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LA CONCURRENCE EN SPIRITUALITE
Clientélisme, concurrence ou
coopération ?
3Pour pouvoir juger de l‟attitude de la Mission laïque française
envers la communauté juive et les écoles israélites au Liban, il est
important de brièvement situer ces acteurs dans leur contexte
historique. En ce qui concerne les juifs du Liban, on constate avec
Kirsten Schulze que jusque dans les années 1960, ils étaient bien
intégrés dans la société libanaise au sein de laquelle ils ne
constituaient qu‟une minorité parmi les nombreuses autres
communautés confessionnelles4. Après s‟être assurés de leurs
droits en tant que minorité par le firman de 1911, ils vécurent
plutôt bien le mandat français sur le Liban de 1920 à 1943.
Beaucoup de juifs libanais, pour la plupart commerçants et
négociants, participèrent à l‟essor des infrastructures et
s‟orientèrent encore davantage vers l‟Occident et la France5. Les
maronites avec qui ils partageaient l‟idéal d‟un Liban protecteur
des minorités constituaient la communauté dont ils se sentaient le
plus proche6, même après la diffusion des « Protocoles des sages
de Sion » par un prêtre maronite libanais7. Le souci d‟un Liban
protecteur devint plus pressant lors des violences entre Arabes et
juifs en Palestine en 1929 puis en 1936-19398. Ces événements
provoquèrent ainsi des activités anti-juives au Liban, néanmoins
moins graves qu‟en Syrie9. Les juifs prirent conscience de leur
situation fragile au Liban sans pour autant devenir sionistes.
Hormis certains leaders et quelques groupes au sein de la
communauté juive libanaise, cette dernière resta assez étrangère
au mouvement sioniste et manifesta plutôt un nationalisme sinon
un patriotisme libanais10. Le régime de Vichy les toucha très peu.
Ce n‟est curieusement qu‟en 1958, alors que le conflit israélo-
arabe était déjà en plein essor, qu‟ils atteignirent leur nombre
maximum, soit 14000 membres. Ce n‟est qu‟après les
événements de 1967 et de 1975 que les juifs commencèrent à
quitter le Liban jusqu‟à laisser une communauté aujourd‟hui
marginale.
11 FORTNA B., Imperial Classroom. Islam, the State, and Education in the
Late Ottoman Empire, Oxford, (...)
20 SCHULZE, op. cit., p. 44. Voir aussi Pariente en 1905 : « […] les
nombreuses élèves juives fréquent (...)
7Les écoles françaises les plus fréquentées par des élèves juifs
étaient celles de la Mission laïque française. Cette organisation fut
fondée par Pierre Deschamps à Paris en 1902. Son idée était à
travers un enseignement laïque d‟« amener les indigènes à se
perfectionner eux-mêmes et non pas d‟aller contre leur
nature21 ». Cela signifia pour ses fondateurs :
22 Revue de l’enseignement français hors de France, 17/1920, 1, p. 3.
L’utilisation massive du vocabu (...)
« Si nous devons […] nous montrer larges quand il s‟agit de laisser les
élèves libres de pratiquer leurs devoirs religieux, encore faut-il que ces
pratiques ne puissent troubler le bon ordre de l‟établissement et créer
un précédent fâcheux51. »
52 En 1922, le directeur Mathieu avait permis aux élèves musulmans de
pratiquer le ramadan, mais il s (...)
20Il en fut de même pour la Mission laïque pour qui les écoles
missionnaires catholiques et protestantes demeurèrent tout au
long de la période leurs premiers concurrents. Dans les archives
de la Mission laïque, on ne relève ainsi aucune trace d‟un
sentiment de concurrence avec les écoles Talmud Torah ou de
l‟Alliance israélite. En 1907, le bulletin de la Mission laïque
mentionne l‟Alliance israélite de façon positive comme ayant des
écoles où on enseignait le français64. Une énumération par le
directeur du lycée de la Mission laïque en 1933 des tarifs des
autres écoles françaises à Beyrouth dans le contexte de la « guerre
des tarifs65 » n‟évoque pas non plus l‟Alliance israélite66. Autre
preuve de l‟absence de concurrence entre ces deux
établissements, ce sont les efforts vains de Joseph Farhi pour faire
pression sur l‟Alliance israélite en se servant de la Mission laïque :
67 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban VE 43-65 », lettre de
Joseph Farhi au président du (...)
94 Sur la base des lois du 7 octobre 1940, les juifs algériens se virent
privés de leur nationalité f (...)
Conclusion
30Les archives ont montré la relation très complexe que la
Mission laïque entretenait avec les écoles israélites et la
communauté juive libanaise. Entre clientélisme, concurrence et
coopération, leur lien le plus important fut celui de coopération.
Cette relation perdura dans des périodes de tensions importantes
autour de la question du sionisme et peut s‟expliquer par le profit
réciproque que la Mission laïque, les juifs libanais et les écoles
israélites tirèrent de la coopération. Bien que la Mission laïque
entretînt et maintînt des relations avec tous les milieux et écoles
israélites au Liban, il faut souligner qu‟elle partageait plus de
valeurs avec l‟Alliance israélite qu‟avec les sionistes libanais et les
écoles Talmud Torah. Les responsables de l‟Alliance israélite,
quant à eux, souscrivaient pleinement à cette solidarité. Comme
la Mission laïque, ils étaient persuadés des bienfaits de la langue
et culture françaises au Levant. Un autre point en commun était
leur souci de sauvegarder un enseignement élitiste. Cette
complicité idéologique fut encore renforcée par des
considérations économiques puisque sous le mandat français, la
Mission laïque devint au Liban un partenaire important pour les
autorités françaises, et promettait donc des moyens financiers
intéressants.
31Les événements politiques, comme la montée du sionisme en
Palestine, eurent en fin de compte peu d‟impact sur les relations
entre la Mission laïque et la communauté juive au Liban et les
intérêts pragmatiques l‟emportèrent sur les considérations
idéologiques.
BIBLIOGRAPHIE
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Bibliographie
ASAD Talal, « Religion, Nation-State,
Secularism », LEHMANN Hartmut, VANDERVEER Peter (éd.), Nation and
Religion, Princeton University Press, 1999, p. 178-196
5 Selon SCHULZE, op. cit., p. 45, cela était surtout vrai pour les juifs plus
fortunés.
20 SCHULZE, op. cit., p. 44. Voir aussi Pariente en 1905 : « […] les
nombreuses élèves juives fréquentant les écoles congréganistes, où on
sait se faire payer cher ». Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban
VIE 80-81 », « Inspection Pariente 1905 sur écoles de Jaffa-Caiffa-
Saïda-Tibériade-Beyrouth ».
94 Sur la base des lois du 7 octobre 1940, les juifs algériens se virent
privés de leur nationalité française. KASPI A., « Vichy et les
Juifs », SIRINELLI J.-F. (éd.), Dictionnaire historique de la vie politique
française au XXe siècle, Paris, Quadrige, 1995, p. 1243-1248.