : Petit Louis ,
Voyons, mon petit Louis, récite-moi ta Bien, m’dame ! Quat[R]’ avions, cinq [R]
leçon. avions…
Petit Louis , La maîtresse :
Bien, m’dame ! Un [N] avion, deux [N] Mais enfin, Louis, cin[Q] avions !!
avions… Petit Louis ,
La maîtresse : Bien, m’dame ! cin[Q] avions, six [Q] avions…
Non, Louis, on dit : deux [Z] avions. La maîtresse :
Petit Louis , Louis, ça suffit ! Tu ne sais pas ta leçon. Je te
Bien, m’dame ! Deux [Z] avions, trois réinterrogerai demain et gare !
[Z] avions, quat’ [Z] avions… Le lendemain, fier de lui, le petit Louis débite,
La maîtresse : devant sa maîtresse, interdite :
Non, Louis, il faut dire : quat[R]’ Un zinc, deux zincs, trois zincs, etc.
avions !

Un demi-siècle plus tard, devenu président d’un grand groupe européen,
Louis ne sait toujours pas sa leçon. Pire ! Considérant sans doute que les
liaisons sont encore plus dangereuses avec les grands nombres, il utilise un
autre subterfuge : ne plus les faire du tout. Interrogé sur le carnet de
commandes de sa société, il nous parle d’un marché de

5 700 [H] avions.

Pourtant, si une mauvaise liaison trahit une grave méprise sur la finale du
premier mot, ne pas faire de liaison du tout est une faute tout aussi grave, car
un hiatus est alors provoqué, contraire à l’esprit de notre langue française qui a
horreur du vide.

Rappelons donc à « Petit Louis » devenu grand que « cent » prend un « s »
quand il indique des centaines entières, c’est-à-dire quand il n’est pas suivi d’un
autre nombre : Cent élèves (100 [T] élèves), mais sept cents élèves (700 [Z]
élèves) et sept cent vingt[T] élèves.





Faire une liaison suppose que l’on connaisse la finale du premier mot.
« Cent » prend la marque du pluriel dans le cas de centaines entières.
Une absence de liaison est une erreur aussi grave qu’une faute de liaison.
TESTEZ-VOUS !


1. Vrai ou faux ?
a) « Augurer » est synonyme de « présager ».
b) Le latin veto signifie « je suis d’accord », « j’accepte ».
c) L’expression « signal sonore » est un pléonasme.
d) Un « janotisme » est une amphibologie dont l’équivoque est source de
comique.

2. Corrigez, si nécessaire.
a) Les clients ne pensent pas grand bien de ces soi-disant légumes
biologiques.
b) Je vais réussir à mettre la roue de secours. Ça va l’faire !

3. Ajoutez le signe [ si la liaison doit être faite entre les mots en gras ou
le signe / si la liaison est interdite.
a) Mon père travaille 200 heures par mois.
b) C’est la fin des haricots.
c) Le village compte tout juste 100 habitants.
d) Zoé s’occupe très bien de son petit hamster.

4. Remplacez l’anglicisme par un mot français exprimant la même idée.
a) Cette mauvaise note en maths va lourdement impacter sa moyenne
générale.
b) Mon ami Pierrot ne va pas très bien. Son moral a été impacté par la perte
de son animal.
c) Fréquenter cet individu sans foi ni loi a profondément impacté le
comportement de sa sœur.

36

ARMISTICE

FÉMININ OU MASCULIN ?



« Il se servit du mot amnistie, et fit dans toute
la conversation presque toujours cette faute. »

Cette anecdote, rapportée par Émile Littré dans son Dictionnaire de la
langue française, se trouve dans Mémoires sur le consulat, l’Empire et le roi
Joseph (1858) du comte Miot de Mélito (note en bas de la page 90).

De quelle faute s’agit-il ? De la confusion entre les mots « amnistie » et
« armistice ».
De quelle conversation est-il question ? De celle qui eut lieu à Brescia le 19
prairial an IV (5 juin 1796) lors de l’armistice signé avec les représentants
napolitains.
Qui fit cette faute ? Le général Napoléon Bonaparte. Il faut dire que le mot
« armistice » était nouveau puisqu’il ne fut intégré au dictionnaire de l’Académie
française qu’à partir de la quatrième édition (1762), d’ailleurs mentionné féminin,
par erreur, comme nous le précise Littré. L’erreur sera corrigée dès l’édition
suivante (1798).

Issu du latin médiéval armistitium formé sur le latin classique arma,
« arme(s) » et statio, de stare, « être arrêté » selon les uns, sistere, « arrêter »,
selon les autres, un « armistice » est donc une « suspension d’armes », c’est-à-
dire un « arrêt des hostilités » ou un « cessez-le-feu » qui, de provisoire, devient
définitif s’il est suivi d’un traité de paix.
Comme « interstice » et « solstice », « armistice » est masculin, contrairement
à « justice ». La confusion d’« armistice » avec « amnistie », phonétiquement
proche, peut expliquer la confusion des genres grammaticaux, « amnistie » étant
féminin comme « dynastie », « eucharistie », « hostie », « modestie », « sacristie »,
etc.


Comme « interstice » ou « solstice », « armistice » est du genre masculin : UN
armistice.
Ne pas confondre, comme Napoléon le fit, « armistice » et « amnistie ».

« Amnistie » est du genre féminin, comme « dynastie », « modestie » ou « sacristie ».


37

TRI SÉLECTIF

PLÉONASMES



Il fut instauré au début des années 1990. Depuis, nos concitoyens ont pris la
bonne habitude de trier leurs déchets selon les différents conteneurs, bleus,
jaunes ou verts, mis à leur disposition par les municipalités. Un siècle plus tôt,
un certain M. Poubelle, préfet de la Seine, avait déjà publié une ordonnance
imposant l’usage de « plusieurs récipients pour recevoir les résidus de
ménage. » Eugène René Poubelle fut donc l’initiateur du tri… que l’on ne
qualifiera pas de « sélectif », évitant ainsi un pléonasme, car trier suppose un
choix et choisir, c’est bien faire une sélection. Tout tri est donc, par définition,
sélectif.
La formule est donc indubitablement impropre. Son créateur en prit-il
conscience ? L’a-t-il conservée en connaissance de cause, pour plus d’efficacité
auprès des consommateurs qu’elle entend inciter à plus de civisme ? D’ailleurs,
vouloir que ce pléonasme disparaisse est sans doute vain, car le matraquage
incitatif qui dure depuis un quart de siècle l’a désormais solidement enraciné
dans les mœurs. En voulant enseigner « les bons gestes » pour trier les
déchets, on colporte le pléonasme. Une preuve parmi tant d’autres, un article
publié dans l’Est éclair le 23 juillet 2017, intitulé

« Les enfants apprennent le tri sélectif. »

Il est donc probable que ce slogan fautif soit aussi durable que le
développement auquel il est associé.
À moins que vous, lecteurs, que j’espère nombreux et convaincus, ne
décidiez non seulement de ne plus l’employer, mais aussi d’inciter vos proches
à faire de même. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, on verra peut-
être un jour les expressions « tri domestique » et « tri ménager » remplacer
un « tri sélectif » devenu inénarrable, au sens premier du terme.




Tout tri imposant un choix, donc une sélection, l’expression « tri sélectif » est un
pléonasme.

Vouloir extirper « tri sélectif » du vocabulaire de nos concitoyens est sans doute une
entreprise vaine.
On peut toujours essayer de proposer « tri domestique » ou « tri ménager » en
remplacement de « tri sélectif ».
38

CELA DIT et CECI DIT



SOLÉCISMES




Ces deux formules émaillent les conversations. Il est vrai qu’elles font
« classe », qu’elles donnent à qui les prononce une certaine contenance,
comme à son discours, une certaine maîtrise. Les uns diront « ceci dit », les
autres, « cela dit » ; la même personne emploiera l’une ou l’autre, selon
l’humeur du moment, pensant que les deux tournures sont équivalentes,
interchangeables, que c’est affaire de goût.
Eh bien, non ! « Ceci dit » n’est pas égal à « cela dit », car « ceci dit » est tout
simplement incorrect sur le plan linguistique. L’humeur ni le goût n’ont à faire
là-dedans, n’en déplaise à la pimbêche (ou, pour parler « jeune », à « celle qui se
la pète ») qui, une fois l’erreur expliquée et, je le suppose, comprise, a déclaré,
la bouche en cul-de-poule : « Peut-être, mais je continuerai à dire «ceci dit»,
parce que je trouve que ça fait plus joli ! ». Dit-elle que deux plus deux font
vingt-deux parce que ça fait plus joli ? Tant pis pour elle !
« Ceci », en effet, s’oppose à « cela », comme « ici » s’oppose à « là », « celui-
ci » à « celui-là », « voici » à « voilà », « Figaro-ci » à « Figaro-là », etc.
Dans l’espace et du point de vue du locuteur7, « ceci » désigne quelque
chose de plus immédiatement présent, de plus proche que « cela » ; plus
grande proximité aussi pour « ici », « celui-ci », « voici », « Figaro-ci » par rapport
à « là », « celui-là », « voilà », « Figaro-là ».

Dans un récit ou une conversation, « ceci » annonce ce qui va suivre :

« Mes garçons, ajouta Robin, écoutez bien ceci :
le baron Fitz-Alwine assiste à la fête. »
(Alexandre Dumas, Robin des bois, ch. XI)

Dans « cela dit » et « cela étant », qui sont des raccourcis de « cela étant
dit », « cela » fait allusion à ce qui vient d’être dit et laisse entendre qu’on va
apporter des nuances, voire des contradictions :

« Vous simplifiez à outrance. Cela dit,
vous avez raison, j’aurais été bien inspiré de m’intéresser
aux filles plus tôt. »
(Amélie Nothomb, Barbe bleue, Albin Michel, 2012)



Par rapport au locuteur, « ceci » désigne quelque chose de plus proche que « cela ».
Dans un récit ou un discours, « ceci » annonce ce qui suit, « cela » reprend ce qui
précède.

« Ceci dit » est une tournure incorrecte qui doit être remplacée par « cela (étant) dit ».
39

SOUHAITER
SES VŒUX PRÉSENTER
SES VŒUX

BARBARISMES



L’ineptie revient tous les ans à partir du 1er janvier et, selon la tradition,
jusqu’au 31, plus à l’écrit qu’à l’oral, sur les cartes de vœux devenues rares ou
dans les méls qui les remplacent. Célébrer les anniversaires est une autre
occasion d’utiliser cette formule stupide. Les exemples ne manquent pas : ici,
ce sont « les people [qui] vous montrent en images comment souhaiter vos
vœux » (L’Internaute.com du 29 décembre 2016), là, par la voix de Pierre
Meignan, c’est « la rédaction française de Radio Prague [qui nous] souhaite à
toutes et à tous ses meilleurs vœux de bonheur sur notre planète Terre »
(30 décembre 2016), ailleurs, Le Journal de Montréal du 30 juin 2017 nous
apprend qu’à l’occasion du 150e anniversaire de leur pays, « Donald Trump
souhaite aux Canadiens ses meilleurs vœux. »

Inepte, stupide, les qualificatifs ne sont pas exagérés, car « souhaiter ses
vœux » relève du charabia. Ouvrons les dictionnaires à l’entrée « vœu » : outre
les trois conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance, le mot est
défini par « souhait » qui est donc son exact synonyme. Qu’en est-il alors de
« souhait » ? Larousse en donne cette définition : « Aspiration vers quelque
chose qu’on n’a pas […] Formuler des souhaits de bonheur », et à l’image de
tous les autres dictionnaires, il propose « vœu » comme synonyme de
« souhait ». Par conséquent, « souhaiter ses vœux » revient à « souhaiter ses
souhaits ». On mesure alors pourquoi l’expression est aberrante, incohérente,
illogique, inepte et stupide. Dès lors, pour l’anniversaire de Firmin, le mariage
de Gertrude et Gaspard, la naissance d’Euphrosyne et la nouvelle année, on
« présentera ses vœux », on les « offrira », mais on ne les « souhaitera » plus.




« Souhaiter ses vœux » est une expression incohérente.
« Souhait » et « vœu » sont synonymes.

Il convient donc de « présenter ses vœux » ou de les « offrir ».


40

FAIRE LE BUZZ

ANGLICISMES



La télévision, la radio et la presse écrite sont de formidables amplificateurs,
non seulement pour les événements en tous genres, des tragédies humaines
aux faits divers sans importance, mais insolites, en passant par les remous de la
politique, de l’économie et de la culture, bref de tout ce qui forme le brouhaha
médiatique ordinaire et quotidien, mais aussi pour les mots et les expressions
qui disent tout cela, lexique incontrôlable dès lors qu’il s’est installé sur les
ondes hertziennes. Si la nouvelle est extraordinaire, inattendue et à la limite de
l’inconcevable, elle sera reprise par l’ensemble des médias, du plus petit canard
de province aux chaînes d’information internationales en passant par les
« réseaux sociaux ». Pour dire cela, on aurait naguère utilisé une bien belle
expression, « défrayer la chronique » :

« À Plymouth en décembre 1621 se déroula un événement
qui dut défrayer la chronique. »
(Bulletin. Études, documents, chronique littéraire, 1978)

« Les exactions de la Milice, arrivée en mai 1944, vont
défrayer la chronique. »
(Pierre Groc, Chronique de Mont-de-Marsan sous
l’Occupation, 2012, p. 5)

« Soixante ans plus tard, cette affaire qui défraya
la chronique dans la France des années 1950
n’a toujours rien perdu de sa dimension
profondément énigmatique. »
(Emmanuel Pierrat, Les Grandes Énigmes
de la justice, 2010)

Le mot « chronique » a désigné, au XVIIe siècle, les ragots colportés sur les
individus. « Défrayer » voulait dire « payer les frais de », par conséquent,
« alimenter ». « Défrayer la chronique », c’est donc d’abord « alimenter les
conversations (médisantes) », puis « être le sujet dont tout le monde parle ».

Depuis le début des années 1990 fleurit une autre locution, issue du verbe
anglais « to buzz », « bourdonner, vrombir » : « faire le buzz ». Elle signifie « créer
l’événement (médiatique) », l’événement en question pouvant être désigné par
un anglicisme déjà vieilli, le mot « scoop ». Dans nos trois exemples, remplaçons
« défrayer la chronique » par « faire le buzz » : l’effet obtenu est risible.
Vous direz ce que vous voulez, moi je préfère « défrayer la chronique »,
expression bien adaptée aux circonstances, parfaitement française et digne
d’être réactualisée ; à la rigueur, « créer l’événement » fera aussi l’affaire.


L’anglais « to buzz » signifie « bourdonner, vrombir ».
« Faire le buzz » est donc un anglicisme.
Remplaçons-le par « défrayer la chronique » ou « créer l’événement (médiatique) ».
41

SILENCE RADIO

TOURNURES EXASPÉRANTES



Au nombre des tournures exaspérantes figurent évidemment les clichés
dont les ondes nous gratifient quotidiennement, lors des journaux télévisés
notamment. Formules creuses que la fréquence d’utilisation a fini par rendre
stériles, inaptes à provoquer chez l’auditeur le moindre sursaut, ces
expressions participent à faire des commentaires journalistiques des modèles
de langue de bois.
Le « silence radio » fait partie de ces clichés où les mots vont par deux,
comme les vaches à bicyclette ou les adeptes de l’Église de Jésus-Christ des
saints des derniers jours. Ainsi, le silence est devenu systématiquement
« radio », comme les masses étaient autrefois « laborieuses », les salutations,
« distinguées » et les chemins, « poudreux », comme aujourd’hui le célibataire
est « endurci », le moment, « donné », la majorité, « silencieuse » ou le silence,
« assourdissant », ce silence étant comparable à notre silence « radio ».
L’expression est d’abord apparue chez les militaires qui, en temps de guerre,
pour ne pas se faire repérer par l’ennemi, interrompaient toute communication
radio. L’usage de cette locution a évolué du sens propre (communications
radio réellement interrompues) au sens figuré (refus de parler), tout en
s’étendant à d’autres domaines, en particulier le domaine politique où,
lorsqu’un sujet s’avère trop sensible, les gouvernants adoptent un mutisme
absolu… à moins que ce mutisme ne cache une incapacité à traiter le sujet en
question. Refuser de répondre aux journalistes inquisiteurs en invoquant la
raison d’État ou le secret Défense peut être, selon les cas, une justification
recevable parce que légitime, ou un prétexte pour ne pas dévoiler une vérité
qui dérange. Dans de tels contextes, l’emploi de l’expression « silence radio »
est parfaitement adéquat, mais il peut être aussi abusif lorsque le silence est
qualifié de « radio » sans logique, machinalement, à la façon d’un réflexe
conditionné. Exemples :

MC Solaar : après un long silence radio !
(Titre d’un article paru sur StarAfrica.com
le 7 juillet 2017)

Après une longue période de silence radio,
Jérémy Chatelain a fait son retour.
(Pure People, 30 juillet 2017)

Que devient donc le Front national ?
Silence radio dans les médias ! Il ne faudrait pas
que le bon peuple s’affole.
(Boulevard Voltaire, 28 juillet 2017)

Dans ces trois exemples, un simple « silence » aurait suffi !




L’expression « silence radio » est passée du domaine militaire à ceux de la politique et
du journalisme en même temps que du sens propre au sens figuré.
Qualifier certains silences de « radio » n’est pas toujours justifié.

Adjoindre le mot « radio » au mot « silence » procède souvent d’une sorte de « réflexe
conditionné ».
42

LA VOYELLE [œ̃]

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION


La paresse phonétique est un poison qui tue la langue, à petit feu. C’est elle
qui nous fait raccourcir les mots par la fin (apocope) ou le début (aphérèse,
beaucoup plus rare), c’est elle qui nous fait utiliser des anglicismes au prétexte
qu’ils sont plus courts que les mots français correspondants (voire !), c’est elle
aussi qui, dans les liaisons, nous incite à ne pas tenir compte des terminaisons
grammaticales, c’est elle enfin qui fait que nous remplaçons certaines voyelles
dont la prononciation est contraignante, par d’autres, plus simples. Tel est le
cas de la voyelle nasale antérieure arrondie [œ̃] de « brun » qui tend à
disparaître au profit de la voyelle nasale antérieure écartée [ɛ̃] de « brin ».
Cette voyelle [œ̃] n’est pas aussi rare qu’on le laisse entendre parfois. On la
trouve dans une soixantaine de mots. Quelques-uns des plus communs sont
réunis dans ce petit texte :

Chaque lundi matin, encore à jeun, dans l’humble
bungalow battu par les embruns, elle prenait soin
de ses longs cheveux bruns qu’elle imprégnait
d’un très discret parfum.

Complétons cet énoncé par une phrase utilisant « un », « alun », « défunt »,
« emprunt », « opportun » et « quelqu’un », on aura alors une liste convenable
des mots usuels où se niche cette voyelle en voie de disparition :

Quelqu’un lui avait pris la pierre d’alun qu’elle tenait de
son grand-père défunt : un emprunt vraiment peu
opportun !

On peut même s’amuser à établir une liste où chaque mot contenant notre
voyelle [œ̃] est apparié à un autre lui ressemblant, mais contenant la voyelle
[ɛ̃] :

[œ̃] [ɛ]
À jeun Agen
Alun Alain
Bungalow Bengali
Brun Brin
Embruns Embringuer
Emprunt Empreint
Lundi L’indigo
Parfum Par faim

Autant de prétextes pour restaurer la voyelle [œ̃], autant d’exercices pour la
bien prononcer (lèvres arrondies et projetées) et préserver ainsi la richesse
phonétique de notre langue française.




La paresse phonétique nous incite à ne plus prononcer correctement la voyelle [œ̃].

Cette voyelle est pourtant présente dans une soixantaine de mots.


Des exercices mnémotechniques peuvent nous aider à restaurer cette voyelle [œ̃] de
« brun » et à ne plus la remplacer par la voyelle [ɛ̃] de « brin ».
TESTEZ-VOUS !


1. Quel grand personnage confondait les mots « armistice » et
« amnistie » ?

2. Citez deux autres mots finissant par « -stice » et qui, comme
« armistice », sont masculins.

3. Quels adjectifs peut-on substituer à « sélectif » pour éviter le
pléonasme de « tri sélectif » ?

4. Corrigez, si nécessaire.
a) Glenn Gould possédait une technique pianistique peu orthodoxe, ceci dit,
ses interprétations sont sublimes.
b) N’oubliez jamais ceci : la peur n’évite pas le danger.
c) Tous les 31 décembre, à 20 heures, le président de la République souhaite
ses vœux aux Français.
d) Il est d’usage de présenter ses vœux de bonheur aux jeunes mariés.

5. Remplacez l’anglicisme par une expression française.
a) Tous les ans, l’annonce du prix Goncourt crée le buzz.
b) La presse à sensation est toujours en quête d’événements susceptibles
de faire le buzz.

6. Quel secret les hommes politiques invoquent-ils pour justifier leur
« silence radio » ?

7. Pouvez-vous citer cinq mots contenant la voyelle [œ̃] ?

8. Pour quelle raison la voyelle [œ̃] a-t-elle tendance à disparaître ?

43

HÉMISPHÈRE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Capitale du Land de Saxe-Anhalt, la ville allemande de Magdebourg, au
bord de l’Elbe, est célèbre pour l’expérience de physique qui y fut réalisée en
1656, son bourgmestre, Otto von Guericke, en ayant été le principal initiateur. Il
s’agissait de démontrer l’existence de la pression atmosphérique en maintenant
deux hémisphères ensemble et en créant le vide à l’intérieur de la sphère ainsi
formée, grâce à une pompe à vide inventée par Otto von Guericke. Huit
chevaux étaient attelés à l’hémisphère de droite et huit autres à l’hémisphère
de gauche. Malgré la puissance de traction développée par les deux attelages,
en l’occurrence, 25 000 newtons, il fut impossible de séparer les hémisphères.
Cette expérience, connue sous le nom des « Hémisphères de Magdebourg »,
démontre l’action de la pression atmosphérique.
Détail important :

A. Les hémisphères sont creux
ou
B. Les hémisphères sont creuses ?

Réponse A. « Hémisphère » est bien du genre masculin, que l’on parle de la
moitié du globe terrestre ou de la moitié du cerveau.
C’est, avec « planisphère », une exception, car « sphère » étant du genre
féminin, il est logique que ses nombreux composés savants le soient aussi :
atmosphère, biosphère, exosphère, hétérosphère, homosphère, hydrosphère,
ionosphère, lithosphère, magnétosphère, mésosphère, photosphère,
stratosphère, thermosphère, troposphère, même blogosphère et, entendu
récemment, fachosphère, et la liste n’est pas close.




« Hémisphère », comme « planisphère », est du genre masculin.
Ce sont deux exceptions car « sphère » et tous ses autres composés sont féminins.
La liste de ces composés est ouverte.
44

SOLIDAIRES LES UNS


DES AUTRES

PLÉONASMES



« […] nous pouvons nous rassembler et être solidaires
les uns avec les autres. »
(Propos d’une militante musulmane américaine traduits
et rapportés par FranceTVinfos le 13 juillet 2017)

« Les difficultés, mes chers compatriotes,
nous avons les moyens de les affronter, à condition
d’être solidaires les uns des autres. »
(Nicolas Sarkozy, lors des vœux du 31 décembre 2009)

Non, Madame, il n’est pas nécessaire de préciser « les uns avec les autres » ;
non, Monsieur le Président, vous n’aviez pas besoin d’ajouter « les uns des
autres ». Vous avez, l’un et l’autre, commis un pléonasme, faute de français qui,
dans l’un des cas au moins, ne semble guère excusable tant le titre et la
fonction exigent l’impeccabilité.
La notion de réciprocité est contenue dans la définition de l’adjectif
« solidaire ». Littré est très clair sur ce point :
« En parlant de personnes qui sont obligées les unes pour les autres »

et « par extension,
il se dit de personnes qui répondent en quelque sorte
les unes pour les autres ».

On trouve dans « solidaire » la consonne « d » qui est définie en phonétique
comme occlusive apico-dentale sonore11. Si nous la remplaçons par l’occlusive
apico-dentale sourde correspondante, nous obtenons l’adjectif « solitaire »
dont la signification opposée à celle de « solidaire » permet d’intéressants jeux
de mots.

En 1870, dans l’un de ses Carnets, Victor Hugo écrit :
« Ma vie se résume en deux mots : Solitaire - Solidaire »

Dans L’Âme, texte extrait de ses Proses philosophiques (1860-1865), il
déclare :
« Rien n’est solitaire, tout est solidaire. »

Catherine Camus publie en 2009 une biographie de son père, Albert
Camus. Elle l’intitule Solitaire et solidaire (allusion au thème d’une nouvelle de
Camus parue dans L’Exil et le Royaume : Jonas ou L’Artiste au travail).
Comme Hugo et Camus, tous les hommes se retrouvent un jour ou l’autre
en butte à la question : faut-il être solitaire ou solidaire ? Au-delà de ce
dilemme philosophique, admettons qu’il serait ridicule de dire : doivent-il être
solitaires tout seuls ou solidaires les uns des autres ?


L’adjectif « solidaire » contient l’idée d’obligation réciproque.
« Solidaires les uns des autres » est donc un pléonasme.
« Solitaires tout seuls » est un pléonasme comparable.
45

JE LUI AI ACHETÉ TOUT


CE QU’IL AVAIT BESOIN

SOLÉCISMES



Stylo (si possible, quatre couleurs), crayons, taille-crayons, gomme, équerre,
compas, ciseaux (à bouts ronds), colle blanche, pinceaux (un large, un fin),
papier à dessin (une pochette), cahier petit format à grands carreaux, cahier
grand format à petits carreaux, cahier de textes (pour noter les leçons)… Est-ce
que tu vois autre chose à acheter ? Un cartable ? Non, ça coûte trop cher ! Le
tien fera bien encore l’année ! Je crois qu’on a tout ce que tu avais besoin !
‒ Maman, tu parles mal. Il faut dire « tout ce dont tu avais besoin ».
‒ Bien sûr ! Qu’est-ce que j’ai dit ?
‒ Tout ce que tu avais besoin.
‒ Ah, bon ? Ça m’a échappé. Le principal, c’est d’avoir acheté ce que tu
avais envie, non ?
‒ Oui, m’man, mais il faut dire « ce DONT tu avais envie ».
‒ Tu m’énerves à me reprendre tout l’temps. Je ne vais plus à l’école, moi !
Je disais : ce qui compte, c’est d’avoir trouvé tout… CE DONT tu voulais. Là, tu
es content ?
‒ Non, m’man ! Tu dois dire : « tout ce que tu voulais » ! C’est pourtant
simple ! Écoute-moi !
Madame Michu est dépitée et le petit Michu, toujours dix sur dix en français,
tente de lui expliquer la règle des pronoms relatifs. Bon courage, petit !
* Si le verbe est suivi de la préposition « de » (avoir besoin de, avoir envie
de, se souvenir de, parler de), il est transitif indirect ; le complément d’objet
sera aussi indirect et le pronom relatif sera dont si le complément est exprimé
ou ce dont si le complément est sous-entendu ou imprécis :
‒ J’ai besoin d’une nouvelle trousse. / Achète-moi la nouvelle trousse dont
j’ai besoin. / Achète-moi ce dont j’ai besoin.
‒ Nous avons envie de cette bonne bière bien fraîche. / Buvons cette bonne
bière bien fraîche dont nous avons envie. / Sais-tu ce que nous avons bu ?
Non, mais je suppose que vous avez bu ce dont vous aviez envie.
* Si le verbe n’est suivi d’aucune préposition, c’est un verbe transitif direct ;
le complément d’objet sera aussi direct et le pronom relatif sera que si le
complément est exprimé ou ce que si le complément est sous-entendu ou
imprécis :
‒ Je dirige une petite entreprise / Montre-moi l’entreprise que tu diriges /
Laisse-moi imaginer ce que tu diriges.


Verbe transitif indirect (avec préposition « de ») → complément d’objet indirect →
DONT et CE DONT.
Verbe transitif direct (sans préposition) → complément d’objet direct → QUE et CE
QUE.
Les verbes intransitifs n’admettent, par définition, aucun complément d’objet donc,
aucun pronom relatif n’est nécessaire.
46

CONSÉQUENT
IMPORTANT

BARBARISMES



L’ex Spice Girls serait contrainte de payer
une somme conséquente à son futur ex-mari.
(Publié dans Voici le 15 juillet 2017 par Virginie Hilssone)

Une dépense conséquente voire impossible
pour les plus faibles revenus
(Publié dans La Nouvelle République le 3 août 2017
par Caroline Tronche)

La victime s’en tire avec un nombre de jours
d’interruption total de travail conséquent.
(Publié dans La Voix du Nord le 1er août 2017
par Morad Belkadi)

« Vicieux et impropre », c’est ainsi que Bescherelle qualifie cet emploi de
« conséquent ». Larousse, Littré et Quillet lui emboîtèrent le pas et, pourtant,
on continue de penser, journalistes en tête, que « conséquent » est synonyme
d’« important ». « Important » serait devenu trop banal, il aurait perdu de son
importance. « Conséquent » aurait plus de distinction, plus de style. Tu parles,
Charles ! Ces considérations sont le fait de pédants, de gens qui souhaitent ne
pas parler comme le commun des mortels, mais ce faisant, ils se trompent et
entraînent leurs lecteurs dans la confusion. « Conséquent » n’a jamais été
synonyme d’« important » ! Est « conséquent » celui qui agit avec esprit de
suite, en accord avec sa pensée, en cohérence avec ses valeurs. Ainsi, son
jugement sera lui-même conséquent. Mettre en adéquation ce que l’on fait
avec ce que l’on dit, ce que l’on dit avec ce que l’on pense, c’est être
conséquent. Un nombre de jours d’arrêt de travail, une dépense, une somme
versée à son ex-compagne ne peuvent donc pas être conséquents !
Le barbarisme peut-il s’expliquer par la ressemblance entre « conséquent »
et « considérable » ?
Notons qu’« inconséquent » est plus fréquemment employé que son
contraire. Une personne est inconséquente quand elle se met en contradiction
avec elle-même, quand ses actes ne sont pas en accord avec ses paroles.
Mesdames et Messieurs les parleurs, cessez de faire les importants ! Vos
« conséquents » sont inopportuns et si vous les utilisiez avec le sens
d’« important », il importe que vous ne fassiez plus cette méprise. Errare
humanum est, perseverare diabolicum* !

* « L’erreur est humaine, persévérer (dans l’erreur) est diabolique ! »



« Conséquent » ne veut pas dire « important ».
« Conséquent » qualifie celui qui agit en accord avec ce qu’il pense.
La ressemblance entre « conséquent » et « considérable » peut expliquer la méprise.
47

INITIER

ANGLICISMES


Que n’initie-t-on pas de nos jours ?
De grandes coproductions européennes, une enquête approfondie sur le
rachat de Monoprix par le groupe IBL, un dialogue sur les questions
sécuritaires avec l’Algérie, une véritable guérilla contre les hackers
(= pirates de l’informatique) et même un « groupe de contact » pour préparer
l’après-conflit en Syrie, les « initiateurs » étant respectivement : SFR, la
commission de compétition de l’île Maurice, l’Union européenne, Microsoft et
notre président de la République, Emmanuel Macron. Que d’initiatives en
perspective ! L’ennui, c’est que le verbe « initier » n’a jamais eu ce sens-là en
français. Cette acception est le fruit d’un emprunt à l’anglais « to initiate ». Il
s’agit donc d’un anglicisme, quand bien même « to initiate » résulte, comme le
français « initier », d’un emprunt au latin initiare. Vous vous dites que tout cela
est de l’hébreu et vous y perdez votre latin ? Rien de plus normal ! Essayons
donc d’éclairer les lanternes.

Le latin initiare eut trois acceptions principales successives :
‒ admettre aux mystères et à la pratique d’un culte (Ier siècle av. J.-C.) ;
‒ enseigner les principes d’un art, d’une science (Ier siècle ap. J.-C.) ;
‒ être à l’origine, au début de (IVe siècle).
L’anglais « to initiate » est dérivé du verbe latin auquel il a emprunté, dès le
tout début du XVIIe siècle, ses trois acceptions.
Le français « initier », également issu du latin initiare, fait son entrée au
lexique au XIVe siècle avec le sens d’« admettre à la connaissance et à la
participation des mystères de l’Antiquité » ; au début du XVIIe siècle apparaîtra le
sens de « donner à quelqu’un les premiers éléments d’un savoir ésotérique » et
aussi « introduire quelqu’un dans une société (secrète) ».
La troisième acception, « être à l’origine, à l’initiative de », n’est donc pas
contenue dans le français « initier ». Elle est empruntée à l’anglais et représente
donc un anglicisme que l’on évitera en ayant recours à « instaurer »,
« engager », « lancer », « inaugurer », « prendre l’initiative de » ou encore
« être l’initiateur (l’initiatrice) de ».




Le français « initier » et l’anglais « to initiate » sont issus du latin initiare.
Le français, contrairement à l’anglais, n’a emprunté que deux acceptions latines sur
trois.

Donner au français « initier » le sens d’« être à l’origine de » constitue un anglicisme.


48

ENTRE GUILLEMETS

TOURNURES EXASPÉRANTES



Attention ! Votre réserve est-elle suffisante ? Veillez à ne pas vous en laisser
démunir, car, aujourd’hui, on en use et abuse, la tendance étant d’en mettre un
peu partout, y compris là où ce n’est pas vraiment nécessaire. Nos
contemporains adorent même en accompagner l’usage de ce petit geste furtif :
les mains levées de chaque côté du visage, ils se mettent à agiter rapidement
index et majeurs. Vous l’aurez compris, je parle des guillemets.
Guillemet, diminutif de Guillaume, est un prénom dont le féminin,
Guillemette, est un peu plus fréquent. L’invention de ce signe typographique
serait en effet due à un certain Guillaume, imprimeur du XVIIe siècle. Le nom
commun dérivé, « guillemet », est attesté en 1677 et le Dictionnaire de
l’Académie française le mentionne à partir de sa deuxième édition (1718). Petit
Guillaume serait bien surpris de la vogue dont jouit encore son double signe de
ponctuation, quelque trois cents ans après son invention.
Il faut dire que l’utilisation qui en est faite de nos jours est outrancière.
Signes de ponctuation, les guillemets appartiennent au domaine de l’écrit. Ils
peuvent y encadrer un discours direct. Comme tout signe de ponctuation, ils
donnent de précieuses indications pour réussir une lecture à haute voix. On ne
les précise oralement que dans le cas où ils encadrent une citation ; l’usage est
alors de dire « je cite » ou « ouvrons les guillemets », avant le passage concerné
et « fin de citation » ou « fermons les guillemets », après.
Ce cas mis à part, le rôle des guillemets est d’isoler tout ou partie d’un texte
écrit pour en montrer la singularité (mot d’argot ou étranger) ou faire
comprendre notre désapprobation nuancée, voire notre désaccord avec ce
qu’exprime ledit passage. On dispose alors, à l’oral, de locutions telles que
« pour ainsi dire », « si j’ose dire », « si j’ose m’exprimer ainsi » ; selon les cas,
des adverbes comme « prétendument », « supposément » ou « soi-disant »
(voir 32) peuvent aussi convenir. La plupart du temps, cependant, la locution
« entre guillemets » agrémentée ou non de ce débile chatouillis de l’air, est
totalement hors de propos puisqu’en réalité on a en tête quelque chose
comme « ne me reprochez pas ce que je vais dire » ou « je vais dire plus ou
moins que ce que je pense » ou « je ne suis pas sûr d’employer le bon mot » ou
encore « je ne suis pas certain de ce que j’avance », etc.


Signe typographique de ponctuation, les guillemets s’utilisent à l’écrit.
À l’oral, ils encadrent une citation et sont transposés par les locutions « je cite » et
« fin de citation ».

Le plus souvent ils veulent dire que le locuteur n’est pas sûr de son discours ni du
vocabulaire qu’il emploie.
49
GRAPHÈMES ET PHONÈMES

[o] : UN AUTRE PHONÈME


EN VOIE DE DISPARITION

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Prise de conscience en deux questions
Le sigle SOS commence-t-il par une voyelle ou par une consonne ?
Utilisé pour la première fois sur le Titanic le 14 avril 1912, le signal SOS est
transmis en alphabet morse par trois points, trois traits, trois points ou trois
brèves, trois longues, trois brèves. Dans notre alphabet ordinaire, il est
constitué de la quinzième consonne encadrant la quatrième voyelle. Il ne fait
aucun doute que le sigle SOS commence par une consonne. Et pourtant,
quand on prononce ce sigle, qu’entend-on ? Presque la même chose qu’au
début de la phrase « Est-ce au Hezbollah ? », donc une voyelle. Alors ?

Même question pour le sigle HLM.
Dans HLM, sigle pour « habitation à loyer modéré », la première lettre est la
sixième consonne de notre alphabet. Mais l’on entend « Achel aime » qui peut
être « Rachel aime » dit par un « Incroyable » ou une « Merveilleuse » du temps
du Directoire.
On peut aussi penser à la transcription que Raymond Queneau propose
dans Les Fleurs bleues (1965) : « Mon cher, dit Cidrolin, c’est vous que ça
regarde. Remarquez qu’il n’y a pas que l’achélème, il y a le pavillon de
banlieue, le petit quatrième sans ascenseur, la roulotte immobile et j’en
passe. »
Ce que dit Cidrolin correspond bien à ce que l’on entend quand on
prononce HLM.

On pourrait multiplier les exemples, mais l’affaire est entendue : ce que l’on
prononce diffère de ce que l’on écrit ; on prononce des « phonèmes » et l’on
écrit des « graphèmes ». Les lettres, unités de l’alphabet, peuvent, seules,
représenter les graphèmes ou doivent, pour cela, s’assembler. Les graphèmes
permettent, à leur tour, de transcrire les phonèmes. Un alphabet phonétique
dont chaque signe correspond à un seul phonème était donc nécessaire. Il a
été inventé en 1888 et neuf fois révisé. Le système phonétique français
résultant comprend seize voyelles et vingt consonnes.

On a vu que le phonème [œ̃] de « brun » tend à disparaître au profit du
phonème [ɛ] de « brin » (voir 42). Remarquons au passage que [œ̃] peut être
transcrit de trois façons différentes : (brun), (parfum) ou (à jeun). Le phonème
[ɛ] correspond, dans nos exemples, à cinq graphèmes : (Agen), (Alain), (brin),
(faim) et (empreint). On voit aussi que les phonèmes sont, par convention,
écrits entre crochets et les graphèmes, entre parenthèses brisées.
Le phonème [o] de « Saône », « côte », « zone » ou « paume » risque de subir
un sort analogue à celui du phonème [œ̃] : disparaître, mais au profit du
phonème [ɔ] de « sonne », « cotte » ou « pomme » et l’on entend la
présentatrice du bulletin météo nous parler d’« un front nuageux qui s’étend
des cottes de la Manche jusqu’au nord de la Sonne ». Réagissons !




Ne pas confondre lettres et graphèmes ni graphèmes et phonèmes.
Chaque phonème est noté par un signe phonétique spécifique.

Le phonème [o] de « paume » tend à disparaître au profit du phonème [ɔ] de


« pomme ».
TESTEZ-VOUS !


1. Quels sont les deux noms composés de « -sphère » dont le genre est
masculin ?

2. Citez cinq composés de « -sphère » de genre féminin.

3. La notion de réciprocité est-elle contenue dans l’adjectif
« solidaire » ?

4. Pourquoi la formulation « solidaires les uns des autres » est-elle
incorrecte ?

5. Corrigez, si nécessaire.
a) Cinquante mille euros, c’est une somme conséquente !
b) Cinquante mille euros, c’est une somme considérable !
c) Jack Lang a initié la Fête de la musique en 1982.
d) Dame Pernelle fut initiée à l’alchimie par Nicolas Flamel.
e) Phonétiquement, le sigle LR commence par une consonne.

6. Complétez les phrases.
a) J’ai envie d’une glace à la vanille.
Offre-moi la glace à la vanille … j’ai envie.
Il faut toujours m’offrir … j’ai envie.

b) J’ai besoin d’une nouvelle paire de chaussures.
Je vais acheter la paire de chaussures … j’ai besoin.
Je m’achète toujours … j’ai besoin.

c) Je désire un bracelet en or massif.
Je n’aurai jamais le bracelet en or massif … je désire.
Je n’ai jamais … je désire.

50

SOLDES

FÉMININ OU MASCULIN ?



À l’origine, on trouve le bas latin sol(i)dus, substantif issu de l’adjectif
solidus, « compact, dense, massif, solide ». Solidus nous a donné l’adjectif
« solide » et le nom commun « sou » qui, à l’origine, était une pièce d’or avant
de changer maintes fois de valeur et ne plus représenter que l’ancienne pièce
de cinq centimes de nos grands-parents.
Restant dans le contexte monétaire, sol(i)dus a aussi donné naissance, via
l’italien soldo et le moyen français soulde, à la « solde » des gendarmes et des
militaires. Les « soldes » dont, par périodes, on profite pour s’offrir des articles,
notamment des vêtements, à meilleur marché, comme le solde qui résulte de la
différence entre débit et crédit, sont de même étymologie, MAIS, si la solde
versée au « soldat » (autre mot de même origine) est du genre féminin, le solde
« de tout compte » est de genre masculin tout comme les « soldes » qui
ouvrent droit à des rabais. Ces soldes-là sont le plus souvent au pluriel. Un
autre mot de même famille, soulte, désignait la somme versée dans un partage
(héritage) pour compenser l’inégalité des lots ; c’était aussi un équivalent du
« solde » (créditeur ou débiteur). « Solde », masculin, a remplacé soulte,
féminin, à la fin du XVIIe siècle.
Les soldes d’hiver comme les soldes d’été sont donc masculins et pluriels,
ce qu’ignore Orange, anciennement France Télécom :

« Chez Orange, les soldes semblent en effet
plus avantageuses. »
(Publié par Orange le 28 juin 2017
sur Monpetitforfait.com)

Il est vrai que cette entreprise, la première de France pour les
télécommunications, déploie depuis longtemps un zèle remarquable pour
promouvoir la langue française, comme le montrent des trouvailles linguistiques
telles que « livebox », « coach numérique », « marketing mobile »,
« webconseiller », « business services », « projet packagé », « pass projets », etc.,
sans oublier l’ancienne filiale « Wanadoo » dont le nom est tout droit issu de
l’argot américain wanna do, contraction populaire de want to do.
Les soldes sont aussi féminisées par le quotidien Ouest-France :
« Commencées mercredi 28 juin,
les soldes se terminent aujourd’hui. »
(Édition du 8 août 2017)

Pire, le magazine Paris Match, bafoue, par-dessus le marché, la règle
d’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire « avoir » :
« Les soldes d’été ont débutées mercredi à Paris,
comme à Londres. »
(Publié le 30 juin 2017 par parismatch.com
avec la complicité de Booking.com)

Mêmes horreur sur le site de LCI le 4 juillet 2017 :

« Les soldes d’été ont débutées mercredi 28 juin. »




Du latin sol(i)dus sont issus « solide », « sou », « soulte », « solde », « soldat » et
« soldes ».

Féminin pour la solde du soldat, masculin pour le solde de tout compte et les soldes
d’été ou d’hiver.
Les soldes permettant de faire de bonnes affaires sont presque toujours au pluriel.
51

PREMIÈRE(S) PRIORITÉ(S)

PLÉONASMES



Précieux conseil de l’oncle Jean :
En cas de doute, toujours s’en remettre au dictionnaire : Petit Larousse,
Hachette, Petit ou Grand Robert, Dictionnaire de l’Académie française,
Dictionnaire du TLF (CNRS), éventuellement Littré. Peu importe, mais
compulsez et confrontez !
En l’occurrence, tous soulignent l’idée de « précéder », de « passer devant »
(dans l’espace) ou « avant » (dans le temps). Dérivé du latin médiéval prioritas,
« préséance », lui-même issu du latin classique prior, « premier (de deux) »,
priorité perd toute sa cohérence si vous le mettez au pluriel, a fortiori si, ce
faisant, vous les qualifiez de premières, ce que n’hésite pas à faire cette
journaliste du quotidien Les Échos :

« Occuper les 110 enfants fait partie des premières
priorités de la direction du centre. »
(Édition du 6 août 2017)

La Voix du Nord n’est pas en reste :
« Différents groupes de travail vont se pencher
sur les premières priorités. »
(Édition du 17 juillet 2017)

BFMTV.com mérite le même tableau d’horreur :
« La sécurité et la qualité sont nos premières
priorités. »
(Édition du 13 juillet 2017)

Peut-il y avoir deux premières priorités ; de la qualité et de la sécurité,
quelle priorité va vraiment venir en premier ?
On s’en doute, le pléonasme trouve une bonne terre d’asile en politique :

« C’est elle qui justifie que le Gouvernement
fasse de l’école l’une de ses premières priorités pour ne
pas dire la première. »
(Propos de Bernard Cazeneuve, Premier ministre,
rapportés sur le site du gouvernement le 6 janvier 2017)

L’écheveau de ces « premières priorités » ‒ elles sont parfois au nombre de
cinq ‒ est un vrai casse-tête et l’on perdrait la raison à vouloir le démêler. Le
problème étant linguistiquement insoluble, on se demande s’il n’est pas la
cause, chez nos gouvernants, sinon d’un immobilisme, du moins d’une certaine
indécision.
Ils s’en tireraient bien mieux s’ils remplaçaient ces priorités par des
objectifs, des missions ou des mesures urgentes.


Le mot étant issu du latin prior, « premier », une « priorité » ne peut, en bonne
logique, être qualifiée de « première ».
Parler de « premières priorités », au pluriel, est un pléonasme encore plus grand.

Remplaçons « premières priorités » par « premiers objectifs ».



52

QUE Y’A

SOLÉCISMES



Les débats médiatiques offrent un terrain privilégié pour la dégradation de
notre langue française. Le temps limité, les interruptions intempestives, la
volonté d’aller, coûte que coûte, au bout de son propos et des arguments qui
le sous-tendent, bref, la frénésie des échanges empêche que l’on soit attentif
au bien-parler. Pourtant, la maîtrise du langage permet la maîtrise du débat où
le sang-froid est la condition du sans-faute. De plus en plus rares, hélas, sont
les débatteurs aguerris qui forcent l’admiration par leur calme, leur parfaite
expression et la clarté de leurs interventions. On a plus souvent droit à du
bafouillage, des approximations, des mots tronqués, des contractions et des
élisions en tout genre telles que « c’que j’veux dire », « j’vous ai pas coupé »,
« pasque », « I’ z ont », « c’qu’ i’ faut », « I’ faut que », « I’ faudrait que ! »… Ah !
cette suppression du « l » final dans ce tout petit pronom de deux lettres :
« il » ! Parfois même, cornegidouille, il passe carrément à la trappe : « y a », « y
avait », « faut que », « faudrait que », etc. Misère !
Terrain privilégié, disais-je. Une laideur y prend souvent racine et peut y
pousser à foison. Mauvaise herbe dans le jardin des mots, cette formulation
insidieuse parsème les discours. Une fois repérée par l’auditeur, elle lui devient
vite insupportable : « que y a » et « que y ait » pour « qu’il y a » et « qu’il y ait ».
Trois exemples :

« Toutes les associations humanitaires
disent que y a un problème. »
(Yves Thréard dans C dans l’air sur France 5,
le 25 janvier 2016)

« Je crois que y a un doute. »
(Julien Drey, idem)

« En quoi c’est un problème que y ait des experts
aux commandes de l’État ? »
(Frédéric Taddeï dans Ce Soir (ou jamais !),
le 3 avril 2015)

Ces « que y a » et « que y ait » constituent, qui plus est, une faute de
syntaxe. En effet, « que y a » est la bien moche contraction de « que il y a » et
« que il » ne peut, en bon français, que se contracter en « qu’il ». Raison de plus
pour arracher ces « que y a » et « que y ait » et faire en sorte qu’ils ne
repoussent jamais plus !


Les conditions d’un débat comme d’un simple échange oral peuvent favoriser les
approximations de langage (contractions, élisions, mots tronqués).
Le sang-froid y est une condition du sans-faute.

Évitons les « que y a » et prenons soin de dire « qu’il y a ».


53

COMMISSAIRIAT
COMMISSARIAT

BARBARISMES



« Quelque 1 261 personnes ont trouvé la mort
en Méditerranée […] selon un décompte du Haut-
commissairiat aux réfugiés des Nations unies. »
(La Croix, 30 avril 2016)

« «J’ai honte de travailler à Aulnay», a lâché d’emblée
ce fonctionnaire du commissairiat d’Aulnay-sous-Bois. »
(Le Parisien, 4 mars 2017)

« Franck Tanneau sera reçu au commissairiat
pour l’affaire des PV de Culture(s) en fête. »
(L’Indépendant, 5 novembre 2014)

« Commissairiat » ou « commissariat » ?

L’adjonction d’un suffixe peut ne pas suffire à créer un nouveau nom. C’est
le cas dans la dérivation qui nous intéresse : elle comprend l’ajout du suffixe « -
at », mais aussi la transformation de « - aire » en « - ari ».

actionnaire → actionnariat secrétaire → secrétariat
fonctionnaire → fonctionnariat sociétaire → sociétariat
notaire → notariat volontaire → volontariat
partenaire → partenariat vicaire → vicariat
prolétaire → prolétariat etc.

Le nom ainsi dérivé en « - ariat » désigne le lieu où travaille celui dont le nom
se termine par « -aire » (« secrétariat », « commissariat ») ; il peut aussi en
désigner la qualité ou l’état (« fonctionnariat »). Dans d’autres cas, c’est
l’ensemble des individus qui est désigné par le nom dérivé (« actionnariat ») ; le
« volontariat » se définit comme la participation (bénévole) à un service,
l’engagement volontaire dans l’armée, etc.




Le nom dérivé de « commissaire » est « commissariat ».

D’autres noms sont dérivés selon le même procédé : « actionnariat »,


« fonctionnariat », « notariat », « prolétariat », « secrétariat », etc.
« Commissairiat » est un barbarisme.
54

Glamour

ANGLICISMES



Parce qu’ils sont d’origine anglo-américaine, les anglicismes sont parfois
difficiles à comprendre ‒ M. de La Palisse n’aurait pas dit mieux ! Il en est
cependant qui sont obscurs par eux-mêmes, sans que l’origine soit en cause ou
parce que cette origine, précisément, se trouve à mille et une lieues,
sémantiquement parlant, si loin que l’anglicisme est devenu nébuleux. Tel est le
cas de « glamour ». Faites l’expérience : à Marie-Charlotte qui vient de vous
dire en gloussant : « Je trouve que notre première dame est trop glamour ! »,
passant sur l’emploi aberrant de « trop », demandez ce qu’elle entend par
« glamour » et appréciez à sa juste valeur l’embarras qui est alors le sien. Elle
finira par répondre, quelque peu excédée : « Bah ! tu vois bien c’que j’veux
dire ! » Eh bien non, ma cocotte, justement, je ne vois pas ! D’ailleurs, comment
verrais-je, puisque toi-même ne comprends pas ce mot que tu as pourtant
employé. « Glamour » ? … Au secours, professeur !
L’étymologiste vous laissera bouche bée en vous affirmant que « glamour »
vient du français « grammaire ». Au Moyen Âge, on qualifiait de « grammaire »
tout livre aussi difficile à comprendre que les « grammaires latines » ; ainsi les
ouvrages traitant de magie, seulement intelligibles aux seuls initiés, étaient des
« grammaires » et deviendront des « grimoires » au XVIe siècle. Le mot
« grammaire » nous a été emprunté par les Britanniques au début du XIVe siècle
avec ces mêmes sens. « Grammaire » deviendra « grammar » et, en Écosse,
« gramarye, gramory, gramery », dès le XVe siècle. Prononciation écossaise
aidant, ces formes donneront « glamor, glamour » au début du XVIIIe, par simple
évolution phonétique. Que reste-t-il aujourd’hui de la magie du Moyen Âge ?
Des idées adoucies, le charme-incantation-ensorcellement s’étant affaibli en
charme-attraction-séduction.

D’ailleurs, l’adjectif « magique » employé par nombre de nos contemporains
à propos de tout et n’importe quoi continue de perdre le sens fort qu’il avait
autrefois. Tout comme « glamour », le mot « magique » s’affadit. L’évolution
lexicale et sémantique de notre langue est tout aussi séduisante que
déconcertante. La vie des mots est, comment dire… glamour ? Non, magique !


La grammaire latine était incompréhensible pour les non-initiés. Pour cette raison, le
mot « grammaire » a également désigné les ouvrages d’occultisme, de magie.
Emprunté par nos voisins d’outre-Manche, le mot « grammaire » a connu la même
évolution.
L’évolution phonétique a transformé « grammar » en « glamour », mot réemprunté en
français sous forme d’anglicisme tandis que le sens s’est atténué : en tant qu’adjectif,
« glamour » a vu sa signification s’affaiblir d’« ensorcelant » à « séduisant ».
55

Eh bien

TOURNURES EXASPÉRANTES


L’interjection ou plus précisément, la locution interjective « eh bien » a pour
fonction d’introduire, d’exprimer ou de souligner des sentiments ou des
émotions spontanées comme :
> l’étonnement,
« Eh bien, mon cochon, on ne se refuse rien ! »
> l’admiration,
« Eh bien, je n’en ai jamais vu d’aussi beau ! »
> l’hésitation,
« Eh bien, que dire ? Peut-être que… »
> la moquerie,
« Eh bien, si j’étais toi, je le ferais mettre
dans le journal ! »
> la dénégation,
« Eh bien, je vous assure, elle n’a jamais dit ça ! »

L’intonation accompagnant « eh bien » est, notons-le, tout aussi expressive
que la locution elle-même.

Rien de tout cela, pourtant, dans l’usage que l’on fait généralement de cette
interjection ! Elle n’interjette ni n’exprime désormais plus rien, si ce n’est cette
navrante incapacité du locuteur à construire et conduire un discours structuré
et cohérent : dans une telle situation, les « eh bien » se multiplient pour
combler les vides et masquer ainsi son embarras et ses hésitations. En vain, car
les « eh bien » sont si nombreux qu’on n’entend plus qu’eux ; une preuve ?
Connectez votre téléviseur à une chaîne d’information en continu et attendez
qu’un(e) envoyé(e) spécial(e) s’exprime sur le fait d’actualité dont il est
question : voulez-vous parier que des « eh bien ! » inopportuns vont ponctuer
son discours ?

« Eh bien » fait donc partie de ces expressions « bouche-trou » qui, avec
« voilà », « en fait », « euh », et quelques autres, encombrent notre expression
orale, inutilement, y compris si l’on tente de leur attribuer une fonction
phatique. Puisque l’heure est, me dit-on, au « dégagisme », profitons-en pour
faire notre ménage langagier. Bon débarras !


La locution interjective « eh bien » peut souligner plusieurs émotions dont l’expression
est, à l’oral, précisée et renforcée par l’intonation.
Pourtant, elle est plus souvent employée comme « bouche-trou » quand le locuteur est
incapable de construire son discours sans hésiter, de façon fluide.
Débarrassons notre parole de toutes ces formules inutiles.
56

La ligature « œ »
d’« œsophage »

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



On trouve cette ligature « œ » à l’initiale de plusieurs mots français :
œcuménique, œdème, Œdipe, œnologie, etc.
Ainsi qu’à l’initiale de : œillet, œuf, œuvre, etc.
Selon les règles de prononciation de notre langue, l’initiale des mots de la
première liste ne se prononce pas comme celle des mots de la seconde. De là
à prétendre que les personnes qui ne font pas cette distinction phonétique
commettent une erreur, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. De façon
générale, il est délicat et quelque peu risqué de parler d’erreurs de
prononciation : les règles de prononciation ne sont pas gravées dans le même
marbre que celles qui régissent grammaire et orthographe. Reprochera-t-on à
un Bordelais, un Toulousain ou un Marseillais de prononcer les « e » muets, ou
à un gars du Nord de dire des « guints » pour des « gants » ou une « canchon »
pour une « chanson » ? Prétendre que les accents régionaux sont des accents
fautifs déclencherait bien des levées de boucliers !
Toujours est-il que les mots de la première liste commencent par le
phonème [e] comme dans « Édith », « ésotérique » ou « énarque » et non par le
phonème [ø] d’« eucalyptus », « eucharistie » ou « eunuque », qui correspond
aux mots de la seconde liste. C’est ainsi, même si 99 % des Français, toutes
régions confondues, se plaignent d’un « eudème » plutôt que d’un « édème »,
parlent d’une cérémonie « eucuménique » et non « écuménique », du complexe
d’« Eudipe » alors qu’il faudrait dire « Édipe », même si un certain Sigmund n’en
est pas remis sur son piédestal. Notons au passage que tous les mots
commençant par [ø] sont d’origine latine alors que ceux commençant par [e]
viennent du grec. « Œdème » et « Œdipe » sont, en outre, issus de la même
racine grecque : le verbe oidein, « enfler ». Il est associé à pous (podos), « pied »
pour donner Oidipus, « Œdipe », littéralement, « pieds enflés ».


La ligature « œ » placée à l’initiale des mots « œcuménique », « œdème », « Œdipe »,
« œnologie », « œsophage », etc., se prononce [e] comme dans « édifice » et non pas [ø]
comme dans « Europe ».
La quasi-totalité des Français n’appliquent pourtant pas cette règle de prononciation.
Les mots dont la ligature « œ » placée à l’initiale se prononce [e] sont d’origine
grecque.
TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez, si nécessaire.
a) Les soldes d’hiver sont plus avantageux que ceux d’été.
b) M’occuper du jardin n’est pas ma première priorité.
c) La dictature du prolétairiat s’est imposée en Russie au siècle dernier.
d) Pouvez-vous me dire où se trouve le commissairiat de police ?

2. Remplacez l’anglicisme par un mot français.
a) Ce film n’est pas aussi glamour que je l’imaginais.
b) Il y a quelque chose de glamour chez cette jeune actrice.

3. Quelle est l’étymologie de glamour ?

4. Quels livres du Moyen Âge étaient considérés comme
incompréhensibles par les non-initiés ?

5. De quelles locutions correctes les formulations orales « que y a » et
« que y ait » sont-elles les déformations ?

6. Citez cinq mots commençant par la ligature « œ » correspondant au
phonème [e].

57

OBÉLISQUE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Son jumeau est resté là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, à sept cents
kilomètres au sud du Caire où, depuis près de deux siècles, il doit se sentir bien
seul. Il faut dire que ce jumeau qui faisait partie du royal cadeau ne fut
finalement pas embarqué : la générosité du vice-roi d’Égypte était allée jusqu’à
offrir les deux au roi de France, mais ne transporter qu’un spécimen fut une
entreprise tellement titanesque et, c’est le cas de le dire, pharaonique, qu’il eût
été déraisonnable de la doubler ! En tout cas, la place parisienne de la
Concorde se trouve très honorée de servir d’écrin à ce très vénérable
monument et tant pis pour le temple de Louksor ! En attendant, le monument
en question a atteint une célébrité presque égale à celle de l’Arc de Triomphe
ou de la tour Eiffel comme Jacques Lanzmann et Jacques Dutronc le laissent
entendre dans Il est cinq heures, Paris s’éveille (1968) :

« La tour Eiffel a froid aux pieds
L’Arc de Triomphe est ranimé
Et l’Obélisque est bien dressé(e)(?)
Entre la nuit et la journée »

À propos, comment écrivez-vous le participe passé de « dresser » dans
« l’Obélisque est bien dressé » : « é » ou « ée » ?
« é », « obélisque » est du genre masculin, comme « astérisque », « disque »,
« lentisque », « ménisque » et « risque » et contrairement à « bisque » (de
homard), « francisque » et « odalisque ».

« Obélisque » est issu du latin tardif obeliscus, dérivé du grec obeliscos,
« petite broche (pour rôtir) », diminutif de obelos, « broche », par comparaison
de formes.

Pour mémoriser le genre masculin d’« obélisque » (et « astérisque »),
pensons au gros Gaulois de Goscinny et Uderzo (« moi, gros !? »), celui qui
porte un menhir (anachronisme !) et à son petit compagnon, brave et costaud
(vive la potion magique !), mais ne confondons pas les terminaisons « - isque »
et « - ix ».



« Obélisque » et « astérisque » sont masculins.

« Obélisque » vient du grec obeliscos, « petite broche à rôtir » (ça tombe bien !).

Moyen mnémotechnique : pensons aux personnages de la bande dessinée.


58

SYNCHRONISÉS
EN MÊME TEMPS

PLÉONASMES



L’image, il est vrai, est impressionnante : sur fond de nuages, une dentelle
humaine parfaitement régulière dont les éléments se sont rejoints en une
harmonieuse chorégraphie avant de se détacher et se disperser dans le ciel
norvégien. Les éléments ? Cinquante-deux parachutistes, en chute libre, bras
et jambes également écartés.
Si l’image est un modèle de perfection, d’élégance et de maîtrise, on ne
saurait en dire autant de la présentation qui en est faite par Julian Bugier à la
fin du journal télévisé de 20 heures sur France 2, le mercredi 16 août. Jugez
vous-même :

« Du parachutisme en Norvège.
Cinquante-deux parachutistes synchronisés dans le ciel
en même temps. C’est toujours impressionnant.
C’est du jamais vu et c’est plutôt joli. »

Soulignons d’abord l’incohérence que constitue l’emploi simultané de
« toujours » et « jamais » : comment un « genre d’image » peut-il être
« TOUJOURS impressionnant » si c’est « du JAMAIS vu » ?! Il y a contradiction
dans les termes. Julian Bugier voulait évidemment dire : « Ce genre d’image est
toujours impressionnant. Celle-ci est inédite. »
Cette aberration n’efface pas la redondance contenue dans la phrase
précédente : si ces cinquante-deux parachutistes sont « synchronisés », c’est
forcément « en même temps ». C’est l’exacte définition que Le Petit Larousse
propose pour « synchrone » :
« Se dit des mouvements qui se font
dans un même temps. »
Dans Le Petit Robert, à l’entrée « synchronisé, ée », on peut lire :
« Rendu synchrone » et « Qui se fait en même temps. »

Cette définition est précisément inscrite dans le mot même. En effet, le
préfixe « syn- » vient du grec sun qui exprime l’idée d’union aussi bien dans le
temps que dans l’espace. Il entre dans la composition de nombreux noms tels
que « synapse », « syncrétisme », « synergie », « synonyme », « synopsis »,
« syntagme », « syntaxe », « synthèse », etc.
Il devient « sym - » devant « b » (« symbiose ») et « p » (« sympathie »).
Quant à « -chrone », il est issu du grec khronos, « temps ».

Les mots ont un sens. Bien écrire et bien parler supposent que l’on se
préoccupe en permanence de cette évidence.




« Synchronisé en même temps » est un pléonasme particulièrement lourd.
« Synchronisé » vient du grec sun qui exprime l’idée d’union et de khronos, « le
« temps ».

Le préfixe « syn- » (ou « sym- ») entre dans la composition de nombreux mots. Il y


marque l’idée d’ensemble, de réunion, dans l’espace ou le temps.
59

LES PRÉSIDENTS
AVEC LEURS ÉPOUSES
RESPECTIVES

SOLÉCISMES



« Ils ont donc dîné ensemble, avec leurs épouses
respectives »

La première phrase fut dite sur l’un de ces médias télévisuels où les
informations sont diffusées en boucle. La deuxième est extraite d’un article
publié dans Le Journal du Dimanche, le 27 juillet 2017.

Non, il n’est pas question du Zaïrois Mobutu Sese Seko, ni du Sud-Africain
Jacob Zuma, présidents polygames qui, en leur temps, ont défrayé la
chronique. Dans le premier exemple, le journaliste faisait allusion à Emmanuel
Macron et Donald Trump ; dans le deuxième, il s’agissait d’Emmanuel Macron
et de Nicolas Sarkozy. Brigitte Macron, Melania Trump et Carla Bruni auraient-
elles du souci à se faire ? Emmanuel, Donald et Nicolas nous auraient-ils caché
quelque autre épouse illégitime, dévoilée pour la circonstance ? Telle est bien,
en effet, la signification de l’expression « leurs épouses respectives » : chaque
président a plusieurs épouses ! Sans l’adjectif « respectives » qui, en
l’occurrence, veut dire « qui reviennent ou appartiennent à chacun des
présidents », le doute eût été permis, mais, là, l’imprécision est levée : chaque
président est au moins bigame, ce qui, en France, est interdit et sanctionné
(article 340 du Code pénal).

L’emploi de l’adjectif possessif « leur » est, lui, réglementé, non par le Code
pénal, mais par une petite dose de grammaire et une bonne dose de bon sens.
Pour le bon sens, je ne peux rien faire… mais pour la grammaire, voici les
règles simples (N.B. Comprenez « objet possédé » au sens large, l’objet
pouvant être une personne et « possédé » pouvant faire référence aux liens
familiaux comme aux rapports d’amitié ou d’inimitié).

Trois cas sont possibles :

Un seul objet possédé pour tous les possesseurs : « leur » est au singulier.
Ils sont partis en vacances avec leur neveu.
… leur fille, leur fils, leur nièce, leur tante, etc. Avec « leur femme », c’est plus scabreux !
Plusieurs objets possédés par possesseur : « leur » est au pluriel.
Les stagiaires sont venus avec leurs livres.
Notre exemple peut convenir avec ou sans « respectives » et avec polygamie.

Un seul objet possédé par possesseur : on peut mettre « leur » au singulier ou au


pluriel sans que le sens en soit affecté.
Les Dupont sont allés au bord de la mer avec leur(s) équipement(s) de plongée.
Sans « respectives », notre exemple convient, à condition que le contexte ou la situation
précise le nombre d’objets possédés, sinon, on revient au cas n° 2.
60

ENTREPRENARIAT
ENTREPRENEURIAT

BARBARISMES



« L’entreprenariat, ils y ont songé depuis longtemps. »
(La Nouvelle République, édition du 27 juillet 2017)

« Ils bénéficient ainsi de la possibilité
de se former à l’entreprenariat »
(Ouest-France, édition du 1er août 2017)

« Entreprenariat : l’âge d’or ? »
(Boursier.com, édition du 21 juillet 2017)

« Pour encourager les femmes
à se lancer dans l’entreprenariat, le candidat
Les Républicains propose de créer «un fonds» »
(Le Figaro, article publié le 8 mars 2017 par Clémentine
Maligorne)

Réfléchissons !
Nous avons vu que les substantifs se terminant par « -ariat » étaient issus
d’autres substantifs se terminant par « -aire ». Ainsi « commissariat » est dérivé
de « commissaire » ou « secrétariat », de « secrétaire ».
En bonne logique, « entreprenaire » devrait donc être le nom ayant donné
naissance à « entreprenariat ». Or, « entreprenaire » n’existe pas, y compris
comme doublon d’« entrepreneur ». Alors ? Alors, la piste est fausse ! Elle est
même doublement fausse car « entreprenariat » n’existe pas non plus.
Prenons le problème dans l’autre sens. La terminaison d’« entrepreneur »
diffère de celle de « commissaire ». La terminaison « -ariat » de « commissariat »
prend en compte la finale « -aire » de « commissaire » qui se contracte en « -ar »
à laquelle se joint le suffixe « -iat ». Il suffit d’accoler ce même suffixe « -iat » à
« entrepreneur » pour obtenir « entrepreneuriat ». « Entreprenariat » est donc
un barbarisme.
La première attestation du mot « entrepreneuriat » date de 1988. Il désigne
« l’activité ou la fonction d’entrepreneur ».
Pourquoi le barbarisme a-t-il si souvent réussi à détrôner le mot correct ?
Probablement pour des raisons phonétiques, « entrepreneuriat » étant plus
difficile à prononcer, mais aussi par influence de mots comme « fonctionnariat »,
« notariat », « actionnariat », etc.


Les noms se terminant par « -aire » (« commissaire ») engendrent des noms se
terminant par « -ariat » (« commissariat »).
« Entrepreneur » se termine par « -eur » ; il donne naissance, dans les années 1980
au nom « entrepreneuriat ».
Le barbarisme « entreprenariat » continue pourtant à s’imposer dans de nombreux
cas.
61

SUPPORTER

ANGLICISMES



« Allez, les Bleus ! (Allez, les Verts ! les Jaunes et Verts,
les Jaunes et Bleus, etc.) »,
« On est les champions (bis), on est, on est, (ter) »,
« On a gagné, les doigts dans l’nez ! Ils ont perdu,
les doigts... »

Ces morceaux d’anthologie sont censés encourager ou célébrer « les
dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares
qui se disputent sur gazon l’honneur minuscule d’être champions de la balle
au pied », pour reprendre la désopilante description du regretté Pierre
Desproges, lui qui, le 16 juin 1986, déclarait sur France Inter dans l’une de ses
Chroniques de la haine ordinaire intitulée À mort le foot : « Je vous hais,
footballeurs ! » S’il les supportait, ça ne pouvait qu’être au sens français du
terme, c’est-à-dire, « endurer les conséquences pénibles d’un événement », en
l’occurrence la Coupe du monde de football et non pas « encourager, soutenir
une équipe sportive » participant à cette Coupe du monde.
En effet, « supporter » signifiant « soutenir, encourager » est un dangereux
anglicisme qui joue aussi le rôle du faux ami, situation qui se comprend
facilement si l’on se transporte quelques siècles en arrière :
‒ au XIIe siècle, « supporter » est attesté en français avec le sens de « subir,
endurer », alors que le latin supportare dont il est issu signifiait « soutenir ». La
signification française évolue ;
‒ au XIVe siècle notre verbe prend un sens plus proche de son étymologie : il
devient synonyme de « prendre en charge, venir en aide, secourir » ;
‒ au siècle suivant, le français se charge d’une nouvelle acception :
« endurer, accepter ce qui est dans les limites de l’acceptable », sens qu’il
conservera en français de façon exclusive.
C’est à la toute fin du XIVe siècle que « supporter » nous est emprunté par
nos voisins. Devenu to support, le verbe veut d’abord dire « soutenir,
favoriser », sens qui sera adopté au XIXe siècle dans le domaine politique puis, au
e
XX , dans le vocabulaire sportif. Doté de cette acception, il retraverse la

Manche dans les années 1960 pour devenir l’anglicisme que nous connaissons.
Expression d’un « consentement volontaire et enthousiaste » ou d’un
« consentement à contrecœur et pénible », « supporter » engendre surtout
l’équivoque, l’ambiguïté. Quel que soit le domaine où sévit l’anglicisme,
remplaçons-le par « soutenir, épauler, encourager » ou « favoriser » dans un cas,
« tolérer, endurer » ou « subir », dans l’autre, affichant ainsi la couleur.


En français, « supporter » signifie « tolérer, subir patiemment ».
Au XIVe siècle, il est passé en Angleterre où il a pris le sens de « soutenir, encourager »,
avant de revenir en France avec cette signification.

Remplaçons l’anglicisme par un verbe français non équivoque.


62

EN FAIT

TOURNURES EXASPÉRANTES



L’expression « en fait » n’est pas condamnable en elle-même. Elle est tout à
fait signifiante dès lors que le substantif « fait » y retrouve son sens précis de
« réalité observable », mais reconnaissons que ce n’est presque jamais le cas.
Parfois, elle introduit tout de même une idée précise, une vérité qui vient de
se révéler à l’esprit du locuteur ou du narrateur, à moins qu’elle n’annonce une
rectification, une contradiction, une conclusion, une déduction ou une
reformulation, bref, une manière de reprendre en la modulant une pensée déjà
exprimée. Deux exemples pris chez de grands auteurs :

« En fait, tout dépend de moi et je ne sais encore
à quoi me décider. »
(Albert Camus, Le Malentendu, Acte II, scène 1)

« En fait, nous sommes une liberté qui choisit
mais nous ne choisissons pas d’être libres :
nous sommes condamnés à la liberté. »
(Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, Gallimard, p. 565)

Dans les deux cas, « En fait » exprime une prise de conscience. Chez Sartre,
elle introduit en plus une reformulation, plus synthétique, d’une idée
précédemment développée.
De tels emplois relèvent d’une logique de la pensée, ils sont donc
acceptables, mais « en fait » est, aujourd’hui, plus souvent utilisé comme
ponctuation, à la façon de « voilà », « eh bien » ou, pire, « euh ».
Ils ne remplissent aucune des fonctions mentionnées plus haut. Ils ne
fournissent aucune information. Ils sont le signe d’une pensée qui se cherche.
Ils sont inutiles et encombrent le discours.
Reprenons l’énoncé ci-dessus en le ponctuant de quelques « en fait ».

« En fait, ils ne remplissent aucune des fonctions mentionnées plus haut. En
fait, ils ne fournissent aucune information. Ils sont, en fait, le signe d’une
pensée qui se cherche. En fait, ils sont inutiles et, en fait, encombrent le
discours. »

Petite expérience probante ! Les « en fait » n’ont rien ajouté au sens du
texte ; ils n’ont fait qu’en alourdir la forme et leur répétition est insupportable.
Puisque, comme le dit Sartre, nous sommes une liberté qui choisit, choisissons
de ne plus utiliser ces « en fait ». Chassons-les ! S’ils sont signifiants, on peut
malgré tout en éviter l’assommante répétition par l’emploi de « pour ainsi
dire », « en vérité », « en réalité », « en somme », « à dire vrai », etc.



La locution « en fait » peut exprimer une modulation de la pensée.

Mais, le plus souvent, elle ne fait que ponctuer inutilement le discours.


Débarrassons-nous donc de cette locution encombrante.
63

Le [t] euphonique :
ILS ONT RÉPONDU [T]
À L’APPEL

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



C’est indiscutable, la langue française se veut fluide et privilégie tout ce qui
lui permet de l’être, à commencer par les liaisons12 et élisions13. A contrario,
quand les liaisons sont empêchées par la ponctuation, la présence de « h »
aspirés ou les appositions, l’élocution s’en trouve hachée et des éléments du
texte, ainsi isolés, sont éventuellement mis en valeur. Malgré tout, deux
voyelles peuvent être mises en présence quand la voyelle finale d’un mot
rencontre la voyelle initiale du mot suivant. Alors, c’est l’hiatus14 et c’est une
tragédie, car le français déteste les hiatus. On veut donc absolument l’éviter en
provoquant l’euphonie15. Pour ce faire, on commet un pataquès, de façon plus
ou moins consciente.

Illustration par l’exemple :
Ils ont répondu à l’appel.

La voyelle finale de « répondu » entre en conflit avec la préposition « à ». La
mémoire (subconsciente ?) appelle alors la liaison que l’on fait
systématiquement quand le verbe est à la troisième personne (singulier ou
pluriel) du présent de l’indicatif :
Il répond [t] à l’appel.
ou
Ils répondent [t] à l’appel.
La liaison, machinalement transposée, nous fait alors dire et entendre :
Ils ont répondu [t] à l’appel.
Le [t] ainsi ajouté est dit « euphonique ».

On connaît tous des chansons populaires où fleurit ce [t] euphonique :
Marlbrough s’en va-t-en guerre, Margoton va-t-à l’eau.
On le trouve aussi, employé de façon plus légitime, dans certaines formes
verbales interrogatives comme :
« Aime-t-il son père ? », « À quoi pense-t-elle ? », « Parviendra-t-il ? »,
« Comment va-t-il ? », etc.
Existe aussi le [z] euphonique qui fera l’objet d’une autre fiche (voir 133).



L’hiatus est contraire à l’esprit de la langue française.
Pour l’éviter, le langage populaire a recours au [t] euphonique.

Ce faisant, on peut commettre des pataquès.


TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez, si besoin.
a) Restée à Louksor, l’obélisque jumelle de celle érigée place de la
Concorde, doit se sentir abandonnée.
b) Dans la diffusion télévisée d’un concert, il importe que le son et l’image
soient bien synchronisés en même temps.
c) La semaine mondiale de l’entreprenariat s’est déroulée du 13 au 17
novembre 2017.

2. Remplacez l’anglicisme « supporter » par un verbe adéquat, si
anglicisme il y a.
a) Pour supporter une équipe de football, est-il vraiment nécessaire de se
déguiser en clown ?
b) J’ai beaucoup de mal à supporter les enfants turbulents.
c) Pour bien se développer, les jeunes entreprises ont besoin d’être
supportées médiatiquement.

3. Classez les noms en « -isque » selon leur genre grammatical.
astérisque, francisque, lentisque, ménisque, odalisque.

4. Quelle est la signification du préfixe « syn- » ?

5. Citez cinq noms commençant par ce préfixe.

6. Pourquoi et quand avons-nous tendance à employer un [t]
euphonique ?

64

MÉMOIRES

FÉMININ OU MASCULIN ?



Petit échange familial où un grand-père espiègle joue sur un genre
grammatical impropre pour déclencher un malin quiproquo.

‒ Grand-père, ne penses-tu pas que tes mémoires seraient fascinantes ?
‒ Pas plus que les tiennes, Pitchounette, même beaucoup moins, compte
tenu de mon âge.
‒ Tu dis n’importe quoi ! C’est justement parce que tu n’es plus tout jeune
et que ta vie a été riche qu’elles en intéresseraient plus d’un.
‒ Mais non, ma chérie, c’est toi qui délires. Vois-tu, ma mémoire visuelle ne
m’a jamais permis d’enregistrer la couleur des yeux de mes petites amies, ma
mémoire auditive m’a fait oublier le son de leur voix, ma mémoire des
sensations (les savants disent « kinesthésique ») est tellement développée que
je ne sais même plus si elles avaient la peau douce, quant à la mémoire liée à
l’écriture (les savants disent « scripturale »)…
‒ Qu’est-ce que tu me racontes, grand-père, je ne te parle pas de ces
mémoires-là ! Je te parle des mémoires que l’on écrit, ta biographie, quoi !
‒ Vois-tu, Pitchounette, il faut respecter le genre grammatical : bien des
mots changent de sens en changeant de genre et les mémoires que l’on écrit
pour laisser une trace de sa vie, ces mémoires-là, comme tu dis, sont toujours
au masculin pluriel : tu aurais dû me dire : « tes mémoires seraient fascinants »
et non « fascinantes » !

Pitchounette quitte la pièce en haussant les épaules et en levant les yeux au
ciel, mais au fond d’elle-même, elle sait bien que son grand-père a raison et s’il
n’avait craint d’être « relou » et de la « saouler », il aurait ajouté qu’au masculin
singulier, un mémoire désigne tout document que l’on rédige pour défendre
une cause, appuyer une recherche et obtenir un diplôme comme, par exemple,
un mémoire de maîtrise.



LA mémoire permet d’emmagasiner des souvenirs et de stocker des informations.
Les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand sont non seulement le récit de sa
vie mais ILS sont aussi INTÉRESSANTS en tant que témoignage historique.

Cet étudiant doit rédiger UN mémoire de master sur « Le problème de l’eau potable en
Afrique subsaharienne ».
65

UNANIMEMENT PAR
TOUT LE MONDE

PLÉONASMES



Nous sommes le 3 novembre 2011. À Cannes se sont réunis les chefs d’État
du G20 et le président Sarkozy, lors d’une conférence de presse, déclare :

« Le message qui a été adressé à l’ensemble
de la classe politique grecque hier par l’Allemagne
et la France a facilité une prise de conscience qui,
si elle devait se confirmer, serait saluée unanimement
par tout le monde. »

« … unanimement par tout le monde » ! Voilà une formule indiscutablement
pléonastique. L’étymologie le confirme : « unanime » vient du latin unanimus
formé sur unus, « seule, unique » et animus, « âme ». L’adverbe
« unanimement » veut donc dire « d’une seule âme », entendons « d’un commun
accord », « par tous ». Il est donc permis de glisser le signe « égal » entre
« unanimement » et « par tout le monde » ; le pléonasme apparaît alors dans
toute sa « splendeur » :
Unanimement = par tout le monde

Le président aurait dû choisir : l’un OU l’autre, mais pas l’un ET l’autre !
Dans sa volonté d’insister sur les conséquences positives de l’initiative
franco-allemande et le succès rencontré par l’ultimatum lancé à la Grèce, le
président redouble à la fois d’enthousiasme et d’expressions ayant le même
sens. Des bravos pour l’un, des sifflets pour l’autre ! Discours écrit (par Henri
Gaino) ? La faute serait impardonnable. Discours improvisé ? C’est
l’improvisation même qu’il faudrait alors incriminer, car un orateur digne de ce
nom ne se lance pas dans des formulations qu’il est incapable de maîtriser, a
fortiori si l’orateur est président de la République.




Quant à nous, simples mortels, rappelons-nous que :

Le latin unanimus signifie « une seule âme » (unus + animus)
Unanimement = par tout le monde
Se référer à l’étymologie permet d’éviter certains pléonasmes.
66

IL Y A CES PARTIS QUI


SONT DES PARTIS QUI …

SOLÉCISMES



L’exacte citation est la suivante (à lire à haute* voix sans reprendre sa
respiration) :

« […] qu’en gros, il y a ces partis de gouvernement qui
sont des partis qui sont dans le cadre républicain qui
approuvent l’idée européenne, par exemple, qui
approuvent l’économie de marché et que ces partis
seraient associés par un pacte secret et que le Front
national serait le seul à s’y opposer. »

Keukikikikikeukeu. Ce modèle de poésie lyrique, déclamé dans l’émission
Mots croisés du 14 octobre 2013, est signé Éric Ciotti, député LR (ex UMP) des
Alpes-Maritimes.
« Il y a … qui », « Il y a … que », « C’est … qui », « C’est … que » : toutes ces
tournures, spécifiquement françaises ‒ on parle de gallicismes ‒ servent
normalement à mettre en relief un élément de la phrase, qui peut être sujet,
objet ou complément circonstanciel :
‒ C’est un député qui a dit cela (sujet) ;
‒ C’est le député que vous avez vu hier à la télé (objet) ;
‒ C’est dans cette circonscription qu’il a été élu (circonstanciel).
Ces gallicismes doivent être cependant d’un emploi raisonné, car ils
alourdissent la phrase ; en outre, il n’est pas prévu qu’on double les « qui » ni, a
fortiori, qu’on les triple, voire les quadruple, comme dans notre exemple.
« C’est qui… qui… qui… qui… », la multiplication de ce pronom relatif dans une
même phrase ‒ pronom relatif ou interrogatif selon les cas - finit par rendre le
discours confus : quand on sert trop le « qui… qui… », on étouffe la
compréhension.
Cette manière de s’exprimer est assez répandue chez les politiques, surtout
quand, interviewés, ils hésitent sur ce qu’ils doivent dire; le procédé du « qui…
qui… » permet de tourner autour du pot, de proposer une réponse par bribes,
le nombre de « qui… qui… » étant proportionnel à l’importance de l’hésitation,
car on peut, sans relâche, répéter la formule :

Il y a ces partis de gouvernement
qui sont des partis qui, en tant que partis de gouvernement, sont des partis
qui sont…
… ainsi de suite, à l’infini.

* Il n’est pas indispensable qu’elle soit intelligible.



« C’est… qui », « C’est… que », « Il y a… qui », « Il y a… que » sont des gallicismes,
c’est-à-dire des tournures spécifiquement françaises.
En abuser alourdit le discours.

Ce peut être aussi un moyen de faire attendre sa réponse ou d’en construire une.
67

PERDURER DURER

BARBARISMES



Utiliser des verbes tels que « durer », « continuer », « se poursuivre », voire
« persister » ou « se prolonger », vous n’y pensez pas ! Ils sont trop communs,
trop banals, ils manquent de classe ; il faut trouver quelque chose d’un peu
plus rare, de plus « aristocratique », qui distingue celui qui parle du commun
des mortels… Voyons… Mais oui, « PERDURER » ! Voilà le mot que l’on
cherchait ; voilà qui fera bien ! Il faut le remettre en circulation et quand, à son
tour, il sera utilisé sans scrupule par le vulgum pecus, on en dénichera bien un
autre.
Allons-y :

« Cette intelligence offensive a perduré tout au long
de la partie [de football] » (ladepeche.fr du 26 août 2017)

« L’effet des vacances perdure peu une fois
de retour au travail »
(ICI.Radio-Canada.ca, du 14 août 2017)

« L’autisme est un trouble qui se présente
dès la petite enfance et perdure jusqu’à l’âge adulte. »
(L’INFO.re du 26 août 2017)

Telle présentatrice météo nous annonce « un temps maussade qui devrait
perdurer durant tout le week-end », mieux ! tel spécialiste de la Bourse nous
prédit « une nouvelle rechute de l’or noir qui devrait perdurer jusqu’à demain
au moins », et bien d’autres inepties du même genre naviguent sur les ondes
hertziennes comme dans la presse écrite, car inepties il y a si l’on considère le
sens exact de « perdurer » : « se perpétuer ». Dans un sens plus faible,
« perdurer » peut signifier « durer longtemps », mais il ne saurait, en aucune
façon, s’accommoder d’une limite temporelle ; son étymologie nous éclaire en
ce sens : le latin impérial perdurare, « subsister », « durer éternellement ».
Quand on dit « perdurer jusqu’à… », il y a contradiction dans les termes,
surtout si l’on précise « demain matin* » ; « perdurer à tout jamais » est un
pléonasme et c’est une stupidité de vouloir que « perdure » quelque chose de
provisoire.

Bref, Mesdames et Messieurs du monde médiatique, revoyez vos copies et
faites en sorte que ce barbarisme ne « perdure » pas.

* « Perdurer jusqu’à la Saint-Glinglin » ou « jusqu’aux calendes grecques » pourrait, à la rigueur, se


concevoir, bien qu’il y ait alors redondance.


« Perdurer » vient du latin perdurare, « durer éternellement ».
« Perdurer » ne peut admettre une limite temporelle.
« Persister », « se poursuivre », « continuer » ou simplement « durer » peuvent
avantageusement remplacer « perdurer ».
68

FLYER

ANGLICISMES



Pour annoncer un événement, concert, représentation théâtrale, publication
d’un livre, conférence, vente, ouverture d’un magasin, d’un restaurant, le bon
vieux prospectus faisait parfaitement l’affaire, d’autant que son étymologie, le
latin prospectus, nous parle de « perspective », de « vue d’ensemble » et que le
mot est entré dans le lexique français au début du XVIIIe siècle avec le sens de
« document annonçant la parution d’un livre ».
Puis il y eut le « tract », emprunté dans les années 1830 à l’anglais
d’Amérique, lui-même dérivé du latin tractatus, « traité, petit ouvrage sur un
sujet ».

Le « tract » a rapidement revêtu le caractère d’un pamphlet politique ou
publicitaire et l’utile « prospectus » est tombé en désuétude. Nos
contemporains, victimes d’une anglomanie galopante sévère, lui préfèrent le
flyer, depuis 1992, date de sa première attestation française. La loi phonétique
du moindre effort a dû également jouer son rôle : comment le « prospectus »,
trisyllabique et d’une prononciation périlleuse, pouvait-il lutter contre le léger
et presque monosyllabique « flyer » ?

« Flyer » est un anglicisme inutile : dans tous les exemples ci-dessous, le mot
« prospectus » pouvait être utilisé ; « tract » pouvait aussi convenir, surtout
pour les trois premiers :

« Un flyer insultant a été glissé sous la porte
d’un salon où un groupe de jeunes noirs regardaient
la télévision. »
(Slate.fr, 13 août 2017)

« Des flyers de carnaval aux relents racistes irritent. »
(20 minutes, 28 février 2017)

« Distribution de flyers, de badges, affichage
dans tout le lycée. »
(Ouest-France, 18 mai 2017)

« Sur le flyer récupéré à la buvette, il est écrit
“Feu d’artifice et cafés-concerts dans les bars
du village”. »
(lepopulaire.fr, 25 août 2017)

Laissons le « flyer » retraverser la Manche et faisons en sorte que le mot
« prospectus » reprenne son envol.


L’anglicisme « flyer » a détrôné le « prospectus ».

Le « tract », également d’origine anglaise, est plutôt politique ou publicitaire.


Il nous appartient de remettre le mot « prospectus » en circulation.
69

ÊTRE EN CAPACITÉ DE

TOURNURES EXASPÉRANTES



Tout le monde connaît la formule détournée : « Pourquoi faire simple quand
on peut faire compliqué ? » Elle s’applique avec exactitude à l’expression « être
en capacité de… », qui se porte au mieux chez nos hommes politiques. Ils en
usent, ils en abusent, comme d’une trouvaille si ingénieuse qu’ils ne peuvent ni
ne veulent s’en passer :

« C’est quelqu’un [le Premier ministre] qui doit être en
capacité de tenir une majorité parlementaire de projet. »
(Propos d’Emmanuel Macron rapporté
dans Parismatch.com du 15 mai 2017)

« Manuel Valls pourrait même être en capacité
de créer un groupe politique indépendant. »
(Europe1.fr, article publié le 9 mai 2017)

« Et on veut nous faire croire qu’on est en capacité
de rebondir. »
(Lejdd.fr, 24 juin 2017, propos de Xavier Bertrand
sur le résultat des législatives)
« Alors pour donner des leçons, il faut être
en capacité de le faire. »
(Lci.fr, 14 juillet 2017, propos de Laurent Wauquiez
sur Emmanuel Macron)

Formule prétentieuse, « être en capacité de… » nous évoque les Précieuses
ridicules du temps de Molière qui s’ingéniaient à remplacer un simple mot, jugé
trop vulgaire, par une périphrase ampoulée. En l’occurrence, un verbe,
« pouvoir », devient « être en capacité de… », alors qu’il serait plus en accord
avec l’esprit de la langue française de dire « avoir la capacité de » et qu’existe
déjà « être capable de ». Utiliser le verbe « être » plutôt qu’« avoir » relève, en
outre, d’une anglicisation de la syntaxe dont le « modèle » est to be in charge
of (cf. 145).
Est-ce que celui qui « EST en capacité de » est mieux armé que celui qui « A
la capacité de », lui-même plus fort que celui qui, simplement, « est capable
de » et, a fortiori, celui qui, tout bonnement, « peut » ?



« Être en capacité de » est une périphrase calquée de l’anglais.
« Avoir la capacité de » correspond mieux à l’esprit de la langue française.

On peut faire encore plus simple avec « être capable de » et, simplement, « pouvoir ».
70

CENT [H] EUROS



PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION

Si tu doutes, abstiens-toi d’agir.
Pline serait l’auteur de ce précepte qui, le plus souvent, est ainsi traduit :
Dans le doute, abstiens-toi.

Quelle qu’en soit la forme, ce proverbe semble pouvoir convenir, sur le
fond, à toute personne ne liant pas « cent » et « euros » : ne sachant pas quelle
liaison faire ni même s’il faut en faire une, elle prend le parti de s’abstenir, parti
qui, dans bien des domaines, fait tant d’adeptes et de sympathisants.

Une tempête sous un crâne*
Cent [t] euros ou cent [z] euros ? Une somme aussi grande n’appelle-t-elle
pas tout naturellement un pluriel grammatical ? Si l’on met un « s » à « euros »,
pourquoi n’en pas mettre un à « cent » ? Oui, mais une petite voix me rappelle
des souvenirs scolaires ; elle me murmure que « cent » ne se met au pluriel que
lorsqu’il y a au moins deux centaines entières et qu’aucune dizaine ni unité ne
suit. Ne vaut-il pas mieux ne faire aucune liaison, m’attirant alors le bénéfice du
doute plutôt que la certitude du ridicule, si jamais ma liaison est fausse ?
Allons, c’est décidé, je m’abstiens et je dis (rapidement et à mi-voix) « cent [h]
euros », sans liaison.
Erreur ! L’hiatus engendré par l’absence de liaison n’est-il pas aussi une
faute ? Avons-nous déjà oublié que l’hiatus est en discordance avec l’esprit de
notre langue (cf. 35) et qu’il faut l’éviter quand il est évitable ?

Terminons par un exemple récent en précisant qu’il n’y a, bien sûr, aucune
raison pour que Speedy et Michelin s’affranchissent de la règle :

« En juin, jusqu’à cent [h] euros offerts
pour l’achat de pneus Michelin. »
(Offre du réseau Speedy en juin 2015)

L’enregistrement de cette accroche publicitaire a sans doute nécessité
plusieurs prises, donc plusieurs écoutes, avant de passer sur les ondes :
comment admettre que cette faute de liaison n’ait pas été corrigée ?
Démagogie ?

Dans « cent euros », la liaison est obligatoire.
Ne pas la faire provoque un hiatus.
En français, les hiatus évitables doivent être évités.

* Titre emprunté au chapitre III du septième livre (tome 1) des Misérables de Victor Hugo.
TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez, s’il y a lieu.
Écrites de 1954 à 1959, les Mémoires de guerre de Charles de Gaulle sont
composées de trois tomes.

2. Quelle est la signification étymologique de l’adjectif « unanime » ?

3. Qu’est-ce qu’un « gallicisme » ?

4. Citez trois verbes qui peuvent remplacer « perdurer » quand celui-ci
est employé abusivement.

5. Par quels mots français peut-on remplacer l’anglicisme « flyer » ?

6. « Tract » et « flyer » sont-ils synonymes ?

7. Remplacez « être en capacité de » par une expression plus simple et
plus française.
a) Le nouveau gouvernement est en capacité d’imposer de nombreuses
réformes.
b) Le ministre de l’Agriculture est en capacité de répondre aux allégations
mensongères de l’opposition.

8. Dans « cent euros », la liaison est-elle obligatoire ?

9. À quelles conditions « cent » se met-il au pluriel ?

71

STALACTITE
Stalagmite

FÉMININ OU MASCULIN ?



On connaît tous le moyen mnémotechnique permettant de ne pas
confondre « stalactite » et « stalagmite » : la stalactite tombe (en réalité, elle se
forme de haut en bas et c’est la petite goutte d’eau perlant à son extrémité qui
finit par tomber après avoir déposé une infime couche de sels calcaires), tandis
que la stalagmite monte (elle s’érige, lentement, très lentement, après avoir
reçu le calcaire dissous dans les gouttes d’eau tombées de la stalactite).

Le premier élément, « stalac(g)- » est issu d’un verbe grec, stalazein
signifiant « couler goutte à goutte, filtrer ».
Le deuxième contient notre aide-mémoire : « …tite tombe », « …mite
monte », très astucieux ! D’autant qu’il peut aussi nous aider à retrouver le
genre grammatical de l’un et l’autre, sachant qu’ils ont le même. « …tite » nous
fait penser à « petite », « stalactite » est donc féminin !
« …mite » nous renvoie au petit insecte, mite des vêtements ou mite
alimentaire, le mot est bien féminin : une mite.
Les mots se terminant par « -ite » sont particulièrement nombreux et bien
distribués entre féminin (ammonite, calcite, carmélite, dynamite, élite, frite,
fuite, limite, marmite, orbite, pépite, visite, etc.) et masculin (anthracite,
barnabite, cénobite, ermite, hypocrite, parasite, plébiscite, satellite, termite,
etc.).
Bien des mots en « -ite » désignent des maladies, tous féminins : amygdalite,
appendicite, bronchite, bursite, cardite, encéphalite, entérite, laryngite, otite,
péritonite, phlébite, tendinite, trachéite, etc.




« Stalactite » comme « stalagmite » sont des noms féminins.

« -tite » fait penser à « petite » donc au féminin.


« Stalagmite » se termine par « -mite » qui évoque l’insecte : LA « mite ».
72

SECOUSSE SISMIQUE

PLÉONASMES

En octobre 2009, un téléfilm américain a été diffusé. Le réalisateur en est
David Michael Latt, le titre original, MegaFault et le titre français, Secousse
sismique. Dans l’annonce qui en est faite sur Tele-loisirs.fr, on entend le
commentaire suivant :

« La planète est victime d’une secousse sismique
sans précédent. »

Le 8 août 2017, Le Dauphiné libéré titre :
« Une secousse sismique ce matin ? »

Le 20 août 2017, Tunisie numérique annonce :
« Tunisie ‒ Sfax : une secousse sismique
de 3,9 degrés sur l’échelle de Richter. »

Le 29 août 2017, Rfi nous apprend qu’après le lancement
d’un missile nord-coréen au-dessus du Japon,
« des trains à grande vitesse et les métros de Tokyo
se sont arrêtés automatiquement, comme après
une secousse sismique forte. »

« Secousse sismique » ? La locution est encore prisée par les médias, alors
qu’elle est incorrecte. Il est vrai que le pléonasme, pourtant indiscutable,
n’apparaît pas d’emblée : « sismique » est l’adjectif correspondant au nom
commun « séisme ». Les deux mots ont donc une même étymologie : le grec
seismos, « secousse, tremblement de terre ». Par conséquent, parler de
« secousse sismique », c’est parler de « secousse de secousse ». Remplaçons
« sismique » par « tellurique », du latin tellus, « la terre ». Tellus a également
donné « tellurien, tellurienne », adjectifs synonymes de « tellurique ».
L’expression « secousse tellurienne » est donc également possible.
« Séisme », « secousse tellurique », « secousse tellurienne » sans oublier
« tremblement de terre », moins « savant » mais tout à fait correct, les
expressions acceptables sont assez nombreuses pour qu’on évite le pléonasme
« secousse sismique ».




« Séisme » et « sismique » viennent du grec seismos, « tremblement de terre ».

« Secousse sismique » est donc un pléonasme.

Remplaçons-le par « secousse tellurique », « secousse tellurienne », « séisme » ou,


simplement, « tremblement de terre ».
73

CE QUE DOIT ÊTRE


NOS PROCÉDURES

SOLÉCISMES



Le 19 octobre 2013, dans le cadre de ce qu’on a appelé « l’affaire Léonarda »,
le président François Hollande a déclaré :

« La République, c’est la fermeté
dans l’application de la loi, et c’est l’humanité aussi dans
ce que doit être nos procédures. »

Pour une telle faute (corrigée depuis dans la plupart des comptes rendus),
le président mérite qu’on lui fasse un dur procès. Le discours était-il écrit ? La
faute y était-elle présente ? Elle serait, dans ce cas, doublement inexcusable.
Le président s’est-il affranchi d’un texte écrit sans faute ? Bref, il est tombé
dans ce piège courant que représente l’inversion de verbe et du sujet. Le sujet
étant « nos procédures », le verbe devait être conjugué à la troisième personne
du pluriel :

« […] et c’est l’humanité aussi dans ce que doivent être
nos procédures. »

De façon plus générale, savoir, dans un texte, écrit, lu ou ‒ plus difficile ‒
improvisé, où se trouve le sujet et, avec lui, accorder le verbe, voilà qui relève
des règles fondamentales de la rhétorique, science de la persuasion par le
discours, mais tout le monde n’est pas Jaurès : n’est pas tribun qui veut !

On rencontre d’autres embûches pouvant compliquer l’accord sujet-verbe,
en particulier dans les cas suivants :
‒ quand le sujet est multiple ;
‒ quand il est employé avec un complément de nom ;
‒ quand il est éloigné du verbe ;
‒ quand il est sous-entendu (cf. 31), etc.



Veiller à toujours accorder le verbe avec son sujet réel et non le sujet apparent.
Repérer l’inversion du verbe et du sujet.
L’identification du sujet doit prendre en compte une syntaxe plus ou moins complexe.
74

AÉROPAGE ARÉOPAGE

BARBARISMES



Le mot « aréopage » (et non « aéropage ») n’est certes pas très usuel. Son
emploi est surtout littéraire et journalistique. Le mot désigne précisément une
assemblée d’experts reconnus pour leurs compétences dans un domaine
précis, réunis pour débattre d’une question relevant de ce domaine, mais, dans
les articles de presse, on l’emploie pour un groupe de personnes officielles, un
cercle de notables. Il est souvent déformé en « aéropage » :

« Ce soir-là, au cœur de la nuit parisienne,
l’aéropage de proches et d’intellectuels débat. »
(Laregledujeu.org, article de Laurent David Samana)

« Pour être complet sur l’aéropage d’officiels,
on notera aussi la présence d’Alain Bocquet. »
(La Voix du Nord, article publié par Jérémy Lemaire
le 1er mars 2017)

« L’éclipse politique de Marion Maréchal-Le Pen
[…] n’a pas amélioré l’optimisme de cet aéropage de
personnalités en quête d’un débouché politique. »
(Slate.fr, article publié par Gaël Brustier le 18 août 2017)

Pourquoi cet « aéropage » erroné ?
Par influence probable des noms commençant justement par « aéro- », du
grec aeros, « air » : « aérodrome, aérogare, aéronef, aéronaute, aéroport,
aéroplane, etc. », mais… « aéropage » n’existe pas, même pas pour désigner une
page volante qui serait l’équivalent français du flyer anglais (proposition
fantaisiste ; cf. 68) ! Ajoutons qu’il est plus facile de prononcer « aéro- » que
« aréo -», du moins pour certaines personnes, car pour d’autres, c’est le
contraire, d’où les « aréoport », « aréodrome », etc.

Comme souvent, l’étymologie éclaire la forme.
À Athènes, à l’ouest de l’Acropole, une colline de marbre gris surplombe
l’Agora. Dans l’Antiquité, tout au long de la période démocratique (de ‒ 500 à
‒ 300), un conseil de neuf sages investi de pouvoirs judiciaires avait l’habitude
de s’y réunir nuitamment. Cette colline (pagos) était dédiée à Arès (Areios =
d’Arès), dieu de la Guerre, équivalent du Mars romain. Le mot « Aréopage »
(Areios Pagos) s’appliqua d’abord à cette colline d’Arès puis, par métonymie,
au Conseil de sages. Le nom, devenu commun, prit enfin son sens actuel,
d’abord écrit « ariopage ». Notons qu’il désigne aussi, depuis 1834, la plus haute
institution judiciaire de Grèce.


Le mot « aéropage » n’existe pas, c’est une déformation d’« aréopage ».

« Aréopage » vient du grec Areios pagos, « colline d’Arès », Arès étant le dieu grec de
la Guerre.
De nos jours, un « aréopage » est une assemblée d’experts ou de célébrités.
75

VINTAGE

ANGLICISMES



Cet anglicisme fait fureur pour qualifier une robe, un meuble, un abat-jour,
un vase, un miroir, ou tout objet de décoration. Il s’applique finalement à tout
et n’importe quoi, pourvu que ce « tout-et-n’importe-quoi » ait au moins trente
ans ou qu’il soit une copie d’un « tout-et-n’importe-quoi » des années 1990,
voire d’avant.
Mot à la mode employé pour des objets « tendance », ce qualificatif ne
pouvait qu’être usuel chez Charles-Hubert ou Marie-Chantal qui, bien sûr,
perdraient de leur suffisance et de leur appartenance snobinarde s’ils
remplaçaient « vintage » par « d’époque » ou « copie d’ancien » ou encore
« réplique ».
L’anglicisme vintage est apparu en français dans les années 1960, d’abord
appliqué aux vieux portos ou aux champagnes millésimés, emploi pertinent
puisque « vintage » est issu du français « vendange ».
Rapide survol chronologique
‒ En français du XIIIe siècle, vendenge désignait simplement un vin, un cru,
mais aussi la période où l’on récolte le raisin et la récolte elle-même.
‒ À la fin du XIVe siècle, les Anglais nous empruntent le mot avec ces mêmes
significations.
‒ Il devient vendage et vindage (absence de voyelle nasale outre-Manche).
‒ Au début du XVe, on trouve les formes ventage et vintage (forme
actuelle).
‒ Ce n’est qu’au XVIIIe qu’apparaît l’acception de « vin millésimé ».
‒ La notion générale d’appartenance à une époque révolue date du XIXe.
‒ Vintage-car date de 1920. L’expression s’applique aux voitures anciennes
de collection.
‒ Quarante ans plus tard, le mot vintage (re)traverse la Manche.



« Vintage » vient du vieux français « vendenge », signifiant au XIIIe siècle « vin »,
« période des vendanges » et « récolte de raisin ».
Emprunté par les Anglais au XIVe siècle, le mot devient « vindage » puis « vintage ». Il
nous revient au XXe sous cette forme, désignant un vieux porto ou un champagne
millésimé.
« Vintage » s’est ensuite appliqué à tout objet ancien, « d’époque » antérieure à 1990
ou « copie d’ancien » (« réplique ») ou « de style ancien », mots et expressions préférables
à l’anglicisme.
76

Avoir vocation À…

TOURNURES EXASPÉRANTES



1. « Terrorisme : “Les psychiatres n’ont pas vocation
à collaborer avec le ministère de l’Intérieur.” »
(Propos de Gérard Collomb rapporté
par lemonde.fr le 21 août 2017)

2. « Migrants en Lot-et-Garonne :
“Ils n’ont pas vocation à rester.” »
(Sud-Ouest, publié le 10 août 2017 par J.-C. W.)

3. « Une centrale nucléaire n’a pas vocation
à faire des arrêts et redémarrages… »
(lesechos.fr, article de Gérard Creuzet
publié le 1er septembre 2017)

4. « Nous avons vocation à incarner une alternance . »
(Lefigaro.fr, propos d’Olivier Faure, article
de Mathilde Siraud publié le 1er septembre 2017)

Dans la série « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué »,
« avoir vocation à… » est à rapprocher d’« être en capacité de… » (cf. 69) On
prétend aussi qu’Henri Guaino et Nicolas Sarkozy, l’un auteur des discours de
l’autre, auraient joué un grand rôle non négligeable dans la vulgarisation de
cette expression qui a très vite envahi la parole politique, toutes tendances
confondues. Aujourd’hui, « avoir vocation à… » semble faire partie du
vocabulaire de M. et Madame Tout-le-Monde. Sont-ils sûrs de l’utiliser en en
connaissant le sens exact ?
En latin, vox, vocis, c’est la voix et vocare signifie « appeler, convoquer ».
Cette idée d’appel que l’on retrouve dans « vocation » peut avoir le sens fort
d’« appel de Dieu » que moines, moniales et autres personnes d’Église
prétendent avoir, sinon entendu, du moins ressenti, qui les a incités à entrer en
religion. Il y a aussi, avec un sens plus faible, cet appel, cette attraction que
peut exercer telle profession que l’on embrasse parce qu’on a, dit-on, la
« vocation » : dans la médecine, les arts, l’enseignement, l’armée, etc. Ce n’est
pas rien que ces vocations-là et le mot est chargé de notions telles que
prédestination, don de soi, irrésistibilité, devoir, mission, etc. Qu’en reste-t-il
dans les exemples ci-dessus et que signifie une « vocation » qu’on attribue à un
objet comme dans le troisième exemple où il est question de centrale
nucléaire ?
Pour éviter l’emphase dans le discours, le snobisme, la bêtise et le ridicule
qui vont avec, il vaut mieux remplacer « avoir vocation à… » par « être habilité
à » (1), « être destiné à… » (2), « avoir le droit de… » (2), « être prévu pour » (3),
« être susceptible de… » (4) et, avec un sens beaucoup plus neutre, les simples
verbes « devoir » et « pouvoir ».





« Avoir vocation à… » est une périphrase pompeuse surtout utilisée en politique.

Le sens du mot « vocation » y est dépouillé de ses notions d’appel et de devoir.


Remplaçons « avoir vocation à » par une locution plus simple et mieux adaptée.
77

MOUÉLLEUX

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



La publicité est, par essence, démagogique. Pour que les consommateurs
achètent, il faut les caresser dans le sens du poil, savoir quelle cible ils
représentent, dans quelle catégorie socioprofessionnelle ils se classent (la
ménagère de cinquante ans n’est qu’un exemple), proposer ce qu’ils aiment,
parler comme eux, quitte à commettre les mêmes fautes. Les « spots » de
publicité doivent tenir compte de tous ces critères et, de ce point de vue,
certains sont des modèles du genre, des petits chefs-d’œuvre de rhétorique,
car, toutes proportions gardées, les publicitaires visent le même objectif que
Jaurès dans ses harangues ou Bossuet dans ses sermons : convaincre. Les
images doivent être percutantes et les mots doivent faire mouche, la façon de
dire valant autant que le discours lui-même.
Il faut alors comprendre que défendre la langue française n’intéresse guère
messieurs les publicitaires. Dans cette optique, les atteintes au bien-parler
sont, pour eux, sans importance ; elles sont même souhaitables dès lors
qu’elles participent au but qu’ils se sont fixé : persuader le consommateur.
Alors, vive(nt) les onomatopées (on comprend mieux « waouh ! »
qu’« incroyable »), bonjour les négations incomplètes (plus personne n’utilise
« ne… pas »), une ovation pour les interrogations mal fichues (c’est qui qui dit
quoi ?), bravo les expressions infantilisantes (« c’est cro cro bon ! », « dites
“bang” à la saleté ! »), chapeau bas les anglicismes (ça fait bien, même si M. et
Madame Tout-le-monde parlent un anglais déplorable !), bienvenues les
prononciations fautives (liaisons erronées ou absentes, faux phonèmes, etc.) !
Notre « mouélleux » se classe dans cette catégorie. Ces faux phonèmes sont
voulus par les publicitaires parce que le Français moyen est censé parler ainsi.
Précisons d’abord que « moelleux » fait partie de ces adjectifs dont la
publicité use et abuse, avec « gourmand » (appliqué, par métonymie, à ce qui se
mange plutôt qu’à celui qui mange), « léger » (pardon, « light » !), « nouveau »
(parce que « tout nouveau, tout beau » !), « génial » (concession au vocabulaire
des ados et « adulescents »), « glamour » (anglicisme où chacun met ce qu’il
veut ‒ cf. 83) sans oublier « magique » (un sésame pour le rêve) et quelques
autres.
Pas une brioche ni un gâteau au chocolat, pas un camembert ni un fromage
de chèvre, pas un steak haché ni une tranche de jambon blanc qui ne soit
réputé mouélleux plutôt que moualleux, prononciation correcte de l’adjectif
« moelleux » (sans tréma sur le « e » !) parce qu’il paraît que l’on prononce
mouélleux dans les chaumières, les gens de chez nous vivant toujours, comme
chacun sait, sous l’Ancien Régime, à l’époque où le roué disouait : « L’État, c’est
moué ! »


« Moelleux » se prononce « moualleux » et non « mouélleux ».
Cette faute de prononciation est, comme tant d’autres, volontairement reprise et
véhiculée par la publicité.

La publicité maltraite la langue française, impunément et par pure démagogie.


TESTEZ-VOUS !


1. Classez les mots en « -ite » selon leur genre.
anthracite, barnabite, cénobite, élite, orbite, termite

2. Pourquoi l’expression « secousse sismique » est-elle un pléonasme ?

3. Par quels adjectifs peut-on remplacer « sismique » pour que le
pléonasme soit évité ?

4. Corrigez, le cas échéant.
a) Pour bien réussir cette épreuve, il faut être conscient des difficultés
qu’engendrent chacune de ses étapes.
b) Quelques rares vacanciers, sur la plage allongée, profitaient des derniers
rayons du soleil.
c) Tout un aréopage de chimistes participait au congrès.

5. Citez quatre noms commençant par le préfixe « aéro- ».

6. Par quelle expression peut-on remplacer l’anglicisme « vintage » dans
la phrase suivante ?
Ce chandelier en bronze est tout à fait vintage.

7. Remplacez « avoir vocation à » par des formulations plus simples et
plus pertinentes.
a) Le plombier polonais n’a-t-il pas vocation à travailler en France ?
b) Les admis au baccalauréat ont vocation à s’inscrire en faculté.
c) Un député des Alpes-Maritimes n’a évidemment pas vocation à
représenter les habitants de Loire-Atlantique.
d) Ces chouquettes n’ont pas vocation à être mangées séance tenante.
78

MADAME LA MINISTRE ou
MADAME LE MINISTRE ?

FÉMININ OU MASCULIN ?



Madame le Ministre*,
Lors de votre récente intervention à l’Assemblée nationale, vous avez repris le président qui vous
annonçait d’un « Madame le Ministre », en rectifiant d’un péremptoire « Madame la Ministre ». Monsieur
le président avait raison. Vous aviez tort. Dans notre langue française, « ministre » est du genre masculin,
comme « professeur », « auteur », « proviseur », « procureur », etc. Vouloir féminiser ces noms (surtout en
ajoutant un abominable « e » à la fin des quatre derniers exemples) me semble relever d’un faux combat.
Le genre grammatical n’indique en rien une catégorisation sexuelle : « fourchette » et « cuillère » ne sont
pas dotés d’attributs sexuels féminins, pas plus que « couteau » n’est investi d’une quelconque virilité. Le
soleil n’est pas plus mâle que la lune n’est femelle. Cette féminisation abusive des titres et des fonctions
serait à la rigueur acceptable si elle ne risquait d’entraîner une confusion.
Exemple : en voulant signifier d’une femme ministre qu’elle est, de tout le
gouvernement, le membre le plus méritant, le plus efficace, le plus couronné de succès, que direz-
vous ?
« Madame X est la meilleure ministre du gouvernement » ? Non, car cela signifierait :
« De toutes les femmes membres du gouvernement, elle est la meilleure. »
L’excellence absolue impose que l’on dise : « Madame X est le meilleur ministre du gouvernement » et l’on
comprendra alors : « Elle est le meilleur ministre, femmes et hommes confondus. »
Vouloir porter le combat pour le droit des femmes sur le terrain linguistique
est une fausse piste qui risque d’obérer les vraies. Les enjeux sont ailleurs et je
ne pense pas que les mentalités évolueront sur la base de considérations
grammaticales erronées**.
Bien respectueusement,
J.M.


Cette lettre rappelle une célèbre controverse : le genre grammatical
indique-t-il une appartenance sexuelle ? La réponse est clairement « non » et
elle correspond à ce que préconise l’Académie française : « en ce qui concerne
les titres, les grades et les fonctions, au nom de la neutralité institutionnelle
et juridique qui leur est attachée, l’Académie française recommande d’éviter,
dans tous les cas non consacrés par l’usage, les termes du genre dit «féminin»
et de préférer les dénominations de genre non marqué », qui se confond,
grammaticalement avec le genre masculin. Ce genre « non marqué » fait office
de neutre qui, en français n’existe pas de façon spécifique. On se rappelle
l’incident qui s’est produit à l’Assemblée nationale en juillet 2014 : le député
UMP, Julien Aubert, fut lourdement sanctionné pour s’être adressé à Sandrine
Mazetier en disant « Madame le président » ; 1 378 euros en moins sur son
indemnité parlementaire ! La prétendue présidente de séance ‒ par intérim ‒
s’appuyait sur une circulaire de Laurent Fabius datée du 11 mars 1986.
De l’Académie ou de l’Assemblée, qui suivre ? Pour ma part, je choisis
l’expert.

* Il s’agit de Madame Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes et porte-parole du
gouvernement. La missive est restée… lettre morte.
** D’où l’ineptie et l’incongruité de l’écriture dite « inclusive » (voir annexe).




En français, le genre grammatical dit « masculin » est non marqué : il remplit aussi
l’office du genre « neutre », inexistant en tant que tel**.
Il est plus académique de dire « Madame le ministre » ou « Madame le président ».
L’Académie française s’est opposée en cela à l’Assemblée nationale.
79

TÉLÉCOMMANDER
À DISTANCE

PLÉONASMES



Tel site propose une « télécommande à distance pour téléphone fixe », tel
autre vend une « télécommande à distance sans fil pour détection incendie »,
sur un troisième, c’est un « interrupteur avec télécommande à distance » que
l’on trouve. Lemarin.fr titre ainsi un article publié le 1er septembre 2017 :
« Wärtsilä réussit la télécommande à distance d’un navire supply » et le 24
janvier 2016, dans le journal de France 2, un reportage sur les technologies
médicales de pointe compare un « robot chirurgien » à « une drôle de pieuvre
télécommandée à distance ».
Mettons les choses au point. Issu de grec télé, « loin », notre préfixe « télé- »
signifie à lui seul « à distance ». Ainsi « télévision », vision à distance,
« téléphonie », parole à distance, « télescope », observation à distance,
« télépathie », « télégramme », « téléphérique », etc.
L’apocope « télé » pour « télévision » a évidemment brouillé les cartes et on
a oublié le sens de ce préfixe, à moins qu’on ne l’ait jamais su, ce qui explique
ce pléonasme qui nous dit deux fois que tel objet est « commandé à distance ».
Les cartes sont encore plus brouillées par l’emploi de cette télé-là dans des
mots composés où elle ne peut pas être remplacée par « à distance » :
« téléthon » composé du premier élément de « télévision » et du second de
« marathon », « télé-crochet », « téléfilm », « télégénique », « téléreportage »,
etc.


Le préfixe « télé- » vient du grec signifiant « à distance ».


« Télécommandé à distance » est donc un pléonasme.

Dans plusieurs mots composés toutefois, « télé » est une apocope de « télévision »,
comme, par exemple, « téléfilm » ou « téléthon ».
80

PERSONNE

SOLÉCISMES



Voilà un mot d’une grande originalité comme notre langue sait en produire.
Il peut être un nom commun désignant un « individu de l’espèce humaine »,
« quelqu’un, homme ou femme ». Nul ne niera qu’il est alors du genre féminin :
UNE personne. Dans ce cas, pourquoi est-il repris, à tort, par un pronom
masculin ? Notre ex-Premier ministre nous en a fourni une belle illustration en
septembre 2015 dans Des Paroles et des actes (on passera sur la négation
incomplète !) :

« Ça concerne quelques centaines de personnes
qui sont pas tous au même régime. »

On trouve souvent cette faute, même à l’écrit :
« Le nombre de partenaires sexuels qu’une personne a
dans sa vie varierait en fonction du pays où il réside. »
(Glamour, article d’Ava Skoupsky, publié le 4 septembre
2017, [c’est moi qui souligne])

Autre étrangeté, légitime cette fois : « personne » peut aussi être un pronom
dont le sens est précisément l’opposé du sens attribué au nom féminin : si
celui-là évoque un représentant du genre humain, homme ou femme dont
l’identité est ou non indiquée, comme dans « Connaissez-vous cette
personne ? », celui-ci en désigne l’absence, l’inexistence, par exemple : « Ici, je
ne connais personne ! », ou encore : « J’ai cherché partout la personne dont
vous m’aviez parlé, mais à la gare, il n’y avait personne. » Autre exemple :
« Nous avons posé la question à tout le monde, à chaque personne, l’une après
l’autre, mais personne n’a su répondre. » « Personne », pronom indéfini, est aux
personnes ce que « rien », autre pronom indéfini, est aux objets.

Un seul et même mot dont les significations peuvent être contraires en
fonction du contexte : voilà qui est non seulement étonnant, mais aussi source
potentielle d’erreurs si la syntaxe n’est pas au rendez-vous, comme dans cette
déclaration de madame le maire de Paris le 27 septembre 2015, dans le 20 h de
France 2, au sujet de son désaccord avec la « ligne Macron » :

« C’est pas un secret pour personne ! »

Tel quel, le propos équivaut à « C’est un secret pour tout le monde ! » ou
« C’est un secret pour quelqu’un ! » « Personne » ayant ici son sens négatif, il
fallait supprimer une négation et dire :

« C’est un secret pour personne ! »
Dernier détail, « personne » vient du latin persona, « masque de l’acteur ».
Tout est dit !





Le nom commun « personne » est du genre féminin.
« Personne », pronom indéfini, peut être la négation de ce nom commun, comme il
l’est du nom « quelqu’un ».
Il peut y avoir là source de confusions si la syntaxe n’est pas maîtrisée.
81

NAGUÈRE JADIS

BARBARISMES



Jadis et Naguère est le titre d’un recueil que Verlaine publia en 1884. Il
contient des poèmes ‒ dont le célèbre Art poétique qui ouvrait la voie au
symbolisme ‒ écrits à diverses périodes, les unes lointaines, les autres
récentes, en accord avec le titre, car, contrairement à ce que certains pensent,
les deux adverbes ne sont pas synonymes et ne renvoient pas tous les deux à
un lointain passé.

« Naguère », il est vrai, appartient à un vocabulaire littéraire, à un style
soutenu plus utilisé à l’écrit qu’à l’oral et c’est dommage, car ce petit mot de
deux syllabes est une forme abrégée de la phrase « il n’y a guère », entendons
« il n’y a guère de temps ». « Naguère » nous situe donc dans un passé récent et
n’est pas synonyme d’« autrefois »

Parce que « jadis », autre dissyllabe, est souvent associé à « naguère », les
significations sont régulièrement confondues, méprise dont Verlaine ne saurait
être tenu pour responsable. Comme « naguère », « jadis » est une abréviation,
mais elle est moins directement compréhensible, car la phrase initiale est en
ancien français : « ja a dis » signifie « (il y a) déjà des jours », c’est-à-dire « il y a
longtemps ». La présence de « déjà » dans la composition de « jadis » apporte
une touche de nostalgie, de regret, voire de remords, l’action passée étant mise
en perspective par rapport à maintenant. La terminaison « -dis » partage la
même origine que la finale « -di » des jours de la semaine : le latin diem, « jour ».

Dans quelque temps, certains pourront dire : « Jadis, je confondais
“naguère” et “jadis”, mais naguère, j’ai appris à les différencier. » N’hésitons pas
à (ré-)utiliser ces adverbes. Bien que courts, ils en disent long, et s’ils manquent
de précision, ils ne sont pas dénués de poésie.



« Naguère » et « jadis », quoique souvent associés, n’ont pas le même sens.

« Naguère » signifie « il n’y a guère ».


« Jadis » renvoie à une époque plus lointaine.
82

DÉCADE

ANGLICISMES



« Le Breton va enchaîner dans la décade
à suivre plus de 10 traversées de l’océan Atlantique
en course et participer à 6 reprises à la plus exigeante
des épreuves en solo, la Solitaire du Figaro entre France,
Espagne, Irlande et Angleterre. »
(adonnante.com, communiqué de presse
du 6 septembre 2017)

Le Breton en question, c’est Éric Peron ; ce navigateur est vraiment très
fort. Autant d’exploits en dix jours seulement, voilà qui est digne d’Hercule ou
de Superman ! Car c’est bien de dix jours que se compose une « décade »,
contrairement à l’anglais pour lequel a decade représente dix ans… Non, ne me
dites pas que le traducteur serait tombé dans le panneau ! S’il est coupable, il
peut toutefois bénéficier de circonstances atténuantes, car cette acception
apparaît bien dans l’histoire du mot « décade », histoire plutôt chaotique !
Le bas latin decas, decadem, dont notre nom est issu, avait plusieurs sens :
« dix », « dizaine », « espace de dix ans ». En outre, il est associé à l’« Histoire
romaine », Ab Urbe condita libri de Tite-Live : cette œuvre monumentale se
compose de 142 livres regroupés par dizaines ; chacune de ces subdivisions
reçoit le nom de « décade ».
La période de dix jours que le Français nomme « décade » prit en 1793 un
caractère administratif officiel : elle fit l’objet d’une disposition adoptée par un
comité révolutionnaire comprenant le député Romme, le peintre David et les
poètes Fabre d’Églantine et André Chénier ; le calendrier révolutionnaire
imaginé par cette commission comprenait douze mois (de Germinal à Ventôse)
subdivisés en « décades », périodes de dix jours remplaçant les semaines :
primdi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi, décadi. On
parle de « décade révolutionnaire » ou « républicaine ».
La période de dix ans que l’Anglais associe à decade et que le Français
désigne, lui, par le mot « décennie » est l’une des acceptions de l’étymon17 bas
latin. Randle Cotgrave la reprend en 1611 dans A Dictionarie of the French and
English Tongues et elle est toujours de mise. En français, elle résulte d’une
influence de l’anglais et ne représente donc qu’un anglicisme.

En français, une décade est une période de dix jours.
En anglais, a decade est une période de dix ans correspondant à notre « décennie ».
En français, l’équivalence décade / dix ans est la conséquence d’un anglicisme.
83

PROFITER

TOURNURES EXASPÉRANTES



L’usage s’en fait de plus en plus fréquent et cette répétition devient
insupportable ; il ne s’agit pas du verbe lui-même qui est évidemment correct,
mais de la construction intransitive dans laquelle on l’emploie. Elle se répand à
tel point que certains dictionnaires ne manqueront pas de la mentionner dans
une future édition. On rencontre d’ailleurs un signe qui ne trompe pas, son
emploi dans la publicité : il est vrai que, par démagogie, les publicitaires
intègrent systématiquement dans leurs productions les nouvelles façons de
s’exprimer, quelque impropres qu’elles soient. Dans une récente publicité
Toyota, le récitant déclare, d’une voix sérieuse :

« Nous sommes en ville, nous sommes
à la campagne, nous travaillons, nous profitons,
nous sommes déjà plus de dix millions. »

Et ce « nous profitons », lancé dans l’absolu sur un ton ferme, coïncide avec
l’image d’un homme en train de plonger dans un lac. Il est clair que pour le
publicitaire créateur de ce spot, « profiter » veut dire « se donner du bon
temps »… mais cette acception est impropre !
Un emploi intransitif de « profiter » existait bien jadis : on disait d’un
nourrisson ou d’un jeune enfant qu’il « profitait » quand il se fortifiait ; une
superstition prétendait même qu’un hoquet persistant était signe qu’un bébé
« profitait ». Mais à part cette acception familière et quelques rares exemples
littéraires et vieillis où « profiter » signifie « faire des bénéfices », notre verbe ne
connaît que des emplois en transitivité indirecte :
‒ « profiter de… », qui engendre la forme infinitive « en profiter » et les
formes impératives « profites-en », « profitons-en » et « profitez-en » ;
‒ « profiter à quelqu’un ».
Alors, quand vos amis vous salueront avant de partir en vacances, surtout ne
leur dites pas : « Profitez ! », mais « Profitez-en ! ». Dans les deux cas, on
comprendra que vous faites allusion à leurs vacances, mais, syntaxiquement
parlant, seule la deuxième construction sera correcte. Par la première, vous ne
pourriez que leur ordonner familièrement de prendre du poids en étant
éventuellement secoués par le hoquet !

L’emploi intransitif de « profiter » peut être littéraire, obsolète, familier ou tout
simplement incorrect.
« Profiter » ne peut qu’être utilisé de manière transitive indirecte : « profiter de » et
« profiter à ».

On ne dit pas « Profitez ! », mais « Profitez-en ! ».


84

VINGT-TEU-DEUX

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Si la langue française n’aime pas les hiatus, répugnant à faire se suivre deux
voyelles qu’elle s’empresse donc de séparer, le cas échéant, par un « t » ou un
« z » euphonique, il lui est également difficile d’enchaîner oralement certaines
consonnes. C’est notamment le cas des consonnes identiques ou de celles que
les linguistes ont baptisées « homorganes », c’est-à-dire sollicitant, pour leur
prononciation, les mêmes points d’articulation ou des points d’articulation
rapprochés.

Exemples de consonnes homorganes
[t] et [d] : il s’agit de deux occlusives dont le point d’articulation se situe,
précisément et sans que vous en soyez conscient, entre l’apex de la langue et
l’arrière des incisives supérieures (apico-dentales), l’une étant sonore (elle fait
intervenir les cordes vocales), l’autre, sourde.

Ainsi, dans « vingt-deux », nous avons la succession des deux consonnes en
question et dans « vingt-trois », ce sont les deux mêmes consonnes qui se
suivent. Qu’à cela ne tienne, la difficulté est improprement levée en intercalant
le son « teu » entre les consonnes incriminées :
« vingt-teu-deux » et « vingt-teu-trois ».

« Vingt-deux » a acquis une incontestable notoriété grâce à Fernand
Raynaud et son célèbre « vingt-teu-deux à Asnières » dont se souviennent les
plus âgés d’entre nous : il ne doit toutefois pas servir d’exemple phonétique.
En revanche, l’expression « 22, v’là les flics ! » nous offre un « vingt-deux »
exemplaire.
Notons que le problème ne se pose pas pour « vingt-quatre », « vingt-cinq »,
« vingt-six », « vingt-sept », « vingt-huit » et « vingt-neuf ». Quant à « vingt et un »,
il est étranger à l’affaire.
Toutefois, s’il est difficile de bien prononcer, tels quels, « vingt-deux » et
« vingt-trois », ce n’est pas impossible : insistons sur l’articulation du [t] et le pli
sera vite pris.
En tout cas, faites suivre ces « vingt-deux » et « vingt-trois » du mot
« degrés », exprimé ou sous-entendu, et vous aurez deux des petites bêtes
noires printanières ou estivales qui agacent les présentateurs météo.

Les consonnes dont la prononciation est très proche sont dites « homorganes ».
Il est difficile de les prononcer à la suite.
La tentation est donc grande de dire « vingt-teu-deux » et « vingt-teu-trois ».
TESTEZ-VOUS !


1. Pourquoi les noms de titres ou de fonctions comme « président » ou
« ministre » ne doivent-ils pas être féminisés ?

2. Que signifie le préfixe « télé- » ?

3. Citez cinq noms utilisant le préfixe « télé - » dans son sens
étymologique.

4. Quelle est l’étymologie du mot « personne » ?

5. Quel est le sens de l’adverbe « naguère » ?

6. « Jadis » et « naguère » sont-ils synonymes ?

7. Que veut dire « décade » en français ?

8. Que veut dire « decade » en anglais ?

9. Quel mot désigne, en français, une période de dix ans ?

10. Corrigez, si besoin.
a) Quand on est jeune, il faut savoir profiter !
b) Il a su profiter de ses séances d’entraînement.
c) À qui cette réforme profite-t-elle ?


85

ANTIDOTE

FÉMININ OU MASCULIN ?



« […] une antidote contre “la peur et le cynisme”. »
(ledauphine.com, article publié le 9 septembre 2017)

L’antidote en question est The Shape of Water, film de Guillermo del Toro,
réalisateur mexicain auquel on doit évidemment pardonner cette faute.
« Antidote » est en effet du genre masculin, ce qui peut étonner, car la
terminaison « -ote » concerne généralement des noms féminins : « tremblote,
anecdote, gargote, redingote, compote, litote, capote », etc. « Antidote » n’est
pourtant pas une exception : « despote, pote, azote, prote, vote, pilote », etc.
sont également masculins.

Dans « antidote », le second élément a la même origine que « dot » et
« dotation », le latin dotare, « doter » ; anti- signifie « contre ». « Antidote »,
c’est donc « ce que l’on donne contre », l’idée de poison étant sous-entendue.
Pour aider la mémoire, constatons qu’« antidote » est plus ou moins synonyme
de « remède », mot masculin, et aussi, très exactement, de « contrepoison »,
autre mot masculin. Dans La Mort de Crispe, drame de Tristan, le personnage
de Fauste exprime cette équivalence dans un quatrain redondant où le mot
« amour », au singulier, est, lui, féminin.

« C’est d’un monstre cruel qu’elle a reçu la vie
Mais parmi cet espoir, je crains avec raison
Que l’amour qu’elle a prise et qu’elle m’a ravie,
Lui serve d’antidote et de contre-poison. »
(Acte V, scène 1 - 1781)

Arbitraire du genre qui peut varier selon les époques !




Les noms se terminant par « -ote » peuvent être des deux genres.
« Antidote » est masculin, comme ses synonymes « remède » et « contrepoison ».

« Antidote » est masculin, comme le « poison » qu’il neutralise.


86

PROJET D’AVENIR

PLÉONASMES



J’en vois qui s’agitent ; j’en entends qui rouspètent :
« Mais enfin, il est tout à fait possible que des projets appartiennent au
passé, qu’ils se soient réalisés ou non ! On peut bien parler de “projets du
passé” ! “Projet d’avenir” n’est donc pas un pléonasme.
‒ Minute, papillon ! Si ces projets ont été réalisés, ce ne sont plus des
projets et s’ils ne l’ont pas été, de deux choses l’une : soit vous les avez
abandonnés et ils n’existent plus en tant que projets, soit vous avez décidé de
les conserver et ce sont, à nouveau, des projets dont la réalisation est, par
définition, à venir. »
Quelque chose à faire, un objectif à atteindre, une première ébauche à
développer, un plan à exécuter : ces idées sont inscrites dans le mot lui-même,
« projet » étant le déverbal de « projeter », littéralement, « jeter en avant »,
dont la transposition temporelle est « réaliser dans un avenir plus ou moins
proche ».

La messe est donc dite : « projet d’avenir » est bel et bien un pléonasme et
pourtant bien des exemples montrent que l’on ne s’en soucie guère :
‒ « Projets d’avenir » est le titre d’une rubrique conçue par la Fondation
BNP-Paribas relayée sur le site lemonde.fr ;
‒ La franchise Les Savants Fous nous présente, le 11 septembre 2017, un
nouveau franchisé ainsi que « l’accompagnement dont il bénéficie et ses
projets d’avenir » ;
‒ Lesechos.fr du 6 septembre 2017 nous annonce, dans un article de
Gabriel Grésillon, que « l’Union européenne est relancée et fait des projets
d’avenir » ;
‒ Dans l’édition du 11 septembre 2017 de 24heures.ch, Michela Bovolenta
déclare : « Travailler toujours plus n’est pas un projet d’avenir ni pour les
femmes, ni pour les travailleurs, ni pour les jeunes. » ;
‒ Ledauphine.com rapporte l’annonce de Laurent Wauquiez, président LR
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, selon laquelle « plus de 70 millions
d’euros [seront] consacrés au développement des projets d’avenir de
Valence. »

Ne soyons pas de ceux qui s’en moquent ou qui n’en ont pas pris conscience
et quand nous faisons des projets, faisons-les tout simplement, sans ajouter
« d’avenir ».


Étymologiquement parlant, le verbe « projeter » signifie « jeter devant ».
D’un point de vue temporel, l’idée d’avenir est donc bien comprise dans le nom
« projet ».

L’expression « projet d’avenir » est donc un pléonasme.


87

LEQUEL

SOLÉCISMES



Un petit voyage en Crête, ça vous dit ?
L’île aux 35 millions d’oliviers, la plus grande des îles grecques, la Candie
antique, le décor idyllique des amours de Zeus et Europe, de celles de Minos
et de Pasiphaé, du Labyrinthe et du Minotaure, la civilisation minoenne,
Héraklion… la Crête est une île enchanteresse, mais elle eut aussi, dans
l’Antiquité, mauvaise réputation. Les Crétois, pourtant chaleureux, ouverts et
accueillants, étaient alors accusés d’être fourbes, menteurs et querelleurs, se
livrant mutuellement d’incessantes guerres intestines, mais sachant se réunir
contre un ennemi commun. Cette union des Crétois se nommait en grec
sugkrêtismós, ce qui a donné « syncrétisme », mot d’abord employé pour
désigner la synthèse de diverses doctrines philosophiques (platonisme,
aristotélisme et stoïcisme), puis le mélange de pratiques religieuses ainsi que le
rapprochement et la synthèse de différents cultes et enfin, la fusion de
pensées disparates apparemment inconciliables.
En linguistique, on parle aussi de syncrétisme lorsque plusieurs éléments
grammaticaux sont fusionnés en un seul.
Tel est le cas des pronoms relatifs composés que bien des beaux parleurs
médiatiques semblent ne plus connaître, au point d’utiliser « lequel » comme
unique suppléant.

Quelques exemples :
« L’Europe à 28, c’est une zone d’échanges
économiques […] dans lequel on essaie d’avoir
des partenaires privilégiés avec lesquels
on fait des échanges. »
(Laurent Wauquiez sur France 2, dans l’émission
Mots croisés du 5 mai 2014)

« On en oublie la direction dans lequel
on veut emmener des gens. »
(Michel Bettan, vice-président et responsable
de l’expertise PR Corporate, sur France 2 dans l’émission Ce Soir ou jamais du
11 avril 2014)

« Y a plusieurs leviers sur lequel il faut agir. »
(Nadine Morano, invitée du 12/13 de France 3,
le 24 janvier 2016)

Édifiant, non ?
Un petit tableau pour raviver la mémoire pourrait donc ne pas être inutile.

Masculin singulier Féminin singulier Masculin pluriel Féminin pluriel
Sans préposition lequel laquelle lesquels lesquelles

Combiné avec la préposition « à » auquel à laquelle auxquels auxquelles

Combiné avec la préposition « de » duquel de laquelle desquels desquelles





Dans bien des discours les pronoms relatifs composés sont incorrectement utilisés.

La tendance (inconsciente) est d’utiliser « lequel » à la place de tous les autres.


Il s’agit là d’un syncrétisme illégitime.
88

COURRIER # LETTRE

BARBARISMES


« Le contenu de ce courrier de notification diffère
selon que le licenciement est prononcé […]. »
(editions-tissot.fr, article publié le 12 septembre 2017)

« Plusieurs marginaux de Mons, principalement
des SDF, ont reçu un courrier de la municipalité. »
(Article de Morad Belkadi, publié le 5 septembre 2017
dans La Voix du Nord)

Ces deux récents exemples en sont une nouvelle preuve : le pli (si j’ose dire)
est désormais pris, on emploie le mot « courrier » en lieu et place du mot
« lettre ». Des formules telles que « En réponse à votre courrier du… »,
« J’accuse réception de votre courrier », « Votre courrier a retenu toute notre
attention » semblent désormais consacrées par l’usage. Pourtant, « courrier » et
« lettre » ne sont pas synonymes et ne l’ont jamais été, n’en déplaise à ceux qui
pensent, bien à tort, que « courrier » fait plus chic, plus classe, que « lettre ».
Qu’ils prennent donc le temps d’ouvrir n’importe quel dictionnaire ; ils
constateront que les divers sens du mot « courrier » peuvent se regrouper en
quatre acceptions où il n’est nullement question de lettre ou missive :
1°. Messager (estafette, porteur de dépêches) ;
2°. Voiture, avion, bateau (autrefois diligence, malle-poste) assurant le
transport des lettres, dépêches et journaux (cf. L’affaire du courrier de Lyon) ;
3°. Titre de certains journaux ‒ Le Courrier de l’Ouest, Le Courrier picard,
Le Courrier républicain - ou de rubriques journalistiques ‒ Courrier des
lecteurs, courrier du cœur, etc.
4°. Ensemble de la correspondance (lettres, colis et imprimés) reçue ou
envoyée par une personne ou une société.
Ce dernier sens est le plus courant.
La marquise de Sévigné et la comtesse de Grignan ne se sont pas échangé
des courriers, mais bien des lettres et Beethoven n’a pas composé de
« Courrier à Élise ».
Que le contexte soit administratif ne justifie pas davantage l’emploi du mot
« courrier ».
Pour toutes ces raisons, le courriel ne doit aussi désigner que l’ensemble
des méls que vous avez reçus dans votre « boîte électronique ».

Les mots « courrier » et « lettre » ne sont pas synonymes.
« Courrier » désigne généralement tout ce que le facteur dépose dans votre boîte à
lettres.

Même à son percepteur, on envoie une lettre, pas un courrier.


89

CHALLENGE

ANGLICISMES



Du rugby au cyclisme, en passant par la pétanque, la marche, la
photographie et les voitures anciennes, on ne compte plus les challenges qui
sont organisés un peu partout en France. De tels challenges où un titre associé
à un trophée telle une coupe est remis en jeu à chaque édition, généralement
annuelle, sont dans la fidèle descendance de la Challenge Cup qui nous est
venue (ou plutôt revenue) au XIXe siècle, avec le mot et sa nouvelle signification
sportive, de chez nos voisins britanniques. Pourtant, à l’origine du mot, il était
question d’accusation et l’on en fait maintenant un synonyme de « défi » !
Une petite explication ne serait peut-être pas superflue.
Dérivés du latin calumniari, « accuser faussement, être chicanier », deux
verbes sont apparus en français : « calomnier », toujours en usage et calengier,
« accuser faussement ». De ce dernier sont issues les formes calenge, calunge,
chalonge et enfin chalenge dont le premier sens fut « accusation (fausse) », un
« chalengement » étant une « provocation », une « dispute ». De l’idée
d’« accusation », le sens a glissé, au XIIe siècle, vers celle de « défi », accuser
quelqu’un revenant à lui lancer le défi de comparaître en justice.
Au début du XIVe siècle, les Britanniques nous empruntent le mot. Outre-
Manche, « challenge » va perdre ses connotations judiciaires et revêtir, au
e
XIX siècle, ses acceptions sportives. De nos jours, « challenge » est de retour en
français avec un sens qui s’est généralisé à tous les domaines, plus
particulièrement celui de l’économie : il désigne toute entreprise que l’on veut
absolument réussir quelque difficile qu’elle soit. Le mot « défi » est donc bien
synonyme, mais il est dédaigné par les snobs et tous ceux qui les imitent ; ils lui
préfèrent « challenge » qu’ils s’évertuent à prononcer « tchalén-dge », à
l’anglaise, ignorant que ce mot est d’origine française.
Le nom dérivé, « challenger », est aussi un anglicisme, d’abord utilisé dans le
monde de la boxe avant de concerner tous les sports ainsi que les jeux,
concours et compétitions, éventuellement télévisés, où il désigne celui qui
brigue le titre et que l’on pourrait tout aussi bien qualifier, selon les cas, de
« compétiteur », d’« adversaire », de « concurrent » ou de « rival », autant de
mots français parfaitement adaptés. Et si l’on décidait de ne plus employer
d’anglicismes « lexicophages » : voilà un beau défi, digne d’être relevé, un vrai
challenge en somme !


« Challenge » est un vieux mot français qui voulait dire « (fausse) accusation ».
Au XIVe siècle, il a été emprunté par les Anglais qui lui ont donné son acception
sportive.

Il nous est revenu au XIXe siècle avec une signification élargie. « Défi » est synonyme.
90

EN MODE

TOURNURES EXASPÉRANTES



« Mélenchon candidat s’est mis en mode séduction. »
(C politique, France 5, reportage diffusé le 13 mars 2016)

Cette locution est une traduction littérale de l’anglais in mode, formule
empruntée au lexique de la technologie dont les progrès permettent aux
téléviseurs de passer du mode analogique au mode numérique, aux appareils
photographiques, du mode manuel au mode automatique, aux ordinateurs de
démarrer en mode sans échec, à votre lave-vaisselle de fonctionner en mode
économique, etc. On remarquera que dans son utilisation « conventionnelle »,
« en mode » est le plus souvent suivie d’un adjectif. Pourtant, un rappeur
baptisé Rohff écrivit en 2005 un texte déconcertant où il multiplie l’expression
en la faisant suivre d’un nom commun, voire de toute une proposition ; on me
dit que ce petit chef-d’œuvre de poésie lyrique aurait banalisé la locution « en
mode » intégrée à cette structure syntaxique originale et, somme toute,
pratique. Mais, trop banalisée et trop pratique, elle a perdu de son originalité ;
on l’entend à tout bout de champ : ici, c’est un patron épuisé qui se met « en
mode vacances », là, une fillette qui s’habille et joue « en mode princesse »,
ailleurs, un élève de terminale qui s’est enfin mis « en mode réussite » ou ce
slogan pour une nouvelle voiture : « Passez en mode fun ! » Fleurissent aussi
des exemples qui ne manquent pas de sel, comme cette candidate d’un
concours de chant qui se livre à des « envolées lyriques, en mode “Cercle des
poètes disparus” » où cette jeune actrice que l’on retrouve « en mode “Alerte à
Malibu” ». Comprenne qui pourra ! Cet « en mode » est tellement à la mode
que les journalistes « branchés » n’hésitent pas à lui sacrifier le sens même de
leur phrase, et qui dit « branché » dit « anglicismes » ! Cela donne des titres
énigmatiques. Que signifie, par exemple, cette manchette, parue le 12
septembre 201٧ sur fan2.fr :

« […] toutes ces stars en mode BOOBS OUT
avec un crop top »

Et le massacre continue dès les premières lignes de l’article :



« Selena Gomez queen du style, elle ose la robe
transparente sur red carpet. »

La « journaliste » qui commet de tels papiers est non seulement incomprise
d’un bon nombre de ses lecteurs, mais elle contrevient en outre à l’article 2 de
notre Constitution selon lequel « La langue de la République est le français. »
Cet « en mode » semble engendrer bien des impropriétés, la forme
prévalant souvent sur le fond. Elle est en tout cas une solution de facilité qui
nous évite de chercher une forme d’expression mieux adaptée. Laissons donc
cette locution de côté au profit d’un simple nom (en mode vacances = en
pause, au repos, en dilettante), d’une conjonction (en mode princesse = comme
une princesse), d’une tournure verbale (en mode réussite = à travailler pour
réussir), d’une proposition plus explicite (s’est mis en mode séduction = joue les
séducteurs / donne dans la séduction).





« En mode » est une formule venue de l’anglais « in mode ».
D’originale et pratique, elle est devenue exaspérante et d’un emploi anarchique.
Elle peut toujours être remplacée par des formes diverses et plus idiomatiques.
91

PASQUE

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



La langue parlée donne lieu à des approximations parfois lexicales, souvent
phonétiques, plus rarement grammaticales. Bien fol qui voudrait l’empêcher !
Le manque de temps et la frénésie quasi permanente qu’il engendre, conjugué
avec une incontestable paresse linguistique, nous incitent à aller au plus court,
à accepter l’élocution médiocre de façon plus ou moins consciente, d’où
l’abondance des formes raccourcies comme « y a » (il y a), « que y a » (qu’il y a),
« c’que j’veux dire » (ce que je veux dire), « c’qui s’passe » (ce qu’il se passe), « i
z ont » (ils ont), « c’qu’y faut » (ce qu’il faut), « y a pas d’raison » (il n’y a pas de
raison »), etc.
Cette façon de s’exprimer est pardonnable dans le cas de conversations
banales, à bâtons rompus, où l’on évoque, la pluie, le beau temps et l’état de
santé du cousin Raymond. Elle l’est moins quand il s’agit d’interviews ou de
débats, politiques notamment, à la radio ou à la télévision. On se demande
même parfois si certains débatteurs n’y ont pas recours volontairement, par
démagogie, pour faire « peuple ».
« Pasque » fait partie de ces approximations. Une syllabe gagnée sur la
forme correcte, « parce que », c’est toujours mieux que rien, me direz-vous.
Certes, mais alors, si « parce que » introduit une cause, une justification,
pourquoi ne pas utiliser la conjonction de subordination « puisque »,
authentique dissyllabe qui peut remplir la même fonction, à quelques nuances
près (notions d’évidence et de fatalité liées à « puisque » alors que « parce
que » est plus neutre).
« Je vous offre ce bijou puisque (= parce que) vous le
valez bien. »
Mieux ! Puisqu’il est question d’économiser les syllabes, la conjonction de
coordination « car », monosyllabique et parfaitement équivalente, s’avère
encore plus avantageuse :
« Je vous offre ce bijou, car (= parce que) vous le valez
bien. »
Toutefois, seul « parce que » répond à la question « pourquoi ? », ce que ne
font ni « puisque » ni « car ». En outre, étant une conjonction de coordination,
« car » ne peut pas être placée en tête de phrase.
Il y a donc plusieurs cas où l’emploi de « parce que » est inévitable : prenons
alors le temps et le soin de bien le dire, [paʀs(ə)kə], même si le [R] qui précède
le phonème [sə] n’est pas facilement prononçable ; il ne l’est ni plus ni moins
que dans « lorsque ».


La langue parlée implique des simplifications phonétiques.
La transformation de « parce que » en « pasque » en est un exemple. Pourtant, si la
prononciation du phonème [RS (ə)] est difficile, elle n’est pas impossible.

On peut aussi, dans certains cas, remplacer « parce que » par « puisque » ou « car ».
TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez, si nécessaire.
a) La lecture peut être une antidote efficace contre le manque de culture.
b) Je ne remets pas en question les arguments que vous développez dans
votre dernier courrier.

2. Pouvez-vous donner un synonyme d’« antidote » ?

3. Pourquoi l’expression « projet d’avenir » est-elle un pléonasme ?

4. Citez trois noms pouvant se substituer à l’anglicisme « challenger ».

5. Par quel mot français pouvez-vous remplacer l’anglicisme
« challenge » ?

6. Complétez les phrases en ajoutant le pronom relatif adéquat.
a) On va vous sortir du pétrin dans … vous vous êtes mis.
b) Les causes pour … Don Quichotte se bat sont toujours nobles.
c) Au musée Rodin, j’ai pu voir les sculptures … vous faites allusion.
d) Entre le 27 novembre et le 3 décembre se situe, selon les années, le jour
à partir … les enfants peuvent commencer à ouvrir leur calendrier de l’avent.

92

ÉCHAPPATOIRE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Parlant des créateurs de mode latino-américains, un designer affirme :
« Nous sommes un échappatoire face
à ce qui se passe dans le monde. »
(Fashion week in SFR News, 14 septembre 2017)

Un représentant de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme prétend
que si l’armée syrienne réussit à encercler Daech de trois côtés,
« Daech aura l’Euphrate pour seul échappatoire. »
(Le Point, 13 septembre 2017)

Dans les deux cas, il y a erreur… d’un point de vue grammatical car si ses
synonymes « faux-fuyant », « subterfuge », « prétexte », sont masculins,
« échappatoire » est du genre féminin comme ses autres synonymes, « excuse »
et « dérobade » : UNE échappatoire. Dans la longue liste des noms communs
se terminant par « -toire », « échappatoire » fait figure d’exception, avec
« histoire », « préhistoire », « trajectoire » et « victoire » ; tous les autres, en
effet, sont masculins : « auditoire », « conservatoire », « consistoire »,
« directoire », « écritoire », « exutoire », « génitoire », « laboratoire »,
« moratoire », « observatoire », « offertoire », « oratoire », prétoire »,
« promontoire », « purgatoire », « réfectoire », « répertoire », « réquisitoire »,
« suppositoire », « territoire » et « vomitoire ». Vingt et un contre cinq ; les uns
masculins, les autres féminins : il est normal que les autres subissent l’influence
des uns.

Une petite aide mnémotechnique ?
7 sur 20 en histoire ! et vous partiez de 6 : la belle trajectoire ! Pas de quoi
crier victoire. Quoi ? Vous préférez la préhistoire ! N’espérez pas vous en tirer
avec une telle échappatoire !




« Échappatoire » est féminin.

Comme ses synonymes « excuse » et « dérobade ».


Comme « histoire », « trajectoire » et « victoire ».
93

SE SUCCÉDER les un(e)s


APRÈS les autres

PLÉONASMES



« Des tempêtes se sont succédé
les unes après les autres. »

Un présentateur météo du 19/20 de France 3 faisait ainsi allusion le 4
novembre 2014 aux nombreuses tempêtes qui se sont effectivement succédé
au cours de l’hiver 2013-2014 : Xaver, Dirk, Petra, Qmeira, Ruth, Ulla, Christine,
etc. semblent toutefois avoir perdu de leur superbe depuis que les terribles
ouragans, dont la sinistre Irma, ont ravagé les Antilles en septembre 2017. Irma,
José, Maria se sont aussi succédé… mais est-il nécessaire de préciser « les uns
après les autres » ?
Avant de répondre, réglons la question du pluriel dans « les un(e)s après les
autres ». Est-il possible que des tempêtes se produisent au même endroit en
même temps ? Pas besoin d’être expert en météorologie pour répondre
« non » sans hésiter. Pour être cohérent, il faut donc dire « l’une après l’autre »
ou « l’un après l’autre » dans le cas des ouragans.
Revenons à cette notion de succession. Comment les dictionnaires
définissent-ils le verbe pronominal « se succéder » ?
Pour Robert, « Se passer, se produire, arriver, venir l’un après l’autre (en
parlant de phénomènes, d’événements distincts) ».
Pour Larousse, « Être à la suite l’un de l’autre. »
Il est donc évident que le présentateur météo s’est rendu coupable d’un
pléonasme ! Il ne sera évidemment pas châtié, mais il gagne le droit de recevoir
un conseil : « Réfléchissez avant de parler. Dans votre louable volonté d’être
précis, veillez à ce que la précision ne soit pas un pléonasme. »

N.B. Dans la formule « se sont succédé », « succédé », participe passé, ne s’accorde pas : avec les formes
pronominales, l’auxiliaire « être » équivaut à l’auxiliaire « avoir ». On peut en effet dire « une tempête a
succédé à une autre tempête ». Le verbe « succéder à » implique un complément d’objet indirect.
L’accord est donc impossible.



« Se succéder » signifie « venir l’un après l’autre ».
« Se succéder l’un après l’autre » est donc un pléonasme.
Le désir d’être précis entraîne souvent le recours à des tournures pléonastiques. Il faut
en être conscient.
94

SE RAPPELER DE
QUELQUE CHOSE

SOLÉCISMES



Dans le cadre d’un dossier sur le sommeil, publié le 17 septembre 2017 dans
La Tribune de Genève, une scientifique déclare :

« Les personnes motivées vont mieux
se rappeler de leurs rêves. »

L’entraîneur d’une équipe de football fait allusion aux circonstances d’une
cuisante défaite et délivre ce sage conseil :

« Il faudra se rappeler de cela pour
ne pas commettre les mêmes erreurs. »
(La Voix du Nord, le 15 septembre 2017)

La scientifique et l’entraîneur commettent cette faute de syntaxe, comme
bon nombre de nos concitoyens : il se pourrait bien qu’ils confondent
(normalement : « confondissent ») « se rappeler » avec « se souvenir de ».
« On se rappelle quelque chose », mais « on se souvient de quelque
chose » ; autrement dit, « se rappeler » est transitif direct alors que « se
souvenir de » est transitif indirect. Les constructions qui en découlent sont
donc bien différentes. Comparez :

De quoi vous souvenez-vous ? Que vous rappelez-vous ?
Je me souviens de mon enfance à Pau. Je me rappelle mon enfance à Pau.
C’est ce dont je me souviens. C’est ce que je me rappelle.
Je m’en souviens. Je me le rappelle.



Ne pas confondre « se rappeler » et « se souvenir de ».

« Se rappeler » est transitif direct, « se souvenir de », transitif indirect.


Cette différence de transitivité entraîne des différences de syntaxe.
95

RÉNUMÉRER
Rénumération

BARBARISMES



« L’œuvre d’Hyppolite est assez fascinante en elle-
même pour intéresser des écrivains consciencieux, sans
qu’il soit besoin de les rénumérer. »
(École et Tiers-monde in Le Courrier, 1985, p. 59)

« Contractuel et rénumération »
(Titre d’un article de Sophie Soykurt,
publié le 31 mars 2015 dans La Gazette des communes)

Affirmons-le d’emblée, haut et fort et une bonne fois pour toutes : le verbe
« rénumérer » et le substantif « rénumération » n’existent pas ! Ils se glissent
pourtant dans les articles de presse aussi bien que dans les conversations
lorsqu’il est question de revenus et de salaires, car on les confond avec
« rémunérer » et « rémunération ».
« Rémunérer » signifie « payer pour un travail fourni ou un service rendu », la
« rémunération » désignant la somme correspondante, le salaire. Le verbe vient
du latin remunerare, «récompenser, offrir un présent en retour », formé du
préfixe re- et munerare, « gratifier », munus, muneris voulant dire « cadeau ».
La confusion s’explique aisément. Elle résulte d’une métathèse, plus
précisément de l’inversion des consonnes « m » et « n ». Cette inversion est
facilitée par l’existence des mots « énumérer » et « énumération » dont le sens
est aussi en adéquation avec le contexte : « énumérer » signifie, en effet,
« énoncer un par un tous les éléments d’un ensemble ». On y reconnaît le latin
numerus, « nombre ».
Dire « rénumérer » pour « rémunérer et « rénumération » plutôt que
« rémunération » sont, si l’on ose l’oxymore, des « fautes intelligentes » liées à
un certain bon sens… mais ce sont bien des fautes, de vrais barbarismes.







« Rénumérer » et « rénumération » n’existent pas.

On doit dire « rémunérer » et « rémunération ».

La confusion résulte d’une métathèse aisément compréhensible.


96

MIX

ANGLICISMES



Au revoir, « mélange » ! Adieu, « combinaison » ! Bon vent, « assemblage » !
À la revoyure, « association » ! Salutations, « panachage » ! Bonjour, mix et
bonjour, tristesse…, car voilà un nouvel anglicisme lexicophage que l’on utilise
par mode, par snobisme, par panurgisme, par inadvertance, sans se rendre
compte que, non seulement, il n’était pas nécessaire, mais que, en plus, il va
mettre au rancart tous les mots français que l’on vient d’énumérer et qui,
pourtant, exprimaient plus de nuances, plus de subtilité. C’est ainsi ! Le lexique
anglo-américain, véhicule d’une paresse linguistique associée à la mondialisation
capitaliste galopante, envahit notre vénérable langue française, la phagocyte, et
c’est une tendance irrépressible.
Holà ! Qu’est-ce que cette parole défaitiste ? Si invasion il y a, mobilisons-
nous et résistons ! Si « mix » tend à s’imposer, comme tous les anglicismes
inutiles, c’est parce que nous le laissons faire. Il fut d’abord utilisé dans le
domaine technologique de l’audiovisuel (1922 pour l’image et douze ans plus
tard pour le son), où « mixage » était déjà en usage depuis 1934, et nous l’avons
aussi laissé entrer dans nos cuisines à la même époque (années 1930) avec le
« mixeur » que ni le « mélangeur » ni le « broyeur », officiellement
recommandés, n’ont pu repousser. Il a récemment fait une incursion dans le
monde de l’énergie et dans le cadre du « développement durable » ; il s’y est
imposé dans l’expression « mix énergétique » alors même que l’Académie
recommandait « bouquet énergétique ».
Si les anglicismes tueurs de mots français ont ainsi le vent en poupe, ne
sommes-nous pas responsables ? Ne pouvons-nous pas décider de ne pas les
employer ? Ne sommes-nous pas habilités, en tant que Français amoureux de
notre langue, à reprendre ceux de notre entourage qui en abusent ? D’autant
que « mix », comme deux tiers du lexique d’outre-Manche, vient du français, en
l’occurrence, de « mixte », emprunté au XVe siècle.

Alors, rebonjour, « mélange » ! Salut à toi, « combinaison » ! Bienvenue,
« assemblage » ! Ave, « panachage » ! etc.

« Mix » est un anglicisme qui tend à faire disparaître « mélange », « combinaison »,
« assemblage », etc.

C’est pourtant un mot dérivé du français « mixte ».


Nous pouvons décider de ne pas l’employer, comme tant d’autres anglicismes inutiles.
97

PAS D’SOUCI

TOURNURES EXASPÉRANTES



C’est devenu la réplique favorite, d’abord de tous ceux dont la fonction ou
le métier impose de plaire. Dans cette société de consommation où l’on a
développé la notion du « client roi », du « client [qui] a toujours raison », on
donne aux acheteurs l’illusion d’être d’importantes personnes, tandis que les
vendeurs se frottent les mains. On prône la relation de confiance entre
commerçants et clients, mais l’hypocrisie y tient une certaine place. Quelle que
soit la demande du client, la réponse du vendeur doit être rassurante : le
« non » est banni tout comme les adjectifs négatifs, « impossible », ses
synonymes et tous les congénères : que du positif ! Voilà un contexte propice à
la naissance de répliques toutes faites comme « Pas de problème ! », « Pas
d’inquiétude ! », « Aucun problème ! », « Tout va bien ! », « Tout est possible ! »
Pour encore plus de diversité, l’imagination fertile de l’homo consumericus a
récemment mis « Pas d’souci » en circulation. Cette trouvaille lexicale a
tellement plu qu’elle s’est invitée sans peine au bureau où elle se veut
rassurante, et finalement dans les conversations ordinaires de monsieur et
madame Toulemonde où elle agit comme une sorte de mantra guérisseur, un
antidote à la crise, un baume placebo formulé par Émile Coué. Utilisée à tout
bout de champ ‒ « tant tellement souvent », aurait dit Sol le clown ‒,
l’expression est devenue insupportable, employée machinalement dans de
multiples circonstances à la place de plusieurs autres réponses telles que :

‒ « Je suis d’accord » : « Pouvez-vous me prêter vingt euros ? ‒ Pas
d’souci ! »
‒ « Ne vous inquiétez pas ! » : « Mon mari a eu un comportement
désagréable ; j’en suis désolée. ‒ Pas d’souci ! »
‒ « Cela n’est pas grave ! » : « Je vous ai fait rater votre train ‒ Pas
d’souci ! »
‒ « C’est possible. Je peux le faire. » : « Il faudrait remplacer la cartouche
d’encre de l’imprimante. ‒ Pas d’souci ! »

On entend donc « Pas d’souci ! » à tout propos, en tous lieux, à toute heure,
de telle sorte que le mot « souci » y perd même assez souvent son véritable
sens de « préoccupation », d’« inquiétude ». Qui plus est, quand « souci » est
employé comme synonyme d’« inquiétude », on se demande lequel des deux
interlocuteurs doit ne pas s’inquiéter. Alors, mettons, sans scrupule, « pas
d’souci ! » au rebut !


L’expression « Pas d’souci ! » est utilisée comme une sorte de formule magique aux
effets bénéfiques.
Elle est une façon de nier les petits problèmes quotidiens.

Elle est surtout devenue insupportable et devrait être remplacée par des formules
diverses.
98

CEUX QUI CROIVENT



PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



J’aime ces trois vers tirés des Enragés de Prévert,
poème extrait du recueil Paroles :
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa

Pour certains de nos concitoyens,
et pas forcément les moins instruits, cela donnerait :
Ceux qui croivent
Ceux qui croivent croire
Ceux qui croavent-croavent


Évidemment, l’extrait perd de son intérêt, puisque le jeu phonétique avec
évocation symbolique et moqueuse de la croix est beaucoup moins expressif,
et pour ceux qui souhaiteraient donner un sens à ces trois lignes, ce serait… la
croix et la bannière.
Comment expliquer cette faute de prononciation, car, à n’en pas douter,
c’est bien le parler qui, en la matière, détermine l’écrit, plutôt que le contraire ?
C’est simplement qu’en toute bonne foi (si j’ose dire !), l’on calque la
conjugaison du verbe « croire » sur celle du verbe « boire ». Pourquoi, après
tout, seraient-ils conjugués différemment ? Ce sont deux monosyllabes ; ils se
terminent par « -oire » et appartiennent au troisième groupe. Au singulier du
présent de l’indicatif, ils se conjuguent de la même façon, mais au pluriel,
« boire » subit une flexion que ne subit pas « croire » : « -oi- » devient en effet
« -uv- » pour les deux premières personnes du pluriel et « -oiv- » pour la
troisième.

je crois je bois
tu crois tu bois
il croit il boit
nous croyons nous buvons
vous croyez vous buvez
ils croient ils boivent

L’étymologie, comme toujours, nous apporte son éclairage. « Croire » vient
du latin credere qui a donné en français du XIe siècle des formes telles que
credir et creire alors que bibere, étymon latin de « boire », a évolué en beivre
et boivre en français de la même époque. Le « v » de boivre a disparu de
l’infinitif et de la plupart des formes conjuguées, mais il a été conservé dans
quelques autres comme « buvons », « buvez » ou « boivent ».


Dire « croivent » pour « croient » est une faute de prononciation assez fréquente.
C’est en conjuguant « croire » comme on conjugue « boire » que l’on commet la faute.
L’étymologie explique pourquoi les deux verbes se conjuguent différemment.
TESTEZ-VOUS !


1. Citez quatre synonymes d’« échappatoire ».

2. Vous souvenez-vous des quatre autres mots se terminant par « -toire »
et qui, féminins comme « échappatoire », font figure d’exception ?

3. Citez au moins quatre noms qui permettent d’éviter mix, anglicisme
inutile.

4. Corrigez, le cas échéant.
a) « Un malheur n’arrive jamais seul », dit le proverbe. En effet, ils se
succèdent généralement l’un après l’autre.
b) J’ai bien du mal à me rappeler de mes récitations de l’école primaire.
c) Tout ce que je me souviens, c’est que nous faisions une dictée par jour.
d) Jean-Jacques a refusé ce poste d’ingénieur parce que la rénumération
était trop faible.

5. Par quelles formules variées peut-on remplacer l’insupportable « Pas
d’souci ! » ?

6. Comment peut-on expliquer cette forme impropre du verbe
« croire » que représente « ils croivent » ?

99

OBSÈQUES

FÉMININ OU MASCULIN ?



« Le matin du 1er septembre étaient célébrées
les obsèques de l’actrice [Mireille Darc], en présence
de nombreux anonymes venus lui rendre hommage. »
(Huffington Post, 1er septembre 2017)

« Célébrées » ou « célébrés », autrement dit, féminin pluriel ou masculin
pluriel ?

Précisons d’abord qu’« obsèques », comme son synonyme « funérailles, fait
partie de ces noms communs toujours au pluriel. Voici la liste des plus
courants :
alentours, arrhes, calendes (grecques), condoléances, confins, dépens, ébats,
entrailles, fiançailles, frais, funérailles, gens, honoraires, mœurs, obsèques,
pénates, sévices, ténèbres, thermes, us, vêpres, victuailles, vivres.

Monsieur de La Palisse ajouterait qu’ils n’ont pas de singulier (du moins dans
l’acception qui nous intéresse), qu’ils prennent toujours un « s » final, qu’ils
entraînent un accord pluriel pour les adjectifs qui les qualifient et pour les
verbes dont ils sont sujets.

Un exemple avec « ténèbres », extrait de Quatre-vingt-treize de Victor
Hugo :

« Elle aperçut […] un énorme édifice qui semblait bâti avec des ténèbres plus
noires que toutes les autres ténèbres qui l’entouraient. »

Revenons aux « obsèques » et à la question de leur genre. Une petite astuce
pour le retrouver facilement ? Pensons que le mot à une connotation officielle
par rapport au mot « enterrement », neutre et de moins en moins approprié
puisqu’il y est question d’inhumation (terre = humus). Des obsèques supposent
UNE cérémonie. Posons donc l’équivalence :
obsèques = cérémonie funèbre.

Tout comme « cérémonie (funèbre) » dont il partage la signification, le nom
« obsèques » est du genre féminin :

« Les obsèques de Jean d’Ormesson furent nationales,
pas celles de Johnny Halliday qui, elles, furent
populaires et très émouvantes. »


« Obsèques » fait partie des noms qui sont toujours pluriels.
« Obsèques » est surtout employé dans un contexte officiel et cérémonial.
Comme « cérémonie funèbre » qui lui est synonyme, « obsèques » est du genre féminin.
100

L’ENVIRONNEMENT
QUI L’ENTOURE

PLÉONASMES



Le 18 septembre 2017 sur BFMTV, Anthony Morel présente sa chronique
Culture Geek. Ce jour-là, elle est consacrée à une prouesse technique : à
Nantes, la construction d’une maison en trois jours grâce à l’impression 3D.
Commentaire d’Anthony Morel :

« On va pouvoir adapter la forme de la maison
à l’environnement qui l’entoure. »

Anthony Morel est tellement content de sa trouvaille qu’il la répète cinq
secondes après :

« À Nantes, on a pu adapter la forme de la maison
à l’environnement qui l’entoure. »

Et je me pose cette question cruciale : n’aurait-il pas été préférable
d’adapter la forme de la maison à l’entourage qui l’environne ?
Voilà un pléonasme qui sort de l’ordinaire : on croit que l’inventaire en est
clos, c’est sans compter avec l’imagination créatrice de nos beaux parleurs
médiatisés. Entre le « synchronisés en même temps » de M. Bugier, les
« rengaines que l’on entend souvent » de M. Le Foll » (à venir !),
l’« unanimement par tout le monde » d’un certain président et cet
« environnement qui l’entoure » de M. Morel, il n’y a aucune place pour le
doute : les bavards des ondes hertziennes sont d’extraordinaires pourvoyeurs
d’expressions pléonastiques. À croire qu’ils le font exprès ! Celle-ci toutefois
est une perle rare et ce n’est pas sans plaisir que j’ouvre le dictionnaire pour
vérifier la parfaite coïncidence :

« Environnement : ce qui entoure de tous côtés. » (Larousse)
« Entourer : former l’environnement, le cadre, le contexte. » (Larousse)

Banco !
Je me demande si M. Morel aurait trouvé quelque réconfort en constatant
que M. Larousse commet lui-même un pléonasme quand il propose « ce qui
entoure de tous côtés » pour définir le mot « environnement », comme s’il était
possible d’entourer quoi que ce soit sans que ce soit « de tous côtés ».

Bref ! « Adapter la forme de la maison à l’environnement » eût été suffisant !

Quand on sait ce que les mots veulent dire, quand on sait d’où ils viennent,
on est armé pour éviter ce type de redondances. Militons pour que la
linguistique en général et l’étymologie en particulier trouvent la place qu’elles
méritent dans le système éducatif français !




Les interventions médiatiques permettent d’allonger la liste des pléonasmes.

« L’environnement qui l’entoure » est un pléonasme de nouvelle génération.


La maîtrise du vocabulaire permet d’éviter de tels pléonasmes.
101

ASSIS-TOI !

SOLÉCISMES



« Se faire dire : assis-toi sur une chaise et reste comme
ça pour les 15 prochaines années, c’est inimaginable
pour un jeune aujourd’hui. »

Ce propos du directeur de la Fédération des établissements
d’enseignement privé du Québec est rapporté dans un article de Jessica
Nadeau publié le 22 septembre 2017 dans Le Devoir, quotidien québécois.

« Assis-toi ! », voilà un ordre (ou une invite) assez fréquent, ce qui ne
l’empêche pas d’être gramma-ticalement incorrect.
On a pourtant, fait exceptionnel, le choix entre deux formes d’impératif :
« assieds-toi ! » ou « assois-toi ! ». Deux options dont « assis-toi ! » ne fait pas
partie. « Assis » existe bien en tant que participe passé, pas comme impératif. Il
ne peut être un ordre que si un autre verbe est sous-entendu : « (sois) assis ! »,
« (reste) assis ! », etc. Un tel emploi nous fait penser au dressage d’un chien :
« Couché(e) ! debout ! assis(e) ! »
Pourquoi existe-t-il deux conjugaisons pour ce verbe « asseoir » ? La
réponse se trouve dans son étymologie et ce n’est évidemment pas une
surprise. Ces deux conjugaisons sont la survivance de formes régionales : Littré
nous révèle qu’en Picardie, « asseoir » se disait assir tandis que, dans le Berry,
on disait assidre, forme plus proche de l’étymon latin : adsidere.

N.B. Si, d’aventure, votre mémoire vous fait défaut ou si vous hésitez entre
« assieds-toi ! » et « assois-toi ! », vous pouvez toujours dire : « prends un
siège ! » ou « prenez un siège ! », bien que cette invite ait un caractère un peu
trop littéraire, évoquant les célèbres vers de Corneille :

« Prends un siège, Cinna, prends, et sur toute chose.
Observe exactement la loi que je t’impose. »
(Corneille, Cinna, acte V, scène 1)




« Assis » est un participe passé. « Assis-toi ! » est donc une forme fautive.

Deux formes d’impératif sont possibles : « assieds-toi ! » et « assois-toi ! »


L’ordre « assis ! » suppose un verbe sous-entendu : « (sois) assis ! couché ! debout ! »
102

APPORTER AMENER

BARBARISMES



« Le meilleur moyen de savoir si l’on peut apporter
son animal au travail est de demander à ses collègues
[…] et à son patron ! »
(Wamiz, 13 septembre 2017)

« “Nous aurons des jumelles, un télescope, mais il est
aussi possible d’amener son propre matériel.” »
(Article publié le 25 août 2017 dans La Charente libre)

N’en déplaise aux chasseurs, amateurs de safaris africains, aficionados de
corridas, massacreurs de bébés phoques et autres tortionnaires d’animaux,
depuis 2015, les animaux sont considérés dans le Code civil comme des « êtres
vivants doués de sensibilité » : on ne peut donc plus les « apporter » quelque
part, on ne peut que les « amener ».
A contrario, il est préférable d’« apporter » son matériel plutôt que de
l’« amener ».
Cette confusion des verbes « amener » et « apporter » revient de façon
récurrente, surtout dans le langage parlé. La distinction est pourtant assez
évidente.
« Amener » s’emploie pour les êtres animés, donc les animaux et les êtres
humains. Cependant, « amener » peut aussi avoir le sens de « transporter
jusqu’à destination, acheminer », et peut, dans ce cas, s’appliquer à des
produits, des marchandises.
« Apporter » ne peut s’appliquer qu’aux inanimés (choses) et aux concepts :
on dira, par exemple, « apporter de l’aide à un nécessiteux ».
Ce qui vaut pour « apporter » vaut aussi pour « rapporter », « emporter »,
« importer », « exporter », etc.
Ce qui vaut pour « amener » vaut aussi pour « emmener », « ramener »,
« promener », etc.

Deux petites astuces mnémotechniques ?
La ressemblance phonétique entre « amener » et « animés »,
ou encore,
la « porte » qui est dans « apporter » est bien une chose (un inanimé).



« Amener » et « apporter » ne sont pas vraiment synonymes.

« Amener » s’emploie pour les animaux et les humains.


« Apporter » s’emploie pour les choses et les concepts.
103

PITCH

ANGLICISMES



Ce mot dont on me dit qu’il est d’origine anglo-saxonne, est, depuis les
années 1990, la coqueluche des chroniqueurs de l’audiovisuel chargés de
présenter les nouveaux romans et les nouveaux films (je n’ai pas remarqué
qu’on pouvait faire le pitch d’un opéra !), car, après avoir donné le nom de
l’écrivain ou du réalisateur ainsi que le titre de l’œuvre (avez-vous remarqué
que les titres en anglais ne sont plus traduits ?) vient le temps du résumé, de la
synthèse, de l’intrigue, du scénario, de l’argument, sans dévoiler la fin, bien
sûr…
‒ Non surtout pas !
‒ Mais, que dis-je ? De quoi parlé-je ? De résumé ? De synthèse ?
D’intrigue ?
‒ Quelle ringardise, en effet ! Ne savez-vous pas que le mot adéquat est le
mot pitch ?
‒ Pardon, votre honneur, comment ai-je pu oublier ?… Non seulement le
mot, mais aussi et surtout la gourmandise que l’on éprouve à le prononcer :
pppitchchch ! comme d’une marque de soda ! Ça ne s’oublie pas !
« Pitch » est donc un anglicisme, du moins morphologiquement, car, d’un
point de vue sémantique, l’unique signification que le mot connaît sur le
continent, il semble l’avoir revêtue pendant sa traversée de la Manche. Dans
les îles britanniques, sur les quelque dix-sept acceptions proposées pour
« pitch » dans l’Oxford English Dictionary, celle de « résumé » d’un film ou d’un
roman ne figure point !
Voilà d’excellentes raisons de nous débarrasser de ce « pitch » inutile.




Le mot « pitch » est un anglicisme auquel on donne un sens qui n’est pas attesté en
anglais.
Les chroniqueurs littéraires et cinématographiques aiment employer ce mot.

Il serait pourtant préférable d’utiliser un mot bien français tel que « résumé »,
« intrigue » ou « synthèse ».
104

UN MONDE
DE BISOUNOURS

TOURNURES EXASPÉRANTES



Les Bisounours sont de mignons oursons, héros de petits dessins animés
créés pour les très jeunes enfants et diffusés à la télévision dans les années
1980. Le nom évoque à la fois la tendresse des bisous et la douceur des
nounours en peluche ; au Canada, on les appelle les Calinours. Leur monde
n’est fait que de gentillesse, de bons sentiments, d’harmonie et de petits
bonheurs : une sorte d’utopie dont le sens premier du terme (utopia = « (en)
aucun lieu ») nous dit qu’un tel monde n’existe pas. Le succès des Bisounours
fut tel qu’ils sont devenus une référence, en particulier pour les politiques et
les syndicalistes :

« Un certain nombre de gouvernements sont naïfs
face aux problématiques de l’immigration.
C’est ce que j’appelle le monde des Bisounours. »
(Propos tenu par Marine Le Pen lors de son séjour
au Québec le 22 mars 2016),

« Emmanuel Macron est-il un Bisounours ? »
(Titre d’un article publié dans lemonde.fr du 1er mars
2016, sous la plume de Gérard Courtois)

« Baisse des loyers : “Macron vit dans le monde
des Bisounours” »
(Titre d’un article d’Alexandre Sulzer, publié dans
L’Express le 5 septembre 2017)

« Les salariés ont besoin d’être accompagnés, le
monde du travail ce n’est pas le monde des Bisounours. »
(Propos de Laurent Berger, secrétaire général de la
CFDT, rapportés le 1er septembre 2017 dans Le Parisien)

Cette comparaison avec les oursons gentillets est devenue universelle. Elle
permet de réprouver les naïfs, les crédules et les optimistes invétérés, ceux
qui, bien au chaud dans leur bulle, ne connaissent pas ou ne veulent pas
connaître les violences ni les injustices du monde réel. Bisounours par-ci,
Bisounours par-là… mais enfin, plutôt que cette référence infantilisante, la
littérature ne nous offre-t-elle pas d’autres domaines imaginaires où il ferait
bon vivre, auxquels on pourrait comparer notre monde afin d’en souligner, par
contraste, toute la médiocrité, toutes les faiblesses, toute la négativité ?
L’Eldorado des conquistadors, l’Utopie de Thomas More, l’Arcadie de la
Renaissance, le meilleur des mondes possibles du Candide de Voltaire, le pays
des merveilles de Lewis Caroll, le pays de Cocagne des frères Grimm, l’abbaye
de Thélème de Rabelais, etc.

Messieurs les discoureurs, les références ne manquent pas ! mais, à quoi
bon ! on a, finalement, celles que l’on mérite.




Le monde des Bisounours fait allusion à un dessin animé pour les très jeunes enfants.
C’est devenu une sorte de référence universelle qui nous permet de souligner
l’imperfection de notre monde réel.
Il existe pourtant de nombreuses références culturelles moins cucul la praline.
105

NOTRE / LE NÔTRE

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



On a vu que le phonème [o] de « Saône » tendait à disparaître chez certains
locuteurs au profit du phonème [ɔ] de « sonne ».
Cette tendance est cependant inversée dans un cas bien précis, celui de
l’adjectif possessif « notre » dont la voyelle « o » représente le phonème [ɔ] et
que certains personnages, de l’audiovisuel notamment, affublent du phonème
[o], celui que l’on trouve normalement dans la prononciation du pronom
possessif. S’agit-il vraiment d’un défaut de prononciation (confusions de
phonèmes) ou doit-on plutôt voir là une confusion de graphèmes entraînant
une inversion de phonèmes ?
Expliquons-nous.
Cet ancien Premier ministre dit « nôtre pays, nôtre gouvernement », etc.,
avec le phonème [o]. Ce phonème caractérise le pronom possessif, « le nôtre »,
en cohérence avec l’accent circonflexe qui indique à la fois la disparition d’un
ancien « s » et la fermeture du phonème par rapport au [ɔ] ouvert.
Qu’est-ce qui peut rendre compte de ce « transfert » de l’accent
circonflexe ? Un simple défaut d’élocution ou une méprise orthographique,
cette dernière pouvant trahir une méprise grammaticale, l’adjectif possessif
étant confondu avec le pronom possessif.
La même distinction vaut pour la 2e personne du pluriel de l’adjectif et du
pronom possessif.
Profitons de ce point de prononciation pour rappeler le point de grammaire
qui lui est associé.

Adjectifs possessifs [ɔ] Pronoms possessifs [o]
1re personne du pluriel notre le nôtre, la nôtre, les nôtres
2e personne du pluriel votre le vôtre, la vôtre, les vôtres



Chez certains locuteurs, le phonème ouvert [ɔ] de l’adjectif possessif « notre » tend à
être remplacé par le phonème fermé [o] du pronom possessif « le nôtre ».

Il peut ne s’agir que d’une faute de prononciation.


Mais cette faute peut aussi résulter d’une, confusion orthographique, voire
grammaticale.
TESTEZ-VOUS !


1. Quel est le point commun entre les mots suivants ?
funérailles, obsèques, honoraires, dépens, victuailles, fiançailles, vivres

2. Trouvez l’intrus.
« Assieds-toi ! », « Assis-toi ! », Assois-toi ! ».

3. Pour évoquer un monde harmonieux, où tout le monde est gentil, où il
fait bon vivre, à quoi peut-on faire allusion, hormis le monde cucul des
Bisounours ?

4. Citez trois noms communs pouvant se substituer à l’anglicisme
« pitch ».

5. Complétez les phrases suivantes en utilisant, selon les cas, « notre »,
« votre », « le nôtre » ou « le vôtre ».
a) Ce stylo n’est pas à moi, ce doit être ….
b) La voiture de nos enfants étant en panne, nous leur avons prêté ….
c) … nouvelle cuisine est absolument superbe !
d) … Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
(extrait de Pater Noster de Jacques Prévert)

6. Corrigez, si nécessaire.
a) N’oubliez pas d’amener votre livre d’histoire pour le prochain cours.
b) La mariée a été amenée à la mairie dans une superbe Cadillac.
c) Le Golden Retriever est un très bon chien pour ramener le gibier.
d) Si l’on se fie au pitch que ce critique en a donné, le film doit être
captivant.


106

TERMITE

FÉMININ OU MASCULIN ?



« Des milliers de termites volantes
dans la nuit s’envolent et meurent calcinées
sous la chaleur des ampoules. »
(Article de Bruno Meyerfeld publié dans
Le Monde Afrique in lemonde.fr du 2 mai 2016)

Qu’ils aient des ailes et soient attirés par la chaleur des ampoules ne suffit
pas à les féminiser. Non, Monsieur Meyerfeld, le nom « termite » n’est pas
féminin, contrairement au mot « mite », que ce dernier désigne la variété
vestimentaire ou alimentaire.
Pour LA mite, se rappeler que son genre est féminin ne pose aucun
problème. La « mite » se distingue DU « mythe » mais les mythes sont à l’origine
de LA « mythologie » et même si l’on aime la mythologie, on préfère ne pas
avoir de « mite au logis ».
Pour LE termite, un moyen mnémotechnique s’impose ; enlevons
simplement le « t » initial : on obtient « ermite », nom masculin !

UNE mite mais UN termite.
Le nom « termite » est issu du latin tarmes, « ver qui ronge le bois ».
L’origine de « mite » est différente : le néerlandais mite de même sens ou le
latin mica, « miette ».

Corrigeons donc, en toute cordialité, le texte de M. Meyerfeld :

« Des milliers de termites volants dans la nuit s’envolent et meurent calcinés
sous la chaleur des ampoules. »




« Termite » est du genre masculin.

Contrairement à « mite » : UNE mite, mais UN termite.


Astuce : « termite » privé de son « t » initial donne « ermite », nom masculin.
107

REPORTER À PLUS TARD



PLÉONASMES



« La manie de toujours reporter à plus tard
ce que l’on peut faire tout de suite n’est pas
une fatalité. »
(Science et vie, article d’Alexandra Pihen,
14 septembre 2017)

Voilà une manière plus qu’insistante d’exprimer la procrastination, cette
tendance quasi maladive à remettre au lendemain l’exécution d’une tâche,
généralement déplaisante. Cette attitude est en désaccord avec le célèbre
précepte que l’on attribue à Benjamin Franklin :
« Ne remettez pas au lendemain ce que vous
pouvez faire le jour même. »
« Reporter à plus tard » est en effet une formule redondante, pléonastique,
car l’idée de report est évidemment associée à la notion de futur : est-il
possible de reporter à plus tôt ?
Comme d’habitude, vérifions les acceptions données par nos dictionnaires
usuels. Le verbe « reporter » admet toujours plusieurs définitions, parmi
lesquelles :
‒ « Renvoyer à plus tard » (Le Robert) ;
‒ « Remettre une action à une date ultérieure » (Larousse) ;
‒ « Remettre à une date ultérieure » (TLF).

L’affaire est donc entendue : « reporter à plus tard » dit deux fois la même
chose. Le pléonasme est toutefois évité si l’on précise la date à laquelle
l’action est reportée.
La réunion est reportée au 12 mai prochain.
Si la date ne peut pas être précisée, contentons-nous du verbe « reporter »
sans aucun complément, hormis la formule latine sine die, « sans jour fixé ».
La réunion est reportée.
Notons que l’expression « remettre à plus tard » est également redondante,
« remettre » ayant le même sens que « reporter » (cf. 156).




« Reporter à plus tard » est une tournure redondante.
La mention d’une date permet d’éviter le pléonasme.
« Remettre à plus tard » est également redondant.
108

« É » « ER »
Participe passé infinitif

SOLÉCISMES



« Ma fille est restée coincer dans l’utérus. »
(forums.famili.fr, 17 septembre 2001)

« Je ne l’ai pas entendu pleuré. »
(idem)

« Bon courage mais ca va passé. »
(forums.famili.fr, 25 décembre 2004)

« Mais il a preciser a ma belle mère
qu il ne voulait pas de problemes ! »
(forums.famili.fr, 1er mars 2005)

La faute est fréquente, notamment sur les forums d’Internet*. Parce que la
finale de l’infinitif des verbes du premier groupe se prononce comme celle du
participe passé de ces mêmes verbes, il est facile de les confondre à l’écrit.
Autrement dit, « -er » est souvent confondu avec « -é » ou « -és » ou « -ée » ou
« -ées ».
Remarquons d’abord que la finale du participe passé ne se résume pas à un
phonème mais qu’elle porte aussi l’indication du genre
« -é » « -ée »
et du nombre
« -é » ou « -ée » « -és » ou « -ées ».

Elle indique que l’action est passée, même si elle a encore une influence sur
le présent.
L’emploi de l’infinitif seul correspond à un ordre, une invite, une prière. Dans
tous les cas, l’action ainsi exprimée reste à faire.
J’en entends qui chuchotent : « “-é” ou “-er” », est-ce si important ?
L’essentiel, n’est-ce pas d’être compris ? » Eh bien, justement ! Laissez-moi
vous raconter une anecdote.
Naguère et peut-être encore aujourd’hui dans certains établissements
hospitaliers, les informations essentielles sur le traitement, les gestes accomplis
et les « constantes » (tension, température, pouls) du patient alité étaient
indiqués sur une petite pancarte avec fiche de soins, accrochée au pied du lit,
fiche que le médecin-chef pouvait consulter pendant sa tournée. Sur une telle
fiche, l’infirmière de nuit avait écrit : « donner anti
coagulant » pour « donné anticoagulant ». Je vous laisse imaginer la suite.
Notons que l’inverse n’eût pas été moins inquiétant.

* Si vous voulez faire des progrès en français, n’allez surtout pas consulter les forums d’Internet !


La confusion « -er » / « -é » est fréquente.
Les informations données par ces désinences verbales sont essentielles.
L’infinitif correspond à un ordre, une invite, donc une action à venir ; le participe
passé indique une action terminée même si elle peut avoir une influence sur le présent.
109

PRÉMISSES PRÉMICES

BARBARISMES



Tous les hommes sont mortels.
Or, Socrate est un homme.
Donc, Socrate est mortel.

Tous les bacheliers ont entendu leur prof(esseur) de philo(sophie) ‒ les
parenthèses sont à l’intention des faiseurs d’apocopes ‒ leur expliquer ce
syllogisme. Ils se souviennent donc que la troisième proposition (« Donc,
Socrate est mortel ») est la conclusion qui découle des deux autres
propositions appelées « prémisses » : la « prémisse » majeure (« Tous les
hommes sont mortels ») et la « prémisse » mineure (« Or, Socrate est un
homme ») : raisonnement impeccable !… et, votre prof de phi de vous proposer
un autre syllogisme :

Un cheval bon marché est rare.
Or, tout ce qui est rare est cher.
Donc, un cheval bon marché est cher.

Votre pr. de φ vous démontre alors que ce nouveau syllogisme est faux
parce que le raisonnement est faux et le raisonnement est faux parce que les
prémisses n’ont que l’apparence de la vérité. Je vous donne volontiers le
moyen mnémotechnique pour que vous ne confondiez pas ces « prémisses »-là
avec les « autres ». Souvenez-vous tout simplement que ces prémisses-là sont
deux et qu’elles s’écrivent et s’épellent avec deux « s ». Le hasard ne fait-il pas
bien les choses ? Ajoutons que « prémisse » peut aussi désigner une
proposition dont on tire une conclusion logique.
Les autres « prémices » peuvent être deux comme elles peuvent être plus
nombreuses, mais elles ne peuvent en aucun cas être une. Le nom est donc
nécessairement féminin pluriel. Comme leur homonyme, elles ont à voir avec le
début de quelque chose. Elles désignent, par exemple, dans certaines religions,
une portion de nourriture que l’on prélève au début d’un repas et que l’on
offre aux dieux. Elles peuvent aussi désigner les premiers-nés dans un troupeau
ou les premiers fruits de saison ou les premières fleurs printanières servant
d’offrande ou encore les premières créations d’un artisanat ou d’une industrie,
etc. Le nom peut être aussi un simple synonyme de « commencement »
lorsqu’il est question d’une réalisation importante ou d’un événement, parfois
météorologique : on a par exemple entendu sur France Info, le 10 septembre
2017 :
« Des vents violents, prémices du cyclone à Miami. »
Est-il besoin d’ajouter que ces « prémices » peuvent aussi désigner les
préliminaires d’une certaine activité à laquelle tout le monde pense ?


Les « prémisses » avec deux « s » sont les deux propositions d’un syllogisme.
Les « prémices » avec un « c » désignent, entre autres, le commencement d’une
réalisation ou d’une activité.

« Prémices » est synonyme de « préparatifs », « préliminaires » ou « signes


annonciateurs ».
110

BY, MY

ANGLICISMES



Par « anglicisme » on entend généralement un nom ou une expression que le
français emprunte à l’anglais ou plutôt un nom ou une expression venu de
l’anglais, qui s’installe en français sans y avoir été invité, une sorte de parasite
lexical, en somme.

D’autres « anglicismes parasitaires » sont cependant plus inquiétants parce
qu’insidieux et sournois. Ils appartiennent au monde de la publicité où les
auteurs de slogans n’hésitent pas à recourir à des procédés douteux dans le
seul but de vendre encore et encore. Leurs emprunts à l’anglo-américain ne
concernent plus seulement des noms, mais des petits mots qui passent
presque inaperçus : prépositions et adjectifs possessifs.

Premier exemple, la préposition française « par » est de plus en plus souvent
remplacée par la préposition anglaise correspondante, « by », ce qui ouvre
éventuellement la voie à d’autres anglicismes, glissés subrepticement. Les
exemples abondent : « RED by SFR », collection de chaussures pour femmes
« Made by Sarenza », « Travel by Air France », « La Communauté by Caisse
d’Épargne », « Programme TV by Télé 2 semaines », « Restaurants by
Accorhotels », « SPA by Clarins », « Maria by Callas » (titre d’une exposition
sur la cantatrice), etc.

Deuxième exemple, les adjectifs possessifs de la 1re personne, multiples en
français parce qu’ils s’accordent en genre et en nombre (« ma, mon, mes »)
cèdent désormais la place à « my ». Comme pour « by », les exemples sont
nombreux : « MY Million » de la Française des jeux, « MyCanal », « MyTF1 »,
« My Dacia », « UPS My Choice », « My Renault », etc.

Contre ces intrusions illicites, mobilisons-nous ! Ne nous laissons pas
angliciser à notre insu et contre notre gré. Nous savons que l’anglo-américain
est la langue de la mondialisation capitaliste et la publicité est l’un de ses
agents. Mesdames et Messieurs les rédacteurs publicitaires, vous n’ignorez pas
que la loi vous fait obligation de vous exprimer en français. Rappel :

« La langue de la République est le français. »
(Article 2 de la Constitution)

« Dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou
d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un
bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances,
l’emploi de la langue française est obligatoire. »
(Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, article 2)






L’anglicisation de notre langue se fait, de manière insidieuse, par l’emploi de plus en
plus fréquent de petits mots tels que prépositions et adjectifs possessifs.
Les exemples sont nombreux avec « by » et « my ».

Refusons de contribuer à cette anglicisation illicite.


111

SANS ÉTAT D’ÂME



TOURNURES EXASPÉRANTES



Pas moins de cent cinquante-neuf alinéas dans le dictionnaire du cnrtl (TLF)
et « seulement » vingt-deux dans le Grand Robert, autant dire que le mot
« âme » est bien difficile à appréhender.
Pour « état d’âme », le TLF propose : « Ensemble d’impressions, de
sentiments ressentis dans une circonstance donnée ». Compte tenu de cette
définition, je me demande si ne pas avoir d’état d’âme est chose possible.
Quelle circonstance pourrait bien permettre de ne ressentir aucune
impression, aucun sentiment ? Ma mémoire me chuchote le mot « ataraxie »,
enfoui parmi de vieux souvenirs. Je vérifie : « Tranquillité de l’âme chez les
Stoïciens. État d’une âme que rien ne trouble » ; même l’ataraxie est donc un
« état d’âme », et quel état d’âme ! L’expression « sans état d’âme » est donc
stupide. Elle est pourtant devenue une véritable scie ; on l’entend dans
nombre de reportages, commentaires et comptes rendus diffusés sur les
ondes ; on la rencontre aussi fréquemment dans les journaux :
« Le ministre promet de remettre sans état d’âme
l’ouvrage sur le métier. »
(Tribune de Genève, article publié le 25 septembre 2017)

« Je suis là résolument et sans état d’âme. »
(Propos de Benoît Hamon rapportés dans Libération
le 23 septembre 2017)

« Habituellement, lorsque les lois de la République
sont violées, le couperet s’abat sans état d’âme
sur les plus faibles. »
(Fraternité, éditorial de Moïse Dossoumou publié
le 25 septembre 2017)

Cette locution est tellement à la mode qu’on l’emploie sans réfléchir, car :
‒ si le ministre promet de remettre l’ouvrage sur le métier, c’est qu’il est
déterminé : il a donc un état d’âme !
‒ comment M. Hamon peut-il être à la fois résolu et sans état d’âme ?
‒ un couperet est un objet… et je pense aux vers de Lamartine :
« Objets inanimés avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »
Sur trois citations, deux incohérences et une sottise. Mieux vaut donc
abandonner cette formule bizarre et dire les choses simplement et
précisément, car, selon les cas, « sans état d’âme » prend la place de « sans
regrets », « sans scrupule », « sans honte », « sans pitié », « sans remords »,
« sans vergogne », etc. On gagne toujours à être explicite !


Est-il possible de ne pas avoir d’état d’âme ?
L’expression « sans état d’âme » est à la mode tout en étant insignifiante.
Elle peut être remplacée par des locutions familières bien françaises et pleines de sens.
112

QU’ILS SOYENT

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION

À l’instar de « ceux qui croivent » (cf. 98), « qu’ils soyent » est d’abord une
faute de prononciation. La phonétique peut en effet facilement en rendre
compte. Le verbe « être » conjugué au subjonctif présent donnant « que nous
soyons » et « que vous soyez » aux deux premières personnes du pluriel, il est
normal, selon le bon sens populaire, que l’on trouve « qu’ils soyent » à la
troisième, prononcé « qu’ils souaillent ». En analysant plus précisément ce
subjonctif présent, on se dit que « qu’ils soyent » à la troisième personne du
pluriel est tout aussi cohérent que « qu’il soit » à la troisième du singulier :
‒ « que je sois », « que tu sois », « qu’il (elle) soit » ;
‒ « que nous soyons », « que vous soyez », « qu’elles (ils) soyent ».

D’ailleurs, cette forme était parfaitement correcte au XVIe siècle :
« Admoneste-les qu’ils soyent sujets
aux Principautez et Puissances. »
(Jehan Calvin, Commentaires
sur le Nouveau Testament, ch. III, 1540)
Elle l’était encore au XIXe :
« Ils veulent faire que les biens soyent à eux. »
(Lamennais, De la Servitude volontaire, 1839)

Il est probable que la prononciation ait été « qu’ils souaillent », en
cohérence avec la forme écrite et que cette 3e personne du pluriel ait influencé
la troisième du singulier.
Pour de semblables raisons, la forme « qu’ils (elles) voyent » a été correcte
pour le verbe « voir » :
‒ « je vois », « tu vois », « il (elle) voit »
‒ « nous voyons », « vous voyez », « ils (elles) voyent ».

Aujourd’hui cependant, « qu’ils soyent » est une forme fautive. Il faut dire et
écrire « qu’ils soient ».







« Qu’ils soyent » constitue le même type de faute que « ils croivent ».
« Qu’ils soyent » est la suite logique de « que nous soyons », « que vous soyez ».
« Qu’ils soyent » a été une forme correcte du XVIe au XIXe siècle.
TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez la phrase suivante, s’il y a lieu.
N’achetez pas cette villa, sa charpente est dévastée par des termites
ravageuses.

2. Quelle astuce mnémotechnique permet de se rappeler le genre du
mot « termite » ?

3. Les mots « mite » et « termite » partagent-ils la même étymologie ?

4. Dans « La réunion est reportée sine die », que signifie « sine die » ?

5. Complétez le texte avec les verbes suivants, sachant que leur
terminaison peut indiquer soit un participe passé, soit un infinitif.
arriver, asseoir, fixer, bavarder, tourner, traverser, parler
« L’automobiliste n’a pas vu la fillette … . D’habitude, il garde les yeux … sur
la route, mais ce jour-là, il était en train de … avec son épouse, … à sa droite.
Incapable de … sans … la tête vers sa passagère, tout en conduisant, il lui
était impossible de voir l’enfant …. »

6. De quels éléments un syllogisme est-il constitué ?

7. Citez deux synonymes de « prémices ».

8. Remplacez la formule « sans état d’âme » par des expressions plus
explicites.
a) Ce célèbre violoniste a décidé, sans état d’âme, de ne plus donner de
concerts.
b) C’est sans état d’âme que cet homme d’affaires a poussé un petit artisan
à la faillite.
c) Sans état d’âme, Néron a fait exécuter de nombreux chrétiens.

113

CARTOUCHE

FÉMININ OU MASCULIN ?



« Car l’examen minutieux du cartouche* de
Toutankhamon gravé sur l’or montre bien les traces
effacées d’un précédent nom royal ! »
(Sciences et Avenir, dossier de Bernadette Arnaud
publié le 30 novembre 2015)

Non, il n’y a pas d’erreur, ce cartouche-là est bien masculin. Il se dit shenou
en égyptien et désigne un symbole de forme ovale, fermé par un nœud, à
l’intérieur duquel le nom et les titres d’un pharaon sont gravés en hiéroglyphes.
Le cartouche en question a donc révélé que le destinataire du splendide
masque d’or n’était pas Toutankhamon : un coup de tonnerre dans le ciel des
égyptologues. Un cartouche de plus dans la liste de ceux qui ont permis
d’écrire l’histoire de l’Égypte antique. C’est notamment en déchiffrant les
hiéroglyphes contenus dans les cartouches royaux que Jean-François
Champollion a fait progresser l’égyptologie.
CE cartouche et CELLE que l’on insère dans le magasin d’un fusil ou dans le
logement d’une imprimante ont la même étymologie : le latin carta, « papier,
carton » via l’italien cartoccio, « cornet de papier » (analogie de forme ?) pour
l’un, et cartuccia, « cartouche (munition) » pour l’autre.




« Cartouche » est masculin quand il s’agit du symbole contenant des hiéroglyphes.
« Cartouche » est féminin quand il désigne la charge d’explosif ou la recharge d’une
imprimante, d’un stylo, etc.

Les deux noms ont la même étymologie.


114

PRÉPARER À L’AVANCE

PLÉONASMES



Nous l’avons vu à propos de « prévoir à l’avance » (cf. 23), le préfixe « pré- »,
du latin prae, « avant, devant », exprime l’« anticipation » ou l’» antériorité ».
Ajouter « à l’avance » ou « avant » n’apporte aucune information
complémentaire, mais provoque un pléonasme dont l’évitement permet à
notre langue de ne pas connaître d’embonpoint, donc de se porter mieux.
Voyez ces quelques exemples tirés d’une récente presse. Retirez « à
l’avance » en chacun d’eux : le résultat est un style plus léger, sans déficit
d’information.

« Vous avez ainsi tout votre dressing à portée de main
et pouvez préparer vos tenues à l’avance. »
(Voici, 25 septembre 2017)

« À préparer à l’avance et même à conserver au
congélateur. »
(Andréa Jourdan, Le Journal de Montréal,
le 13 septembre 2017)

« Il faudra la rendre vivante [votre campagne] en
communiquant régulièrement […] à travers des news à
préparer autant que possible à l’avance. »
(Publicité MAIF. in lemonde.fr du 15 septembre 2017)

Dans ce dernier exemple, on notera le comique involontaire de l’expression
« autant que possible » et l’emploi snobinard de l’anglicisme « news » plutôt
que « nouvelles ».
Bien sûr, le pléonasme disparaît si l’on précise la durée (« longtemps à
l’avance », « peu de temps à l’avance », « deux heures à l’avance », etc.) comme
dans cet autre exemple :

« C’est une vocation, un mode de vie, et il faut s’y
préparer longtemps à l’avance. »
(RTL info, 21 septembre 2017)

Je vois bien que plusieurs d’entre vous sont frustrés. Ils se disent que sans
« à l’avance », la phrase est maladroite, déséquilibrée, qu’il lui manque quelque
chose. Rassurez-vous, ce syndrome de manque lexical est une réaction
normale ; vous êtes trop habitué(e)(s) au pléonasme pour pouvoir vous en
passer subitement. Aucun sevrage n’est cependant prescrit.

Le préfixe « pré- » indique l’antériorité, l’anticipation.
« Préparer à l’avance » est donc un pléonasme.
Supprimons « à l’avance » ou précisons la durée.
115

APRÈS QUE +
SUBJONCTIF

SOLÉCISMES

« Juste après que tu sois parti hier, elle m’a appelé. »
(Erwan Angelofys, Après mes 15 ans,
Éditions Textes gais, 2012)

« Le Saint-Esprit entrait dans l’ecclésiologie
après que l’édifice de l’Église eût été construit
avec le seul matériau christologique. »
(John Zizioulas, Christologie, pneumatologie
et institutions ecclésiales, 1981)

Dans la première citation, « que tu sois parti » est un subjonctif passé ; il faut
un passé antérieur : « que tu fus parti ».
Dans la seconde citation, « que l’édifice de l’Église eût été construit » est un
plus-que-parfait du subjonctif à la voix passive ; il faut un plus-que-parfait de
l’indicatif : « avait été construit », ou un passé antérieur : « eut été construit ».
Une irréductible lève la voix : « Mais ce n’est pas beau, cet indicatif ! Moi, je
préfère le subjectif et je continuerai d’utiliser le subjectif ! »
Dois-je lui expliquer que le subjonctif ‒ non le subjectif ‒ est le mode de
l’incertitude, de la subjectivité, du doute, de l’éventualité, et qu’il ne convient
donc pas pour une action déjà accomplie, car une proposition introduite par
« après que » exprime forcément une action passée ?
« Après que » ne peut donc pas s’accommoder d’un temps du subjonctif sauf
dans un monde incohérent à la Lewis Caroll pour lequel les temps de l’indicatif
seraient trop prosaïques.
Finalement, je ne lui expliquerai pas, ce serait une perte de temps !
Je ne lui expliquerai pas non plus que l’on peut toujours contourner
l’obstacle du mode et du temps en s’exprimant différemment, en ayant recours
à une tournure qui évite toute forme verbale conjuguée. Par exemple, plutôt
que « après que tu fus parti », on peut dire : « après ton départ » ; à la place de
« après que l’édifice de l’Église eût été construit », le journaliste pouvait
écrire : « après la construction de l’édifice… » ou, mieux : « une fois l’édifice de
l’Église construit », et le tour aurait été joué !

Le subjonctif est le mode du doute, du souhait, de l’incertitude. L’indicatif est le mode
du réel, de l’accompli.
« Après que » introduit une action forcément réalisée. Il appelle donc l’indicatif.

On peut aussi éviter le verbe conjugué en construisant sa phrase différemment.


116

INFRACTUS

BARBARISMES



En 1990 fut réalisé un joli film intitulé La Fracture du myocarde. L’auteur,
Jacques Fansten, nous raconte l’histoire du jeune Martin qui n’a jamais connu
son père et dont la maman vient de mourir. De peur d’être envoyé à la DDASS,
Martin décide de cacher la mort de sa mère ; il est aidé en cela par ses copains
de classe.
De quoi la maman de Martin est-elle morte ? D’une « fracture du
myocarde ». C’est ainsi que le jeune garçon a compris le nom de cet accident
cardiaque qui se nomme précisément « infarctus ».
Ce nom, « infarctus », est une altération d’infartus, participe passé du verbe
latin infarcire, « remplir, farcir, bourrer » ; en effet, cet accident cardiaque
résulte d’une obturation des artères coronaires. « Infarctus » apparaît pour la
première fois en 1826 dans le Traité de l’auscultation médiate de René Marie
Hyacinthe Laennec.
Les trois consonnes successives « rct » rendent le mot difficile à prononcer
ou, du moins, il est perçu comme tel, car celui ou celle qui prétexte cette
difficulté est capable de dire sans peine que le parc Montsouris à Paris est un
parc très romantique, et dans « parc très », on a bien la succession « -rct- ».
Cette pseudo-difficulté phonétique et l’influence de mots comme
« fracture » ou « infraction » expliquent que bien des gens transforment
« infarctus » en infractus. On a là un bel exemple de métathèse, cette
interversion de phonèmes, si fréquente en français. C’est grâce à ou à cause
d’une métathèse que sont nés les mots « fromage » (formage), « moustique »
(mousquite), « réglisse » (licorice), « brebis » (berbix), etc.

Infractus se lexicalisera peut-être, c’est-à-dire qu’il sera peut-être
officiellement intégré à notre lexique avec la bénédiction des académiciens que
l’on nomme « immortels ». Pour l’heure, il n’a pas sa place dans le dictionnaire.
C’est un barbarisme que l’on doit rejeter.




« Infarctus » vient du latin infarcire, « bourrer, farcir ».

Sous l’influence des mots « fracture » et « infraction », « infarctus » devient


souvent nfractus.
Il s’agit là d’une métathèse.
117

DEAL

ANGLICISMES



Le verbe anglais « to deal » a beaucoup de significations, tout comme le nom
qui lui est associé. Aux jeux de cartes, « to deal » signifie « distribuer » et le nom
« deal » désigne la « donne » ; celui qui donne, qui distribue, est donc le dealer.
C’est par référence à ce lexique des cartes, plus précisément celui du poker,
que le président américain Franklin D. Roosevelt a baptisé en 1932 son
programme politique destiné à lutter contre les conséquences économiques et
sociales de la Grande Dépression : the New Deal ; « la nouvelle donne », devint
alors une formule internationalement célèbre.

Dans les années 1980, le nom « deal » fait son entrée dans notre vocabulaire
en tant qu’anglicisme avec une autre de ses acceptions : « négociation »,
« transaction », « marché », « accord ». C’est avec la bénédiction des
banquiers, des patrons et des économistes que cet anglicisme a pu
durablement s’implanter dans le monde de la finance avant de se faire une
place également sûre dans le vocabulaire de tout un chacun.
Dernière évolution, toujours avec le sens de négociation, de trafic, mais
illicite cette fois, avec le vocabulaire de la drogue et ses anglicismes bien
connus :
‒ le verbe « dealer », revendre de la drogue (monstre lexical où une
désinence verbale française, celle de l’infinitif « -er », s’ajoute au radical anglais
deal) ;
‒ le nom deal, « marché », « trafic » ;
‒ et le nom dérivé : dealer (parfois francisé en « dealeur ») : « trafiquant »,
« revendeur ».

Aucun de ces anglicismes n’est indispensable puisque nous avons des
équivalents bien français. Alors, pourquoi ne pas décider de nous en passer
après les avoir déclarés ringards ?






Le New Deal de Franklin D. Roosevelt (1932) a assuré au mot une notoriété quasi
mondiale.
« Dealer, deal » (noms communs) et « dealer » (verbe) sont des anglicismes qui se
sont invités en français avec leurs multiples acceptions dans plusieurs domaines
(finance, trafic de drogue).
Décidons de les ignorer et utilisons leurs équivalents français.
118

(C’EST) UNE TUERIE !



TOURNURES EXASPÉRANTES


Dialogue insipide entre le baron et la baronne Jean Neymarre de la
Tripoterie, de retour de bonne heure d’une soirée de gala de bienfaisance :

‒ Ah ! ces discours à n’en plus finir ! Des discours pas si courts, finalement !
(Gloussements).
‒ J’ai bien cru que leur goûter dînatoire ne viendrait jamais !
‒ Remarquez, ma chère, que nous n’aurions pas manqué grand-chose ! Tout
était mauvais, y compris la conversation de nos voisins : cet Hippolyte de
Vieillecroûte est assommant. Quel insupportable m’as-tu-vu !
‒ Bref, une soirée d’un ennui mortel !
‒ Tout à fait ! Une véritable tuerie !

En disant cela, le baron de Machin Chouette emploie le mot « tuerie » au
sens figuré qu’il revêtait jadis : « réunion mondaine ennuyeuse ». Au sens
propre, une « tuerie » est un « massacre », l’action de tuer sauvagement un
grand nombre de personnes, ce qui explique que les ados et les « adulescents »
qualifient de « tueries » les jeux vidéo où il est question de « guerre totale », de
« combat absolu ».

Par quels chemins de traverse le mot s’est-il donc fourvoyé pour évoluer
d’un sens négatif à un sens positif, et qualifier désormais un mets que l’on a
particulièrement apprécié ? Madame la baronne de Machin Truc s’exclamerait
en se pourléchant après avoir englouti un mille-feuille ou un moelleux aux trois
chocolats :
« C’est une tuerie ! », ce qui est tout à fait malvenu au pays de Pierre Hermé
et de Gaston Lenôtre. La langue française ne manque pourtant pas de
superlatifs pour dire que l’on a beaucoup aimé : « C’était délicieux ! »,
« excellent ! », « savoureux ! », « succulent ! », « exquis ! », « délectable ! »
(plutôt pédant), « divin ! », « un régal ! », « un délice ! », « À se damner !» ou « à
damner un saint ! », « à faire damner tous les saints du paradis ! ».
Non, vraiment, dans une telle liste, cette tuerie-là ne s’impose pas : elle est
pédante, inutile, inopportune et ‒ osons le jeu de mots ‒, de mauvais goût par
les temps qui courent.

Une « tuerie » est un « massacre » ou une « réunion mondaine éprouvante ».
Aujourd’hui, l’expression « C’est une tuerie ! » qualifie un mets particulièrement bon.
Cette expression est inutile : la langue française est riche de superlatifs mieux
appropriés.
119

DE TEMPS [H] EN TEMPS



PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Serait-ce une nouvelle mode, un moyen de se distinguer par une parole
inattendue signifiant « Moi, je ne parle pas comme les autres et c’est très bien »,
ou est-ce une pratique inconsciente, considérée comme naturelle, mais qui
pourrait être la conséquence d’une faille dans l’apprentissage de la lecture ? En
tout cas, ils semblent de plus en plus nombreux à ne pas (vouloir / pouvoir)
faire la liaison dans cette expression dite « figée » :

De temps [ z ] en temps.

L’absence de liaison provoque un hiatus désagréable à l’oreille puisque la
voyelle nasale [ã] se trouve juxtaposée à elle-même dans cet hiatus initial et
prononcée une troisième fois :

[d tããtã] : ã ã ã

Profitons de cette question phonétique pour rappeler que les liaisons du
français sont précisément réglementées. Si certaines de ces règles sont souples
puisqu’elles rendent certaines liaisons facultatives, d’autres sont fermes et
rendent les liaisons obligatoires : c’est le cas des expressions figées. « De temps
en temps » est une expression figée ; ne pas faire la liaison est donc une faute.
On doit prononcer et entendre :

[d tãzãtã]

L’obligation vaut aussi pour « de temps à autre », « de moins en moins »,
« pas à pas », etc. Revenons à nos rebelles. Si ne pas prononcer la liaison dans
ces expressions figées relève d’une mode, cette mode est scélérate et il vaut
mieux chercher à se distinguer d’une autre façon.
Le langage est le moyen privilégié de la communication. Ne pas vouloir
parler comme autrui va à l’encontre de cet objectif.



Dans « de temps en temps », ne pas prononcer la liaison provoque un hiatus entre
deux voyelles nasales.
Cette liaison est donc obligatoire comme elle l’est pour toute autre expression figée.

La prononciation du français est régie par des règles. Certaines règles rendent
certaines liaisons facultatives. D’autres règles rendent d’autres liaisons obligatoires.
testez-vous !


1. Qu’est-ce qui a permis à Champollion de faire progresser
l’égyptologie ?

2. Qui a, le premier, utilisé le mot « infarctus » et en est peut-être le
créateur ?

3. Quel phénomène linguistique « menace » le mot « infarctus » ?

4. Pouvez-vous citer trois mots « victimes » de ce phénomène ?

5. Par quels mots peut-on remplacer l’anglicisme « deal » ? Citez-en
trois.

6. Quel mot français est susceptible de remplacer « dealeur » (dealer) ?

7. Plutôt que l’inepte formulation « C’est une tuerie ! », comment
exprimer votre contentement d’avoir apprécié un excellent mets, un
dessert notamment ?

8. Quel a été l’autre sens figuré du mot « tuerie » ?

9. Citez trois expressions figées où les liaisons sont obligatoires.

10. La phrase suivante est-elle correcte ? Si elle ne l’est pas, corrigez-la.
« Longtemps après que les poètes aient disparu, leurs chansons courent
encore dans les rues. »

120

AMOURS, DÉLICES
ET ORGUES

FÉMININ OU MASCULIN ?



Amours, délices et orgues est une comédie musicale d’André Berthomieu,
sortie en 1946. C’est aussi le titre d’un recueil de petites histoires
humoristiques d’Alphonse Allais publié en 1898. C’est enfin le titre d’un
spectacle musical de Pierre Lapointe présenté en 2017.

Pourquoi ces trois mots ont-ils été réunis pour constituer le titre de trois
œuvres différentes qui ont connu ou connaissent un réel succès populaire ?
« Amour », « délice » et « orgue » sont les trois seuls noms de la langue
française dont le genre diffère selon qu’ils sont au singulier ou au pluriel : de
masculins au singulier, ils deviennent féminins au pluriel :

Gilbert Bécaud a chanté
« Mon amour est mort mais il renaîtra plus riche
et plus fort »

Serge Gainsbourg a écrit et interprété La Chanson de Prévert où l’on
entend
« Jour après jour, les amours mortes n’en finissent plus de
mourir. »

Idem pour le mot « délice » :
« Cette tarte fine est un vrai délice. »

« Mais, tandis qu’un grand roi venge ainsi mes injures,
Vous qui goûtez ici des délices si pures,
S’il permet à son cœur un moment de repos,
À vos jeux innocents appelez ce héros. »
(Jean Racine, prologue d’Esther, 1689).

Même particularité pour le mot « orgue » :
« Entre ces deux pôles, un petit orgue (Roj Stevens)
appose une touche de solennité, une guitare mal
peignée (Tim Felton) taquine les nerfs. »
(Article de François Gorin publié dans Télérama
le 18 septembre 2017)

« Les accords des grandes orgues tonnèrent lorsqu’il
entama sa lente remontée de l’allée centrale. »
(Yves Viollier, Notre-Dame des Caraïbes :
Les Saisons de Vendée, Robert Laffont, 2011).

N.B. En réalité, la règle n’est pas aussi rigide. Il semble que le masculin au
singulier soit dicté par l’étymologie, l’étymon des trois mots étant masculin.
Pourtant, « amour » est parfois féminin, même au singulier. Le féminin au pluriel
s’explique par le caractère poétique des textes où l’on trouve ces trois mots.
Mais le pluriel du mot « orgue », le plus souvent dans l’expression « grandes
orgues », a surtout une valeur emphatique.




« Amour », « délice » et « orgue » sont masculins au singulier, mais féminins au
pluriel.
Il s’agit des trois seuls noms de la langue française qui présentent cette particularité.
En réalité, le genre des trois mots n’est pas vraiment fixé.
121

DES PRÉCÉDENTS
DANS LE PASSÉ

PLÉONASMES



« Il y a déjà eu des précédents dans le passé »

Lorsque notre ancien président de la République a fait cette déclaration à
propos de la crise financière de 2008, personne n’a semblé s’émouvoir.
Circulez, il n’y a rien à voir… ni à entendre ! Pourtant, cette petite phrase
contient un double pléonasme qui aurait dû sauter aux oreilles des nombreux
auditeurs présents.
« Déjà », « précédents » et « passé » sont les éléments d’une véritable
tautologie. On ne peut pas même invoquer la méconnaissance d’un de ces trois
mots pour excuser la faute, car notre président ne pouvait évidemment pas
ignorer leur signification.
Un « précédent » est un fait antérieur qui, par analogie, permet de
comprendre ou d’accepter un autre fait situé, lui, dans le présent. Qui dit
« antérieur » dit « qui précède dans le temps ». En l’occurrence, le président
faisait allusion à la crise de 1929 qui permettait de comprendre celle de 2008
et, par conséquent, d’agir en connaissance de cause… ou presque.
« Déjà » signifie « auparavant, dans le passé ». Cet adverbe est formé de
« dès » et de l’ancien français ja, faisant référence à un moment du passé, issu
du latin jam que l’on retrouve dans « jadis » et « jamais ».
En résumé, « Il y a déjà eu des précédents dans le passé » équivaut à « il y a
eu dans le passé des faits passés analogues dans le passé ». À moi, Malherbe !
À moi, Boileau ! L’amphigouri contamine jusqu’au sommet de l’État.
Avec « unanimement par tout le monde, » et « solidaires les uns des autres »,
ces « précédents dans le passé » confirment l’addiction aux pléonasmes de
notre ancien président.



Un « précédent » est un fait passé analogue à un fait présent et qui en éclaire les
caractéristiques.

« Auparavant » est l’une des significations de « déjà ».

« Il y a déjà eu des précédents dans le passé » est donc un double pléonasme.


122

AUCUN FRAIS

SOLÉCISMES

« Il n’y a donc déjà aucun frais,
à l’heure actuelle, en cas de possession seule
d’une quantité minime de marihuana. »
(Tribune de Genève, article publié le 29 septembre 2017)

« Aider les particuliers à vendre leur bien immobilier
sans aucun frais d’agence. »
(Le Figaro, article de Guillaume Errard publié
le 22 septembre 2017)

Faute ! « Aucuns » doit ici prendre un « s », ce qui peut en étonner… plus
d’un puisque, en l’occurrence, « aucun » signifie encore moins que l’unité qui,
elle, appelle le singulier. Comment expliquer ce qui semble bien tenir de
l’incohérence ? « Frais » est toujours au pluriel : lorsque l’on doit payer des
frais, même si la facture n’est pas très salée, ils ne peuvent se réduire à « un
frais », cela ne se dit pas ; on ne peut pas compter les frais par unités
successives : un frais, deux frais, trois frais, etc. Dans tous les cas, on parle de
« frais » au pluriel. Or, « aucun » étant un adjectif, il s’accorde avec le nom
auquel il se rapporte et prend donc ici la marque du pluriel.
Ce qui vaut pour « frais » vaut aussi pour tous les noms exclusivement
pluriels comme « obsèques », par exemple (cf. 99) dont l’étude nous a donné
l’occasion de proposer une liste des plus usuels de ces noms, mais attention ! il
faut absolument prendre en compte l’acception pour laquelle le nom ne peut
être que pluriel : le mot « victuaille » peut illustrer cette règle, car il existe une
acception, certes vieillie, où « victuaille » désigne UN aliment dont on fait
provision ; « victuailles » n’est exclusivement au pluriel que lorsqu’il est
question de denrées diverses ; « victuailles » est alors synonyme de « vivres »,
substantif masculin pluriel :

« N’ayant aucunes victuailles à bord de notre navire, et
espérant trouver de quoi nous restaurer, nous
débarquâmes de force vingt-sept ou trente de nos
hommes. »
(Propos du navigateur William Adams, rapportés et
traduits dans le livre Samourai William de Giles Milton,
Les Éditions Noir sur Blanc, 2014).



Dans « aucuns frais », « aucuns » se met au pluriel parce que « frais » est toujours
pluriel.

On ne peut pas dire « un frais, deux frais, trois frais, etc. ».


« Aucuns » est en effet un adjectif qui s’accorde en genre et en nombre avec le nom
« frais » auquel il se rapporte.
123

SOLUTIONNER

BARBARISMES



Le ministre de l’Agriculture déclare avoir déployé 300 équivalents temps plein
qui seront
« en première ligne avec les agriculteurs pour
répondre au téléphone [et] solutionner un certain
nombre de difficultés. »
(Ouest-France, le 28 septembre 2017)

Lors d’une réunion avec les parents d’élèves, une principale de collège affirme :
« Le dialogue permet de solutionner beaucoup
de choses. »
(LaDepeche.fr, le 27 septembre 2017)

Je lis ici et là que « solutionner » ne serait pas vraiment un barbarisme. Il a
été formé en ajoutant la désinence « -er » au nom « solution » après avoir
doublé le « n », comme « additionner » a été construit à partir d’« addition » et
« auditionner » à partir d’« audition ». Ce verbe du premier groupe s’est
progressivement installé en français à partir de la toute fin du XIXe siècle. Littré
nous dit : « Ce verbe nouveau est d’un assez mauvais style. » Il est désormais
devenu usuel dans le langage courant. Il évite ainsi d’affronter les difficultés de
conjugaison de son synonyme, « résoudre », verbe du 3e groupe qu’il remplace
de plus en plus souvent.

Soit, mais pourquoi ne pas admettre alors d’autres verbes qui seraient
formés avec la même « cohérence » et pour les mêmes raisons ?
Que dites-vous de ces propositions :
‒ absoudre → absolution → absolutionner,
‒ ou encore : dissoudre → dissolution → dissolutionner ?

Et puisqu’il s’agit d’éviter les verbes du 3e groupe en leur substituant des
verbes du 1er construits à partir de noms dérivés, soyons audacieux :
moudre → mouture → mouturer.


Il est, je crois, préférable de refermer la boîte de Pandore et d’y enfermer
« solutionner », définitivement. Par souci d’équité, on l’accompagnera
d’« émotionner » pour redonner vie à « émouvoir ».

Monsieur le ministre et Madame la principale devront donc revoir leur
discours, d’autant qu’ils n’auront pas à conjuguer « résoudre », mais juste à
employer son infinitif !


« Solutionner » a été formé sur le modèle d’« additionner » et « auditionner ».
Il remplace de plus en plus souvent le verbe « résoudre ».
Il s’agit d’une solution de facilité qu’il est préférable de ne pas adopter.
124

FAIRE SENS

ANGLICISMES



Il est des anglicismes qui semblent s’ignorer. Nous l’avons vu à propos
d’« alternative » (cf. 19), d’« initier » (cf. 47) et de « décade » (cf. 82), par
exemple. C’est aussi le cas pour « faire sens », locution qui fait aujourd’hui
florès. Cette expression, pensent ses partisans, fait classe, elle ne doit pas faire
peur, car, si l’on considère d’autres locutions bien françaises qui suivent la
formule « faire + nom », « faire sens » ne fait pas exception, elle nous fait même
plaisir alors, faisons face à ses détracteurs et faisons-lui bon accueil.
Tout cela est bel et bon, mais, l’ennui, c’est que « faire sens » n’est vraiment
pas français.

Nous avons, dans notre belle langue,
‒ « avoir du sens », « avoir un sens » :
« Se demander si la vie mérite d’être vécue revient
aujourd’hui à se demander si la vie peut avoir un sens »
(Jean Grondin, Du sens de la vie,
Les Éditions Fides, 2003) ;

‒ « donner un sens » ou « donner du sens » :

« Donner du sens, c’est associer, c’est lier, c’est marquer
des rapports. Donner du sens, c’est créer de l’ordre. »
(Daniel Mercier, L’Ordre et le sens in Multimédia et
construction des savoirs, Presses universitaires de
Franche-Comté, 2000).

On a encore « être sensé » mais, en aucun cas, « faire sens », qui est une
traduction littérale de l’anglais « to make sense ». L’expression a d’abord séduit
les parleurs médiatisés du monde économique, mais qui s’en étonnera ?
Ainsi, Carlos Ghosn, PDG de Renault Nissan, a déclaré le 15 septembre 2017
qu’il n’y avait pas de nécessité à modifier la structure de l’alliance

« aussi longtemps que cela fait sens ».

Monsieur le PDG pense-t-il que l’emploi de « faire sens » lui confère une
certaine valeur intellectuelle ? On peut se laisser prendre facilement aux
charmes de « faire sens », même quand, d’ordinaire, on s’exprime parfaitement
dans un style irréprochable et que l’on se fait un point d’honneur à respecter la
langue française :

« Rien n’interdit de faire sens avec beauté,
avec lyrisme. »
(Christiane Taubira, conférence donnée à l’Institut
du Monde arabe le 9 janvier 2017)

Alors, parce qu’il est une traduction littérale d’une expression anglaise, cet
anglicisme n’est pas moins illégitime que les autres, ceux qui résultent d’un
emprunt direct, mais tout aussi inutile. Tromper sa propre langue en se laissant
séduire par l’anglo-américain, voilà qui n’a aucun sens, voilà qui est insensé.





« Faire sens » est une traduction littérale de l’anglais « to make sense ».
Il s’agit donc d’un anglicisme à part entière.

D’autant qu’existent en français « avoir du sens », « donner du sens » et « être


sensé ».
125

CERISE SUR LE GÂTEAU



Tournures exaspérantes



Si vous ressentez du plaisir ou de la confusion, vous pouvez devenir « rouge
comme une cerise », mais la honte ou une intense émotion vous feront « rouge
comme une pivoine ». Nuance ! Notons aussi, pour le plaisir, l’expression
désuète « faire deux ou trois morceaux d’une cerise » qui équivaut à « couper
les cheveux en quatre ». Rappelons enfin le « temps des cerises », allusion au
printemps, qui fut mis en poème par Jean-Baptiste Clément et en musique par
Antoine Renard. En 1871, la chanson fut associée aux Communards. Enfin,
« avoir la cerise », c’est, en argot, être malchanceux (cf. la guigne).
Telles sont, en français, les expressions liées à la « cerise ». Point de « cerise
sur le gâteau », du moins pour l’instant, mais l’usage en est devenu si fréquent
que l’expression finira bien par élire domicile dans nos dictionnaires. Pour
l’heure, elle n’est que le calque fidèle de l’anglais the cherry on the cake (ou
the cherry on top) et pourrait, pour cette raison, figurer dans la section
« anglicismes ». Cette « cerise sur le gâteau » désigne la touche finale, celle qui
vient parfaire une situation déjà favorable. Elle couronne une entreprise réussie
tel le petit fruit rouge au sommet d’une pâtisserie à étages. Cette « cerise sur
le gâteau » est devenue tellement usuelle que les journalistes n’hésitent pas à
en jouer pour qu’elle s’adapte au contexte. Ainsi parle-t-on de « gâteau sans la
cerise » comme quand on rate l’épreuve qui vous aurait consacré. Ce fut le cas,
par exemple, de la championne de tennis, Venus Williams :

« À 37 ans bien fêtés, et même sans cette troisième
finale majeure, sa performance lors de cette saison 2017
reste quelque chose d’exceptionnel.
Il y a eu un gâteau sans la cerise. »
(Article d’Alexandre Coiquil publié le 8 septembre 2017
sur eurosport.fr).

Mais on peut connaître pire, « la cerise sans le gâteau » ; l’expression
s’applique à celui qui, malgré ses efforts, n’arrive pas à se qualifier. C’est ce que
dit ce titre relevé dans la presse de Franche-Comté à la rubrique « cyclisme » :
« La cerise sans le gâteau pour les Comtois »
(Article publié le 31 juillet 2017 dans estrepublicain.fr)

Plutôt que de risquer une indigestion de gâteaux coiffés de cerises,
revenons à quelque chose de bien français. Nous exprimer sans concession à
ces mots d’outre-Manche nous fera rougir de plaisir.
Pour couronner le tout, je vous ai cueilli cet exemple, en guise de touche
finale Reconnaissez que dans ce contexte chapelier, une « cerise sur le
gâteau » ne serait vraiment pas à sa place !
« Le chapeau signe une personnalité, c’est la touche
finale d’une silhouette. »
(Article publié le 30 septembre 2017
dans lamontagne.fr)




« Cerise sur le gâteau » est une expression très prisée du monde politico-médiatique.

C’est la traduction littérale de l’anglais « the cherry on the cake (ou on top) ».
On peut lui substituer l’expression française « pour couronner le tout », ou « en guise
de touche finale ».
126

UN AIR TRÈS [H] HUMIDE


Réflexions sur l’éloquence

Pataquès et fautes de prononciation



Décidément, aspirés ou non, les « h » ne nous inspirent pas. Ils n’inspirent
guère davantage M. Thierry Fréret qui, sur I>Télé, dans son bulletin
météorologique du 7 juillet 2015, nous parle de cet air dont l’humidité possède
un problématique « h » initial.
Le dilemme se pose à la dernière seconde, alors qu’il est en train de parler,
ce « h » par lequel « humide » a la mauvaise idée de commencer, est-il aspiré,
oui ou non ? M. Fréret doit-il faire la liaison et dire que l’air est « très [z]
humide ? Il ne sait pas, il ne sait plus ! Dans le doute, il s’abstient. Il ne lie pas et
cette absence de liaison donne lieu à un hiatus assourdissant, mais… trop tard,
la faute est faite !
Certains questionnements sont étranges : leur densité est énorme et ils se
font pourtant en un dixième de seconde alors même que le questionneur parle.
Le cerveau a d’extraordinaires pouvoirs : à peine le mot a-t-il pointé son « h »
ou son absence de « h » à l’horizon du discours que les questions fusent,
courtes, rapides comme l’éclair et les réponses déboulent à leur tour, courtes,
rapides… fausses ! Comment le cerveau de cet autre présentateur météo a-t-il
fonctionné pour que, ce 22 juillet 2015, dans la Newsroom (horreur !) de 10 h, il
nous dise :

« Le grand [H] Ouest est concerné » ?

« Le grand [H] Ouest est concerné » et nous, nous sommes consternés par
cette absence de liaison. Le présentateur ne s’est tout de même pas demandé
si le mot « ouest » commence par un « h » aspiré ! Non, l’esprit soudainement
embrouillé, il n’a plus su comment lier un mot se terminant par la lettre « d » :
« grand [d] Ouest » ou « grand [t] Ouest » ? Dans le doute, il s’est abstenu de
toute liaison.

La maîtrise des liaisons phonétiques se perd. Qui dira avec assez de force le
plaisir d’écouter un discours non seulement exempt de fautes de vocabulaire,
de grammaire et de construction, mais aussi et, peut-être, surtout, dont
l’orateur possède une diction irréprochable, sachant parfaitement quelles
liaisons sont obligatoires, lesquelles sont facultatives, lesquelles sont
interdites ? Qui atteint cette perfection dans l’art de dire acquiert une force de
conviction qui le rend éminemment respectable et lui confère un incontestable
pouvoir. Cela s’appelle l’éloquence.


Les fautes de liaison sont souvent liées à la méconnaissance des « h » aspirés.
Elles engendrent aussi l’abondance des hiatus.
Savoir lier les mots participe à l’art de l’éloquence.
TESTEZ-VOUS !


1. Corrigez, s’il y a lieu.
a) L’empereur Titus fut surnommé « L’amour et les délices du genre
humain ». Il s’agissait évidemment de délices romains et d’amours impériaux.
b) En entrant dans la cathédrale, il fut surpris par les accords puissants des
grandes orgues.
c) L’ancien propriétaire n’a entrepris aucun travaux dans son appartement.
d) Je viens d’avoir une idée géniale pour solutionner votre problème.
e) Elle est capable de s’émotionner grandement à la vue d’une simple goutte
de sang.
f) L’écriture inclusive fait-elle vraiment sens dans le contexte du féminisme ?

2. « Il y a déjà eu des précédents dans le passé ». Cette affirmation du
président Sarkozy constitue un double pléonasme. Pourquoi ?

3. Alors qu’elle se compose de deux mots français, l’expression « faire
sens » est un anglicisme. Pourquoi ?

4. Par quelles expressions bien françaises peut-on remplacer « faire
sens » ?

5. Que peut-on dire à la place de « cerise sur le gâteau » (deux
expressions) ?

6. Donner deux exemples où « aucuns » s’écrit avec un « s » final.
7. Par quel mot peut-on désigner l’art de bien faire un discours ?


127

VIVRES

FÉMININ OU MASCULIN ?



« Des vivres offertes aux victimes des inondations
à Ziguinchor. »
(Rewmi.com, titre d’un article publié le 15 sept. 2017)

« Ces rapatriés volontaires ont également
bénéficié de vivres offerts par le Programme
alimentaire mondial. »
(laminute.info, article publié le 14 septembre 2017)

Du journal d’un parti politique sénégalais (Rewmi) ou de celui du Cameroun
(laminuteinfo), lequel a raison : « des vivres offertes » ou « des vivres offerts » ?
Autrement dit, le nom « vivres » est-il féminin ou masculin ?
C’est le journal camerounais qui a raison : « vivres » est bien masculin pluriel.
Ce caractère masculin est rarement visible. Il ne peut apparaître que par le
biais des accords qu’il détermine, avec un adjectif ou un participe passé comme
« offerts » dans notre exemple.
« Vivres » n’est que très rarement utilisé au singulier ‒ même lorsque les
vivres viennent à manquer, ohé ! ohé ! ‒, ce qui ne facilite pas l’identification de
son genre grammatical. Il existe néanmoins une locution qui nous dit tout, mais
elle est un peu tombée en désuétude :
« Le vivre et le couvert ».

La Fontaine en fait usage dans Le Rat qui s’est retiré du monde :

« Il fit tant de pieds et de dents
Qu’en peu de jours il eut au fond de l’ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ? »
(Fables, VII, 3)

Cette locution est généralement mal interprétée. On croit que « couvert »
fait allusion à ce que l’on met sur la table pour chaque repas. Si tel était le cas,
l’expression serait redondante parce que reprenant deux fois la même idée,
celle de nourriture. Tel est bien en effet le sens de « vivre », mais tel n’est pas
le sens de « couvert » qui fait référence au logement, « couvert » étant « ce qui
couvre, ce qui protège, ce qui abrite », du participe passé de « couvrir ».
La locution « le vivre et le couvert » est parfois confondue avec « le gîte et
le couvert » où « couvert » revêt son sens habituel.
Pour en revenir au nom « vivres », notons que c’est un synonyme de
« victuailles », mais « victuailles » est employé au féminin pluriel alors que
« vivres », redisons-le, est un masculin pluriel.


« Vivre » au singulier est un équivalent de « nourriture ».
Le nom « vivre » est de genre masculin.
Il est le plus souvent utilisé au pluriel.
128

MOI,
PERSONNELLEMENT, JE…

PLÉONASMES



Quand, enfant ou adolescent, je commençais mes phrases par un simple « Je
veux… », ma grand-mère me reprenait illico pour m’inviter à plus de mesure et
de modestie en me lançant : « Le roi dit «nous voulons» ! » J’aurais pu lui faire
remarquer que cette première personne du pluriel à la place de la première du
singulier, loin d’être une marque d’humilité était, tout au contraire, la
manifestation de la majesté, de la grandeur, de la puissance souveraine qui
appelle la révérence. M’aurait-elle repris davantage si j’avais dit, « Moi,
personnellement, je veux… » ?

Cette formule redondante s’invite bien souvent dans les débats ; elle
permet d’attirer l’attention des participants sur celui qui prend la parole,
invitant ainsi à ce qu’on lui prête une oreille attentive. Elle relève donc de ce
que les linguistes appellent « fonction phatique du langage » : elle n’apporte
aucune information, mais permet simplement d’établir une communication.
Agiter une sonnette, frapper dans ses mains, siffler ou, action plus discrète, se
racler la gorge auraient la même utilité et aboutiraient au même résultat.
On ne peut donc pas parler de narcissisme, d’égocentrisme ni d’orgueil, sur
le plan psychologique et, sur le plan linguistique, si « Moi, personnellement,
je… » est bien un pléonasme, est-il vraiment répréhensible ?

Moi, pour ma part, personnellement et pour ce qui me concerne, je réponds
non. La fatuité sera davantage dans l’intonation du personnage qui soulignera
sa prise de parole de ce « Moi, personnellement, je… »





La formule « Moi, personnellement, je… » est une redondance.

Elle ne sert qu’à établir la communication


Elle relève de la fonction phatique du langage et n’est donc pas répréhensible en tant
que pléonasme.
129

LA PROPOSITION
QU’IL M’A FAIT

Solécismes



Répondant à Léa Salamé dans L’Émission politique sur France 2, le
28 septembre 2017, le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré :

« J’ai accepté la proposition qu’Emmanuel Macron
m’a fait une semaine après son élection présidentielle. »

Il est étonnant d’entendre une telle faute dans la bouche d’un personnage
occupant de si hautes fonctions et qui, par ailleurs, s’exprime avec une assez
bonne maîtrise du français. Ah, cette règle d’accord du participe passé employé
avec l’auxiliaire « avoir » ! Que d’encre et de salive elle aura fait couler ! Elle
nous a presque empêchés de dormir. Est-elle donc si complexe pour assombrir
à ce point nos souvenirs d’école ? Cas étrange : elle semble encore plus
compliquée quand elle s’applique au participe passé du verbe « faire ».
Dans On n’est pas couché du 13 juin 2015, Léa Salamé, parlant du président
Hollande, affirme :
« La grande réforme fiscale, il ne l’a pas fait ! »

Vincent Giret, journaliste au Monde, sur France Info, le 3 février 2016, nous
parle des

« timides promesses que le gouvernement a fait à Bruxelles », etc.

Soyons laconique.
La règle : Tout participe passé employé avec l’auxiliaire « avoir » s’accorde
obligatoirement avec le complément d’objet direct quand celui-ci est placé
avant ledit auxiliaire.
Cas « Édouard Philippe » :
‒ Le complément d’objet direct est le pronom relatif « qu’ » mis pour « la
proposition » ; ce COD, « qu’ », est bien placé avant « a », donc le participe
passé de « faire » s’accorde. « Proposition » est un nom féminin, donc le
participe passé devient « faite ».

« J’ai accepté la proposition qu’Emmanuel Macron
m’a faite »

Cas « Léa Salamé » :
‒ Le complément d’objet direct est « La grande réforme fiscale », placé
avant l’auxiliaire « a » : le participe passé s’accorde. « Réforme » est féminin
donc « faire » devient « faite »
« La grande réforme fiscale, il ne l’a pas faite ! »

Cas « Vincent Giret » :
‒ Le même processus aurait amené le journaliste à parler des
« timides promesses que le gouvernement
a faites à Bruxelles ».

Arrive un moment où la règle se métamorphose en réflexe et les phrases
deviennent harmonieuses, car l’harmonie est bien l’art de former et d’enchaîner
les accords. Qui a dit que la grammaire était une chanson douce ?




Le participe passé employé avec « avoir » s’accorde avec le COD si celui-ci est placé
avant l’auxiliaire.
Cette règle est si simple que vous l’avez spontanément comprise.
Faites que vos phrases soient harmonieuses.
130

SENSÉ CENSÉ

BARBARISMES

« L’engin est conçu pour être lancé à l’aide
d’une fusée puis, à l’issue de sa mission, est sensé
effectuer une rentrée atmosphérique et se poser. »
(Sciences et avenir, article d’Erwan Lecomte,
publié le 4 septembre 2017)

« Offrir son corps en repas est un choix
censé qui suit l’évolution de l’espèce. »
(Dailygeekshow.com, article ‒ sur les araignées ‒
publié le 23 septembre 2017)

Intervertissons les deux participes passés soulignés et le tour est joué !

Que signifie « être sensé » ? Avoir du « sens », voire du « bon sens ».
L’orthographe explique la parenté entre « sens » et « sensé ».
Pour « censé », la sémantique est un peu plus complexe. Le latin censere,
d’où « censé » est issu, veut dire « juger, estimer ». Dans l’Antiquité romaine, un
« censeur » (censor) était d’abord un juge chargé d’établir le « cens », c’est-à-
dire le nombre de citoyens romains afin d’estimer leurs richesses pour
déterminer le montant de leurs impôts. On retrouve aussi la racine cens- dans
les mots « censure » et « recensement ». « Cens » a évolué vers l’idée de
« redevance » et « censeur » vers celle de « juge des mœurs et des opinions » et
de « contrôleur des écrits et des œuvres de l’esprit ». Dans un lycée, le
« censeur » avait pour rôle de surveiller les études et d’assurer la discipline.
Revenons à « censé » : il s’agit du participe passé d’un verbe qui n’existe plus
et qui signifiait « juger, censurer ». On peut remplacer « censé » par « réputé »,
« supposé », « présumé », sans changer le sens de la phrase comme dans :
« Nul n’est censé ignorer la loi. »
Observons que « censé » est suivi d’un infinitif, ce qui peut être un moyen de
le distinguer de « sensé ».

Voilà quelques éléments qui vous permettront de ne plus vous méprendre.
Vous êtes donc censé être suffisamment sensé pour ne plus confondre
« sensé » et « censé ».




« Sensé » signifie « qui a du sens ».

« Censé » est le participe passé d’un verbe disparu, censer, « censurer », issu du latin
censere, « estimer, juger ».
« Censé » est suivi d’un infinitif.
131

TURNOVER

ANGLICISMES



« Si vous avez des salariés qui sont pas motivés,
pas engagés, malheureux avec beaucoup de turnover,
on voit qu’y a beaucoup de turnover. »
(Muriel Pénicaud, ministre du Travail,
Cash investigation, le 27 septembre 2017)

Madame le ministre du Travail n’est-elle pas tenue, en tant que ministre de
la République, de ne pas employer d’anglicismes inutiles ? Ne doit-elle pas
respecter l’article 2 de la Constitution qui stipule : « La langue de la
République est le français » ?
Les mondes de l’économie, de la politique et du sport raffolent de cet
emprunt au vocabulaire d’outre-Manche. Il est vrai que dans ces trois milieux, la
pratique est habituelle qui consiste, à renouveler le personnel en contrat
précaire plus souvent que de raison, à remanier le gouvernement en faisant
entrer quelques têtes nouvelles ou à recruter à prix d’or des footballeurs
renommés qui donneront dans le ballon quelques coups de pied victorieux
pour satisfaire les supporteurs. L’anglicisme « turnover » est aussi en usage dans
le secteur commercial pour qualifier le réapprovisionnement plus ou moins
fréquent des stocks de marchandises.

Snobisme, panurgisme, inconscience, bêtise ? Les quatre à la fois ?
Comment justifier autrement ces atteintes répétées à notre propre langue ?
Ces causeurs radiophoniques et télévisuels se rendent-ils compte qu’en
parlant de la sorte ils se font les fossoyeurs du français, car, à force de
« turnover » et de tous les autres emprunts lexicophages passés et à venir
(notre liste ne contient aucun anglicisme légitime !), ce sont de grands pans de
notre lexique qui sont jetés dans les oubliettes de la langue à une vitesse jamais
atteinte par le passé ? En fonction des contextes, ce seul « turnover » met
progressivement au rancart « roulement », « rotation », « renouvellement »,
« taux de renouvellement », « réapprovisionnement », « réassortiment »,
« réassort », etc.

Ne soyez donc de cette confrérie*, mais priez le dieu Logos, non pour qu’il
absolve les anglomanes, mais pour qu’il les contraigne à employer le mot juste
parmi tous ceux qu’il propose dans notre bel idiome.


L’anglicisme « turnover » est de plus en plus utilisé dans les milieux de l’économie,
de la politique et du sport.
Aucune raison valable ne peut justifier ce recours à l’anglais.

Utilisons plutôt des mots comme « rotation », « renouvellement », « roulement », etc.

* Petite référence et révérence à François Villon.


132

QUE DU BONHEUR !

TOURNURES EXASPÉRANTES



Plusieurs œuvres ont pour titre Que du bonheur ! : une série télévisée, deux
collections de bandes dessinées, au moins cinq romans, etc. C’est dire le
succès rencontré par cette formule exclamative. C’est le type même
d’expression qui fut originale et drôle quand elle est apparue, si originale, si
drôle que chacun se l’appropria, la resservant en de multiples occasions, au
sens propre quand elle est un jugement porté sur une situation, une
occurrence, un événement, bref, un état de fait vraiment heureux ou, au
contraire et par ironie, une circonstance désagréable.

Évidemment, dans la plupart des cas, l’expression est exagérée. Les
philosophes, les psychologues, les médecins, les théologiens ont tenté de
définir le bonheur. Pour les uns, il s’agit de ne le confondre ni avec le plaisir, ni
avec la joie ; pour les autres, il suppose la méditation et réside dans la
réalisation de soi ; pour les troisièmes, il résulte de la production d’endorphine
par le cerveau ; pour les derniers, il n’est pas de ce monde. Dans tous les cas,
on sait ce qu’il n’est pas, on sait ce qui le fait être, mais on ne sait pas ce qu’il
est. On subodore qu’il se nourrit d’absolu, d’idéal et d’inaccessible. Bref, on en
parle sans le connaître, il est un peu l’Arlésienne de nos vies. Alors, résignés, on
le pluralise, on le rapetisse pour obtenir des petits bonheurs, de ceux que l’on
rencontre en cheminant et qui ressemblent fort à des petits plaisirs.
L’expression « Que du bonheur ! » n’est donc pas très heureuse puisque,
finalement, elle n’est jamais vraiment adaptée aux situations. « Que du
bonheur » ? Non. « Que du plaisir » ? Peut-être. « Que de la joie » ? Oui ! Elle
est cette sensation de plénitude, conséquence du plaisir que l’on vient de
connaître, plaisir souvent composé de petits bonheurs.
Tout cela n’est pas si confus qu’il y paraît. Monsieur Dupont vient de lire un
bon roman. Page après page, il a savouré plusieurs petits plaisirs : le style de
l’auteur lui a plu, l’intrigue, bien ficelée, l’a enchanté, il a apprécié la vérité des
personnages, il a donc éprouvé du plaisir à lire ce roman, tant et si bien qu’il
repose le livre avec le sentiment d’un bien-être total. Il peut exprimer cela en
disant « Quel plaisir ! » ou « Quelle joie ! » ou encore « Que du plaisir ! », voire
« Que des petits bonheurs ! », mais pas « Que DU bonheur ! ».

Alors, abandonnons cette expression, elle est inappropriée parce
qu’exagérée.


À défaut de savoir ce qu’il est, on sait que le bonheur se situe dans un absolu éloigné
des situations banales de notre vie quotidienne.
L’expression « Que du bonheur ! » est non seulement devenue rengaine, mais elle est
en plus toujours inappropriée.
« Quel plaisir ! » ou « Que du plaisir ! » semblent plus justes.
133

LES [Z] HANDICAPÉS



PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



L’étymologie de « handicap » est épatante. L’anglais hand in (the) cap, « la
main dans le chapeau (la casquette) », désignait un jeu de hasard dont le détail
n’est pas précisément connu. Les explications divergent, mais il est question
d’un arbitre, de parieurs et de sommes déposées dans un chapeau. Ce jeu
traditionnel est déjà mentionné au XIVe siècle, mais le nom handicap n’est
attesté qu’au XVIIe.
Le mot fut appliqué un siècle plus tard à des courses de chevaux,
probablement organisées selon les principes du jeu de hand in cap. L’arbitre
décidait quelle surcharge le meilleur des chevaux devrait porter, surcharge
baptisée handicap. Dans plusieurs sports, on parle toujours de handicap pour
désigner le « désavantage » imposé à certains concurrents pour compenser une
inégalité naturelle. De cette idée de surcharge et de désavantage, le mot a
évolué vers celle d’invalidité, à la fin du XIXe siècle.
« Handicap » est donc issu de l’anglais, le mot hand appartenant
précisément à la partie germanique de son vocabulaire. Par conséquent, le « h »
initial est aspiré et doit être considéré, sur le plan phonétique, comme une
consonne : il rend impossible toute liaison et toute élision. Bien sûr, cette
interdiction frappe non seulement le nom « handicap », mais aussi tous les mots
de la même famille, essentiellement le verbe « handicaper » dont le participe
passé s’est substantivé pour désigner les personnes physiquement ou
mentalement déficientes. Le groupe « article + participe passé », « les
handicapés », présente donc un hiatus inévitable bien que désagréable à
l’oreille. Plutôt que de devoir dire « les [h] handicapés », on peut utiliser la
périphrase recommandée : « les personnes en situation de handicap » qui,
malgré tout, présente aussi un hiatus.

La tendance naturelle est toutefois de glisser un [Z] dit « euphonique »,
entre l’article et le nom et l’on parle « des [Z] handicapés » en commettant un
pataquès, car ce [Z] euphonique est illégitime devant « handicapés » comme il
l’est devant « haricots », contrairement à une « intox » colportée depuis les
années 1970.


Dans « handicap », le mot « hand » est d’origine germanique.
Le « h » de « handicap » est donc aspiré : il empêche la liaison.
On intercale spontanément un [z] euphonique entre « les », « des », « ces », etc. et
« handicapés »… et c’est le pataquès !
TESTEZ-VOUS !

1. Corrigez s’il y a lieu.
a) Sur le Bounty, les vivres n’étaient pas suffisantes.
b) Sur un navire, quand les victuailles se faisaient insuffisantes, la mutinerie
était à craindre.
c) La vieille dame trembla en ouvrant la lettre de son fils que le facteur lui
avait remis.
d) Le professeur se mit à corriger les traductions que ses élèves avaient faits
le matin même.
e) Yves Montand a joué dans la plupart des films que Costa Gavras a
réalisés.
f) C’est la remarque la plus censée que j’ai entendue depuis le début de
l’année.
g) Romain est sensé arriver par le train de 20 h 40.

2. Citez trois mots français qui peuvent se substituer à l’anglicisme
« turnover ».

3. Par quelle expression peut-on remplacer « Que du bonheur ! » ?

4. Quelle est l’étymologie du mot « handicap » ?

134

ENZYME

FÉMININ OU MASCULIN ?


« Pas besoin de la crise pour constater l’évolution
de l’enzyme glouton. »
(Le Figaro, commentaire d’un lecteur sur un article
publié le 4 janvier 2015)

« Les biologistes ont injecté dans le génome
du moustique Anopheles gambiae […]
une enzyme gloutonne. »
(Article sur le paludisme publié dans Le Devoir
le 5 octobre 2017)

« Enzyme gloutonne » ou « enzyme glouton » ? Qui a raison, le lecteur du
Figaro ou le journaliste du Devoir, quotidien québécois ?

Qui s’en souvient encore ? En 1969, la multinationale Unilever lance une
nouvelle lessive, Ala,
« le détergent glouton, toujours affamé de taches. Il dévore toutes les taches,
même les plus coriaces car il contient des multi-enzymes ; ils ont un appétit
terrible pour les taches de thé, de café, de chocolat, de vin, d’œuf, d’aliments
pour bébé, d’herbe, de sauce, de fruit, de sang mais ils respectent les tissus et
les couleurs. »
Ces enzymes sont représentés par des petits ronds gratifiés d’une énorme
bouche, façon Shadoks (créés l’année précédente) et, dans ce film publicitaire
comme sur les affiches et les prospectus de l’époque (on ne parlait pas encore
de flyers !), ils sont bien masculins. D’autres marques de lessive (Skip, Super
Croix) adoptèrent cet argument publicitaire en même temps que la masculinité
des « enzymes ».
D’un point de vue biochimique, les enzymes sont des substances
protéiniques qui, lors de réactions chimiques, peuvent avoir un rôle de
catalyseur, en particulier dans notre organisme.
Les dictionnaires (Robert, Larousse, TLF) attribuent au nom « enzyme » les
deux genres. Toutefois, notre vénérable Académie française penche plutôt
pour le féminin.
L’étymon est le grec en, préfixe, et zumê, « levain », que l’on retrouve dans
azyme, « sans levain ».


« Enzyme » fut popularisé en France par plusieurs marques de lessive.

Le mot désigne un biocatalyseur protéinique qui accélère des réactions chimiques, de


l’organisme notamment.
C’est un nom féminin selon l’Académie, des deux genres selon les dictionnaires usuels.
135

PERMETTRE DE POUVOIR

PLÉONASMES



Ces deux verbes sont de plus en plus souvent inséparables chez ceux qui
s’expriment sur les ondes ou par leur plume.
Illustrations par l’exemple :

« Cela va permettre aux petits commerces
et restaurants de notre commune de pouvoir
diversifier leurs offres. »
(Communiqué publié dans Zinfos 974 le 4 octobre 2017)

« Aujourd’hui, il permet […] aux travailleurs
de pouvoir facilement se déplacer. »
(Article de Giovanni Vale, publié le 30 août 2017
dans Touteleurope.eu)

« […] permettre à tout congolais de pouvoir participer
à la gestion […] de notre pays »
(Article publié dans Actualite.CD le 5 octobre 2017)

« On ne devrait pas permettre de pouvoir avoir des
plants de pot dans les maisons. »
(Article de MartIn Croteau, paru dans La Presse CA
le 19 septembre 2017)

Question : dans les extraits ci-dessus, peut-on supprimer, l’infinitif
« pouvoir » sans pour autant modifier le sens ?
La réponse est oui.
‒ « permettre de diversifier » ;
‒ « permet de facilement se déplacer » ;
‒ « permettre de participer » ;
‒ « permettre d’avoir ».

Dans tous les cas, « pouvoir » après « permettre de » n’apporte aucune
information. Il ne fait que créer une redondance, donc une lourdeur de la
phrase.

C’est une bonne hygiène syntaxique que de supprimer ce qui n’apporte
aucune information supplémentaire dans la phrase. C’est la condition d’un style
clair et léger.


Dans la formule « permettre de pouvoir », « pouvoir » n’apporte généralement pas
d’information.
On peut dès lors s’en passer.

On évite ainsi une redondance, donc une lourdeur de style.


136

J’irais # J’irai

SOLÉCISMES



«J’irais voter le jour où il y aura un référendum légal. »
(ladepeche.fr, propos d’une Catalane rapporté dans un
article publié par Henri de Laguérie le 5 octobre 2017)

« Cependant, j’irais aujourd’hui, de manière critique,
à la manifestation de la CGT, de la CNT et d’autres collectifs. »
(Le Club de Médiapart, article de Thomas Ibanez,
publié le 3 octobre 2017)

« En fonction de l’évolution du gouvernement,
je prendrais ma décision. »
(Propos d’un député transcrits par Marc Louison
dans Actu.fr le 4 octobre 2017)

« Quand je serais grande… je le tuerai. »
(Titre d’une fiction sur TF1, article publié sur tf1.fr
par Élodie Leroy le 20 septembre 2017)

Précisons d’abord que, dans les exemples ci-dessus, la confusion est
imputable au journaliste, non à la personne dont le journaliste rapporte les
propos.
De quelle confusion est-il question ? De celle que l’on fait bien (trop)
souvent ente la 1re personne du singulier du futur simple de l’indicatif et la
1re personne du singulier du conditionnel présent. En des termes plus simples,
on termine le verbe par « -ais » au lieu de « -ai ».

Dans les quatre exemples ci-dessus, il est bien question d’un futur simple de
l’indicatif, non d’un conditionnel, le (la) journaliste aurait dû écrire : « j’irai », « je
prendrai », « je serai », sans « s » à la fin. Dans le cas d’un conditionnel, ce « s »
final serait le bienvenu.

Comment distinguer le futur du conditionnel ?
On peut avoir, dans la phrase, des éléments qui indiquent que l’action ou
l’état se situe dans l’avenir. Un conditionnel suppose une proposition
subordonnée hypothétique commençant par « si ». Cette subordonnée peut
n’être que sous-entendue. Dans cette proposition, le verbe est à l’imparfait,
c’est le verbe de la principale qui se met au conditionnel.
Ex. 1 : « Si un référendum était organisé, j’irais voter » ;
Ex. 2 : « Si j’étais d’accord avec leurs revendications, j’irais à la
manifestation » ;
Ex. 3 : « Si le gouvernement évoluait dans le bon sens, je prendrais ma
décision » ;
Ex. 4 : « Si j’étais grande, je le tuerais ».

ASTUCE : Si l’on remplace la 1re personne du singulier par la 1re du pluriel, la
terminaison du conditionnel est « -ions », alors que celle du futur est
simplement « -ons ».






« -ais » est la désinence du conditionnel (1re pers. du sing. du cond. présent) ; « -ai »
est celle du futur.
Le contexte indique le temps et le mode du verbe de la principale.
Le conditionnel suppose une subordonnée hypothétique commençant par « si ».
137

BALLADE BALADE

BARBARISMES



Brassens l’a chantée ; elle est au centre d’un recueil intitulé Le Testament :

« Dites moy où, n’en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, né Thaïs
Qui fut sa cousine germaine
………………………………………………
Mais où sont les neiges d’antan ? »

Dans Les Femmes savantes de Molière, Trissotin dit d’elle, qu’à son goût
« […] c’est une chose fade
Ce n’en est plus la mode elle sent son vieux temps »
Pourtant,
« C’était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i. »

Celle-là est romantique, d’Alfred de Musset ; c’est une apostrophe à la
Lune.
Gilbert Bécaud la met à l’honneur en même temps que le personnage
d’Arlequin.
Que suis-je ?
Je suis la « ballade », ce poème médiéval de forme régulière se terminant
par un envoi ‒ modèle qui sera régulièrement repris au cours des siècles ‒ ou
cet autre poème romantique de forme plus libre, ou enfin cette chanson
populaire, parfois dansée, fort en vogue dans l’Angleterre du XIXe siècle et
souvent dansée. Dansée ? C’est aussi ce que nous dit l’étymologie, le latin
ballare, « danser », via l’occitan ballada, de ballar, « danser » qui nous a aussi
donné le « ballet ».
En exemple 1, on reconnaît le début de la Ballade des dames du temps
jadis de François Villon (XVe siècle). L’exemple 3 nous propose la première
strophe de la Ballade à la lune de Musset (XIXe). L’exemple 4 fait référence à la
jolie chanson La Ballade des baladins de Bécaud, titre qui nous amène
opportunément à l’autre « balade », car si certains danseurs et danseuses se
déplacent avec tant de grâce et de légèreté qu’ils semblent avoir deux ailes
(deux « l »), ces deux « l » ne sont pas nécessaires pour se « balader », donc
pour faire une « balade ». Mot familier synonyme de « promenade », cette
« balade » a la même étymologie que l’autre « ballade ».


Une « ballade » avec deux « l » est une chanson à danser, un poème médiéval ou
romantique.
Avec un seul « l », une « balade » est une « promenade ».

Les deux mots ont la même étymologie.


138

DÉFINITIVEMENT

ANGLICISMES



« Ce joueur qui est définitivement
sous le charme de Bielsa »
(Buzzsport.fr, titre d’un article paru le 6 octobre 2017)

« Le Front national : un parti définitivement
incapable de gouverner »
(Courrier international, titre d’un article publié
le 22 septembre 2017)

Soyons clair d’emblée : ce n’est pas le mot « définitivement » en lui-même
qui est accusé d’être un anglicisme, mais le sens dans lequel certains
l’emploient. Cet adverbe, formé sur l’adjectif « définitif », fait partie de notre
vocabulaire depuis le XVIe siècle, mais avec un sens bien précis : « de façon
définitive ». Si Mélanie vous dit que son petit ami Gontran l’a « définitivement »
quittée, cela signifie que Gontran est parti irrémédiablement, pour toujours,
qu’il ne reviendra pas. Or, ce n’est pas là le sens de « définitivement » dans les
deux citations données en exemple, l’adverbe y est synonyme de
« clairement », « sans aucun doute possible », « absolument », signification de
l’anglais « definitely ». Nuance ! La notion d’irrévocabilité du « définitivement »
français ne se retrouve pas dans le « definitely » anglais. On peut aussi dire que
l’idée de certitude absolue que revêt l’anglais « definitely » n’est pas présente
dans notre « définitivement » ou alors, si tel est le cas, « définitivement »
devient un anglicisme.
Des cas similaires ont déjà été étudiés : « alternative » (cf. 19), « impacter »
(cf. 33), « initier » (cf. 47), « décade » (cf. 82) et « juste » (cf. 173).
Cette anglicisation de notre langue française est particulièrement sournoise,
beaucoup plus insidieuse que l’emprunt direct d’un mot, car elle avance
« masquée ».




« Définitivement » signifie « de façon définitive », « irrémédiablement », « pour
toujours ».
L’anglais « definitely » a le sens de « clairement », « sans aucun doute possible ».

Utiliser « définitivement » dans le sens de « definitely », c’est commettre un


anglicisme.
139

ÇA A ÉTÉ ?

TOURNURES EXASPÉRANTES



Ça y est, il vient vers nous, il n’a plus rien à nous apporter si ce n’est la
douloureuse, nous allons donc y avoir droit, je le sens, j’en mettrais ma main à
couper…

« Ça a été ? »

Et voilà ! C’était inéluctable ! Ça nous pendait au nez comme un sifflet de
deux sous ! aurait dit ma grand-mère. Un froid est jeté autour de la table. Les
autres convives, qui me connaissent bien, redoutent l’esclandre.
Il n’y aura pas d’esclandre. Ça ne mène à rien, hormis faire que tout le
monde soit mal à l’aise. J’opte pour une réponse didactique et sereine.
« Nous venons d’apprécier un excellent repas. Votre service fut impeccable,
digne du haut rang auquel cette table s’est hissée. La carte est d’une grande
richesse, notamment la carte des vins dont le choix est remarquable. Nous
aurions donc aimé que vous vous enquissiez de notre satisfaction en des
termes plus nobles que “Ça a été ?” »
Le garçon est confus. Le rouge pivoine vient à ses joues. Il tente de se
rattraper et nous lance en rafale, soudain ragaillardi :
« Cela vous a-t-il plu ? Êtes-vous satisfaits ? Le repas était-il à votre
convenance ? »
Fichtre ! Je savais bien qu’un établissement aussi coté que La Belle
Amphitryonne ne pouvait qu’exiger de son personnel une belle maîtrise du
français.
« Bravo, jeune homme ! Vous pouvez donc éliminer “Ça a été ?” de votre
vocabulaire, il n’est digne que d’une gargote. »

Moralité : Ne nous contentons pas d’un lexique indigent et cherchons à
exprimer une même idée de diverses manières, c’est un exercice toujours
enrichissant.




« Pour demander à son invité s’il est satisfait, « Ça a été ? » est une tournure bien
pauvre.
Elle nous est pourtant servie dans les restaurants, même les mieux cotés.

Varions notre vocabulaire et exerçons-nous à exprimer la même idée de diverses


façons.
140

PETIT [H] À PETIT



PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Comme « de temps en temps » (cf. 119), « pas à pas », « de temps à autre »,
« de moins en moins », « de haut en bas », « tout et son contraire », etc., « petit
à petit » fait partie de ces expressions figées pour lesquelles la liaison est
obligatoire.
Cependant, on entend parfois « petit [H] à petit », comme si un vicieux « h »
aspiré s’était glissé entre le premier « petit » et le « à ». Certains locuteurs se
contraignent donc à ne pas faire cette liaison obligatoire. Pourquoi ? Prennent-
ils un malin plaisir à enfreindre les règles phonétiques que les linguistes,
finalement, n’ont fait qu’approuver, car elles se sont imposées d’elles-mêmes,
suivant cette tendance naturelle à éviter les hiatus. Cherchent-ils l’originalité ?
Le langage a souvent été le lieu de modes étranges qui ont par exemple
donné naissance aux argots. Besoin de marquer son appartenance à une
catégorie sociale ou professionnelle (argots des métiers chers à Pierre
Perret) ? Besoin de se distinguer du vulgum pecus comme les « Incoyables » et
« Méveilleuses » du Directoire qui affectaient de ne pas prononcer les « r » ?
Dictature du jeunisme qui, par exemple, incite à supprimer les dernières
syllabes des mots (apocopes) ?
Ces modes sont toutefois passagères, comme toute mode qui se respecte,
et ni leurs originalités ni leurs outrances ne déterminent cette fameuse
« évolution du langage » dont se prévalent les snobs, les ignorants et les
cuistres, pour répéter à l’envi que la langue est vivante et qui avancent ce
prétexte pour justement excuser et faire admettre ces originalités et ces
outrances. Elles ne subsistent, le cas échéant, que de façon marginale.




« Petit à petit » fait partie de ces expressions figées dans lesquelles les liaisons sont
obligatoires.
Pour quelles raisons certains locuteurs ne se plient-ils pas à cette obligation ?

De telles « originalités » n’ont rien à voir avec les changements qui sont censés faire
vivre et « évoluer » le langage.
TESTEZ-VOUS !

1. Dans une publicité de 1969, l’enzyme était-il glouton ou était-elle
gloutonne ?

2. « Enzyme » est formé sur le grec zumê. Que signifie zumê ?

3. Par quoi les ballades médiévales doivent-elles se terminer pour
prétendre justement à l’appellation de « ballade » ?

4. Quelle astuce mnémotechnique permet de distinguer la « ballade » de
la « balade » ?

5. Plutôt que le vulgaire « ça a été ? », quelles formules un serveur stylé
peut-il employer pour demander aux clients s’ils sont satisfaits ?

6. Dans quels cas l’adverbe « définitivement » peut-il être considéré
comme un anglicisme ?

7. Citez quatre autres mots bien français dont certains emplois sont des
calques de l’anglais ?

8. Comment peut-on distinguer le futur simple du conditionnel présent
dans le cas d’une première personne du singulier comme, par exemple,
« j’irais » et « j’irai » ?

9. Corrigez, s’il y a lieu.
a) Le cycliste Lance Armstrong est définitivement coupable de s’être dopé à
maintes reprises.
b) Si le temps le permet, j’irais faire une petite balade.
c) S’il ne pleuvait pas, j’irai volontiers me promener.
d) Le vélo électrique permet de pouvoir grimper les côtes sans trop
d’effort.

141

ANAGRAMME

FÉMININ OU MASCULIN ?



À la niche, le chien !
Le monde est-il l’œuvre du démon ?
Peut-on deviner son devenir ?
Il suffit parfois d’un veto pour annuler un vote.
Marie était née pour aimer.

Dans chacune de ces phrases, les mots en gras sont des anagrammes :
chacun d’eux est obtenu par la transposition des lettres de l’autre mot en
caractères gras. Parce qu’un mot peut en cacher un autre dont le sens lui est
parfois secrètement et énigmatiquement lié, l’art de l’anagramme est l’un des
éléments de la poésie et de l’ésotérisme, car il permet de révéler, à partir d’un
simple mot, une multitude de significations cryptées.
Le cinquième de nos exemples nous évoque ces vers de Ronsard extraits
des Amours de Marie :

« Marie, qui voudroit vostre beau nom tourner
Il trouveroit aimer : aimez-moi donc, Marie
Vostre nom de nature à l’amour vous convie,
A qui trahist Nature il ne faut pardonner »

Exploitant ce caractère ésotérique de l’anagramme, le philosophe Étienne
Klein et le pianiste compositeur Jacques Perry-Salkow ont publié en 2011 un
livre dont le sous-titre est Le Sens caché du monde… mais quel est le titre :

a) Anagrammes renversantes
ou
b) Anagrammes renversants ?

Réponse a) Anagrammes renversantes. « Anagramme » est bien du genre
féminin, comme le petit poème qu’on appelle « épigramme » et contrairement à
« gramme », « monogramme », « télégramme », « programme », « pictogramme »,
« organigramme », « idéogramme », « hologramme » et autres mots finissant par
« -gramme » (88 en tout).

Évidemment, le mot « anagramme » ne s’immisce que très rarement dans les
conversations quotidiennes, mais ce qu’il signifie peut donner lieu à des
devinettes distrayantes telles que les logogriphes : trouver plusieurs mots
composés des mêmes lettres.


Le mot « anagramme » est du genre féminin : UNE anagramme.
Sur les 88 mots composés avec « -gramme », le genre féminin d’« anagramme » est une
exception, avec « épigramme ».

De par le lien « secret » qui relie le mot original au mot transposé, l’anagramme est
l’un des fondements de la poésie et de l’ésotérisme.
142

FAIRE CORPS ENSEMBLE



PLÉONASMES



Deux étudiantes ont été assassinées dans la gare de Marseille. Hommage
leur est rendu par leur faculté ce 3 octobre 2017. Au 20 h de France 2, la
commentatrice nous dit :

« Ce matin, élèves et enseignants ont voulu faire corps
ensemble, le temps d’une minute de silence. »

… et je me dis que « faire corps ensemble » fleure la redondance, voire le
pléonasme. Ne faut-il pas être ensemble si l’on veut « faire corps » ? … et si l’on
fait corps, n’est-on pas ipso facto ensemble ?
Larousse, Robert et le TLF donnent tous trois l’équivalence « faire corps =
ne faire qu’un » et l’on ne peut « faire qu’un » si l’on n’est pas « ensemble ».
La journaliste a-t-elle voulu, par ce pléonasme, renforcer l’idée de
solidarité ? Si tel est le cas, qu’elle se rassure, l’idée est bel et bien renforcée !
Elle aurait pu, cependant, la renforcer encore davantage :

« Élèves et enseignants ont voulu se rassembler afin
de tous se réunir les uns avec les autres pour faire corps
en faisant bloc, unanimement et ensemble. »

De tels pléonasmes ne font évidemment pas partie de ceux que l’on entend
souvent, mais ils montrent que la redondance nous guette au coin de bien des
phrases. Soyons donc vigilants : un discours où se multiplient les redondances,
loin d’être renforcé, perd de sa force et de son autorité.




« Faire corps » est synonyme de « ne faire qu’un ».
Pour « ne faire qu’un », il faut bien évidemment être « ensemble ».
« Faire corps ensemble » est donc bien un pléonasme.
143

SI J’AURAIS SU…

SOLÉCISMES



Ceux qui ont vu le joli film d’Yves Robert d’après le livre de Louis Pergaud,
La Guerre des boutons, n’ont pas oublié l’irrésistible réflexion que Petit Gibus
prononce après chacune de ses déconvenues :

« Ben mon vieux, si j’aurais su, j’aurais pas v’nu ! »

Cette phrase ‒ qui n’est d’ailleurs pas dans le livre ‒ est l’un des éléments
auxquels le film, sorti en 1962, doit sa popularité. Elle est drôle parce qu’on lui
associe la frimousse dépitée du gamin joué par Martin Lartigue ; elle est drôle
aussi parce qu’elle est récurrente (comique de répétition) ; elle est drôle enfin
parce qu’elle contient deux énormes fautes de conjugaison, fréquentes chez les
enfants et chez les personnes qui n’ont pas eu la chance de recevoir une
véritable instruction. Pour ces gens-là, le bon sens l’emporte sur les froides
règles de grammaire, règles qui déterminent, entre autres, la concordance des
temps.
Il est ici question du mode conditionnel dont l’emploi définit un schéma
associant une proposition principale à une proposition subordonnée
hypothétique généralement introduite par la conjonction « si ». Puisque cette
subordonnée est hypothétique, puisqu’elle exprime une condition, on se dit
qu’elle doit contenir le conditionnel (en l’occurrence, passé première forme).
Logique ! « Si j’aurais su » est donc cohérent… mais faux ! La subordonnée
hypothétique doit ici contenir le plus-que-parfait de l’indicatif : « Si j’avais su ».
Illogique, mais juste !
La deuxième faute de conjugaison concerne la proposition principale. Le
verbe y est bien mis au conditionnel, mais dans ses formes composées, « venir »
doit utiliser l’auxiliaire « être ». On devrait donc entendre : « je ne serais pas
venu », plutôt que « j’aurais pas v’nu ».
La phrase corrigée est la suivante :
« Eh bien mon vieux, si j’avais su, je ne serais pas venu ! »

Parce que correcte, cette phrase n’aurait pas sa place dans un tel contexte ;
elle serait même considérée comme trop littéraire, d’un style trop soutenu
pour rapporter les malheurs de Petit Gibus. Parlons-en, justement, du style
littéraire et soutenu ! poussé à l’extrême, il aboutit à cette phrase :
« L’aurais-je su (que) je ne serais pas venu ! »

Cette fois, nous avons bien le conditionnel passé première forme dans la
subordonnée hypothétique. L’inversion du verbe et du sujet et l’emploi du
conditionnel équivaut à l’hypothétique introduite par « si ». Autrement dit : la
phrase hautement incorrecte utilisant le conditionnel est comparable à la
phrase plus que correcte utilisant le même conditionnel. Étonnant, non ?


« Si j’aurais su… » est une faute fréquente chez les enfants et les personnes parlant
un français approximatif.
Dans la subordonnée hypothétique il faut utiliser le mode indicatif.

C’est dans la proposition principale que l’on doit trouver le conditionnel.


144

MATURE

BARBARISMES



L’adjectif connaît un emploi fréquent dans le domaine de la cosmétique
pour désigner une peau qui n’est plus très lisse ni très éclatante et qui a besoin
de crèmes, d’huiles, d’onguents, de baumes, de maquillages spécifiques (à base
de produits en « -ique » dont on n’a jamais entendu parler) pour paraître plus
jeune, mais attention, une peau « mature », ce n’est pas tout à fait la même
chose qu’une « vieille peau ».

« Comment donner de l’éclat à une peau mature ? »
(Version Femina, 19 septembre 2017)

Le sport est un autre jardin où fleurit l’adjectif « mature ». Qu’y qualifie-t-il ?
Un joueur de football qui se débrouille plutôt bien pour son âge (Voyez
comme il est grand, ce petit !), une équipe dotée d’une longue expérience, à
moins que la jeunesse ne soit compensée par un meilleur sens des
responsabilités (Allez le FC Metz !)

« À Nantes, nous devrons être plus malins
et plus matures. »
(Luxemburger Wort, 29 septembre 2017)

Peuvent aussi être « mature(s) » (dans le désordre) :
Un secteur industriel, le marché de la téléphonie, une course à pied
québécoise, un festival de cinéma africain, des textes de chansons, bref, un peu
tout et n’importe quoi. Remplaçons, selon les exemples, « mature » par
« expérimenté », « adulte », « développé », « ancien », « vieux » (avec
parcimonie), « qui a de la bouteille », où simplement « mûr » (dont il est un
doublon) et nous pourrons éviter ce mot suspect. Le Robert soupçonne un
anglicisme masqué et ne reconnaît son authenticité que lorsqu’il s’applique à un
« poisson prêt à frayer » ; le TLF ne le connaît pas et Larousse lui attribue une
acception spécifique : « qui est arrivé à une certaine maturité psychologique ».
En fin de compte, il semble, d’une part, que « mature » soit un euphémisme
pour « vieux » et que, d’autre part, pour la gent Marie-Chantal, il permette
d’éviter « mûr », beaucoup trop français : « Pensez donc, mon Charles-Hubert,
très avancé pour son âge, n’est tout de même pas une poire ! »
Comprenons simplement que le latin maturus a donné le français « mûr »
après nombre de métamorphoses phonético-graphiques, mais qu’il a donné
l’anglais mature, à l’issue d’une évolution beaucoup moins complexe.
De la même famille, « immature » et « prématuré » sont plus franchement de
notre côté de la Manche.


« Mature » est un adjectif souvent utilisé bien que considéré comme un anglicisme.
C’est un euphémisme qui permet d’éviter « mûr », « vieux » et autres qualificatifs
dépréciatifs dans certains contextes.

Comme l’adjectif « mûr(e) », il vient du latin maturus, mais a connu une évolution
moins complexe.
145

ÊTRE EN CHARGE DE

ANGLICISMES



« Il a été élu avec 62 % des suffrages face à Arielle
Piazza, adjointe en charge des sports de Bordeaux.
Une première dans le monde feutré des élus en charge
du sport. À noter qu’Alexandre Berman, adjoint
en charge du sport à la mairie de Tarascon fait
son entrée au comité directeur. »
(Ladepeche.fr, article publié le 6 octobre 2017
par Arnaud Paul)

« Un groupe de travail en charge de simplifier
les règles dans l’éolien »
(Titre d’un article publié le 6 octobre 2017
dans batiactu.com)

Pour les gouvernements et les conseils régionaux, départementaux et
municipaux, l’expression « (être) en charge de » est bien tentante. Elle permet
de préciser la spécialité dans laquelle l’heureux élu devra exercer, ses talents,
peut-être, sa responsabilité, sûrement. Pour les premiers, qui à l’Intérieur, qui à
la Défense, qui à l’Éducation nationale, etc., pour les derniers, qui à la Voirie,
qui aux Associations, qui à la Culture, etc., mais, s’il vous plaît, Monsieur le
journaliste de La Dépêche, SVP Messieurs les porte-parole, SVP Messieurs du
service communication, pas « en charge de » qui est la traduction littérale de
l’anglais « in charge of » mais « chargé de » ou « qui a la charge de », expressions
françaises parfaitement convenables et, qui plus est, idiomatiques.
De telles différences correspondent à la syntaxe spécifique de chaque
langue ; ne pas en tenir compte et interchanger les formules, c’est ne pas
respecter l’esprit de chacun des deux idiomes.
D’autres calques syntaxiques trahissent cette anglicisation sournoise de
notre langue, comme une maladie qui défigure et corrompt le corps de
l’intérieur ; ainsi l’emploi de « faire sens » plutôt que d’« avoir du sens » (cf. 124),
de « définitivement » signifiant « absolument, sans le moindre doute » et non
« de manière définitive » (cf. 138), de « décade » avec le sens de « décennie »
(cf. 82), d’« alternative » substitué à « solution de remplacement » (cf. 19), de
« juste », là où le Français dirait « tout simplement » (cf. 173), etc.
Veillons au grain !


« Être en charge de » est un anglicisme que l’on emploie à la place de « avoir la
charge de » ou « être chargé de ».
« Être en charge nbbv bbvcn bde » ne correspond pas à la syntaxe idiomatique du
français.
De tels exemples trahissent une anglicisation sournoise de notre langue.
146

C’EST VRAI QUE



TOURNURES EXASPÉRANTES

Pour répondre à une question, introduire un discours et, à l’intérieur de ce
discours, présenter chaque nouvelle idée, il faut avoir recours à des formules
appropriées et s’efforcer de ne pas utiliser toujours la même ; autrement dit,
les prises de parole doivent s’accompagner d’une variété de formules
introductives, variété qui peut d’ailleurs comprendre l’absence de formule.
Sans cette diversité, l’ennui s’invite et l’on ne tarde pas à voir son interlocuteur
bâiller. Cette interview d’un footballeur en est une illustration :

« C’est vrai que de temps en temps [prononcé « de temps /H/ en temps » !
cf. 119] j’essaie de décrocher, alors que je devrais rester plus haut. Voilà, c’est
vrai que j’aime bien toucher le ballon, j’aime bien venir jouer. C’est vrai qu’en
deuxième, quand on joue un peu plus
simple, y a des solutions. »

Avouez que vous avez vous-même failli décrocher. Chaque phrase est
introduite par « c’est vrai que » : le bâillement n’est pas loin. Savoir si l’intérêt
du discours aurait été préservé en variant les formules d’introduction… est une
autre affaire ; la forme, quelle qu’en soit la qualité, ne saurait masquer la
pauvreté du fond ! En tout cas, « c’est vrai que », trois fois utilisé, n’apporte pas
la moindre information. À la trappe ! Supposons malgré tout que le propos soit
intéressant, on pourrait alors aider le footballeur à varier le début de ses
phrases en lui soufflant : « j’avoue que… », « j’admets que… », « je reconnais
que… » et, dans un style un peu plus soutenu ‒ pourquoi les footballeurs s’en
priveraient-ils ? ‒ : « je vous concède que… », « je conviens (de ce) que… ».

Pour bien parler comme pour bien écrire, diversifions et gardons toujours à
l’esprit la moralité par laquelle Houdar de la Motte conclut sa fable Les amis
trop d’accord :

« C’est un grand agrément que la diversité :
Nous sommes bien comme nous sommes.
Donnez le même esprit aux hommes,
Vous ôtez tout le sel de la société.
L’ennui naquit un jour de l’uniformité. »



« C’est vrai que » fait partie de ces formules orales d’introduction que l’on répète trop
souvent.
Faisons en sorte qu’elle ne serve pas de « bouche-trou ».

Diversifions ces formules, le français en est riche.


147

DEUX MILLES EUROS



PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



« Passer du temps avec Antoine était l’assurance
de bons moments, drôles et studieux,
où milles idées fourmillaient. »
(L’Humanité.fr, article de Patrick Le Hyaric
publié le 10 octobre 2017)

« Une subvention exceptionnelle
de deux milles euros a été votée pour l’Association
des maires de l’Hérault […] »
(Midilibre.fr, article de Didier Bouriau publié
le 10 octobre 2017)

Question : Doit-on faire la liaison entre « milles » et « idées », d’une part,
« milles » et « euros », d’autre part ?

Réponse : Si « mille » prenait un « s » quand il y a plusieurs milliers, nul doute
qu’il faudrait faire la liaison, mais… « mille » est invariable et ces messieurs
devraient le savoir (à moins que le « s » à la fin de « mille » soit une coquille de
typographie… mais où sont les typographes d’antan et si les correcteurs sont
responsables, où sont donc les correcteurs d’antan ?).
Rappelons que « cent », contrairement à « mille », se met au pluriel (« s »
final) quand il s’agit de centaines entières. Il y a lieu de faire la liaison avec le
nom qui suit si celui-ci commence par une voyelle (s’il est question d’euros, par
exemple).

cent [t] étudiants ‒ trois cents [z] écoliers ‒ six cents [z] euros

Souvenons-nous aussi de cette expression :

Un instituteur ne gagne pas des mille et des cents.

« Mille » ne prend un « s » final que dans deux cas :
‒ Quand il s’agit d’une mesure de longueur comme le « mille » marin :

Le pétrolier Erika a fait naufrage à environ trente milles
au sud de Penmarc’h.

‒ Quand il s’agit de la petite ville des Milles, à trois kilomètres au sud d’Aix-
en-Provence, tristement célèbre pour avoir abrité un camp d’internement et de
déportation pendant la Seconde Guerre mondiale, le Camp des Milles. Les
Milles doit son nom aux nombreuses familles de la région qui portaient le
patronyme « Mille ».


« Mille » étant invariable, il ne prend jamais de « s » final.
« Mille » prend le « s » du pluriel quand il s’agit de la mesure de longueur.
Existe aussi le village des « Milles » qui dépend administrativement d’Aix-en-
Provence.
TESTEZ-VOUS !

1. Quel est l’autre mot qui, avec « anagramme » et par rapport aux
autres composés de « gramme », constitue une exception parce qu’il est
féminin ?

2. Citez cinq autres mots construits avec « gramme ».

3. Réécrivez dans un français correct la célèbre phrase de Petit Gibus :
« Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu ! »

4. Citez quatre adjectifs qui, selon les contextes, peuvent être utilisés à
la place de « mature ».

5. Que dire à la place de la tournure « être en charge de », calque de
l’anglais « to be in charge of » ?

6. Comment varier les formules introductives pour ne pas toujours
recourir à « c’est vrai que » (trois exemples) ?

7. Écrivez en toutes lettres : 2 000, 3 200, 4 800, 6 600.

8. Dans quel cas « mille » prend-il un « s » ?

148

HALTÈRES

FÉMININ OU MASCULIN ?



Le mot « haltères » est généralement utilisé au pluriel, ce qui brouille
quelque peu l’identification du genre grammatical. Ce pluriel peut, associé au
mot « poids », désigner le sport lui-même : « poids et haltères » est alors
synonyme d’« haltérophilie ». Il peut aussi faire référence aux « haltères de
musculation » qui vont par deux, une pour chaque main.
Au singulier, il s’agit de cet appareil constitué d’une barre à chaque
extrémité de laquelle on fixe des disques de poids différents pour rendre les
haltères…

A. plus ou moins lourdes
ou ?
B. plus ou moins lourds.

Réponse B. : plus ou moins lourds.

Le mot « haltère » est en effet masculin : on dit « UN haltère » comme « un
adultère, un baptistère, un caractère, un cratère, un critère, un magistère, un
ministère, un monastère, un presbytère, un stère », etc. et, contrairement à
« une artère, une patère », etc. Il faut redire ici que la terminaison d’un nom ne
détermine pas son genre grammatical. Pourquoi un tel arbitraire dans ce
domaine : mystère !

Revenons à notre « haltère ». Son « h » initial n’étant pas aspiré, il faut faire la
liaison.
Des [Z] haltères.
Il y aura aussi élision de la voyelle contenue, par exemple, dans la
préposition qui précède :
Les exercices de musculation se font, entre autres, au moyen d’haltères.




« Haltère » est du genre masculin : UN haltère.

Le nom est cependant très souvent mis au pluriel.


Son « h » initial n’est pas aspiré.
149

DES RENGAINES QU’ON ENTEND


SOUVENT

PLÉONASMES



C’était le 5 mai 2014. Dans l’émission Mots croisés sur France 2, Stéphane Le
Foll, alors ministre de l’Agriculture et porte-parole du gouvernement, répond
ainsi à Laurent Wauquiez (la question débattue est « changer la politique ») :

« Ça fait partie, d’ailleurs, des rengaines
qu’on entend souvent. »

Une petite lumière rouge se met alors à clignoter quelque part dans ma tête
et je me dis qu’il y a là une belle redondance. Une vérification s’impose. Le
Grand Robert m’explique que « rengainer » c’est, au XVIIe siècle, « remettre dans
la gaine, dans le fourreau » puis, au sens figuré et par métonymie, « reprendre
ce qu’on allait dire, se raviser », par exemple « rengainer un compliment ». Issu
de « rengainer », le nom commun « rengaine » a d’abord été synonyme de
« refus ». L’évolution est énigmatique, qui a amené « rengaine » à vouloir dire :
« formule que l’on répète à tout propos ». Si la formule est fréquemment
répétée, cela signifie bien « qu’on l’entend souvent ». Monsieur Le Foll répond
donc à monsieur Wauquiez par un « beau » pléonasme.
Sortie en 1961 et interprétée par Yves Montand, une chanson composée par
Philippe Gérard sur des paroles de Jean Dréjac, réunit dans son titre le verbe
et le nom commun dont la signification est musicale puisqu’il est question d’un
refrain que l’on ressasse :
Rengaine ta rengaine.

M. Le Foll aurait pu répondre à M. Wauquiez en chantant :
« Rengaine ta rengaine
La chanson d’papa c’est du flonflon
De l’histoire ancienne
Pour le musée de l’accordéon. »

C’eût été drôle et original ! Pour ce qui nous concerne, prenons la phrase
de Stéphane Le Foll comme exemple de ce qu’il ne faut pas faire : commettre
un pléonasme par oubli (ou ignorance) du sens exact du mot que l’on emploie.


Une rengaine est une formule que l’on ressort à tout propos.

« Des rengaines qu’on entend souvent » est donc un pléonasme.

Assurons-nous de bien connaître le sens exact des mots que nous utilisons.
150

EN VÉLO

SOLÉCISMES

« Un petit tour en vélo »
(Slate.fr, légende d’un dessin de Denis Pessin
publié le 6 octobre 2017)

« Istres : 853 km en vélo pour le sourire de Romain »
(LaProvence.com, titre d’un article paru
le 2 octobre 2017)

« Transport : aller au travail en vélo »
(Titre d’un reportage paru dans le 13 h de France 2
le 21 septembre 2017)

Pour nos Immortels, la question se pose en ces termes : il faut réserver la
préposition « en » (qui signifie « dans ») aux voyages que l’on effectue à
l’intérieur du véhicule : « en voiture, en train, en avion, en bateau ». Sinon, il faut
utiliser la préposition « à ». Comme on ne prend pas place à l’intérieur du vélo,
à moins d’être téléporté dans une contrée lointaine, type Lilliput, et de parler
au nom de minuscules bonshommes ayant réussi à entrer dans le cadre et le
guidon, il faut dire « à vélo » : le dessinateur et les deux journalistes ont alors
commis un solécisme.
Mais il semble bien que la question ne soit pas aussi tranchée.
Dans son excellente chronique du Figaro, le non moins excellent Claude
Duneton (1935-2012) observait le 10 février 2011 que la distinction « dedans /
dehors » était prise en défaut avec « en tricycle, en side-car, en tandem (jamais
«à tandem») » et, le cas échéant, « en tapis volant ». « C’est par un phénomène
d’hypercorrection dans les classes sociales aisées ‒ relayées craintivement
par les instituteurs publics ‒ que la forme en vélo a été bannie sans aucune
nécessité proprement linguistique au profit de à vélo » et Claude Duneton de
recommander « en vélo » quand on fait allusion au moyen de transport et « à
vélo » si l’on met plutôt en valeur la notion d’équilibre, comme dans « cet
enfant sait déjà se tenir à vélo. »
Selon Maurice Grevisse (Le Bon usage), on peut dire les deux et le
grammairien cite Mauriac, Montherlant et Troyat à l’appui d’« en vélo ».

Faites donc votre choix et retenez les arguments qui le sous-tendent.


L’Académie française recommande de dire « à vélo », selon la distinction dedans /
dehors.
Claude Duneton réserve « en vélo » au moyen de transport et « à vélo » s’il est
question d’équilibre.
Maurice Grevisse accepte les deux et cite plusieurs écrivains pour justifier « en vélo ».
151

COURBATU COURBATURÉ

BARBARISMES



Les deux formes existent.
Qui ressent des courbatures est « courbaturé ».
Qui se sent épuisé et endolori comme s’il avait été battu à bras raccourcis
est « courbatu ».
En 1974, l’auteur-compositeur-interprète néerlandais Dick Annegarn sort un
album contenant la chanson Bruxelles.
« Tu vas me revoir Mademoiselle Bruxelles
Mais je ne serai plus tel que tu m’as connu
Je serai abattu courbatu combattu
Mais je serai venu »

Le rapprochement des trois participes passés « abattu, courbatu,
combattu » met en évidence l’unique « t » de « courbatu ». Il s’agit pourtant
bien d’un dérivé du verbe « battre » puisque « courbatu » est formé de son
participe passé et de l’adjectif « court » (également amputé de son « t » final)
issu de l’expression « à bras raccourcis », probable allusion aux manches que
l’on relève avant de cogner son adversaire.
« Courbatu » a donné naissance à « courbature » dès la fin du XVIe siècle. Le
nom désigne cette douleur mêlée à une sensation de grande fatigue
consécutive à un effort prolongé :
« Je me lève, j’étire mes vieux bras où je sens la bonne courbature du travail
acharné. »
(Romain Rolland, Colas Breugnon, 1919)

Le verbe « courbaturer » est issu du nom commun « courbature ». Son
participe passé, « courbaturé », a été refusé par l’Académie française jusqu’en
1970, « courbatu » étant la seule forme acceptée. On peut en conclure que les
deux formes étaient synonymes. « Courbaturé » s’est alors différencié de
« courbatu » par cette notion spécifique de douleur musculaire.

En résumé :
courbatu → courbature → courbaturer → courbaturé.

Toutefois, le verbe « courbattre » n’existe pas.


« Courbatu » signifie « endolori, épuisé, comme après avoir été battu à bras
raccourcis. »
Une « courbature » est une douleur musculaire provoquée par un long effort.

Est « courbaturé » celui qui ressent une telle douleur.


152

LE PRÉSIDENT
ET LES ANGLICISMES

ANGLICISMES



Constitution du 4 octobre 1958
Titre premier :
De la souveraineté

Article 2. La langue de la République est le français.

Le 10 octobre 2017, la France était l’invitée d’honneur à la Foire du livre de
Francfort, considérée comme la plus grande manifestation littéraire
européenne. Emmanuel Macron, président de la République française,
prononce un discours d’inauguration qui lui permet de faire un remarquable
éloge de la langue française et de la francophonie. Bernard Pivot salue dans
cette allocution un discours inspiré. Emmanuel Macron défenseur de la langue
française et zélateur de la francophonie ? Voire !

Que ce soit à Paris, à Francfort, à Rabat au Maroc, à Tallin en Estonie, à RTL,
à Europe 1, au magazine Challenge ou au salon Vivatech, le président Macron
glisse dans certains de ses discours une effarante quantité d’anglicismes qui
sont autant de fers de lance de l’offensive économique libérale qu’il veut
instaurer, car si la langue de la République est le français, celle du capitalisme,
des affaires et de la finance est bien l’anglais. Personne n’en voudrait au
président si, d’aventure, il proposait un équivalent français pour chaque
anglicisme qu’il emploie, bien au contraire ! Regroupés, ils font un festival !
Jugez plutôt :

speech : discours, laïus. crowdfunding : financement participatif
buffer : mémoire tampon silver economy : marché des seniors
helpers : assistants (auxiliaires) venture capital : capital risque
impeachment : mise en accusation job mentoring : tutorat professionnel
greentech : éco-innovations start-up nation : nation de jeunes pousses
cleantech : écotechnologies task force : force opérationnelle

D’aucuns crieraient au scandale, ils n’auraient pas tort.



Non seulement le président bafoue la Constitution en son article 2 mais

Il se rend coupable de ne pas remplir une partie de ses fonctions telle qu’elle est
énoncée par cette même Constitution en son article 5 : « Le président de la République
veille au respect de la Constitution. »

Si l’on ne peut pas être plus royaliste que le roi, efforçons-nous d’être plus républicains
que le président : rejetons les anglicismes inutiles !
153

QUELQUE PART

TOURNURES EXASPÉRANTES



« Omar Sy endosse avec entrain le rôle et admet
qu’il était «aussi rassuré quelque part». »
(Article de Marie-Pierre Ferey, publié le 13 octobre 2017
dans La Voix du Nord)

« Nous allons quelque part taxer les personnes
les plus pauvres. »
(Communiqué AFP paru dans Corse-Matin
le 12 octobre 2017)

« La concurrence est quelque part faussée, car nous
avons notre manière de faire les choses, avec un modèle économique viable. »
(Rugbyrama, article publié le 12 octobre 2017)

« Ça m’interpelle quelque part au niveau du vécu » fut une phrase moqueuse
souvent dite dans les années 1970 sur un ton condescendant, la bouche en cul-
de-poule. Imitant leur façon de parler, on voulait ainsi ridiculiser les snobs qui
se prenaient pour des « intellectuels ». L’expression « quelque part au niveau
du vécu » connut un tel succès que le dessinateur Jacques Faizant en fit le titre
d’une de ses bandes dessinées, parue chez Denoël en 1991.
D’ironique, l’expression « quelque part » est passée dans le langage courant
dans les années 1980, dissociée d’« au niveau du vécu », avec le sens détourné
qu’elle avait dans son emploi moqueur : elle est synonyme d’« en quelque
sorte », « d’une certaine façon » et permet de faire comprendre que notre
pensée est floue, imprécise. Cette signification est bien mentionnée dans Le
Grand Robert, mais en tant que « Jargon à la mode ». Elle est clairement
rejetée par l’Académie française qui considère que « quelque part » ne peut
avoir qu’une acception: « en un lieu indéfini, qu’on ne peut pas ou ne veut pas
préciser ».




La locution « quelque part » fut détournée de sa signification première : « en un lieu
indéterminé ».
Elle le fut pour ridiculiser une certaine bourgeoisie qui voulait se donner des allures
intellectuelles.
L’Académie française rejette cet emploi de « quelque part » synonyme d’« une certaine
manière ».
154

TROIS MILLIONS
DE FEMMES SONT [T]
HARCELÉES

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



« Treize femmes, au moins, l’accusent d’harcèlement. »
(13 h de France 2, le 11 octobre 2017, reportage
sur l’affaire Weinstein)

« Trois millions de femmes sont [T] harcelées
sur leur lieu de travail. »
(Marie-Sophie Lacarrau, 13 h de France 2,
le 11 octobre 2017)

La soirée TV de ce 11 septembre 2017 était aussi consacrée à ce thème avec
une fiction et un dossier de l’émission Infrarouge (France 2) et ce fut l’occasion
d’entendre d’autres pataquès de la même eau tels qu’« un [N] harcèlement ».
Un vent de folie souffle donc parmi les journalistes et les présentateurs de
l’audiovisuel qui ne savent plus où donner de l’aspiration quand les mots ont la
mauvaise idée de commencer par un « h ». Nos oreilles n’en finissent plus d’être
agressées par ces « h » normalement muets qui sont aspirés et ceux qui
devraient être aspirés, mais ne le sont pas. Cela nous donne une belle
collection :
« Vous [Z] hurlez de douleur » (cf. 14), « 5 700 [H] avions » (cf. 35), « Cent
[H] euros » (cf. 70), « Un air très [H] humide » (cf. 126), « Les [Z] handicapés »
(cf. 133).
Gageons que d’autres exemples nous attendent.

Devant cette anarchie dans la reconnaissance des « h », que faire ?
Dresser la liste des mots dont l’initiale est un « h » aspiré, beaucoup moins
nombreux que ceux commençant par un « h » muet ? Pourquoi pas ? Voici la
liste des principaux verbes :
hacher, hachurer, haïr, haler, hâler, haleter, handicaper, hanter, happer,
haranguer, harasser, harceler, harnacher, hâter, haubaner, hausser, héler, hennir,
hérisser, heurter, hiérarchiser, hisser, hocher, honnir, hoqueter, houleux,
houspiller, huer, humer, hurler.

Si le cœur vous en dit ! Le « par cœur » a ses vertus !



Le « h » de « harceler » est aspiré.
Aucune liaison ni aucune élision n’est possible

Trente verbes commencent par un « h » aspiré. Pourquoi ne pas les apprendre par
cœur ?
TESTEZ-VOUS !

1. Citez cinq noms dont la finale est « -tère » et qui, comme « haltère »,
sont masculins.

2. Citez deux noms féminins se terminant par « -tère ».

3. Selon l’Académie, quel critère nous commande de dire « à vélo »
plutôt qu’« en vélo » ?

4. Quelle différence y a-t-il entre « courbatu » et « courbaturé » ?

5. Que dit l’article 2 du titre premier de notre Constitution ?

6. Par quelle expression correcte doit-on remplacer la locution
« quelque part » quand celle-ci est détournée de son véritable sens ?

7. Quelle est la traduction des anglicismes suivants, notamment prisés
par notre président de la République ?
silver economy, crowdfunding, task force

8. Citez cinq verbes commençant par un « h » aspiré.

155

GÎTE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Facile !
‒ On dit bien que l’on offre à quelqu’un « le gîte et le couvert » !
‒ Dans son émission J’irai dormir chez vous, sur France 5, Antoine de
Maximy, visitant des pays étrangers dont il veut connaître les us et coutumes;
mais dont il ne parle pas la langue, réussit à nouer des relations avec les
autochtones et à trouver un « gîte » pour la nuit.
‒ Dans la deuxième fable de son neuvième livre, Les Deux Pigeons, La
Fontaine fait dire à l’un des volatiles :

« Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le cœur
De notre imprudent voyageur. »

‒ Restons avec le fabuliste puisqu’il utilise aussi le mot « gîte » désignant le
repaire du lièvre, notamment dans ces deux très beaux vers :

« Un Lièvre en son gîte songeait
(Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) »
(Le Lièvre et les Grenouilles, II, 14)

Aucun doute possible : le mot « gîte » est bien masculin !

Holà, l’ami ! Vous allez trop vite en besogne et ne réfléchissez point comme
il faut. Évidemment, quand il s’agit du lieu où l’on peut se loger, dormir pour la
nuit ou de l’endroit où s’abrite le lièvre, « gîte » est bien masculin, mais n’avez-
vous ja ja jamais navigué, ohé ! ohé ! Ne savez-vous pas qu’un navire (petit ou
grand) qui « donne de LA gîte » s’incline et que cette inclinaison transversale
(latérale) reçoit aussi le nom de « bande » ? Cette gîte-là est bien du genre
féminin.

« Gîte » fait donc partie de ces noms qui ont les deux genres, mais qui
changent de sens en changeant de genre.



« Gîte » est masculin quand il est synonyme de « logis » ou de « repaire » (pour le
lièvre).

« Gîte » est féminin quand il désigne l’inclinaison latérale d’un bateau.


« Gîte » fait partie de ces mots français qui changent de sens en changeant de genre.
156

REPORTER À UNE DATE


ULTÉRIEURE

PLÉONASMES



Que ceux qui ont réussi à reporter quoi que ce soit à une date antérieure
lèvent le doigt. La chose est évidemment impossible. « Reporter
antérieurement » est une contradiction dans les termes, « reporter
ultérieurement » est un pléonasme. « Reporter » se suffit donc à lui-même.

Pourtant :

« La fédération malgache et celle seychelloise ont
décidé de reporter ultérieurement la rencontre amicale
prévue sur le sol malgache à mi-octobre. »
(lexpressmalga.com, 1er octobre 2017)

« Ils ont malheureusement dû reporter la date ultérieurement. »
(ladepeche.fr, 4 août 2017)

« La FFF a décidé de reporter le match à une date ultérieure. »
(franceinfo, 10 août2017)

« Nous sommes dans l’obligation d’annuler notre Festi’Blues, et de le
reporter à une date ultérieure. »
(ledauphine.com, 13 octobre 2017)

Les exemples sont légion. Notons que dans le deuxième extrait, le
pléonasme se double d’un non-sens : ce n’est pas la date mais l’événement qui
est « reporté (ultérieurement) », en l’occurrence le mariage d’un couple de
boxeurs !
D’évidence, le pléonasme n’est pas moins fautif si l’on remplace « à une date
ultérieure » par « ultérieurement » ou par « à plus tard » (cf. 107). Même
remarque si « reporter » cède sa place à « remettre » ou « renvoyer ».





« reporter », c’est « porter une deuxième fois ».

« reporter à une date ultérieure » dit donc deux fois la même chose.

Le pléonasme demeure si l’on remplace « à une date ultérieure » par « à plus tard ».
157

AVOIR L’AIR

SOLÉCISMES



« Il y avait une compagnie de CRS entière
et ils avaient l’air tendu. »
(lunion.fr, article publié le 26 septembre 2017)

« Ils avaient l’air bizarre, c’est pour ça
que je suis resté méfiant. »
(StreetPress.com, article de Tomas Statius, publié
le 1er octobre 2017)

« C’est une petite femelle qui avait l’air anémié,
manquait de tonus. »
(Lefigaro.fr, le 11 octobre 2017)

Fautes ? Vous rappelez-vous les règles de grammaire de votre enfance ?
L’une d’elles dressait une liste que vous deviez apprendre par cœur, celle des
verbes d’état (opposés aux verbes d’action) : « être, paraître, avoir l’air,
sembler, devenir, demeurer, rester ».
L’adjectif qui suit le verbe d’état est donc en position d’attribut du sujet et
s’accorde avec ce dernier… Stop ! Vous n’avez pas envie de retourner sur les
bancs de l’école ? Je vous comprends ! Alors, retenez simplement que tout se
passe avec « avoir l’air » comme si nous avions, à sa place, le verbe « être »,
verbe d’état par excellence. Reprenons nos exemples et voyons si « avoir l’air »
peut y être remplacé par « être » :

Il y avait une compagnie de CRS
entière et ils étaient tendus.
Ils étaient bizarres c’est pour ça que je suis resté méfiant.
C’est une petite femelle qui était anémiée, manquait
de tonus.

C’est simple ! Ce serait simple si « avoir l’air » n’était assimilable qu’à un
verbe d’état, était toujours remplaçable par « être », ce qui n’est pas le cas. Il
arrive que dans la locution « avoir l’air », « l’air » soit le complément d’objet
direct du verbe « avoir ». L’adjectif qui suit est alors vraiment épithète du mot
« air » avec lequel il s’accorde.

« Elle a l’air malin, elle a bon caquet, le soleil dans l’œil. »
(Jean Vautrin, Le Journal de Louise B., ch. 25, groupe Robert Laffont, 2011)

« Mais elle a l’air malheureux d’un gosse
qui n’a pas eu son jouet. »
(Calixthe Beyala, Le Petit Prince de Belleville,
Albin Michel, 2014)

« Elle avait l’air inquiet, mais c’était peut-être à cause
de l’attitude que lui-même affichait. »
(Michel Jeury, Cette terre : les Colmateurs, volume 1,
ch. 12, Milady, 2016)

Dans ces extraits, c’est bien « l’air » qui est respectivement qualifié de
« malin », « malheureux » et « inquiet », adjectifs épithètes de « air » et non pas
attributs du sujet « elle ». Dans le cas contraire nous aurions eu « maligne »,
« malheureuse » et « inquiète ».




« Avoir l’air » peut être un « verbe d’état » auquel « être » peut se substituer.

Dans ce cas, l’adjectif est attribut et s’accorde avec le sujet.


« L’air » peut aussi être complément d’objet direct du verbe « avoir ».
158

ÉVIDENT FACILE

BARBARISMES



« C’est pas évident ! », telle est l’exclamation de tout un chacun devant une
situation difficile, une tâche qui le tient en échec. Il aurait pu dire : « Ce n’est
pas facile ! » Outre le rétablissement de la double négation, l’expression serait
plus appropriée : si l’acte à accomplir est difficile, s’exclamer « Ce n’est pas
facile ! », c’est admettre cette difficulté et du même coup, reconnaître son
inaptitude, sa faiblesse, son manque de force, d’ingéniosité ou d’intelligence,
selon la nature de la tâche à accomplir, bref, c’est avouer que l’on n’est pas à la
hauteur.
« C’est pas évident ! » nous dit tout autre chose. L’exclamation fait
référence, non plus à une difficulté qui vous met et vous tient en échec, mais au
manque de transparence et de visibilité. Quand je dis « C’est pas facile ! »,
j’avoue mon incompétence par ignorance ou incapacité ; quand je dis « C’est
pas évident ! », je rejette la faute sur l’acte à accomplir ou le problème à
résoudre, nul ne peut me tenir responsable de l’absence de solution, nul ne
peut alors m’en vouloir. Hop ! Le tour est joué… Oui, mais l’ennui, c’est que
l’expression « Ce n’est pas évident ! » est impropre, l’emploi d’« évident » est
abusif. Est évident ce qui s’impose à l’esprit de façon spontanée, sans qu’une
démonstration soit nécessaire. Une évidence, c’est une vérité qui éclate sans la
nécessité d’une preuve.
Installer une prise de courant alors que les fils sortant de la cloison sont
trop courts, ce n’est pas facile ; résoudre un problème de mathématiques alors
qu’on a oublié de vous fournir une donnée, ce n’est pas facile ; prendre un bain
de mer le jour de l’an, ce n’est pas facile ; reconnaître une œuvre musicale à
l’écoute des premières mesures, ce n’est pas facile. L’évidence n’a que faire
dans la solution de tous ces problèmes. Elle n’a rien à faire non plus dans la
résolution des difficultés suivantes.

« Être déraciné n’est pas évident, mais ils sont bien
décidés à réussir leur intégration en France. »
(Article de Véronique Bertin publié le 15 octobre 2017
dans La Voix du Nord)

« Ce n’est pas évident de passer, en saison hiver,
de 50 salariés permanents à près de 200. »
(La Montagne, article publié le 15 octobre 2017)

« Ils sont aussi très vifs, il n’est pas évident
de les capturer dans la volière. »
(Ouest-France, article publié le 14 octobre 2017)

Remplaçons « évident » par « facile » et l’évidence, justement, sera rétablie.


« Ce n’est pas facile ! » est l’exclamation appropriée devant une difficulté.
« Ce n’est pas évident ! » convient lorsque l’absence d’évidence est effectivement en
cause, ce qui est rare.

En disant « Ce n’est pas évident ! », vous faites comprendre que le problème lui-même
est en cause, non votre aptitude à le résoudre.
159

GAP

ANGLICISMES



Le documentaire Travail, ton univers impitoyable, diffusé sur France 2 le 27
septembre 2017 dans Cash Investigation, nous montre une Élise Lucet tout
étonnée :

« Y a un gap énorme entre la manière
dont on perçoit l’utilité du travail dans la société
et la manière dont on le ressent soi-même. »

Je me demande comment le petit grand-père qui n’a pas eu la chance
d’apprendre l’anglais ou dont les connaissances dans la langue dite « de
Shakespeare » ne sont pas suffisantes pour englober le mot « gap », comment
ce petit grand-père-là peut comprendre le propos de madame Lucet.
Je me demande si le propos de madame Lucet aurait souffert de voir le mot
« gap » remplacé par un mot bien français. Madame Lucet avait l’embarras du
choix : « fossé », « écart », « différence », « décalage », « intervalle », d’autres,
sans doute, si l’on se creuse les méninges.
Quels avantages y a-t-il à utiliser l’anglicisme « gap » ? Aucun, si ce n’est
celui d’être plus court et de se voir gratifié d’une sorte de supériorité. Tu
parles !

Quels avantages y a-t-il à ne pas l’utiliser ? Au moins deux :
‒ permettre à plusieurs mots français de ne pas être abandonnés dans les
oubliettes de notre lexique et d’y rejoindre le vocabulaire passif ;
‒ permettre à notre petit grand-père de comprendre madame Lucet.

Question subsidiaire : pourquoi, sachant cela, Élise Lucet utilise-t-elle des
anglicismes, elle qui, par ailleurs, s’exprime généralement en bon français ?
Je cherche encore la réponse.





L’anglicisme « gap » peut ne pas être compris de tous les auditeurs et téléspectateurs.
Plusieurs mots français peuvent être utilisés plutôt que « gap ».
Pourquoi donc utiliser l’anglicisme « gap » ? Il est inutile !
160

… FAIT PARTIE
DE NOTRE ADN

TOURNURES EXASPÉRANTES



Je revois et j’entends encore le grand Salvador Dali nous parler de l’acide
désoxyribonucléique avec emphase en faisant claquer les consonnes de ce nom
alors bien étrange et bien compliqué pour la plupart des auditeurs. Il faut dire
que dans les années 1960, la découverte de cette structure moléculaire était
encore toute récente. Aujourd’hui, la notion s’est vulgarisée : chacun sait plus
ou moins clairement que tout individu est précisément défini par un ADN qui
lui est propre. Cette idée a si bien tracé son chemin que le sigle ADN est
devenu synonyme d’identité et qu’il est employé de plus en plus souvent au
sens figuré pour dire ce qui caractérise un individu aussi bien qu’une entreprise
ou n’importe quelle communauté humaine. Dire de telle qualité qu’elle est
dans l’ADN d’une entreprise, c’est dire qu’elle la caractérise de façon
incontestable et définitive, mais c’est le dire de manière savante en laissant
entendre que l’on a des connaissances scientifiques et l’on joue les « m’as-tu-
entendu » qui vont généralement de pair avec les « m’as-tu-vu ».
Cet ADN est désormais partout, et ce que l’ont met dedans est incroyable :

« Or notre cahier des charges étant plus souple,
l’innovation fait partie de notre ADN. »
(LesEchos.fr, 17 octobre 2017)

« L’identité protestante […] fait partie intégrante
de notre «ADN» évangélique. »
(Famillechretienne.fr, article de Pierre Jova publié
le 17 octobre 2017)

« La recherche et le développement font partie
de son ADN. »
(Echorepublicain, 11 octobre 2017)

« Cet acte “fait partie de l’ADN de l’entreprise”. »
(Franck Bensaid, article publié le 17 octobre 2017
dans Leprogres.fr)

L’innovation, l’identité protestante, la recherche et le développement, un
certain acte… et aussi, dans d’autres utilisations, être « green », le harcèlement
sexuel (pour l’ADN d’Hollywood), la solidarité, un arôme équitable, etc. C’est
fou ce que l’on peut mettre dans l’ADN ! D’innovante, l’expression est devenue
énervante. Je me demande si ceux qui l’utilisent savent vraiment ce qui se
cache derrière ces trois lettres.
Remplaçons donc l’ADN par son équivalent plus directement
compréhensible : l’« identité » ou, si l’on veut conserver l’allusion biologique :
« nos gènes », « vos gènes », « ses gènes », « leurs gènes », etc. Sachons varier
les plaisirs. Là où il y a des gènes, il peut y avoir des plaisirs.






Depuis la découverte de l’acide désoxyribonucléique, la notion d’ADN s’est vulgarisée.
Au sens figuré, l’expression « fait partie de notre ADN » s’est banalisée.

Réutilisons des formules simples et plus directement compréhensibles.


161

LE SYSTÈME N’EST PAS


[Z] HORS-LA-LOI

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Encore un bien moche pataquès ! Encore une méconnaissance des « h »
aspirés ! Encore un exemple, un de ceux que j’annonçais dans la fiche 154, avant
de proposer un apprentissage des verbes commençant par ce fichu « h » aspiré.
Supposant que cet apprentissage n’est plus à faire et que ces verbes vous ont
ouvert l’appétit, je ne résiste pas à la tentation de calmer votre soudaine
fringale en vous offrant la liste, un peu plus longue, des principaux noms
communs dont l’initiale aspirée est phonétiquement représentée dans les
dictionnaires par une apostrophe.

hâbleur, hâblerie, hache, hachette, hachis, hachoir, haddock, haie, haillon,
haine, halage, hâle, halètement, hall, halle, hallebarde, hallebardier, hallier, halo,
halte, hamburger, hameau, hampe, hamster, hanap, hanche (à ne pas confondre
avec l’anche de certains instruments à vent), handball, handicap, handicapé,
hangar, hanneton, hantise, harangue, haras, harcèlement, hardes, hareng, haricot
(dont le « h » est bien aspiré, contrairement à une rumeur très répandue !),
harnais, harpe, harpon, hâte, hauban, hausse, hautbois (et tous les composés
avec « haut »), havre, hayon, heaume, hennin, hennissement, héraut, hère,
hérisson, hernie, héron, héros (mais pas « héroïne », ni « héroïsme », ni
« héroïque » !), herse, hêtraie, hêtre, heurt, heurtoir, hibou, hideur, hiérarchie,
hiéroglyphe, hip-hop, hippie, hochement, hochet, hockey, hold-up, homard,
honte, hooligan, hoquet, horde, hors-d’œuvre (et tous les composés avec
« hors »), hot-dog, hotte, houblon, houille, houle, houlette, houppe,
houppelande, hourra, hourvari, housse, houx, hublot, huche, huée, huguenot,
huée, huis clos, huitaine, hulan, hulotte, hune, huppe, hure, hurlement, hussard,
hutte.

« Hors-la-loi » y figure, par procuration, puisqu’il fait partie des composés
avec « hors », comme « hors-d’œuvre ».
« Hors-la-loi » a une histoire étymologique assez épatante. L’expression nous
vient de l’anglais outlaw qui s’appliquait à tout individu vivant en marge de la
société et qui, par conséquent, ne respectait pas ses lois. Outlaw peut aussi
désigner un proscrit. Le mot fut d’abord employé tel quel au XIXe siècle comme,
par exemple, chez Michelet :

« Le héros romain, le fondateur de la cité,
doit être d’abord un homme sans patrie et sans loi,
un Outlaw, un banni, un bandit, mots synonymes
chez les peuples barbares. »
(Jules Michelet, Histoire de la République romaine,
livre I, ch 1, 1839)
Le mot outlaw fut un temps rendu par le latin ex-lex, et ensuite
littéralement traduit en français, out par « hors » et law, bien sûr, par « la loi ».
Précisons que la préposition « hors » est issue de l’ancien français « fors » (du
latin foras, foris « dehors ») dont le « f » s’est mué en un « h » ASPIRÉ. Ne pas
l’aspirer me met hors de moi.




Le « h » de « hors-la-loi » est aspiré.
« Hors-la-loi » est une traduction littérale de l’anglais outlaw.

« Hors » vient de l’ancien français « fors », dont le « f » est devenu « h » aspiré.


TESTEZ-VOUS !

1. Quand le nom « gîte » est-il féminin ?

2. Citez trois verbes qui, utilisés avant « à une date ultérieure »,
engendrent un pléonasme.

3. Complétez les phrases suivantes en accordant le participe passé ou
l’adjectif mis entre parenthèses et en italique.
a) Je suis tombé sur une bande de loubardes qui avaient l’air (dangereux).
b) J’aime cette actrice quand elle prend ce petit air (effarouché).
c) Françoise, quand tu ricanes de cette façon, tu as vraiment l’air (abruti).
d) Dans cette parade madrilène, les rois mages ont l’air (noble) qui sied à
des ambassadeurs.

4. L’anglais « gap » tend à s’imposer de plus en plus, prenant la place de
mots français mieux adaptés aux différents contextes. Citez au moins trois
de ces mots.

5. Que signifie le sigle ADN au sens propre ?



6. Que signifie le sigle ADN au sens figuré ?

7. Quelle est l’origine du nom « hors-la-loi » ?


162

SCOLOPENDRE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Un mot difficile à glisser dans la conversation courante ! Qu’il désigne
l’arthropode dont certaines espèces sont venimeuses, ou la fougère qui pousse
dans les ravins et sur les vieux murs, le mot « scolopendre » ne fait pas partie
des sujets que l’on aborde quotidiennement, mais, sachant que l’arthropode
est communément appelé « mille-pattes », vous pouvez toujours lors d’un
repas entre amis, proposer cette devinette : « Qu’est-ce qui fait 999 fois tic et
une fois toc ? »
Réponse : un mille-pattes avec une jambe de bois.
Et vous pouvez renchérir en expliquant que l’on connaît environ 10 000
espèces de mille-pattes, qu’aucune n’est vraiment dotée de mille pattes, que
celle qui a le plus de pattes est le myriapode avec 700 seulement, et vous
rebondissez sur vos deux pattes en demandant un exemple de myriapodes
bien représenté en France. Dès que le nom « scolopendre » est cité vous
précisez qu’il est féminin, tant pour le myriapode que pour la fougère… et le
tour est joué !
Pourquoi avons-nous tendance à mettre « scolopendre » au masculin ?
Sur dix noms communs se terminant par « -endre » ou « -andre »
(phonétiquement semblables), cinq sont masculins, « gendre, esclandre,
méandre, scaphandre, palissandre » et cinq sont féminins : « calandre, cendre,
coriandre, misandre » et notre « scolopendre ». Le combat est donc
parfaitement égal et la parité, respectée ; cependant, les mots masculins sont
beaucoup plus usuels que les féminins.
CQFD !





Le mot « scolopendre » désigne un mille-pattes ou une fougère.
Dans les deux cas, il est féminin : UNE scolopendre.
Sur dix noms se terminant par « -endre » ou « -andre » (même phonétique), cinq sont
masculins, cinq sont féminins.
163

FERMER LES MAISONS


CLOSES

PLÉONASMES



La demande fut de Marthe Richard. L’accusation de pléonasme fut d’Arletty.
Clemenceau (ou Paul Claudel) eut aussi son mot à dire. La chose est donc
historique. On dirait aujourd’hui (hélas !) qu’elle fit le buzz : contentons-nous de
dire qu’elle défraya la chronique (cf. 40).
Le 13 décembre 1945, Marthe Richard (1889 ‒ 1982) dépose un projet de loi
devant le Conseil municipal de Paris dont elle est membre : elle propose que
les maisons closes soient fermées. Sa proposition est votée le 20 décembre. La
campagne de presse qui s’ensuit ayant été menée avec succès et le ministre de
la Santé publique et de la Population, Robert Prigent, ayant apporté son
soutien, la loi est votée par la Chambre des députés le 13 avril 1946 après que
les 195 lupanars de la capitale ont été fermés dès l’hiver de l’année précédente.
Dans toute la France, 1 400 établissements sont clos à leur tour. Le fichier
national de la prostitution est remplacé par un fichier sanitaire et social. Marthe
Richard, elle-même ancienne prostituée et veuve de guerre depuis 1916, figurait
sur ce fichier. Nombre de tenanciers de bordels se reconvertissent en
propriétaires d’hôtels. Marthe Richard reçoit le spirituel surnom de « Veuve
Qui-Clôt ».
L’événement suscitera d’autres mots d’esprit ; à l’annonce de cette
« fermeture des maisons closes », l’actrice Arletty s’écria (et il faut y entendre
son fameux accent parigot d’« Atmosphère, atmosphère… ») : « Fermer les
maisons closes, c’est plus qu’un crime, c’est un pléonasme. »
Arletty n’avait cependant pas tout à fait raison. « Fermer » et « clore », bien
que généralement synonymes, n’ont évidemment pas, dans ce contexte, la
même signification, le premier verbe étant pris dans le sens d’interdire, alors
que le second fait de la locution « maison close » un synonyme de « lupanar »,
« bordel », « maison de prostitution » ou « maison de tolérance », cette dernière
expression nous rappelant, d’ailleurs, la malicieuse boutade attribuée, selon les
uns à Georges Clemenceau, selon les autres à Paul Claudel, selon d’autres
encore, à Georges Bernanos (autant avouer que l’on ignore l’auteur !) : « La
tolérance ! Il y a des maisons pour ça ! »


« Fermer les maisons closes » fut un projet de loi proposé en 1945 par Marthe
Richard.
Il ne s’agit pas d’un pléonasme à proprement parler, car « fermer » et « clore » n’y
sont pas synonymes.

« Fermer » y signifie « interdire » et « maison close » est un euphémisme pour


« bordel ».
164

JE VAIS SUR TOULOUSE



SOLÉCISMES



Dans son roman Je m’en vais, Jean Echenoz met cette récrimination dans la
bouche d’une jeune femme rencontrée au bord de la route :

« Puis elle articule d’une voix monocorde et récitative,
un peu mécanique et vaguement inquiétante,
qu’elle ne va pas sur Toulouse mais à Toulouse,
qu’il est regrettable et curieux que l’on confonde ces
prépositions de plus en plus souvent, que rien ne justifie
cela qui s’inscrit en tout cas dans un mouvement général
de maltraitance de la langue contre lequel on ne peut
que s’insurger, qu’elle en tout cas s’insurge vivement
contre, puis elle tourne ses cheveux trempés
sur le repose-tête du siège et s’endort aussitôt.
Elle a l’air complètement cinglée. »
(Les Éditions de minuit, 1999, p. 194).

« Un mouvement général de maltraitance de la langue » ! Je m’en vais,
roman dont cet extrait est issu, a reçu le prix Goncourt en 1999. Avec une
mauvaise foi revendiquée et une subjectivité dont je m’enorgueillis, je prétends
que pour cet extrait seulement, voire pour cette unique phrase, Jean Echenoz
méritait le prix Goncourt. Quel bonheur de lire ces lignes !

Ce qui n’était, il y a dix-neuf ans, qu’une suspicion est devenu, trois fois
hélas !, une indéniable certitude. Quelque abruti patenté a trouvé drôle, un
jour, de détourner la préposition « sur » de ses emplois corrects, l’utilisant
devant une indication de lieu où l’on se rend, où l’on réside, où l’on travaille.
Ce sombre crétin des Alpes n’a donc pas pu s’empêcher de dire à son ami
Glandu :

« J’habite sur Bordeaux ; je travaille
sur Montauban ; je vais sur Toulouse. »

Que pensez-vous que fit Glandu ? Admirateur de son imbécile d’ami, il
s’empressa de l’imiter. Trouvant « géniâaal » de faire la nique à la malheureuse
préposition « à », il prit l’habitude de dire qu’il « habitait sur Agen, travaillait sur
Langon et se rendait très souvent sur Bordeaux ». Et c’est ainsi que maintenant,
quand vous reprenez un adepte du panurgisme langagier en lui expliquant
qu’on ne dit pas « Je travaille sur Bordeaux », mais « à Bordeaux », il vous
regarde, ahuri, et s’étonne : « Ah, bon ? »


À cause d’une tendance ridicule, on prend plaisir à remplacer la préposition « à »
par la préposition « sur ».
On ne doit pas dire « habiter sur Paris », « travailler sur Lyon », « aller sur
Marseille ».
La préposition « à » remplit parfaitement cet office.
165

AUTANT POUR MOI



BARBARISMES



Barbarisme ? Pas vraiment, car, d’une part, la faute ne peut se révéler qu’à
l’écrit et, d’autre part, « autant pour moi ! » peut se dire sans être impropre :
tout dépend du contexte. Imaginons deux copains se retrouvant chez la
boulangère après l’école. Ils achètent des bonbons. L’un dit : « J’en voudrais
pour trois euros cinquante ! » La boulangère concocte un petit mélange de
réglisse, de nounours en guimauve, de caramels qui collent bien aux dents, de
bonbons fourrés, de bonbons acidulés, etc. En tendant le sachet à l’enfant, elle
se tourne vers l’autre qui, riche aussi de trois euros cinquante, lui lance :
« Autant pour moi ! » Évidemment, il n’est pas question de cet « Autant pour
moi ! »-là. Alors, passons du temps de l’école à celui de l’armée, quand existait
encore le service militaire et imaginons la répétition d’une prise d’armes.
Chacun sait que les commandements militaires s’exécutent en plusieurs temps
qui se décomposent eux-mêmes en plusieurs mouvements, d’où,
probablement, l’expression « en deux temps trois mouvements » pour dire une
action réalisée en un rien de temps. C’est là aussi l’origine probable de
l’exclamation « au temps pour moi ! » par laquelle le distrait ou le maladroit
reconnaît son erreur. Elle nous vient aussi de l’homme des casernes :
« Garde à vous ! Présentez armes !… »

Le deuxième classe Dugommier s’est fourvoyé dans l’une des étapes du
commandement à exécuter. Il lui faut revenir au temps précédent sous l’œil
noir de son adjudant courroucé.
« Garde à vous ! Présentez armes ! Reposez armes ! Repos ! Rompez ! »
Le deuxième classe Dugommier devrait pourtant être rompu à ces
exercices !




L’expression « Au temps pour moi ! » appartient, à l’origine, au lexique militaire.
Les commandements militaires sont exécutés en temps et mouvements.
L’erreur dans l’exécution d’un temps oblige à revenir au temps précédent.
166

HAPPY FEW

ANGLICISMES



« Je suis en extase et rien à voir avec une soirée
que j’aurais pu passer avec des “Happy Few”
des médias, des privilégiés, toujours les mêmes. »
(Chronique de Guy Birenbaum, francetvinfo.fr,
le 20 octobre 2017)

« Sans ces salauds de pauvres, les routes parisiennes
seraient plus paisibles et plus fluides, car réservées
aux happy few, capables de se mouvoir avec d’onéreuses piles sur roues. »
(Article de Marc Suivre, publié le 17 octobre 2017
dans contrepoints.org)

« Quant au divertissement, il est aussi présent
(surtout peut-être pour les “happy few” gravitant dans
les milieux de l’art contemporain, de la presse
ou de la communication). »
(Article publié dans lesechos.fr par Annie Coppermann le 19 octobre 2017)

Parler de « quelques privilégiés » ou « de rares élus », voire de « quelques
personnes choisies » plutôt que de happy few n’aurait dévalorisé ni la
chronique de Guy Birenbaum ni l’article de Marc Suivre. L’emploi de
l’anglicisme dans l’article d’Annie Coppermann semble plus justifié, compte
tenu du contexte snob dont il est question. Tous trois et tous les autres
utilisateurs de ce « happy few » peuvent-ils se prévaloir de celui qui a, le
premier, introduit l’anglicisme dans le vocabulaire français ? Il s’agit de Stendhal
qui, en 1839, termine sa Chartreuse de Parme par cette dédicace : « To the
happy few », comprenons : « Aux quelques privilégiés capables de me suivre et
m’apprécier. » Il avait déjà exprimé l’idée dans Vie de Henri Brulard, roman
inachevé, (1835-1836) : « J’écris pour des amis inconnus, une poignée d’élus qui
me ressemblent : les happy few. »
Il n’est pas rare de trouver « happy few » précédé de « quelques » :

« Carla Bruni […] a interprété en live devant
quelques happy few quelques chansons
de son nouvel album. »
(Gala.fr, article publié le 18 octobre 2017
par Virginie Rousset).

Dans ce cas, l’anglicisme se double d’une tautologie puisque « quelques » est
la traduction de « a few ». « Quelques rares happy few » est doublement
pléonastique : « few » (sans article) exprime en effet la notion de rareté.


Stendhal a, le premier, utilisé l’anglicisme « happy few » en 1839.
« Quelques happy few » est un anglicisme doublé d’un pléonasme.
Utilisons plutôt « quelques privilégiés », « de rares élus » (Stendhal parle d’« une
poignée d’élus ») ou encore de « quelques personnes choisies ».
167

CLIVANT

TOURNURES EXASPÉRANTES



« La popularité d’Emmanuel Macron remonte,
mais il est de plus en plus clivant. »
(Titre d’un article publié le 5 octobre 2017 dans
Huffingtonpost.fr par Alexandre Boudet)

« “Il refuse d’être clivant, il veut être inclusif.” »
(Europe1.fr, article publié le 17 octobre 2017, propos
attribués à Jean-Luc Mélenchon)

« Clivant » ! Cet adjectif, utilisé depuis quelques années, fleurit surtout en
terrain politique. Il a souvent qualifié Nicolas Sarkozy, plus précisément son
attitude, ses propos, ses chevaux de bataille, etc. C’est à l’occasion de la
campagne présidentielle de 2012 que « clivant » aurait envahi les discours
électoraux :

« Il paraît que tous ces thèmes sont “clivants” puisque c’est le nouveau mot à
la mode pour cette campagne. »
(Thierry Desjardins, Le « clivage » dans les broutilles, 18 février 2012)

Aujourd’hui, « clivant » s’applique à Emmanuel Macron, Édouard Philippe,
Gérard Collomb, Laurent Wauquiez, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Valls,
Robert Ménard…
Qui dit mieux ? Toute la palette politique est concernée, de l’extrême
gauche à l’extrême droite. Hormis la tribu politique, « clivant(e) » est aussi bien
pratique pour caractériser certains thèmes, certaines idées : le mariage des
homosexuels, l’euthanasie, l’ouverture dominicale des commerces, une date
pour commémorer mai 68, l’euro, une métaphore (premiers de cordée), la
parité (forcément !), la réforme des retraites, une campagne de communication,
une musique hip-hop, une histoire d’amour (celle de Brigitte Bardot et Samy
Frey dans La Vérité) et l’on a envie d’ajouter « un raton laveur ».
Épatant cet adjectif que l’on peut appliquer à tout ce qui divise l’opinion, à
tout ce qui permet de n’être pas d’accord, à tout ce qui crée la guéguerre, qui
permet l’invective réciproque, le barouf à l’Assemblée nationale, la discorde
dans les familles, les différends, les brouilles, les engueulades, les empoignades,
les échauffourées, les bagarres en tous genres. C’est dire l’utilité de ce
« clivant(e) ». On se demande même comment on a pu faire sans lui.
L’ennui, c’est que le verbe « cliver » n’a d’officielle que l’acception de
« fendre ». Avec « diviser » et « qui divise » comme significations respectives,
« cliver » et « clivant » ne figurent au dictionnaire qu’en tant que néologismes.
Or la langue française a le sens des nuances : « fendre » n’est pas « diviser » !
Raison de plus pour être exaspéré en entendant ce néologisme mille fois
répété sur les ondes. Bien sûr, on a « scissionnaire » un peu long (trois
syllabes !), savant, certes, mais pourquoi ne pas tenter de le remettre en
usage ?





« Clivant » est un mot à la mode, surtout utilisé en politique.
C’est un néologisme, car « cliver » n’admet pas l’acception que l’on donne à
« clivant ».

Quid de « scissionnaire » ?
168

ENCORE CE « H » ASPIRÉ

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Voici un petit texte qui accumule les « h », tant muets qu’aspirés. À vous de
les identifier et d’adapter votre lecture (à haute voix) en en tenant compte.

L’« h » hypocrite et le « h » haïssable

Est-il aspiré ? Est-il muet ? Doit-il hacher le discours, le rendre haletant,
presque hoquetant ou bien le préserver sans heurt et en toute harmonie ?
Aspirer l’« h » quand il est muet, faire la liaison ou l’élision alors qu’aspiré, il
interdit l’une et l’autre, c’est perdre son honneur et rougir sous les huées, bref,
c’est une honte. Mais comment ne pas hésiter ? Savoir que le « h » aspiré nous
vient du germanique et que l’autre, le muet, est issu du latin, ne nous avance
guère. Voilà un héritage invisible qui n’enlève rien au hasard. Le « h » nous
hante et nous harcèle et l’« h » nous horripile. Ces « h » nous sont hostiles, ils
sont un handicap. Pour un peu, ils nous feraient hurler !

Des écueils ? Des hésitations ? Des incertitudes ?
Vous avez encore au moins une chance, mais avant, me permettrez-vous de
vous donner un petit conseil.

Pour bien réciter une poésie, votre vieil instituteur ne vous invitait-il pas à
parsemer le texte de ces signes pratiques qui indiquent une liaison ({) ou une
césure (/) ?

Appliquons donc cette bonne vieille méthode.

Solution au prochain chapitre consacré aux « pataquès et fautes de
prononciation ».



TESTEZ-VOUS !

1. Citez trois noms qui, terminés par « -endre » ou « -andre », sont
féminins, comme « scolopendre ».

2. Citez trois noms qui, terminés par « -endre » ou « -andre » sont
masculins, contrairement à « scolopendre ».

3. Pourquoi, malgré les apparences, l’expression « fermer les maisons
closes » n’est-elle pas un pléonasme ?

4. Corrigez, le cas échéant.
a) Cette auto-stoppeuse désire aller sur Saint-Tropez.
b) Mes parents habitent encore près de Nantes.
c) Pourquoi voulez-vous absolument travailler sur Lyon ?

5. À quel vocabulaire l’expression « au temps pour moi ! » appartient-
elle ?

6. Quelles sont les deux expressions susceptibles de remplacer
l’anglicisme « happy few » ?

7. Qui a, le premier, introduit « happy few » en français ?

8. Comment, dans un texte écrit, peut-on indiquer qu’un mot dont
l’initiale est un « h » muet doit être lié avec le mot précédent ?

9. Même question pour les césures obligatoires devant un « h » aspiré.

169

ESPÈCE

FÉMININ OU MASCULIN ?



A-t-on jamais vu un nom s’accorder en genre avec son complément ?
Illustration : Dans « un kilo d’abricots », il se trouve que le nom « abricots »
est masculin comme le nom commun « kilo » dont il est le complément. « Kilo »
doit-il se féminiser si son complément est féminin : « une kilo de cerises » ?
« Une course de bicyclettes » deviendrait « un course de vélos ». Enfonçons le
clou avec deux noms synonymes d’« espèce » : « un genre de chapeau »
donnerait « une genre de robe » ; « une sorte de poésie » s’opposerait à « un
sorte de poème ». Comme il se doit, cela vous choque ; alors, n’êtes-vous pas
tout pareillement choqué quand « une espèce de machine » devient « un
espèce d’engin » ?

Cette faute est récurrente, y compris chez les intellectuels, écrivains,
journalistes, philosophes, discoureurs en tous genres qui, à la télévision,
évoquent « un espèce d’énorme vide politique », « un espèce de tabou sur la
com à gauche », « un espèce de chantage », « un espèce de piège », « un espèce
de spectre », « un espèce de bricolage amateur », « un espèce d’annexe du
PS », « un espèce de syndrome », etc. STOP !!!

Mesdames et Messieurs les bavards médiatiques, sachez au moins donner
l’exemple en matière de langue et sachez vous-mêmes que dans tous les cas (y
compris les cas d’espèce), quels que soient les compléments, quels que soient
les emplois et les acceptions, « espèce » est un nom féminin : UNE espèce de…






Le genre du nom « espèce » ne dépend pas de son complément.
On ne doit dire ni « une genre de… » ni « un sorte de… ».
Il n’est pas plus correct de dire « un espèce de… » : « espèce » est féminin.
170

… SINUEUX QUI
SERPENTE

PLÉONASMES



« […] où serpente une route à la fois sinueuse et sèche. »
(Haïti Press Network, texte de Lionel Édouard
paru le 4 octobre 2017)

« Pour explorer la route sinueuse qui serpente
sur sa corniche étroite. »
(TourMag.com, 10 novembre 2016)

« Une route sinueuse et déserte qui serpente
dans un décor volcanique […] »
(L’Argus, 20 mars 2017)

Qu’elle soit sèche, sur une corniche ou dans un décor volcanique ne change
rien à l’affaire : si la route est sinueuse, c’est qu’elle serpente et si elle
serpente, elle est forcément sinueuse. Voyons si les dictionnaires nous le
confirment.
Demandons à Grand Robert :
« Serpenter : aller ou être disposé suivant une ligne sinueuse. »
Voyons du côté de Petit Larousse :
« Serpenter : décrire des sinuosités. »

L’aspect poétique des descriptions atténue sans doute la faute et à défaut
de pléonasme avéré, soulignons, dans les trois citations, la redondance.
En revanche, le pléonasme est indéniable si l’on parle de « méandres
sinueux », comme Christiane Goor dans son article paru le 7 juin 2017 dans
Epoch times :

« Le Lot dessine un sillon de vie, celui des hommes qui ont apprivoisé ses
rives entre falaises abruptes et terres alluviales au fil de méandres sinueux. »

ou Maryse Emel dans son texte publié le 21 juin 2017 dans nonfiction.fr :

« Le récit est tout à la fois une histoire particulière, celle de Pauline, et une
histoire générale, celle de la mémoire dans ses méandres sinueux. »

« Méandres » est l’un des nombreux noms communs issus de noms propres.
L’étymologie confirme le pléonasme que constitue l’expression « méandres
sinueux » : Méandre (Maiandros en grec, Menderes en turc) est un fleuve
d’Asie Mineure (ancienne Phrygie correspondant à l’actuelle Turquie), long de
450 km. Il passait près de l’antique ville de Magnésie. Caractérisé par son cours
particulièrement sinueux, Méandre a donné naissance au nom commun en 1522.







Une route sinueuse ne peut que serpenter.
Une rivière sinueuse est forcément constituée de méandres.

Il y a pléonasme dans chacun des cas.


171

SOUFFRIR SOUFFRIR DE

SOLÉCISMES



« La légitimité de notre bureau ne souffre d’aucune contestation. »
(MaliActu.net, article publié le 20 octobre 2017)

« Sa victoire en mai sur décision des juges avait été vivement discutée, sa
défaite en octobre ne souffre d’aucune contestation. »
(Lemonde.fr et AFP, article publié le 22 octobre 2017)

« Elle ne souffre d’aucune discussion. »
(sudouest.fr, article d’Alain Goujon,
paru le 22 octobre 2017)

« […] des œuvres dont la magnificence
ne souffre d’aucune critique. »
(lenouvelliste.com, article publié le 21 octobre 2017)

Il est successivement question du bureau d’une fédération de football, du
résultat d’un combat de boxe, de la défaite d’une équipe de rugby, d’une
exposition d’artisanat d’art.
Dans les quatre cas, la faute est au rendez-vous. Souffrez, Messieurs et
Mesdames les journalistes, que je vous critique, vous reprenne et vous corrige.
Sachez que l’absence ou la présence d’une toute petite préposition change
totalement le sens de votre phrase.
Le verbe « souffrir » employé avec « de » est indirectement transitif, c’est-à-
dire qu’il accepte un complément d’objet, mais indirectement. Il veut dire alors
« éprouver des douleurs physiques ou morales ». Sans cette préposition « de »
(on devrait d’ailleurs plutôt parler de « postposition »), il devient directement
transitif et change de sens pour signifier « accepter », « tolérer », « admettre »,
ce qui est, de toute évidence, le sens qu’il revêt dans nos quatre exemples.
Ce tout petit mot, « de », comme toute postposition, a d’importantes
conséquences sur la syntaxe. Théophraste nous le prouve en deux nouveaux
exemples :
Théophraste est un artiste.
A. Il souffre de n’être pas connu.
B. Il ne souffre aucune critique injustifiée.
A. De quoi souffre-t-il ?
B. Que ne souffre-t-il pas ?
A. Le mal dont il souffre est moral.
B. Les critiques qu’il ne souffre pas sont les critiques injustifiées.


Ne pas confondre « souffrir » et « souffrir de ».
Une simple préposition (postposition) peut changer le sens d’un verbe.
Une simple préposition (postposition) verbale change la syntaxe.
172

MARTYR MARTYRE

BARBARISMES



L’étymologie, encore et toujours, nous ouvre la voie vers une lumière
bénéfique : celle d’une compréhension clairement enrichie. C’est le cas du mot
« martyr » qui nous vient du grec martur (martus), « témoin », via le latin
chrétien martyr (martus, martyr, martyris), « témoin de Dieu », martyrium
désignant, toujours en latin l’« action de témoigner sa foi ». Être témoin de
Dieu, c’est se sentir le devoir de soutenir qu’il s’est incarné en Jésus-Christ et
qu’il fut crucifié, même si, pour cela, il faut souffrir intensément.
Les hagiographies (les vies de saints) sont en effet d’une violence extrême :
refusant d’abjurer leur foi, la plupart de ces « témoins de Dieu » subirent
d’atroces supplices avant de connaître une fin immonde : décapités (Alban,
Aurèle, Catherine, Côme, Damien, Denis, Félix, Inès, Jean le Baptiste, Nathalie,
Pancrace, Paul, Reine), brûlés vifs (Agnès, Juliette, Laurent), crucifiés
(Barthélemy, Pierre), lapidés (Didier, Matthias), éventrés (Érasme, Mamert),
emmurés (Sept Dormants), empalé (Benjamin), broyé sous une meule (Victor)
et tant d’autres ! Ces chrétiens des premiers âges furent des martyrs (Bossuet
précise « martyrs de Jésus-Christ »). Si l’on pense plus précisément à Agnès,
Catherine, Inès, Juliette, Nathalie et Reine, on parlera, évidemment, de
martyres. Au XIIe siècle, l’« i » grec avait disparu (ou n’était pas encore apparu) :
les martyrs étaient donc des « martres ». La colline au nord de Paris prit le nom
de Montmartre, c’est-à-dire « mont des martyrs », parce que des reliques de
chrétiens torturés à mort y furent vénérées. Parce qu’ils moururent pour
n’avoir pas abjuré, ces chrétiens furent béatifiés puis canonisés par l’Église. Ils
devinrent donc bienheureux avant d’être des saints. Les souffrances qu’ils
endurèrent prirent le nom de « martyre » (avec un « e » final qui n’a rien à voir
avec une féminisation puisque le mot est masculin).





Les chrétiens qui moururent dans d’atroces souffrances pour n’avoir pas voulu renier
leur foi sont des « martyrs ».

Plus spécifiquement, les femmes qui connurent le même sort sont des « martyres ».

Ces chrétiens et chrétiennes des premiers siècles ont souffert « LE martyre ».


173

JUSTE

ANGLICISMES



Notre époque connaît une pléthore de « juste ». Non pas une immense
quantité de personnes équitables, éprises de justice, dont le sommeil n’est
troublé par aucun remords : ce serait trop beau ! Il n’est pas plus fait référence
aux « justes parmi les nations », ceux qui ont porté secours à des juifs pendant
la Seconde Guerre mondiale : ce serait encore plus beau ! On ne parle pas non
plus de l’adjectif synonyme d’« équitable », d’« exact », de « véritable », de
« légitime », synonyme encore d’« à peine suffisant ». Il ne s’agit pas davantage
de l’adverbe « juste » signifiant « avec justesse », comme dans « jouer juste »,
« avec précision », comme dans « ma maison est juste à côté du cinéma
Olympia ». On peut aussi éliminer le prénom « Juste », celui qui déclenche un
quiproquo hilarant dans Le Dîner de cons. Non, aucun de tous ces « juste »-là
dans la pléthore de « juste » dont il est question. Alors ? Alors, ce « juste »-là
n’est pas dans le dictionnaire et pour cause : ce n’est qu’une traduction
littérale, inutile et snobinarde de l’anglais « just » dont une traduction exacte et
parfaitement française serait « (tout) simplement » ou, dans un style plus
familier : « tout bonnement ».

« Il n’y a pas de secret, ils étaient juste
plus rapides que nous. »
(L’Équipe, propos de Sebastian Vettel,
article publié le 22 octobre 2017)
→ Il n’y a pas de secret, ils étaient (tout) simplement plus rapides que nous.

« On n’est pas injouables, on est juste bien organisés,
solidaires, et on défend bien. »
(sports.orange.fr, propos d’un entraîneur de football, 20 octobre 2017)
→ On n’est pas invincibles, on est simplement bien organisés, solidaires, et
on défend bien.

« Merci d’écouter ce morceau de Lali Puna qui est juste excellent. »
(Lesinrocks.com, article de Clémence Van Egmond, publié le 4 octobre 2017)
→ Merci d’écouter ce morceau de Lali Puna qui est tout simplement
excellent.

Cet emploi de « juste » s’explique donc par l’influence de l’anglais « just » ;
qui plus est, « juste » est un adverbe court, deux critères qui plaisent aux jeunes
(et moins jeunes) ; il a donc pris racine dans leur langage. Il y prolifère au point
de s’inviter même là où il n’a rien à faire puisqu’il n’apporte aucune information.
S’exclamer, par exemple, « C’est juste énorme ! » ne signifie pas davantage que
« C’est énorme ! » qui ne signifie déjà pas grand-chose. Si « énorme » est
employé au sens de « formidable », « incroyable » ou d’autres adjectifs
superlatifs du même tonneau, contentons-nous de le dire, tout simplement, et
mettons au rebut ce « juste » qui ne sert à rien (les grammairiens parlent
d’« explétif »).




Le mot « juste » est souvent utilisé dans un sens non reconnu par les dictionnaires.
C’est la traduction littérale de l’anglais « just ».

Quand il est signifiant, « juste » peut alors être remplacé par « (tout) simplement ».
174

CHANGER DE LOGICIEL

TOURNURES EXASPÉRANTES



Toute innovation technologique, toute invention scientifique donnent lieu à
la création de mots, voire de tout un vocabulaire. Tel est le cas de
l’informatique. Née avant la Seconde Guerre mondiale, développée et
démocratisée à partir des années 1970, l’informatique a connu une évolution
considérable dont le summum fut atteint avec l’Internet et ses applications que
sont le world wide web (la « toile »), le courrier électronique et la messagerie
instantanée. Cette révolution ne pouvait que donner naissance à un important
lexique, conçu et traduit par des commissions spécialisées avant d’être publié
dans des revues de terminologie telles que la Banque des mots.
Nous avons ainsi à notre disposition toute une série de mots en « -ciel » :
logiciels, didacticiels (logiciels éducatifs), ludiciels (logiciels de jeux), progiciels
(logiciels à l’intention des entreprises), progéniture qui n’a vécu que peu de
temps. Seul « logiciel » continue de vivre et de prospérer, y compris par
procuration et sous d’autres cieux que ceux qui l’ont vu naître. Il est lui-même
de bonne naissance puisqu’il a hérité du « logic » de « logique » et de la finale
« -iel » de « matériel ».
En politique, on aime utiliser le mot au sens figuré :

« Mais où est le bug dans le logiciel
d’Emmanuel Macron ? »
(atlantico.fr, article publié le 11 octobre 2017)

« Hôpitaux publics: un appel à “changer de logiciel” »
(Le Figaro + AFP, 20 août 2017)

« Il faut donc changer de logiciel diplomatique
si l’on veut sortir de la crise actuelle. »
(Libération, Tribune de Théo Clément sur la Corée du Nord, publiée le 11
juillet 2017)

Un logiciel est un ensemble de programmes et de données structurées en
fichiers, programmes devant être exécutés par un ordinateur. Transposer le
concept du logiciel à d’autres domaines que l’informatique était une bonne
idée, originale et pertinente, mais, dans les médias, elle tend à devenir
répétitive et risque à la longue d’être insupportable, surtout pour ceux qui
n’entendent pas grand-chose à l’informatique et ne savent pas ce qu’est un
logiciel. Même si la tentation est grande de montrer que l’on est branché (en
l’occurrence « connecté ») en ponctuant ses discours d’expressions imagées
faisant référence aux sciences et à la technologie, veillons à ne pas dépasser la
mesure, au risque de devenir abscons et obscurs. Par ailleurs, même si l’image
du logiciel est bien comprise, elle peut être trop floue ; soyons alors explicites
et plutôt que « changer de logiciel » et, selon les cas, parlons de « changer de
méthode », « changer de gestion », « changer de politique », etc.





Transposer la notion de « logiciel » à d’autres domaines que l’informatique semblait
être une bonne idée.
Elle devient toutefois répétitive et peut être perçue comme insupportable.

Sachons lui substituer des expressions plus explicites.


175

ENCORE ET TOUJOURS
CE « H » ASPIRÉ
QUI, DÉCIDÉMENT, NOUS INSPIRE

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Comme promis, voici le texte plein de « h », augmenté des
‒ signes de liaison : { ;
‒ et de séparation /.

Lisez-le encore plusieurs fois à haute voix.

Est-il aspiré ? Est-il muet ? Doit-il / hacher le discours, le rendre / haletant,
presque / hoquetant ou bien le préserver sans / heurt et en toute { harmonie ?
Aspirer l’« h » quand il est muet, faire la liaison ou l’élision alors qu’aspiré, il
interdit l’une et l’autre, c’est perdre son { honneur et rougir sous les / huées,
bref, c’est une / honte. Mais comment ne pas { hésiter ? Savoir que le « h »
aspiré nous vient du germanique et que l’autre, le muet, est issu du latin, ne
nous avance guère. Voilà un { héritage invisible qui n’enlève rien au / hasard.
Le « h » nous / hante et nous / harcèle et l’« h » nous { horripile. Ces « h » nous
sont { hostiles, ils sont un / handicap. Pour un peu, ils nous feraient / hurler !

Savoir prononcer le « h » fait partie des subtilités de la langue française. Les
principaux mots commençant par un « h » aspiré ont été inventoriés. On a déjà
mémorisé les principaux verbes et les principaux noms communs. Voici, pour
compléter l’inventaire, la liste des principaux adjectifs, celle des principaux
adverbes et prépositions, celle de quelques noms propres et quelques mots
exotiques. Nous sommes désormais capables d’éviter tout pataquès lié à la
prononciation des « h ». C’est une qualité précieuse, surtout si nous sommes
régulièrement amenés à prendre la parole en public.

hagard, haineux, haïssable, harassant, hardi, hargneux, hâtif, haussier, haut,
hautain, hâve, hideux, hiérarchique, hollandais, hongre, hongrois, honteux, huit
(mais pas dans « dix-huit » !), huitième
haineusement, hardiment, hideusement, hiératique, honteusement, hormis,
hors, huitièmement
Habsbourg, Hainaut, Hanovre, Havane, Henriade, Hollande, Hongrie,
Hottentot, Hun, Huron
habanera (espagnol), hamac (arawak), hammam (arabo-turc), hara-kiri
(japonais), harem (arabe), hasard (arabe)

TESTEZ-VOUS !

1. Citez deux expressions synonymes d’« une espèce de ».

2. Citez quatre adjectifs commençant par un « h » aspiré.

3. Citez quatre noms propres ayant un « h » aspiré comme initiale.

4. Que veulent dire les décideurs en tous genres quand ils parlent de
« changer de logiciel » ?

5. Corrigez, si nécessaire.
a) Mes ordres ne souffrent d’aucun retard dans leur exécution.
b) Ma tante souffre d’une bronchite chronique.
c) Souffrez, chère amie, que je vous déclare ma flamme.
d) On compte nombre de martyres parmi les adeptes du christianisme
naissant.
e) Robinson Crusoé réussit à fabriquer un espèce de radeau avec des
vestiges du vaisseau naufragé
f) Il fut ensuite capable de se construire une sorte de cabane avec des
branchages.

176

CÂPRE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Ces condiments sont parfaits pour relever la pizza sicilienne (en plus de la
tomate, de la mozzarella, du basilic, des anchois et des champignons), l’aile de
raie au beurre noir et de nombreux plats traditionnels de la cuisine
méditerranéenne, maltaise notamment. Les câpriers sont de petits arbustes qui
poussent en abondance sur les îles de Méditerranée, notamment l’archipel
maltais, les îles éoliennes, Chypre et Pantelleria. Les câpres sont les boutons
floraux du câprier. Pour devenir ce condiment apprécié des gourmets, ces
boutons de fleur sont mis à confire dans le vinaigre. Il ne faut pas confondre les
câpres et les câprons qui sont, eux, les fruits du câprier, c’est-à-dire les
boutons floraux parvenus à maturité. Les câprons sont plus gros que les
câpres, ce qui revient à dire que

A. Les câpres sont plus petits que les câprons
ou
B. Les câpres sont plus petites que les câprons ?

Réponse B. : « Câpre » est du genre féminin UNE câpre.

D’aucuns diraient spontanément « un câpre » si l’occasion de le dire se
présentait, ce qui est assez rare puisque les câpres vont presque toujours par
poignées. Pourquoi le masculin semble-t-il s’imposer à de nombreux esprits ?
Influence phonétique ? Pas d’un autre nom en « -âpre » en tout cas, car
« câpre » est unique de son « espèce ». Il est alors probable que l’oreille
rapproche « câpre » de la sonorité la plus proche : « -âtre » ; or, sur les
quatorze noms communs français se terminant par « -âtre », treize sont
masculins (« âtre, albâtre, amphithéâtre, théâtre, psychiatre, bellâtre,
iconolâtre, idolâtre, mulâtre, pâtre, emplâtre, plâtre, parâtre »), un seul est
féminin : « marâtre ».
C’est une explication.




« Câpre » est du genre féminin : UNE câpre.
Pourtant, nombreux sont ceux qui masculinisent ce nom.
Peut-être par contamination des treize noms communs se terminant par « -âtre »,
sonorité la plus proche, le substantif « câpre » étant phonétiquement seul en son genre.
177

DÉNOUEMENT FINAL

PLÉONASMES



« Le feuilleton qui oppose Mohand-Cherif Hannachi à la nouvelle direction
de JSK, n’est pas près de connaître son dénouement final. »
(liberté-algerie.com, article de Mohamed Haouchine
publié le 26 octobre 2017)

« […] la cause des migrants en particulier ‒ point qui jouera un rôle dans le
dénouement final. »
(letemps.ch, critique de Sylvie Neeman publiée le 21 octobre 2017)

« Il faudra, bien sûr, attendre le dénouement final. »
(La Voix du Nord, article publié le 17 octobre 2017)

Si vous le prenez au sens propre (c’est le cas de le dire !), le mot peut
évoquer une histoire drôle, celle que nous racontait Coluche quand il tournait
en dérision les slogans publicitaires, plus particulièrement, ceux qui vantent le
mérite des lessives qui « lavent plus blanc que blanc », qui font disparaître les
taches sur les torchons, même quand on a fait un nœud dessus, mais, nous dit
l’humoriste, ça prend plus de temps, il faut faire les nœuds et après, il faut les
défaire et « les nœuds qui ont été dans l’eau, bonjour ! ». Il faut faire les nœuds
et les défaire, dit Coluche. Il ne dit pas « nouer les torchons et les dénouer »,
verbes qui sont quelque peu tombés en désuétude. A fortiori, il ne parle pas
du « dénouement » des torchons, car, bien que le mot ait aussi ce sens-là, Le
Grand Robert nous précise que son emploi est rare et Larousse ne le
mentionne pas.
En revanche, les dictionnaires le définissent ainsi : « Ce qui termine, dénoue
une action au théâtre », ou « Action de mettre fin à un récit, événement final
qui résout l’intrigue. »
Un dénouement est donc inévitablement final et nous avons bien affaire à un
pléonasme de la meilleure espèce, car le mot se suffit à lui-même.
Dans la tradition classique, le dénouement doit être un lieto fine, expression
italienne signifiant « fin heureuse ». Elle fut en usage jusqu’au début du
e
XIX siècle, surtout dans le domaine de l’opéra. Malgré une intrigue malheureuse
et compliquée, un « Deus ex machina » ou un retournement de situation
inattendu intervient pour tout arranger. À la fin du Don Giovanni de Mozart,
par exemple, après que le héros a été précipité dans les enfers, une série de
danses joyeuses conclut l’opéra, ballets que les metteurs en scène modernes
décident généralement de couper. Le spectateur quitte ainsi la salle avec, en
mémoire, l’image forte et indélébile d’un Don Juan châtié par le cadavre
statufié du commandeur.


Un dénouement se situe nécessairement à la fin d’une histoire, réelle ou fictive.
L’expression « dénouement final » est donc un pléonasme.
À l’opéra, le dénouement doit être un lieto fine, selon la tradition.
178

QUEL QUE QUELQUE



SOLÉCISMES



« Super Mario Odyssey s’adresse avec intelligence
à tous les joueurs : quelque soit leur niveau. »
(20minutes.fr, article de Jean-François Morisse,
publié le 26 octobre 2017)

« […] et ce, quelque soit l’ancienneté des contrats d’assurance-vie. »
(France Transactions, 13 octobre 2017)

« C’est par exemple 30 euros par chèque refusé,
quelque soit le montant. »
(France Info - France 3, publié le 26 octobre 2017)

En tout cas, Monsieur le journaliste de 20 minutes ferait bien de s’assurer,
sinon sur la vie, du moins sur les fautes de français ; le montant ne serait même
pas de trente euros ! Sachez ne plus confondre « quelque » en un mot et « quel
que » en deux mots.
« Quelque » en un mot est un adjectif indéfini. Il s’emploie devant un nom :
‒ au pluriel pour désigner une petite quantité ;
« Le fermier a vendu quelques vaches de son cheptel. »

‒ au singulier, synonyme de « un certain, « une certaine » ;
« Il a éprouvé quelque peine en apprenant la nouvelle. »

‒ au singulier devant un nombre, synonyme d’« environ ». Attention ! Dans
cet emploi, « quelque » est invariable.
« La ville compte quelque 60 000 habitants. »

« Quelque » peut aussi être un adverbe placé devant un adjectif ou un nom.
Il s’agit alors de la locution « quelque… que » où « quelque » est invariable.
L’emploi est littéraire.
« Quelque pénible que soit ce travail, j’en viendrai à bout. »
« Quelque temps qu’il fît, Pierre allait courir dans le parc. »

Dans « quel que », « quel » est un adjectif relatif. La locution est suivie d’un
verbe (essentiellement le verbe « être » au subjonctif, éventuellement précédé
de « en ») et « quel » s’accorde avec le sujet placé après ce verbe (sujet
postposé).
« Ce sportif affrontera l’épreuve, quelle que soit la difficulté. »
« Il achètera cette maison, quel qu’en soit le prix. »


« Quelque », adjectif indéfini employé devant un nom s’accorde avec celui-ci sauf
quand « quelque » est synonyme d’« environ ».
« Quelque », adverbe, peut être placé devant un adjectif ou un nom suivi de « que ». Il
est, dans ce cas, invariable.
La locution « quel que » en deux mots est suivie du verbe « être » au subjonctif et
« quel » s’accorde avec le sujet qui suit ce verbe.
179

SAVOIR GRÉ

BARBARISMES



(Il est conseillé de relire la fiche n° 3)
L’amalgame entre « savoir gré » et « être reconnaissant » est assez fréquent,
notamment dans les lettres officielles où, de manière formelle, on remercie son
correspondant par avance de la bonne volonté avec laquelle il rendra le
service que l’on sollicite ou donnera le renseignement que l’on demande. On
écrit alors :

« Je vous serais gré de bien vouloir… »

et l’on a tout faux. Même certains « auteurs » se laissent prendre au piège :

« Cependant, je vous serais gré
de me laisser visiter votre club ; j’aimerais poser
quelques questions à vos employés. »
(Lisa Kleypas, La Loterie de l’amour, traduit de l’anglais
par Perrine Dulac, ch. 1, édition J’ai lu, 2016)

« ‒ Pourriez-vous lui remettre ceci le plus vite
possible, exhorta alors Howard.
Madeleine prit d’une main hésitante
la précieuse missive.
‒ Je vous en serais gré, l’assura Howard. »
(Caroline Royer, Amour et Conquête, p. 82,
FriesenPress, 2014)

Précisons d’abord que si, dans la formule « je vous serais reconnaissant »,
« reconnaissant » est un adjectif, dans « je vous saurais gré », « gré » est un nom
commun qui, de nos jours, n’est plus utilisé que dans des expressions figées
comme « au gré de » (au plaisir de), « de gré ou de force », « de son plein gré »,
« contre son gré », « de gré à gré », « bon gré, mal gré ». On retrouve « gré »
dans les verbes « agréer », « maugréer », les adjectifs « agréable » et
« désagréable », les adverbes « agréablement » et « désagréablement », les
noms « agrément » et « désagrément », la préposition « malgré », etc. Le groupe
« savoir + adjectif » serait incohérent puisque n’existent en français que les
groupes « savoir + verbe à l’infinitif » (savoir lire), « savoir + article + nom »
(« savoir les fables de La Fontaine »), « savoir + proposition » (« savoir que
grand-père arrive par le train »).
Au Moyen Âge, on précisait « savoir bon gré » ou « savoir mauvais gré ». Il
s’agit donc d’une très vieille locution qui apparaît en français dès le XIe siècle.

Tant li preierent par grant umilitet Ils prièrent tant et avec une si grande
Que la moillier donat feconditet : humilité
Un fil lor donet, si l’en sourent bon gret. Qu’il rendit l’épouse féconde
(Vie de saint Alexis ‒ laisse VI, v. 1050) Et leur donna un fils, ce dont ils lui furent
reconnaissants (ils lui surent gré).

Est-ce assez pour savoir que « je vous serais gré… » est une horreur de
barbarisme ?




On dit « être reconnaissant » ou « savoir gré », mais pas un mélange des deux.
« Je vous saurais gré de… » est une formule épistolaire.

« Savoir (bon) gré » était déjà employé au Moyen Âge.


180

FORWARDER

ANGLICISMES



Si, si, je vous assure, ça existe, hélas ! Le procédé est, d’ailleurs, devenu
assez banal. Prenez un mot anglais qui a traversé la Manche (le Channel, pour
les snobs anglophiles), adjoignez-lui la terminaison « -er » des verbes du
premier groupe, le plus facile, pensez donc ! Pas question de recourir à la
désinence « -re », caractéristique des verbes du troisième groupe, ou « -ir » qui
signe l’appartenance au deuxième ou au troisième ! Pourquoi se compliquer la
vie inutilement ?
L’opération terminée, vous êtes en présence d’un… monstre lexical, d’un
verbe monstrueux composé d’un « corps » anglais et d’une « queue » française.
C’est le cas de « booster », de « coacher », « speeder », « relooker » (encore
plus monstrueux avec son préfixe français ; il a bonne mine !), « lifter »,
« dispatcher », « benchmarker », et d’une multitude d’autres. Des verbes
corrompus, altérés, abâtardis.
Pour l’heure, c’est « forwarder » qui nous occupe.
Examinons cette curieuse bête linguistique : nous avons l’anglais « forward »
qui peut être un adverbe signifiant « en avant », un nom désignant en sport une
passe « en avant », ou un verbe, « to forward », « expédier » ou « faire suivre » ;
c’est ce dernier qui nous intéresse : avec sa terminaison « -er », « forwarder »
appartient au lexique de l’informatique, cette technologie qui est une si grande
pourvoyeuse d’anglicismes ! « Forwarder », parfois abrégé en « fwd », s’applique
aux messages électroniques qu’il faut faire suivre, transférer, ou que l’on a
fait suivre, transférés, deux verbes bien français qui ont toujours parfaitement
rempli leur office et qui auraient continué de le faire, sans la concurrence de
cet incongru compagnon.
« Forwarder » est une horreur inutile, une insulte à notre langue française, un
affront à ceux qui l’aiment. De tels mots sont plus que des anglicismes
lexicophages, ce sont des gros mots. Qu’ils soient proscrits !





L’anglicisme « forwarder » est un monstre lexical, composé d’un radical anglais et
d’une désinence française.
« Faire suivre » et « transférer » disent la même chose, mais en bon français

Proscrivons de telles horreurs !


181

C’EST ÉNORME !

TOURNURES EXASPÉRANTES



Par moquerie, l’acteur Fabrice Luchini l’a intégrée dans ses délires
médiatico-politico-littéraires, pour notre plus grand plaisir ; il la prononce avec
une emphase phonétique convenant parfaitement au sens propre de l’adjectif :
« C’est énoooorme ! » Cette diction coïncide avec l’étymologie, le latin
enormis, « hors de la norme, démesuré ».
Si la diction de monsieur Luchini est démesurée, l’emploi outrageusement
répétitif que les médias font de cette tournure l’est aussi. Tout donne lieu à
cette exclamation qui s’accommode fort bien d’une hausse de sourcils (tout
augmente !) et d’yeux quasiment exorbités : le nombre d’appels pour dénoncer
les harcèlements sexuels, le pourcentage d’insatisfaction concernant les
attentes aux urgences de l’hôpital, le nombre de visites virtuelles d’une
exposition sur Victor Hugo, l’impact du footballeur Neymar sur l’équipe du
PSG, le succès remporté par Les Fourberies de Scapin à la Comédie française,
l’engouement pour le rugby, le salaire décroché par François Fillon pour son
nouvel emploi dans le privé et l’âge… de Jeanne Calment. « C’est énorme ! »,
exclamation qui ponctue tout fait exceptionnel et qui remplace quantité
d’autres, recourant à un qualificatif plus adéquat comme, dans le désordre :
« c’est beaucoup ! », « c’est étonnant ! », « c’est considérable ! », « c’est
inattendu ! », « c’est inacceptable ! », « c’est merveilleux ! », « c’est unique ! »,
« c’est exorbitant ! », « c’est astronomique ! », « c’est épatant ! » (tournure
favorite de Jean d’Ormesson), « c’est incroyable ! », etc.

Je pense à une présentatrice de télévision qui masquait l’indigence de son
lexique en ricanant à tout bout de champ et en faisant un usage outrancier de
« c’est énorme ! ». Elle pensait sans doute se donner ainsi une image
dynamique, jeune, moderne, faisant celle qui est au courant des expressions
dans le vent, car elle était aussi friande d’anglicismes lexicophages. Dans la
boîte à images, cette présentatrice n’est malheureusement pas seule de son
espèce, car, disons-le tout net, chez de nombreux contemporains, la pauvreté
de vocabulaire, … c’est énorme !


Tournure à la mode, « c’est énorme ! » a envahi le discours des présentateurs de
programmes télévisés tout en s’invitant dans le langage de tout un chacun.
« C’est énorme ! » est devenu une exclamation remplaçant toutes celles qui soulignent
un événement inattendu, exceptionnel, considérable, etc.
Son emploi cache (ou trahit) souvent un manque de vocabulaire.
182

DES [Z] HARICOTS



Pataquès et fautes de prononciation


Le verbe harigoter ou haligoter, du francique hârion, « gâcher », voulait dire
« couper en morceaux, dépecer » en français du XIIe siècle. C’est en effet la
première étape d’une recette à base de mouton appelée hericot de mouton :

« Despeciez le par petites pièces », lit-on dans
le Ménagier de Paris en 1393, « Mettez le pourboulir
une onde, puis le frisiez en sain de lart, et frisiez avec
des oignons menus minciés et cuis, et deffaites
du boullon de beuf, et mettez avec macis, persil,
ysope et sauge, et faites boulir ensemble. »
(Tome II p. 148)

Lard, oignons, bouillon de bœuf, muscade (« macis »), persil, hysope et
sauge : il s’agit d’un ragoût. Ce hericot deviendra haricoq au XVe siècle et
haricot à la fin du XVIe, époque où se prit l’habitude de servir ce plat avec des
fèves. Ramenées d’Amérique (Mexique) dans les premières décennies du
e
XVI siècle, cultivées en Italie puis en France, ces légumineuses furent
diversement appelées : « febves de haricot » et « pois d’haricot » en France,
fagivolo puis fagiolo en Italie. De fagiola sont issus les mots français « fayot »
et « flageolet ». Du morceau de mouton dépecé et accommodé en ragoût, le
mot haricot a fini par désigner, par métonymie, les légumineuses qui
l’accompagnent.
« Febves de haricot » et « pois d’haricot » : la deuxième expression serait,
aujourd’hui, considérée comme fautive, car le « h » de « haricot » est bien
aspiré. Il interdit donc l’élision du « e » de « de » et ne permet pas davantage la
liaison « des [Z] haricots », contrairement à une rumeur qui s’est répandue
comme une traînée de poudre à partir des années 19٨0, rumeur qui a la vie
dure (comme la plupart des rumeurs) et qu’un article fantaisiste contribua à
colporter. L’article parut dans L’Actu (n° 8 du jeudi 3 septembre 1998, p. 7),
journal des éditions Play Bac Presse, destiné aux adolescents à partir de 13 ans.
Aucun rectificatif ne fut publié.

Rouges, blancs, verts, mange-tout, beurre ou de Soissons, quelle qu’en soit
la variété, les haricots n’ont jamais perdu leur « h » aspiré.


Avant de s’appliquer aux légumineuses, le mot « haricot » désignait les morceaux de
mouton qu’elles accompagnaient.
D’origine germanique, le mot « haricot » commence bien par un « h » aspiré.

C’est une rumeur colportée par un journal pour adolescents qui a prétendu le
contraire.
TESTEZ-VOUS !

1. Pouvez-vous citer quatre noms communs se terminant par « -âpre » ?

2. Pouvez-vous citer cinq noms communs se terminant par « -âtre » ou « -
atre » ?

3. Au théâtre et à l’opéra, qu’appelle-t-on lieto fine ?

4. Citez trois noms qui, avec « final », forment un pléonasme.

5. Complétez les phrases suivantes par « quel que », « quelles que »,
« quelques » ou « quelque » :
a) … soit le résultat de l’élection, notre candidat aura mené une belle
campagne.
b) Il a fallu … six cents heures pour réaliser cette tapisserie.
c) Pourrais-tu m’acheter … pommes ?
d) Je ne l’aime pas, … soient ses qualités.

6. Citez deux verbes susceptibles de remplacer l’abominable
« forwarder ».

7. Citez trois exclamations qui, selon les contextes, peuvent remplacer
« C’est énorme ! »

8. Est-il correct de faire la liaison dans « J’ai mangé des haricots » ?

183

ÉPITAPHE

FÉMININ OU MASCULIN ?



1. « Ci-gît Allais. Sans retour. »

2. « Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,
Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange,
La chose simplement d’elle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va. »

3. « Ci-gît ma femme : Oh ! qu’elle est bien,
Pour son repos et pour le mien ! »

4.« J’ai cueilli ce brin de bruyère


L’automne est morte souviens-t’en.
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends. »

Voilà quatre citations. La première est d’Alphonse Allais ; la deuxième, de
Victor Hugo : ce quatrain écrit par Marius sur la tombe de Jean Valjean clôt
Les Misérables ; la troisième, de Jacques du Lorens, avocat et poète satirique
de XVIIe s. et la quatrième, de Guillaume Apollinaire, extraite de son recueil
Alcools.
Pas très gai tout cela, surtout les quatrains de Hugo et d’Apollinaire, mais
que voulez-vous, ces citations sont des « épitaphes », c’est-à-dire des
inscriptions sur des pierres tombales, du grec epi, « sur » et taphos, « tombe ».
On retrouve taphos dans « cénotaphe », associé à kenos, « vide » ; un
cénotaphe est en effet un monument élevé à la mémoire d’un mort, mais qui ne
contient pas son corps. « Épitaphe » et « cénotaphe » sont les deux seuls mots
se terminant par « -taphe » en français. « Cénotaphe » est masculin. Quid
d’« épitaphe » ? Diriez-vous, par exemple, que l’épitaphe de Jacques du Lorens
à sa femme acariâtre est « odieux » ou « odieuse » ?
C’est une odieuse épitaphe. Il est facile de se le rappeler puisque UNE
épitaphe est UNE inscription et qui dit « inscription » dit « écriture », également
féminin.
Pour conclure, une autre épitaphe célèbre, celle de l’écrivain Paul Scarron
(1610 ‒ 1660), premier époux de celle qui deviendra madame de Maintenon. On
sait qu’il était cul-de-jatte et souffrit le martyre toute sa vie.

« Celui qui cy maintenant dort
Fit plus de pitié que d’envie,
Et souffrit mille fois la mort
Avant que de perdre la vie.
Passant, ne fais ici de bruit
Garde bien que tu ne l’éveilles :
Car voici la première nuit
Que le pauvre Scarron sommeille. »


Le mot « épitaphe » est féminin. Il désigne une inscription funéraire.
L’autre mot se terminant par « -taphe » est « cénotaphe ».
Un « cénotaphe » est UN monument funéraire ne contenant aucun corps.
184

MONOPOLE EXCLUSIF

PLÉONASMES



Pôlein en grec ancien signifie « vendre » et monos, « seul, unique » ;
monopôlion s’appliquait à un « droit acquis de vendre des denrées
spécifiques ». Le mot grec a donné le latin impérial monopolium dont le sens
était déjà celui du français moderne « monopole » : privilège ou droit exclusif
de fabriquer ou de vendre un produit, une denrée. Par quel cheminement le
mot a-t-il intégré notre langue au XIVe siècle (1343) avec le sens de
« conspiration » avant que sa signification d’aujourd’hui soit attestée dès 1358 ?
En tous cas, la notion d’exclusivité est bien comprise dans la définition
même du mot « monopole » et il ne fait aucun doute que l’expression
« monopole exclusif » soit un pléonasme. Alors, pourquoi les auteurs des lignes
suivantes ne l’ont-ils pas perçu ?

« Centralisation des crédits entre les mains de l’État,
par le moyen d’une banque nationale avec un capital
d’État et un monopole exclusif. »
(Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848)

« Je risquais […] de faire la part trop belle au sel
vénitien, de lui conférer un caractère de monopole exclusif. »
(Jean-Claude Hocquet, Le Sel et la fortune de Venise,
production et monopole, Avertissement, p. 10,
Presses universitaires Septentrion, 1978)

« Mais le rôle d’une banque centrale dotée de certains
privilèges n’implique nullement son monopole exclusif. »
(Victor Brants, Les Grandes Lignes de l’économie
politique, 1901, Collection XIX, 2016)

« Le monopole exclusif des pompes funèbres échoit
aux fabriques des églises. »
(Emmanuel Bellanger, La Mort, une affaire publique,
p. 17, Éditions de l’Atelier, 2008)

On pourrait multiplier les exemples. Le pléonasme se répand dans les livres
traitant d’économie, comme si le mot « monopole » avait perdu de sa force,
comme si sa signification s’était érodée au fil du temps. Mais il n’en est rien : un
monopole est encore et toujours, par définition, un droit ou privilège exclusif.
Le mot se suffit donc à lui-même.


L’idée d’exclusivité est contenue dans l’étymologie de « monopole ».
L’expression « monopole exclusif » est un pléonasme.
La faute est fréquente, notamment dans les ouvrages traitant d’économie.
185

SANS FAUTE(S)

SOLÉCISMES



Je suis souvent resté perplexe devant cette difficulté de notre belle langue
française et quand on me pose la question du nombre, singulier ou pluriel qui
doit s’appliquer au nom qui suit « sans », je suis sans voix. Du moins, je l’étais.
Quand un doute apparaît sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire ou plutôt, en
l’occurrence, sur ce qu’il faut écrire ou ne pas écrire, on cherche une règle de
grammaire qui puisse vous donner la solution, comme on attend d’un
théorème, d’un axiome ou d’un postulat qu’il vous résolve un problème de
mathématiques. Mais cela ne se peut pas, car il n’y a point ce genre de règle qui
ferait entendre cette chanson douce : « Quand on emploie la préposition
«sans» exprimant le manque, l’exclusion ou l’absence, le nom qui suit cette
préposition se met au pluriel quand… et au singulier quand… »
Le seul recours, c’est notre bon sens, notre logique. « Sans » exprime ce qu’il
n’y a pas. Faisons alors cette supposition : « S’il y avait, est-ce qu’il y aurait un
seul ou plusieurs ? »
Si votre orthographe est plutôt défaillante, vous feriez plus d’une faute lors
d’une dictée, vous écrirez : « Je pourrais faire cette dictée sans fautes. » Si vous
êtes un as, vous écrirez « sans faute » en précisant éventuellement : « sans
aucune faute, sans la moindre faute, sans faute du tout ». Il est parfois
impossible de trancher : les deux solutions sont alors admises : « Ce vieil
homme est sans ami(s) » avec une préférence pour le pluriel, car, plus jeune, il
avait sans doute plus d’un ami. Il peut aussi n’y avoir qu’une réponse possible et
elle est indiscutable : « Le marié est arrivé sans gants », « À la fin de la noce,
la mariée était sans souliers », « À la fin de la nuit de noces, elle était sans
culotte. »
Normalement, pour un nom exprimant une notion abstraite, après « sans »,
le singulier s’impose : « Sans amour, la vie est un échec. » Mais il peut y avoir
des cas particuliers : « Si Don Juan avait été prêtre, il aurait vécu sans
amours. »
Pour finir, méditons ces exemples fameux :
« Un repas sans fromage est une belle à qui il manque un œil. » (Anthelme
Brillat-Savarin)
« Mais un fripon d’enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d’à moitié
La Volatile malheureuse »
(La Fontaine, Les Deux Pigeons)
« Bayard, le Chevalier sans peur et sans reproches. »
« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » (Corneille, Le Cid, II, 2)


Pluriel ou singulier, le nom qui suit « sans » ? La réponse réside dans le bon sens.
Posons-nous la question : « S’il y en avait, est-ce qu’il y en aurait plus d’un ? »
Devant un nom exprimant une notion abstraite, le singulier est normalement de mise,
mais il y a des cas particuliers.
186

LES PERSONNELS

BARBARISMES



Voilà un pluriel des plus singuliers. Il ne peut, à la rigueur, se comprendre
que dans des situations bien particulières où l’on ferait référence, par exemple,
à plusieurs entreprises ou à plusieurs filiales d’une même multinationale dont
les personnels seraient vraiment réunis en une sorte de grand congrès ou,
virtuellement, par le biais de l’informatique, mais, hormis de tels cas que l’on
peut qualifier d’exceptionnels, rien ne peut justifier l’emploi du mot
« personnel » au pluriel pour désigner l’ensemble des personnes qui, travaillant
pour ou dans une entreprise, un organisme, dans une même profession, un
même corps, en constitue LE personnel. Pourtant :

« Trois personnels membres de la CGT
du centre hospitalier de Bastia ont entamé
ce lundi une grève de la faim. »
(Le Quotidien du médecin, article d’Anne Bayle-Iniguez,
paru le 2 novembre 2017)

« C’est un document publié par Bercy, intitulé
«Personnels affectés aux cabinets ministériels»,
en annexe au projet de loi de finances pour 2018. »
(Le Parisien, édito de Charles de Saint-Sauveur,
le 1er novembre 2017)

« Personnel » est donc un nom collectif (ce que les fonctionnaires du
ministère de l’Éducation nationale feraient bien de rappeler à leurs collègues
des Finances). Toutefois, en tant que tel, il est assez particulier.
En effet, un nom collectif ‒ c’est-à-dire qui désigne un ensemble de
personnes, d’animaux ou de choses ‒ peut être suivi d’un nom au pluriel qui est
son complément.
Exemples :
une assemblée de notables / un comité d’experts /
une bande de voyous / une douzaine d’huîtres /
un troupeau de chèvres
En outre, rien n’empêche que ce nom soit lui-même employé au pluriel : on
peut parfaitement dire : « Plusieurs bandes de voyous se sont mêlées à la
manifestation des enseignants pour en découdre avec la police » ou « Trois
troupeaux de chèvres paissent dans la vallée d’Aulps. »
A contrario, le nom collectif « personnel » ne peut guère être au pluriel et le
complément de nom qui l’accompagne, lui-même au singulier.
Exemples :
le personnel de service / le personnel de direction /
le personnel de santé /
le personnel de maison / le personnel d’encadrement
Ce complément de nom peut être remplacé par un adjectif. On parle du
« personnel enseignant », du « personnel navigant » (dans l’aviation, désigne
l’équipage, par opposition aux personnes qui, travaillant pour la même
compagnie, restent au sol), du « personnel hospitalier, administratif, dirigeant,
technique, médical », etc.




Dire « les personnels » pour « le personnel » ou « les employés » est un barbarisme.
« Personnel » est un nom collectif (d’une grande « singularité »).

En tant que « collectif », le nom « personnel » peut être précisé par un complément de
nom (singulier) ou un adjectif.
187

PANEL

ANGLICISMES



Comme quelque quatre-vingt mille autres, le mot « panel » fut français avant
d’intégrer le vocabulaire d’outre-Manche. Certains de ces mots nous sont
revenus beaucoup plus tard en tant qu’anglicismes : « panel » est de ceux-là. Il
n’est que l’une des formes anciennes du mot « panneau » qui a d’abord désigné
une pièce de tissu ou un coussin de selle, du latin pannus, « morceau d’étoffe ».
Les Anglais nous empruntent ce mot « pan(n)el » au tout début du
e
XIV siècle ; en quelques décennies, le mot va se spécialiser dans le domaine
juridique, s’appliquant à un morceau de parchemin sur lequel est écrite la liste
des jurés retenus pour former le jury d’un procès donné. C’est par ce biais que
panel a revêtu le sens général de « liste de personnes sélectionnées pour
donner un avis, débattre et, le cas échéant, émettre un jugement ».
Son retour parmi nous est récent : il est attesté pour la première fois en
1953 dans le contexte des sondages et enquêtes d’opinion ; il y désigne un
échantillon de femmes et d’hommes, représentatif de la population, que l’on
soumet à un questionnaire pour évaluer l’état et l’évolution de l’opinion sur un
sujet donné comme Internet dans le premier des exemples suivants ou la
télévision dans le deuxième :

« Aucun renseignement collecté grâce
à ce formulaire ne sera utilisé à d’autres fins
que l’élaboration du panel de testeurs. »
(UFC- Que choisir, 12 octobre 2017)

« C’est à toutes ces questions qu’un panel
de Français a été invité à répondre. »
(Économie Matin, article de Laure de Charrette,
publié le 2 novembre 2017)

Le mot « panel » s’applique aussi à un ensemble d’experts invités à débattre
à l’occasion d’une table ronde, chaque membre de ce comité étant un
« panéliste » parce qu’ayant été « panélisé ».

Le sens de « panel » s’est généralisé. Il est devenu synonyme de « choix »,
« ensemble », « échantillon », « palette » ou encore « éventail ». Cet anglicisme
emprunté à nos emprunteurs n’était donc pas vraiment indispensable.


« Panel » fut un mot français, forme ancienne de « panneau », que nous
empruntèrent les Anglais.
Son sens évolua outre-Manche.

Il nous est revenu au XXe siècle, intégrant notre lexique sous l’appellation
« anglicisme ».
188

LA PARTIE IMMERGÉE
(ÉMERGÉE) DE L’ICEBERG

TOURNURES EXASPÉRANTES



« “Cela pourrait n’être que la partie immergée de
l’iceberg”, poursuit le titre américain, car depuis le début
de l’année, plusieurs femmes ont accusé Polanski
de violences, de harcèlement et même de viol. »
(Courrier international, 2 novembre 2017)

« La révélation (tardive) de l’affaire Weinstein
en octobre 2017 n’était que la partie immergée de l’iceberg. »
(Cosmopolitan, 24 octobre 2017)

« Il est la partie immergée de l’iceberg,
tout en haut d’un système basé sur le harcèlement,
la dépréciation et l’ingérence. »
(Le Journal du dimanche, propos d’Emma Thompson
(mal ?) rapportés par Stéphane Joby dans son article
du 16 octobre 2017)

Décidément, les affaires Weinstein et Polanski auront fait couler beaucoup
d’encre. Pas assez toutefois pour que le principe d’Archimède soit bouleversé
et que la partie la plus importante d’un iceberg (90 % ‒ émergée) se trouve au-
dessus de la surface de la mer, la partie la moins importante se retrouvant ipso
facto en dessous (immergée).
Vous avez appris comme moi, au collège ou au lycée, que « tout corps
plongé dans un liquide… » ; bien sûr, l’énoncé, depuis, s’est offert des termes
plus scientifiques et les calculs se sont affinés, mais le principe reste le même
et que l’iceberg soit beaucoup plus volumineux au-dessus qu’en dessous, cela
ne se peut pas, même au sens figuré : l’affaire Weinstein doublée de l’affaire
Polanski n’est bien que la partie visible d’un immense scandale de société dont
la partie la plus importante reste à découvrir et les icebergs n’ont pas, que je
sache, basculé cul par-dessus tête. Alors ?
Alors… à moins que… attendez voir… bon sang, mais c’est bien sûr, ils
confondent « immerger » et « émerger » ! Voilà l’explication !
Les deux verbes ont une racine commune qui leur vient du latin mergere,
« plonger, s’enfoncer » mais l’un a pour préfixe im-, « dans », l’autre, e-,
raccourci de ex-, « en dehors ». « Immergée » veut donc dire « qui plonge (qui
est dans l’eau) » et « émergée », « qui est hors de l’eau ». Les deux participes
passés sont phonétiquement proches, ce qui laisse aux interviewés le bénéfice
du doute, mais pas aux journalistes censés transcrire leurs propos. Ceux-là
seraient bien inspirés de s’immerger plus souvent dans leur dictionnaire.


« Immerger » et « émerger » sont issus du latin mergere, « plonger ».
Mais ils sont, par leur préfixe, parfaitement opposés.
L’expression « partie immergée de l’iceberg » est d’autant plus exaspérante que, par
confusion lexicale, elle est souvent employée mal à propos.
189

GAGEURE

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



« Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. »
(La Fontaine, Le Lièvre et la Tortue, VI, 10)

« Tient la gageure à peu de gloire ». Quand, découvrant cette fable,
l’écolier arrive à ce vers, il n’y comprend rien. Le mot « gageure » est pour lui un
parfait alien lexical, un intrus issu de quelque langue absconse parce que
savante. Le maître peut alors avoir la bonne idée de rapprocher ce vers du
troisième où la tortue s’adresse au lièvre :

« Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Si tôt que moi ce but. »

« Gageons… gageure », voilà qui apporte quelque éclairage. « Gager », c’est
déposer quelque chose en gage dans le cadre d’un pari dont le motif est
synonyme de « gageure ». Le lièvre considère cette gageure, donc ce motif de
pari, comme peu glorieux tant il est vrai qu’un lièvre ne peut pas vraiment
s’enorgueillir de battre une tortue à la course : pas de quoi se vanter !
Tout est donc clair ; tout sauf la prononciation de notre mot, qui n’est donc
plus tout à fait un alien lexical : « gageure ». Naturellement, on a tendance à
prononcer la terminaison de « gageure » comme celle de « voyageur », ce qui
donne ceci en transcription phonétique : [gaʒœʀ] ; cette prononciation est
fréquente mais contestée. L’Académie affirme que dans « gageure », « eu » se
prononce « u », c’est-à-dire [y] ; la finale de « gageure » est donc semblable à
celle de « parjure » et l’on obtient cette nouvelle transcription phonétique :
[gaʒyʀ].
Le mot « gageure » n’est donc plus un secret et avec cette cent quatre-vingt-
neuvième fiche, on s’achemine doucement vers la fin de l’ouvrage avec cet
objectif : parvenir à un français impeccable à raison de cinq minutes par jour.
L’atteindrons-nous ? En tout cas, c’est là une véritable gageure, et je la tiens à
beaucoup de gloire !




« Gager » et « gageure » sont de la même famille.

Une « gageure » est un motif de pari pour lequel on met quelque chose en gage.
La finale de « gageure » se prononce comme celle de « parjure ».
TESTEZ-VOUS !

1. Quels sont les deux seuls noms communs se terminant par « -taphe » ?

2. L’un des deux signifie : « (écrit) sur une tombe ». Lequel ?

3. Répondez aux questions.
a) Qui peut faire une dictée sans faute ?
b) Qui peut faire une dictée sans fautes ?

4. Mettez le mot entre parenthèses au singulier ou au pluriel.
a) Mieux vaut ne pas se retrouver sans (argent).
b) Mieux vaut ne pas se retrouver sans (pépète).

5. Par quoi peut-on remplacer le barbarisme « les personnels (d’une
entreprise) » ?

6. Quels mots français peut-on choisir pour éviter l’anglicisme « panel »
(trois exemples) ?

7. Quelle est l’origine du mot « panel » ?

8. Quelle est la différence entre « émerger » et « immerger » ?

9. Le mot « gageure » rime-t-il avec « injure » ou avec « largeur » ?

190

PALABRE

FÉMININ OU MASCULIN ?



Le mot nous vient de l’espagnol palabra, métathèse16 de parabla, du latin
parabola, « parole », mais cette parole a pris en français plusieurs significations
bien particulières :
‒ au pluriel, faire des « palabres », c’est se livrer à une discussion
interminable et sans grand intérêt ; c’est le sens actuel le plus usité ; on le
retrouve dans le verbe « palabrer ».
‒ au singulier, « palabre » désigne, en Afrique noire, l’assemblée coutumière
où les hommes discutent des affaires importantes et prennent les décisions qui
s’imposent. Le mot s’applique aussi à toute discussion qui peut tourner au
vinaigre et donner lieu à des échanges conflictuels, d’où l’expression « faire
palabre » signifiant « chercher la bagarre » ;
‒ toujours en Afrique noire, « l’arbre à palabres » est l’arbre du village sous
lequel les gens se retrouvent pour discuter ;
‒ curieusement, le mot a fait référence aux cadeaux qu’il fallait offrir aux
petits rois des côtes africaines pour s’attirer leurs bonnes grâces ;
‒ enfin, « palabre » qualifiait jadis tout discours grandiloquent, toute parole
délivrée avec emphase.

Tout cela ne nous dit pas si le mot est féminin ou masculin ; doit-on parler
de « palabre africaine » ou « africain » ? Qu’en disent les écrivains ?

« […] cette peuplade […] pour qui la vie, c’est la palabre,
la guerre et la fête, et qui fait de la nonchalance
et de l’impassibilité la marque de la noblesse. »
(Paul Hazoumé, Doguicimi, Larose, 1938)

« Quel est le palabre que nous n’aurions
pas pu régler dans notre case ? »
(Venance Konan, Nous revenons de si loin, in FratMat.info,
16 octobre 2017)

Qui, du Béninois Paul Hazoumé ou de l’Ivoirien Venance Konan, a raison ?
LA palabre ou LE palabre ?
Les deux, mon adjudant ! « Palabre » fait partie de ces noms acceptant les
deux genres sans que leur signification change (cf. la liste à la fiche 8).


« Palabre », « parabole » et « parole » ont une origine commune : le latin parabola,
« parole (divine) », mais aussi « comparaison ».
« Palabre » est des deux genres bien que le féminin soit plus souvent employé.

Pour « palabre », le changement de genre n’implique aucun changement de sens.


191

UN CIEL DE TRAÎNE
À L’ARRIÈRE

PLÉONASMES



Les présentateurs de bulletins météorologiques font parfois preuve d’une
belle imagination pour inventer des tournures qui n’appartiennent qu’à eux
(masculin générique !). On en a déjà trouvé quelques-unes au long de cet
ouvrage ; celle-ci, récente, ne manque pas de charme :

« Un ciel de traîne à l’arrière. »

La précision « à l’arrière » s’imposait-elle ? Je cherche la définition de
« traîne » dans le TLF et je lis cette première définition :

« Partie d’un vêtement long prolongeant le dos
et traînant sur le sol derrière la personne qui marche. »

Et, plus loin :

« MÉTÉOR. (Par analogie du précédent).
Zone postérieure d’un système nuageux par rapport
à la direction de son déplacement. »

On ne saurait être plus précis. « Traîne » désignant une « zone postérieure »,
un « ciel de traîne » ne peut donc être qu’« à l’arrière » et, sans aucun doute, on
a bien affaire à un pléonasme.
Faute vénielle, j’en conviens, qui dénote toutefois une certaine paresse de
l’esprit : on ne fait plus vraiment attention au sens précis des mots que l’on
utilise et, la pensée n’étant plus sollicitée, la parole devient plus ou moins
automatique. Cela n’est évidemment pas très grave si l’on parle de la pluie et
du beau temps ; d’ailleurs, le plus souvent, un pléonasme de ce genre passe
inaperçu : seul un coupeur de cheveux en quatre (suivez mon regard !) le fera
remarquer ; un haussement d’épaules ou un sourire accueilleront alors le « ciel
de traîne à l’arrière ».
Le sourire s’accentuera quand on essaiera d’imaginer une « traîne à l’avant » :
une jolie princesse en robe de mariée courant en talons hauts dans l’allée
centrale de Westminster derrière deux gamins endimanchés fonçant vers
l’autel en tirant sa longue « traîne » dont le nom, pour le coup, devrait être
différent !
Autre possibilité : la même jolie princesse marchant à reculons toujours en
talons hauts vers l’autel de l’abbatiale devançant les deux mêmes gamins
endimanchés qui commencent à en avoir marre de porter cette fichue traîne
dans des situations aussi absurdes ! Alors, ayons pitié des deux gamins et que la
princesse aille se rhabiller : une traîne doit être à l’arrière, un ciel de traîne
aussi, un point, c’est tout, et il fera beau demain ! Non, mais…





L’inventaire des pléonasmes est un inventaire ouvert.

Parler sans vraiment réfléchir au sens des mots employés est source de pléonasmes.
« Un ciel de traîne à l’arrière » illustre bien cette idée.
192

Français français

SOLÉCISMES



« Le français Talismanic a brillé dans
la Breeders’ Cup Turf (G.1, 2400 mètres)
ce samedi 4 novembre. »
(BFMTV.com, article de Frederic Kita, publié
le 5 novembre 2017)

« La chaîne CopyComic Videos s’est donné
une mission : dénoncer les plagiats
de nos comiques Français. »
(fr.ubergizmo.com, publié le 5 novembre 2017)

« Les 10 séries françaises préférées
des français sont… »
(Titre d’un article publié sur allociné.fr le 1er novembre
2017 par Jean-Maxime Renault)

La règle est pourtant simple. Il faut, préalablement déterminer si le mot
exprimant la nationalité est un adjectif ou un nom.
Pour le nom, l’identification est facilitée par la présence d’un article (défini
ou indéfini) ou d’un indéfini exprimant une pluralité imprécise (« plusieurs »,
« quelques ») ou encore d’un adjectif numéral. Le nom de nationalité
commence TOUJOURS par une majuscule :
« Le Français est réputé râleur. »
« Une Française a remporté le tournoi
de tennis de Wimbledon. »
« Plusieurs Américains se trouvaient dans l’avion
qui s’est abîmé en mer. »
« Neuf Anglais sur dix boivent du thé au petit déjeuner. »

L’adjectif de nationalité est en rapport avec un nom dont il est soit épithète,
soit attribut. Il commence par une minuscule sauf quand, en apposition, il se
trouve aussi en tête de phrase.
« Pablo Neruda est un poète espagnol. »
« Les parents d’Yves Montand étaient italiens. »

Les trois exemples qui ouvrent ce chapitre sont donc fautifs : dans le
premier et le troisième, « Français » aurait dû être écrit avec un « F » majuscule,
dans le deuxième, avec un « f » minuscule.


Les substantifs (noms) de nationalité commencent toujours par une majuscule.
Les adjectifs de nationalité commencent par une minuscule.
Les adjectifs de nationalité peuvent être, comme tous les adjectifs, attributs ou
épithètes.
193

TOUT DE SUITE DE SUITE



BARBARISMES



« Sans effets spéciaux, ces scènes sont
de suite moins spectaculaires. »
(melty.fr, 4 novembre 2017)

En bon français, cette phrase ne trouve sa signification que dans cette
équivalence :
« Sans effets spéciaux, ces scènes, (projetées, vues) à la suite l’une de l’autre,
sont moins spectaculaires. »

Est-ce là ce que le journaliste a voulu dire ? On peut en douter. Le sens
voulu était plutôt le suivant :
« Sans effets spéciaux, ces scènes sont tout de suite moins spectaculaires. »

Il y a donc eu confusion entre « de suite » et « tout de suite ». L’un étant
évidemment considéré comme un raccourci de l’autre, lui-même s’ajoutant à la
liste des synonymes : « sur-le-champ, immédiatement, sans délai, illico, séance
tenante, sur l’heure », etc.
Il n’en est rien, bien au contraire, car si « de suite » et « tout de suite » ont eu
presque la même signification, ce fut pour exprimer l’idée de succession, non
celle d’immédiateté.
En effet, attestée en 1538 avec le sens de « à la suite l’un(e) de l’autre », la
locution « de suite » a été renforcée quelque dix ans plus tard en « tout de
suite », c’est-à-dire « en se suivant sans la moindre discontinuité ». Il faut
attendre la fin du XVIIe siècle pour que « tout de suite » soit attesté avec son
sens actuel : « immédiatement », l’expression « de suite » conservant, elle, son
sens exclusif de « successivement, d’affilée ».
Cependant, de grands auteurs ont employé « de suite » comme équivalent
de « tout de suite ». Ainsi, Flaubert utilise indifféremment « de suite » et « tout
de suite » dans le sens de « sans plus attendre ». Dans Bouvard et Pécuchet
(1881), par exemple, « de suite » apparaît six fois avec cette signification :

« L’aspect aimable de Bouvard charma
de suite Pécuchet. »
(Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet,
Arvensa éditions, p. 12)

« Elle avait couru de suite chez l’épicière
pour conter la chose ; »
(Idem, p. 60)

« Le notaire ne put les recevoir que trois jours après,
et de suite exposa la chose. »
(Idem, p. 216)

et p. 214, 254 et 260. On comprend aisément qu’il se permette cette
impropriété : sa phrase s’en trouve rythmiquement plus souple, plus facile et
elle passe avec succès la fameuse épreuve du « gueuloir ».
D’autres écrivains célèbres ont fait de même. Mais nous qui ne sommes ni
Flaubert ni les autres, veillons, très humblement, à ne pas confondre « de
suite » et « tout de suite ».




« Tout de suite » signifie « immédiatement ».
« De suite » signifie « d’affilée, l’un(e) après l’autre ».
Nonobstant l’exemple de grands auteurs, continuons de ne pas considérer les deux
locutions comme équivalentes.
194

ANGLICISMES

NAME DROPPING



« To drop » signifie « lâcher », « laisser tomber » (au sens propre du terme !)
et « name », « nom » au sens large, l’idée étant ici plurielle (le plus possible, en
l’occurrence) bien que le « s » soit absent, « name » ayant une fonction et une
position adjectivales et l’adjectif étant invariable en anglais.
Il est donc question de laisser tomber des noms, de les lâcher au cours
d’une conversation, des noms célèbres de personnes vivantes ou, mieux,
récemment disparues (elles ne pourront pas vous contredire !) et si vous
« laissez tomber » seulement leur prénom dans un premier temps pour laisser
croire que vous êtes ou fûtes vraiment proches, voire intimes, c’est encore
mieux. Illustrons cela par un petit monologue de Charles Hubert (Charl’Hub
pour les intimes) :
« J’en parlais justement à Lambert la semaine dernière lors du meeting de
soutien à Yannick : il faut vraiment accélérer la reforestation d’Haïti. D’ailleurs
Philippe était là et, engagé comme il l’est, il s’est déclaré prêt à se joindre au
mouvement, et l’on ne désespère pas de convaincre Jean-Luc d’en faire
autant. »
Mine plus ou moins ébahie de l’assistance qui aura bien sûr l’occasion
d’entendre les choses se préciser. Elle apprendra vite de la bouche même de
Charl’Hub (faisons-lui confiance !) qu’il parlait de Lambert Wilson, Yannick
Jadot, Philippe Torreton et Jean-Luc Mélenchon, personnalités qu’il a peut-
être eu l’occasion de voir dans un meeting, mais de loin. Qu’importe ! au jeu de
la vantardise snobinarde, de la fanfaronnade bobo, tous les moyens sont bons
pour impressionner son interlocuteur et faire naître en lui un sentiment
d’infériorité, ce qui est l’un des objectifs de ces « lâchers de noms », de ces
« énumérations ».
Le « lâcher de noms » peut aussi concerner des titres d’œuvres (title
dropping), ce qui laisse entendre, non seulement que vous avez de l’instruction,
une culture importante, mais également, si l’énumération contient des titres
d’œuvres dont parle la presse parisienne, que vous êtes au courant des tout
derniers succès culturels : la classe !... ou le ridicule, comme celui d’une
snobinette de ma connaissance (nul n’est parfait !) qui avait terminé son
énumération par ces mots : « Moi, personnellement, l’œuvre qui me bouleverse
et me tire les larmes, c’est le Requiem de Jean Sébastien Bach ! » Et le moins
dupe des interlocuteurs de se surprendre à réciter les paroles de l’Ecclésiaste :
« Vanité des vanités, tout est vanité. » Pour information : Jean Sébastien n’a
jamais composé de « Requiem ».


Citer des « célébrités » en faisant croire qu’on les connaît, tel est le name dropping.
Pour impressionner l’auditoire, on peut aussi citer des titres d’œuvres (title
dropping).

Les procédés sont répréhensibles tout comme les anglicismes qui les nomment et que
l’on peut remplacer par « lâcher de noms » (« de titres ») ou « énumération ».
195

À PLUS / À TOUTE

TOURNURES EXASPÉRANTES



Le « s » de « plus » est prononcé, ce qui implique que « plus » soit le
comparatif de « beaucoup » ‒ le « plus » de « J’en veux plus » (= « davantage »)
et non celui de « Je n’ai plus vingt ans ». Quant au « e » de « toute », il n’a
d’autre rôle que de faire prononcer un « t » final qui, dans la tournure en
question, ne se fait entendre que par sa liaison avec la voyelle qui suit.
Autrement dit, cette prononciation, dans les deux cas, de la consonne finale,
nous induit en erreur et nous empêche de comprendre l’apocope si l’on admet
que le mot « apocope » peut s’appliquer à la disparition d’un ou plusieurs mots
à la fin d’une expression figée.
« À plus » représente en effet une apocope de l’expression figée « à plus
tard ! » et « à toute » est celle de « à tout à l’heure ! », car, ne nous y trompons
pas, prononcer de telles formules in extenso demande un effort surhumain qui
justifie qu’on les raccourcisse. De plus, cela vous donne un petit air jeune et
branché qui n’est pas inintéressant, loin de là !
Alors, soyez-en sûr, si votre ami coupe court (c’est le cas de le dire !) à la
conversation en vous lançant : « Excuse-moi, vieux, j’ai un rendez-vous
important, il faut que je te quitte ; allez, à toute ! », vous serez le dernier des
bourricots si vous comprenez « à toute vitesse ! » ou « à toutes fins utiles ! » ;
s’il conclut plutôt sa phrase par « à plus ! », il n’y aura rien à comprendre sinon
que votre ami aura décidé de suivre cette mode ridicule qui lui fait accourcir « à
plus tard » n’importe comment !
Notre époque adore les apocopes, elle aime que tout soit apetissé :
« anniversaire » devient « anniv’ », « petit déjeuner » s’abrège en « p’tit déj’ »,
« après-midi » en « aprèm’ », et souvent, les mots ne se disent plus que par leur
préfixe comme « micro » (« -phone », « -scope » ou « -ordinateur » ? »), « radio »
(« -phonie » ou « -scopie » ?), « chir » (« -urgien » ou « - opracteur » ?), « para »
(« -chutiste » ou « -plégique » ?), « cata » (« -strophe » ou « -racte ? »), « com »
(« -munication » ou « -munauté » ?), « psy » (« -chologue », « -chanalyste » ou « -
chiatre » ?), etc. : les mots de notre belle langue sont impitoyablement
raccourcis par des locuteurs inconscients qui ne se rendent même pas compte
que cet élagage non seulement l’enlaidit, mais risque, en plus, de la rendre
absconse.
Revenons à nos tournures exaspérantes. Même si l’on m’en prie, je n’agréerai
jamais ces expressions de salutations compressées que sont « à plus ! » et « à
toute ! » et je n’agréerai pas davantage ces autres formules insignifiantes que
sont « à très vite ! » et « à tout bientôt ! ».


« À plus » et « à toute » sont des formules tronquées qui n’ont aucun sens.
Elles sont de nouvelles illustrations du goût de notre époque pour les apocopes.
À force de raccourcir les mots, notre société deviendra championne, sinon de
l’incompréhension, du moins du massacre de notre langue.
196

LA PONCTUATION ? RESPECT !

PATAQUÈS ET FAUTES DE PRONONCIATION



Des conseils ont été donnés pour bien distinguer les « h » aspirés des « h »
muets (cf. 161, 168 et 175). Avant d’en venir à des recommandations du même
genre pour bien tenir compte de la ponctuation, tordons le cou à une idée
assez communément partagée. Nombreux sont ceux qui considèrent la
ponctuation inutile ; les mêmes ne font d’ailleurs aucune différence entre un
point et une virgule, ignorent l’existence du point-virgule, emploient les points
de suspension à mauvais escient ou font un usage aussi considérable
qu’inconsidéré du point d’exclamation et des guillemets, à moins qu’ils
n’écrivent sans ponctuer leurs textes, ce qui supprime les doutes et les
hésitations.
« La ponctuation ne sert pas à grand-chose ! » Telle fut aussi la réponse d’un
instituteur à l’inspecteur qui s’indignait de virgules mal placées dans la copie
d’un élève. « La ponctuation ne sert pas à grand-chose, dites-vous, eh bien,
voudriez-vous aller au tableau et écrire sous ma dictée :
L’INSPECTEUR DIT LE MAÎTRE EST UN IMBÉCILE »
Le maître s’exécute, regrettant déjà ses paroles.
« Maintenant, reprend l’inspecteur, ayez l’amabilité d’ajouter à la phrase
cette ponctuation dont vous prétendez qu’elle ne sert pas à grand-chose ! »
L’instituteur réfléchit et comprend vite que deux solutions sont possibles :
« L’inspecteur dit : “Le maître est un imbécile !” »
ou,
« L’inspecteur, dit le maître, est un imbécile. »

Bien sûr, l’instituteur opte pour la première solution.
« Voyez-vous, conclut l’inspecteur, loin de moi l’idée de vous prendre pour
un imbécile, mais cette ponctuation que vous considériez comme quasiment
inutile, vous comprenez maintenant qu’elle sert tout de même à donner son
sens à la phrase. »
Ajoutons qu’elle permet aussi de lire à haute voix de façon parfaitement
intelligible, lecture qui, de surcroît, donne à votre discours une incontestable
autorité, à condition de suivre ces préceptes :
‒ comptez mentalement « un » à chaque virgule, « deux » à chaque point-
virgule, « deux » aussi à chaque deux-points et « trois » à chaque point, y
compris les points d’exclamation, d’interrogation et de suspension. Ces pauses
permettent aussi d’anticiper la découverte, donc la compréhension de la
phrase suivante ;
‒ adoptez l’intonation adéquate que la lecture anticipée vous aura permis
de définir.
Vous délivrerez ainsi un discours impeccable et, satisfait du résultat obtenu,
vous proclamerez :
La ponctuation ? Respect !





La ponctuation donne son sens à la phrase.
Elle rend aussi le discours oral parfaitement intelligible.

À la lecture, elle ménage des pauses qui permettent d’anticiper la phrase suivante.
TESTEZ-VOUS !

1. Citez deux noms communs ayant la même étymologie que « palabre ».

2. En Afrique noire, qu’est-ce que l’« arbre à palabres » ?

3. Complétez les phrases suivantes avec l’adjectif ou le nom de
nationalité correspondant au pays cité entre parenthèses.
a) Les (Amérique) sont souvent considérés comme les gendarmes du
monde.
b) La célébrité du cinéma (Amérique) doit beaucoup à Hollywood.
c) Le (Finlande) est une langue scandinave.
d) Non, le (France) moyen ne mange pas souvent de cuisses de grenouilles !
e) Le flamenco est une danse (Espagne).

4. Donnez trois synonymes de « tout de suite ».

5. Quel est le sens de l’expression « de suite » ?

6. Donnez quatre exemples d’apocopes qui réduisent le nom à son
préfixe.

197

RÉGLISSE

FÉMININ OU MASCULIN ?



L’aventure étymologique du mot « réglisse » est passionnante.
Formé à partir de glykys, « sucre », qui a donné notre « glucose », et de
rhiza, « racine », à l’origine de notre « rhizome », glykyrrhiza désignait, en grec
ancien, une « racine sucrée ». Le mot deviendra liquiritia en bas latin sous
l’influence du latin liquor, « liquide ». En français du XIIe siècle, liquiritia devient
licorece puis licorice (qui nous est d’ailleurs emprunté par les Anglais).
Chambardement au XIIIe siècle dans l’ordre des voyelles : par métathèse,
licorice se transforme en ricolice, reculice, requelisse, et régulisse*, peut-être
par « contamination » de « règle », le produit étant commercialisé en longs
bâtons.
Sous sa forme actuelle, « réglisse » est cependant attesté dès la fin du
e
XIV siècle dans Le Ménagier de Paris (1393 ?) ; mais quelle est la phrase exacte

où le mot est ainsi mentionné :


A. « […] que le bon réglisse est le plus nouveau […] »
ou
B. « […] que la bonne réglisse est la plus nouvelle […] » ?
Réponse B pour ce qui concerne Le Ménagier et aussi pour Larousse et
Littré ; Le Grand Robert considère que le mot est des deux genres ; le TLF est
plus circonstancié : il donne le genre féminin à la plante herbacée, la racine de
cette plante ainsi que les produits et préparations qui en sont extraits (bois,
poudre, sirop, pastilles, bonbons, bâtons) étant gratifiés des deux genres. Dans
l’usage, toutefois, le féminin l’emporte.


Le premier élément de glykyrrhiza, « racine douce » en grec ancien, a donné le
français « glucose » ; le deuxième, le français « rhizome ».

Glykyrrhiza a donné « réglisse » après bien des transformations.


« Réglisse » est des deux genres avec prédilection pour le féminin.

* Deux autres formes, illustrées par deux grands poètes.


Reclisse est employé par Clément Marot (1496 ‒ 1544) :
« Du pain beneïst, du pain d’espice,
Des eschauldés, de la reclisse,
Du bon succre, et de la dragée. »
(Dialogue nouveau, fort joyeulx).
On trouve encore, au XVIe siècle, chez Ronsard (1524 ‒ 1585), la forme regeulice :
« Quiconque aime Du-Thier, qu’il fléchisse les marbres,
Qu’en parlant le doux miel luy coule de la vois,
La regeulice soit l’écorce de ses arbres,
De succre ses rochers, de canelle ses bois »
(Églogue IV, 1560)
198

TAUX D’ALCOOLÉMIE

PLÉONASMES



« 0,57. C’est le taux d’alcoolémie, en milligramme par
litre d’air expiré, que ce Dijonnais de 35 ans affichait
lorsqu’il a été contrôlé par la police. »
(Bien public, article publié le 7 novembre 2017)

« Laurent fait appel sur l’appréciation de la marge
d’erreur du taux d’alcoolémie relevé. »
(La Nouvelle République, article publié
le 25 octobre 2017)

« Charente : sept mois de prison pour l’automobiliste
au taux d’alcoolémie record »
(Le Parisien, titre d’un article publié par
Victor Fortunato, le 15 septembre 2017)

Le mot « alcoolémie » a été créé récemment (1938) à partir du mot « alcool »
augmenté du suffixe « -émie » issu du grec haimia, « sang ». Ce suffixe a servi à
former de nombreux mots savants désignant la présence dans le sang de ce
que signifie le premier élément :
‒ glycémie = présence de sucre (glucose, voir fiche précédente) ;
‒ leucémie = présence anormalement élevée de leucocytes ;
‒ urémie = présence d’urée ;
‒ alcoolémie = présence d’alcool.
Une confirmation par les dictionnaires s’impose.
À l’entrée « alcoolémie », on lit
‒ dans Le Grand Robert : « taux d’alcool (éthylique) dans le sang » ;
‒ dans Le Petit Larousse : « teneur du sang en alcool éthylique » ;
‒ dans le TLF : « présence d’alcool éthylique dans le sang ».
« Taux d’alcoolémie » est donc une redondance, puisqu’il s’agit de « taux de
taux d’alcool dans le sang ». Ce « taux de taux » est une véritable « tautologie »
et les journalistes auraient dû choisir : « alcoolémie » ou « taux d’alcool ».
Rappel : il est interdit de conduire avec une alcoolémie (ou un taux d’alcool
dans le sang) égale ou supérieure à 0,5 gramme (0,2 pour les permis
probatoires).
Boire ou conduire, il faut choisir ; taux d’alcool et alcoolémie, aussi !


Dans « alcoolémie », le suffixe « -émie » vient du grec haimia, « sang ».

« Taux d’alcoolémie » est donc un pléonasme.


Choisissons : « taux d’alcool dans le sang » ou « alcoolémie ».
199

JE (NE) SAIS PAS


QU’EST-CE QU’ELLE
VA FAIRE

Solécismes



Cette phrase est une véritable horreur syntaxique. Pourtant, ceux qui
l’utilisent ne sont pas rares et l’on entend plus souvent que de raison des
déclarations de ce genre :

Vous ne savez pas qu’est-ce que vous voulez.
Il se demande qu’est-ce qu’il va devenir.
Je n’ai pas compris qu’est-ce qu’il a dit.

La tournure est horrible parce qu’elle mélange type interrogatif et type
déclaratif. « Qu’est-ce que » sert en effet à poser une question et la phrase se
termine alors par un point d’interrogation :
Qu’est-ce qu’elle va faire ? Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’est-ce qu’il va
devenir ? Qu’est-ce qu’il a dit ?
Le type déclaratif correspondant se contente d’utiliser la tournure « ce
que » :
Je ne sais pas ce qu’elle va faire. Vous ne savez pas
ce que vous voulez. Il se demande ce qu’il va devenir.
Je n’ai pas compris ce qu’il a dit.

Pour s’exprimer d’une manière plus soutenue et employer un style plus


académique, on peut recourir à l’inversion du verbe et du sujet en utilisant le
pronom interrogatif « que » ou « qu’ » :

Que va-t-elle faire ? Que voulez-vous ? Que va-t-il devenir ? Qu’a-t-il dit ?

Le « t » que l’on ajoute, le cas échéant, entre le verbe et le sujet, ne sert qu’à
éviter l’hiatus. On parle dans ce cas de « t » euphonique.
Pour poser une question orale, on a recours désormais, de façon quasi
systématique, a une tournure bien laide qu’il serait opportun de mettre au
rancart :

Elle va faire quoi ? Vous voulez quoi ? Il va devenir quoi ? Il a dit quoi ?

Avec les tournures apparentées :
On part quand ? Vous allez où ? On fait comment ?
Ces interrogatives bâtardes doivent disparaître !

On entend aussi, dans un français très approximatif, des phrases telles que :
« On sait quand est-ce qu’on arrive mais pas quand est-ce qu’on part. »
L’horreur est vite et facilement anéantie ; il suffit de faire disparaître « est-ce
que » :
« On sait quand on arrive mais pas quand on part. »




La tournure « qu’est-ce que » sert à poser des questions et n’a donc rien à faire dans
des phrases déclaratives.

« Qu’est-ce que » doit être alors remplacé par « ce que ».


Dans un style plus soutenu, on peut aussi recourir au pronom interrogatif « que » ou
« qu’ » avec inversion du verbe et du sujet.

200

ATTENTION INTENTION

BARBARISMES



L’hésitation se manifeste essentiellement dans le domaine de la
correspondance ‒ si, si ! Quelques irréductibles envoient encore des lettres
par voie postale. Pour s’assurer que votre lettre (et surtout pas « votre
courrier » !) sera lue par le bon destinataire que faut-il donc préciser sur
l’enveloppe et au début de la missive : « À l’attention de… » ou « À l’intention
de… » ?
La réponse réside évidemment dans la signification de chaque expression :
‒ « à l’attention de … » précise que vous souhaitez attirer l’attention de telle
ou telle personne sur l’objet de votre « bafouille » : demande particulière,
critique, réclamation, éloge (attention : « UN éloge » !), réponse, etc. ;
‒ « à l’intention de… » signifie que vous agissez spécifiquement pour
monsieur X ou madame Y, en son honneur ; elle précise que ce que vous faites
lui est spécialement destiné. On peut donc admettre que la formule soit
utilisée au début de votre babillarde si celle-ci est favorable à monsieur X ou
madame Y, le ou la complimente, le ou la félicite, etc., mais elle sera plus à sa
place en présentation d’un discours, pour introduire la dédicace d’un poème,
etc.
La nuance est subtile, car vous pouvez par exemple rédiger une lettre de
félicitations à l’intention de monsieur XY dont vous voulez préalablement
attirer l’attention : « J’attire l’attention de monsieur XY sur cette lettre que j’ai
rédigée à son intention. » La langue française vaut aussi par sa capacité à
exprimer les nuances.




La formule « à l’attention de » précise quel est l’exact destinataire de votre lettre, celui
dont vous souhaitez attirer l’attention.
« À l’intention de » est utilisé en introduction d’un discours, d’une lettre d’éloge, d’un
poème, d’un acte spécialement dédié à telle ou telle personne.
Entre les deux formules, la nuance est subtile.
200 bis

BARBARISMES CÉLÈBRES



Voici, seulement pour rire ou sourire, un petit rappel commenté de
quelques barbarismes fameux, proférés tout de go par des personnages
politiques en vue.

Pourtant, ils n’étaient que quatre !
Le 23 avril 1961, le général de Gaulle, président de la République, s’adresse
aux Français pour proclamer l’état d’urgence et en profite pour fustiger les
généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, qui, la veille, ont pris le pouvoir en
Algérie par un putsch militaire, pouvoir que le général de Gaulle qualifie
d’insurrectionnel, putsch qu’il appelle « pronunciamiento » militaire. Il ajoute :

« Ce pouvoir a une apparence : un quarteron
de généraux en retraite. »

Le mot « quarteron » sonne comme une injure et c’est évidemment pour
cela que de Gaulle l’a choisi. Le mot n’a cependant pas le sens de « groupe de
quatre ». Il est dérivé de « quart » ou de « quartier », non de « quatre », et
désigne le quart d’une livre ou, régionalement, le quart d’un cent. Toutefois,
une acception récente fait de « quarteron » un synonyme de « petit nombre ».
Louis Aragon l’emploie en ce sens en 1958 quand dans La Semaine sainte, il
nous parle d’« un quarteron de conjurés monarchistes ». De Gaulle avait-il lu
Aragon ?

Une nouvelle forme de courage ?
Des journalistes et politiciens bien intentionnés ont voulu faire de l’incident
un événement planétaire quand Ségolène Royal, alors candidate à l’élection
présidentielle, déclara le 6 janvier 2007 :

« Comme le disent les Chinois, qui n’est pas venu
sur la Grande Muraille n’est pas un brave. Qui va
sur la Grande Muraille conquiert la bravitude. »

« Bravitude » ! Quel barbarisme ! Comment, madame Royal veut présider la
France alors que ses lacunes en français vont jusqu’à ne pas connaître le mot
« bravoure » qu’elle remplace par un néologisme ?
Tout doux, Messieurs les polémistes, n’allez pas trop vite en besogne !
Cette « bravitude » que François Hollande qualifia subtilement de
« chinoiserie » n’équivaut pas exactement à « bravoure ». Quand, dans des
temps anciens, la Grande Muraille était un rempart contre les invasions,
mongoles notamment, les guerriers chinois devaient vraiment faire preuve de
« bravoure », mais aujourd’hui, la gravir n’implique aucun péril et une dose de
« bravitude » peut suffire. Comme l’a dit Jack Lang, « bravitude » est un beau
néologisme, fruit d’un esprit créatif.

Une allusion au français médiéval ?
Nous sommes le 27 mars 2012 à Nantes. Nicolas Sarkozy, au cours du
meeting électoral qu’il tient, évoque les

« réponses qu’on va regarder avec cette méprisance,
cette attitude hautaine ».

« Méprisance » plutôt que « mépris », la substitution est originale. Il est
simplement dommage que « méprisance » n’existe pas. Il a certes existé dans
ces temps médiévaux où la langue française prenait son indépendance par
rapport au latin. Aux XIVe et XVe siècles, « mesprisance » signifiait bien « mépris »,
« mépris » ayant alors le sens de « méprise ». M. Sarkozy connaît-il si bien cette
langue que les linguistes ont baptisée « moyen français » ?

Que celui qui n’a jamais, par inadvertation, déformé des mots, leur jette la
première pierre ! Je doute toutefois que l’on puisse en venir à une quelconque
lapidance, même morale. Alors, faisons preuve d’un peu d’indulgitude même si
d’aucuns considèrent que de tels barbarasmes sont rédhibiteurs, surtout quand
ils sont commis par des personnalités de cet acabat.

: sens interdits à répartir devant les fautes identifiées dans le
dernier paragraphe.
201

ÊTES-VOUS CONFORTABLE
DANS CETTE POSITION ?

ANGLICISMES



« Êtes-vous confortable dans cette position ? »
(Patrice Bouchardon, De l’énergie des arbres à l’homme,
Le Courrier du livre, 2017)

« Booba confortable mais sans surprise sur son “Trône” »
(Titre d’un article publié par Stéphanie Binet
le 2 décembre 2017 sur lemonde.fr)

« Est-ce que je me sens confortable ici et maintenant ? »
(Isabelle Filliozat, Bien dans sa cuisine,
J.-C. Lattès, 2012)

La métonymie3 a encore frappé ! Pas assez fort toutefois pour que l’adjectif
« confortable » soit purement et simplement accepté, en ce sens, par nos
dictionnaires, à l’exception du TLF. Larousse y voit un emploi « familier »,
Robert, lui, le dénonce comme anglicisme.
Qualifiant une personne, « confortable » résulterait, en effet, d’une
traduction littérale de la formulation anglaise : Are you comfortable ?, « Êtes-
vous confortable ? » Il serait en effet plus correct de dire : « Êtes-vous
confortablement installé ? » ou « Êtes-vous à l’aise ? » et laisser l’adjectif
« confortable » qualifier un objet (chaise, fauteuil, lit), une position, une
situation, « confortable » pouvant alors devenir synonyme de « fortuné, à l’abri
du besoin ».
L’histoire de ce vocable est cependant un peu plus alambiquée. Les Anglais
nous ont d’abord emprunté le nom commun « confort », dès le début du
e
XIII siècle. À la fin de ce même siècle, c’est le verbe « conforter » qui aurait

traversé la Manche pour devenir « to comfort ». Enfin, l’adjectif anglais


« comfortable » signifiant « procurant un confort moral » est un nouvel emprunt
datant, lui, du milieu du XIVe siècle. Il faut alors attendre 1769 pour que soit
attesté le sens de « confort physique ». Doté de cette acception,
« comfortable » intègre le vocabulaire français en 1786. Il n’y deviendra usuel
qu’au siècle suivant.
Littré salue cet anglicisme avec satisfaction et de façon plaisante :
« Confortable est un anglicisme très intelligible et très nécessaire à notre
langue, où il n’a pas d’équivalent ; ce mot exprime un état de commodité et
de bien-être qui approche du plaisir, et auquel tous les hommes aspirent
naturellement, sans que cette tendance puisse leur être imputée à mollesse et
à relâchement de mœurs. »


L’expression « être confortable » est la traduction littérale de l’anglais « to be


comfortable ».

Il serait préférable de dire « être confortablement installé ».


L’adjectif « confortable » est un anglicisme salué par Littré.
TESTEZ-VOUS !

1. Quel phénomène linguistique explique l’incroyable évolution du grec
ancien glykyrrhiza vers le français « réglisse » ?

2. Mis à part « réglisse », pouvez-vous citer deux mots issus des éléments
constituant glykyrrhiza ?

3. Quel est le sens du suffixe « -émie » que l’on trouve dans
« alcoolémie » ?

4. Citez trois autres noms se terminant par ce suffixe.

5. Réécrivez les phrases suivantes de façon à obtenir des phrases
interrogatives correctes.
a) Pierre et Marie arrivent quand ?
b) C’est qui qui a téléphoné ?
c) C’est mieux de ne pas savoir qu’est-ce qu’il pense.
d) Il vous a raconté quoi ?

6. Complétez les phrases suivantes en choisissant « à l’attention » ou « à
l’intention » :
a) Ronsard a écrit un recueil de sonnets … d’Hélène de Surgères.
b) Avez-vous enfin reçu une réponse au message que vous avez écrit… du
directeur des ressources humaines ?
c) Pour obtenir un délai de paiement de votre taxe d’habitation, rédigez
votre lettre… de monsieur le Trésorier principal.
d) Ce touchant message de Roméo ne peut être qu’… de Juliette.

Annexe
au chapitre 78



POUR EN FINIR ‒ EN SOURIANT
‒ AVEC L’ÉCRITURE INCLUSIVE



Répondant sur Twitter à Bernard Pivot, Marc Lévy rejoint le camp des
partisans de l’écriture dite « inclusive ».

Bernard Pivot avait écrit, le 10 novembre 2017 :
« Colette est l’une de nos grandes écrivaines.
Colette est l’un de nos grands écrivains. La seconde
formulation est plus flatteuse, non ? »
Marc Levy a répondu :
« Non, au contraire. Et je ne vois pas pourquoi
elle le serait. »

Éclairons donc la lanterne de monsieur Levy en explicitant le tweet de
monsieur Pivot.
« De toutes les écrivaines de notre littérature, Colette est sans doute l’une
des plus grandes.
De tous les écrivains de notre littérature, Colette est sans doute l’un des
plus grands. »
Quelle est donc, monsieur Levy, la formulation la plus flatteuse ?

La lutte entre Bernard Pivot et Marc Levy est à armes égales, les deux
débatteurs jouissant d’une comparable notoriété. Tous deux sont des
sommités dans le monde des Lettres : deux huiles, deux grosses légumes, que
dis-je ? Deux icônes ! Si Marc Levy y est aujourd’hui une star, Bernard Pivot y
demeure sans conteste une étoile. Leur avis nous est précieux, car ces deux
personnalités sont aussi deux autorités en matière de langue française. Il est
donc naturel que ces deux célébrités tiennent la vedette dans le débat en
question.

Chœur des « masculinistes » : « Comment ? Tous ces mots sont féminins ?
C’est scandaleux ! Changeons cela sans plus attendre. Désormais, on étendra
l’écriture inclusive à ces noms qui, pour être communs, n’en sont pas moins
féminins et appréciatifs. On parlera de «sommité-e-s», de «notoriété-e-s», de
«vedette-e-s»… Flûte ! Ça ne marche pas dans ce sens-là ! Les féministes
auraient-ils œuvré dans l’ombre pour que ces mots demeurent féminins en
faisant en sorte que leur fameuse écriture soit inclusive, mais en sens unique ? »
Intégrons ce chœur pour faire observer que l’écriture inclusive n’a aucune
répercussion dans la langue orale (sauf à imiter le Topaze de Marcel Pagnol), ce
qui en minimise l’intérêt dans une société où l’on écrit beaucoup moins que l’on
ne parle (parfois à tort et à travers). Beaucoup de bruit pour pas grand-chose,
donc !

Les recommandations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les
hommes sont donc incongrues et inopportunes. Elles portent le débat dans un
domaine où, vraiment, il n’a pas grand-chose à faire ! L’humanité (nom féminin
qui, pourtant, comme « famille », « société », « communauté » et bien d’autres,
englobe hommes et femmes !) s’en portera mieux. D’ailleurs, les membres de
ce Haut Conseil semblent avoir oublié que le masculin est, en français, le genre
non marqué et qu’en tant que tel, il fait office de neutre.

Post-scriptum n° 1. Le pronom « on » est dérivé du français médiéval om, lui-même contraction du
nominal latin homo dont l’accusatif hominem est à l’origine du français « homme ». Pourtant, ce pronom
n’est justement ni masculin ni féminin mais indéfini.

Post-scriptum n° 2. À méditer, ce vers de Térence devenu la devise des humanistes de la Renaissance
(oh, les machistes !) :
Homo sum ; humani nihil a me alienum puto
« Je suis homme ; rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».
GLOSSAIRE



1. Solécisme : dans l’Antiquité, sous les Séleucides, les habitants de Soles
(soloikos, en grec, aujourd’hui située en Turquie) avaient la réputation de fort
mal parler le grec. L’adjectif soloikos devint alors synonyme d’étranger et le
mot prit le sens de « qui fait des fautes en parlant, à la manière d’un étranger ».
Via le latin soloecismus, il nous a donné notre solécisme dès 1488, désignant
une faute de langage, plus précisément, de construction, une faute de syntaxe.

2. Barbarisme : le barbarisme désigne, de façon générale, l’emploi d’un
terme impropre. Le substantif grec originel barbarismos évoque, par le
redoublement de la syllabe initiale, un bégaiement, un balbutiement, un
bredouillement caractéristique de celui qui ne maîtrise pas la prononciation
d’une langue. Il est apparenté au verbe barbarizein se rapportant à la conduite
ou au parler d’un barbare (barbaros), c’est-à-dire, selon la toute première
acception du terme, d’un étranger, donc, à l’origine, de quelqu’un qui
n’appartient pas au peuple grec. Devenu barbarus en latin, le terme s’élargit
naturellement à celui qui n’est pas un Romain.
Outre cette acception d’« étranger parlant mal le grec ou le romain », le mot
barbare va rapidement adopter le sens figuré de « grossier, inculte ».
Actuellement, un barbarisme n’est qu’une faute de langage, un contresens
lexical, même si la notion de « mot déformé ou mal employé par un étranger »
n’est plus perçue.

3. Métonymie : procédé par lequel un objet (ou un concept) est exprimé au
moyen d’un terme désignant un autre objet (ou un autre concept), les deux
étant liés par une relation de cause à effet, de contenant à contenu, de partie
au tout, etc. Il y a dans tous les cas rapport de contiguïté. La métonymie est un
facteur essentiel de l’évolution sémantique.
Exemple de métonymie : le sens du mot « achalandé » a « glissé » de
« fréquenté par une nombreuse clientèle » à « bien approvisionné ».

4. Lexicophage : néologisme signifiant « qui mange les mots ». Cet adjectif
s’applique aux anglicismes inutiles qui empêchent l’utilisation de mots français
mieux adaptés, plus précis, mots qui, de ce fait, tombent dans les oubliettes
d’un vocabulaire « passif ».

5. Pataquès : avant de désigner une gaffe ou une situation confuse, le mot
« pataquès » désigne une faute de liaison (on parle aussi de « cuir » ou de
« velours »). Voici, selon le grammairien François Urbain Domergue (1745 ‒
1810), comment le pataquès originel serait né :
« Un plaisant était à côté de deux dames ; tout à coup il trouve sous sa main
un éventail. ‒ Madame, dit-il à la première, cet éventail est-il à vous ? ‒ Il n’est
point-z-à-moi, Monsieur. ‒ Est-il à vous, Madame ? dit-il en le présentant à
l’autre. ‒ Il n’est pas-t-à moi, Monsieur. - Puisqu’il n’est point-z-à vous et qu’il
n’est pas-t-à vous, ma foi, je ne sais pas-t-à qui est-ce ! L’aventure fit du bruit, et
donna naissance à ce mot populaire, encore en usage aujourd’hui. » (Manuel
des étrangers amateurs de la langue française, 1805).
On peut avoir des doutes sur la véracité de l’anecdote. On peut aussi
imaginer que le pataquès a quelque chose à voir avec les expressions
onomatopéiques « pati pata » (XVIIe s.) ou « patati et patata » (XIXe s.) ou
encore le méridional « patin couffin » évoquant un bavardage inintéressant
particulièrement propice aux fautes de liaisons.

6. Oxymore ou oxymoron : association de deux mots de sens sinon
opposés, du moins incompatibles, chacun d’eux recevant ainsi, par contraste,
une plus grande expressivité.

7. Locuteur, trice : la personne qui parle ou la personne qui utilise un
langage donné. Dans le contexte d’une conversation, le locuteur est aussi l’un
des interlocuteurs.

8. Lexicographe : personne spécialisée dans le lexique d’une ou plusieurs
langues dont les travaux aboutissent à l’élaboration ou la mise à jour de
dictionnaires.

9. Sabir : langage fautif, approximatif, éventuellement mêlé de mots
empruntés à d’autres langues.

10. Idiotisme : formulation caractéristique d’une langue donnée, dont la
traduction dans une autre langue est difficile, voire impossible. L’idiotisme peut
aussi être baptisé selon la langue dont il est une caractéristique : les
anglicismes, gallicismes, germanismes, américanismes, hispanismes, italianismes,
etc. sont des idiotismes.

11. Occlusive apico-dentale sonore : consonne produite par le brusque
relâchement du blocage situé au point d’articulation, entre la pointe de la
langue (apex → apico-) et les incisives supérieures (dentale). La prononciation
de cette consonne fait aussi intervenir les cordes vocales ; elle est donc
qualifiée de « sonore ».
Les consonnes se classent en trois catégories : les occlusives (ou
« plosives »), les fricatives (il n’y a pas de blocage, mais un resserrement du
point d’articulation produisant une friction au passage de l’air) et les affriquées
(succession d’un blocage et d’une friction, donc d’une occlusive et d’une
fricative). À l’intérieur de chaque catégorie, les consonnes se caractérisent et se
nomment en fonction des éléments buccaux déterminant le point
d’articulation.

12. Liaison : procédé phonétique qui consiste à associer dans le langage oral
les éléments d’un discours en reliant la consonne finale d’un mot à la voyelle
initiale du mot suivant. Les liaisons font l’objet de règles précises ; elles sont
tantôt obligatoires, tantôt facultatives. Elles peuvent aussi être empêchées par
la ponctuation et les « h » aspirés.

13. Élision : suppression de la voyelle finale d’un mot (article, pronom,
préposition) devant la voyelle initiale du mot suivant. Elle est obligatoire, y
compris pour les noms propres. Elle est interdite devant un « h » aspiré. On
dira, par exemple :
Il est originaire d’Ukraine mais, Il vient du Honduras.

14. Hiatus : rencontre de deux voyelles, en particulier dans une phrase,
entre deux mots prononcés d’affilée, sans pause, comme :
Le fermier va au marché pour vendre ses légumes.
L’hiatus, ressenti comme désagréable à l’oreille, peut être parfois évité par
l’adjonction d’une consonne entre les deux sons vocaliques :
Malbrough s’en va-t’ en guerre. Comment va-t-il ?

15. Euphonie : caractère mélodieux (plutôt qu’« harmonieux ») d’une phrase
dont les phonèmes se suivent sans heurt ni hiatus. C’est par souci d’euphonie
que l’on intercale parfois, entre deux mots, une consonne dite justement
« euphonique », comme dans Ira-t-elle voir son père ?

16. Métathèse : Permutation ou interversion de phonèmes à l’intérieur d’un
mot ou d’un groupe de mots. Cette permutation ou interversion a
généralement permis de résoudre une difficulté phonétique, le mot résultant
étant plus facile à prononcer.
Exemple : L’espagnol palabra, qui nous a donné « palabre » (cf. 190), résulte
d’une métathèse de parabla, contraction du latin parabola.

17. Étymon : mot constituant la racine étymologique d’un autre mot (du grec
etumon, « sens véritable »). Il peut être attesté (mentionné dans un document
historique) ou reconstitué (induit).
Exemple : le grec zumê, « levain » est l’étymon des mots « enzyme » (cf. 134)
et « azyme ».
ORDRE ALPHABÉTIQUE
DES ENTRÉES

PAR SÉQUENCES ET CHAPITRES



Féminin ou masculin ?
amours
anagramme
antidote
apogée
après-midi
armistice
augure
câpre
cartouche
délices
échappatoire
enzyme
épitaphe
espèce
gîte
haltères
hémisphère
mémoires
ministre
obélisque
obsèques
orgues
palabre
pénates
réglisse
scolopendre
soldes
stalactite
stalagmite
tentacule
termite
vivres

Pléonasmes
ciel de traîne à l’arrière (un)
dénouement final
environnement qui entoure (l’)
faire corps ensemble
fermer les maisons closes
jour d’aujourd’hui (au)
moi, personnellement, je…
monopole exclusif
opposer son veto
panacée universelle
permettre de pouvoir
précédents dans le passé (des)
première(s) priorité(s)
préparer à l’avance
prévoir à l’avance
projet d’avenir
rengaines qu’on entend souvent (des)
reporter à plus tard
reporter à une date ultérieure
s’avérer exact
se succéder les uns après les autres
secousse sismique
sinueux qui serpente (un chemin)
solidaires les uns des autres
synchronisé en même temps
taux d’alcoolémie
télécommander à distance
tri sélectif
unanimement par tout le monde

Solécismes
assis-toi ! / assieds-toi !
aucun frais / aucuns frais
ce que doit être nos procédures / doivent être
en vélo / à vélo
j’irai / j’irais
je sais qu’est-ce qu’elle va faire / ce qu’elle va faire
je vais sur Toulouse / je vais à Toulouse
la proposition qu’il ma fait / qu’il m’a faite
pallier à / pallier
si j’aurais su / si j’avais su
après que + indicatif / subjonctif
avoir l’air
cela dit / ceci dit
en même temps et à la fois
étant absents, veuillez nous laisser un message
Français / français
je lui ai acheté tout ce qu’il avait besoin
lequel
leurs épouses respectives (les présidents avec)
malgré que
participe passé / infinitif (verbes du 1er groupe)
personne
pire (plus, moins, aussi)
que y a
quel que / quelque
qui… qui… qui
sans faute(s)
se rappeler / se souvenir de
souffrir / souffrir de

Barbarismes
achalandé et approvisionné
amener et apporter
aréopage
attention et intention
au temps pour moi /autant pour moi
avatar
ballade et balade
bravoure / bravitude
censé et sensé
commémoration et célébration
commissairiat / commissariat
conséquent / important
coubatu et courbaturé
courrier et lettre
entreprenariat / entrepreneuriat
évident et facile
infarctus / infractus
martyr et martyre
mature et mûr
méprisance
naguère et jadis
pécuniaire / pécunier
perdurer
personnels (les)
prémices et prémisses
quarteron
rémunérer / rénumérer
savoir gré / être gré
soi-disant
solutionner et résoudre
souhaiter ses vœux
tout de suite / de suite

Anglicismes
alternative
booster
buffer
buzz (faire le)
by, my
challenge
coach
confortable
crowdfunding
deal
décade
définitivement
être en charge de
faire sens
flyer
forwarder
gap
glamour
happy few
helpers
impacter
impeachment
initier
job mentoring
juste
low cost
mix
name dropping
panel
pitch
silver economy
speech
supporter
task force
turnover
venture capital
vintage

Tournures exaspérantes
à plus / à toute
avoir vocation à
Bisounours (un monde de)
bouger les lignes (faire)
c’est énorme !
c’est une tuerie !
c’est vrai que
ça a été ?
ça l’fait
cerise sur le gâteau (la)
changer de logiciel
clivant
eh bien !
en fait
en mode
entre guillemets
être en capacité de
fait partie de notre ADN
nous avons fait le musée d’Orsay
on est sur…
partie immergée de l’iceberg (la)
pas d’souci !
profiter
que du bonheur !
quelque part
sans état d’âme
silence radio
voilà










EAN : 978 2 36075 559 2

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