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Les mystiques
juives, chrétiennes et musulmanes
dans l’Égypte médiévale
(viie-xvie siècles)
Aspects de la transmission
de l’expérience monastique égyptienne
à l’Occident
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La vie ascétique
C’est un Dieu libre qui vient à la rencontre d’un homme libéré.
La première phase en est un renoncement au monde et un isolement
relatif ou hésychia. Désormais le moine est moins sollicité par les
choses que par les pensées. La prière hésychaste se situe dans ce
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La querelle «anthropomorphiste»
À cet égard, une anecdote est signiicative ; elle est rapportée dans
la Conférence X. Comme beaucoup de moines de Scété, l’Abba
Sérapion interprétait le verset de la Genèse I, 26 « Dieu dit ‘ Faisons
l’homme selon notre image et selon notre ressemblance. ’ » d’une
façon littérale et pensait qu’il fallait se représenter Dieu sous une
forme humaine. Cassien est particulièrement violent contre cet
anthropomorphisme qui, pour lui, constitue un « grossier blasphème
et un grave détriment pour la foi catholique23 ». Bien sûr, la concep-
tion de Cassien s’intègre dans sa christologie comme on vient de
le voir et c’est aussi pour cette raison qu’il s’opposera à Nestorius
dans son traité sur l’Incarnation du Seigneur, en lui reprochant de
séparer la nature humaine du Christ de sa nature divine. Le pro-
blème était tout à fait réel au point qu’au vie siècle, le patriarche
Timothée Ier de l’Église nestorienne ira jusqu’à déclarer, dans un
synode réuni contre les mystiques, que l’humanité du Christ elle-
même, si gloriiée qu’elle soit, ne peut voir sa divinité. La théologie
nestorienne dans son souci de garantir la transcendance de Dieu
veut la préserver de tout mélange avec le créé et le limité 24.
Il n’est pas impossible, comme l’a suggéré A. Guillaumont 25,
qu’en Égypte la querelle « anthropomorphiste » ait été déclenchée
par la notion de « prière pure » d’Évagre et de ses partisans. Évagre
expliquait en efet que tous les eforts du moine doivent tendre vers
la « prière sans représentation ». La représentation mentale faisant
obstacle à la contemplation de Dieu, il distingue entre les concepts
qui génèrent des représentations dans l’intellect de ceux qui n’en
génèrent pas 26. La position d’Évagre peut aussi être interprétée
dans le cadre de la théologie de son temps. L’homme est créé à
l’image de Dieu, c’est-à-dire à l’image du Fils. Cette image qu’est
l’intellect se déinit avant tout comme une capacité de réception de
la monade trinitaire. Le baptême renouvelle cette image présente
dans l’homme en l’inscrivant dans un processus tel qu’à la in des
temps nous serons à l’image du Fils qui est connaissance essentielle
du Père. C’est par l’intermédiaire du Fils et de l’Esprit que nous
pouvons connaître le Père. Cette théologie se situe dans la ligne de
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La prière
Pour Évagre, dans la prière spirituelle, l’intellect à l’image du Fils
dialogue avec le Père sans intermédiaire. C’est pourquoi il explique :
« Celui qui prie en esprit et en vérité ne tire plus des créatures les
louanges qu’il donne au Créateur, mais c’est de Dieu qu’il loue
Dieu 30. » Cette prière « sans représentation » est aussi une prière dans
la lumière : « Quand l’intellect est parvenu à la prière (troisième étape
après la pratique et la contemplation), il est dans une lumière sans
forme qui est appelée lieu de Dieu 31 », et « Si quelqu’un veut voir
l’état de l’intellect, qu’il se prive de toutes les représentations et alors
il le verra pareil au saphir ou à la couleur du ciel ; mais faire cela sans
l’impassibilité est une chose impossible, car il a besoin de l’assistance
de Dieu qui lui insule la lumière apparentée (τὸ συγγενὲς φῶς) 32 »,
cette lumière étant la lumière divine répandue sur l’intellect. C’était
une expérience assez commune à Scété, et Évagre ira consulter Jean
de Lycopolis (l’actuelle Assiout) le célèbre « voyant de la hébaïde »
pour l’interroger sur le sens de cette vision 33. On notera aussi que
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PUISSANCES DE LOGISMOI
L’ÂME ÉTAPES DE LA VIE SPIRITUELLE
PENSÉES
1 VIE PRATIQUE (PRAKTIKÉ)
HÉSYCHIA (QUIÉTUDE)
ÉPITHYMITIKON GLOUTONNERIE
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CONCUPISCIBLE FORNICATION
DÉSIR AVARICE
2
THYMIKON TRISTESSE
IRASCIBLE COLÈRE
ARDEUR ACÉDIE
APATHEIA (IMPASSIBILITÉ)
3 AGAPÉ (AMOUR) VIE CONTEMPLATIVE (THÉORIA)
LOGISTIKON 1/ PHYSIKÉ
CONTEMPLATION DE LA NATURE
RATIONNELLE
VAINE GLOIRE
RAISON
4 ORGUEIL 2/ NOÉTIKÉ
- CONTEMPLATION DES INCORPORELS
NOÛS - CONNAISSANCE DE DIEU
INTELLECT OU
ESPRIT THÉOLOGIA OU PRIÈRE PURE
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PENSÉES
1
HOMME EXTÉRIEUR
ÉPITHYMITIKON GLOUTONNERIE
CONCUPISCIBLE FORNICATION
THYMIKON TRISTESSE
IRASCIBLE COLÈRE
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ARDEUR ACÉDIE PURITAS CORDIS
3 (PURETÉ DU CŒUR)
LOGISTIKON
NOÛS (MENS)
INTELLECT OU
ESPRIT PRIÈRE DE FEU
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peut relever, d’une part, que l’origénisme de Cassien est loin d’être prouvé et que,
d’autre part, toute la tradition reprendra la notion de « prière sans représentation ». La
spiritualisation de la prière n’étant plus comprise de façon origéniste, comme aussi la
notion de « sens spirituel ». L’airmation que Dieu est de nature spirituelle (cf. Jn. 4,
24 : « pneuma ho heos »), n’est pas propre à l’origénisme et de toute façon la querelle
portait sur l’interprétation d’un verset de la Genèse et pas sur la nature du Christ.
Voir aussi Florovsky, « heophilus of Alexandria and Apa Aphou de Pemdje », p. 275-
310. Les deux articles sont reproduits dans le volume IV des “Collected Works” de
Florovsky, Aspects of Church History, p. 89-96, et 97-129. On peut noter aussi que la
tradition a parfaitement intégré les œuvres ascétiques d’Évagre en les situant dans
une dynamique diférente de celle d’Origène. De plus, l’attribution, à Origène
comme à Évagre, d’une hostilité à la chair est fausse, tous les deux considéraient que
le corps était précieux, car il est « à l’âme déchue ce que le collyre est aux yeux du
malade ». Voir, en dernier lieu, Évagre le Pontique, Chapitres des disciples d’Évagre,
et l’introduction de Paul Géhin, p. 49-50 « excellence de la nature » et Évagre : « Si
tout le mal provient naturellement de la partie rationnelle, de la concupiscible et
de l’irascible et s’il est possible d’user bien ou mal de ces facultés, il est évident que
c’est par suite de l’usage contre nature de ces parties que les maux nous arrivent ;
et s’il en est ainsi, rien de ce qui a été fait par Dieu n’est mauvais » KG III, 59.
L’évolution de la tradition est loin d’être une continuité sans débats. Certains auteurs
comme Alexandre Golizin et Andrei Orlov ont rapproché l’anthropomorphisme
des moines de croyances attestées dans le judaïsme de l’époque, en particulier dans
le Shi’ur Qomah, la mystique de la Merkabah et l’Apocalypse d’Enoch. Voir les
textes du séminaire interdisciplinaire de l’université Marquette (Milwaukee, USA) :
« Jewish Roots of Eastern Christian Mysticism ».Voir aussi : Lourie et Orlof, he
heophaneia School.
24. Voir Beulay « L’originalité de Jean Dalyatha », p. 142 et notes.
25. Guillaumont, Les ‘Kephalaia gnostica’, p. 66 ; Driver, John Cassian, p. 37 et note 38.
26. Ce sera aussi plus tard celle, entre autres, de Grégoire Palamas qui s’opposera
à Barlaam précisément sur la question du corps. Car pour lui le Verbe s’est incarné
« pour faire communier le corps à la divine immortalité… pour honorer la chair,
cette chair mortelle même, ain que les esprits orgueilleux ne se considèrent pas et
ne soient pas considérés comme dignes d’honneurs plus grands que l’homme, ain
qu’ils ne se déiient pas par leur incorporalité et leur immortalité apparente ». Hom 16
et Meyendorf, Introduction à l’étude de Grégoire Palamas, p. 205.
27. Contr. Haer. IV.6.3-6.
28. « (1 Cor. 3 : 18) “Nous tous, la face découverte, voyons la gloire du Seigneur
comme dans un miroir de gloire en gloire. Et nous sommes transformés en cette
Image, selon l’action du Saint Esprit.” (2 Cor. 4 :6) Car Dieu qui a dit : “Que de
l’obscurité brille la lumière”, Lui-même a brillé dans nos cœurs pour que nous soyons
illuminés par la connaissance de la gloire de Dieu qui est sur le visage du Christ. »
Voir Khayyat, « Le visage du Christ », p. 78.
29. Homélie 17.4, voir Deseille, Les homélies spirituelles de saint Macaire, p. 211-212.
30. De Oratione 59.
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notes
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49. Voir Guillaumont, « La prière de Jésus chez les moines d’Égypte », p. 127-133.
50. Conférence IX.31.
51. Conférence X.7.
52. Jn. 17, 21.
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Table des matières
Sylvie Denoix
Préface .......................................................................................... v
Giuseppe Cecere, Mireille Loubet, Samuela Pagani
Introduction ................................................................................. 1
471
les mystiques juives, chrétiennes et musulmanes
Paul B. Fenton
La pratique de la retraite spirituelle (khalwa)
chez les judéo-souis d’Égypte ................................................... 211
Mireille Loubet
Les fondements de la voie piétiste dans l’Égypte médiévale.
De la théorie à la pratique, d’après le Kitāb kifāyat al-ʿābidīn
d’Abraham Maïmonide (1186-1237) ........................................... 253
Dora Zsom
Defying Death by Magic.
he Circle of al-Shādhilī (Dā’irat al-Shādhilī) ........................... 275
472
t a b l e d e s m at i è r e s
V. Bibliographie
V.1. Sources.....................................................................................423
Histoire et géographie humaine de l’Égypte
et du monde méditerranéen .......................................................423
Judaïsme ................................................................................... 424
Christianisme .............................................................................427
Islam ..........................................................................................430
473
les mystiques juives, chrétiennes et musulmanes
474