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LES EFFETS DE LA COOPERATION SUR

LA CONCURRENCE EN SPIRITUALITE
Clientélisme, concurrence ou
coopération ?
3Pour pouvoir juger de l‟attitude de la Mission laïque française
envers la communauté juive et les écoles israélites au Liban, il est
important de brièvement situer ces acteurs dans leur contexte
historique. En ce qui concerne les juifs du Liban, on constate avec
Kirsten Schulze que jusque dans les années 1960, ils étaient bien
intégrés dans la société libanaise au sein de laquelle ils ne
constituaient qu‟une minorité parmi les nombreuses autres
communautés confessionnelles4. Après s‟être assurés de leurs
droits en tant que minorité par le firman de 1911, ils vécurent
plutôt bien le mandat français sur le Liban de 1920 à 1943.
Beaucoup de juifs libanais, pour la plupart commerçants et
négociants, participèrent à l‟essor des infrastructures et
s‟orientèrent encore davantage vers l‟Occident et la France5. Les
maronites avec qui ils partageaient l‟idéal d‟un Liban protecteur
des minorités constituaient la communauté dont ils se sentaient le
plus proche6, même après la diffusion des « Protocoles des sages
de Sion » par un prêtre maronite libanais7. Le souci d‟un Liban
protecteur devint plus pressant lors des violences entre Arabes et
juifs en Palestine en 1929 puis en 1936-19398. Ces événements
provoquèrent ainsi des activités anti-juives au Liban, néanmoins
moins graves qu‟en Syrie9. Les juifs prirent conscience de leur
situation fragile au Liban sans pour autant devenir sionistes.
Hormis certains leaders et quelques groupes au sein de la
communauté juive libanaise, cette dernière resta assez étrangère
au mouvement sioniste et manifesta plutôt un nationalisme sinon
un patriotisme libanais10. Le régime de Vichy les toucha très peu.
Ce n‟est curieusement qu‟en 1958, alors que le conflit israélo-
arabe était déjà en plein essor, qu‟ils atteignirent leur nombre
maximum, soit 14000 membres. Ce n‟est qu‟après les
événements de 1967 et de 1975 que les juifs commencèrent à
quitter le Liban jusqu‟à laisser une communauté aujourd‟hui
marginale.
 11 FORTNA B., Imperial Classroom. Islam, the State, and Education in the
Late Ottoman Empire, Oxford, (...)

 12 SCHULZE, op. cit., p. 44.

4Même si les juifs étaient bien intégrés dans la société libanaise,


les écoles qu‟ils fréquentaient étaient avant tout des écoles
israélites. Cela correspondait à la pratique dans l‟Empire ottoman
où la majorité de l‟enseignement était assuré par les écoles
communautaires11. Il s‟agissait d‟abord des écoles hébraïques
appelées Talmud Torah qui existaient à Beyrouth et Saïda. Les
matières principales enseignées étaient l‟hébreu et la Bible, la
plupart des élèves étaient issues de familles pauvres12.
 13 Pour donner un chiffre, ses écoles accueillaient en 1935 à Beyrouth
673 élèves, donc beaucoup plus (...)

 14 Discours du directeur de l’Alliance israélite de Beyrouth, Maurice Sidi,


reproduit dans le journal(...)

5La majorité de l‟enseignement juif était cependant assurée par


l‟Alliance israélite universelle13. Fondée à Paris en 1860 avec
l‟idée de « faire bénéficier nos coreligionnaires d‟Orient des
progrès des temps modernes, pour les faire entrer dans le plan de
la civilisation occidentale14 », l‟Alliance israélite avait ouvert ses
premières écoles au Liban en 1869 pour les garçons et en 1874
pour les filles. Bien que la majorité de ses professeurs ne fussent
pas français, l‟Alliance israélite propageait l‟idée d‟une « mission
civilisatrice » française, concentrée sur les juifs :
 15 Ibid. Voir aussi RODRIGUE A., De l’instruction à l’émancipation. Les
enseignants de l’Alliance isr (...)
« C‟est par l‟école qu‟elle [l‟Alliance israélite] a travaillé à
l‟affranchissement des Israélites car l‟école c‟est l‟unique, le souverain
remède contre la décadence, et le meilleur du progrès. […] Les Juifs
sont aujourd‟hui des Européens, du moins ils sont de mentalité
européenne15. »
 16 Elle reflétait ainsi la position de la majorité des juifs
français. KASSIR S., MARDAM-BEY F., Itin (...)

 17 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « IB 4-Beyrouth Ŕ


Comité/Communauté-1920-1923 ». Lettre du (...)

 18 BURROWS M., « “Mission civilisatrice” : French Cultural Policy in the


Middle East, 1860-1914 », The (...)

 19 Comme le remarquait l’inspecteur de l’Alliance israélite, Pariente, en


visite à Beyrouth en 1905 : (...)

 20 SCHULZE, op. cit., p. 44. Voir aussi Pariente en 1905 : « […] les
nombreuses élèves juives fréquent (...)

6Cette vision orientaliste pour Edward Said montre le sentiment


de supériorité que beaucoup de professeurs de l‟Alliance israélite
éprouvaient envers les juifs libanais. L‟organisation avait en plus
une position fondamentalement antisioniste16. Ces aspects
constituaient deux des différents points d‟accrochage avec le
conseil communal israélite de Beyrouth17. L‟enseignement de
l‟Alliance israélite était séculier et donné en français, mais ses
écoles offraient aussi des cours d‟hébreu et d‟histoire juive, sauf
dans les écoles de filles. Juste avant la Première Guerre mondiale,
l‟Alliance israélite commença à recevoir du ministère des Affaires
étrangères français ses premières subventions, au début très
réduites18. Presque tous les élèves de l‟Alliance israélite étaient
juifs, issus de familles pauvres ou des classes moyennes et
profitaient des frais de scolarité inférieurs aux autres écoles
étrangères19. Les familles juives plus riches envoyaient en
revanche leurs enfants dans les écoles catholiques, protestantes
ou laïques20.
 21 DESCHAMPS P., « Promenade archéologique »(1953), Éléments pour
une histoire de la Mission laïque fr (...)

7Les écoles françaises les plus fréquentées par des élèves juifs
étaient celles de la Mission laïque française. Cette organisation fut
fondée par Pierre Deschamps à Paris en 1902. Son idée était à
travers un enseignement laïque d‟« amener les indigènes à se
perfectionner eux-mêmes et non pas d‟aller contre leur
nature21 ». Cela signifia pour ses fondateurs :
 22 Revue de l’enseignement français hors de France, 17/1920, 1, p. 3.
L’utilisation massive du vocabu (...)

« La mission d‟une foi vraiment universelle, parce que sans dogmes


révélés, sans orthodoxie imposée, elle ne porte avec elle que les vérités
qui peuvent unir tous les hommes dans la communauté de la
conscience et de la raison. La Mission laïque envoie aux peuples
d‟Orient […] non pas des soldats, des canons, ce qui sert à tuer, mais
des instituteurs, des techniciens, des hommes de science, ce qui sert à
vivre et à mieux vivre22. »
 23 Pour l’historique des différentes écoles, lire THEVENIN A., La mission
laïque française à travers (...)

 24 COOPER N., « Making Indo-China French: Promoting the Empire


Through Education », EVANS, Martin (éd. (...)

8La deuxième destination (après Salonique en 1906) fut ainsi le


Liban où la première école fut donc ouverte en 190923. Comme
l‟Alliance israélite, la Mission laïque défendait une « mission
civilisatrice » construite sur l‟idée de la supériorité de la
civilisation française, mais croyait également en la possibilité pour
des civilisations inférieures d‟atteindre, elles aussi, ce niveau de
civilisation, construction parfaitement adaptée pour justifier toute
activité envahissante dans un autre pays24. C‟est dans ce sens que
le Bulletin de la Mission laïque jugeait les pays arabes en 1907 :
 25 Archives de la Mission laïque/Paris, Bulletin de la Mission laïque
française, 3, juin 1907, p. 74- (...)

« […] Ne s‟approchent-ils pas du degré de civilisation où, après avoir


obéi à leur propre évolution, ils peuvent, d‟aucuns au moins, entrer
avec les Européens dans la même voie de progrès et de la condition
des sujets qui est celle des sociétés à formes despotiques s‟élever à
celle des collaborateurs, d‟associés, de citoyens qui est celle des
sociétés à formes démocratiques25 ? »
 26 Voir les mémoires de Misal AL-ĠURAYYIB, Mudakkirāt mārūnī, Beyrouth
1983, p. 34-36, qui fréquenta (...)

 27 D’où son souci de recevoir ses subventions directement du ministère


des Affaires étrangères à Pari (...)

9Même si les écoles de la Mission laïque n‟atteignirent jamais


l‟étendue de celles du réseau catholique français, leur influence
était néanmoins importante et remarquée par les autres
institutions éducatives26. La Mission laïque entretenait des
rapports assez ambigus avec les autorités françaises. Elle
partageait d‟un côté l‟idée de la mission civilisatrice à accomplir
en Orient et avait besoin des subventions de Paris. Mais elle
veillait d‟un autre côté à ne pas trop apparaître aux yeux des
Libanais comme un instrument de la politique française27.
 28 Cf. NICAULT, op. cit., p. 230, pour la relation de mésentente entre le
Quai d’Orsay et le mouvemen (...)

 29 KASSIR, MARDAM-BEY, op. cit., p. 38.

10Les gouvernements français successifs soutinrent l‟accueil des


élèves juifs dans les écoles françaises, tout en gardant une
position antisioniste28. Car la France considérait le sionisme
comme un instrument de la Grande-Bretagne, son premier
adversaire au Proche-Orient29. Quel pouvaient donc alors être les
rapports entre la Mission laïque française et la communauté juive
et les écoles israélites du Liban ?

Une clientèle juive assurée dès


le départ
 30 Archives du ministère des Affaires étrangères (par la suite
MAE)/Nantes, Service des Œuvres frança (...)

 31 DEGUILHEM R., « Impérialisme, colonisation intellectuelle et politique


culturelle de la Mission laï (...)

 32 Ces deux communautés représentaient également les plus anciennes


populations de Beyrouth. Puisque (...)

 33 Voir la lettre de Ruben Lévy, directeur de l’école israélite à Saïda, en


novembre 1927 ; Archives (...)

 34 En 1933, un responsable de la Mission laïque à Beyrouth, qui voulait


faire de la propagande pour l (...)

 35 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban XE 96c », « Mouvement


des élèves Rentrée 1927-1928 (...)

 36 Voir le chapitre dédié à l’Alliance israélite universelle dans l’Empire


ottoman dans THOBIE, op. c (...)

 37 Plus exactement dans les années 1910-1924, 1928-1930 et 1935-


1938. SCHULZE, op. cit., p. 27, 41.

 38 Voir la lettre de Joseph D. Farhi au président du comité culturel de


l’Alliance israélite à Paris, (...)

11Dès l‟arrivée de la Mission laïque à Beyrouth et ce jusqu‟à la fin


du mandat, la communauté juive constitua une des trois plus
grandes communautés présentes dans ses écoles. En 1934, le
secrétaire de la Mission laïque, Edmond Besnard, rappelait leur
place pionnière : « Nous ne pouvons oublier que les Israélites ont
été les premiers clients des lycées de la Mission laïque30. » Or, les
juifs n‟étaient pas, comme Randi Deguilhem l‟a montré pour la
Mission laïque française à Damas31, la plus importante
communauté à fréquenter ses écoles à Beyrouth. Leur nombre les
plaçait en général au troisième rang après les élèves musulmans
sunnites et grecs-orthodoxes, populations traditionnelles de
Beyrouth32. Les élèves juifs ne venaient pas seulement de
Beyrouth, mais aussi d‟autres villes du Liban, comme Saïda 33, et
même d‟autres régions du Proche-Orient34. Ils venaient de
milieux juifs divers, et une bonne partie était d‟anciens élèves de
l‟Alliance israélite universelle ou des écoles Talmud Torah35. Il n‟y
avait en revanche presque pas de mouvement dans l‟autre sens,
probablement parce que l‟Alliance israélite ne proposait qu‟un
enseignement primaire. Pour pouvoir passer des diplômes
supérieurs, ses élèves devaient en effet fréquenter une des écoles
secondaires du pays. Deux familles illustrent bien la diversité des
milieux juifs au sein des écoles de la Mission laïque : ce sont les
Sidi et les Farhi. Maurice Sidi, né en Roumélie orientale36, fut
directeur des écoles de l‟Alliance israélite à Beyrouth avant la
Première Guerre mondiale et de nouveau entre 1923 et 1934. À
côté des enfants de ce juif tourné vers un judaïsme séculier et
occidental, il y avait aussi ceux de Joseph Farhi. Ce dernier, né à
Damas et résidant à Beyrouth depuis 1908, commerçant de
textile, a été président de la communauté juive de Beyrouth
pendant de longues années37 et sioniste déclaré. Les deux
hommes ne s‟estimaient pas. Farhi retira même ses enfants de
l‟Alliance israélite en signe de désapprobation devant le choix du
nouveau directeur Maurice Sidi38. Malgré cette divergence, il s‟agit
de comprendre pourquoi ils envoyaient néanmoins leurs enfants
dans la même école et ce que, comme les autres parents juifs, ils
y cherchaient.
 39 À part la mention de son nom dans les archives de la Mission laïque, il
n’a pas été possible de tr (...)

 40 Archives nationales/Paris, 60 AJ 134, « Boursiers de la M.L.F. 1931-


32 » : « Farhi Maurice » et « (...)

 41 Selon Michel DECERTEAU, L’invention du quotidien, 1. Arts de


faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 59- (...)

 42 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, « Bourses », lettre de Ruche à


Besnard, Beyrouth, 9 décembre (...)

 43 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, « Bourses », lettre de Ruche à


Besnard, Beyrouth, 8 octobre (...)

 44 Lettre du directeur de l’école de la Mission laïque, Beyrouth, 10 mai


1935. Archives nationales/Pa (...)

 45 Ainsi en 1935, le directeur de la Mission laïque de l’époque, Lucien


Ruche, dans une lettre au siè (...)

12Une explication tient dans l‟octroi de bourses aux élèves juifs, à


côté de celle de la « Bienfaisance Israélite39 », par le haut-
commissariat français et par la Mission laïque elle-même. Tenant
compte des frais de scolarité très élevés, ces bourses et
réductions n‟étaient pas négligeables dans une situation
économique précaire. Or, ces bourses n‟étaient pas seulement
attribuées aux élèves juifs démunis, mais aussi aux enfants de
familles juives plus aisées, comme la famille Farhi, dans l‟espoir
d‟attirer un public fortuné40. L‟autorité mandataire donnait des
bourses selon les appartenances communautaires, et donc
également aux juifs libanais. Dans ce contexte, un véritable
« marché aux bourses » débuta, transformant, pour emprunter les
termes de Michel de Certeau, la « stratégie » du haut-
commissariat français en « tactique » utilisée par les écoles
comme par leurs clients libanais41. En 1932 par exemple, la veuve
de Ruben Lévy demanda une bourse pour sa fille Clara. La Mission
laïque accepta la demande qui lui permit de garder une bourse du
haut-commissariat français42. Ce clientélisme se produisit aussi
au niveau des écoles : en 1932-1933, l‟école Talmud Torah
demanda à la Mission laïque de prendre treize à quinze élèves
qu‟elle n‟avait plus les moyens d‟accueillir elle-même. En
échange, elle offrit les bourses qu‟elle avait reçues du haut-
commissariat pour ces élèves, tandis que les autres élèves étaient
envoyés à l‟Alliance israélite. Le directeur de la Mission laïque qui
transmit cette proposition au siège central à Paris la défendit en
disant que « l‟école Talmud Torah n‟a plus d‟école talmudique
que le nom » et que « l‟enseignement du français y est en
français » et « y occupe 70 % des heures. » Le siège de la Mission
laïque approuva cette coopération43. Mais ce relais des élèves des
écoles Talmud Torah entraînait aussi des problèmes financiers. En
1935, la Talmud Torah demanda ainsi l‟exemption de dettes. La
Mission laïque accepta en disant qu‟elle ne prendrait plus les
boursiers de la Talmud Torah que si celle-ci garantissait le
paiement de leurs bourses44. Enfin, la Mission laïque donnait elle-
même des bourses en fonction de la communauté confessionnelle
de ses élèves, et donc également aux élèves israélites. Elle
accordait parallèlement une réduction de 25 % des frais de
scolarité aux élèves dont les parents enseignaient à l‟Alliance
israélite45. Cette faveur s‟explique sans doute parce que la
Mission laïque espérait attirer vers elle ces enfants pour qu‟ils
aillent, une fois terminé leur cursus primaire à l‟Alliance israélite,
à la Mission laïque.
 46 Archives du MAE/Nantes, « Beyrouth Consulat Général A », Prospectus
du Collège français de Beyrout (...)
13Un autre argument incite les parents à choisir les écoles de la
Mission laïque. C‟est celui de l‟enseignement commercial et
technique que la Mission laïque proposait dans des classes
particulières et qu‟elle mettait en avant surtout dans les premières
années46. Pour la communauté juive dont beaucoup de membres
étaient commerçants, cette offre était particulièrement attirante.
Une troisième raison pouvait amener à solliciter l‟éducation de la
Mission laïque. C‟était la neutralité religieuse et le respect des
confessions des élèves qu‟elle promettait. Il est curieux de
constater que ce fut un élève juif qui, lors de la visite du secrétaire
général de la Mission laïque au lycée de Beyrouth en 1930, fit le
discours suivant :
 47 Archives nationales/Paris, 60 AJ 132, lettre du directeur du lycée
Ruche à Besnard, Beyrouth, 23 a (...)

« Cette mission […] cultive en nous ces sentiments de tolérance ou


plutôt de fraternité nécessaire à des peuples comme les nôtres,
morcelés depuis si longtemps par la diversité des éducations
religieuses47. »
 48 « En faisant asseoir sur les mêmes bancs des enfants de races et de
religions si différentes, en l (...)

 49 Bulletin de la Mission Laïque Française/1906, p. 66-67 qui critique le


niveau très bas des écoles (...)

14Cet argument fut précisément celui utilisé par la Mission laïque


pour justifier son action48. Comme ce discours est écrit sur le
papier à lettres du lycée de la Mission laïque, on peut supposer
qu‟il a aussi été élaboré en accord avec le directeur dans le but
d‟illustrer la réussite de la Mission laïque dans sa mission de
tolérance. Faut-il pour autant parler d‟un désir de conversion vers
le laïcisme ? Ce n‟est pas le cas. Loin de vouloir détourner les
élèves de leur foi ou de critiquer la place de la religion dans
l‟espace public, comme ils le faisaient en France49, les
responsables de la Mission laïque insistaient à Beyrouth sur le
respect de toute religion :
 50 Brochure du Collège de garçons de la Mission laïque de 1910-1911,
p. 17, citée par Thobie, op. cit (...)

« L‟enseignement moral laïque se distingue de l‟enseignement


religieux sans le contredire ; l‟instituteur ne se substitue, ni au prêtre,
ni au père de famille ; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque
enfant un honnête homme50. »

15Or, cela ne les empêchait pas de prendre des décisions fermes


concernant certaines pratiques religieuses. Ainsi, à la rentrée
1925, le directeur de la Mission laïque, Ruche, renvoya un élève
juif originaire de Bagdad qui ne voulait manger que casher.
Sollicité, le siège de la Mission laïque à Paris approuva cette
décision en expliquant :
 51 Archives nationales/Paris, 60 AJ 128, « Rapports mensuels », octobre
1925.

« Si nous devons […] nous montrer larges quand il s‟agit de laisser les
élèves libres de pratiquer leurs devoirs religieux, encore faut-il que ces
pratiques ne puissent troubler le bon ordre de l‟établissement et créer
un précédent fâcheux51. »
 52 En 1922, le directeur Mathieu avait permis aux élèves musulmans de
pratiquer le ramadan, mais il s (...)

16On peut donc voir que, le laïcisme à la française, c‟est-à-dire la


disparition du religieux de l‟espace public, ne fut pas pratiqué
dans ces écoles, mais qu‟il fut adapté au contexte local, et
qu‟ensuite, le terme même de laïcité dut constamment être
renégocié52.

Une certaine concurrence à


l’époque du mandat français
 53 Le fait que la Mission laïque avait bien remarqué l’existence et
l’importance de l’Alliance israél (...)

17Bien qu‟une certaine concurrence entre la Mission laïque et


l‟Alliance israélite fût sensible dès son arrivée en 1909, celle-ci se
renforça au début du mandat sans pour autant se transformer en
un combat aussi dur qu‟entre la Mission laïque ou l‟Alliance
israélite et les écoles congréganistes. Tandis que l‟ouverture de
l‟école de la Mission laïque en 1909 avait soustrait un nombre
important d‟élèves juifs aux écoles israélites53, la Première Guerre
mondiale les y ramena. Cela ne manqua pas de provoquer un
sentiment de satisfaction auprès du directeur de l‟Alliance
israélite en 1915 :
 54 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban VIE 80-81 », « Lettre de
fin d’année », Beyrouth, (...)

« “À quelque chose, malheur est bon”, dit-on. La fermeture des écoles


laïques et congréganistes, de nationalités étrangères, a amené certains
de nos coreligionnaires aisés, imbus de préjugés, qui n‟ont jamais
voulu, par ignorance de notre Œuvre, nous confier l‟éducation et
l‟instruction de leurs enfants, à placer ceux-ci dans nos
institutions54. »
 55 Voir le ton euphorique dans les lettres du directeur de l’Alliance
israélite à Beyrouth, Penso, av (...)

 56 Archives nationales/Paris, 60 AJ 122, lettre de Deschamps à la


direction de la Mission laïque à Pa (...)

 57 Cette « rupture très nette avec la vision d’une France cléricale,


puissance tutélaire et protectri (...)

 58 Archives du MAE/Nantes, SOFE, carton 197, lettre du président de


l’Alliance israélite au ministre (...)
18À la fin de la Première Guerre mondiale, les responsables de
l‟Alliance israélite à Beyrouth se virent même sollicités à plusieurs
reprises par les autorités françaises au sujet de la restructuration
de l‟enseignement étranger à Beyrouth55. Or, leur espoir de
devenir les premiers interlocuteurs des autorités françaises
s‟estompa très vite lorsque les autres écoles revinrent au Liban. La
Mission laïque en particulier devint très attrayante pour des
professeurs de l‟Alliance israélite. En 1919, le directeur de l‟école
de la Mission laïque à Beyrouth, Pierre Deschamps rapportait que
deux professeurs de l‟Alliance israélite, Penso et Pichon,
désiraient travailler dans son établissement sans que leur
direction ne fût au courant. Il se réjouit de l‟apport de ces
« maîtres habitués au pays » pour l‟œuvre de la Mission laïque,
mais ne put résoudre la question de leur salaire au regard des
tarifs français ou libanais56. La place privilégiée de la Mission
laïque se renforça encore au cours du mandat. À partir de 1925,
les autorités françaises commencèrent en effet à augmenter les
subventions de la Mission laïque de façon substantielle au
détriment des écoles catholiques au Levant57. À côté d‟elle,
l‟Alliance israélite recevait très peu d‟argent. Alors que l‟Alliance
israélite recevait, entre 1920 et 1930, 500 000 F par an pour
toutes ses écoles, le ministre des Affaires étrangères attribua en
1930 à la Mission laïque pour le Levant 300 000 F pour le seul
premier trimestre58.
 59 Lors de l’augmentation des subventions à la Mission laïque en 1925, à
cause du haut-commissaire Sa (...)

 60 Archives du MAE/Nantes, SOFE, carton 197, lettre du président de


l’Alliance israélite au ministère (...)

 61 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban IX E 96 b) », lettre de


Maurice Sidi au président (...)
 62 Cette position était partagée par l’Alliance Française qui, lors de
l’exposition coloniale à Vince (...)

19L‟Alliance israélite ne critiqua pourtant pas ouvertement cette


politique59, mais se contenta de demander des subventions plus
élevées60. L‟Alliance israélite demeura donc proche de la Mission
laïque, parce que cette dernière était favorisée par les autorités
mandataires, mais aussi en raison de points de vue idéologiques
communs. Lors de la fête scolaire de l‟Alliance israélite en 1925,
celle-ci invita aussi M. Mathieu, le directeur de la Mission laïque à
Beyrouth61. Les autres invités étaient le haut-commissaire Sarrail,
un laïque fervent, et le président de l‟université américaine de
Beyrouth, mais personne ne représentait les écoles catholiques.
Cela montre très clairement que le directeur de l‟Alliance israélite
voulait se positionner dans le camp français laïque62. Pour le
directeur de l‟Alliance israélite à Beyrouth, la concurrence des
écoles congréganistes et Talmud Torah était plus alarmante :
 63 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban 96c », lettre de Sidi au
président de l’Alliance i (...)

« Il est vrai que nous sommes déjà entourés de plusieurs autres


établissements concurrents dont les principaux dans notre quartier
sont : l‟école des filles de Besançon, l‟école des Sœurs de Saint Joseph,
l‟annexe du Collège des Frères, l‟école nationale de Mlle Kassab (très
importante et très fréquentée), le Kindergarten des Diaconesses
allemandes, l‟école italienne de filles, le Talmud Torah dont la nouvelle
construction est très imposante, etc. Vous voyez si nos
coreligionnaires, sans s‟éloigner de leurs quartiers, ont le choix63 ! »
 64 Bulletin de la Mission laïque, 3, juin 1907, p. 87-88 : « En Orient, si les
congrégations enseigne (...)

 65 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, lettre de Ruche à Besnard,


Beyrouth, 27 octobre 1933.
 66 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, lettre de Ruche à Besnard,
Beyrouth, 6 avril 1933.

20Il en fut de même pour la Mission laïque pour qui les écoles
missionnaires catholiques et protestantes demeurèrent tout au
long de la période leurs premiers concurrents. Dans les archives
de la Mission laïque, on ne relève ainsi aucune trace d‟un
sentiment de concurrence avec les écoles Talmud Torah ou de
l‟Alliance israélite. En 1907, le bulletin de la Mission laïque
mentionne l‟Alliance israélite de façon positive comme ayant des
écoles où on enseignait le français64. Une énumération par le
directeur du lycée de la Mission laïque en 1933 des tarifs des
autres écoles françaises à Beyrouth dans le contexte de la « guerre
des tarifs65 » n‟évoque pas non plus l‟Alliance israélite66. Autre
preuve de l‟absence de concurrence entre ces deux
établissements, ce sont les efforts vains de Joseph Farhi pour faire
pression sur l‟Alliance israélite en se servant de la Mission laïque :
 67 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban VE 43-65 », lettre de
Joseph Farhi au président du (...)

« Pour nous, fort heureusement, la ville de Beyrouth est la ville des


écoles par excellence. Nous n‟y avons pas l‟embarras du choix et, en
dehors des Écoles congréganistes, il y a encore les Écoles laïques qui
viennent de prendre un développement considérable67. »

21Une concurrence avec les écoles de tendance plus sioniste


commença en revanche à inquiéter les responsables de la Mission
laïque. En 1934, le secrétaire général de la Mission laïque,
Edmond Besnard, critiqua vivement le mouvement sioniste lors
d‟un voyage d‟inspection en Orient. Or, sa critique première ne
visait pas les aspects religieux ou politiques, mais culturels du
sionisme :
 68 Archives du MAE/Nantes, SOFE, carton 258, « Rapport Besnard »,
1934.
« Par la force des choses, le sionisme est de langue anglaise ; il se
développe en marge du français et même contre le français. S‟il réussit,
comme le pensent de bons esprits, son succès, dans l‟état actuel des
choses, serait pour nous une défaite grave, car il risquerait de nous
enlever une clientèle active, influente qui a été jusqu‟à présent un
agent puissant de notre influence68. »
 69 Revue de l’enseignement français hors de France, 26/1929, 80,
« L’œuvre de l’Alliance Israélite », (...)

 70 Cela correspond peut-être à l’intérêt nouveau porté par certains


écrivains et artistes français po (...)

 71 Parisot, Jean, Visite au Lycée Herzlia à Tel-Aviv, Revue de


l’enseignement français hors de France (...)

 72 Archives nationales/Paris, 60 AJ 132, « Comité de patronage », séance


du 7 février 1929.

22Dans le même sens, la Revue de l‟enseignement du français


hors de France, organe de la Mission laïque, reproduisit en 1929
un article de la revue Paix et Droit louant l‟œuvre éducatrice de
l‟Alliance israélite et critiquant l‟apprentissage de la langue
anglaise69. Or, dans le même numéro de la revue, un professeur
du lycée de la Mission laïque à Beyrouth, Jean Parisot, rapporta sa
visite au Lycée Herzlia, un lycée sioniste, à Tel-Aviv en Palestine. Il
était plein d‟admiration pour les sionistes qui, selon lui,
apprenaient aux juifs leur histoire et culture et les privaient donc
d‟un déracinement par l‟éducation70. C‟est précisément ce qu‟il
critiqua dans l‟enseignement dispensé par sa propre école, celle la
Mission laïque. En leur enseignant davantage de détails sur
l‟histoire française que sur l‟histoire arabe, cette dernière
contribuait selon lui au déracinement des jeunes Syriens et
Libanais : « Dans nos classes, on étudie la pédagogie de l‟„Émile‟.
À Tel-Aviv, on l‟applique71. » Pourtant, au lycée même, les
membres du comité de patronage, comme Farhi et Sidi,
conclurent « que le Lycée français donne un enseignement de la
langue, de l‟histoire et de la géographie nationales supérieur
même à celui de l‟État72 ». Suivant la proposition de Sidi, ils
insistèrent au contraire sur le problème de déclassement social et
sur l‟importance de garder un enseignement élitiste. Il s‟agit donc
de comprendre ces réactions françaises divergentes vis-à-vis du
mouvement sioniste. Pendant que Besnard, résidant à Paris,
semble avoir été plus influencé par l‟éloignement du Quai d‟Orsay
avec le sionisme, la vision de Parisot, habitant au Levant même,
en était moins imprégnée. Une constante semble les avoir
cependant réunis, celle du souci de préserver l‟influence de la
culture française.

Une coopération plus offensive


devant l’indépendance
imminente du Liban et la
montée du sionisme
 73 Cf. STILLMAN, op. cit., p. 371-375 ; L’auteur reproduit un document du
conseil communal israélite (...)

23Loin d‟éloigner les écoles de la Mission laïque et de l‟Alliance


israélite, les événements politiques, l‟approche de l‟indépendance
du Liban comme la montée du sionisme, semblent au contraire les
avoir rapprochés. C‟est dans les années 1930 que les
responsables de l‟Alliance israélite commencèrent à réaliser que le
mandat français touchait à son terme et que l‟indépendance du
Liban était proche73. En 1936, le directeur de l‟Alliance israélite
de Beyrouth s‟exprimait en ces termes :
 74 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban 1 C 1 », lettre du directeur
de l’école de l’Allia (...)
« Le régime du Mandat prendra bientôt fin. […] L‟Islam triomphe. Juifs
de Beyrouth et juifs de Syrie […] envisagent l‟avenir avec angoisse. […]
Tant que le drapeau français flottait sur nos têtes, nous nous sentions
en pleine sécurité. L‟armée française nous protégeait. Le Haut-
Commissaire réprimait vite les abus et faisait redresser tous les
inquiets74. »
 75 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban VIIE 81-86 », lettre de
Penso au président de l’Al (...)

 76 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban VIIE 81-86 », lettre de


Penso au président de l’Al (...)

 77 Archives nationales/Paris, 60 AJ 137.

24Cette évolution leur fit prendre conscience de l‟importance


d‟enseigner à leurs élèves la langue arabe. Dans l‟attente de
recruter des professeurs d‟arabe de confession juive, l‟Alliance
israélite recourait aux professeurs d‟arabe les plus réputés, à
savoir ceux de la Mission laïque aux côtés de ceux de l‟université
américaine de Beyrouth, selon le directeur de l‟Alliance israélite75.
Un détachement de deux professeurs de la Mission laïque
intervint donc dès 1936. Dans une lettre datant de 1940, le
directeur de l‟Alliance israélite exprima son enchantement devant
les progrès déjà réalisés par ses élèves76. L‟admiration se
produisit aussi dans le sens inverse. En novembre 1934, l‟école de
la Mission laïque prit ainsi l‟Alliance israélite comme modèle pour
accepter gratuitement des enfants pauvres. Cela lui attira
l‟approbation et les félicitations du consul de France à Beyrouth77.
 78 Voir les lettres du directeur de l’école de la Mission laïque Ruche au
secrétaire général de la Mi (...)

 79 Archives nationales/Paris, 60 AJ 136, lettre de Ruche au secrétaire


général de la Mission laïque, (...)
25La coopération entre les écoles hébraïques, pourtant plus
proches des milieux sionistes, et celles de la Mission laïque fut
également curieusement maintenue dans les années 1930. La
Mission laïque prêtait des professeurs aux écoles hébraïques,
comme elle le faisait avec d‟autres écoles privées locales,
islamiques aussi bien que protestantes ou laïques78. Dans ces
écoles, les professeurs étaient en général des Français qui
enseignaient la langue française. Le fait que le siège central de la
Mission laïque tenait beaucoup à ces détachements fut évident en
1934, lorsque le directeur de l‟école de la Mission laïque proposa,
en raison de problèmes financiers, de mettre fin à la coopération
avec les écoles Talmud Torah et que le siège refusa79.
 80 Ce sont ainsi les rapports d’inspection et de subvention de 1924.
Archives du MAE/Nantes, Syrie Li (...)

 81 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique,


2e versement, carton 02, 1919-1920, « Éc (...)

 82 NICAULT, op. cit., p. 144, 161.

 83 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique,


2e versement, carton 1937, « Rapports d’ (...)

26Les autorités françaises encouragèrent cette coopération entre


la Mission laïque et les écoles Talmud Torah et celles de l‟Alliance
israélite tout au long de la période mandataire80, puisque, selon
le haut-commissariat français, ces « […] écoles, orphelinats,
asiles, dispensaires […] représentent nos meilleurs moyens
d‟influence et de propagande81 ». L‟approbation de cette
coopération avec les écoles Talmud Torah demeure surprenante.
Après la révolte syrienne en 1925, Paris avait réalisé le besoin de
se rapprocher des milieux sionistes, mais depuis 1929 et les
premières émeutes arabes en Palestine, toute idée de
rapprochement des sionistes fut enterrée82. Il faut donc conclure
que le Quai d‟Orsay fit une différence entre le sionisme politique
et des populations sympathisant avec le sionisme. La proposition
de l‟inspecteur français en 1937 selon laquelle « l‟École Talmud
Torah soit inscrite parmi les bénéficiaires de subventions au
budget de 193883 », entra justement dans la logique de vouloir
influencer tous les milieux libanais.
 84 Pour preuve, la lettre de Sidi au président de l’Alliance israélite, le 2
avril 1934 : « M. de Mar (...)

 85 Archives nationales/Paris, 60 AJ 136, lettre de Ruche à Besnard,


Beyrouth, 19 décembre 1933.

 86 NICAULT, op. cit., p. 142 (Sarrail), 153 (Jouvenel), 154 (Ponsot).

27En ce qui concerne les activités au sein des écoles de la Mission


laïque, les archives n‟évoquent jamais de façon explicite la
question du judaïsme ou du sionisme. De plus, les rapports du
comité de patronage montrent que ni la montée du sionisme ni
les événements anti-juifs ne firent partir de la Mission laïque
Joseph Farhi, sioniste convaincu. Aux côtés de Maurice Sidi, de
l‟Alliance israélite et antisioniste84, il resta dans le comité de
patronage durant toute la période du mandat français. C‟est tout
du moins ce que confirment les archives disponibles. Le
remplacement de Farhi en 1933 ne fut expliqué que par le fait
qu‟il avait mis sa fille au Collège protestant français : changer
d‟école pour ses enfants était un critère d‟exclusion du comité de
patronage. Il en avait été de même pour un certain Dr Shérif et
pour Maurice Sidi quelques années plus tôt85. Fahri continua à
être un membre actif de ce comité de patronage et à y représenter
les familles juives malgré les attitudes antisionistes des haut-
commissaires français86. En ce qui concerne le lycée de jeunes
filles, Farhi fit part en 1927 au comité de patronage de la
satisfaction des parents juifs vis-à-vis du lycée de jeunes filles :
 87 Archives nationales/Paris, 60 AJ 130, « Comité de patronage », séance
du 1er février 1927.

« On est actuellement très content du Lycée de jeunes filles. Les jeunes


élèves sont à peu près en toutes les matières plus avancées et plus
fortes que les élèves du même âge et des classes correspondantes des
autres écoles87. »
 88 Archives de l’Alliance israélite/Paris, « Liban VIIE 81-86 », lettre du
directeur de l’école de l’ (...)

 89 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, « Comité de patronage », séance


du 10 mars 1933.

28En même temps, l‟école de la Mission laïque maintint ses


bonnes relations avec l‟Alliance israélite. En 1939 par exemple, un
élève de l‟Alliance israélite qui voulait devenir professeur à
l‟Alliance israélite avait pour cela besoin du baccalauréat. Étant
donné qu‟il ne pouvait pas le passer à l‟Alliance israélite, celle-ci
s‟adressa à la Mission laïque. Celle-ci accepta de le prendre avec
une réduction des frais de scolarité de 25 %88. Malgré l‟absence
de références au sionisme dans les archives du lycée de Beyrouth,
ces dernières relatent quand même une activité croissante de la
Mission laïque en Palestine dans les années 1930. Cela peut être
interprété comme une réaction face au sionisme, surtout dans sa
dimension culturelle et à orientation anglaise, comme Besnard
l‟avait remarqué. En 1933, un groupe d‟amis de la Mission laïque
fut créé à Jérusalem dans le but de propagande et de recrutement
pour la Mission laïque en Palestine. Sidi, directeur de l‟Alliance
israélite, approuva cette création et plaida pour que des faveurs
financières spéciales soient accordées à ses fondateurs afin de
créer « un mouvement des jeunes israélites francophones89 ». On
peut donc dire que tout en maintenant des relations proches avec
les milieux sionistes de Beyrouth, la Mission laïque demeura
néanmoins critique envers le mouvement sioniste et privilégia sa
coopération avec l‟Alliance israélite.
 90 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique, carton 162,
« Propagande étrangère », Ra (...)

 91 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique, carton 130.

 92 Décret Crémieux (1870).

 93 Archives du MAE/Nantes, Syrie-Liban Instruction Publique, carton 170,


lettre du directeur Latrouit (...)

 94 Sur la base des lois du 7 octobre 1940, les juifs algériens se virent
privés de leur nationalité f (...)

29Quel fut l‟impact de l‟antisémitisme, même si son application


au Levant sous le régime de Vichy ne fut pas très rigoureuse ? Il
n‟y eut en apparence pas d‟incidents majeurs. En 1940, le
directeur du lycée de la Mission laïque rapporta que des croix
gammées avaient été dessinées sur un mur par un élève druse,
mais celles-ci auraient été « aussitôt effacées par les camarades
ou les surveillants90 ». Dans ce contexte, il faut mentionner Lucie
Lévy, née Vrolyk91, juive née près d‟Oran en Algérie en 1895 et
donc de nationalité française92. Elle fut entre 1932 et 1958
professeur et directrice du lycée de jeunes filles de la Mission
laïque à Beyrouth. À l‟été 1941, L. Lévy fut soudainement
mentionnée comme « sous-directrice93 ». Cette mesure fut-elle
prise en application des lois antisémites94 ? Les archives restent
silencieuses sur ce point. L. Lévy n‟en demeura pas moins à la
Mission laïque pendant toute la période du régime de Vichy, puis
après la guerre.

Conclusion
30Les archives ont montré la relation très complexe que la
Mission laïque entretenait avec les écoles israélites et la
communauté juive libanaise. Entre clientélisme, concurrence et
coopération, leur lien le plus important fut celui de coopération.
Cette relation perdura dans des périodes de tensions importantes
autour de la question du sionisme et peut s‟expliquer par le profit
réciproque que la Mission laïque, les juifs libanais et les écoles
israélites tirèrent de la coopération. Bien que la Mission laïque
entretînt et maintînt des relations avec tous les milieux et écoles
israélites au Liban, il faut souligner qu‟elle partageait plus de
valeurs avec l‟Alliance israélite qu‟avec les sionistes libanais et les
écoles Talmud Torah. Les responsables de l‟Alliance israélite,
quant à eux, souscrivaient pleinement à cette solidarité. Comme
la Mission laïque, ils étaient persuadés des bienfaits de la langue
et culture françaises au Levant. Un autre point en commun était
leur souci de sauvegarder un enseignement élitiste. Cette
complicité idéologique fut encore renforcée par des
considérations économiques puisque sous le mandat français, la
Mission laïque devint au Liban un partenaire important pour les
autorités françaises, et promettait donc des moyens financiers
intéressants.
31Les événements politiques, comme la montée du sionisme en
Palestine, eurent en fin de compte peu d‟impact sur les relations
entre la Mission laïque et la communauté juive au Liban et les
intérêts pragmatiques l‟emportèrent sur les considérations
idéologiques.
BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1 Archives nationales/Paris, 60 AJ [Fonds qui conserve les archives du
lycée de la MLF à Beyrouth], 119.
2 La dénomination de « Liban » sera utilisée pour toute la période en
question, bien qu‟il n‟existe dans son étendue actuelle que depuis
1920 et qu‟il ait compris des parties auparavant distinctes de l‟Empire
ottoman, à savoir le mutaşarifīa du Mont Liban, les villes de la côte
Beyrouth, Saïda, Tyr et Tripoli ainsi que les anciennes cazas ottomanes
de Hasbaya, Rashaya, Baalbek et Akkar. TRABOULSI F., A History of
Modern Lebanon, London, Pluto Press, 2007, p. 80.

3 À l‟époque, la Mission laïque n‟avait en dehors de Beyrouth qu‟une


petite école à Beit-Mery, pas très loin de Beyrouth, qui servait avant
tout d‟école d‟été.

4 SCHULZE K., Jews of Lebanon. Between Coexistence and


Conflict, Brighton/Portland, Sussex Academic Press, 2009, p. 3-4.
Selon Schulze, la situation des juifs libanais contredit le stéréotype des
juifs dans beaucoup d‟autres pays arabes, où ils formeraient une
« cinquième colonne » hostile. Le souvenir de leur accueil favorable
dans l‟Empire ottoman, alors qu‟ils avaient été expulsés d‟Espagne en
1492, demeura vif dans la mémoire communautaire. THOBIE J., Les
intérêts culturels français dans l‟Empire ottoman finissant.
L‟enseignement laïque et en partenariat, Paris, Peeters 2008, p. 335-
336.

5 Selon SCHULZE, op. cit., p. 45, cela était surtout vrai pour les juifs plus
fortunés.

6 EISENBERG L.Z., My Enemy‟s Enemy. Lebanon in the Early Zionist


Imagination 1900-1948, Detroit, Wayne State University Press, 1994,
p. 20.

7 STILLMAN N., The Jews of Arab Lands in Modern


Times, Philadelphia/New York, The Jewish Publication Society, 1991,
p. 352: en 1926, les juifs de Beyrouth demandèrent au haut-
commissaire français d‟interdire ce document.
8 SCHULZE, op. cit., p. 47: « […] a few very active Zionists, within a
mainly non-Zionist community ». STILLMAN, op. cit., p. 87, est d‟un avis
légèrement différent, constatant un enthousiasme des juifs libanais, au
moins de la part de la minorité ashkenaze ; néanmoins, il ne constate
une activité sioniste croissante qu‟après la Première Guerre mondiale.

9 STILLMAN, op. cit., p. 375.

10 SCHULZE, op. cit., p. 46.

11 FORTNA B., Imperial Classroom. Islam, the State, and Education in


the Late Ottoman Empire, Oxford, University Press, 2002, p. 50-56.
L‟auteur souligne aussi la place importante des écoles étrangères.

12 SCHULZE, op. cit., p. 44.

13 Pour donner un chiffre, ses écoles accueillaient en 1935 à Beyrouth


673 élèves, donc beaucoup plus que les écoles hébraïques. L‟école
Talmud Torah de Selim Tarrab avait ainsi en 1932 250 élèves, en
1935 290 élèves. SCHULZE, op. cit., p. 44.

14 Discours du directeur de l‟Alliance israélite de Beyrouth, Maurice


Sidi, reproduit dans le journal La Syrie du 4 juin 1925, Archives de
l‟Alliance israélite/Paris, « Liban IXE 96b ».

15 Ibid. Voir aussi RODRIGUE A., De l‟instruction à l‟émancipation. Les


enseignants de l‟Alliance israélite universelle et les Juifs d‟Orient 1860-
1939, Paris, Calmann-Lévy, 1989, p. 76.

16 Elle reflétait ainsi la position de la majorité des juifs


français. KASSIR S., MARDAM-BEY F., Itinéraires de Paris à Jérusalem. La
France et le conflit israélo-arabe, tome I : 1917-1958, Washington,
Institut des études palestiniennes, 1992, p. 26-28. Voir aussi la lettre
de Sidi au Président de l‟Alliance israélite, Beyrouth, 2 avril 1934 : « […]
notre Haut Commissaire voulant témoigner sa sympathie aux juifs, a
annoncé la visite à la Communauté israélite de Beyrouth. […] Il m‟a
interrogé sur le nombre de nos élèves et m‟a dit qu‟il connaît
personnellement notre Président et que notre Secrétaire Général est
d‟un “antisionisme farouche” ». NICAULT C., La France et le sionisme,
1897-1948 : une rencontre manquée ?, Paris, Calmann-Lévy, 1992,
p. 22-23, souligne néanmoins qu‟il y avait aussi des juifs français qui
sympathisaient avec le sionisme.

17 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « IB 4-Beyrouth Ŕ


Comité/Communauté-1920-1923 ». Lettre du Grand-Rabbin du Liban,
Dr S. Tagger, au secrétaire général de l‟Alliance israélite, Bigart, à Paris,
Beyrouth, 20 août 1923.

18 BURROWS M., « “Mission civilisatrice” : French Cultural Policy in the


Middle East, 1860-1914 », The Historical Journal, 29/1986, 1, p. 109-
135, p. 125. Selon THOBIE, op. cit., p. 340, pourtant, l‟Alliance israélite
ne recevait pas de subventions du Quai d‟Orsay jusqu‟en 1914.

19 Comme le remarquait l‟inspecteur de l‟Alliance israélite, Pariente, en


visite à Beyrouth en 1905 : « Certes, la population juive compte
d‟autant plus d‟indigents qu‟elle a reçu, dans ces dernières années, un
fort appoint de familles pauvres venues de Damas à la recherche d‟un
gagne-pain quelconque, mais la misère est peut-être plus grande. »
Or, selon Pariente, la communauté juive n‟était pas si pauvre que cela
et aurait pu donner plus d‟argent à l‟Alliance israélite. Archives de
l‟Alliance israélite/Paris, « Liban VIE 80-81 », « Inspection Pariente
1905 sur écoles de Jaffa-Caiffa-Saïda-Tibériade-Beyrouth ».

20 SCHULZE, op. cit., p. 44. Voir aussi Pariente en 1905 : « […] les
nombreuses élèves juives fréquentant les écoles congréganistes, où on
sait se faire payer cher ». Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban
VIE 80-81 », « Inspection Pariente 1905 sur écoles de Jaffa-Caiffa-
Saïda-Tibériade-Beyrouth ».

21 DESCHAMPS P., « Promenade archéologique »(1953), Éléments pour


une histoire de la Mission laïque française 1902-1982, Paris 1982,
p. 81-99, p. 98.
22 Revue de l‟enseignement français hors de France, 17/1920, 1, p. 3.
L‟utilisation massive du vocabulaire chrétien est frappante. Comme
Talal Asad l‟a relevé, le laïcisme puise ses racines dans le christianisme
et y reste attaché, malgré ses critiques à l‟égard de cette
religion. ASAD T, « Religion, Nation-State, Secularism », LEHMANN H.
et VANDERVEER, Peter (éd.), Nation and Religion, Princeton University
Press, 1999, p. 178-196, p. 179.

23 Pour l‟historique des différentes écoles, lire THEVENIN A., La mission


laïque française à travers son histoire : 1902-2002, Paris, Mission
laïque française, 2005.

24 COOPER N., « Making Indo-China French: Promoting the Empire


Through Education », EVANS, Martin (éd.), Empire and Culture. The
French Experience 1830-1940, London, Palgrave Macmillan 2004,
p. 131-147, p. 138.

25 Archives de la Mission laïque/Paris, Bulletin de la Mission laïque


française, 3, juin 1907, p. 74-75.

26 Voir les mémoires de Misal AL-ĠURAYYIB, Mudakkirāt


mārūnī, Beyrouth 1983, p. 34-36, qui fréquenta le lycée de la Mission
laïque, parce que son frère y était devenu enseignant. Voir également
la « Lettre pastorale au clergé et au peuple latin du vicariat apostolique
d‟Alep pour le carême de 1911 : religion et laïcisme en face du
problème de l‟éducation populaire », Beyrouth, Imprimerie catholique,
1911, p. 23 : « L‟Église a gagné, à travers les siècles, des batailles non
moins terribles que celle que lui livre en ce moment le laïcisme
maçonnique. »

27 D‟où son souci de recevoir ses subventions directement du


ministère des Affaires étrangères à Paris, et non pas du haut-
commissariat français à Beyrouth. Archives Nationales, 60 AJ 122, lettre
de Deschamps au secrétaire général de la Mission laïque, Besnard,
Guingamp, 19 avril 1919.
28 Cf. NICAULT, op. cit., p. 230, pour la relation de mésentente entre le
Quai d‟Orsay et le mouvement sioniste, mésentente qui ne fut pas
améliorée par les deux tentatives de rencontres entre 1925-1929 et
après la Seconde Guerre mondiale.

29 KASSIR, MARDAM-BEY, op. cit., p. 38.

30 Archives du ministère des Affaires étrangères (par la suite


MAE)/Nantes, Service des Œuvres françaises à l‟étranger (par la suite
SOFE), carton 258, « rapport Besnard », 1934.

31 DEGUILHEM R., « Impérialisme, colonisation intellectuelle et politique


culturelle de la Mission laïque française en Syrie
mandataire », MEOUCHY N., SLUGLETT P. (éd.), « The British and French
Mandates in Comparative Perspectives », Leiden, Brill 2004, p. 321-
343, p. 334.

32 Ces deux communautés représentaient également les plus


anciennes populations de Beyrouth. Puisque le nombre d‟élèves de la
Mission laïque à Beyrouth variait entre 200 et 300 au début et presque
mille à la fin des années 1930, le nombre des juifs était donc compris
entre 100 et 200 élèves par an. Voir les statistiques dans le fonds de la
Mission laïque à Beyrouth aux Archives nationales/Paris, 60 AJ. Tandis
qu‟au milieu des années 1920, la communauté juive occupait souvent
le troisième rang, elle n‟était qu‟en quatrième position à la Mission
laïque avant de remonter au troisième rang au début des années 1930.
Il paraît difficile d‟expliquer ce changement, une raison a pu être
l‟ouverture du Collège protestant français en 1927-1928, qui fut
également fréquenté par les juifs. Une autre raison fut l‟arrivée d‟un
nombre plus élevé d‟élèves français catholiques, enfants de
fonctionnaires mandataires, ce qui fit automatiquement chuter la
proportion d‟israélites dans les effectifs.

33 Voir la lettre de Ruben Lévy, directeur de l‟école israélite à Saïda, en


novembre 1927 ; Archives nationales/Paris, 60 AJ 130.
34 En 1933, un responsable de la Mission laïque à Beyrouth, qui voulait
faire de la propagande pour la Mission laïque en Syrie, en Irak et en
Palestine, mentionna comme contact en Irak le directeur de l‟Alliance
israélite à Bagdad. Lettre de Lehéricy à Besnard, Beyrouth, 28 juillet
1933 ; Archives nationales/Paris, 60 AJ 135.

35 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban XE 96c », « Mouvement


des élèves Rentrée 1927-1928 », Beyrouth, 28 novembre 1927. Ce
tableau montre aussi que le plus grand nombre des anciens élèves de
l‟Alliance israélite allait néanmoins chez les frères des écoles
chrétiennes.

36 Voir le chapitre dédié à l‟Alliance israélite universelle dans l‟Empire


ottoman dans THOBIE, op. cit., p. 344.

37 Plus exactement dans les années 1910-1924, 1928-1930 et 1935-


1938. SCHULZE, op. cit., p. 27, 41.

38 Voir la lettre de Joseph D. Farhi au président du comité culturel de


l‟Alliance israélite à Paris, Beyrouth, 15 octobre 1923 ; Archives de
l‟Alliance israélite/Paris, Liban VE, 43-65. Les archives n‟apportent pas
d‟éclaircissements sur les raisons de cette mésentente : dans sa lettre,
Farhi parle seulement d‟« incidents graves ». Une note sans auteur
relate des « irrégularités constatées dans le travail de M. et Mme Sidi
(prises sur le vif) », mais qui sont démenties dans une autre note.
Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban IX E 96 b : Sidi Maurice
1918-1925 ».

39 À part la mention de son nom dans les archives de la Mission


laïque, il n‟a pas été possible de trouver plus de traces sur cette
organisation. S‟agissait-il de l‟organisation B‟nai Brith dont Farhi était
le président depuis 1925 ? Cf. SCHULZE, op. cit., p. 42.

40 Archives nationales/Paris, 60 AJ 134, « Boursiers de la M.L.F. 1931-


32 » : « Farhi Maurice » et « Farhi René » bénéficiaient chacun d‟une
réduction de 50 %.
41 Selon Michel DECERTEAU, L‟invention du quotidien, 1. Arts de
faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 59-63, les « stratégies » sont les
façons d‟agir de ceux qui dominent un certain espace, les « tactiques »
celles de ceux qui ne peuvent agir qu‟à l‟intérieur de cet espace. Or,
Certeau cite ici l‟exemple de certaines constellations coloniales, les
dominés peuvent aussi faire leurs les stratégies des dominants.

42 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, « Bourses », lettre de Ruche à


Besnard, Beyrouth, 9 décembre 1932.

43 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, « Bourses », lettre de Ruche à


Besnard, Beyrouth, 8 octobre 1932 ; lettre de l‟école Sélim Tarrab à la
Mission laïque, Beyrouth, 13 octobre 1932 ; lettre de Besnard à Ruche,
Paris, 19 octobre 1932.

44 Lettre du directeur de l‟école de la Mission laïque, Beyrouth, 10 mai


1935. Archives nationales/Paris, 60 AJ 137.

45 Ainsi en 1935, le directeur de la Mission laïque de l‟époque, Lucien


Ruche, dans une lettre au siège central à Paris le 22 février 1935,
explique cette politique de la façon suivante : « J‟ai continué comme
mon prédécesseur à accorder une remise universitaire aux frères ou
sœurs des instituteurs lorsqu‟ils sont à leur charge. Ces remises ne
sont pas plus importantes que celles que nous accordons aux enfants
des professeurs de l‟Alliance Israélite ». Archives nationales/Paris, 60
AJ 137.

46 Archives du MAE/Nantes, « Beyrouth Consulat Général A »,


Prospectus du Collège français de Beyrouth (1909), p. 2-4.

47 Archives nationales/Paris, 60 AJ 132, lettre du directeur du lycée


Ruche à Besnard, Beyrouth, 23 avril 1930.

48 « En faisant asseoir sur les mêmes bancs des enfants de races et de


religions si différentes, en les considérant comme des égaux et comme
des frères, on crée entre eux les liens précieux et on les amène à
pratiquer ce respect mutuel des opinions et des croyances si désirables
pour la pacification des esprits. » Archives du MAE/Nantes, SOFE, 197,
lettre de Besnard au préfet de Paris, Paris, 8 juin 1931.

49 Bulletin de la Mission Laïque Française/1906, p. 66-67 qui critique


le niveau très bas des écoles catholiques au Levant, le manque de
connaissances des prêtres en français, etc.

50 Brochure du Collège de garçons de la Mission laïque de 1910-1911,


p. 17, citée par Thobie, op. cit., p. 58.

51 Archives nationales/Paris, 60 AJ 128, « Rapports mensuels »,


octobre 1925.

52 En 1922, le directeur Mathieu avait permis aux élèves musulmans


de pratiquer le ramadan, mais il s‟en plaignait : « Cependant le Coran
n‟impose pas aux étudiants l‟obligation du jeûne ! À plus forte raison à
de jeunes enfants tels que la Division primaire […]. L‟autorisation
d‟observer le ramadan a été accordée aux élèves internes qui en firent
la demande (9 en tout) : elle conduit à l‟établissement de deux
règlements d‟internat dont la discipline ne peut pas ne pas souffrir. Il
serait souhaitable que le collège puisse s‟affranchir de cette tradition :
mais sera-ce jamais possible ? Les observances religieuses sont de plus
en plus exactement pratiquées par toute la population. » Archives
nationales/Paris, 60 AJ 124, « Rapports mensuels », mai 1922. Cet
exemple montre qu‟il n‟y avait pas de limites fixes à l‟étendue de la
manifestation du religieux dans ces écoles.

53 Le fait que la Mission laïque avait bien remarqué l‟existence et


l‟importance de l‟Alliance israélite apparut en 1911, lorsque, à son
arrivée à Beyrouth, le nouveau directeur de l‟école de la Mission laïque,
Dupouey, rendit visite aux différentes écoles françaises, dont celles de
l‟Alliance israélite. Archives nationales/Paris, 60 AJ 119, lettre de
Dupouey au président de la Mission laïque à Paris, Beyrouth, 10
novembre 1911.

54 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban VIE 80-81 », « Lettre de


fin d‟année », Beyrouth, 2 octobre 1915.
55 Voir le ton euphorique dans les lettres du directeur de l‟Alliance
israélite à Beyrouth, Penso, avec lequel il rapporte les visites de
Chevalley, délégué du H.-C. pour les questions d‟enseignement.
Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban VIE 80-81 », lettre de
Penso au président de l‟Alliance israélite à Paris, Beyrouth, 15 juin
1919.

56 Archives nationales/Paris, 60 AJ 122, lettre de Deschamps à la


direction de la Mission laïque à Paris, Beyrouth, 30 novembre 1919.

57 Cette « rupture très nette avec la vision d‟une France cléricale,


puissance tutélaire et protectrice des chrétiens » était due d‟un côté à
la victoire du Cartel des gauches en France en 1925, et de l‟autre, à la
révolte syrienne en 1925 qui fit comprendre aux autorités françaises le
besoin d‟une nouvelle politique scolaire plus tournée vers les milieux
nationalistes et musulmans. BOCQUET J., La France, l‟Église et le Baas.
Un siècle de présence française en Syrie (de 1918 à nos jours), Paris,
Les Indes Savantes, 2008, p. 87.

58 Archives du MAE/Nantes, SOFE, carton 197, lettre du président de


l‟Alliance israélite au ministre des Affaires étrangères, Paris, 31
décembre 1930, et lettre du ministre des Affaires étrangères au
secrétaire général de la Mission laïque, Paris, 29 janvier 1930.

59 Lors de l‟augmentation des subventions à la Mission laïque en


1925, à cause du haut-commissaire Sarrail, laïque fervent, le directeur
de l‟Alliance israélite se contenta de la signaler dans son rapport au
siège à Paris : « Mission Laïque. Sur les demandes du général Sarrail
qui est un laïque militant et qui, pour le principe, a placé ses deux
jeunes enfants (6 et 4 ans) au collège de la Mission laïque de Beyrouth,
le gouvernement d‟Alep vient de céder à cette Société un grand
immeuble pour lui permettre d‟ouvrir immédiatement dans cette ville
un Lycée français. Le comité de Paris est en train de faire des
démarches pour obtenir une nouvelle subvention pour cette création. Je
vous avais écrit fréquemment que le ministère français avait accordé à
la Mission Laïque un crédit d‟un million de francs dont 700 000 F
étaient destinés au Lycée à créer à Damas et 300 000 F pour le Collège
de Beyrouth. » Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban 1C1 »,
lettre de Sidi au président de l‟Alliance israélite, Beyrouth, 17 mars
1925.

60 Archives du MAE/Nantes, SOFE, carton 197, lettre du président de


l‟Alliance israélite au ministère des Affaires étrangères, Paris, 16
octobre 1931.

61 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban IX E 96 b) », lettre de


Maurice Sidi au président de l‟Alliance israélite à Paris, Beyrouth, 7 juin
1925.

62 Cette position était partagée par l‟Alliance Française qui, lors de


l‟exposition coloniale à Vincennes en 1931, mentionnait seulement
l‟Alliance israélite et la Mission laïque dans la rubrique « sociétés de
propagande ». Voir « Le Congrès de l‟Alliance Française à l‟Expo
coloniale internationale de Paris, 1931 », livre disponible dans les
archives de l‟Alliance israélite/Paris.

63 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban 96c », lettre de Sidi au


président de l‟Alliance israélite, Beyrouth, 26 octobre 1927. De même,
Sidi, qui songeait à établir un comité de patronage pour son école,
trouvait « particulièrement choquant d‟admettre dans notre comité des
membres dont les enfants fréquentent à l‟heure actuelle les écoles
congréganistes ». Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban XE
96c », lettre de Sidi au président de l‟Alliance israélite, Beyrouth, 1er juin
1927.

64 Bulletin de la Mission laïque, 3, juin 1907, p. 87-88 : « En Orient, si


les congrégations enseignent le français, c‟est parce qu‟elles ne
peuvent faire autrement. On l‟enseigne partout : dans les écoles
turques, dans les écoles grecques, dans les écoles israélites, et si les
congrégations ne l‟enseignaient plus, cela ne nuirait qu‟aux
congrégations. »
65 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, lettre de Ruche à Besnard,
Beyrouth, 27 octobre 1933.

66 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, lettre de Ruche à Besnard,


Beyrouth, 6 avril 1933.

67 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban VE 43-65 », lettre de


Joseph Farhi au président du comité culturel de l‟Alliance israélite in
Paris, Beyrouth, 15 octobre 1923.

68 Archives du MAE/Nantes, SOFE, carton 258, « Rapport Besnard »,


1934.

69 Revue de l‟enseignement français hors de France, 26/1929, 80,


« L‟œuvre de l‟Alliance Israélite », p. 178-179 (extrait de « Paix et
Droit », 1929).

70 Cela correspond peut-être à l‟intérêt nouveau porté par certains


écrivains et artistes français pour le sionisme évoqué par Catherine
Nicault, op. cit., p. 151-152.

71 Parisot, Jean, Visite au Lycée Herzlia à Tel-Aviv, Revue de


l‟enseignement français hors de France, 26/1929, 78, p. 104-112,
p. 112. Cet article entraîna une controverse écrite entre Parisot et le
journaliste et écrivain André Thérive qui accusa Parisot de trahison.
Celui-ci se défendit contre ce reproche dans son article « Au confluent
du Grand Morin et du Barada (Réponse à M. André Thérive) », Revue de
l‟enseignement français hors de France, 27/1930, 82, p. 19-28. Dans
ses lettres à l‟administration à Paris, le directeur de l‟école de la
Mission laïque partageait du reste l‟opinion de Parisot : « M. Parisot a
bien mis en lumière la contradiction fondamentale des programmes et
des examens auxquels nous devons préparer et des principes de notre
action. » Archives nationales/Paris, 60 AJ 132, lettre de Ruche à
Besnard, Beyrouth, 22 janvier 1930.

72 Archives nationales/Paris, 60 AJ 132, « Comité de patronage »,


séance du 7 février 1929.
73 Cf. STILLMAN, op. cit., p. 371-375 ; L‟auteur reproduit un document
du conseil communal israélite de Beyrouth qui prit position pour un
Liban indépendant, mais garantissant les droits des minorités, en
particulier des juifs.

74 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban 1 C 1 », lettre du


directeur de l‟école de l‟Alliance israélite à Beyrouth au président de
l‟Alliance israélite à Paris, Beyrouth, 19 juin 1936.

75 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban VIIE 81-86 », lettre de


Penso au président de l‟Alliance israélite à Paris, Beyrouth, 15 juin
1939.

76 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban VIIE 81-86 », lettre de


Penso au président de l‟Alliance israélite à Paris, Beyrouth, 4 février
1940.

77 Archives nationales/Paris, 60 AJ 137.

78 Voir les lettres du directeur de l‟école de la Mission laïque Ruche au


secrétaire général de la Mission laïque, Besnard, les 16 juillet 1930, 4
août 1930, 28 août 1930, 17 février 1931 ; Archives nationales/Paris,
60 AJ 132.

79 Archives nationales/Paris, 60 AJ 136, lettre de Ruche au secrétaire


général de la Mission laïque, Beyrouth, 21 avril 1934.

80 Ce sont ainsi les rapports d‟inspection et de subvention de 1924.


Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique, 2e
versement, carton 31, « Rapports d‟inspection », « Subventions » ;
carton 137, lettre du délégué du haut-commissaire français au haut-
commissaire français, Beyrouth, 25 novembre 1937 : le Président du
conseil communal israélite de Beyrouth reçut une subvention de 300
livres libano-syriennes.

81 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique,


2e versement, carton 02, 1919-1920, « Écoles privées », « Note
circulaire » du haut-commissariat français.
82 NICAULT, op. cit., p. 144, 161.

83 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique,


2e versement, carton 1937, « Rapports d‟inspection ».

84 Pour preuve, la lettre de Sidi au président de l‟Alliance israélite, le 2


avril 1934 : « M. de Martel. Après le départ du Dr Weizmann pour
Jérusalem notre Haut Commissaire voulant témoigner sa sympathie aux
juifs, a annoncé la visite à la Communauté israélite de Beyrouth. J‟étais
présent à la réception. M. De Martel s‟est montré extrêmement
aimable. Il a loué la sagesse des groupements juifs du Liban et de la
Syrie et a fait allusion à la visite du Dr Weizmann. Il m‟a interrogé sur le
nombre de nos élèves et m‟a dit qu‟il connaît personnellement notre
Président et que notre Secrétaire Général est d‟un “antisionisme
farouche”. La Communauté israélite a été très flattée de l‟honneur que
lui a fait M. De Martel. » Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban 1
B 1-4 ».

85 Archives nationales/Paris, 60 AJ 136, lettre de Ruche à Besnard,


Beyrouth, 19 décembre 1933.

86 NICAULT, op. cit., p. 142 (Sarrail), 153 (Jouvenel), 154 (Ponsot).

87 Archives nationales/Paris, 60 AJ 130, « Comité de patronage »,


séance du 1er février 1927.

88 Archives de l‟Alliance israélite/Paris, « Liban VIIE 81-86 », lettre du


directeur de l‟école de l‟Alliance israélite à Beyrouth Penso au président
de l‟Alliance israélite à Paris, Beyrouth, 25 octobre 1939.

89 Archives nationales/Paris, 60 AJ 135, « Comité de patronage »,


séance du 10 mars 1933.

90 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique, carton


162, « Propagande étrangère », Rapport de Besnard à Bounoure, 29 mai
1940.
91 Archives du MAE/Nantes, Syrie Liban Instruction Publique, carton
130.

92 Décret Crémieux (1870).

93 Archives du MAE/Nantes, Syrie-Liban Instruction Publique, carton


170, lettre du directeur Latrouite à Bounoure, Beyrouth, 20 mai 1941.

94 Sur la base des lois du 7 octobre 1940, les juifs algériens se virent
privés de leur nationalité française. KASPI A., « Vichy et les
Juifs », SIRINELLI J.-F. (éd.), Dictionnaire historique de la vie politique
française au XXe siècle, Paris, Quadrige, 1995, p. 1243-1248.

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