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de Rome
Résumé
Des images de perfidie et de trahison accompagnent l'idée de complot et empêchent la revendication d'un tel procédé. De la
sorte le complot semble lié aux causes vaincues et la convenance efface la préparation des conspirations réussies. Ce fut le
cas de célèbres coups de majesté par lesquels des rois de France ont affirmé leur autorité contre le prestige concurrent d'un
ministre ou d'un rival politique. Les meurtres du duc de Guise par Henri III en 1588, de Concini par Louis XIII en 1617 ou
l'arrestation de Fouquet sur ordre de Louis XIV en 1661 furent de tels moments, où le roi était réduit à conspirer au sein de sa
cour et à préférer les voies du secret et de l'extraordinaire aux moyens publics et légaux accoutumés. Le secret et la ruse
étaient alors considérés comme des traits essentiels de l'art de gouverner et le complot devenait la démarche convenable et
obligée des résolutions politiques. Le roi conspirateur livrait ses desseins à un nombre minimal d'exécutants qui n'appartenaient
pas aux instances institutionnelles habituelles et qui étaient sollicités seulement comme amis et confidents du prince. Le succès
de l'entreprise dépendait du maintien du secret pendant la préparation, mais aussi de l'orchestration qui serait ensuite donnée à
l'événement, de manière à façonner l'opinion des contemporains et l'image transmise à la postérité. À longue échéance, de
telles actions préfigurent les missions des services secrets qui s'adjoignent les États-nations à partir du XIXe siècle.
Bercé Yves-Marie. Les coups de majesté des rois de France, 1588, 1617, 1661. In: Complots et conjurations dans l’Europe
moderne. Actes du colloque international organisé à Rome, 30 septembre-2 octobre 1993. Rome : École Française de Rome,
1996. pp. 491-505. (Publications de l'École française de Rome, 220);
https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1996_act_220_1_5000
Le temps de préparation
députés les plus liés aux Guise. François Du Plessis, prévôt de l'Hôtel
et grand prévôt de France, le père du futur cardinal de Richelieu,
entouré d'une trentaine d'archers prêts à tirer, procéda aux
arrestations dans la salle même des États. Selon Miron, médecin de
Henri III, ce fut le prévôt Richelieu qui le 25 décembre fit brûler par
l'un des bourreaux attachés à sa charge de prévôt les cadavres des
frères Guise, puis fit disperser leurs cendres dans la Loire. À vrai
dire, il est impossible de savoir exactement comment l'on disposa
des cadavres; les relations ligueuses décrivent un horrifique
découpage des corps par les valets de cuisine, version tendant à aggraver
encore l'indignation de l'opinion10.
L'arrestation, tournant en mise à mort de Concini, fut confiée
par Luynes à un capitaine des gardes du corps, le baron de Vitry qui
s'entoura de compagnons d'armes. Il avait reçu du jeune roi une
confirmation orale, mais ne suivait aucune forme de procédure. Ses
compagnons n'étaient pas là du fait de leurs fonctions dans les
gardes mais du fait de leur parenté ou amitié avec lui. Là aussi, au-
delà du meurtre de Concini, le coup d'État retrouva des figures
légales. Ce furent les compagnies des gardes du corps et des gardes
corses du colonel d'Ornano qui s'assurèrent du contrôle du Louvre,
de la diffusion immédiate de la nouvelle dans les rues de la capitale
et enfin de l'arrestation des ministres et des parents et amis de
Concini.
Lors de l'arrestation de Fouquet, Colbert ne communiqua
l'ordre oral à l'officier responsable que le matin même, le roi
ajoutant une confirmation orale elle aussi chuchotée dans une
embrasure de fenêtre. L'exécutant était le lieutenant de la compagnie des
mousquetaires gris Charles d'Artagnan. Les mousquetaires, troupe
d'élite de cavalerie légère, armée de mousquets, entraînée à la guerre
de mouvement et aux opérations de raid, pouvaient être appelés
aussi bien fusiliers, carabins ou chevau-légers. Pour des missions
ponctuelles liées au maintien de l'ordre, pour des services d'escorte
ou d'honneur, ils offraient aux États une sorte de main-forte
politique. Ils fournissaient des compagnies à la garde du roi de France
depuis environ 1630. Reconstituée en 1657, la compagnie des
mousquetaires de la garde servait d'escorte au roi qui en était réputé le
L'orchestration de l'événement
11 Voir la présentation des Trois Mousquetaires d'A. Dumas par Charles Sa-
maran, Paris, 1912.
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conseillers, voir P. de Vaissière, op. cit., p. 240 et 294. Sur l'opinion d'Épernon,
Mémoires de Jean Du Houssay, éd. P. de Vaissière, 1913.
14 H. Duccini, op. cit. , p. 322-336. Mémoires de Pontchartrain.
15 P. Boitel, Histoire mémorable de ce qui s'est passé..., Rouen, 1620; cf.
p. 325.
16 Mémoires de Montglat. Journal de Jehan Patte.
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