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27/09/23, 10:17 Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception

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Revue germanique
internationale
8 | 1997
Théorie de la littérature

Hans-Robert Jauss et
l’esthétique de la réception
De « L’histoire de la littérature comme provocation pour la
science de la littérature » (1967) à « Expérience esthétique et
herméneutique littéraire (1982) »

Isabelle Kalinowski
p. 151-172
https://doi.org/10.4000/rgi.649

Résumés
Français Deutsch English
En publiant L’histoire littéraire comme provocation(1967), le romaniste et théoricien de la
littérature Hans Robert Jauss entendait introduire un « changement de paradigme » dans sa
discipline : retrouver, contre l’histoire littéraire traditionnelle et ses « substantialisations », la
véritable historicité de la littérature à travers la dimension du lecteur. Son « esthétique de la
réception », théorie syncrétique qui développe et critique certaines positions des formalistes
russes et des structuralistes de Prague, tout en s’inspirant à la fois de l’herméneutique
gadamérienne et de la critique adornienne des idéologies, n’est cependant jamais parvenue à
combler le fossé entre « lecteur implicite » et lecteur réel, et a délibérément tourné le dos à une
histoire sociale de la lecture pour préserver dans une herméneutique de « l’expérience littéraire »
l’intégrité du sujetesthétique.

Mit der Publikation seines Buches Literaturgeschichte als Provokation(1967), beabsichtigte der
Romanist und Literaturtheoretiker Hans Robert Jauss einen « Paradigmenwechsel » in seinem
Fach : gagen die herkômmliche Literaturgeschichte und deren « Substantialisierungen » galt es,
die eigentliche « Historizitàt » der Literatur durch ein neues Interesse fur den
Leserwiederzuentdecken. Seiner « Rezeptionsästhetik » — einer synkretischen Théorie, welche
bestimmte Positionen der russischen Formalisten und der Prager Strukturalisten kritisch
weiterentwickelt, sich zugleich aber auf die Gadamersche Hermeneutik und auf Adornos
Ideologiekritik beruft — ist es allerdings nie gelungen, die Kluft zwischen « implizitem » und
realem Léser zu ùberbrùcken ; indem Jauss eine Sozialgeschichte des Lesers entschieden
ablehnte und sich einer Hermeneutik der « ästhetischen Erfahrung » zuwandte, hatte er vor, sich
gegen die drohende Auflösung des ästhetischen Subjektszur Wehr zu setzen.

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27/09/23, 10:17 Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception
By publishing Literary History as Provocation(1967), the romanist and specialist of literary
theory Hans-Robert Jauss intended to « change the paradigms » of his subject, to go back,
against literary history and its « substantializations », to the real historicity of literature through
the dimension of the reader. His « réception aesthetics » is a syncretic theory which develops and
criticizes some positions of the Russian formalists and the Prague structuralists, while inspired by
Gadamer’s hermeneutics and Adorno’s critique of idéologies. However, it has never bridged the
gap between the « implied reader » and the real reader ; Jauss deliberately refused a social
history of reading, in order to préserve the integrity of the aesthetic subject within a hermeneutic
of « literary experience ».

Texte intégral
1 Hans-Robert Jauss (1921-1997), romaniste et théoricien de la littérature, est
considéré comme l’un des principaux représentants de l’École de Constance,
dénomination attachée à un lieu (l’université de Constance, fondée à la fin des années
1960), à une série de noms (ceux de Jauss, Wolfgang Iser, Rainer Warning...) et à un
concept : la rupture avec l’esthétique traditionnelle de la production et le « changement
de paradigme » qui place le lecteur au centre de la théorie littéraire.
2 Il faut se garder d’identifier trop rapidement l’École de Constance et l’esthétique de la
réception : cette dernière est, au sens restreint, le projet théorique de Hans-Robert
Jauss à la fin des années 1960 et dans les années 1970, mais désigne aussi, en un sens
plus large, plusieurs courants mettant l’accent sur le rapport du texte et du lecteur : le
recueil de Rainer Warning intitulé L’esthétique de la réception rassemble des textes de
Jauss, Wolfgang Iser et Rainer Warning, mais aussi de Hans-Georg Gadamer, Félix
Vodicka, Michael Riffaterre et Stanley Fish1. Dans la préface, Rainer Warning assigne
pour objet à l’esthétique de la réception l’étude des « modalités et résultats de la
rencontre entre l’œuvre et le destinataire », et le « dépassement des formes
traditionnelles de l’esthétique de la production et de la représentation, qu’elle
soupçonne de perpétuer des substantialisations depuis longtemps dépassées »2. Cette
définition s’avère d’emblée sujette à caution dans la mesure où le terme de
« destinataire » suggère que l’esthétique de la réception s’élabore à partir de la
perspective de l’œuvre et non de celle du lecteur : présupposé fondé dans le cas de
Wolfgang Iser ou dans celui de Rainer Warning lui-même, mais problématique en ce
qui concerne Jauss. Un fossé sépare une esthétique des effets (Wirkungsästhetik) d’une
esthétique de la réception, une théorie du destinataire (Adressät) d’une théorie du
récepteur (Rezipient). Ces divergences expliquent que l’ « École de Constance » (le
terme ne fut d’ailleurs jamais qu’une dénomination extérieure, comme le souligne
Warning3) ait moins été marquée par une unité théorique que par une communauté
d’intérêts scientifiques dans le contexte de la réforme universitaire allemande, par le
projet de fonder une science de la littérature en rupture avec la philologie allemande
traditionnelle, « par la constitution d’un département de science de la littérature, le
premier du genre, (...) et le tournant vers une théorie de la réception et des effets qui fut
introduite par L’histoire de la littérature comme provocation (1967) et La structure
d’appel des textes (1970) de Wolfgang Iser »4.
3 Notre analyse ne portera pas sur les antagonismes théoriques s’affirmant au sein
d’une « école » qui n’a jamais prétendu à l’unité, mais plutôt sur les orientations
paradoxalement divergentes qui se font jour dans le projet même d’une esthétique de la
réception, tel que l’a développé Jauss dans ses principales publications, du premier
« manifeste » de 1967 à son ouvrage de 1982, Expérience esthétique et herméneutique
littéraire5.

Une théorie littéraire de la provocation


4 Rétrospectivement, Jauss affirme en 1982 avoir visé « une rupture avec les
conventions dominantes de l’entreprise scientifique »6 en matière de littérature : ce
projet négatif s’ordonnait autour du concept d’ « historicité de la littérature », qu’il
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opposait à l’anhistoricité d’une histoire littéraire aussi étrangère à l’ « histoire de l’art »


qu’à l’ « histoire de l’art7.

Décadence de l’histoire littéraire et


substantialisations
5 En 1963, Roland Barthes dénonçait « l’idéologie positiviste de la critique universitaire
française »8. En intitulant son cours inaugural à l’université de Constance L’histoire de
la littérature comme provocation pour la science de la littérature, Jauss entendait bien
distinguer une autre histoire de la littérature de l’histoire littéraire traditionnelle,
dominée par des « conventions figées », de « fausses causalités »9 et un « savoir
purement antiqua-rial ». « On ne trouve plus guère d’histoires de la littérature que dans
les rayonnages de bibliothèque de la bourgeoisie cultivée qui, faute d’un dictionnaire de
littérature mieux approprié, les consulte surtout pour trouver la réponse à des quizz
littéraires. »10 Elles se résument à « l’hypostase d’une série de monographies qui,
d’histoire, n’ont plus que le nom »11. Dans ces suites de chapitres organisés selon le
fameux schéma « l’homme et l’œuvre », qui se contentent de suivre le fil de la
chronologie et d’ajouter quelques vagues allusions à « l’esprit du temps », le choix des
« grandes œuvres » semble aller de soi, et les critères esthétiques qui le commandent ne
sont ni légitimés ni seulement mentionnés. Jauss cite Rilke : « Et de temps en temps
vient un éléphant blanc. »
6 La discipline est ainsi dominée par des conceptions « hypostasiées » ou
« substantialisées », dont Jauss retrace la généalogie12.
7 La Querelle des Anciens et des Modernes constitue selon lui le tournant décisif qui
rendit possible la constitution d’une histoire de l’art. La fameuse « Querelle »
annonçant la mort du classicisme français amena les « Anciens » comme les
« Modernes » à un constat commun : « L’art antique et l’art moderne ne [pouvaient]
être évalués à l’aune de la même perfection, parce que chaque époque a sa propre
notion du beau »13. La « Querelle » marqua ainsi le passage du beau absolu au beau
relatif. Par la suite, les Lumières achevèrent la transition entre une « pluralité
d’histoires » et une « philosophie de l’histoire »14. Winckelmann considère encore que
l’art antique a valeur de modèle, mais tient sa perfection pour irrémédiablement
perdue. Cette conscience historique fait naître chez Schiller l’idée que la beauté de l’art
antique tient justement à cette appartenance au passé : « Ce n’est pas la beauté
objective de la poésie grecque en elle-même, mais bien plutôt la perte irréparable de sa
perfection naturelle, qui fonde ce qui en fait pour nous un idéal »15.
8 Herder va plus loin que Winckelmann en élargissant la « temporalité » de l’histoire
de l’art à toutes les époques, et en opposant à l’idéalité hellénique » la « multiplicité
historique des beautés individuelles »16. Il prépare ainsi le passage de l’idée
universaliste de l’Aufklärung à une pluralité d’entités historiques, à « l’histoire des
individualités nationales dans sa multiplicité » (Humboldt17).
9 Dans son Histoire de la littérature poétique nationale des Allemands, Gervinus place
insensiblement cette idée « au service de l’idéologie nationale »18. Le rejet de la
conception universaliste de l’histoire, que Gadamer décrit comme une réaction contre la
vision hégélienne de l’histoire19, amène les historiens du courant historiste à traiter les
époques comme des sphères séparées. La question de leur cohésion se pose alors, et ni
« la règle fondamentale de l’écriture de l’histoire, selon laquelle l’historien doit s’effacer
devant son objet et le faire apparaître en toute objectivité »20, ni la légitimation
théologique apportée par Leopold Ranke à l’idée d’une « immédiateté de toutes les
époques devant Dieu » ne peuvent la résoudre. Jauss se réfère ici à la critique de l’idéal
d’objectivité de Ranke par Droysen. Ce dernier conteste la possibilité, pour l’historien,
d’adopter le point de vue de Dieu sur l’histoire, et remet en cause l’idée que l’étude du
passé soit strictement désintéressée : « Ce qui fut ne nous intéresse pas parce que cela a
été, mais parce que cela est encore en un certain sens, parce que cela produit encore un

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effet. »21Ces arguments de Droysen s’appliquent aussi bien, aux yeux de Jauss, à une
critique des méthodes « positivistes » de l’histoire littéraire traditionnelle et de leur
prétendue objectivité. La dénégation de tout « intérêt de connaissance » fonde leur
illusoire scientificité.

Le caractère d’événement de l’œuvre littéraire


10 Dans une discipline encore dominée, dans la RFA de la fin des années 1960, par
l’histoire littéraire « positiviste » et la méthode « immanente » d’étude des textes, la
prise en compte d’une nécessaire « partialité » de l’historien de la littérature acquiert
selon Jauss une portée nouvelle. « L’interprète qui se met lui-même entre parenthèses
n’est pas assuré de ne pas élever ses propres présupposés esthétiques au rang de norme
esthétique inavouée, ni de ne pas moderniser le sens du texte ancien sans en prendre
conscience22. »
11 Jauss ne définit pas le « point de vue » de l’interprète comme un point de vue
subjectif ou bien encore comme un point de vue socialement déterminé : il insiste
surtout sur l’inscription de l’interprète dans une époque donnée. Les dernières lignes de
son étude sur Iphigénie indiquent bien le caractère très général qu’il attribue à cette
notion de « point de vue » de l’interprète : « Même une époque étrangère au mythe et
éclairée comme la nôtre ne peut se soustraire à ce problème posé par l’Iphigénie
classique et sa postérité : le problème de savoir de quels mythes nous sommes
prisonniers, sans nous en rendre compte »23.
12 Droysen soulignait la nécessité d’envisager le fait historique « à la lumière de la
signification qu’il [avait] acquise » au fil du temps et des « effets » qu’il avait exercés.
Jauss élargit cette conception de l’ « événement » à l’histoire de la littérature, en
définissant l’œuvre littéraire par son « unicité » et par ses « effets ». L’introduction du
concept d’événement induit le rejet de toute « métaphysique du beau intemporel ».
Jauss critique le concept d’œuvre « classique » auquel se réfère Gadamer ; il ne voit en
lui qu’une « substantialisation » au sens strict du terme : les grands chefs-d’œuvre
agiraient comme de véritables substances sur lesquelles le temps et la succession des
générations de lecteurs n’auraient pas de prise. Ce « dogmatisme esthétique » rejoint le
positivisme dans la croyance en un sens absolu et immédiatement accessible des
œuvres. Jauss ne lui oppose pas l’idée d’un sens ouvert et purement arbitraire, mais
celle d’une historicité du sens et de la valeur esthétique des œuvres. En décrivant
l’œuvre comme un événement singulier, on s’affranchit non seulement de toute
conception normative de l’art, mais surtout de toutes les « notions hypostasiées de la
tradition », qui présupposent une « continuité métaphysique » de l’héritage culturel
occidental. Jauss songe ici à Ernst Robert Curtius et à sa notion de topos : « La
connaissance des permanences ne dispense pas de l’effort de la compréhension
historique. »24Dans Tradition historique et conscience de la modernité au présent,
Jauss nie par exemple que le concept de modernité puisse être considéré comme un
héritage de l’Antiquité.

L’esthétique de la réception de Hans-Robert Jauss


13 Jauss n’est pas le premier à avoir introduit le terme de « réception » dans la théorie
littéraire : quarante ans auparavant, les « structuralistes de Prague » avaient développé
une théorie de la réception. L’esthétique de la réception de Jauss est une théorie
syncrétique dont les éléments sont empruntés — de façon le plus souvent explicite — à
d’autres théoriciens.
14 Pour accéder à l’ « historicité fascinante de la littérature », Jauss définit d’abord le
concept dans une perspective synchronique. Mais il refuse de le rapporter aux
conditions historiques de la production littéraire — à la biographie des auteurs, à des
« coordonnées économiques ou sociales »25qui ramèneraient l’œuvre à sa dimension de

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mimesis. L’historicité de l’œuvre se définit à l’intérieur de la seule « série littéraire »


comme la relation de rupture ou de continuité qui lie le texte aux canons littéraires de
son temps (normes des genres, poétiques, etc.) et aux autres productions littéraires
présentes ou passées.
15 Pour analyser l’historicité dans sa dimension diachronique, Jauss se réfère
essentiellement à la théorie de « l’évolution littéraire » développée par les formalistes
russes (Victor Chlovski, Boris Eichenbaum, Youri Tynianov...). Ces derniers écartent le
concept de « tradition » au profit d’une vision dynamique de l’ « évolution », marquée
par des ruptures brutales et l’ « autoproduction dialectique de formes nouvelles » (Boris
Eichenbaum), qui fait à leur tour l’objet d’un processus de canonisation, puis de rejet,
etc. Cependant, l’historicité de la littérature ne s’épuise pas, aux yeux de Jauss, dans
une « succession de systèmes esthétiques formels »26. L’histoire de la littérature ne se
réduit pas à une histoire des auteurs et des œuvres. Ces dernières n’ont une histoire que
dans la mesure où elles sont lues : « Seule la médiation du lecteur fait entrer l’œuvre
dans l’horizon d’expérience mouvant d’une continuité. »27 La tradition « présuppose la
réception », et les « modèles classiques eux-mêmes ne sont présents que lorsqu’ils font
l’objet d’une réception ». C’est la série des réceptions, et non celle des œuvres, qui
constitue le fil conducteur de l’histoire littéraire.
16 Dès les années 1920, Yan Mukarovsky et son successeur Felix Vodicka (les
« structuralistes de Prague ») avaient analysé le rôle de la réception dans la constitution
de la signification d’une œuvre littéraire. Selon Rainer Warning, l’esthétique de la
réception trouve ainsi son origine dans le « structuralisme praguois »28. Le texte de
Vodicka repris dans l’anthologie de Warning, L’histoire de la réception des œuvres
littéraires, date de 1941. Ce n’est que dans les années 1970 que les structuralistes de
Prague furent traduits en allemand ; Jauss reconnaît avoir eu connaissance de leurs
travaux avant qu’ils ne soient traduits, mais affirme que sa propre théorie était déjà
élaborée avant qu’il ne découvre Vodicka — coïncidence qui en illustrerait la validité29.
17 Vodicka part du même constat que Jauss : pas d’œuvre sans « concrétisation » dans
la perception d’un public. Le concept de « concrétisation » est emprunté à Roman
Ingarden et à sa théorie phénoménologique de la littérature30, mais Vodicka lui donne
un sens nouveau : contre la conception statique d’Ingarden, il montre que les
différentes concrétisations de l’œuvre résultent d’une tension entre l’œuvre et ses
publics, qui est au principe de l’ « évolution littéraire ». Les œuvres nouvelles peuvent
modifier l’appréhension du public ; la transformation des normes peut susciter quant à
elle de nouvelles concrétisations des œuvres anciennes.
18 Jauss se trouve confronté à un problème que Vodicka n’avait pas résolu : le lecteur ne
peut être assimilé au lieu abstrait où s’accomplirait la mutation des normes esthétiques.
Si le lecteur est le chaînon manquant entre la série chronologique des œuvres littéraires
et l’histoire proprement dite, il faut nécessairement prendre en compte son insertion
dans l’histoire non littéraire d’une société donnée : « L’évolution de la littérature,
comme celle de la langue, ne se définit pas seulement d’un point de vue immanent, par
le rapport entre synchronie et diachronie qui lui est propre, mais aussi par son rapport
au processus général de l’histoire. »31
19 Vodicka esquive la difficulté en se contentant de juxtaposer les aspects esthétiques
(poids des normes traditionnelles, impact des œuvres nouvelles, etc.) et
« sociologiques », comme dans l’extrait suivant : « Dès qu’une œuvre est intégrée dans
de nouveaux contextes de perception (état de la langue modifié, nouveaux postulats
littéraires, structure sociale modifiée, nouveau système de valeurs intellectuelles et
pratiques, etc.), on peut ressentir comme esthétiquement efficaces des propriétés de
l’œuvre qui n’étaient pas perçues de cette manière auparavant »32.
20 Ni Vodicka ni Jauss n’apportent une description précise des processus de
« concrétisation » et de la part respective des normes littéraires et des facteurs
extralittéraires dans l’élaboration du sens des œuvres. Dans L’esthétique de la
réception. Bilan intermédiaire, Jauss affirme cependant très explicitement le
« primat » du « lecteur implicite »33 sur les lecteurs réels. L’argument qu’il invoque est
de nature « méthodologique » — dans la mesure où il est plus facile d’étudier le rôle du
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lecteur implicite, il faut lui accorder le primat « herméneutique » : « Distinguer le code


propre à un type de lecteurs historiquement et socialement déterminé du code propre à
un rôle de lecteur prescrit par le texte littéraire, voilà l’exigence absolue d’une analyse
herméneutiquement éclairée de l’expérience du lecteur. Étant donné que le rôle
implicite de lecteur peut se lire dans des structures objectives du texte, et qu’il est donc
plus immédiatement perceptible que le rôle explicite du lecteur, soumis à des
conditions subjectives et à des données sociales souvent dissimulées, il faut lui accorder
un primat d’accès méthodologique, parce qu’il est plus facilement objectivable. »34
21 Tel est le paradoxe de l’ « herméneutique éclairée » de l’esthétique de la réception :
revendiquant la nécessaire prise en compte de l’historicité du fait littéraire, elle recule
devant la difficulté de son appréhension. Jauss semble rester prisonnier de la
conception circulaire de l’histoire qu’il critiquait chez les formalistes russes : « On peut
appliquer à la forme littéraire ou à l’unité artistique ce que Droysen disait de
l’individualité des peuples : « Ils changent dans la mesure où ils ont une histoire et ils
ont une histoire dans la mesure où ils changent » »35.
22 Dans le Bilan intermédiaire, Jauss critique une étude empirique portant sur la
réception d’un texte de Brecht auprès de jeunes élèves de lycées techniques et
d’enseignement général. Selon lui, l’intérêt d’une telle enquête est négligeable, dans la
mesure où elle ne porte pas sur de « véritables lecteurs », autrement dit sur des
individus sensibles aux aspects littéraires d’un texte : « L’analyse de la réception des
textes littéraires ne peut prétendre au titre de gloire de l’ « empirisme » que dans la
mesure où elle prend en compte une expérience esthétiquement médiatisée. »36 Cette
objection éclaire la conception du lecteur qui est celle de Jauss. La possibilité de
distinguer des « lecteurs véritables » de lecteurs dont le titre serait seulement usurpé
induit l’existence de critères discriminants qui découleraient de la définition d’une
« juste » lecture, soumise à la « bonne » médiation esthétique. Jauss recule devant une
conséquence possible du « changement de paradigme » introduit par l’esthétique de la
réception : la dissolution du sens dans la diversité incontrôlable des lectures
« illégitimes ».

L’horizon d’attente
23 Jauss affirme « avoir introduit dans l’interprétation historico-littéraire le concept
d’horizon d’attente »37, qui trouve son origine chez Husserl. Avant Jauss, Hans-Georg
Gadamer avait eu recours au concept d’ « horizon » pour décrire les processus
herméneutiques de la « fusion des horizons » (Horizontverschmelzung) et du
« changement d’horizon » (Horizontwandel). Vodicka avait parlé d’ « horizons
d’intérêts et de connaissances ».
24 Jauss ne définit pas le concept de manière univoque. Il distingue F « horizon
d’attente historique et social » de F « horizon d’attente littéraire » ; ailleurs, il oppose F
« horizon d’attente impliqué par le texte » à F « horizon d’attente du lecteur » ; ailleurs
encore, il donne une définition restrictive de l’Erwartungshorizont, comme « système
de relations objectivable des attentes qui résultent pour chaque œuvre au moment
historique de sa parution des présupposés du genre, de la forme et de la thématique
d’œuvres connues auparavant et de l’opposition entre langue poétique et langue
pratique »38.
25 Dans le Bilan intermédiaire, Jauss reconnaît la nécessité de clarifier le terme et
propose de distinguer (conformément à l’antithèse effet/réception) l’horizon « littéraire
impliqué par l’œuvre nouvelle » et l’horizon « social prescrit par un certain
environnement » et « conditionné par l’appartenance sociale et la biographie »39. Le
concept a pour fonction de faire le départ entre une lecture individuelle et subjective et
la réception proprement dite. « Poser la question de la subjectivité de l’interprétation et
du goût de différents lecteurs n’a de sens que dans la mesure où on a établi quel horizon
transsubjectif de compréhension détermine l’effet du texte »40. Mais ce « horizon
transsubjectif » de la réception se dessine dans l’œuvre même : « Une œuvre littéraire,

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même lorsqu’elle vient de paraître, ne se présente pas comme une nouveauté absolue
dans un désert d’information, mais prédispose son public par des indications, des
signaux manifestes ou cachés, des caractéristiques familières, à une forme de réception
particulière. »41 L’horizon « social » est dès lors délaissé : « Je ne contesterai pas qu’en
introduisant le concept d’horizon d’attente, je suis resté encore tributaire de ses origines
intralittéraires, et que le canon de normes esthétiques (le code) que l’on peut ainsi
reconstruire pour un certain public littéraire pourrait et devrait être subdivisé
sociologiquement, selon les niveaux d’attente des différents groupes, couches ou
classes, et rapporté aux intérêts et aux besoins de la situation historique et économique
qui les détermine. »42
26 Ce reniement paradoxal d’objectifs théoriques néanmoins affirmés s’appuie ici encore
sur une caution herméneutique : « Mon questionnement, écrit Jauss, est orienté vers un
objectif herméneutique plus modeste. »

Une théorie multiforme


27 La jeune génération de l’ « École de Constance » a donné à une anthologie parue en
1978 ce titre significatif : Histoire de la réception ou esthétique de l’effet43 — comme si
la dénomination même d’ « esthétique de la réception » avait éclaté sous l’effet de ses
contradictions internes.
28 L’une d’entre elles, et non la moindre, réside dans la définition de l’esthétique de la
réception comme une herméneutique. Si le chemin parcouru entre L’histoire de la
littérature comme provocation (1970) et Expérience esthétique et herméneutique
littéraire (1982) marque le passage d’une « esthétique de la réception » à une
« herméneutique littéraire », on ne saurait parler d’une rupture induite par le constat
de certaines apories — car Jauss a d’emblée situé sa démarche dans le cadre de
l’herméneutique. En affirmant que l’ « historien de la littérature » devait « fonder son
propre jugement en étant conscient de sa position actuelle dans la série historique des
lecteurs »44, il indiquait d’emblée un double orientation, historique et interprétative.
L’éclairage apporté sur la série des réceptions passées ne répondait pas à un intérêt
exclusivement historique, mais au « projet conscient de constitution d’un canon
impliquant (...) une révision critique, sinon la destruction du canon littéraire
traditionnel »45. L’ambition « modeste » de l’herméneutique rivalisait dès lors avec la
création littéraire : « Le chercheur serait alors créateur et pourrait être comparé à
l’écrivain, comme créateur d’attentes nouvelles. »46 Dans ce projet herméneutique,
l’identité des « lecteurs » qu’un « changement de paradigme » devait placer au centre
de la théorie littéraire se trouvait circonscrite : il s’agissait avant tout de l’écrivain (en
tant que lecteur « productif » d’autres écrivains) et du critique, son double
universitaire.

La dialectique de la question et de la réponse


29 Cette confrontation privilégiée entre le texte et ses « grands lecteurs » prend la forme
d’une « herméneutique de la question et de la réponse ». D’une part, le texte ne peut
être considéré comme le monologue d’un écrivain qui répondrait dans son œuvre à des
questions qu’il aurait lui-même posées (il entretient un rapport dialogique avec des
textes contemporains ou antérieurs). D’autre part, la signification du texte ne se
constitue pas, elle non plus, dans un monologue du lecteur : le texte « parle » lui aussi,
il est la limitation concrète apportée à l’arbitraire des interprétations. Le dialogue du
texte et des lecteurs ne se développe pas de manière anarchique ; questions et réponses
s’articulent, les réceptions se construisent sur des réceptions antérieures. Il reste
cependant toujours ouvert et ne peut prendre fin avec la canonisation d’une
interprétation.

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30 Jauss emprunte le couple conceptuel question/réponse à Gadamer, mais renverse le
processus dialogique décrit par ce dernier. Pour Gadamer, c’est le texte lui-même qui
« pose une question à l’interprète » ; « comprendre un texte, c’est comprendre cette
question »47. Pour Jauss au contraire, « le questionnement de la réception (...) part du
lecteur pour aller vers [le texte] ; en l’inversant, on ne retombe pas seulement dans le
substantialisme des questions éternelles et des réponses immuables ; (...) on méconnaît
aussi que les potentialités du caractère artistique transcendent la question
immédiatement posée et sa réponse immédiate »48. Le lecteur prend l’initiative du
dialogue, pose une question ; ce n’est qu’alors que l’œuvre commence à exister. A la
différence de Gadamer, Jauss ne croit d’ailleurs pas à une immédiateté du dialogue :
celui-ci est toujours médiatisé par une tradition d’interprétation.
31 Ce renversement du rapport question/réponse n’est cependant pas affirmé en toute
rigueur par Jauss. L’œuvre remplit tantôt la fonction de la question, tantôt celle de la
réponse dans « une réflexion herméneutique qui s’ouvre par une question posée à la
réponse héritée d’une tradition d’interprétation, qui revient à la question originelle,
reconstituée ou hypothétiquement formulée, et nous ramène, à travers le changement
d’horizon des concrétisations, à la question révisée qui doit être posée aujourd’hui ou
qui est « impliquée pour nous », et à laquelle le texte peut répondre implicitement pour
nous ou bien ne pas apporter de réponse »49. La « réponse » est tantôt la réponse du
texte lui-même, tantôt celle de la « tradition d’interprétation » ; la question est tantôt
« notre question » (« issue de la situation présente »), tantôt une « question posée à la
réponse héritée de la tradition d’interprétation », tantôt une « question impliquée pour
nous » (par la réponse du texte ou bien par la tradition d’interprétation ?). On se heurte
ici à des difficultés terminologiques insurmontables50.
32 Dans son étude, L’ « Iphigénie » de Racine et l’ « Iphigénie » de Goethe, Jauss décrit
la série historique des réceptions de l’œuvre de Goethe. La question posée par notre
temps à l’œuvre de Goethe serait la suivante : la raison n’a-t-elle pas toujours besoin de
nouveaux mythes ? Nous devrions lire dans le texte de Goethe une réponse négative à
cette question. Mais qui la pose ? Jauss considère apparemment que c’est là la
« question originelle » qui « détermine comme leur contenu a priori toutes les
significations remplies par la suite ». Selon lui, Goethe a cherché très consciemment à
écrire une pièce dirigée contre l’Iphigénie de Racine. Mais, par ailleurs, il constate que
« dans l’histoire de la réception, cette interprétation ne s’est pas imposée comme
concrétisation »51. Cette signification « originelle » de l’œuvre apparaît pour la
première fois, en réalité, dans le Sur Racine de Roland Barthes et dans le texte
d’Adorno « Sur le classicisme de l’Iphigénie de Goethe », auxquels il se réfère
constamment. On retrouve ici certains présupposés :
— la réception est entendue comme celle d’une certaine catégorie « productive » de
lecteurs (auteurs et critiques) ;
— au sein même de cette catégorie restreinte, la question du choix des critiques
(Barthes et non Raymond Picard, Adorno et non Benno von Wiese) et de leurs éventuels
antagonismes est éludée.
33 Enfin, l’idée qu’une interprétation actuelle puisse retrouver la dimension
« originelle » de l’œuvre (que ce soit sous les espèces d’une question ou d’une réponse)
revient à occulter l’historique des réceptions pour mettre en scène un dialogue par-delà
les siècles — dans le droit fil de la dramaturgie herméneutique gadamérienne.

Aisthesis, Poiesis et Catharsis


34 En 1972, Jauss publie la Petite apologie de l’expérience esthétique. Le passage de
l’esthétique de la réception à la théorie de l’expérience esthétique se fonde sur un
élargissement du concept d’esthétique. « L’esthétique ne renvoie pas seulement ici à la
science du beau ou au vieux problème de l’essence de l’art, mais à la question longtemps
négligée de l’expérience de l’art, c’est-à-dire à la praxis esthétique (...) comme activité
de production, de réception et de communication. »52

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27/09/23, 10:17 Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception
35 La Petite apologie de l’expérience esthétique part du constat suivant : la jouissance de
l’œuvre d’art, cet aspect essentiel de l’expérience esthétique, est unanimement
condamnée dans les philosophies contemporaines de l’art, de la « critique de
l’abstraction de la conscience esthétique » chez Gadamer, à la théorie de la négativité
d’Adorno. La généalogie de cet anathème ramène aux « ambiguïtés de la réception du
platonisme » : d’un côté, sa faculté de « médiation du suprasensible » confère à l’art une
haute dignité ; de l’autre, l’art est en position de défaut ontologique parce que lié aux
sens. Deux conceptions de l’expérience esthétique seraient nées de cette partition
initiale : d’un côté, la tradition de Tertullien, saint Augustin, Bossuet, Rousseau,
Gadamer, Adorno ; de l’autre, la Renaissance, le classicisme allemand, et leur foi en la
« fonction cognitive de l’art », partagée par Jauss.
36 L’aisthesis « oppose à la perception dégradée et à la langue servile de l’industrie
culturelle la fonction créative et la fonction de critique du langage qui sont propres à
l’expérience esthétique »53. Jauss construit sa notion de poiesis à partir de la théorie de
la « poïétique » de Valéry ; la puissance créatrice de l’artiste transcende la frontière
entre l’art et la réalité et « inclut le spectateur lui-même dans la constitution de l’objet
esthétique »54. Enfin, Jauss élargit le concept aristotélicien de catharsis en une théorie
de la fonction communicative de l’art. Il réhabilite les conceptions « hérétiques » qui
attribuent à l’œuvre d’art une fonction didactique et une valeur d’exemplum. La notion
de fonction communicationnelle n’est pas, là encore, dépourvue d’ambiguités. Chez
Jauss, elle se réfère en effet à la fois à une communication strictement littéraire entre
l’œuvre et son public, et à la possibilité, pour l’œuvre, de « donner des normes à l’action
pratique sans les imposer, en sorte que c’est seulement le consensus des sujets
percevants qui leur donne une valeur d’obligation »55 : dans cet « analogon du Contrat
social de Rousseau »56, Jauss découvre le paradigme d’une fonction sociale de la
littérature, à la fois normative et non contraignante.
37 La théorie de l’aisthesis-poiesis-catharsis consacre l’éviction du concept même de
réception et de la trop problématique notion d’ « historicité de la littérature ». Passer de
la « réception » à l’ « expérience esthétique », c’est quitter le monde mouvant des
lecteurs pour rejoindre l’espace libéral d’une rencontre du sujet esthétique avec l’œuvre
d’art. L’Apologie de l’expérience esthétique défend en effet une vision libérale du
territoire artistique contre deux philosophies de l’art antithétiques : contre
l’autoritarisme de l’herméneutique gadamérienne, d’une part, qui inscrit dans l’œuvre
d’art, à la suite de Heidegger, le dévoilement d’une vérité ; contre la menace dissolvante
de l’esthétique adornienne, d’autre part, qui fait au contraire peser sur l’œuvre d’art le
soupçon de l’affirmation, de l’opacité idéologique57. L’apologie de la jouissance de l’art
et du « contrat » esthétique cherche à définir un terrain de repli où l’intégrité du sujet
esthétique puisse être préservée. Jauss est-il parvenu à construire un tel espace ? Une
analyse plus précise de son rapport avec les « théories marxistes » de la littérature et
avec l’esthétique de la négativité, avec les formalistes russes et les structuralistes de
Prague, avec l’herméneutique de Gadamer, enfin, permettra peut-être de répondre à
cette question.

Genèses. polémiques

Jauss, « l’école marxiste » et la critique des


idéologies
38 Aux yeux de Jauss, la « théorie du reflet » de Georg Lukács et de Lucien Goldmann —
qu’il range sous l’étiquette d’ « école marxiste » — a réduit « la multiplicité concrète des
œuvres et des genres à des facteurs toujours identiques et à des hypostases
conceptuelles » (féodalisme, précapitalisme, etc.)58. La théorie du reflet s’est à ses yeux
enlisée dans des « contradictions éclatantes » : pour expliquer comment une œuvre

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peut continuer d’être lue après la disparition du stade socioéconomique auquel elle
correspond, Lukács a dû avoir recours à un concept « non dialectique et non
matérialiste », le concept de « classicisme ». « Mesurée à l’aune de la position
initialement antinaturaliste de la théorie marxiste, sa réduction à l’idéal mimétique du
réalisme bourgeois ne peut être perçue que comme une régression vers un matérialisme
substantialiste »59. Dans l’Introduction à la critique de l’économie politique, Marx lui-
même avait constaté le « rapport inégal entre le développement de la production
matérielle (...) et de la production spirituelle »60. La notion d’ « interaction entre
l’auteur et le public » est seule en mesure, selon Jauss, de restituer à la notion de
« dialectique » toute sa portée dans le domaine des œuvres littéraires. « L’objet d’art —
comme tout autre produit — crée un public sensible à l’art et capable de beauté. La
production ne produit donc pas seulement un objet pour le sujet, mais un sujet pour
l’objet » : citant cette phrase de Marx pour attester l’inspiration proprement dialectique
de l’esthétique de la réception, Jauss ne semble pas noter qu’elle affirme un postulat
inverse au sien, à savoir le primat de la production sur la réception. Sans doute le sens
de la phrase a-t-il moins d’importance que la référence proprement dite à Marx, dont la
fonction est peut-être d’attester que la critique de la théorie du reflet n’est pas dictée a
priori par des motifs idéologiques, mais par un désaccord théorique.
39 Deux ans après la parution posthume de la Théorie esthétique d’Adorno, Jauss
reproche à ce dernier, dans la Petite apologie, d’avoir négligé le fait que dans « le
changement d’horizon des réceptions », la négativité peut devenir affirmation. Il
reconnaît malgré tout que cet aspect n’a pas été totalement ignoré par Adorno, qui
emploie dans la Philosophie de la nouvelle musique le terme même de « réception »
(« Même après leur déploiement dans le sens d’une autonomie illimitée, après le rejet
du divertissement, l’être-en-soi des œuvres n’est pas indifférent à leur réception »61). Sa
critique se déplace dès lors sur le terrain de la fonction de la littérature : « On n’est pas
tenu de voir et de reconnaître a priori la fonction sociale de la littérature dans la
négation, mais aussi et en premier lieu dans la constitution d’un sens qui s’impose
objectivement »62. En soulignant la fonction normative de la littérature, Jauss met
paradoxalement entre parenthèses la question de la réception ; le contenu du texte
apparaît comme un donné, le texte contient un certain modèle communicationnel qui
lui donne le pouvoir d’exercer un certain effet. Ne rejoint-on pas ainsi une forme tout
aussi peu dialectique de « théorie du reflet », qui ferait cette fois du lecteur le récepteur
passif d’un stimulus littéraire ? L’étude La douceur du foyer le montre de façon
exemplaire. Fondée sur un travail collectif de séminaire, elle analyse la fonction
communicative de la poésie à partir d’un corpus de 700 poèmes français de 1857, mais
sans jamais se référer aux modalités effectives de leur réception.
40 La « douceur du foyer » symbolise la chaleur de la famille bourgeoise et la douce
stabilité de ses valeurs. Le modèle communicationnel est paradoxalement défini ici
comme un instrument de « dissimulation idéologique », destiné à « affirmer (...) la
valeur des normes sociales » transmises « de génération en génération, expliquées aux
descendants et défendues contre les revendications d’autres groupes ou de classes
défavorisées »63. Dans le même texte, cette fonction de la littérature se voit cependant
connotée de façon positive, lorsque Jauss en fait valoir l’importance pour un « lecteur
jeune ou encore inexpérimenté », dont l’ « expérience future » se trouve ainsi
« préfigurée »64. La dimension normative de l’œuvre littéraire se trouve ainsi tout à la
fois défendue et dénoncée en raison de son trop évident impact idéologique.
41 Cette contradiction n’est pas sans rappeler la position de Jauss à l’égard d’une
histoire sociale du lecteur, dont il affirme tout à la fois la légitimité, voire la nécessité, et
l’impossibilité herméneutique, et dont il nie dans le même temps la notion même en
donnant une définition très restrictive du « véritable lecteur ». Comment expliquer ce
paradoxe ? Pourquoi Jauss juge-t-il nécessaire d’invoquer Marx, de situer sa propre
théorie dans l’héritage critique de celle d’Adorno65 ? Cette ambiguïté personnelle ne
manifeste sans doute sa dimension de cohérence que dans la mesure où on la perçoit
comme une position dans le champ intellectuel allemand de l’après-68 : toute forme de
« provocation » à l’égard de la théorie littéraire traditionnelle renvoie à cette époque
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dans la proximité des théories marxistes, ou se construit dans cette proximité. Se


présentant comme l’instigateur d’un « changement de paradigme », Jauss ne pouvait
les ignorer purement et simplement, sous peine d’adopter une position délibérément
conservatrice. La réception des marxismes par Jauss se dessine moins dans une
certaine lecture des textes (à laquelle reviendrait un « primat herméneutique ») que
dans sa position de lecteur réel à l’intérieur d’un champ intellectuel.

Forme littéraire et innovation : Jauss et les


formalistes russes
42 La première synthèse consacrée aux formalistes russes parut aux États-Unis en 1955
(V Erlich, Russian Formalism. History-Doctrine), puis en traduction allemande en
1964. En 1965, Tzvetan Todorov publia en France une anthologie des formalistes russes,
suivie quatre ans plus tard en Allemagne par celle de Jurij Striedter66. Discutant les
thèses du courant moscovite dans la première édition de L’histoire de la littérature
comme provocation (1967), Jauss fut donc l’un des premiers, en RFA, à reconnaître
l’importance des théories formalistes.
43 Il expose en premier lieu le grand axiome formaliste, que Tzvetan Todorov désigne
comme la « théorie standard des formalistes russes dès 1916 »67 : l’opposition de la
langue poétique et de la langue pratique. « La langue dans sa fonction pratique, écrit
Jauss, représente, en tant que série non littéraire, toutes les déterminations historiques
et sociales de l’œuvre littéraire ; c’est justement dans sa distinction spécifique (écart
poétique), et non dans son rapport fonctionnel à la série non littéraire, que cette
dernière est décrite et définie comme œuvre d’art. »68 L’opposition entre « série
littéraire » et « série non littéraire » trouve donc son origine chez les formalistes russes.
Elle implique une attention particulière portée à la « perception artistique » (qui
conduit à élaborer le concept de « distanciation ») : « La réception de l’art » ne se
confond plus avec « la jouissance naïve du beau », mais exige que l’on « distingue la
forme » et « découvre le procédé »69. Jauss réinterprète ainsi les théories formalistes à
la lumière de la problématique de la réception, qui occupe une place marginale dans le
corpus formaliste70.
44 Jauss privilégie la dernière période de la production des formalistes russes, au cours
de laquelle la perspective strictement « synchronique » de « l’opposition entre langue
poétique et langue pratique »71 cède le pas à une analyse de la « dynamique de
l’évolution littéraire », l’ « autoproduction de formes nouvelles »72. L’histoire de la
littérature est alors décrite comme un « processus marqué par de brusques ruptures,
par les révoltes de nouvelles écoles et les conflits de genres concurrents »73. Jauss
insiste sur une notion qui est le corrélat de cette conception de l’histoire littéraire, et
implique une vision nouvelle du rapport entre synchronie et diachronie : « la non-
simultanéité du simultané ». L’idée d’une pure synchronie dans laquelle s’objectiverait
l’esprit d’une époque est illusoire.
45 Cette conception de l’ « évolution littéraire » constitue en quelque sorte le pendant de
la « théorie du reflet » de Lukács : la notion d’ « écart » est diamétralement opposée à
l’idée d’une analogie entre les structures sociales de la production des œuvres et leur
structure interne. Jauss se refuse cependant à réduire l’historicité de la littérature à une
dialectique des formes nouvelles : « Considérer l’œuvre d’art dans son histoire, c’est-à-
dire au sein de l’histoire de la littérature définie comme succession de systèmes, ne
signifie pas encore considérer l’œuvre d’art dans /’histoire, dans l’horizon historique de
son élaboration, de sa fonction sociale et de son effet historique. »74
46 Dans Histoire de l’art et histoire, Jauss formule également une critique du concept
d’innovation, « canonisé » par les formalistes russes. La nouveauté d’une œuvre n’étant
« pas nécessairement perceptible d’emblée dans l’horizon de sa première
publication »75, « le nouveau n’est pas seulement une catégorie esthétique », mais
s’avère être également une « catégorie historique, quand l’analyse diachronique de la

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27/09/23, 10:17 Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception

littérature est amenée à se demander quels éléments historiques font la nouveauté de la


nouveauté d’un phénomène littéraire »76. Pour Jauss, le formalisme a tort de « réduire
le caractère artistique d’une œuvre à l’innovation comme unique critère de valeur »77.
Critique paradoxale, dans la mesure où Jauss écrit lui-même que « le caractère
artistique d’une œuvre peut se mesurer en fonction de la distance esthétique qui la
sépare des attentes de son premier public »78. Au demeurant, la notion de « valeur
artistique » reçoit chez lui deux autres définitions totalement distinctes : elle dépendrait
du « jugement des siècles » (la « série des réceptions » « décide de la signification
historique d’une œuvre et fait apparaître son rang esthétique »79) ou encore du degré d’
« ouverture et de dépendance [de l’œuvre] à l’égard de la réception »80.
47 La critique du concept d’ « innovation » chez les formalistes russes s’élabore suivant
les mêmes présupposés que la critique du concept de « négativité » chez Adorno. Dans
la perspective de la réception, innovation et négation ne sauraient être des valeurs
absolues ; mais surtout, Jauss se refuse à privilégier a priori la dimension négative, ou
subversive, de la littérature, et cherche à en réhabiliter la valeur normative. Ce faisant —
La douceur du foyer en est l’illustration — il est conscient du risque inhérent à ce
renversement, qui revient à légitimer purement et simplement des contenus que lui-
même désigne comme « idéologiques », ou encore la dimension purement reproductive
de certaines formes littéraires. La défense du « plaisir esthétique » dans la Petite
apologie s’expose au même péril : dénoncer le parti pris ascétique de certaines
philosophies de l’art, vouloir délimiter un espace de libre-arbitre du sujet esthétique,
c’est transporter l’ « expérience esthétique » dans un lieu abstrait, où le plaisir de l’art
ne courrait plus le danger de se reporter sur les offres de consommation de l’industrie
culturelle. Les partis pris « ascétiques » de Rousseau ou d’Adorno ne se situent pas,
comme l’affirme Jauss, dans l’horizon d’une réflexion sur la moralité de l’art ; ils
découlent de la prise de conscience d’un lien indissociable entre les œuvres artistiques
et leur réception dans une société donnée, dont elles viennent cautionner les faux-
semblants, à un certain moment de l’histoire.

Le cercle herméneutique : Jauss et Gadamer


48 Dans l’introduction à l’Expérience esthétique, Jauss reconnaît que la « théorie de
l’expérience herméneutique de Gadamer, (...) son principe qui consiste à chercher dans
l’histoire des effets l’accès à toute compréhension historique, et le fondement qu’il a
donné à l’unité herméneutique de la compréhension, de l’interprétation et de
l’application sont les présupposés méthodiques incontestables sans lesquels [son]
entreprise serait impensable »81. La filiation gadamérienne revendiquée par Jauss se
présente sous la forme paradoxale d’une critique de Gadamer qui reviendrait à
« invoquer Gadamer contre Gadamer »82.
49 « C’est dans le « classique » que culmine un caractère universel de l’être historique,
écrit Gadamer, qui est d’être préservation dans la ruine du temps. »83 Jauss fait de ce
concept la principale cible de ses attaques ; sa rétrospective sur la Querelle des Anciens
et des Modernes a pour but de montrer, contre Gadamer, que nul modèle classique ne
peut plus revendiquer une normativité supratemporelle. Selon ce dernier, au contraire,
« le sens normatif présent dans le concept de littérature universelle signifie que les
œuvres qui appartiennent à la littérature universelle restent parlantes alors même que
le monde auquel elles s’adressent est devenu tout autre »84.
50 Le motif de la « réhabilitation de la tradition » va de pair, chez Gadamer, avec une
critique de l’Aufklärung. « Le préjugé fondamental de l’Aufklärung est le préjugé
contre les préjugés en général et, par là même, la destitution de la tradition. »85 Le
concept de « préjugé vrai » de Gadamer, écrit Jauss, « essentialise l’histoire au prix
d’une répression de ce qui va à contre-courant, de la nouveauté révoltante, de ce qui n’a
pas de succès »86. Il semblerait cependant que la critique à laquelle Jauss soumet par
ailleurs les concepts de « négativité » et d’ « innovation » soit fortement inspirée par la
réhabilitation gadamérienne du « préjugé vrai ».

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51 Rejetant l’ontologie de l’œuvre d’art, qui ne saisit pas l’art comme objet d’une
esthétique, mais comme le lieu d’une « exigence de vérité »87, de la « perpétuation d’un
pouvoir-dire immédiat »88, Jauss met en avant F « ouverture de la signification ».
Tandis que Gadamer souligne le primat de l’histoire des effets (« Nous sommes
toujours déjà soumis aux effets de l’histoire des effets »89), Jauss décrit la réception
comme un processus dans lequel le lecteur prend une part active à l’élaboration de la
signification des textes. Pour lui, le mouvement de la tradition « commence avec le
récepteur »90. Cette critique ne s’avère pas entièrement fondée, dans la mesure où
Gadamer lui-même précise dans Vérité et méthode que « le comprendre n’est pas
seulement une attitude reproductive, mais aussi une attitude productive » et que « la
saisie du sens vrai (...) ne trouve pas son aboutissement quelque part, mais est en vérité
un processus infini »91. Il observe en outre que « même la tradition la plus authentique
et la plus native ne s’accomplit pas de manière naturelle grâce au pouvoir de
permanence de ce qui est là ; elle a besoin d’être affirmée, saisie et entretenue »92.
Inversement, on peut dire que l’idée d’un « contenu » de l’art qui se transmettrait par-
delà les générations de lecteurs, cette « substantialisation » que Jauss reproche à
Gadamer, se retrouve dans l’implicite de certains de ses propres travaux : l’exemple de
l’étude sur l’Iphigénie, où Jauss attribuait à des interprètes modernes la mise au jour
d’un contenu « originel » de l’œuvre, a pu en témoigner.
52 Le véritable différend entre Jauss et Gadamer porte sans doute davantage sur la
notion d’une science de la littérature. L’ « exigence d’une analyse herméneutiquement
éclairée de l’expérience du lecteur », qui consistait pour Jauss, nous l’avons vu, à
accorder un « primat méthodologique » au « rôle du lecteur implicite », « lisible dans
les structures objectives du texte »93 — et donc à aller, selon l’axiome du Discours de la
méthode, « du simple au complexe » —, va directement à rencontre de l’herméneutique
gadamérienne, dans la mesure où cette dernière n’aspire pas à l’objectivation d’une
méthode, mais bien plutôt au dévoilement d’un « contenu de vérité ». A l’instar de
Heidegger, Gadamer refuse de se placer sur le terrain de la « science » et décrit l’
« objectivité » comme une illusion positiviste. « Les préjugés et préconceptions qui
occupent la conscience de l’interprète ne sont pas, en tant que tels, à sa libre
disposition »94 ; « Nous sommes constamment situés dans la tradition, et cet être-situé
n’est pas un comportement objectivable, de telle sorte que ce que dit la tradition
pourrait être pensé comme un autre, comme étranger. »95 L’interprète est ainsi situé
dans un cercle ontologique : « Le cercle du comprendre (...) décrit le comprendre
comme le jeu de l’imbrication entre le mouvement de la tradition et le mouvement de
l’interprète (...) ; il n’est donc en rien un cercle « méthodique », mais décrit un moment
ontologique structurel du comprendre »96. Pour Jauss au contraire, la prise en compte
de la position historique de l’interprète n’exclut pas l’objectivité scientifique, mais en est
la condition même. L’aversion de Gadamer pour la méthode, et le regard condescendant
qu’il porte sur la « science de la littérature »97, corrélats herméneutiques de la critique
heideggérienne de la technique98, se retrouvent cependant en creux dans les travaux de
Jauss, dans l’absence de toute méthodologie explicite d’analyse des textes littéraires.
53 En insistant sur la dimension communicative de l’œuvre, et en la définissant comme
la transmission d’une norme, Jauss se place dans l’héritage direct de la notion
herméneutique traditionnelle d’application (Anwendung), qui trouve son origine dans
l’herméneutique théologique et son illustration dans Vérité et méthode. Cette forme de
légitimation de la littérature par sa fonction de cohésion sociale, qui s’affirme par-delà
la relativité historique des jugements esthétiques, renvoie à l’idée d’une « communauté
de préjugés » : « Le sens de l’appartenance, c’est-à-dire le moment de la tradition,
s’accomplit dans l’attitude historico-herméneutique, par la communauté de préjugés
fondateurs », écrit Gadamer99. Jauss n’ignore pas la signification particulière qui revint
à une telle notion de « communauté » dans l’histoire de sa réception, en particulier sous
le nazisme. Sa critique des « substantialisations » ne prend sens que dans la perspective
d’une rupture avec un certain passé allemand. L’embarras de ses définitions de l’
« horizon d’attente » trouve sans doute là son origine : pourquoi, dès lors, n’avoir pas
renoncé à un tel concept ?
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27/09/23, 10:17 Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception
54 En reconnaissant officiellement son appartenance à la Waffen-ss au cours de la
Seconde Guerre mondiale100, Jauss a dévoilé tout récemment l’arrière-plan
biographique qui donnait pour lui une acuité particulière au refus de la notion de
« tradition nationale » : « Je me suis efforcé de réformer la structure surannée de
l’université allemande » et de contrecarrer « toute velléité de retour à l’idée de
nationalité ou de race comme vecteurs signifiants dans les sciences humaines »,
déclarait-il dans son entretien de septembre 1996 au Monde des Livres.
55 Ce document, qui prend place dans la série complexe des « provocations » et
« apologies » par le biais desquelles Jauss a cherché à esquisser les contours d’une
forme singulière de conservatisme critique, serait destiné à briser un « silence » qu’il ne
définit pas de prime abord comme le sien, mais comme celui « des maîtres »101. Placé
sous le signe du dédoublement, d’une incompréhension radicale à l’égard de son propre
passé (celui d’un « jeune homme devenu étranger », dans lequel il ne peut « se
reconnaître »), le propos de Jauss situe le nazisme dans l’ordre de ce qui échappe à
l’herméneutique (« Le comprendre serait une manière de l’approuver »). Le « silence »
de l’herméneutique serait « lié à un refus de comprendre ce qui est inhumain » et
opposé au langage « périlleux » des « analyses historiques et sociologiques » « dont la
sophistication consiste à tout expliquer ».
56 Censée émaner d’un lieu neutre où elle pourrait s’exprimer en toute souveraineté —
comme si sa position ne conférait pas, pour lui, un intérêt objectif au rejet des
investigations « historiques et sociologiques » -, cette interprétation de Jauss n’est pas
sans rappeler sa fiction d’un espace libéral dans lequel il avait tenté de délimiter une
intégrité du sujet esthétique — contre les objectivations d’une histoire sociale de la
lecture.

Notes
1 Rainer Warning (éd.), Rezeptionsästhetik, München, 1975.
2 Ibid,, p. 9.
3 Ibid.
4 Hans-Robert Jauss, sthetische Erfahrung und literarische Hermeneutik, Francfort, 1982,
p. 19-20. Jauss est l’auteur de L’histoire de la littérature comme provocation.
5 On n’abordera pas ici les travaux collectifs du groupe Poetik und Hermeneutik, dont l’analyse
déborderait le cadre de cette étude. Le dernier ouvrage de Jauss, Wege des Verstehens (1994) ne
s’inscrit plus quant à lui dans le projet d’une esthétique de la réception.
6 Jauss, Ästhetische Erfahrung und literarische Hermeneutik, op. cit. (désormais abrégé en
AELH), p. 736. (Les traductions françaises de Jauss sont réparties dans deux volumes : Pour une
esthétique de la réception, trad. C. Maillard, Gallimard, 1978, et Pour une herméneutique
littéraire, trad. M.Jacob, Gallimard, 1988.)
7 Jauss réinterprète ainsi une formule empruntée à René Wellek et Austin Warren ( Theory of
literature, New York, 1955).
8 Roland Barthes, Les deux critiques, in Essais critiques, Paris, 1964.
9 Jauss, Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft, Francfort, 1970
(désormais abrégé en LaP), p. 217.
10 Ibid., p. 144.
11 Ibid., p. 216.
12 Voir Ästhetische Normen und geschichtliche Reflexion in der Querelle des Anciens et des
Modernes (1964) ; Literarische Tradition und gegenwärtiges Bewußtsein der Modernitdt
(1965) ; Schlegels und Schillers Replik auf die Querelle des Anciens et des Modernes (1967) ;
Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft (1967) ; Geschichte der Kunst
und Historie (1970) ; Die kommunikative Funktion des Fiktiven, in Ästhetische Erfahrung und
literarische Hermeneutik (1re éd., 1977)...
13 LaP, p. 210.
14 Ibid.
15 Ibid., p. 96.
16 Ibid., p. 211-214.

https://journals.openedition.org/rgi/649 14/18
27/09/23, 10:17 Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception
17 Humboldt, Über die Aufgabe des Geschichtsschreibers (1821), in Werke, Darmstadt, 1960, t.
l,p. 602.
18 LaP, p. 149.
19 Hans-Georg Gadamer, Wahrheit und Methode, Tübingen, 1960, par exemple p. 186.
20 Gervinus, Geschichte der poetischen Nationalliteratur der Deutschen, in Schriften, Berlin,
1962, p. 123.
21 Droysen, Historik : Vorlesung über Enzyklopädie und Methodologie der Geschichte, Munich,
1967, p. 35.
22 LaP, p. 184-185.
23 AELH, p. 735.
24 LaP, p. 153.
25 Ibid., p. 155.
26 Ibid., p. 167.
27 Ibid., p. 169.
28 R. Warning, Rezeptionsästhetik als literaturwissenschaftliche Pragmatik, in Rezeptions-
ästhetik, op. cit., p. 10.
29 Jauss, Rezeptionsästhetik, Zwischenbilanz. Der Leser als Instanz einer neuen Geschichte der
Literatur, in Poetica, t. 7, 1975 (désormais cité RZW), P- 327.
30 Roman Ingarden, Das literarische Kunstwerk, Halle, 1931.
31 LaP, p. 167.
32 Felix Vodicka, Die Rezeptionsgeschichte literarischer Werke, in Rezeptionsästhetik, éd. par R.
Warning, op. cit., p. 71.
33 « Pour Wolfgang Iser, le lecteur implicite est « le caractère d’acte de lecture prescrit dans le
texte », (...) conçu comme condition d’un effet possible, qui préoriente l’actualisation de la
signification, mais ne la détermine pas » (voir Iser, Der implizite Léser. Kommunikationsformen
des Romans von Bunyan bis Beckett, Munich, 1972).
34 RZW, p. 337.
35 LaP, p. 230.
36 RZW, p. 332.
37 LaP, p. 200.
38 Ibid., p. 174.
39 RZW, p. 336.
40 LaP, p. 176.
41 Ibid., p. 175.
42 Postface à l’étude sur Iphigénie, AELH, p. 750.
43 Rezeptionsgeschichte oder Wirkungsästhetik, Konstanzer Diskussionsbeitrâge zur Praxis der
Literaturgeschichtsschreibung, éd. par Heinz-Dieter Weber, Stuttgart, 1978.
44 LaP, p. 171.
45 Ibid., p. 170.
46 Ibid., p. 201, note 138.
47 Gadamer, Wahrheit und Methode, op. cit., p. 352.
48 Racines und Goethes Iphigenie, in AELH, p. 740.
49 Ibid.
50 Pareilles torsions terminologiques se retrouvent chez bien d’autres tenants de
l’herméneutique, par exemple chez Odo Marquard (Frage nach der Frage, auf die die
Hermeneutik die Antwort ist, in Abschied vom Prinzipiellen, Stuttgart, 1981, en part. p. 118-119).
51 Racines und Goethes Iphigénie, op. cit., p. 728.
52 Jauss, Rezeptionsästhetik und literarische Kommunikation (abrégé désormais en RulK), in
Auf den Weg gebracht, Festschrift Kiesinger, éd. par H. Sund et M. Timmermann, Constance,
1979, p. 387.
53 AELH, p. 165.
54 Ibid., p. 117.
55 Ibid., p. 29.
56 Ibid., p. 30.

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57 Sur la position de Jauss par rapport à Gadamer et Adorno, voir AELH, p. 26 et 28.
58 LaP, p. 158.
59 Ibid.
60 Marx/Engels, Werke, t. XIII, Berlin, 1959, p. 640 (LaP, p. 159).
61 Adorno, Philosophie der neuen Musik, in Gesammelte Schriften, t. 12, Francfort, 1970, p. 24.
62 AELH, p. 50.
63 La douceur du foyer, AELH, p. 771.
64 Ibid., p. 755-756.
65 Ibid., p. 29.
66 J. Striedter, Russischer Formalismus, Munich, 1969.
67 T. Todorov, Critique de la critique, Paris, 1984, p. 18.
68 LaP, p. 165.
69 Ibid.
70 Voir T. Todorov, op. cit., p. 31-32 (« Chlovski se réfère constamment à la distanciation
(ostranenie) ; mais à part chez lui, ce n’est pas du tout la définition de l’art chez les formalistes » ;
« l’objet des études littéraires, selon les formalistes — là dessus, ils sont tous d’accord — ce sont
les œuvres mêmes, non les impressions que celles-ci laissent chez leurs lecteurs »). Voir aussi
Peter Bürger, Vermittlung, Rezeption, Funktion. Ästhetische Théorie und Méthodologie der
Literaturwissenschqft, Francfort, 1979, p. 103.
71 LaP, p. 166.
72 Boris Eichenbaum, Aufsätze zur Théorie und Geschichte der Literatur, Francfort, 1965, p. 47.
73 LaP, p. 166.
74 Ibid., p. 167.
75 Ibid., p. 192.
76 Ibid., p. 193.
77 Ibid., p. 192 ; voir aussi AELH, p. 160.
78 Ibid., p. 240.
79 Ibid., p. 170.
80 Ibid., p. 240.
81 AELH, p. 26.
82 Ibid.
83 Gadamer, Wahrheit und Methode, op. cit., p. 273.
84 Ibid., p. 154.
85 Gadamer, op. cit., p. 255.
86 LaP, p. 233.
87 Gadamer, op. cit., p. 156.
88 Ibid., p. 274.
89 Ibid., p. 284.
90 LaP, p. 234.
91 Gadamer, op. cit., p. 282.
92 Ibid., p. 265.
93 RZW, p. 339.
94 Gadamer, op. cit., p. 279.
95 Ibid., p. 266.
96 Ibid., p. 277.
97 Dans un entretien, Gadamer déclarait, à propos de ses années d’apprentissage : « Puis j’ai
étudié la science de la littérature — c’était trop mauvais pour moi » (Entretien avec Dieter Mersch
et Ingeborg Breuer, Süddeutsche Zeitung, 10 février 1990).
98 « L’interprétation détechnicisée de la poésie constitue un enjeu proprement philosophique »
(Entretien de Jacques Le Rider et Philippe Forget avec Hans-Georg Gadamer, Le Monde, 10 avril
1981).
99 Gadamer, op. cit., p. 279.

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100 Voir Le Monde des Livres (entretien avec Maurice Olender), 6 septembre 1996, et la
Frankfurter Rundschau du 28 mai 1996. Jauss s’engagea à dix-sept ans dans la Waffen-SS, en
1939, et dirigea une compagnie de 120 hommes sur le front de l’Est.
101 Entretien du Monde des Livres. Jauss mentionne non seulement Heidegger, mais aussi
Gadamer (sur ce dernier, voir Theresa Orozco, Platonische Gewalt. Gadamers politische
Hermeneutik der NS-Zeit, Hambourg, Argument, 1995 ; Isabelle Kalinowski, État des gardiens et
gardiens de l’État, Liber 30, mars 1997).

Pour citer cet article


Référence papier
Isabelle Kalinowski, « Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception », Revue germanique
internationale, 8 | 1997, 151-172.

Référence électronique
Isabelle Kalinowski, « Hans-Robert Jauss et l’esthétique de la réception », Revue germanique
internationale [En ligne], 8 | 1997, mis en ligne le 09 septembre 2011, consulté le 27 septembre
2023. URL : http://journals.openedition.org/rgi/649 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rgi.649

Cet article est cité par


Lombardi, Marco. (2020) Studi e saggi Ricerche sul teatro classico spagnolo in
Italia e oltralpe (secoli XVI-XVIII). DOI: 10.36253/978-88-5518-150-1.6

Lapalu, Sophie. (2020) Street Works. DOI: 10.3917/puv.lapal.2020.01.0237

Béland, Martine. (2015) Lectures nietzschéennes. DOI:


10.4000/books.pum.3140

Heimendinger, Nicolas. (2022) Avant-gardes et postmodernisme. La réception


de la Théorie de l’avant-garde de Peter Bürger dans la critique d’art américaine.
Biens Symboliques / Symbolic Goods. DOI: 10.4000/bssg.1214

Heimendinger, Nicolas. (2022) Avant-gardes and Postmodernism: The


Reception of Peter Bürger’s Theory of the Avant-Garde in American Art
Criticism. Biens Symboliques / Symbolic Goods. DOI: 10.4000/bssg.1222

Auteur
Isabelle Kalinowski
Enseignante à l’Université de Paris XII

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