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Sadok Chaâbane LE RETOUR D’HANNIBAL ou la résurgence d’une époque

Sadok Châabane - 176 pages, format: 11 x 19 cm -


Maison Arabe du Livre - Décembre 2005.

LE RETOUR D’HANNIBAL
Traduit de l’arabe par Abderrazak BENNOUR,
ou .1998 ‫ ﺗﻮﻧﺲ‬،«‫»ﻋﻮﺩﺓ ﺣﻨﺒﻌﻞ ﺃﻭ ﺗﺠﺪﻳﺪ ﻋﻬﺪ‬
La résurgence d’une époque
Cet ouvrage est traduit en anglais sous le titre
«Hannibal redux: the revival of modern Tunisia»,
Tunis, Maison Arabe du Livre, 2004.

ISBN: 9973-10-225-8
Ordre éditeur: 300-69-25
Impression: ORBIS Impression - Z.I. Ksar Saïd - Manouba

Editeur et Distributeur:
Maison Arabe du Livre
4, avenue Mohieddine Klibi - 2092
Manar 2 - Tunis (Tunisia)
Tél: + 216 71 888 255 - Fax: + 216 71 888 365
e-mail: mal@gnet.tn

© Maison Arabe du Livre


Décembre 2005

Maison Arabe du Livre


À tous ceux qui ont servi la Tunisie, femmes et hommes, à
ceux-là qui nous ont légué cette histoire glorieuse.

« Le présent de la nation est le produit de son


histoire stimulante et de son aptitude à anticiper
l’avenir. Le passé avec son histoire et ses valeurs,
REMERCIEMENTS
et l’avenir avec que ses aspirations collectives tra-
cent tous deux les idéaux auxquels nous nous atta-
chons. En puisant aux sources de l’identité sociale, Cet ouvrage n’aurait pas pu voir le jour sans le sou-
le Changement se fait promesse d’actes créateurs, tien d’amis qui me sont chers.
en harmonie avec le cours du progrès. Il en devient
Car, autant je maîtrisais l’aspect idéologique, autant
authenticité, renouveau et création. »
me manquait la précision des données historiques et
la capacité à mettre en œuvre les événements. J’ai pu
Le Président Zine El Abidine Ben Ali. trouver ainsi auprès des historiens et des archéologues
Discours du 27 octobre 1989, soutien et encouragement. Ils ont accepté de lire mon
à l’occasion de la Journée de la Culture. projet et de me prodiguer leurs suggestions.
J’aurais le plaisir de citer M. M’hamed Hassine
Fantar, Ammar Mahjoubi, Abdelmajid Nabli,
Abderrazak Gragueb, Aïcha Ben Abed Ben Khedher.
Sans oublier Ali Salem, Mabrouk Mannaï, Abdelmajid
Chaâbane et d’autres de différentes disciplines avec les-
quels j’ai eu des échanges d’idées, qui ont partagé mon
initiative et m’ont encouragé à établir ce parallèle avec
l’histoire. Qu’ils trouvent tous ici mes remerciements.
DU MÊME AUTEUR :

SOMMAI RE
—An-nidhâm as-siyasi attounisi. (Le système politique e
tunisien). Maison Arabe du Livre. Tunis, 2005.

—Nihâyat at-târikh wa ‘awdat al-joghrâfia. Nahnu


wal-’awlama. Tunis. Éditions Babai. 1998. [trad. en fran-
INTRODUCTION ..................................................................................9 çais, Les défis de Ben Ali. Paris. Les éditions de l’Orient.
CHAPITRE I : L’histoire n’est pas le passé......................... 29 1999.]

L’histoire mutilée .................................................................. 31 — Ben Ali wattarîk nahw at-ta’addudya.Cérès diffu-


sion. Tunis, 1995. [trad. en français, Ben Ali et la voie
L’histoire oubliée ................................................................... 39
pluraliste. Cérès diffusion. Tunis, 1996. Et en anglais, Ben
CHAPITRE II : La grande ambition .................................... 55 Ali on the road to pluralism. Washington DC. American
CHAPITRE III : Formuler une idéologie .......................... 85 Educational Trust. 1997. Et, en russe, Moscou, Académie
des Sciences. 1996]
CHAPITRE IV : L’espace méditerranéen........................... 99
—Qânoun al-munadhamât ad-duwaliya. Centre de
CHAPITRE V : Y a-t-il des symboles ?............................. 117 Publication Universitaire. Tunis.

—Ben Ali, Bâtir une démocratie. De la démocratie des


Événements majeurs dans l’histoire de Carthage ... 131 croyances à la démocratie des programmes. Maison Arabe
du Livre. Tunis. 2005.

Notes ................................................................................................................. 139

7 8
INTRODUCTION traverse les limites de la pensée, pour accéder aux
fibres sensibles. Leur charge symbolique devient
essentielle, jusqu’à estomper sa méthodologie céré-
Il s’agit d’un ouvrage de politique et non pas brale.
d’histoire. Le lecteur n’y retrouvera point d’étude
Nous recommandons aux politiciens, enfants de
historique, mais bien plutôt une recherche en idéo-
logie. Le « retour d’Hannibal » veut dire pour nous la Tunisie, de revisiter l’histoire autant que faire se
la résurgence de la gloire de la Tunisie d’antan et la peut et de puiser dans notre passé ce qui fait leur
reconstruction de la grandeur de Carthage. fierté de Tunisiens et de Tunisiennes, parce qu’ils
ont un passé glorieux, susceptible d’aiguiser leur ar-
Hannibal n’est que le symbole, par nous choisi,
deur à relever les défis d’aujourd’hui, car cette tâche
pour être le référent et le stimulant. Car, chaque
nécessite aussi de l’enthousiasme.
idéologie recourt à une référence vulgarisatrice, à un
stimulant qui la rend capable de mobiliser les mas- Nous dirons aussi aux historiens, enfants de la
ses et de faire vibrer leurs sentiments.(1 ) Tunisie, qu’ils ont en plus de leurs fonctions scien-
tifiques une autre fonction civilisatrice. Car, les
En effet, la mondialisation que nous vivons ren-
Tunisiens et les Tunisiennes sont avides des ouvra-
force le recours à l’identité comme moyen de défen-
ges qu’ils écrivent sur l’histoire tunisienne. Nous
se, qui est la nouvelle dialectique qui caractérisera à
notre sens le nouvel ordre mondial. L’hégémonie du avons besoin de leur effort à marquer l’empreinte de
modèle occidental libéral sera contrebalancée par la la Tunisie sur son histoire et nous voudrions qu’ils
multiplicité des cultures et l’émergence des identités ne se laissent pas entraîner par ce qu’écrivent les
ethniques. C’est la porte d’accès à la survivance, pour autres sur notre passé. Nous leur dirons qu’un rôle
tous les peuples, en même temps qu’un outil d’enri- important les attend, un devoir national les appel-
chissement de la civilisation humaine commune qui le : celui de récrire l’histoire de la Tunisie, dans un
ne peut être que multiculturelle. nouvel esprit, afin d’en faire une référence concrète,
qui serve le présent et contribue à concevoir l’ave-
C’est pour cela que nous n’avons pas écrit ces pa- nir de la Tunisie et réaliser ses grandes ambitions.
ges uniquement par la pensée, mais aussi par le sen- Car, notre histoire n’est pas une époque isolée, ni des
timent. Car, l’idéologie à l’apogée de sa puissance

9 10
conquêtes, ni des successions de civilisations étran- Je me suis dit : « si cela provoque une telle sen-
gères. Notre histoire est une entité vivante, un riche sation chez le Président, alors que serait l’effet de
produit national, un trésor enfoui depuis des mil- ce discours politique sur l’âme du commun des
lénaires, qui a besoin d’être ressuscité et revitalisé. Tunisiens et des Tunisiennes !? »
Il nous incombe de le présenter à nos enfants, aux
Celui qui a prétendu que les idéologies sont mor-
générations futures, qu’on l’enseigne à nos jeunes
tes s’est trompé. S’est trompé aussi celui qui considè-
écoliers,(2) qu’on le cite dans les différents espaces
re que la politique est pur raisonnement. Tout sys-
publics, dans les partis, les clubs et les associations.
tème requiert une charge idéologique. De même, la
Nous en ferons notre source d’inspiration pour nos
réussite de toute politique est dans une large mesure
choix actuels et l’appui qui offrira à chaque Tunisien
tributaire d’une mobilisation psychologique.
et Tunisienne la confiance en soi et la fierté d’appar-
tenir à la Tunisie et la volonté de rechercher l’excel- C’est pour cette raison que j’ai voulu ajouter à
lence et l’innovation et de participer avec efficience nos références politiques existantes un ouvrage sur
à la civilisation universelle. l’idéologie, et de reproduire le courant général des
C’est ce que m’a dit une fois le Président politiques suivies dans la Tunisie d’aujourd’hui. J’ai
Zinelabidine Ben Ali, après sa visite au Japon, entrepris de contribuer à ancrer ces politiques dans
en juillet 1996 qui m’a incité à écrire cet ouvrage. le cœur des gens, et attiser leur enthousiasme, afin
Le Président a été frappé par l’admiration qu’ont que la Tunisie soit menée plus loin, dans la détermi-
les Japonais pour Hannibal et pour la grandeur de nation et la clairvoyance.(3)
Carthage. Il n’y a presque pas un discours dans le- Cette idéologie concerne la patrie entière. Car,
quel on ne cite les faits héroïques d’Hannibal et les l’histoire est la propriété de tous les Tunisiens et
victoires de Carthage. Le Président m’avait dit que de toutes les Tunisiennes. Le futur est un projet
chaque fois que le nom d’Hannibal est mentionné commun. Les défis sont communs et partagés. De
et le nom de Carthage prononcé, il ressentait se ruer même, tous les partis existants pointent sans nul
dans ses veines le feu sacré du patriotisme, l’orgueil
doute la dimension culturelle et incluent dans leurs
de cet éclat et une grande fierté d’appartenir à ce
programmes le défi de l’identité, mais avec des
glorieux pays.
approches différentes, comme nous verrons plus

11 12
bas. Toutefois, le Rassemblement Constitutionnel Nous voyons revenir Hannibal, après plus de
Démocratique a été, à mon sens, depuis sa fonda- 2000 ans. Et avec lui revient la gloire de la Tunisie
tion il y a 80 ans, le support véritable de cette idéo- et l’espoir d’une Méditerranée prospère.
logie. Et, il est resté jusqu’à aujourd’hui l’agent actif
Voilà l’un de ses portraits d’après une statue re-
susceptible de rendre au pays sa gloire passée.
trouvée en Italie et conservée au musée de Naples.
La Tunisie se doit aujourd’hui de profiter de la
présidence de Zinelabidine Ben Ali, pour valoriser
cette histoire glorieuse et participer au grand défi
des temps présents. Elle se doit de presser le pas
vers une présence internationale, afin d’être effi-
ciente, influente, comme elle l’a été antan. Elle se
doit de contribuer activement à la civilisation hu-
maine et non passivement, comme consommatrice.
Ce qui nous exhorte et motive n’est autre que cette
idéologie nationale dont nous nous proposons, dans
ces pages, d’éclairer les contours.
Nous sommes témoins de la formation d’une
idéologie monumentale. Elle revient de nos jours
dans toute sa force et sa splendeur, capable de sti-
muler l’enthousiasme des Tunisiens : ce n’est autre
que l’idéologie de la patrie.(4)
Nous assistons à la victoire de Carthage, alors
que les Romains ont prétendu qu’ils l’ont abattue
Hannibal pendant les années d’exil
à jamais.
Nous voyons le peuple tunisien, avec ses différen-
tes catégories sociales et ses sensibilités politiques,

13 14
avec toutes ses générations, dans ses villes et ses vil-
lages, retourner de nouveau à son histoire enterrée
dans chaque coin et recoin de sa terre, en rappeler
la grandeur, comparer et évaluer, et s’engager à lui
rendre sa gloire passée.
Près de l’endroit où Hannibal mit fin à sa vie,
en 183 av. J-C, sur les côtes de Marmara, au nord
de l’actuelle Turquie, on pouvait voir au premier
siècle de notre ère un tombeau modeste recelant sa
dépouille mortelle. Cependant, entre 193 et 211,
Septime Sévère, l’empereur africain de Rome, dans
les veines duquel coule un sang carthaginois, prit
l’initiative de recouvrir la tombe avec une planche de
marbre blanc, comme geste magnifiant Hannibal.
Car, on n’oublie pas un grand homme. Les Italiens,
surtout ceux du sud, sont restés jusqu’à nos jours Le jardin d’Hannibal à Gebze
respectueux de ses vertus et continuent à donner (Turquie), pour glorifier sa mémoire.
son nom à leurs enfants.
Mustapha Kemal Atatürk, le leader turc, était Et nous voilà aujourd’hui, et uniquement
plein d’admiration pour le général carthaginois. Il aujourd’hui, à l’ère du Président Ben Ali, nous prépa-
a ordonné pour honorer sa mémoire d’aménager le rant à choisir un sanctuaire pour Hannibal, qui soit
jardin de Gebze, à 70 km d’Istanbul, en sculptant digne de sa grandeur, dans sa ville natale, Carthage.
sur un grand rocher les traits d’Hannibal, accompa- Nous rendrons ainsi la mémoire d’Hannibal à la
gnés de l’inscription en différentes langues : « Par Tunisie en l’honorant après un intervalle de 2200
ordre d’Atatürk, pour honorer Hannibal ».(5) ans, comme le grand héros qui a immortalisé le nom

15 16
de la Tunisie et qui a élevé sa civilisation au sommet, tion et de sécurité, sans hégémonie d’aucune partie.
à jamais dans la mémoire des hommes. C’est ce que nous voudrions qu’elle soit aujourd’hui,
dans l’esprit du partenariat méditerranéen. Parité,
Hannibal a quitté la Tunisie pour l’Espagne,
corrélation et dialogue continu. Ce qu’Hanni-
quand il était encore enfant, âgé à peine de 9 ans,
bal voyait en la Méditerranée, en tant qu’espace
en compagnie de son père le général Hamilcar,(6) en
de coopération et de sécurité, revient de nouveau
237 av. J-C, afin de défendre Carthage et les inté-
aujourd’hui, comme si l’histoire se répétait. Nous
rêts de Carthage. Il a quitté de nouveau la Tunisie,
voyons ainsi cette idée stimuler notre leader national
en 195 av. J-C. pour aller vers l’Orient cette fois-ci,
Ben Ali, l’exprimant explicitement dans ses discours
parce qu’il a choisi l’exil. Le voilà de retour chez lui,
et la concrétisant dans beaucoup d’initiatives.
avec sa mémoire et sa renommée, 22 siècles après.
Hannibal ne faisait que lutter contre l’hégémo-
Ce qui nous a poussé à nous attacher à Hannibal
nie de Rome. Il n’a jamais voulu sa ruine. C’est pour
et à le choisir comme symbole de résurgence de no-
cela, quand il se dirigea vers Rome dans une grande
tre grandeur, c’est sa personnalité accomplie. Car,
armée, à partir de l’Espagne, traversant les Pyrénées,
autant il est connu comme l’un des plus grands stra-
le Rhône, les pics des Alpes, et après avoir rem-
tèges militaires, autant il a excellé dans l’art de la
porté plusieurs victoires(7), spécialement à Cannes
diplomatie et de la politique. Il n’a jamais été hostile
en Italie (216 av. J-C), il n’a pas songé à détruire
vis-à-vis des autres peuples. Au contraire, il a tou-
Rome, comme ont fait les Romains avec Carthage,
jours cherché à contracter des alliances et à coexis-
à la suite des batailles qui se sont terminées en 146
ter pacifiquement, dans le sens d’un ordre mondial
av. J-C.(8) Il aurait pu alors marcher sur Rome, la
méditerranéen susceptible de garantir l’équilibre
détruire et la soumettre. Selon plusieurs analystes,
et d’assurer la coopération. Carthage était un État
l’histoire aurait pris un tout autre tournant.(9) Mais
mercantile et ne devient un État guerrier qu’en cas
il n’a jamais voulu détruire Rome. Et il n’a jamais
de nécessité. De même a été la Tunisie à travers les
pensé substituer une autre hégémonie à l’hégémo-
périodes qui ont suivi et jusqu’à nos jours.
nie de Rome. Il a voulu au contraire construire un
Hannibal portait en lui-même le projet de la nouvel ordre méditerranéen, pluraliste, fondé sur la
Méditerranée, en tant que mer de paix, de coopéra- coexistence pacifique et la coopération.

17 18
Hannibal était parmi les méditerranéens celui
qui a le plus connu ses terres et ses eaux. Car, depuis
sa tendre enfance jusqu’à sa mort, sur plus de 65 ans,
il n’a cessé de fréquenter la plupart des villes de la
Méditerranée. Il s’est familiarisé avec ses ports, ses
champs, ses monts, ses rivières, ses États et ses tri-
bus. Il a vécu en symbiose avec ses peuples et ses rois
et a appris la plupart de ses langues. Il suffit qu’on

Carte du périple d’Hannibal en Méditerranée


suive l’itinéraire d’Hannibal, celui qui a été tracé par
les historiens, dans la Grande Mer intérieure, pour
s’apercevoir que c’est Hannibal qui est le véritable
précurseur du concept méditerranéen.
La Tunisie est née de la Méditerranée. Elle
a vécu au centre de ses civilisations, a connu tous
ses secrets et toutes ses aspirations. L’histoire de la
Tunisie, c’est l’histoire de la Méditerranée. Ses civi-
lisations, ses cultures, son commerce, sa diplomatie
sont aussi ceux qu’a connus la Méditerranée.

19 20
Carthage a joué un grand rôle dans la construc- et la maîtresse de la Méditerranée. Nous avions vou-
tion de cette Méditerranée. Elle y joue de nos jours lu que l’histoire soit notre stimulant et que Tunisiens
assurément le même rôle. Car, les hommes qui ont et Tunisiennes s’en imprègnent afin qu’ils évaluent
façonné sa gloire sont nos ancêtres. Et comme ils à sa juste hauteur le niveau qu’ils doivent atteindre.
ont été capables d’élever la civilisation méditer- Cette histoire, nous ne la connaissons pas comme
ranéenne dans le passé, leurs descendants se doi- il se doit. Si les autres l’ont estompée, c’était notre
vent à présent d’être en mesure de s’acquitter de la responsabilité de l’avoir délaissée.
même dette.
Certains d’entre nous en savent beaucoup sur
C’est en somme ce que nous voudrions mettre en Napoléon Bonaparte, mais ne savent rien sur
exergue dans cet ouvrage. Car, notre histoire nous Hannibal. Alors que Napoléon, était dès son jeune
dicte d’accomplir un devoir auquel nous ne pou- âge plein d’admiration pour Hannibal. Et quand
vons renoncer. Et comme nous avons été des par- il s’est fait peindre sur son destrier traversant les
ties actives, il nous incombe aujourd’hui d’y revenir Alpes, il a gravé, sur le rocher qui lui servait de
en tant qu’intervenants actifs. Le climat de liberté piédestal, le nom d’Hannibal, qui l’a précédé dans
et d’ouverture qui avait marqué cette époque, qui a cette entreprise. C’était l’image officielle qui avait
engagé Carthage dans la voie de l’excellence, revient sa préférence(10) et que nous avons voulu reproduire
aujourd’hui dans le cadre du partenariat et de la dans cet ouvrage, pour honorer Napoléon, comme il
mondialisation. Les Tunisiens doivent le considé- a honoré lui-même Hannibal.
rer comme un accès vers l’excellence et un espace
de créativité. Car la Tunisie d’aujourd’hui, comme
la Carthage du passé, est d’autant plus forte que la
compétition est ouverte et la liberté d’initiative of-
ferte aux individus comme aux entreprises.
Pour toutes ces raisons, nous avions voulu que
notre idéologie nationale démarre de là où elle doit
démarrer. Démarrer de Carthage, l’empire de la mer

21 22
si les deux hommes ayant la même grandeur ont
partagé le même sort : Napoléon a été exilé de son
pays, après de merveilleux faits héroïques, tout
comme Hannibal s’est exilé de Carthage, après
l’avoir servie depuis sa plus tendre enfance et après
avoir passé la moitié de son existence à guerroyer
hors de ses frontières pour la défendre. Voilà ce que
Napoléon écrit :
« Et cet Hannibal, le plus audacieux de tous, le
plus étonnant peut être. Si sûr, si large en toutes
choses, qui, à 26 ans, conçoit ce qui est à peine con-
cevable, exécute ce qu’on devait tenir pour impossi-
ble, qui renonçant à toutes les communications avec
son pays, traverse les peuples ennemis ou inconnus,
qu’il faut attaquer et vaincre, escalade les Pyrénées
et les Alpes qu’on croyait insurmontables et ne des-
cend en Italie qu’en payant de la moitié de son ar-
mée la seule acquisition de son champ de bataille,
Bonaparte traversant les Alpes
(Le nom d’Hannibal est inscrit sur le ro- le seul droit de combattre, qui occupe, parcourt et
cher en dessous de celui de Bonaparte) gouverne cette même Italie seize ans, met plusieurs
Peinture de Jacques Louis David fois à deux doigts de sa perte la terrible et redou-
(Musée de Versailles) table Rome et ne lâche sa proie que quand on met
à profit la leçon qu’il a lui-même donnée, d’aller
combattre l’ennemi chez lui. »11
Bonaparte a été encore plus loin. Car, durant ses
années d’exil, il a écrit à propos Hannibal ce que
personne n’a jamais écrit de plus admirable. Comme

23 24
Il y a un autre exemple des contradictions de no-
tre connaissance de l’histoire. Beaucoup d’entre nous
connaissent, dans les détails, la vie de Louis XIV, le
célèbre roi de France. Ils connaissent ses faits et ges-
tes et les noms de ses amantes. Mais aucun d’entre
nous ne sait que Louis XIV a ordonné qu’on élève
une statue d’Hannibal à Versailles. Cette statue se
trouve actuellement au musée du Louvre à Paris.
On doit à Ali Salem, l’un des membres du club
Hannibal, qui a un engouement sans limite pour la
collecte des faits d’Hannibal et de tous les vestiges
de notre glorieux passé, d’avoir pris cette photo dans
ce musée. Cette statue a été commanditée par Louis
XIV pour être installée dans l’allée royale du château
de Versailles à Paris : le prototype a été préparé en
1687, mais la sculpture de ce marbre s’est poursuivie
jusqu’en 1704. Et en 1696, le monarque a comman-
dité une statue de Jules César, le grand général ro-
main qui a ordonné la reconstruction de Carthage
en 46 av. J-C. Elle était destinée à être placée, elle
aussi, dans l’allée royale, en face de la statue d’Han-
nibal. Sur l’image, on voit Hannibal portant les ba-
gues que portaient les grands généraux romains, qui
ont été vaincus ou tués lors de la bataille de Cannes,
en 216 av. J-C. et qu’Hannibal projetait de remettre
Statue d’Hannibal, au musée du Louvre. au gouvernement de Carthage.
Paris, commanditée par Louis XIV.

25 26
L’argumentaire de ce livre n’est pas facile. C’est —Quatrièmement, il s’agit de cet espace mé-
un mélange de politique et d’histoire, chacune exi- diterranéen qui demeure comme il a toujours été
geant rigueur et sensibilité. Il joint notre passé à depuis des millénaires, la source nourricière de la
notre vécu. Car, sans cette connexion nous n’attein- Tunisie, son débouché et l’espace vital de toutes ses
drons pas notre objectif et ne pourrons pas présen- activités et de ses échanges.
ter de spécimens prouvant entre autres que l’histoire
—Cinquièmement, rechercher dans les événe-
se répète. C’est pour cela que j’ai choisi de faire en
ments et les figures emblématiques qui résument ce
sorte que cette construction ardue ait un corps de
qui précède, les simplifier sous forme d’un ouvrage
politique et une âme d’histoire. Et, je l’ai organisée
de référence, facile d’accès, ce qui explique pour-
selon cinq idées principales :
quoi nous l’avons appelé « Y a-t-il des symboles ? »,
—Premièrement, l’histoire n’est pas le passé, en voulant dire par là quels symboles avons-nous pour
appelant par la même occasion à récrire l’histoire, à notre idéologie nationale, en mesure de garantir sa
la relire de nouveau et la diffuser à grande échelle. diffusion et sa pénétration en profondeur ?
—Deuxièmement, la Tunisie d’aujourd’hui est
animée par une grande ambition. C’est une ambi-
tion qu’elle ne pourra réaliser que si l’effort de dé-
veloppement actuel soit étayé par une mobilisation
psychologique, fondée sur la résurgence de la gran-
deur de la Tunisie et la diffusion de la culture de
l’excellence et de la créativité.
—Troisièmement, l’idéologie elle-même a be-
soin d’être repensée. Cette idéologie que nous
avons dénommée l’idéologie de la patrie et qui re-
flète les grandes options de la politique tunisienne
d’aujourd’hui, celle de l’ère du Président Ben Ali.

27 28
inciter et nous nourrir. Nous serons à même de la
respirer, de la vivre, de la palper dans chaque empan
CHAPITRE I
de notre terre, dans chacun de nos monuments, dans
L’histoire n’est pas le passé chacune de nos légendes et dans la plupart de nos
coutumes et de nos traditions. La Tunisie partage
avec beaucoup d’autres peuples de la Méditerranée
Que l’histoire n’est pas un passé révolu mais un
et d’ailleurs une histoire riche et bien garnie que
présent vécu est une vérité générale que nous ne
l’humanité ne peut oublier.
faisons que rappeler.(12) Il fait partie de la nation.
Il constitue sa mémoire, sa conscience et ses ambi- L’histoire n’a pas été injuste à notre égard. Il
tions. Il est ce qui persiste dans sa géographie et sa est même à craindre que ce soit nous qui ayons été
démographie. Il reflète les réalisations de la nation injustes à son égard. Car, nous n’avons pas tenu à
et ses potentialités actuelles. Il est ses philosophes et réécrire notre histoire dont les grandes parties ont
ses héros, le thésaurus de son savoir, ses sensibilités été altérées par les autres. Ils ont disloqué son unité
et ses espérances. et l’ont morcelée en époques isolées ou des chapi-
tres assemblés dans des livres qui racontent d’autres
Un peuple sevré de son histoire coupe les racines
civilisations. Nos parents n’ont pas tenu à ce qu’on
qui le nourrissent et élimine l’appui qui le soutient,
reçoive notre histoire comme il se doit à tel point
la base sur laquelle il se tient.(13) Voilà la raison pour
que la plupart d’entre nous ont failli l’oublier.
laquelle il est essentiel qu’on rappelle notre histoire
à chaque fois que nous avons à prendre une déci- Il nous incombe aujourd’hui de poursuivre l’ef-
sion ou à opter pour un choix. Il est nécessaire aussi fort entamé. Nous devons récrire notre histoire et,
qu’on s’imprègne de notre histoire, d’enseigner ses en priorité, lui insuffler la vie et lui redonner un
valeurs et leurs leçons aux jeunes générations à telle sens. Nous nous devons, de nos jours, propager no-
enseigne qu’elle devienne une partie de nous-mê- tre histoire aussi large que possible, pour que ne se
mes tellement profondément enracinée dans nos
consciences qu’on n’a pas à la rappeler. C’est elle au
contraire qui surgit en nous pour nous guider, nous

29 30
répète pas la même faute, celle de son omission de la Jusqu’à récemment, nous étions dans l’ignorance
mémoire nationale.(14) de l’histoire de Carthage hormis trois grandes bri-
bes : l’histoire d’Élissa, les guerres puniques et la
Le retour d’Hannibal signifie la résurgence de
« destruction » de Carthage. C’était ainsi que les
l’histoire vraie, la mise en évidence des actes hé-
manuels scolaires, qui constituaient l’entrée sensible
roïques et des réalisations dont nous sommes fiers.
à l’apprentissage de la culture nationale, résumaient
Cela signifie aussi l’implication dans la défense
sept siècles d’histoire, de 814 av. J-C. à 146 av. J-C.
d’une idéologie nouvelle qui est celle de hisser la
Alors qu’on présentait la période qui suit celle de
Tunisie d’aujourd’hui au rang de son héroïsme pas-
Carthage, c’est-à-dire celle de l’Afrique romaine, qui
sé, de ses réalisations éternelles et de sa grandeur
s’est étendue sur 8 siècles y compris l’époque byzan-
que personne ne peut nier.
tine, comme une sombre période de colonisation,
qu’on enseignait aux élèves comme une parenthèse.
L’histoire mutilée : Est-ce ainsi qu’on passe au-dessus de 14 siècles
La Tunisie n’a pas écrit elle-même son histoire. d’une histoire aussi riche, dont on perçoit encore
Ce sont les autres qui s’en sont chargés,(15) Grecs, les traces dans notre terre, dans notre architecture,
Romains, Byzantins, Turcs et Français. Sur trois dans notre langue et dans nos traditions ? Est-ce
mille ans au moins, qui correspondent à la période ainsi qu’on résume l’histoire de la plus grande puis-
documentée, ce sont les autres qui nous ont décrits. sance qu’a connue le monde à cette époque, à sa-
Des époques isolées et sans âme. Une succession voir l’empire de Carthage ?(16) Est-ce ainsi que nous
d’événements et des vérités lacunaires. Jusqu’à ré- exprimons sa fin, usant de la phrase de Caton, qui
cemment, nous sommes restés comme satisfaits appelait le Sénat romain à « détruire » Carthage ?(17)
d’une histoire qui nous a été imposée par les autres, Est-ce ainsi qu’on représente l’époque romano-afri-
des analyses et des interprétations des autres, d’une caine de l’histoire de la Tunisie, comme s’il s’agissait
terminologie qui a été produite en dehors de notre d’une phase transitoire ou d’une mésaventure de
terre et qui ne reflète pas notre conscience nationale. l’histoire ? Alors que cette période a duré 8 siècles,
Notre histoire en devient mutilée et défigurée. de 146 av. J-C à 698 J-C, si l’on considère la con-

31 32
quête de Carthage par Hassen Ibn Noôman comme principe leur patrie et leur culture. Ils ont ensuite
le début de l’ère suivante. mis leur énergie au service de la nouvelle culture,
à telle enseigne que les Berbères sont devenus les
Sur cette terre qui est la nôtre a fleuri une civi-
plus grands défenseurs non seulement de l’islam,
lisation afro-romaine qui n’a cessé de se distinguer
mais aussi de la langue et de la culture arabes dans
de la civilisation romaine proprement dite. Dans la-
sa forme la plus cristalline.(18) Il n’y a rien qui jus-
quelle la personnalité tunisienne ne s’est pas flétrie,
tifie de nos jours l’oubli ou le désaveu des siècles
mais est demeurée vive, ses enfants ayant participé
passés.
activement à façonner sa civilisation et ont contri-
bué dans le cadre du grand empire romain élargi, à Le plus étrange dans tout cela, c’est que notre
influencer le sort du monde en ces temps-là, à tel histoire arabo-musulmane elle-même nous a été
point que l’un de ces africains, Septime Sévère prit présentée jusqu’à récemment, comme si c’était les
les commandes de l’empire de 193 à 211, puis son fils autres qui nous l’ont façonnée. Nous avons l’air
Caracalla, après lui, pour plusieurs autres années. d’être des consommateurs de civilisations extérieu-
res dont nous n’en faisons pas partie et sans y avoir
Jusqu’à très récemment, nous avons continué à
été des agents actifs.
étudier les révoltes de Kuceila et de la Kahéna du
point de vue du conquérant que nous étions, en ces Les spécialistes pourraient penser qu’il y a quel-
temps-là. Nous célébrons leur défaite et l’écrasement que exagération dans mes propos, parce qu’il y a
de la « révolte des Berbères » et la disparition de quelques écrits précédents qui ont mis en exergue les
leurs coutumes. Si l’usage d’une telle terminologie contributions effectives de la Tunisie et son rôle dans
était prévisible en ces temps, il n’est pas normal que la propagation de l’islam, comme religion, comme
cela continue ainsi jusqu’à nos jours. L’avènement langue et comme civilisation. Mais nous leur dirons
de l’Islam a certes été un grand tournant dans notre que ce qui est profondément ancré dans la conscience
histoire et nous en sommes très fiers. La Tunisie en du peuple ne correspond pas à cela et que la Tunisie
a tiré grand profit, en son temps. Toutefois, rien ne n’a cessé d’être présentée comme si elle n’était que
justifie l’occultation des actes héroïques de Kuceila consommatrice de l’Islam, et non comme agent actif,
et de la Kahéna, étant donné qu’ils ont défendu en cet islam qui l’a enrichi et renforcé.

33 34
La Tunisie a joué un grand rôle dans la diffu- les autres ? C’est un appel à nos historiens et nos
sion de l’islam dans les contrées d’Afrique du Nord, élites afin qu’ils poursuivent la tâche, scientifique
au sud du Sahara, en Andalousie et dans d’autres et didactique, culturelle et médiatique, pour rendre
lieux de la Méditerranée et de sa sauvegarde, grâce justice à notre patrie, mettre en valeur notre civilisa-
à Kairouan, la Zitouna et Mahdia. Ce rôle mérite tion, en faire un appui pour pousser nos générations
qu’on le présente sous une forme équitable et non à retrouver notre gloire ancestrale.
sous forme de signes et de noms. Il est nécessaire
L’histoire tunisienne est longue et profondément
aujourd’hui de mettre en valeur cette contribution
enracinée dans le temps. Les civilisations qui se sont
et d’en délimiter les contours afin de rendre justice à
succédé, se sont mélangées à elle sans la remplacer,
nous-mêmes, renforcer notre confiance en les capa-
mais en l’enrichissant et en fusionnant avec elle dans
cités de nos enfants et barrer la route à ceux qui vien-
un même moule.
nent nous donner des leçons d’islam et d’arabité.
Nous n’avons jamais vécu aux dépens des autres,
Nous devons apprendre à nos enfants qui était
ni n’avons été un butin pour quiconque. Nous avons
Tarek Ibn Ziad, le conquérant de l’Andalousie qui
toujours pris ce qui est utile et rejeté ce qui est fu-
a donné son nom à Gibraltar et qu’on leur ensei-
tile. Nous avons toujours été présents comme agents
gne qui est Assad Ibn Al-Furat qui a étendu la lu-
actifs. Les civilisations qui sont venues à nous ont
mière de la Tunisie musulmane du Ribat de Sousse
autant pris chez nous qu’elles nous ont donné. Nous
jusqu’au sud de l’Italie et qu’on fasse connaître qui
les avons transformées en moyen pour appareiller
est Jawhar as-siqilli le fondateur du Caire, et bien
vers des espaces plus vastes.
d’autres encore.
Si vous prenez notre période islamique, par
Les Tunisiens et les Tunisiennes ont accompli
exemple, depuis la fondation de Kairouan et la con-
des faits héroïques et ont réalisé de grandes réussi-
quête de Okba Ibn Nafaâ en 670, elle n’a été ni une
tes que l’histoire politique n’a pas marquées en leurs
histoire importée ni une histoire soumise. Car, vis-
noms. Alors, à quand la rectification de l’histoire ?
à-vis de l’islam, par exemple, nous n’avons jamais
Quand le lirons-nous comme entité nationale dy-
été simplement consommateurs de cette religion
namique, non comme des époques façonnées par
que nous avons aimée et adoptée. Au contraire,

35 36
nous l’avons sauvegardée et propagée tout le long dans l’histoire ? Comment les enfants de Kasserine,
des siècles. C’est avec cet authentique islam malé- du Kef, de Kébili, de Tataouine et de Gabès ne se
kite, modéré et fort, que la Tunisie a réussi à plu- réjouissent-ils pas de savoir que leur terre abonde en
sieurs époques à repousser les prêcheurs d’un islam vestiges archéologiques qui remontent à des milliers
défiguré, au temps des Sanhajites, ou à d’autres épo- d’années ?
ques. C’est avec cet islam authentique que le peuple
Nous avons toujours prêté attention aux efforts
tunisien s’est bien armé pour résister aujourd’hui
renouvelés que fournissent nos historiens et nos ar-
aux prêcheurs de l’intégrisme religieux, étrangers à
chéologues. Et nous mettons tous nos espoirs dans
nos valeurs et à nos traditions, celles que nous avons
cette nouvelle école tunisienne d’historiographie
héritées des siècles passés.
qui considère désormais l’histoire sous cet angle,
C’est cela notre histoire sans doute. Mais c’est éprise du potentiel civilisationnel tunisien, cher-
encore plus que cela. C’est une histoire plus longue, chant à rectifier les choses. Cette école compte des
riche d’époques qui nous sont chères et qu’il nous historiens de renommée internationale, dans les mi-
est très pénible d’occulter. Car, il y a plus de 14 siè- lieux académiques ou non académiques et qui ont
cles sur lesquels nous n’avons pas tous les détails et fait entendre de nouvelles vérités dans les amphis
dont nous n’avons pas saisi toute la signification et des facultés et des espaces publics. Ils ont suivi une
dont nous n’avons pas joui de toutes les richesses. voie ardue, mais une voie juste. Une grande œuvre,
Nous n’avons mis à profit ni sa gloire ni ses actes complexe et dure, les attend.(19)
héroïques. D’autres siècles avant ceux-ci dont nous
Je crois que la meilleure rectification est celle
ignorons encore tout, mais dont la connaissance
qui concerne les contenus pédagogiques et culturels
rempliera les Tunisiens de fierté et animera en eux
que nous présentons à nos générations futures. Et
un autre engouement et une plus grande détermina-
si nous désirons implanter en Tunisie une nouvelle
tion. Comment les enfants de Gafsa ne s’enthousias-
culture politique, le point de départ n’en peut être
ment-ils pas d’apprendre que leur histoire remonte
que celui-là. Le Président Ben Ali avait raison d’en-
à plus de 10 mille ans, quand on leur montre des
tamer le redressement culturel à partir de l’école. Il
images et les plus importantes découvertes qui re-
a ordonné depuis 1991 de refaire les programmes et
flètent la grandeur de leur terre et son enracinement

37 38
les manuels d’histoire. On a donné ainsi à la Tunisie Et quoique le premier rôle de la rectification de
son passé dans son intégralité et sa complétude, en l’histoire revient aux historiens et aux spécialités co-
lui insufflant un nouvel esprit. Car, chaque période rollaires, le rôle de la vulgarisation de la conscience
de notre histoire est une partie de nous-mêmes et historique en incombe aux autres sphères de com-
nous ne renions aucune d’elle.(20) Il est de notre de- pétence, en usant d’autres techniques.
voir de l’enseigner à nos enfants et de les éduquer
L’initiative partira peut-être là encore de l’école.
sur la base de ses valeurs et de ses principes, sans
Nous avons déjà signalé dans les paragraphes précé-
préjudice ni marginalisation. Telle est notre identité
dents les efforts fournis dans ce sens et la nouvelle
nationale ou la spécificité tunisienne que la Tunisie
dynamique qu’on a introduite dans la rectification
d’aujourd’hui a commencé à inculquer à notre jeu-
des manuels scolaires. Nous assistons de nos jours
nesse et à nos enfants.(21)
à une réelle révolution, que ce soit dans l’ensei-
gnement de l’histoire ou des autres matières qui se
ressourcent dans l’histoire comme la langue, la géo-
L’histoire oubliée :
graphie, l’éducation civique, entre autres. L’enfant
Notre histoire est non seulement mutilée, mais a désormais un regard plus global et plus pondéré
elle est demeurée aussi jusqu’à récemment reléguée qu’il n’a jamais eu de par le passé. Et, du fait que la
aux oubliettes. Aucun de nos jeunes ne la connaît réforme est un processus continu, le Président Ben
et même les adultes ne la connaissent pas comme Ali a appelé le Bureau Politique du Rassemblement
il se doit. Il se pourrait que certains ont pris con- Constitutionnel Démocratique, en 1996, à procé-
naissance de certaines périodes de l’histoire tuni- der à une évaluation supplémentaire des nouveaux
sienne, tout en en omettant d’autres, sans s’impré- programmes d’histoire et de vérifier leur aptitude
gner réellement de la totalité de cette histoire en à relever l’esprit national, en focalisant sur l’histoire
tant que culture authentique qui a connu de mul- de la Tunisie, en tant qu’histoire souveraine et opé-
tiples interactions avec les autres civilisations de la rante, ni servile, ni marginalisée.
Méditerranée. Pour cette raison, on ne peut dire
La nouvelle culture politique, que nous dénom-
que ceux-là connaissent l’histoire, ni qu’ils ont vécu
merons « culture du changement », commence pour
à travers elle l’esprit tunisien.

39 40
l’enfant à ses premiers stades d’apprentissage, avant nectée. Mais, il s’agit ici de priorités et nous pen-
et après avoir intégré l’école. Il nous incombe de lui sons qu’il est préférable que les heures consacrées
apprendre l’histoire de son pays et de le rendre en à ce premier âge de l’enfance doivent être limitées
mesure de connecter ses différentes périodes, de à l’histoire tunisienne et à celles qui l’ont influen-
s’inspirer des valeurs de son peuple et des faits héroï- cée directement. Quant aux autres civilisations, el-
ques de ses grands hommes, des luttes de ses héros, les seront enseignées à d’autres niveaux et avec des
afin qu’il prenne conscience de la grandeur de cette moyens différents, à ceux qui désirent se spécialiser
histoire et en même temps des rôles que la Tunisie ou en savoir davantage.
est appelée à jouer dans le monde de demain.
Cette ère, l’Ère Nouvelle, est assez fière de pré-
Quiconque examine de près les programmes et senter l’histoire d’une manière plus équitable et plus
les manuels d’histoire, peut observer qu’ils suivent efficiente et de voir l’histoire de la Tunisie remonter
désormais un précepte général selon lequel nous à la surface, de se défaire de ces vieux manuels qui
n’enseignons à nos enfants, dans les premiers cycles, l’ont disloquée, qui l’ont mutilée ou qui ont occulté
l’histoire des autres peuples que si elle est en rela- ses meilleures pages et ses meilleurs épisodes.
tion étroite avec notre histoire, ou si elle a une inci-
Il est vrai que le président Bourguiba avait une
dence directe sur sa saisie. De même, l’enseignement
vision globale de l’histoire et qu’il avait à diverses
de l’histoire comparée doit certainement fournir à
occasions cité en exemple Hamilcar, Hannibal et
l’enfant une perception plus large et une meilleure
Jugurtha et qu’il n’a pas oublié ces époques impor-
appréciation de notre histoire nationale. Quant à
tantes de notre histoire nationale. Mais, il insistait
enseigner l’histoire des autres peuples, que ce soit
davantage sur ses propres faits et gestes lors de la
en Méditerranée, d’Est ou d’Ouest, d’une manière
lutte pour la libération nationale à telle enseigne
isolée et autonome, cela ne se fera que dans les cy-
qu’il a voulu récrire l’histoire dans cette optique
cles avancés ou spécialisés, sinon dans les sphères
personnelle. Ainsi, la période de libération y a oc-
culturelles générales, en dehors de l’école.
cupé la part du lion. Il avait représenté le peuple
Il est indubitable que l’histoire de l’humanité est tunisien avant l’indépendance comme une poussière
importante en soi parce que celle-ci est intercon- d’individus, sans État, sans unité et sans continuité.

41 42
Aujourd’hui, nous entreprenons la rectification, pour créer la nouvelle culture politique à laquelle
en toute équité et dans l’impartialité. Ainsi, tout nous aspirons.
en valorisant la lutte pour l’indépendance, du fait
Les journalistes ont à ce niveau un rôle impor-
qu’elle constitue la partie qui influence directement
tant à jouer. Ils ont commencé à le mettre en pra-
le présent, marquant encore divers aspects de la vie
tique, que ce soit dans les médias écrits ou audio-
quotidienne des Tunisiens, nous avons réhabilité les
visuels. Dans la presse, les pages relatives à l’histoire
autres phases de l’histoire, sans marginalisation ni
tunisienne commencent à se multiplier. Notre radio
suppression, et spécialement l’histoire ancienne et
nationale et nos écrans de télévision parlent désor-
arabo-musulmane. On a ainsi désormais une nou-
mais de notre histoire nationale, de ses héros et de
velle lecture de l’histoire qui met en valeur une en-
ses monuments. De même, la présentation de l’in-
tité authentique, bien enracinée dans le temps, do-
formation a changé, le contenu est devenu authen-
tée d’une riche civilisation qui s’étend sur plusieurs
tiquement tunisien et non pas un accessoire assu-
millénaires.
jetti. Nous devons avoir à cœur de faire en sorte que
En dehors de l’école, dans les autres sphères de les outils de diffusion de notre histoire aillent de
la vie civile, comme les partis et les associations, pair avec les nouvelles technologies et qu’on four-
et lors des différentes circonstances nationales et nisse les réseaux de communication et les bases de
dans les divers médias, nous avons toujours besoin données en informations sur notre trésor culturel
d’outils adéquats pour diffuser l’histoire nationale et historique.
à plus vaste échelle et nous souhaitons voir notre
En face de la mondialisation et de ce qu’elle
élite jouer un rôle plus grand, dans les différentes
implique comme compétition dans le domaine de
spécialités.
l’information, faire connaître notre histoire et notre
Encore une fois, nous dirons que notre histoire civilisation, sera une condition sine qua non de no-
n’est pas seulement mutilée, mais qu’elle est aussi tre survie et la confirmation de notre identité. De
perdue, oubliée. Car, ce que nous en savons n’est pas même, la civilisation est devenue de nos jours produit
diffusé à grande échelle et il n’est pas exploité à fond d’échange et une nouvelle profession qui permet de
multiples opportunités d’embauche, spécialement

43 44
dans le domaine de l’audio-visuel. On peut dire que Le type architectural commence à s’inspirer
la Tunisie a des richesses incommensurables et une de l’histoire. Plus de créativité dans ce domaine
matière première qu’elle n’a pas encore exploitée à permettra de procurer plus de beauté à nos villes
fond, qui consiste en son trésor culturel et la masse et à nos villages, de nous réconcilier avec l’histoire
d’informations qu’elle peut offrir aux autres. et d’aboutir à l’excellence qui est seule en mesure
d’imposer notre présence parmi les modèles urba-
Nous avons besoin, aujourd’hui, d’une synergie
nistiques étrangers.
d’efforts entre les différents spécialistes des sciences
de la civilisation et des experts en communication Tout est culturel et toute culture n’est que l’ac-
et autres technologies de l’information pour relever cumulation positive de l’histoire. La tâche qui nous
deux défis stratégiques : le défi de l’identité, qu’on attend est immense et la rectification a besoin de
relèvera en diffusant à grande échelle notre histoire beaucoup de temps. Malgré les réalisations, il reste
et notre civilisation comme produit nouveau ; et le des zones d’ombre dans notre histoire nationale, sur
défi du développement, qui sera relevé en offrant laquelle on doit faire la lumière. Chaque découverte
de nouvelles opportunités d’investissement et d’em- donnera plus d’embellie à notre culture nationale.
ploi, dans le domaine audio-visuel de façon spécifi-
Je voudrais citer cet exemple : comme la plupart
que, ainsi que dans les technologies de l’information
des gens, je n’en savais pas beaucoup sur la civilisa-
de façon générale.(22)
tion capsienne. Et chaque fois que je lisais quelque
La diffusion de notre civilisation et la création chose de nouveau à ce propos, la grandeur de cette
d’une culture nouvelle n’est pas uniquement du nation m’apparaît davantage. Je crois que le lecteur
ressort des seuls instituteurs ou des spécialistes de aura la même sensation que moi quand il saura que
l’information. Elle relève de la responsabilité des vers 10000 av. J-C, toute une civilisation avait es-
autres élites, comme les responsables des clubs, des saimé dans la région de Gafsa et de Kasserine, à
associations et des partis politiques. C’est aussi le Redayef et Bir Oum Ali. Le sous-sol tunisien n’a
rôle des écrivains et des hommes de lettres. Celui pas encore révélé tous ses secrets. A « Sidi Zine »,
des artistes, de tous bords, sculpteurs, peintres, ou à 9 km du Kef, on a retrouvé plus de 1000 outils
architectes. en silex, qui remontent à plus de 100 mille ans. Il

45 46
y a d’autres régions dans le Sud-Ouest et le cen- colores qu’on a retrouvées près de Borma et Borj
tre qui appartiennent à la même civilisation de Sidi El-Khadra. De même que les nombreuses peintures
Zine. Nous considérons le site de « Aïn Bromba » des grottes découvertes à « Aïn Khanfous » à Jebel
près de Kébili comme l’un des plus vieux sites Oueslat et les houanites de Sejnane qui sont une
préhistoriques.(23) A Guettar, on a retrouvé un tertre sorte de caveau creusé dans le rocher (que d’autres
fait de pierres, d’ossements d’animaux et de cailloux civilisations méditerranéennes ont connu, comme
arrondis, que l’homme a élevé depuis plus de 40 la Sicile par exemple), ainsi que les tumulus près
mille ans comme sanctuaire, ou pour protéger une du Kef. (25)
source d’eau.(24) Il paraît qu’il s’agit du plus ancien
C’était quelques exemples que nous avions cités
sanctuaire jamais découvert jusqu’à maintenant. Au
afin de démontrer la richesse de notre civilisation
nord de la ville de Meknasi, sur les berges de oued
et d’insister sur le fait que chaque nouvelle décou-
El-leben, on a retrouvé des outils tranchants en silex
verte renforce notre attachement à cette terre, notre
de forme triangulaire, qui ont été probablement uti-
amour pour cette patrie et notre fierté pour cette
lisés comme pointes de flèches ou de lances, et qui
histoire. Car, chacune de nos villes et chacun de nos
remontent à 35 mille ans. Des outils similaires ont
villages a une très longue histoire qui n’a pas encore
été découverts qui remontent à la civilisation cap-
été consignée par écrit. Notre terre recèle encore
sienne à « Abu Omrane », à 30 km à l’Est de Gafsa.
partout des trésors et cache des surprises. Il nous
Et à « El-Maqtaâ », près de Gafsa aussi, on a déterré
incombe d’achever le travail que d’autres ont déjà
une statue qui daterait de 6500 ans av. J-C, qui a les
entamé, en écrivant l’histoire de chaque ville et de
traits d’une forme stylisée de la tête d’une femme
chaque village, depuis les premiers âges. (26) Il nous
dont les cheveux recouvrent une partie du front et
incombe aussi de faire connaître ses hommes illus-
le reste descendant sur les côtés.
tres et ses grandes réalisations à travers les âges. Que
D’autres découvertes récentes ont prouvé l’exis- cela serve de référence à notre élite, à nos enfants,
tence d’une civilisation très ancienne sur divers sites. à nos politiciens et aux professionnels des médias.
Parmi ces découvertes, les colliers qu’on a retrouvés Chaque ville et chaque village doit élever ses jeu-
dans la grotte de « Kef el-‘agab », près de Jendouba nes à l’amour de la ville ou du village, à l’amour de
et les pointes de flèches fabriquées en silex multi- la terre et de l’histoire, car c’est aussi l’amour de la

47 48
Tunisie et l’enthousiasme pour sa gloire passée et la Durant toutes ces périodes, nous avons su coha-
lutte pour sa résurgence. biter avec les autres religions et avons connu diffé-
rentes civilisations. Ainsi, le christianisme(27) a été la
Dans ces petits livres, nous ne devons occulter
religion la plus répandue 6 siècles durant. De même,
aucune période de notre histoire ou en privilégier
le judaïsme a été présent sans interruption, en coexis-
une autre. Par exemple, l’histoire du mouvement de
tence harmonieuse avec les autres religions.(28)
libération, qui a vu émerger des héros de la lutte
nationale, des gestes grandioses de solidarité et des En plus de tout cela, les Amazighs (Berbères) ont
leçons de courage, ne doit pas être coupée de la pé- légué sur leur terre africaine, au nord du continent,
riode qui l’a précédée. Car, la période arabo-musul- beaucoup de coutumes et de traditions. Ils ont vécu
mane était une époque glorieuse, pendant laquelle dans des tribus ou formé de petits États. Ils se sont
la Tunisie a connu une prospérité, un rayonnement unis puis désunis. Ils ont été alliés puis ennemis. Ils
et une richesse culturelle que personne ne peut nier. ont puisé chez toutes les civilisations et y ont con-
Qui oserait occulter la grandeur de Kairouan ou tribué. Ils ont embrassé toutes les religions et les ont
la lumière de la Zitouna ? Cependant, cette riche influencées. Ils ont pesé sur le sort des guerres et
époque arabo-musulmane, malgré sa grandeur et de la paix dans la région, et ont donné aux enfants
les quinze siècles sur lesquels elle s’étend, ne doit de l’Afrique du Nord tous les éléments de paix et
pas estomper une histoire aussi longue, qui a duré d’harmonie, les ingrédients pour la congruence des
plus de 14 siècles. Car, la Tunisie, ou l’Ifriqya avait mentalités et des usages. Alors, pourquoi oublier ces
connu la romanisation, 8 siècles durant. Cela fait premières périodes de notre civilisation ? C’est une
partie de son patrimoine national. Et elle ne peut partie de nous-mêmes dont nous trouvons encore
le renier. Il constitue une source d’enrichissement les traces dans notre propre personnalité.
de son héritage culturel. La Tunisie a vécu aussi 7
Afin d’éviter de passer par dessus comme s’il
siècles de grandeur avec Carthage, durant lesquels
s’agissait d’un accident de notre culture nationale,
nous avons été les maîtres de la Méditerranée et les
nous devons nous arrêter davantage aux Amazighs.
géants du monde.
Car ceux-ci (les Berbères) ont une histoire authen-
tique aux racines profondément ancrées, dont

49 50
nous n’avons pas encore dévoilé toutes les riches- ans. Sur de longues périodes, d’autres sont venus
ses. Le professeur Hassine Fantar(29) affirme qu’un s’adjoindre à ces populations, par la mer ou à travers
brouillard épais recouvre encore les détails de cette le désert, ce qui a ajouté richesse et complexité à
réalité historique. Ce qui est certain, c’est que la lan- cette question ».
gue des Berbères, ou disons les dialectes des tribus
Nous avons fait exprès de nous égarer quelque
berbères, n’appartiennent pas à la même famille que
peu dans ces détails. Car, notre histoire est longue,
les langues sémitiques. Cependant, les relations cul-
riche et complexe. Et, si les spécialistes connais-
turelles entre les peuples chamitiques et les peuples
sent la plupart de ses phases, les Tunisiens et les
sémitiques sont attestées depuis la nuit des temps.
Tunisiennes en général n’en savent pas assez, car
La civilisation Berbère porte la marque de ces con-
l’histoire ne constitue pas encore une part essen-
tacts. Car, les Berbères sont entrés en contact direct
tielle de leur culture et de leur identité.
avec les Phéniciens, comme ils ont été en contact
avec le judaïsme, le christianisme et l’islam. Il ajoute C’est pour cette raison que je voudrais considérer
que « quel qu’il en soit, il est nécessaire d’éviter toute les périodes négligées de cette histoire. Pour dire au
théorie ethnique. Car un peuple est avant tout une lecteur que tout ce dont cette terre a été témoin fait
civilisation. Et toute théorie qui se fonde sur des partie intégrante de notre histoire. Il n’y a pas de pé-
considérations ethniques est vouée à l’échec, en plus riode plus noble qu’une autre, tout est uni et corrélé,
des dangers que cela risque de générer ». Le profes- nous rappelant que nos ancêtres avaient des origines
seur Fantar nous dit que les anciens ont appelé les diverses et que nos héros étaient multiples. Tout ce
Berbères « Libyques » ou « Afri ». Il semble qu’ils qu’ils nous ont légué est notre propriété commune,
soient en fait les descendants des Mechtéens et des c’est aussi notre fortune culturelle que nous ne di-
Capsiens. Les Mechtéens est un peuple dont les lapiderons point et dont nous veillerons à chacune
traces ont été retrouvées à « Mechta al-‘Arbi » près des pages.
de Constantine, alors que les Capsiens sont ceux C’est cela l’histoire. Et ce n’est pas le passé tout
qui vivaient à la fin de l’âge de la pierre taillée dans court. Nous ne voulons pas qu’elle soit un simple
le Sud-Ouest tunisien, dans les contrées de Gafsa, sentiment nostalgique du passée. Nous voudrions
Maqtaâ, Guetar et Redayef, depuis près de 12 mille qu’elle devienne représentation permanente de no-

51 52
tre gloire. Nous voudrions qu’elle se transforme en
présent vécu, une source dans laquelle nous pui-
sions et une grande gloire que nous désirons voir
ressurgir.
C’est pour cela que nous avions affirmé au dé-
but de ce livre que l’histoire n’est pas une succession
d’événements révolus. Elle est surtout une politique
et une influence directe dans le cours des événe-
ments actuels. L’histoire est une entité cohérente et
une âme vive, non une suite désarticulée d’époques,
des feuilles éparses et des monuments inertes.
Il est de notre devoir d’impliquer notre histoire
dans la grande ambition à laquelle aspire de nos
jours la Tunisie. Nous voudrions que l’histoire soit
la référence idéologique du grand projet inauguré
par l’ère nouvelle, l’ère du Changement. Nous vou-
drions qu’elle soit la motivation psychologique à la
culture de l’excellence, afin d’accélérer les pas en vue
de rattraper les nations évoluées.(30)

53 54
CHAPITRE II L’élément le plus important dans ce nouvel envi-
ronnement est le sentiment de liberté qui anime le
La grande ambition
Tunisien. Car, il n’y a pas de créativité sans liberté
et il n’y a pas d’édification sans libérer les initiati-
Il est du droit de tous les Tunisiens et de toutes ves et créer l’esprit de compétition. Comme nous
les Tunisiennes d’aspirer à un avenir meilleur. Et avons besoin d’avoir confiance en les capacités des
l’une des priorités des leaders nationaux est de leur Tunisiens pour réaliser cette grande ambition ! Nous
donner les moyens d’édifier cet avenir. Car, il n’y a avons besoin d’ouvrir devant eux les horizons, les ar-
pas de développement sans projet et pas d’excellence mer avec le sens de la liberté, les inciter à la création
sans ambition. dans tous les domaines et à l’édification graduelle et
harmonieuse de notre société nouvelle.
La Tunisie d’aujourd’hui a une grande ambition.
Nous avons la chance d’avoir un Président qui croit C’est pour cela que vous remarquerez que dans
fermement en la nécessité d’une telle ambition, ses discours(32) le Président Ben Ali n’appelle pas
que la Tunisie retrouve ce grand rôle. Le Président uniquement à l’action, mais au dévouement et à la
Ben Ali s’est imprégné de la glorieuse histoire de la recherche de l’innovation. Cela signifie le dépasse-
Tunisie et il est fier de sa grandeur. Il a pris la ferme ment de soi et la création d’un esprit d’initiative, afin
résolution que son projet ne soit pas limité, fade ou que l’individu accomplisse son devoir de la meilleure
imitatif. Au contraire, il a voulu qu’il soit optimiste, des façons et que l’entreprise présente les meilleurs
ambitieux, mobilisant toutes les énergies, capable de produits. La compétition est désormais la référence
rendre à la Tunisie son rôle efficient dans son envi- dans le choix du meilleur et le passage obligé pour
ronnement international.(31) renforcer la qualité dans les différents secteurs. La
culture nationale de l’excellence est désormais assez
C’est une grande idée qui a besoin d’un effort et
répandue chez notre élite. Le Tunisien est appelé à
d’une mobilisation psychologique à sa mesure. C’est
se distinguer dans son travail et à proposer un pro-
un travail titanesque qui ne peut se réaliser que dans
duit industriel ou intellectuel meilleur que celui que
un nouvel environnement, avec des outils efficients
proposent les autres. C’est ainsi qu’a toujours été le
et une culture autre.
Tunisien à travers les longues périodes de l’histoire,

55 56
alors pourquoi n’y revient-il pas aujourd’hui, en ma- leur désir de lancer des projets et de rechercher des
nifestant cette créativité ?(33) occasions d’investissements à l’intérieur du pays et
d’enthousiasme pour le travail et la fortune.
Lever les obstacles et libérer la voie est l’une des
préoccupations de la Tunisie d’aujourd’hui. Le rôle A partir de là, nous comprendrons le choix clair
de l’État s’est transformé lui aussi. D’un agent de de l’ouverture pour lequel a opté la Tunisie. C’est
contrôle de l’activité des individus et des entreprises un grand défi qui nécessite beaucoup de confiance
à un facteur de stimulation, d’orientation fournis- en soi. Car l’ouverture signifie éliminer toutes les
sant plus d’opportunités et de meilleures possibili- barrières et laisser la voie libre à nos compétences
tés, dans une compétition réelle et un espace géo- nationales. Il nous incombe donc de dégager la voie
graphique plus vaste. Il suffit qu’on relise le discours devant le Tunisien en levant tous les obstacles et
du Président Ben Ali pour percevoir un discours en renforçant ses capacités compétitives, parce qu’il
économique nouveau, fondé sur la libre initiative et risque de se retrouver devant des concurrents libé-
sur une conception différente du rôle de l’État.(34) rés de toutes entraves, exercés et fortement aguer-
ris à la compétition. C’est la voie saine, l’ambition
La deuxième condition à la réalisation de cette
légitime, qui doit avoir des racines profondes dans
grande ambition est d’assurer la sécurité et la quié-
l’histoire.(35)
tude. Car, pour l’homme, la sécurité constitue la
première des libertés. Sans le sentiment de sécurité En effet, l’ambition de la Tunisie dépasse sa
relativement à soi et à ses biens, aucune volonté de géographie, mais les ressources de son peuple sont
travailler, d’investir ou de posséder. C’est pour cela immenses. Cela n’implique aucun risque pour la
que nous considérons que le grand pas en avant que souveraineté des autres. Au contraire, il s’agit plutôt
la Tunisie du Changement a réalisé dans le domaine de libérer les capacités des individus et des entrepri-
économique, elle le doit en grande partie au climat ses et d’ouvrir la voie aux talents afin qu’ils soient
de sécurité et de stabilité qui règne dans le pays, à présents sur les autres marchés, en synergie avec les
l’ambiance consensuelle et à la paix sociale, qui ont civilisations de la Méditerranée, comme elle l’a tou-
attiré investisseurs et touristes. Ils ont aussi tran- jours été durant des siècles, c’est-à-dire un espace
quillisé les Tunisiens quant à leur avenir et renforcé d’échange.

57 58
L’histoire de la Tunisie n’a jamais été assujettie Le partenariat avec l’Europe et l’accord que la
à sa géographie ou à sa démographie. Elle a tou- Tunisie a signé avec les pays de l’Union Européenne,
jours été l’histoire de synergies civilisationnel- en juillet 1995, ne signifient pas dans la pensée de
les, dans toute la Méditerranée et en dehors de la Ben Ali une quelconque sforme de dépendance. Il
Méditerranée. s’agit plutôt d’un accord loyal de normalisation des
relations entre les deux rives de la Méditerranée, le
La Tunisie n’a pas édifié sa gloire en se recroque-
Nord et le Sud, afin que revienne à la Méditerranée
villant sur elle-même. Elle l’a édifiée sur la base de
sa vie historique, économique, sociale et culturelle
son interaction avec les autres civilisations, la phé-
et afin que la Tunisie retrouve son ancien rôle en
nicienne, la pharaonique, la grecque et la romaine.
Méditerranée.
Elle a établi aussi des échanges avec d’autres cultu-
res comme la vandale et la byzantine et a été témoin En effet, le partenariat signifie rechercher une
de l’arrivée de la civilisation arabo-musulmane. Il y forme de coopération équilibrée et en finir avec les
a eu des osmoses aussi avec les cultures espagnole, relations hégémoniques, ouvrir grandement la voie
française et occidentale de façon générale. Le lit- devant les individus et les entreprises, pour un plus
toral tunisien, long de quelque 1300 km, et des di- grand espace, à la circulation des idées et des cultu-
zaines de ports donnant sur la Méditerranée, en a res, au mouvement des capitaux, des marchandises,
fait une fenêtre donnant sur la Méditerranée, lieu de des services et des personnes. Cela représente, pour
rencontre des différents peuples et civilisations qui les Tunisiens et les Tunisiennes, une nouvelle op-
l’a disposée à être une grande aire de prospérité.(36) portunité d’échanges, d’investissements, de déplace-
ments, pour tirer profit des expériences et des occa-
La position stratégique de la Tunisie, au cœur
sions offertes qu’il faut saisir, afin que le partenariat
de la Méditerranée, à quelques heures des différen-
ne se mue pas en une affaire réalisée par une seule
tes capitales -deux heures en moyenne par avion-,
partie. Nous devons savoir que nous avons toujours
lui impose de ne pas être un pays renfermé sur lui-
été ainsi par le passé, saisissant toute opportunité
même, mais un espace ouvert à tous les échanges
de conclure une affaire, au temps de Carthage ou
économiques et les synergies culturelles et humai-
pendant les autres périodes de présence active de la
nes, scientifiques et communicationnelles, etc.
Tunisie en Méditerranée.

59 60
Le partenariat n’est pas uniquement avec l’Euro- siècle av. J-C., qui portait les symboles carthagi-
pe, c’est un partenariat avec toute la Méditerranée. nois : le cheval, le palmier et d’autres signes encore.
Il nous échoit d’en faire l’occasion de restituer à Juba II a modifié les symboles, à partir de 46 av. J-
cette mer intérieure sa gloire d’antan et rendre à la C. en adoptant ceux des Romains. Quand Carthage
Tunisie le rôle qu’elle y a joué. devint la capitale des Vandales, vit le jour une mon-
naie en argent, portant le nom de Genséric le roi
Que nos jeunes sachent, de même que nos éli-
des Vandales, de 439 à 477. Et au temps du byzan-
tes, nos investisseurs et nos commerçants que nous
tin Justinien, de 527 à 565, Carthage a continué à
n’avons pas été, durant les époques passées, de sim-
émettre différents types de monnaie.
ples consommateurs, ni de simples subséquents.
Nous avons été producteurs et participants, dans
une relation d’égalité avec les autres. Aujourd’hui,
nous devons remettre les choses dans leur ordre his-
torique naturel et reprendre le rôle que nous avons
momentanément perdu.
Nous avons fait du commerce dans le passé,
nous vendions et nous achetions. Regardez com-
bien est importante la monnaie nationale en tant
qu’indicateur du développement des échanges, au
temps de Carthage, au temps de Jugurtha et par la
suite romaine, vandale, et byzantine, arabo-musul-
mane, ottomane et autres. La monnaie a vu le jour
au temps de Carthage au milieu du Ve siècle av. J-
C. Elle s’est répandue dans toutes les contrées de
la Méditerranée. Elle est demeurée dans plusieurs Monnaies carthaginoises
cités jusqu’au quadrumvirat, de 286 à 310 av. J-C. A l’époque de Moussa Ibn Nouçair, en l’an 705,
Entre temps, apparut la monnaie numido-berbère. une monnaie en or et en cuivre fut frappée. Elle
Ainsi Massinissa a eu une monnaie, à partir du IIe
portait au début une inscription latine, jusqu’en 715,

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puis une inscription bilingue pendant une année. qu’on l’utilise comme argument, pour rappeler le rôle
Elle est devenue exclusivement arabe en 718, sur le que nous avons perdu et qu’il est de notre devoir de
modèle de la monnaie du calife omeyyade. D’autres récupérer. Nous ne le récupèrerons sans doute pas
monnaies se sont succédé par la suite, l’aghlabide, la uniquement par le fait de rappeler l’histoire. Il faut
fatimide et la ziride, jusqu’à l’époque hafside pen- l’accompagner de mesures et d’initiatives prises par
dant laquelle paraît une monnaie en or (le sultani et nos leaders nationaux actuels. Toutefois, le retour à
le mahboub), en argent (rial) et en cuivre (fals). nos racines et à la grandeur de nos réalisations nous
indique le haut niveau qu’il nous incombe d’attein-
La photo ci-contre exprime la beauté de notre
dre. Nous nous devons aujourd’hui d’être informés
monnaie et sa diversité, pendant les différentes épo-
des réalisations des autres sociétés évoluées, en étant
ques. C’est aussi l’un des aspects les plus manifestes
reliés aux réseaux d’informations du Web, nous de-
du développement économique.(37)
vons connaître les nouvelles sciences et technologies
qui se créent dans les Universités et les laboratoires,
être capables de développer des moyens de produc-
tion et mettre à jour les aptitudes de nos compéten-
ces, être présents avec notre intelligence, nos pro-
duits et nos services dans ces grands marchés qui
viennent de s’ouvrir.
A un certain moment, Carthage était la maî-
tresse de la mer. Sa puissance s’est accrue progres-
sivement. Alors, elle a commencé à s’implanter
dans les colonies phéniciennes le long des côtes de
Sicile, de Sardaigne, d’Algérie et du Maroc en les
Monnaies tunisiennes de diverses périodes intégrant dans son espace économique, du milieu
Le retour à l’histoire ne signifie pas la fuite du du VIIe siècle au milieu du VIe av. J-C. Elle a fait
présent. Car, le lecteur pourrait s’étonner du pourquoi de même à Carthagène en 228 av. J-C, et dans les
de ce retour à un passé si lointain. La réponse est colonies atlantiques européennes durant le périple

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de Himilcon, aux environs de 450 av. J-C. et dans les dirigeant vers l’Angleterre, et qui visaient le même
colonies africaines lors du périple de Hannon aux objectif.(38)
environs de 425 av. J-C. qui a atteint le Cameroun.
De nos jours, notre présence, aura, quant à elle, un
autre aspect. Celui d’un échange économique et cul-
turel et d’une coexistence civilisationnelle diversi-
fiée, qui profitera à toutes les parties.
Nous voyons que la politique tunisienne
d’aujourd’hui est en harmonie avec ce qui se pas-
sait au temps de Carthage. La diversification des
relations et l’élargissement des domaines d’échange,
auxquels appelle le Président Ben Ali sont pres-
que ceux qui ont été adoptés par Carthage par le
passé. Carthage avait essayé d’élargir les domaines
de ses échanges commerciaux et de les diversifier. Carte illustrant le périple d’Himilcon vers
Elle a intensifié ses relations commerciales avec l’Europe et celui de Hannon vers l’Afrique.
les Grecs dans l’Est de la Sicile et le Sud de l’Ita-
lie. Elle en a fait de même avec les Égyptiens, les
Chypriotes, les Cananéens, dans le bassin oriental Le rôle de l’État se limitait essentiellement à
de la Méditerranée. Elle a été chercher d’autres ho- l’organisation du commerce fondé sur le principe
rizons en dehors de la Méditerranée. Cela a donné de la liberté, de la sécurité des routes, de l’élargis-
lieu aux célèbres périples historiques que nous avi- sement des marchés et de leur développement. Ce
ons cités, celui de Hannon sur les côtes africaines de sont presque les rôles que joue de nos jours l’État
l’Ouest, atteignant le Mont Cameroun, 5 siècles av. tunisien. Carthage s’est distinguée comme intermé-
J-C. et celui de Himilcon en Europe atlantique se diaire commercial et aussi dans le fait de retravailler
des produits importants comme les parfums, l’ivoire
et les pierres précieuses. Ses habitants étaient d’ex-

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cellents orfèvres, joailliers et fabricants de figurines Cette histoire riche en mélange linguistique et
de terre cuite, de verre ou d’ivoire.(39) ethnique reflète la richesse de la culture tunisienne
et son aptitude à accepter l’autre. C’est peut-être là le
Carthage était ouverte aux étrangers. Elle a donc
secret de la réussite de ce peuple, durant les longues
été habitée par des ethnies diverses. Les Grecs cons-
périodes de son existence et le trésor secret qu’on
tituaient la plus importante de ces ethnies. Leurs
doit mettre à profit pour conquérir l’avenir. Car, le
langue, littérature, science et philosophie étaient
Tunisien ne méprise pas les autres. Il a une grande
enseignées à Carthage, par des maîtres grecs, dont
prédisposition à comprendre l’autre. Les valeurs de
l’historien philosophe Sosilos qui était le précepteur
tolérance et de pondération qui le caractérisent sont
de la famille de ‘Abd Melqart (connu sous le nom
peut-être le résultat de ce cumul anthropologique et
d’Hamilcar Barca) et d’Hannibal.
civilisationnel. Si nous relions le présent au passé,
Il y avait aussi des familles de l’Égypte pharao- ce que nous avons essayé de faire tout au long de ce
niques et d’autres égéennes.(40) Il y avait beaucoup livre, nous verrons que la distance qui sépare ce dont
de mercenaires qui ont préféré s’installer à Carthage est convaincue la Tunisie en matière de circulation
après la find de leur service militaire. Tous ces étran- des personnes et la politique de répression de l’im-
gers, hispaniques, gaulois (qui étaient les habitants migration que pratiquent certains régimes est très
de la France actuelle, appelée Gaule à cette épo- grande. Comme complément de cette politique,
que), italiques, habitants des îles occidentales de la nous constatons que le Tunisien aime à parler correc-
Méditerranée, se sont intégrés, ont adopté les habi- tement la langue des autres. Elle constitue pour lui
tudes de la société carthaginoise et ont contribué à sa un instrument d’échange, une fenêtre sur les autres
prospérité en mettant à contribution leurs expérien- peuples, que ce soit pour les échanges commerciaux
ces professionnelles. ou les synergies culturelles. C’est dans ce sens que
Les Carthaginois étaient polyglottes, pratiquant notre régime appelle aujourd’hui à diversifier l’ap-
plusieurs langues. Hannibal parlait le grec et le la- prentissage des langues en Tunisie,(41) afin qu’elles
tin. Il avait étudié la culture grecque (la philosophie soient, à côté de la langue mère, l’arabe, un pont qui
et la littérature). Il connaissait la vie d’Alexandre le nous relie au monde extérieur. En effet, notre débat
macédoine qui était son idéal. d’aujourd’hui n’est pas un débat de la langue uni-

67 68
que, celui qui cherche à savoir quelle langue nous pouvoirs et la suprématie de la loi et de l’ordre. Nous
préférons, mais le débat de la diversité. La nouvelle avons connu le pouvoir des juges et l’arbitrage du
question qui se pose est de savoir comment s’inspi- peuple par référendum. C’est comme si les théories
rer des autres langues et comment s’imprégner de ce de Montesquieu et les principes de la Révolution
qu’elles recèlent comme savoir et culture ? française que certains d’entre nous placent comme
l’inauguration de l’ère de la modernité constitution-
Carthage avait connu des institutions politiques
nelle, avaient puisé chez Carthage. Voici le texte
admirables, au niveau central ou communal, qui ont
dans son intégralité :
été imitées par les peuples voisins. Car Carthage
était une république gouvernée par des lois. Le « § 1. Carthage paraît encore jouir d’une bon-
ne constitution, plus complète que celle des autres
nombre d’habitants de la cité, qui s’étendait jusqu’à
États sur bien des points, et à quelques égards sem-
Mégara, atteignait les 700 mille. blable à celle de Lacédémone. Ces trois gouverne-
ments de Crète, de Sparte et de Carthage, ont de
Le pouvoir du Conseil du peuple s’était renfor-
grands rapports entre eux ; et ils sont très supérieurs
cé aux dépens de celui du Sénat, surtout au temps à tous les gouvernements connus. Les Carthaginois,
d’Hannibal. De même, les suffètes étaient élus et les en particulier, possèdent des institutions excellentes
juges (tribunal des 104) exerçaient un contrôle strict ; et ce qui prouve bien toute la sagesse de leur cons-
titution, c’est que, malgré la part de pouvoir qu’elle
sur le fonctionnement de l’État et le comportement
accorde au peuple, on n’a jamais vu à Carthage de
des chefs civils et militaires. changement de gouvernement, et qu’elle n’a eu,
chose remarquable, ni émeute, ni tyran.
Aristote considérait le système carthaginois
comme le meilleur système politique de son temps. § 2. Je citerai quelques analogies entre Sparte et
Carthage. Les repas communs des sociétés politi-
Il est écrit dans Politique (II, 8) ce qui va suivre (42).
ques ressemblent aux Phidities lacédémoniennes ;
Je tiens à reproduire ici le texte dans son intégralité les Cent-Quatre remplacent les Éphores ; mais la
afin de contribuer à mieux faire connaître nos tra- magistrature carthaginoise est préférable, en ce que
ditions constitutionnelles chez les autres, qui nous ses membres, au lieu d’être tirés des classes obscu-
res, sont pris parmi les hommes les plus vertueux.
considéraient sans culture politique. Car, nous avons
Les rois et le sénat se rapprochent beaucoup dans
connu le système républicain plusieurs siècles avant les deux constitutions ; mais Carthage est plus pru-
l’ère chrétienne. Nous avons connu la séparation des dente et ne demande pas ses rois à une famille uni-

69 70
que ; elle ne les prend pas non plus dans toutes les ques autres institutions, comme celle de juges qui
familles indistinctement ; elle s’en remet à l’élection, prononcent sur toute espèce de causes, sans avoir,
et non pas à l’âge, pour amener le mérite au pouvoir. comme à Lacédémone, des attributions spéciales.
Les rois, maîtres d’une immense autorité, sont bien
§ 5. Si le gouvernement de Carthage dégénère
dangereux quand ils sont des hommes médiocres; et
surtout de l’aristocratie à l’oligarchie, il faut en voir
ils ont fait déjà bien du mal à Lacédémone.
la cause dans une opinion qui paraît y être assez
§ 3. Les déviations de principes signalées et cri- généralement reçue : on y est persuadé que les fonc-
tiquées si souvent, sont communes à tous les gou- tions publiques doivent être confiées non pas seu-
vernements que nous avons jusqu’à présent étudiés. lement aux gens distingués, mais aussi à la richesse,
La constitution Carthaginoise, comme toutes celles et qu’un citoyen pauvre ne peut quitter ses affaires
dont la base est à la fois aristocratique et républi- et gérer avec probité celles de l’État. Si donc choisir
caine, penche tantôt vers la démagogie, tantôt vers d’après la richesse est un principe oligarchique, et
l’oligarchie : par exemple, la royauté et le sénat, choisir d’après le mérite un principe aristocratique,
quand leur avis est unanime, peuvent porter cer- le gouvernement de Carthage formerait une troisiè-
taines affaires et en soustraire certaines autres à la me combinaison, puisqu’on y tient compte à la fois
connaissance du peuple, qui n’a droit de les décider de ces deux conditions, surtout dans l’élection des
qu’en cas de dissentiment. Mais, une fois qu’il en magistrats suprêmes, celle des rois et des généraux.
est saisi, il peut non seulement se faire exposer les
§ 6. Cette altération du principe aristocratique
motifs des magistrats, mais aussi prononcer souve-
est un faute qu’on doit faire remonter jusqu’au lé-
rainement ; et chaque citoyen peut prendre la parole
gislateur lui-même ; un de ses premiers soins doit
sur l’objet en discussion, prérogative qu’on cherche-
être, dès l’origine, d’assurer du loisir aux citoyens les
rait vainement ailleurs.
plus distingués, et de faire en sorte que la pauvreté
§ 4. D’un autre côté, laisser aux Pentarchies, char- ne puisse jamais porter atteinte à leur considéra-
gées d’une foule d’objets importants, la faculté de se tion, soit comme magistrats, soit comme simples
recruter elles-mêmes ; leur permettre de nommer la particuliers. Mais si l’on doit avouer que la fortune
première de toutes les magistratures, celle des Cent mérite attention, à cause du loisir qu’elle procure, il
; leur accorder un exercice plus long qu’à toutes les n’en est pas moins dangereux de rendre vénales les
autres fonctions, puisque, sortis de charge, ou sim- fonctions les plus élevées, comme celle de roi et de
ples candidats, les Pentarques sont toujours aussi général. Une loi de ce genre rend l’argent plus ho-
puissants, ce sont là des institutions oligarchiques. norable que le mérite, et inspire l’amour de l’or à la
C’est, d’autre part, un établissement aristocratique république entière.
que celui de fonctions gratuites non désignées par
le sort ; et je retrouve la même tendance dans quel-

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§ 7. L’opinion des premiers de l’État fait règle lement une partie du peuple, qu’on envoie dans
pour les autres citoyens, toujours prêts à les suivre. les villes colonisées. C’est un moyen d’épurer et de
Or, partout où le mérite n’est pas plus estimé que maintenir l’État ; mais alors, il ne doit sa tranquil-
tout le reste, il ne peut exister de constitution aris- lité qu’au hasard et c’était à la sagesse du législateur
tocratique vraiment solide. Il est tout naturel que de la lui assurer. Aussi, en cas de revers, si la masse
ceux qui ont acheté leurs charges s’habituent à s’in- du peuple vient à se soulever contre l’autorité, les
demniser par elles, quand, à force d’argent, ils ont lois n’offriront pas une seule ressource pour rendre à
atteint le pouvoir ; l’absurde est de supposer que, l’État la paix intérieure.
si un homme pauvre, mais honnête, peut vouloir
§ 10. je termine ici l’examen des constitu-
s’enrichir, un homme dépravé, qui a chèrement payé
tions justement célèbres de Sparte, de Crète et de
son emploi, ne le voudra pas. Les fonctions publi-
ques doivent être confiées aux plus capables ; mais Carthage. »
le législateur, s’il a négligé d’assurer une fortune
aux citoyens distingués, pourrait, au moins garantir
l’aisance aux magistrats. Cette Carthage qui était le pays de la loi est resté
§ 8. On peut blâmer encore le cumul des em- le pays de l’ouverture. Sa philosophie est fondée
plois, qui passe à Carthage pour un grand honneur. sur le libre échange, l’élimination des barrières et la
Un homme ne peut bien accomplir qu’une seule
cessation de l’hégémonie. Tout à fait comme sont
chose à la fois. C’est le devoir du législateur d’établir
cette division des emplois, et de ne pas exiger d’un aujourd’hui les grandes lignes de la philosophie tu-
même individu qu’il fasse de la musique et des sou- nisienne.
liers. Quand l’État n’est pas trop restreint, il est plus
conforme au principe républicain et démocratique La Carthage antique avait défié les tendances
d’ouvrir au plus grand nombre possible de citoyens hégémoniques de Rome. Elle voulait imposer un
l’accès des magistratures ; car l’on obtient alors, ainsi partenariat méditerranéen équitable. En revanche,
que nous l’avons dit, ce double avantage que les af- Rome et d’autres civilisations voulaient imposer
faires administrées plus en commun se font mieux
et plus vite. On peut voir la vérité de ceci dans les leurs lois aux autres. Il y a une chronique que rap-
opérations de la guerre et dans celles de la marine, portent les historiens, qui illustre l’attitude de Rome
où chaque homme a, pour ainsi dire, un emploi spé- à l’égard des autres. On raconte que vers la fin de l’été
cial d’obéissance ou de commandement. 172 av. J-C. Caton vint à Carthage. Il fut ébloui par
§ 9. Carthage se sauve des dangers de son gou- son opulence et la profusion des biens et la prospé-
vernement oligarchique en enrichissant continuel-

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rité des gens. Il fut en admiration surtout devant la les parties. Autant il incombe à l’Europe de savoir
variété des fruits. Il acheta quelques figues au mar- que l’hégémonie ne peut pas durer, parce qu’elle gé-
ché de Carthage et s’en revint à Rome. Là, marchant nère des tensions et des dissensions, autant nous de-
dans le Sénat et brandissant les figues fraîches, il vons nous surpasser pour renforcer nos aptitudes à
disait que Carthage était encore puissante, riche et la compétition et nous y imposer.(44) Il nous incombe
prospère, capable de produire une marchandise de d’assumer le premier rôle, afin d’en faire un partena-
qualité supérieure, malgré sa dernière défaite mili- riat efficace dans l’industrie et les services, dans les
taire. Il fallait donc la détruire.(43) En ces temps là, la sciences et les communications, tout en étant sûrs
monnaie de Carthage était plus forte. Son industrie de ne pas fondre dans les différents types de valeurs
couvrait toute la Méditerranée, alors que Rome, se ou devant les diverses spécificités culturelles. Nous
débattant dans les problèmes d’inflation ne pouvait devons être conscients qu’il s’agit d’un défi très sé-
pas prendre les devants. Voilà ce que mit Caton en rieux et nous devons évaluer l’effort qui est exigé de
colère lui faisant répéter que Rome avait un ennemi nous aujourd’hui et pour les générations à venir.
près de ses murs, en ressassant sa phrase : « il faut
L’avenir qui nous attend nous promet de grandes
détruire Carthage ».
occasions et en même temps nous réserve des diffi-
Mais, même détruite Carthage n’était pas mor- cultés réelles. Des changements de différents types
te. Les échanges ont repris sous d’autres formes. s’accélèrent dans tous les domaines. En quelques
Comme si le passé nous renvoyait des images, que années, les découvertes scientifiques se sont multi-
nous vivons à présent, et des leçons de la difficulté pliées. Dans les dix années à venir, une bonne partie
de coexister pacifiquement, que nous ne devons pas de la technologie actuelle aura changé. Cela signi-
oublier. fie qu’on assistera à la naissance d’autres industries,
d’autres modes de production.(45) Tout cela exige de
Le partenariat avec l’Europe est aussi ancien que
nous le renforcement de nos capacités à s’acclima-
l’histoire des échanges en Méditerranée. Ce parte-
ter, parce que nous vivons dans un monde ouvert,
nariat doit être total ou il n’en est pas. Il doit être
dont les sciences et les techniques, les produits et
contrebalancé, sinon il vaut mieux qu’il n’y en ait
les services peuvent nous envahir ; de même que sa
pas. C’est une responsabilité partagée entre toutes
culture, si nous ne nous y préparons pas et si nous

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ne consolidons pas nos aptitudes à la compétition. En outre, les possibilités qu’offrent les technologies
Nous devons surtout préparer nos jeunes généra- numériques et leurs applications dans le domaine
tions à assimiler les nouvelles sciences et les tech- de l’enseignement, de la formation, de la médecine,
nologies futures.(46) Nous devons aussi améliorer les des loisirs, du commerce et autres, dépassent de loin
aptitudes de nos travailleurs afin que cela soit con- ce qui était prévu. C’est désormais pour nous une
forme avec les normes du travail prévues et ne pas se nécessité pressante que de vivre ce que vivent les so-
satisfaire d’être en accord avec les normes du travail ciétés développées. La Tunisie doit être informée de
et des demandes d’emplois actuelles. Nous sommes se qui se passe chez les autres, dans les domaines des
appelés à marcher sur les pas des sociétés qui nous sciences et des technologies, à l’affût des nouvelles
ont précédés et acquérir les secrets de leur succès, techniques et des nouvelles orientations dans le do-
afin de donner à nos systèmes éducatifs et de for- maine de l’emploi. Elle doit être apte d’assurer le
mation, qui sont les deux nerfs du développement, flux intégral de l’information entre les décideurs et
la souplesse nécessaire, permettant à l’élève, à l’étu- les industriels, reliant les Universités aux entrepri-
diant, à l’ouvrier de tout niveau l’auto-apprentissage ses, ouverte, comme elle l’a toujours été, efficiente
et le recyclage, afin qu’il n’y ait pas de fossé entre les et pionnière.
exigences, actuelles et prévisionnelles, du marché du
Le Président Ben Ali a déclaré plus d’une fois
travail et entre ce qu’on peut produire comme biens
que nous devons régler nos pendules sur la nouvelle
et services.
cadence des changements dans les sociétés déve-
Plus important encore, est le fait de préparer loppées, habiliter notre économie et nos pratiques
la Tunisie à entrer dans « la société de l’informa- sociales afin de relever les défis et d’être en mesure
tion » qui est une expression utilisée de nos jours d’affronter les nouveaux challenges. Les Tunisiens
pour mettre en relief l’importance dans la vie des savent que le Président est un passionné des systè-
peuples de l’information, dans l’avenir, puisque les mes informatiques, conscient qu’il est de leur im-
informations couvrirons les échanges, les moyens et portance dans la bonne gestion, dans la prospective,
les méthodes de production. Ceux qui font partie dans le suivi des décisions et dans la comparaison de
des réseaux d’informations seront encore plus évo- nos orientations et la cadence de notre développe-
lués, ceux qui ne le sont pas feront des pas en arrière. ment avec ceux des autres.

77 78
Les choix actuels de la Tunisie ne sont pas ar- pas la guerre à Rome, mais échangera la paix avec
bitraires. Ils sont planifiés. Ils ont leurs références elle. Il ne s’alliera pas aux peuples du sud de l’Italie
culturelles et leurs incidences dans l’avenir. Il ne pour gagner des batailles, mais contractera des al-
s’agit pas de pures prévisions techniques, mais des liances avec elle pour réaliser un projet plus simple
orientations politiques profondes, qui ont besoin de qui est celui de trouver une place à la Tunisie sur
l’adhésion de l’opinion publique et d’une mobilisa- le marché des échanges et dans l’espace des échan-
tion générale et continue. ges culturels. C’est un projet qui vise à intégrer la
Tunisie dans la nouvelle compétition, vers une
C’est là qu’apparaît l’effort idéologique dans
meilleure science, une technologie plus évoluée, une
l’édification de la nation. Car l’édification, ce n’est
éducation et une formation qui correspondent aux
pas uniquement une pelle et une pioche. Ce n’est pas
besoins renouvelés et des produits audio-visuels au
uniquement des sciences et des techniques. Elle est
service de la diversité culturelle.
plutôt pensée et ambition. Nous devons dire à notre
peuple qui doit faire face de nos jours au défi de la Quand reviendra Hannibal, il trouvera des élites
concurrence internationale et affronter les pressions et des compétences. Il trouvera une jeunesse solidai-
du partenariat, qu’il est l’héritier de civilisations qui re et consciente. Il trouvera une richesse qu’il n’est
ont rayonné sur toute la Méditerranée pendant de pas facile d’acquérir, qui est la richesse humaine.
longues périodes. Les Tunisiens et les Tunisiennes C’est grâce à elle que nous construirons un avenir à
sont appelés aujourd’hui à réaliser leur grande am- la mesure de notre gloire passée.
bition. Ils en sont capables. Ils sont les petits-fils
La Tunisie n’a pas de matière première à re-
d’hommes qui ont conquis toute la Méditerranée,
vendre. Mais elle a la meilleure des ressources, que
qui ont excellé dans l’art du commerce et de l’agri-
sont les ressources humaines, symbole de science et
culture, qui se sont distingués dans le commerce et
d’inventivité. Ces ressources sont les cerveaux des
d’autres domaines encore. Ils ont ainsi contribué à
Tunisiens et des Tunisiennes. Un taux de scolarisa-
enrichir le patrimoine scientifique de l’humanité.(47)
tion élevé et une formation satisfaisante que nous
Hannibal, qui est le symbole de la grandeur de devons renforcer.
Carthage, est susceptibles de revenir. Il n’exportera

79 80
C’est cela la culture du Changement. Elle se ré- L’ambition n’est pas moins importante que l’édi-
sume en une grande ambition et un sens de la fierté. fication de la réalité et la langue des chiffres et des
C’est le fait de s’armer des nouvelles valeurs aux- réalisations. C’est une préparation psychologique
quelles appelle le Président Ben Ali dans presque en vue d’atteindre les sphères supérieures. Car, la
tous ses discours : travail consciencieux, détermina- Tunisie peut compter aujourd’hui sur plusieurs
tion à se surpasser vers l’excellence. Le fait d’appeler réussites. C’est ce qui l’incite à en avoir davantage et
le passé à la rescousse n’est qu’un moyen pour édifier d’ambitionner l’excellence. Elle a réalisé un impor-
un avenir meilleur. Notre avenir se fonde sur des va- tant taux de croissance qui environne les 5% durant
leurs dont nous nous sommes imprégnés depuis les les deux dernières décennies. Elle a réalisé un équi-
temps immémoriaux : s’ouvrir sur les autres cultu- libre social qui lui a permis de réduire les disparités
res, interagir avec tout ce qui est positif, tirer avan- entre les catégories et les régions. Le revenu indi-
tage des sciences, s’informer de ce que fait l’autre, viduel s’est rapproché aujourd’hui de 30006 pts $,
apprendre ses langues et ses modalités de travail, les et il dépasse, si nous adoptons l’indicateur du pou-
moderniser afin de gagner le pari de la compétition voir d’achat, 7000$, alors qu’il n’était que de 100 $
sur les autres marchés. en 1960. La maîtrise de l’inflation en 2001 est de
1,9% (7% en 1990) et le déficit du budget autour
de 2% du PNB. De même, la Tunisie compte parmi
les dix premiers pays du monde sur le plan du déve-
loppement humain.(48) Sachant que l’indicateur de
développement humain prend en compte à la fois
le niveau du revenu, l’éducation, la santé et les li-
bertés. Dans les statistiques pour son World Paper(49)
de mars 1997, la Tunisie occupait la 26ème position
parmi les 35 pays émergents. Dans le domaine
du climat social, elle saute à la 14ème place dans le
même tableau, établi sur la base de 63 indicateurs,
dont la croissance économique quantitative, le degré

81 82
d’ouverture sur le monde, la liberté du commerce, la à Carthage. Et, puisque le résultat de la course favo-
liberté de la presse, l’accessibilité à l’information, le risait Carthage, les Grecs ont rompu le pacte et ont
développement social, la santé et la protection de posé comme condition que les deux frères accep-
l’environnement. Le climat social comprend aussi tent de se faire enterrer vivants au point de jonction.
le revenu individuel et l’égalité entre l’homme et la Les deux frères ont accepté d’être enterrés vivants,
femme, le taux d’emploi, l’indicateur des libertés po- pour sauver les intérêts de la patrie. Cette histoire
litiques et de souveraineté de la loi, de même que la édifiante est marquée de la beauté des légendes,(50)
santé et la protection de l’environnement. mais elle montre comment les enfants de cette terre
ont toujours aspiré à des espaces plus vastes et à des
Mais, malgré tout cela, la Tunisie, de par son
horizons plus étendus.
passé authentique et profondément ancré dans
l’histoire est appelée à atteindre des objectifs plus Mais cette ambition que la Tunisie se trace n’est
élevés. Il nous incombe à tous aujourd’hui d’élever pas du domaine du rêve. C’est un programme con-
les couleurs tunisiennes dans toutes les compéti- cret dont nous avons déjà entamé, dans cette Ére
tions : commerce, industrie, savoir et informatique Nouvelle, la conception de ses orientations, de sa
et les différents autres arts, industries culturelles et méthodologie et de ses moyens. C’est le projet d’une
compétitions sportives. La grandeur d’un peuple société nouvelle, fondé sur une idéologie que nous
se mesure à l’étendue de sa suprématie culturelle. avons à présent à expliciter, à simplifier, à vulgariser
L’économique n’est qu’une entrée ou un moyen né- et à diffuser à large échelle.
cessaire.
Nous connaissons tous l’histoire des deux frè-
res Philènes, ces carthaginois qui ont été appelés à
prendre part à une course, en partant de Carthage,
afin d’établir les limites de l’État seront au point le
plus distant possible, parce qu’ils doivent rencontrer
deux autres concurrents partis de Cyrène, la colonie
grecque établie en Libye qui disputait ces frontières

83 84
déterminées, mais cela ne peut perdurer longtemps
et disparaît aussi rapidement que les raisons sur les-
CHAPITRE III
quelles a été fondée l’alliance. Il ne reste à la société
Formuler une idéologie aucune structure de soutènement ou courant qui la
pousse en avant.(51)

Chaque système politique a une idéologie sur la- L’un des problèmes que rencontrent les partis
quelle il se fonde. Le système actuel a son idéologie politiques dans le monde occidental de nos jours,
avec toutes ses composantes. Il nous suffit de la vul- surtout après la chute du communisme, consiste en
gariser et d’en expliciter les traits généraux. la similarité de leurs points de vue et la recherche des
électeurs dans le centre. Cela leur a fait perdre leur
Tout système a besoin d’une idéologie. C’est elle
clarté idéologique et les a réduits à courir derrière
qui le place dans les orientations générales, au mo-
les voix, en faisant des surenchères et des promes-
ment de choisir les options. Elle l’aide à convaincre
ses qu’ils ne peuvent pas tenir et qui se répercutent
les gens et à les mobiliser lors des étapes de l’appli-
négativement sur leur crédibilité. Ils en ont perdu
cation. Car, elle est une pensée et une méthodolo-
leurs capacités mobilisatrices, tandis que les élec-
gie. C’est aussi la référence qui permet d’expliquer
teurs sont désorientés. J’ai la ferme conviction que
l’orientation générale des décisions. C’est l’idéal sur
les partis qui sauront s’attirer les foules sont ceux-là
lequel s’appuie son projet politique.
qui auront été capables de clarifier leur vision.
Nous ne partageons pas l’idée de celui qui pré-
En effet, l’idéologie a besoin d’être clairement
tend que l’idéologie est morte et que le réalisme
conçue pour être mise en valeur, être vulgarisée et
pragmatique marque désormais le comportement
être en mesure d’attirer l’attention du plus grand
des régimes et des partis. L’idéologie est vivante à
nombre possible de gens.
travers les âges. C’est la force motrice de tout systè-
me. Car les systèmes auxquels manque la dimension La grande question qui se pose constamment
idéologique ne vivent pas longtemps. Ils peuvent sé- lors de la conception d’une idéologie est la suivan-
duire les gens ou s’attirer leur sympathie pour quel- te : Quel est la devise qui résumera notre idéologie ?
ques temps, pour des raisons d’alliances politiques Car l’idéologie peut être complexe, alors sa force ré-

85 86
side dans le fait qu’elle peut être réduite à une seule Les options du parti ont certes changé selon les
ou quelques devises. situations et selon ce qui correspond aux circons-
tances. Mais il y a une orientation générale qui ne
L’autre grande question, que la plupart d’en-
change pas. Nous voyons le parti y retourner à cha-
tre nous n’ont peut-être jamais posée est : quelle
que étape importante ou moment crucial pour révi-
est l’idéologie du système politique en Tunisie
ser ou rectifier sa politique.
aujourd’hui ? Et, si nous considérons que le système
politique -tout système- s’appuie sur un parti, la Cette orientation générale, que nous considérons
question devient : qu’est-ce qui distingue idéo- comme l’idéologie constante du Rassemblement, ré-
logiquement le Rassemblement Constitutionnel side en un seul point : l’attachement à la Tunisie ex-
Démocratique des autres partis ? clusivement, sans rechercher des références plus lar-
ges, sur des bases ethniques ou confessionnelles ou
La réponse n’est pas facile. Elle est pourtant
sociales, en considérant que la patrie est la référence
nécessaire. Car, si nous voulons polariser les jeu-
de toute initiative et la mesure de toute action.
nes ou les élites nationales, il est nécessaire de leur
présenter une pensée simplifiée qui les séduit et les Il peut sembler au lecteur que cela est quelque
attire vers le RCD. Il y a certes d’autres méthodes chose de simple, qui ne se hisse pas au niveau de la
de polarisation,(52) mais elles sont occasionnelles et théorisation idéologique. Mais nous lui dirons que
insuffisantes à gagner l’adhésion des militants actifs l’idéologie du parti est justement celle-là, dans son
sur lesquels le parti peut compter dans les moments essence. C’est une idéologie forte, capable de le sou-
difficiles et comme vrais militants. tenir et de garantir la mobilisation générale autour
de lui.
Il est difficile pour un chercheur, en Tunisie,
d’aboutir à une idéologie claire à partir des slogans En effet, le parti a été fondé, dans les années
du RCD, de ses chartes et documents, depuis sa créa- vingt, sur la mise en valeur de l’identité nationale en
tion en 1920. Il doit consulter aussi les discours de face du colonisateur. Il s’est appuyé, ensuite, sur l’op-
ses leaders et les attitudes vis-à-vis des événements tion de la libération dans les années trente. Puis, vers
importants tout au long de ses 80 ans d’existence. la fin des années cinquante, il a soutenu la fondation
de l’indépendance et a refusé de se dissoudre dans

87 88
une forme de nationalisme plus large. Depuis 1987, dimension n’est qu’un choix national et le refus de
il s’est appuyé sur la fierté de l’identité tunisienne et fondre dans une forme de nationalisme plus large et
son utilisation pour consolider la capacité compéti- dans les internationales socialistes ou capitalistes.
tive de la nation, dans une lutte culturelle globale.
La philosophie de la plupart des partis et des
Il est vrai que,dans les périodes passées, les poli- mouvements politiques qui ont vu le jour chez
tiques économiques et sociales du RCD ont vu une nous ne prend pas sa source en Tunisie et ne limite
certaine fluctuation, parce qu’elles étaient influen- pas son activité au pays. Seul le Rassemblement
cées par le contexte international actif à différents Constitutionnel Démocratique est né et s’est dé-
stades. Elles ont connu surtout un penchant vers veloppé en Tunisie, sa philosophie prend sa source
le socialisme dans les années soixante, qui les ont dans la patrie et se limite à l’intérêt du pays. Il n’a
marquées dans les périodes qui ont suivi. Toutefois ni connexion ni obédience vis-à-vis d’autres parties
l’orientation libérale était présente avant les an- que la Tunisie. Il est l’héritier légitime du mouve-
nées soixante et surtout après. Elle s’est manifestée ment des réformistes qui a vu le jour au début du
clairement comme un choix permanent en 1988. siècle passé et qui a été purement et uniquement
N’oublions pas que le Tunisien, à travers sa longue national, ne recherchant pas des racines idéologi-
histoire, a toujours été libéral par nature, enclin à la ques extérieures.
compétition, excellent marchand, ouvert à l’étran-
Il suffit de revoir les discours du Président Ben
ger, ne le considérant ni comme ennemi ni comme
Ali et avant lui du Président Bourguiba et les autres
conquérant, mais comme un partenaire propice, ne
leaders du mouvement de libération nationale, pour
prenant chez lui que ce qui est bénéfique.
se rendre compte de cet engagement.
Seulement, cette dimension économique et
Quant aux autres partis et mouvements poli-
sociale n’a pas été ce qui a marqué l’idéologie du
tiques en général, leurs pensées s’appuient sur des
RCD, contrairement à d’autres partis. Au contraire,
références plus larges et leurs connexions les lient à
c’était la dimension politique qui prédominait, et
des idéologies qui se trouvent au-delà des frontières
c’est cette dimension qui a caractérisé l’idéologie du
du pays, comme nous l’avons déjà dit. Cela ne si-
Rassemblement par rapport aux autres partis. Cette
gnifie pas qu’ils ne sont pas patriotiques. Car, leurs

89 90
objectifs finaux sont de servir la patrie, mais leurs De même, les partis et les mouvements religieux,
idéologies se fondent sur des valeurs autres et leurs qui sont en train de revenir sous une autre forme,
espaces de manœuvre sont plus larges. De même, vivent en dehors du pays et en dehors du temps.
cela ne signifie pas qu’ils n’ont aucune utilité pour le Leur objectif est de réinstaller un unique califat qui
processus national. Au contraire, les partis reconnus imposerait la loi islamique de la charia à tous. Mais
aujourd’hui rendent d’éminents services au pays, ni leurs références intellectuelles, ni leurs symboles,
enrichissent la pensée dans différents domaines et ni leur façon de s’habiller, ni leur comportement,
incitent à la compétition et au choix du meilleur. Ils ni leurs rites n’ont une quelconque relation avec le
ont des militants qui œuvrent à élever la Tunisie et commun des Tunisiens. Dans leur lecture de l’his-
la glorifier, avec des perspectives dont nous avons toire de la Tunisie, par exemple, ils ne commencent
aussi besoin. qu’à partir de la conquête arabe, avec l’expédition
des « 7 Abdallah », spécialement Abdallah Ibn Saad
Cela ne constitue pas une faute en soi. Il s’agit
Ibn Sarh et Abdallah Ibn Al-Habhab. Ils ignorent
plutôt un choix idéologique dont sont convaincus
tous les siècles qui ont précédé, comme si la Tunisie
ces partis, en considérant que l’intérêt de la Tunisie
n’a aucune gloire et qu’elle revient intégralement à
passe par leur fusion dans des configurations plus
ceux qui sont venus la conquérir et y instaurer l’is-
grandes, que ce soit sur des bases ethniques, raciales,
lam. Comme s’il n’y avait aucune référence tuni-
religieuses, ou de classes sociales.
sienne, et que les références authentiques doivent
En effet, les partis politiques et les mouvements être étrangères ! Comme si la Tunisie n’avait pas
à caractère communiste croient fermement en l’ac- d’intérêt à considérer et que tout l’intérêt est dans
tivisme international, puisque la lutte des classes va sa soumission à des objectifs plus généraux, qui res-
au-delà des frontières du pays, étant donnée que tent difficiles à identifier de nos jours, à savoir les
l’intérêt des classes ouvrières est le même partout. intérêts de la « umma ». Comme si ni Kairouan ni
C’est pour cela que leur discours politique, leur réfé- la Zitouna n’avait joué aucun rôle dans la diffusion
rence en terme de militantisme, leurs moyens d’ac- de l’islam dans d’autres contrées, mais tout le mérite
tion sont fondés sur des supports étrangers, coor- devrait en revenir à ceux qui sont arrivés de la pre-
donnant leur action avec des capitales étrangères. mière terre d’islam.

91 92
Quant aux partis et mouvements nationalistes ces mouvements, les hommes illustres de la Tunisie
qui ont des inclinations « pan-arabes », ils voient la sont ceux qui ont introduit des réformes concordant
gloire de la Tunisie dans sa dépendance à d’autres bien avec les valeurs et les systèmes occidentaux.
mouvements et son assujettissement à d’autres Pour eux, l’histoire se réduit, généralement, aux
leaders et d’autres capitales qui n’ont pas su éviter deux derniers siècles, où ils focalisent spécialement
leurs querelles intestines. Ils n’ont pas pu regarder la sur les interactions entre la Tunisie et les civilisa-
Tunisie avec la profondeur requise, mais plutôt su- tions occidentales.
perficiellement comme une unité géographique liée,
Le Rassemblement Constitutionnel Démo-
sinon comme une partie annexe d’une plus grande
cratique ne peut pas être comparé à ces partis ou à
entité dont le leadership et la richesse fait l’objet
ces mouvements. Car, il a focalisé exclusivement son
d’une lutte féroce. Il suffirait qu’on passe en revue
attention sur la Tunisie et s’est attaché à ses frontiè-
les crises qui ont secoué le Monde Arabe, la guerre
res, a défendu sa géographie et a fait d’elle sa seule
de 47, celle de 67 et la guerre du Golf, pour démon-
référence, avec un sens aigu de l’identité nationale et
trer qui était le véritable avocat de la cause arabe !
une existence, certes influencée par celles des autres,
Il y a d’autres partis et d’autres mouvements qui mais jamais dissoute ou vassale.(53)
ont été fondés sur des théories philosophiques oc-
C’est cela l’idéologie du Rassemblement et c’est
cidentales et des valeurs importées, nées dans les
ainsi qu’elle est conçue. Et, si l’on demande à quel-
salons et qui sont de ce fait restreintes à quelques
qu’un pourquoi faites-vous partie du Rassemblement,
élites influencées par des régimes et des leaderships
plutôt que d’un autre parti, la réponse sera que le
étrangers. Ils en sont devenus les vassaux et se sont
choix du Rassemblement est le choix de la Tunisie,
investis de la charge de diffuser leurs idées, prêchant
car le Rassemblement n’a pas d’autres références
leurs valeurs et même à un certain moment gardiens
que la Tunisie et parce qu’il n’y a pas d’intérêts su-
de leurs intérêts et obéissant à leurs injonctions.
périeurs à ceux de la Tunisie. Parce que la Tunisie a
Cette élite occidentalisée lit l’histoire de la Tunisie
une histoire authentique, profondément enracinée
d’un point de vue sélectif, préférant une période à
dans le temps, de telle façon qu’elle n’a pas besoin
une autre selon qu’elle concorde ou non avec l’his-
de rechercher une légitimité en dehors d’elle-même.
toire de l’Occident et ses valeurs. Pour ces partis ou

93 94
Le Rassemblement Constitutionnel Démocratique ont écrit, et ne pas écrire nous-mêmes notre his-
est arabe et musulman et il est fier d’appartenir au toire, de la façon que nous voudrions, sans iniquité
monde arabe et à l’islam, mais il n’accepte pas d’y ni occultation ? Pourquoi rechercher nos références
être dissout. Car la Tunisie ne peut oublier ni ses chez les autres en nous considérant comme le pro-
origines berbères, ni carthaginoises, ni sa romanité, longement d’autres civilisations, dépendant d’autres
ni ce que les autres civilisations méditerranéennes lui capitales, sur des considérations ethniques, religieu-
ont légué comme traces de son identité : la Tunisie ses ou autres, alors que notre référence est en nous-
est tout cela en même temps et elle est une entité mêmes, dans notre patrie, dans chaque empan de
autonome qui a des spécificités et des ambitions. notre terre, dans chaque événement de notre his-
toire ? Nous sommes l’arabité, nous sommes l’islam
C’est là,à notre avis,l’idéologie du Rassemblement
et nous n’avons nul besoin qu’on vienne nous ap-
Constitutionnel Démocratique qu’on se doit de for-
prendre une autre arabité ou un autre islam. Nous
muler, simplifier et résumer dans des slogans et que
avons, en plus de tout cela, des éléments culturels
nous raconterons à nos générations présentes et à
que les siècles ont accumulés et mixés pour produire
nos générations futures.(54)
l’éternelle identité tunisienne.
Le retour d’Hannibal signifie tout cela. Car
Hannibal est de retour parce qu’il a été exilé,
Hannibal n’est pas mort et Carthage n’a jamais été
négligé et rejeté. Il revient aujourd’hui dans nos
détruite et personne ne peut effacer une histoire
discours politiques, dans notre référence mentale.
authentique, une geste héroïque, des réalisations,
Il revient de nos jours pour façonner notre avenir
des victoires, des alliances, et les marques dont nous
et formuler notre projet civilisationnel, rapportant
avons imprimé la vaste civilisation humaine.
l’espoir aux adultes et aux jeunes, traçant devant
Alors pourquoi devons-nous réduire notre his- lui d’autres horizons, ceux qui correspondent à ses
toire, tandis que nous sommes toute cette histoire ? triomphes d’il y a plus de deux mille ans.
Pourquoi favoriser des époques plutôt que d’autres,
Cela honore assez le Président Ben Ali que ce
alors que ce sont nous qui les avons faites toutes ou
soit en son époque qu’Hannibal recouvre sa gloire.
que nos parents nous ont léguées ? Pourquoi mar-
Car le Président projette l’édification d’un sanc-
cher aveuglément dans les pas de ce que les autres

95 96
tuaire qui soit dédié à Hannibal et qui sera fait à la
mesure de sa grandeur. Avec son retour, c’est notre
histoire qui retrouve aussi sa gloire : lors du cin-
quième anniversaire du Changement, le Président
Ben Ali a choisi de représenter symboliquement
le Changement au moyen d’un gracieux défilé, au
cœur du lac de Tunis, représentant toutes les pha-
ses de l’histoire de la Tunisie. Dans la plupart de
ses discours, le Président se réfère à la gloire passée
de la Tunisie et l’associe au présent, en appelant les
Tunisiens et les Tunisiennes à en être fiers et à être
déterminés à renouveler sa splendeur.
Le projet de la Tunisie d’aujourd’hui concorde
avec celui qu’elle avait du temps d’Hannibal. Seule
la méthode et la mentalité ont changé. C’est le projet
qui rendra son rôle à la Méditerranée et à la Tunisie
son rôle en Méditerranée ; non pas en faisant des
guerres, mais par la libre concurrence, non pas avec
la mentalité de l’hégémonie et de l’exploitation mais
avec la mentalité du partenariat et du développe-
ment mutuel.(55)
Notre histoire est née de l’histoire de la Méditer-
ranée et nous aspirons à bâtir la Méditerranée avec
toutes les communautés riveraines. Notre objectif
est de rester des agents actifs dans sa construction,
comme nous l’avons été par le passé.

97 98
de l’ordre de 80% du total des échanges économi-
ques. De même, 90% des touristes qui viennent en
CHAPITRE IV
Tunisie sont originaires de cette région.
L’espace méditerranéen
En outre la plupart de nos émigrés se trouvent
surtout dans les pays de la rive nord. Tout le mou-
La Méditerranée est l’espace naturel de la
vement d’idées et d’informations se fait presque
Tunisie. C’est l’espace qu’elle a chéri et où elle a eu
entièrement avec les pays riverains. La Tunisie qui
une position privilégiée. Carthage était la princesse
est toute proche de l’Europe du Sud, puisqu’il ne
de la Méditerranée sur laquelle elle a régné pendant
sépare la ville de Hawariya de la Sicile (Italie) que
une très longue période, spécialement dans le bassin
70 km environ.(57) Rome et Marseille sont à une
occidental. Elle y a régné à partir du VIe siècle jus-
heure d’avion. Il est possible de joindre d’autres ca-
qu’à la moitié du IIIe av. J-C.
pitales comme Alger ou Tripoli dans le même laps
Le bassin méditerranéen, comme disait le
de temps.
Président Ben Ali, qui a vu naître les grandes civi-
lisations et la diffusion des trois religions révélées, Les pays de la Méditerranée ont le même relief,
a toujours été un facteur de prospérité, un moyen les mêmes types d’animaux et de poissons. Ils ont
de jonction entre les pays limitrophes et la source aussi le même climat.(58) En outre, ils ont des noms,
des valeurs de tolérance, de liberté et de coopéra- des traditions, une cuisine et aussi des types de vies,
tion entre les nations voisines. Il est en mesure de de jeux et d’amusement très proches. (59)
nos jours, si ses enfants le veulent, de contribuer à La Méditerranée a une culture commune de
édifier l’avenir de l’humanité comme il l’a fait par connaissance mutuelle et de communication que
le passé.(56) de longs siècles ont tissée. Alors, pourquoi recher-
Les côtes tunisiennes, sur plus de 1300 km, qui cher pour la Tunisie un autre espace où la faire évo-
ont hébergé depuis des millénaires des ports don- luer et comment lui faire tourner le dos à ses côtes,
nant accès à ses eaux, en sont le meilleur témoin. ne pas traiter avec les cités et les ports qui sont en
face d’elle de tous les côtés de la Méditerranée,(60)
Aujourd’hui, par exemple, le volume des échan-
de Tripoli, Benghazi, Alexandrie, Haïfa, Beyrouth,
ges entre la Tunisie et le nord de la Méditerranée est

99 100
Gaza, Tyr, Lattaquié, à Izmir, Istanbul, Athènes, des maîtres, ils abondaient en richesse et en nom-
Naples, Marseille, et Barcelone ; puis à Tanger, bre, ils fondèrent Utique avec des jeunes gens qu’ils
Alger et Bône ? Comment ne traitera-t-elle pas avaient envoyés en Afrique.
avec les îles toutes proches, dans lesquelles elle était Entre temps, le roi mourut à Tyr, après avoir
présente pendant des siècles, comme la Sicile, la institué comme héritiers son fils Pygmalion et sa
Sardaigne et la Corse, et aussi les îles Baléares, puis fille Élissa, une vierge d’une remarquable beauté.
Mais le peuple remit le pouvoir royal à Pygmalion,
Malte et Chypre et d’autres îles encore disséminées
un enfant encore. Quant à Élissa, elle épousa son
dans cette mare de paix. oncle maternel Acherbas, le prêtre d’Hercule qui
Élyssa, la reine phénicienne qui a quitté Tyr à la était le second en dignité après le roi.
recherche d’un autre lieu, n’a-t-elle pas embarqué « Il avait de grandes richesses mais elles étaient
avec elle 80 belles jeunes filles de Chypre pour les cachées et, par crainte du roi, il avait confié son or
marier à ses hommes et garantir la population de sa à la terre, et non à des toits ; et cela, même si les
hommes l’ignoraient, le bruit en courait cependant.
future cité ?
Excité par cela, Pygmalion, ayant oublié le droit
Il est à propos ici de relater la légende d’Élissa, qui humain, tue son oncle qui était aussi son beau-
a fondé Carthage, à cause de la beauté attirante de frère sans respect des obligations familiales.
l’histoire, parce qu’elle reflète l’étendue des relations « Élissa, s’étant longtemps détournée de son frè-
entre les côtes de la Méditerranée et l’unité de leur re à cause du crime, ayant à la fin dissimulé sa haine
histoire, de leur civilisation et le mélange de leurs et composé pendant ce temps son visage, prépare sa
peuples de Tyr, au Liban, à Carthage, en Tunisie.(61) fuite sans rien dire, s’étant associée des princes dont
elle pensait qu’ils avaient la même haine pour le roi
Cette histoire a été relatée dans les livres des anciens
et le même désir de fuite. Alors, elle cherche, avec
et a trouvé beaucoup d’intérêt auprès de l’historien ruse, à circonvenir son frère ; elle feint de vouloir
latin Justin qui a vécu au IIe siècle et a parlé de la venir s’installer auprès de lui, afin que la maison de
naissance de Carthage, en ces termes : (62) son époux ne lui ravive la dure image du deuil, à elle
qui est désireuse d’oubli, et afin qu’un amer rappel
« Les Tyriens, établis de cette manière sous les
ne lui vienne plus devant les yeux. Pygmalion écou-
auspices d’Alexandre prospérèrent rapidement par
te sans déplaisir les paroles de sa sœur, estimant
l’économie et le travail. Lorsque, avant le massacre
qu’avec elle, viendra aussi l’or d’Acherbas.

101 102
« Mais, au crépuscule, Élissa place sur des navi- les vierges avant leurs noces, à dates déterminées,
res les hommes chargés par le roi de son transport, pour chercher dans la prostitution l’argent de leur
avec toutes ses richesses, et arrivée au large, elle les dot ; elles acquittaient des offrandes à Vénus au
oblige à jeter à la mer des fardeaux — de sable, nom du reste de leur pudeur. Donc, Élissa ordon-
à la place de l’argent — enveloppés dans des bâ- ne de mettre sur les navires environ quatre-vingts
ches. Alors, en pleurs, elle appelle Acherbas d’une vierges enlevées de cette troupe, afin que les jeunes
voix funèbre ; elle le prie de recevoir de bon gré gens puissent se marier et la ville avoir une progé-
ses richesses qu’il avait abandonnées et de les avoir niture.
comme sacrifice à ses mânes, elles qui avaient été la
« Tandis que cela se passe, comme Pygmalion,
cause de sa mort.
ayant appris la fuite de sa sœur, s’était préparé à
« Alors, elle va trouver les hommes du roi eux- poursuivre la fuyarde par une guerre impie, il fut
mêmes ; une mort, jadis souhaitée, la menaçait, difficilement apaisé, vaincu par les prières de sa
certes, mais pour eux, qui avaient soustrait à la cu- mère et les menaces des dieux ; comme les devins
pidité du tyran les richesses d’Acherbas, richesses inspirés lui avaient prédit par leurs chants qu’il ne
pour lesquelles le roi avait commis un parricide, l’emporterait pas impunément s’il interrompait les
c’était d’amères tortures et de cruels supplices qui développements de la ville la mieux auspiciée dans
les menaçaient. Une fois cette peur jetée en eux le monde entier, les fuyards eurent, de cette ma-
tous, elle les prend comme compagnons de sa fuite. nière un moment pour reprendre leur souffle.
Il s’y joint aussi les colonnes de sénateurs préparées
« Ainsi, Élissa, transportée dans le golf de
pour cette nuit, et après avoir été chercher les objets
l’Afrique, sollicite l’amitié des habitants de cet en-
sacrés d’Hercule, dont le prêtre avait été Acherbas,
droit, qui se réjouissaient de l’arrivée d’étrangers et
ils cherchent un lieu pour leur exil.
du commerce de biens d’échange ; ensuite, ayant
« Ils touchèrent terre en premier à l’île de acheté l’emplacement qui pourrait être couvert par
Chypre, où le prêtre de Jupiter, avec son épouse une peau de bœuf sur lequel elle pourrait refaire les
et ses enfants, s’offre à Élissa, sur l’ordre du dieu, forces de ses compagnons, épuisés par une longue
comme compagnon et associé à sa fortune, après navigation, jusqu’à ce qu’elle s’en aille, elle ordonne
avoir négocié pour lui et sa descendance la dignité de découper la peau en très fines lanières et, ain-
perpétuelle de la prêtrise du dieu. La clause fut si, elle s’empare d’un espace plus grand que celui
acceptée comme un présage évident. Il était de qu’elle avait demandé ; de là vient que, par la suite,
coutume à Chypre d’envoyer sur le rivage de la mer on donna à ce lieu le nom de Byrsa.

103 104
« Ensuite, les voisins de ces lieux, qui par espoir enseigne, ainsi qu’aux Africains, un genre de vie
de gain apportaient beaucoup de marchandises aux plus civilisé, mais qui pourrait-on trouver qui vou-
hôtes, accourant en foule et s’installant là, il se fit drait quitter ses parents par le sang et aller chez
par l’affluence des hommes comme une espèce de des barbares, vivant, qui plus est, à la manière des
cité. Les ambassadeurs des gens d’Utique, pour bêtes sauvages ? Réprimandés alors par la reine de
leur part, apportèrent des présents, comme à des refuser une vie plus âpre pour le salut d’une pa-
parents, et les engagèrent à fonder une ville là où le trie à laquelle était due la vie même si la situation
sort avait fixé leur résidence. Mais les Africains se l’exigeait, ils découvrirent les injonctions du roi, en
prirent d’un vif désir de retenir aussi les arrivants. disant que ce qu’elle ordonnait aux autres, il lui fal-
lait elle-même l’accomplir si elle voulait veiller à
C’est pourquoi, du consentement de tous,
la ville. Prise par cette ruse, après avoir longtemps
Carthage est fondée, après fixation d’un tribut an-
invoqué le nom de son époux Acherbas avec bien
nuel en contrepartie du sol de la ville. Dans les pre-
des larmes et un gémissement lamentable, elle ré-
mières fondations, on trouva une tête de bœuf, ce
pondit à la fin qu’elle irait où l’appelait son destin
qui était le présage d’une ville prospère, certes, mais
et celui de la ville.
laborieuse et pour toujours esclave ; à cause de cela,
la ville fut transférée sur un autre emplacement, où « Au bout d’un délai de trois mois, ayant fait
une tête de cheval découverte signifiant que le peu- dresser un bûcher funéraire dans la partie la plus
ple serait guerrier et puissant, donna à la ville une élevée de la ville comme pour apaiser les mânes de
implantation auspiciée. son époux et lui dédier avant les noces des sacrifi-
ces funéraires, elle immole de nombreuses victimes
Alors, les peuples affluant selon la réputation
et, ayant pris un glaive, elle monte sur le bûcher, et,
de la nouvelle ville, en peu de temps il y eut des
regardant le peuple d’en haut, elle dit qu’elle allait
citoyens et une grande cité.
vers son époux, comme ils l’avaient ordonné, et mit
« Alors que les Carthaginois avaient des res- fin à sa vie avec un glaive. Aussi longtemps que
sources florissantes par le succès de leurs affaires, le Carthage resta invaincue, elle fut honorée comme
roi des Maxitans, Hiarbas, ayant fait venir auprès une déesse. »(63)
de lui dix princes puniques, demande en mariage
Élissa sous peine d’une déclaration de guerre. Les C’était là la légende que connaissaient les peuples
ambassadeurs craignant de rapporter cette deman- de la Méditerranée depuis des milliers d’années. Elle
de à la reine agirent avec elle selon l’esprit punique reflète l’unité de la Méditerranée et l’intégration de
: ils annoncent que le roi réclame quelqu’un qui lui ses peuples. Les Carthaginois étaient d’authentiques

105 106
africains, c’était aussi des notables de la ville de Tyr d’être vigilants et de faire attention aux initiatives
et des jeunes femmes de Chypre. Ils ont fondé une qui menacent de la disloquer, d’œuvrer de nouveau
civilisation qui a perduré pendant 7 siècles pendant à la reconstruire et de fonder les institutions qui la
lesquels ils se sont mélangés à de nombreux autres protègeront. Car, sans cette nouvelle édification, les
peuples, entre autres des Romains et des Grecs, des sociétés méditerranéennes vivront constamment
Ibères et des Gaulois et les habitants des différentes sous la menace sécuritaire, mais aussi économique,
îles de la Méditerranée. Ils étaient savants et marins, sociale et culturelle. Les enfants de la Méditerranée
commerçants et soldats de métiers. seront privés de nouvelles occasions de coopéra-
tion. En effet, le problème de la croissance démo-
Cette légende mélange la réalité à l’idéalisme
graphique non équilibrée se pose de nos jours en
saisissant. Elle relie le déclin de la civilisation de
Méditerranée, comme une question de stabilité et
l’Est à l’émergence de celle de l’Ouest. Et elle nous
de sécurité. Nous poserons, dans la même optique,
rappelle l’histoire de l’Amérique qui est née du sein
le problème de l’émigration vers le Nord et la diffé-
de l’Europe, il y a quelques siècles.
rence des systèmes politiques et des religions ainsi
L’espace méditerranéen est riche en civilisations que la disparité des indicateurs de développement.
plus qu’en ressources minières. La Tunisie y a joué
Cette façon de voir les choses demeurera telle
un grand rôle. Ce rôle, qui s’est manifesté de maniè-
quelle tant que les leaders méditerranéens n’auront
re décisive avec Carthage, doit ressurgir aujourd’hui,
pas eu, à l’instar de ce qui se trouve dans les conscien-
avec l’ère de Ben Ali.
ces des peuples, le désir de construire de nouveau la
La Méditerranée est restée des époques durant Méditerranée, d’en faire un espace de coopération et
une unité harmonieuse géographiquement, histori- de développement mutuel. Car les autres alliances,
quement et culturellement. La seule différence en- celle du continent si l’on peut dire, sont devenues
tre les peuples riverains est la pression des autres efficientes et puissantes à telle enseigne qu’elles ont
alliances qui les poussent dans d’autres directions. vidé la Méditerranée de la dimension coopérative,
Des directions opposées.(64) Il incombe aux médi- de son unité originelle, la transformant en arène de
terranéens, appartenant aux peuples riverains, du lutte entre des régimes opposés, des religions anti-
Nord comme du Sud, de l’Est comme de l’Ouest, nomiques et des intérêts économiques incompati-

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bles. Et, alors que l’histoire de la Méditerranée était de nouvelles perspectives aux Tunisiens et les rendre
réunificatrice et sa civilisation partagée, la situation capables de participer pleinement à la reconstruc-
pourrait la transformer, si ce type de situation per- tion de l’héritage méditerranéen commun.
siste, en une mer de conflits et un espace de dissen-
Tout au long de son histoire, la Tunisie a toujours
sions. En effet, à la chute du mur de Berlin, un autre
mur a été dressé, hélas, devant les pays du Sud de la connu la prospérité en ouvrant ses frontières aux
Méditerranée. autres. Elle avait et a encore besoin d’espaces plus
vastes et de frontières plus reculées pour ses échan-
L’intérêt de la Tunisie n’a jamais contredit ceux
ges et son commerce. Son potentiel humain aspire à
des autres pays de la Méditerranée. Et la grandeur
la compétition et elle veut refaire les innovations des
de la Tunisie n’est pas incompatible avec la gloire
autres. Ainsi, plus l’aire de compétition s’élargit, plus
des autres civilisations méditerranéennes. C’est pour
cela qu’elle œuvre à faire renaître la Méditerranée et il y aura d’idées, de produits, de services et plus ils
la rétablir sur la base du partenariat et du dévelop- se diversifient et se perfectionnent. Cela est à même
pement solidaire et participatif. Et, elle joue pleine- de faire naître une civilisation commune qui croit en
ment son rôle, comme elle l’a fait jadis. Elle ne se les valeurs de la solidarité et de la coopération.
contente pas d’être consommatrice et ne désire pas L’accord de partenariat qui lie la Tunisie depuis
être vassale, mais cherche à produire et à participer à
1995 à l’Europe doit être entendu comme l’inaugu-
la civilisation méditerranéenne commune.
ration d’un partenariat généralisé en Méditerranée,
Nous voudrions que le Président Ben Ali pour- qui n’est pas une forme de dépendance, mais une
suive ce que Hannibal avait déjà commencé et nous forme de défi. Il est signe d’une confiance en soi qui
voudrions qu’il soit un Hannibal vainqueur, afin que ambitionne une compétition plus large qui donne-
revienne à la Méditerranée sa gloire d’antan et que ront une grande impulsion au développement, ren-
la Tunisie réintègre son rôle efficient et influent.
forceront la démocratie et faciliteront l’émergence
En effet, le climat de liberté, le sentiment de sé- d’une aire culturelle commune qui conforterait la
curité et l’ouverture des frontières devant les échan- stabilité et la sécurité en Méditerranée.
ges et les investissements, doivent en principe ouvrir

109 110
L’Europe ne doit pas oublier sa culture méditer- les meilleures aires de compétition dans le domaine
ranéenne et elle doit réserver à sa dimension médi- de la production et des services. De même, nous in-
terranéenne l’importance qu’elle mérite. Les tenta- vestirons aussi dans l’enseignement et la formation,
tions qui la tirent vers l’Est existent bel et bien dans en les assouplissant et en renforçant leur capacité à
la perspective d’économies montantes en Europe s’adapter, afin qu’ils restent constamment au service
de l’Est et en Asie. Cela pourrait priver l’Europe des besoins futurs de la société. Nous ne produirons
d’importantes occasions concrètes dans le cadre de donc pas de chômage en préparant les jeunes à des
la Méditerranée.(65) sciences ou à des techniques passées de mode, mais
en utilisant notre potentiel humain de la meilleure
La bataille de la mise à niveau que nous menons
façon, dans une économie en changement perpé-
est une bataille en vue de rattraper ceux qui nous
tuel, ouverte et hautement compétitive.
ont devancés, parce que l’histoire nous impose d’être
aptes à la compétition, participants créatifs, au sein Les informations et ce qu’elles fournissent en
d’un espace commun. termes de savoir et d’innovation sont désormais la
ressource principale des économies nouvelles, en
Mais, nous ne devons pas nous satisfaire de la
plus des capitaux et du travail. Car, les économies
mise à niveau, parce qu’il s’agit d’une reproduction
futures seront des économies de savoir, de telle fa-
de quelque chose qui change constamment et en
çon que celui qui détient l’information et possède le
perpétuel rebondissement. C’était une étape né-
savoir prend le dessus sur les autres. C’est pour cette
cessaire, urgente, mais elle reste insuffisante. Nous
raison que le Président Ben Ali a appelé à focali-
sommes appelés à établir une stratégie d’anticipa-
ser les efforts dans cette direction et à commencer
tion prospective et un programme ambitieux et à
à établir une stratégie pour intégrer le monde du
long terme apte à nous donner la maîtrise des scien-
numérique et préparer la Tunisie à ce qu’on appelle
ces et des technologies et à y investir. Car, ces inves-
la société de l’information, c’est-à-dire de renforcer
tissements dans les savoirs virtuels sont désormais
les réseaux de communication et de connexions té-
les forces motrices du développement et la locomo-
léphoniques et de généraliser l’informatique, afin
tive stratégique qui tire les nouvelles industries. Ce
de permettre aux entreprises et aux individus de
sont eux qui renforceront notre capacité à choisir
profiter pleinement des opportunités qu’offrent les

111 112
autoroutes de l’information. Le Tunisien sera ainsi un reniement des autres civilisations, ou des autres
en mesure de savoir ce qui se fait chez les autres, alliances existantes. Elle ne se fera pas à leurs dé-
dans les différents domaines, partager les idées et pens, mais se fera en complémentarité avec elles, en
les innovations avec eux et être présent en tant que occupant son espace vital, parce que c’est une civili-
producteur d’informations et de savoirs, que ce soit sation concrète et une alliance naturelle, secrétée par
dans le domaine des sciences et des technologies des siècles de coexistence et d’échanges. En outre,
ou dans le domaine du commerce et de l’investisse- la relation de la Tunisie avec les pays d’Amérique,
ment ou dans les nouveaux domaines des industries d’Asie, du Nord de l’Europe et de l’Afrique subsa-
culturelles, spécialement l’audio-visuel. harienne reste une relation forte que ne diminue pas
l’élargissement de l’espace méditerranéen. Car, le dé-
Dans ce domaine, la Tunisie dispose d’un grand
veloppement continu n’est en fin de compte qu’une
potentiel humain qu’elle pourra mettre à contribu-
dynamique qui intensifie les échanges et multiplie
tion afin de ne pas être en arrière par rapport aux
les acteurs en vue de multiplier et de généraliser les
sociétés qui ont déjà intégré le marché de l’infor-
retombées bénéfiques à tous.
mation. Elle a aussi un potentiel culturel que l’hu-
manité cherche à connaître et qui peut constituer En tout état de cause, la mondialisation exige
une industrie audio-visuelle très évoluée permettant aujourd’hui l’ouverture des frontières. Et nous
de générer beaucoup d’emplois. Cela génèrera aussi avons opté pour cela en adhérant aux accords du
une immense rentabilité culturelle, non seulement GAT (General Agreement on Trade and Tariffs),
pour la Tunisie afin que sa culture ne disparaisse dans une première étape, puis en intégrant
pas devant la prépondérance des cultures occiden- l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).
tales, mais aussi pour les autres sociétés du Sud de L’accélération des communications, que ce soit écri-
la Méditerranée et pour la civilisation humaine dans tes ou audio-visuelles, dans le cadre des autoroutes
sa totalité, tant la richesse des civilisations est dans de l’information et le développement des réseaux
leur diversité et leurs interactions. d’information, a fait en sorte que le monde se ré-
trécisse toujours plus et les distances ne constituent
Nous voudrions insister de nouveau sur le fait
plus d’obstacles devant le commerce ou le dialogue
que la mise en exergue de la Méditerranée n’est pas
politique et culturel. Ce que nous avons voulu ajou-

113 114
ter, c’est que ce flux mondial ne doit pas cacher notre
besoin d’un flux intermédiaire, dans la mer qui nous
unit depuis des milliers d’années. Car, sans cette
connexion méditerranéenne, on peut craindre que
les forces d’attraction mondiale augmentent de telle
façon que les rives de la Méditerranée se séparent
davantage en augmentant les disparités et en renfor-
çant les conflits économiques et sociaux, affaiblis-
sant par la même l’entente culturelle et religieuse,
exaspérant les relations politiques et sécuritaires.(66)
La Méditerranée est la vieille demeure parentale
à laquelle reviennent les enfants de la même famille.
Le retour d’Hannibal signifie pour la Méditerranée
le retour de sa gloire quand elle était la maîtresse du
monde.
Alors y a-t-il des symboles qui susciterons l’in-
térêt des gens et éveilleront chez eux le sentiment
d’appartenance et la fierté de l’identité ?

115 116
nos jours à Carthage, ramener sa mémoire et quel-
ques reliques de ces lieux. Il s’agit sans doute d’un
CHAPITRE V acte symbolique, mais chargé de signification. Ce
Y a-t-il des symboles ? geste est un acte de reconnaissance, une volonté de
rendre sa gloire à la Tunisie et une stimulation pour
les jeunes pour une nouvelle lecture du passé : rendre
Chaque idéologie a besoin de symboles. Car le à Hannibal sa mémoire et élever en son honneur un
citoyen ne recherche généralement pas les compli- monument digne de sa valeur. Le Président Ben Ali
cations méthodologiques. Il préfère les références manifeste un grand intérêt au retour d’Hannibal qui
simples et les slogans authentiques, conformes à ses lui a préparé le terrain. En effet, n’est-il pas normal
inclinations, dans lesquels il se retrouve et à travers qu’un héros honore un autre héros !? Et, comment
lesquels il reconnaît directement les objectifs de ses le vrai patriote ne célèbre-t-il pas la mémoire d’un
gouvernants. homme qui a donné sa vie pour sa patrie, qui a dédié
sa vie, depuis son enfance, au service de Carthage et
Ce serait le meilleur symbole de l’idéologie na-
à la défense de son projet méditerranéen ?
tionale que le retour d’Hannibal. Car, Hannibal est
le symbole de la grandeur de la Tunisie, il est aussi Hannibal ne voulait pas la ruine de Rome, même
l’emblème de la Méditerranée. Nous devons prépa- quand il avait remporté la victoire de Cannes en Italie
rer son retour à Carthage qu’il avait quittée en 195 et quand il avait anéanti des milliers(68) de ses soldats
av. J-C.(67) à la recherche d’horizons plus vastes et et leurs alliés. Il était en son pouvoir d’« anéantir »
Rome. Mais ce n’était pas là son objectif. L’un de ses
d’opportunités plus grandes en vue de reprendre la
grands généraux Mahrabal le lui a reproché, en lui
guerre contre Rome et prévenir les autres peuples
disant qu’il savait vaincre, mais qu’il ne savait pas
des velléités hégémoniques de Rome. Il meurt en
tirer profit de ses victoires.
183 en Bithynie (nord de la Turquie), à 65 ans, en
buvant un poison caché dans sa bague, quand il s’est Hannibal n’a jamais voulu imposer l’hégémo-
vu encerclé par ses ennemis. nie de Carthage, il a voulu brider l’hégémonie de
Rome.(69) Il s’est allié avec le roi de Macédoine,
On lui a élevé une sépulture en Turquie, à Gebze
Philippe V, en 215 av. J-C. dans le même but. Dans
sur les côtes de Marmara. Nous devons le ramener de

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l’une des clauses du traité, il a mentionné qu’en cas afin qu’ils jurent solennellement de reconstruire la
de victoire sur Rome, celle-ci pourrait se joindre à Méditerranée et le rôle qu’y occupe la Tunisie.
leur alliance, afin d’entamer des rapports fondés sur
Mais, Hannibal n’est pas l’unique symbole. Nous
le respect mutuel et la coexistence pacifique. Il vou-
devons chercher d’autres symboles, qui ont élevé
lait que la Méditerranée soit un espace de stabilité et
haut le prestige de la Tunisie. Nous devons célébrer
d’équilibre, où aucune partie ne domine. Les histo-
la résurrection de tous nos héros, tant par l’écriture
riens affirment que si Hannibal avait détruit Rome
que par la sculpture, la peinture ou la représenta-
quand il pouvait le faire, le cours de l’histoire aurait
tion théâtrale. Nous devons célébrer Élissa, la fon-
changé. Ils affirment aussi que le destin des équi-
datrice de Carthage, ou Didon comme l’appelaient
libres politiques, après cette période, dépendraient
les Romains (il semblerait que le mot « Didon »
du comportement d’Hannibal, après sa victoire sur
signifierait en libyque « la vagabonde », cette prin-
les armées romaines, dans les batailles successives, à
cesse qui a fait un long voyage de Tyr à Carthage
Tessin, Trébie, Trasimène et Cannes.
et qu’a chantée Virgile). Nous devons célébrer la
En effet, le retour d’Hannibal donnerait aux résurrection de Sophonisble, qui a offert tout son
générations actuelles et à la jeunesse montante un amour pour que demeure Carthage(70) et la femme
sentiment de confiance en eux-mêmes, une fierté de d’Asdrubal, le dernier chef carthaginois qui a pré-
leur passé et une appréciation juste du poids de la féré la mort plutôt que d’être la captive de Scipion.
responsabilité qui les attend pour élever la Tunisie Elle fit un holocauste au centre de la ville, dans le
et reconstruire la Méditerranée sur des bases saines, temple d’Eshmoun en se jetant avec ses deux fils.
afin qu’elle soit un agent actif et une mare de paix et Nous célébrerons aussi Syphax le numide et aussi
de prospérité. Massinissa, pourquoi pas, ainsi que Jugurtha. Tous
ont marqué de longues époques de notre glorieuse
Et le jour où nous rapatrions une poignée de
histoire. Nous ne devons pas oublier Abd Melqart
terre du tombeau d’Hannibal et la déposons dans
(Hamilcar Barca), ni Asdrubal, ni Maharbal, ni les
le monument historique que nous lui préparons au
grands chefs politiques et militaires qui ont lutté
centre de Carthage, sera un jour mémorable. Nous
pour la grandeur de Carthage. Les historiens et les
considèrerons ce jour à raison jour de commémo-
politiques trouveront certainement d’autres noms
ration et jour de stimulation de tous les Tunisiens

119 120
de ces époques antiques, que le temps a estompés ou chef militaire, qui est entré en compétition avec
qui sont tombés dans l’oubli. Septime Sévère pour le trône impérial.
Nous devons célébrer Septime Sévère, l’africain Nombreux sont les héros de la Tunisie pendant
qui a gouverné l’empire romain, ainsi que son fils la période islamique. Nous devons les identifier et
Caracalla. Le premier, né à Leptis Magna (l’actuelle rappeler à nos jeunes à leurs bons souvenirs, car ils
Lebda, près de la ville de Khoms en Libye), était étaient tunisiens soit par la naissance soit par la cul-
selon certains auteurs(71) d’une famille africaine qui ture. Parmi ceux-là, nous citerons Aballah Ibn Abi
parlait le punique et ses sœurs ne parlaient que le Sarh, qui a guidé l’expédition des « 7 Abdallah » en
punique. Cet empereur, qui a pris une syrienne pour 647,(73) qui a pu aller au-delà des forts de Castilia,
épouse, a gouverné Rome et y a introduit les mœurs dans le Jérid et rencontrer l’armée byzantine aux
et coutumes carthaginoises. C’est son fils Caracalla abords de Subeitla.
qui lui a succédé sur le trône.(72)
Nous glorifions aussi Oqba Ibn Nafaâ, qui a
Nous devons célébrer les éminents théologiens conquis Ghadamès en 662 et qui a traversé la route
d’avant la période islamique, comme Tertullien, en- du désert et campé à Kairouan avec ses 10 mille ca-
fant de Carthage et les premiers chrétiens auteurs valiers.
dramatiques de l’histoire, ainsi que Saint Cyrpien
Nous considérons aussi Kuceila le Berbère, chef
et surtout Saint Augustin, que les Chrétiens con-
de la tribu d’Urba, qui, pendant la même période, a
sidèrent jusqu’à nos jours comme le plus grand
défendu sa terre en s’alliant avec les Byzantins pour
philosophe et père spirituel des chrétiens dans
former une armée de plus de 50 mille combattants.
le monde. Nous célèbrerons aussi le grand juriste
Il est devenu par la suite l’allié de l’islam.
Salvius Julianus, qui a atteint une telle éminence au
temps des Romains en écrivant son ouvrage célèbre Nous glorifions aussi Hassan Ibn Noômân qui a
l’Édit perpétuel. Et aussi Apulée, le plus célèbre des conquis Carthage en 698.
écrivains africains du IIe siècle et Claudius Albinus, La Tunisie honore aussi Bahia Bent Matita Ben
membre du Sénat, originaire de Sousse, et grand Tifane, surnommée la Kahéna. C’était une femme
berbère de la tribu des Jerawa. Les sources la pré-
sentent comme la reine des Aurès. Elle avait réussi

121 122
à arrêter l’avancée de Hassen Ibn Noôman et l’a vent (comme des orphelins au banquet des bri-
même forcé à reculer jusqu’au Jérid et de là à Gabès gands), votre ennemi vous attend avec son armée
puis à Cyrène. Elle est restée reine de la région pen- et vous n’avez d’autres secours que vos épées ni
dant 5 ans avant d’être tuée en 701, date à laquelle d’autres nourritures que ce que vous arracherez à
Hassen Ibn Noôman reconquit Kairouan. vos ennemis et si plusieurs jours passent avant que
vous n’ayez accompli votre mission, vous êtes à coup
La résistance berbère à l’expansion arabe en
sûr perdus ».(74)
Tunisie a duré 50 ans, depuis la bataille de Subeitela
en 647 à la mort de la Kahéna en 701. Cela fait Tarak a remporté la victoire et a continué son
partie de notre histoire, avec sa résistance et son hé- expédition jusqu’à arriver à Saragosse en 712. Il se
roïsme qui ne doivent pas être occultés, de même dirige ensuite vers Lareda et Tarragona qu’il con-
qu’on ne doit pas estomper l’histoire qui l’a suivie, quiert à leur tour.
qui constitue, elle aussi, une partie de nous-mêmes.
En ces temps-là, Kairouan était le reflet de la
Ainsi Moussa Ibn Nouçair est l’un de nos hé- civilisation tunisienne. Berbères, Byzantins d’Afri-
ros les plus illustres. C’est lui qui a fait de Kairouan que et Arabes nouvellement arrivés des différentes
la capitale de sa province, à partir de laquelle il a tribus coexistaient pacifiquement. La mosquée et le
répandu l’arabité et l’islam au Maghreb puis en marché étaient l’espace commun et le lieu de leur
Espagne. assimilation.
De même que Tarak Ibn Ziad, le tunisien d’ori- La Tunisie connut un formidable rayonnement
gine berbère qui a conquis l’Andalousie ! En effet, au temps des Aghlabides, durant tout le IXe siècle
en 711, il réunit une armée de 7000 hommes et éta- et nous devons être fiers de célébrer Ibrahim Ibn
blit sa base sur la montagne qui porte désormais son Al-Aghlab qui a consolidé ses fondations, construit
nom « Gibraltar », où il énonce son discours dans Beit-al-Hikma (maison de la sagesse) à Raqqada
lequel il dit : « Ô, hommes ! où fuir ? La mer est et encouragé la traduction des travaux scientifiques
derrière vous, l’ennemi est devant vous. Il ne vous en arabe. Nous devons aussi glorifier Assad Ibn Al-
reste, par Dieu, que la vérité et la fermeté. Sachez Furat qui a conquis, après avoir construit une grande
que dans cette île vous êtes comme une plume au flotte, dans la Dar as-sinaâ (l’arsenal) de Sousse, les

124 123
îles de la Sicile en 827, puis de Malte en 868, à par- Guiga, Habib Thameur, Hédi Chaker, Salah Ben
tir de Tripoli et ensuite de la Sardaigne, en 934. Youssef et nombreux autres qu’il est difficile d’énu-
mérer exhaustivement. De même, nous devons
La Tunisie a connu une grande gloire au temps
commémorer les héros du mouvement syndicaliste,
des Fatimides. Nous devons célébrer à juste titre le
comme Mohamed Ali Hammi, Farhat Hached
4ème calife, Al-Moez Li-din-Allah, qui a transféré
et d’autres vraies patriotes comme Moncef Bey et
son trône en Égypte après avoir fondé le Caire en
Tahar Haddad.
969 pour en faire sa nouvelle capitale. Nous som-
mes aussi fiers du calife fatimide Al-Aziz qui a su Nous devons passer en revue toutes les époques
mettre fin à l’alliance entre les Turcs et les Karmates de notre histoire, sans exception, honorer les enfants
en les mettant en déroute en 977, ce qui lui a per- du pays qui l’ont servi. Il nous incombe de voir loin
mis d’étendre son empire à toute l’Égypte, au Chem dans le passé comme d’anticiper le futur, d’avoir un
(Grande Syrie), Hidjaz, Cyrène et Ifriqya. Cet em- cœur assez grand pour contenir tous les héroïsmes
pire était devenu en son temps encore plus vaste que que la Tunisie avait connus durant toutes les pério-
l’empire abbasside qui ne dépassait plus, par suite des de sa longue histoire.
des mouvements séparatistes, Bagdad et ses envi-
Si nous voulons avoir une grande ambition, nous
rons. Nous glorifions aussi le général Jawhar As-si-
devrions avoir de notre histoire une vision profonde,
qilli qui, au temps d’Al-Moez, a étendu le pouvoir
globale, équitable, sans exclusion et sans marginali-
fatimide aux pays du Maghreb, a fondé le Caire et
sation aucune.
la mosquée Al-Azhar.
Il incombe à chaque ville et à chaque village de
Nous ne devons négliger aucune page de no-
célébrer ses symboles, de réécrire son histoire et de
tre histoire et nous devons célébrer d’autres noms,
lui insuffler la vie en la libérant des musées pour
qui sont apparus plus récemment, comme ceux de
l’introduire dans la demeure de chaque citoyen et
Khaireddine At-Tounsi et les autres chefs du mou-
dans les profondeurs du cœur de chaque patriote.
vement national de libération, comme Ali Bach
Hamba et Cheikh Abdelaziz At-Thaâlbi, Habib Il nous échoit de créer une nouvelle culture, fon-
Bourguiba, Tahar Sfar, Mahmoud Matri, Bahri dée sur la jonction entre notre passé et notre futur

125 126
et sur la compréhension de la grande ambition que en soi, aspirant à l’excellence et ambitionnant de
nous sommes en train de réaliser aujourd’hui grâce retrouver la gloire d’antan. C’est pour cela qu’il est
à notre gloire authentique bien enracinée dans l’his- désormais vital que les hommes qui ont en charge
toire. Il revient à nos élites, à commencer par nos de parfaire la culture de la renaissance que Ben Ali
historiens et nos archéologues de s’enthousiasmer a inaugurée ne tombent pas dans la trappe où sont
pour le nouveau rôle politique qu’ils ont à jouer. tombés d’autres avant eux : qu’ils ne parlent pas du
passé sans savoir comment le dépasser, échapper à
Il advient aux sculpteurs, aux poètes, aux con-
son chant des sirènes.
teurs, aux peintres, aux hommes de théâtre et de ci-
néma de rendre la vie à notre histoire et de faire en Les Tunisiens ne doivent pas non plus suivre les
sorte qu’elle serve les objectifs de notre avenir. Nos pas des autres partis ou mouvements qui ont ex-
universitaires, chercheurs, hommes de sciences, édu- ploité l’histoire pour soutenir leur haine de l’autre,
cateurs, animateurs et responsables d’association, déniant aux autres toute gloire possible s’en réser-
journalistes et gens des médias et toutes les catégo- vant toute l’exclusivité et dont l’émergence ne peut
ries actives de la société civile doivent œuvrer dans être qu’aux dépens des autres. Car, la plupart des
le même sens en empruntant le parcours du change- partis de droite penchent vers cette forme d’extré-
ment tracé par le Président Ben Ali, en mettant en misme, se recroquevillent sur eux-mêmes et ressas-
exergue nos nouvelles ambitions et nos grands défis sent d’une manière stérile la gloire des ancêtres, la
et en démontrant la capacité des Tunisiens et des pureté de la lignée ou de la race. Ces partis n’ont
Tunisiennes à passer outre toutes les difficultés et à rien à voir avec le nôtre.
relever tous les défis, en conformité avec leur histoi-
Le Rassemblement Constitutionnel Démo-
re, encouragés par la confiance qu’ils ont dans leurs
cratique a embrassé l’idéologie de la patrie, sans
aptitudes et armés de leur seule détermination.
pour autant tomber dans le piège du renferme-
La conscience de l’histoire ne signifie pas tant ment sur soi. Le Président Ben Ali, de même que
une nostalgie des temps passés, qu’une façon d’ac- Bourguiba dans ses discours passés, ont fait de la
quérir grâce à elle force et détermination. Il s’agit Tunisie un pays ouvert, tolérant, bien enraciné dans
d’inaugurer une nouvelle vision du présent, confiant sa terre prodigue, mais dont la main est généreu-

127 128
sement tendue vers tout le monde. Dans l’éthique sommer le produit local et à le préférer au produit
de Ben Ali, ainsi que dans la déontologie du parti concurrent, c’est-à-dire à acheter tunisien .(75)
depuis sa naissance, le patriotisme ne signifie pas
C’est cela que signifie le retour d’Hannibal. C’est
l’isolement, mais la manifestation de soi. Il n’est pas
une recherche autour de l’idéologie du système et
déni de l’autre, autant qu’un appel à la coopération
dans l’éthique du Rassemblement. C’est l’histoire
sur la base de l’égalité et de la réciprocité.
qu’on doit lire autrement, sans troncation, sans dé-
Ce qui a dû rester des anciennes habitudes com- figuration, sans compartimentage. C’est la résurrec-
portementales chez quelques Tunisiens, de cette tion de la gloire qui nous pousse à rechercher des
sanctification de l’autre et de l’autodérision, ont été espaces plus larges au sein de la Méditerranée et au-
extirpées avec l’ère de Ben Ali. Les attitudes d’api- delà. C’est l’amélioration de nos aptitudes nationa-
toiement et de servitude qui ont vu le jour à certaines les à relever les défis actuels et à réaliser nos grandes
époques, ont laissé leur place aux attitudes de fierté ambitions.
et de dignité. C’est là la clef véritable du dévelop-
Ceci est un livre qui traite de politique, sans dou-
pement. C’est un accès psychologique et politique.
te. Mais la politique, comme vous voyez se nourrit
Il n’est certes pas suffisant à lui tout seul. Mais il est
toujours d’histoire.
vital, car son absence risque de disloquer la société,
tournant son regard vers les réalisations des autres,
sans se concentrer sur les siennes propres pour en
faire une force unifiée, efficiente et compétitive.
Le patriotisme ne signifie pas uniquement
l’autonomie politique, mais aussi culturelle et éco-
nomique. C’est aussi la fierté du produit national,
qu’il soit industriel ou culturel. Cette fierté revient
à l’encourager afin qu’il atteigne les plus hauts de-
grés de compétitivité, en relevant ses qualités grâce à
l’abnégation, au dur labeur, à l’innovation ou à con-

129 130
480-409 Carthage prospère, ainsi que le Cap Bon et
Événements majeurs dans l’histoire de le domaine de la Medjerda.
Carthage Périple de Hannon en Afrique et périple de
Himilcon en Grande Bretagne, sur ordre du
Sénat. Établissement du pouvoir des suffè-
1101 Fondation d’Utique sur l’embouchure de la tes, deux suffètes élus chaque année et un
rivière Medjerda. conseil des 100 pour les juges.

814 Élissa fonde Carthage, qart hadasht, c’est- 409-305 Conflits avec les Grecs. Les Carthaginois
à-dire la nouvelle cité, ou nouvelle capitale. détruisent Sélinonte, Agrigente et Géla.

654 Fondation d’Ibiza (île Baléares, Espagne), 405 Traité entre Carthage et le tyran de
par les Carthaginois Syracuse. Reconnaissance des possessions
carthaginoises en Sicile occidentale.
~654 Les Carthaginois s’établissent en Sicile
(Panormos et Salonté) et en Sardaigne 395 Traité secret entre le tyran de Syracuse et
(Monte Sirai). Conflit avec les Grecs. Himilcon, chef des armées carthaginoises
Alliance avec les Étrusques. en Sicile.

535 Carthage et les Étrusques vainqueurs des 396 Deuxième traité.


Grecs à Alalia (Corse). 393 Troisième traité.
~530 La famille des Magon prend le pouvoir à 375 Quatrième traité. Les Carthaginois repren-
Carthage, jusqu’en 380. nent Himère.
509 Premier traité entre Rome et Carthage, in- 380 Fin du pouvoir des Magon. Début du pou-
terdisant aux Romains et à leurs alliés de voir oligarchique. Établissement du con-
naviguer au-delà de cap Sidi Ali Mekki seil des 104. Ce système perdurera jusqu’à
(Ghar El-Melh) la deuxième guerre punique contre les
Romains.
360 Hannon le grand tente de renverser le sys-
tème oligarchique.

131 132
348 Deuxième traité avec Rome. 225 Les Carthaginois fondent Carthagène en
Espagne.
332 Les habitants de Tyr se réfugient à Carthage,
Mort d’Asdrubal. Hannibal lui succède à la
pour fuir l’avancée d’Alexandre
tête des armées carthaginoises en Espagne.
330 Aristote considère que la constitution de
219 Hannibal assiège Sagonte en Espagne pen-
Carthage est démocratique et qu’elle est le
dant 8 mois puis la prend.
meilleur des systèmes politiques.
218 Rome déclare la guerre à Carthage.
307 Bomilcar essaie de renverser le système oli-
garchique. 218-201 Deuxième guerre punique.
306 Troisième traité entre Carthage et Rome. 218 Hannibal traverse l’Èbre en juin, les
Pyrénées en juillet et le Rhône au nord
279-278 Quatrième traité entre Carthage et Rome.
d’Avignon mi-août. Il traverse ensuite les
Alliance entre Rome et Carthage contre
Alpes pendant l’automne 218. Bataille du
Pyrrhus.
Tessin, fin novembre 218, remporte la ba-
278-276 Pyrrhus à Syracuse. Carthage détruit sa taille de Trébie, fin décembre.
flotte.
217 Hannibal passe l’hiver dans les zones maré-
256-255 Regulus débarque en Afriqiya et occupe cageuses de l’Arno et perd l’un de ses yeux
la ville de Tunis, mais les Carthaginois le à la suite d’une maladie. Le 21 juin 217, il
vainquent et le font prisonnier. remporte la bataille de Trasimène.
247 Hannibal naît à Carthage. 216 Le 2 août 216, Hannibal remporte la ba-
241 Carthage perd la Sicile. taille de Cannes en Italie. Entre 50 et 60
mille morts restent sur le champ de bataille
241-237 Abd Melqart (Hamilcar Barca) écrase la ré- du côté des Romains. Hannibal refuse de
volte des mercenaires. marcher sur Rome, alors qu’il pouvait la
238 Rome annexe la Sardaigne et la Corse. soumettre et changer le cours de l’histoire.
Il a préféré rester dans le sud de l’Italie, spé-
237-229 Hamilcar conquiert l’Espagne. Puis son ne- cialement à Capoue.
veu Asdrubal lui succède.

133 134
215 Hannibal signe un traité avec Philippe V de 201 Traité de paix entre Carthage et Rome.
Macédoine. Carthage se débarrasse de sa flotte et s’en-
gage à ne plus chercher à s’étendre au-delà
213 Hannibal conquiert Tarente.
de l’Africa (l’actuelle Tunisie)
211 Hannibal marche sur Rome et l’assiège.
196 Hannibal est élu suffète de Carthage, c’est-
207 Asdrubal, arrive d’Espagne, traverse les à-dire gouverneur civil. Il commence à ré-
Pyrénées et les Alpes à la rescousse de son former le système politique, renforcer les
frère Hannibal, mais meurt dans l’une des prérogatives du Conseil du peuple et li-
batailles. Carthage s’allie avec Syphax le miter le pouvoir des juges, lutter contre la
numide et Rome s’allie avec Massinissa. corruption et le clientélisme. Il entreprend
206 Scipion le chef romain remporte la bataille de grandes réformes urbaines. Cela lui at-
contre les Carthaginois en Espagne. tire l’animosité de plusieurs aristocrates qui
commencent à comploter contre lui en in-
204 Scipion descend en Afrique, exportant la citant Rome à prendre des mesures contre
guerre dans le territoire de Carthage, com- lui.
me a fait Hannibal avec Rome. Il assiège
Utique. 195 Hannibal quitte Carthage, à travers
Karkéna, entreprend un voyage à Tyr, six
203 Scipion gagne la bataille des grandes plai- siècles après qu’Élissa en soit arrivée. Il aide
nes sur la Medjerda, avec l’aide du prince le roi Antiochos III en Syrie.
numide Massinissa. Le Conseil des an-
ciens ordonne à Hannibal de retourner à 193 Hannibal mandate un missionnaire spécial
Carthage. Il arrive avec ce qui reste de son à Carthage. Mais celui-ci échoue. Scipion
armée et débarque à Sousse (Hadrumète) défend Hannibal devant les autorités ro-
maines et prend le parti de Carthage dans
202 Hannibal perd la bataille de Zama ( Jama le conflit qui l’oppose à Massinissa.
aujourd’hui près de Séliana). Il ne s’y était
pas préparé suffisamment. Fin de l’automne 192-190 Hannibal assiste Antiochos dans sa guerre
202. contre les Grecs, mais celui-ci n’était pas en
mesure de les affronter et il subit la défaite.

135 136
189-187 Hannibal part pour la Crète, puis pour l’Ar- 212 Caracalla donne aux Africains de Carthage
ménie, où il trace les plans de la cité d’Ar- le droit à la citoyenneté.
taxata.
215 Les Romains persécutent les Chrétiens à
187 Hannibal se réfugie auprès du roi Prusias, Carthage.
en Bithynie, au nord de la Turquie. Il fonde
345 Naissance de Saint Augustin.
pour lui une nouvelle capitale, Prusa.
439-533 Les Vandales à Carthage.
183 Hannibal boit un poison qu’il cachait dans
sa bague et préfère mourir plutôt que d’être 534 Les Byzantins occupent Carthage
livré aux Romains. A Carthage Massinissa 645 Les Arabes arrivent en Afrique.
tente d’étendre son territoire et l’expose à
une troisième guerre contre Rome. 647 La bataille des 7 Abdallah près de
Subeitela
149-146 Troisième guerre punique. Carthage est dé-
faite. 670 Okba Ibn Nafaâ fonde Kairouan.
46 Jules César fonde l’Africa Nova. 683-688 Résistance du chef Berbère Kouceila.
29 Carthage prospère de nouveau, au temps 698 Hassen Ibn Noôman entre à Carthage.
des Romains. 686-698 La Kahéna, la princesse berbère, oppose
17-24 Révolte de Tacfarinas. une résistance farouche aux Arabes.
J-C. 701 Mort de la Kahéna.
128-134 L’empereur romain Hadrien ordonne la 705 Moussa Ibn Nouçair reprend la conquête
construction des aqueducs reliant Zaghouan du Maghreb.
à Carthage.
711 Tarak Ibn Ziad conquiert l’Andalousie
193-211 Septime Sévère inaugure la dynastie des
empereurs africains. Il ordonne d’embel- 827 Les Aghlabides prennent la Sicile.
lir le tombeau d’Hannibal avec du marbre 969 Jawhar As-Siqilli fonde le Caire.
blanc, trois siècles après la mort du héros
carthaginois.

137 138
3
. La vie politique en Tunisie a besoin de nos jours
d’approfondissement idéologique. Les partis ne se
NOTES sont pas assez préoccupés de leur soubassement
. L’idéologie ce n’est pas uniquement la pensée politi-
1
idéologique. Nous croyons que, même si les pro-
que, mais la pensée organisée, en mesure de met- grammes sont similaires et que les slogans en vue
tre cette pensée politique en pratique. Car, toutes des élections se ressemblent, le Rassemblement
les idéologies connues se sont incarnées dans des Constitutionnel Démocratique gagnera beaucoup
systèmes sociaux, qui ont des valeurs distinctes, à simplifier davantage son idéologie et la diffuser
des institutions et des méthodologies différentes, surtout auprès de l’élite et de la jeunesse.
comme le libéralisme, le marxisme, le fascisme et 4
. Le discours du Président Ben Ali, du 4 décembre
les autres idéologies qui en sont dérivées. Dans la
1993, à l’occasion de la Journée de la culture :
conscience populaire, il ne subsiste des idéologies
que de simples devises. « Nous avons œuvré, depuis le début du
Changement, à garantir une culture authentique,
2
. En plus des leçons réservées à l’étude de l’histoire,
renouvelée, nous lui avons préparé toutes les con-
que ce soit dans les écoles ou à travers les médias
ditions susceptibles de l’épanouir et de l’enrichir,
comme les journaux, la radio, la télévision, les
de par notre conviction qu’il ne peut y avoir de
contes pour enfants, les films, les pièces de théâ-
changement sans une culture qui fait renaître et
tre et autres moyens culturels. Car, celui qui suit
stimuler les valeurs et idéaux civilisationnels. Cette
une spécialité, comme l’ingénierie, l’architecture, la
culture doit représenter les valeurs de notre époque
médecine, les sciences juridiques, économiques ou
et contribuer à les féconder grâce aux spécificités
politiques, ainsi que les arts et lettres, est appelé à
nationales. Elle doit répandre parmi les gens la
connaître les grands hommes de la Tunisie, parmi
fierté de vivre et ancrer chez eux la conscience de la
ceux qui ont contribué à enrichir ces sciences, de-
nécessité d’innover et de créer ».
puis des millénaires. Cela est susceptible d’ajouter
une certaine saveur, de susciter chez l’apprenant un 5
Photo que nous a envoyée le consul tunisien en
intérêt particulier, en évaluant son propre rôle dans Turquie, Béchir Mesakni.
la réception de ces sciences et leur développement 6
. Plusieurs siècles sont passés sur ces noms, plusieurs
et dans l’enrichissement de notre histoire par de plumes les ont tracés et plusieurs langues les ont
nombreuses recherches sectorielles aidant les his- transmis. Mais ce que nous utilisons de nos jours
toriens à comprendre d’une manière plus ample et est ce que la langue de Rome ou celle qui en sont
plus précise notre histoire globale.

139 140
dérivées ont écrit. Ainsi Hamilcar Barca, par exem- 13
. De grandes civilisations ont été fondées sur cette
ple, est en fait ‘Abd Melqart en carthaginois. Mais, dimension psychologique, ce sens de la fierté et la
pour simplifier les choses, nous utiliserons les noms volonté de surpasser les autres. Même si d’innom-
courants. Nous signalerons cependant leurs origi- brables ouvrages ont été écrits à ce sujet, je voudrais
nes carthaginoises, chaque fois que possible. en signaler un autre, paru dernièrement en France,
7
. A Tessin et à Trébie, en 218 av. J-C et à Trasimène dans lequel l’auteur affirme que la France va à la
en 217. dérive alors qu’elle a une histoire millénaire et pos-
8
. Une forte mobilisation psychologique et idéolo- sède une richesse naturelle et culturelle qui peuvent
gique sur fond d’hégémonisme a précédé la des- en faire l’Athènes de l’Europe. cf. J.C, Barreau, La
truction de Carthage, dans laquelle s’est distingué France va-t-elle disparaître ? Paris, Grasset, 1997.
Caton avec ses multiples interventions devant le 14
. Lors des trois décennies passées, nos historiens ont
Sénat romain et qui se résume à sa haïssable phra- fourni des efforts gigantesques pour contrecarrer
se : « L’ennemi est à nos portes », « Il faut détruire cela. Mais ces efforts n’ont pas trouvé le chemin
Carthage » (Delenda Carthago est). de la culture commune de la masse, y compris les
9
. cf. Lancel Serge, Hannibal. Paris. Fayard. 1995 p. écoles. Avec le Changement, une attention parti-
178. culière est dévolue à la réécriture de notre histoire
10
. Tableau « Bonaparte traversant les Alpes », de dans les manuels scolaires pour la désengager de
Jacques Louis David (1801). l’emprise des influences étrangères et lui insuffler
11
Mémorial de Sainte Hélène, Paris, Gallimard, bibl. de un esprit patriotique clair. Nous citerons dans ce
la pléiade, T. 2, p. 338. qui suit quelques écrits, en espérant n’en avoir pas
12
. v. ce qu’en a dit dernièrement J.Chesneau : « la crise oublié les plus importants :
du temps est aussi crise du sens. Elle a une portée Histoire générale de la Tunisie, Collectif, 4 vol, STD,
politique. En histoire, une révolution copernicienne Tunis 1968.
s’impose : non plus partir du passé pour aller vers le
présent, mais l’inverse. Mémoire, racines, patrimoi- qui est un résumé d’histoire de la Tunisie et auquel
ne sont des repères ambigus. Le bon usage du passé ont participé d’éminents historiens tunisiens dont
ne consiste pas à le conserver ni à l’occulter, mais Mohamed Talbi, Ammar Mahjoubi, Hédi Slim,
à recueillir son expérience pour préparer l’avenir. Hichem Djaïet et Khaled Belkhodja. v. Hammadi
Avec la mondialisation, le temps se rétracte, tandis Chérif : Târîkh tounes (Histoire de la Tunisie)
que l’espace s’ouvre. » Cérès. Tunis, 1996. En outre, l’Agence Nationale
du Patrimoine a publié plusieurs ouvrages relatifs

141 142
aux cités historiques (Sbeitla, Dugga, Kairouan, Voir l’article de Ammar Mahjoubi à ce sujet dans
etc...). Elle a publié aussi un ouvrage collectif sur Mélanges Talbi, «Hannibal, les sources gréco-ro-
les hommes illustres et les grands monuments de maines et l’historiographie». Faculté des Lettres de
Tunisie, en collaboration avec l’Institut National la Manouba, Tunis, 1993, p. 173.
du Patrimoine :
L’une des rares exceptions de l’historie tunisienne
Hommes et monument, ANP et INP, Collectif, est l’œuvre d’Ibn Khaldoun. Son monumental
Tunis, 1996. « Kiteb al ‘ibar wa Diwan al-mobtada wal-khabar. »
et de Ahmed Ibn Abi Dhiaf : « Ithaf ahl az-zamène
Quant à Carthage, nous signalerons seulement
bi akhbar moulouk Tounès wa ‘ahd al-amène. » Tunis,
deux ouvrages, nous aurons plus loin l’occasion d’en
1963.
citer d’autres :
Voir Abou Oubaïd Al-Barki, Al Masâlik wal-mamâlik,
Fantar, M’hamed Hassine, Carthage : Approche
et Al Moghrib Fi Bilad Al-Maghrib, Leyden 1948
d’une civilisation, 2 tomes, éd. Alif, 1993.
et Paris 1965.
Lancel, Serge, Carthage. Paris. Fayard. 1992.
. C’est ainsi que l’appellent la plupart des historiens,
16

. Comme Hérodote, Aristote, Polybe, Diodore de


15
ou encore l’empire de la mer. v. surtout le dernier
Sicile, Appien, Tite Live et Justin. Car, les docu- ouvrage de Sabatino Moscati, L’empire de Carthage.
ments ont été brûlés ou détruits. Et ce que Juba II Agence Nationale du Patrimoine. Éd. Alif, 1996
a conservé a subi à son tour les affres du temps. v. (avec CD Rom). Ce livre a été préfacé par le pro-
ce qu’en disent : fesseur M.H. Fantar.
Gsell : Histoire ancienne de l’Afrique du Nord. 8 vol. 17
. Certains ont utilisé son expression «Delenda
Paris. 1928. Carthago» sans gêne, pour décrire la période qui
F. Decret, Carthage, ou l’empire de la mer, Paris, a suivi la chute de Carthage.
1977. 18
. v. La présentation de Mohamed Talbi, dans sa pré-
M. H. Fantar, Tunisie : 30 Siècles de civilisation, face à Histoire générale de la Tunisie. Op. cit. vol. 2
Tunis1983. p. 7.

En outre, des travaux de première main des histo-


19
. Celui qui lit de nos jours les écrits des historiens
riens d’Hannibal ont été perdus, tels que Philonos, tunisiens de façon générale, éprouve ce genre de
Chaereas, Sosilos, Silenas. sensation et ressent leur volonté de mettre en va-
leur les trésors que recèle notre terre généreuse, de

143 144
valoriser ses richesses historiques et archéologiques sociétés industrielles avancées. Paris. Economica.
et de manifester la diversité et l’authenticité de son 1993.
produit civilisationnel. . Abderrazak Grageb nous informe qu’on a découvert
23

20
. Le Président Ben Ali a déclaré, dans son discours dans cette région un outil de fabrication primitive,
du 18 juillet 1992, à l’occasion de la Journée du sa- qui remonte à plus de deux millions d’années. C’est
voir : la période qui correspond à l’apparition des pre-
miers hominidés au Sud et à l’Est de l’Afrique.
« Nous avons focalisé notre attention sur l’histoire 24
. v. Mounira Riahi, in Tunisie, hommes et monuments.
du pays, afin qu’elle soit enseignée d’une manière
p. 60.
objective, en vue de restituer à la mémoire natio- 25
. v. Abderrazak Grageb, La période préhistorique en
nale toutes ses composantes dans leurs diversités,
Tunisie (en arabe). Tunis. Publications de l’Institut
la fécondité de ses apports et la clarté de son rayon-
National des Sciences de l’Éducation. 1993. v. aus-
nement, à travers les époques successives, sans
si : Tunisie, terre des rencontres, terre des civilisations.
qu’elle soit entachée de fanatisme, ni de partialité,
(en arabe). Tunis, Agence tunisienne du Patrimoine
d’exclusion ou de distorsion. »
et Institut National d’Archéologie et d’Art, Cérès
21
. Le Centre National Pédagogique a publié, depuis diffusion, 1992, p. 32. Il existe sans doute d’autres
les années 90 une série de livres d’histoire, pour les références importantes sur ce sujet, mais nous ne
écoles de base et les lycées secondaires. Ces livres les citons qu’à titre indicatif. Le lecteur ne doit pas
ont été dirigés par des commissions multidisci- y chercher une quelconque méthodologie scienti-
plinaires, parmi les spécialistes chevronnés, his- fique, comme celles auxquelles il s’est habitué dans
toriens, archéologues et pédagogues. Ils prennent les livres d’histoire et d’archéologie.
en considération cette nouvelle vision de l’histoire 26
. Le politicien ressent le besoin de tels petits livres,
et essaient de choisir les textes et d’harmoniser les quand il rencontre les enfants de certaines villes
matières, de telle sorte que l’élève en tire une idée ou villages. L’histoire est une référence essentielle
équilibrée sur l’histoire de son pays. v. par exemple, pour stimuler l’enthousiasme des gens, capter leur
le livre d’histoire de la quatrième année secondaire attention et leur faire ressentir ce sentiment de
qui est un travail réalisé sous la direction du profes- fierté. Nous ne devons pas nous suffire des guides
seur Ammar Mahjoubi. touristiques. Nous devons orienter ces livres vers
22
. v. l’important ouvrage : la création d’une profonde culture politique, afin
qu’ils ne ressemblent pas à de simples guides pour
Inglehart, Ronalt, La transition culturelle dans les touristes.

145 146
27
. v. en plus des références d’ordre général ce qu’a écrit et de ses découvertes. Mais, il est à craindre que la
Liliane Ennabli autour du symbole du christianis- volonté d’excellence au nom de l’authenticité ne se
me en Tunisie, Saint Augustin : Tunisie, Homme et transforme en un renfermement sur soi qui nous
monuments, op. cit. p. 67. et aussi Brown, P. La vie priverait de la présence et de la faculté de participa-
de Saint Augustin. Paris, Seuil. 1971. tion, ou à une ouverture qui diluerait notre identité
nationale et nous fait entrer dans la sphère de la
28
. La synagogue de la Ghriba à Jerba par exemple a
dépendance. Seul le fait de pourvoir aux circons-
plus de 2600 ans d’âge. v. Aziza Tanfous : Tunisie,
tances objectives d’un environnement culturel sera
Hommes et monuments. Op. cit. p. 62.
en mesure de réaliser la mutation culturelle partici-
29
. M’hamed Hassine Fantar. op. cit. pant à l’évolution qualitative que vit notre société.
30
. Le Président Ben Ali a déclaré dans son discours Le discours du changement vise à créer une culture
du 27 octobre 1990, à l’occasion de la Journée de la authentique, puissante, compétitive et durable. Car,
culture : « L’excellence est le trait caractéristique de la lutte des civilisations est l’un des plus grands dé-
l’authentique culture du Changement. C’est la fier- fis de notre temps. Et notre degré de réussite dans
té du peuple et le porte parole de la société, de son l’édification d’une nouvelle culture dépendra de la
mode de pensée, de ses valeurs et de ses symboles création de notre nouvelle société, de nos institu-
indépendants qui expriment sa maturité et le de- tions garantes de son équilibre, de sa pondération
gré de son développement. C’est ce qui exprime sa et de sa pérennité... Ainsi, le traitement des cultu-
conception de la nature, du monde et de tout l’uni- res comme simple fonds budgétaires, des services
vers. L’excellence est une concrétisation du présent ou comme production quantifiable est une erreur
et l’esquisse des grands traits du futur, ce futur qui que nous devons éviter. La diffusion de la culture
sera édifié par la spécificité du système culturel et de notre élite –qui constitue notre conscience- en
social, à la fois indépendant et délimité. Toutefois, vue de relever le niveau de conscience générale, est
les limites, même si elles sont capables de séparer une revendication civilisationnelle et un droit civi-
les périodes, les lieux et les races, elles sont incapa- que. Nous sommes déterminés à ancrer les valeurs
bles d’empêcher les cultures de se mélanger et de culturelles du Changement pour servir le processus
s’interpénétrer... L’un des plus importants facteurs démocratique et pour instituer la liberté comme
qui rapprochent de nos jours les cultures est celui valeur fondamentale de la créativité ».
de la technologie qui génère des types similaires de 31
. Un tel discours politique a dû certainement exister
comportement et de pensée, en plus de l’unité de la dans la longue histoire de notre pays. Il serait inté-
science et l’interconnexion des branches du savoir ressant de faire des recherches dans ce sens et d’étu-

147 148
dier son influence sur le rythme du développement « Les Puniques avaient acquis la réputation d’être
et la mobilisation psychologique du peuple. des commerçants habiles, hardis, capables d’entre-
prendre de longs voyages, d’apprendre les langues
32
. Dans son discours du 14 juin 1990, à l’occasion de
étrangères, de s’informer sur les mœurs et les goûts
la clôture du congrès national sur l’exportation, le
de leur clientèle interne et externe, afin de la sé-
Président Ben Ali a déclaré : « la bataille pour le
duire, de la convaincre et de lui vendre la marchan-
développement est la condition de réussite de no-
dise à écouler. Pour les autres, les Puniques étaient
tre société, sa pérennité et sa stabilité. C’est ce qui
perçus avant tout comme des commerçants qu’on
rend votre activité plus proche de la lutte patrioti-
pouvait rencontrer sur tous les marchés, dans tous
que que d’une simple tâche professionnelle ».
les ports. (Carthage : Approche d’une civilisation, op.
33
. A propos de la contribution des Tunisiens dans les cit, p.309.)
domaines des sciences, des arts et métiers, v. 36
. Là aussi nous mentionnerons le discours du 4 no-
Fantar M.H. Carthage : Approche d’une civilisation. vembre 1991, du Président Ben Ali, dans lequel
op. cit. il déclare que : « autant nous avons redonné vie
à nos sources historiques nationales et à la pen-
34
V. par exemple la charte du Rassemblement sée sur laquelle nous avons fondé notre vision du
Constitutionnel Démocratique, et les mo- Changement, autant nous avons enrichi nos con-
tions (Congrès du Salut, 1988 et Congrès de la ceptions de ce que l’humanité a réalisé comme
Persévérance, 1993). Le Président Ben Ali a dé- progrès et nobles principes et des points de vues
claré le 25 juillet 1989, à l’occasion de la 32ème fête civilisés sur l’édification des sociétés modernes se
de la République : « Afin d’atténuer la charge sur refusant à l’enfermement sur soi et à la négation
le budget de l’État, notre politique a opté pour le des réalisations humaines, tenant à conserver les
désengagement de l’État de la gestion directe des spécificités des fondements de notre identité na-
entreprises œuvrant dans les secteurs compétitifs, tionale.»
non sensibles, afin que l’État puisse se consacrer, 37
v. le livre de l’Agence nationale du patrimoine, 25
d’une manière plus efficiente, à ses fonctions essen- siècles de monnaies tunisiennes, texte de Khaled Ben
tielles qui consistent à dispenser les services collec- Romdhane, mars 1996.
tifs comme l’éducation, la santé et l’infrastructure v. aussi l’ouvrage : Tunisie, terre de rencontres, terre
et d’assumer ses responsabilités dans les secteurs de civilisations. op. cit. p. 294.
stratégiques dont dépend l’avenir du pays ». 38
. Ennabi Abdelmajid et alii., Carthage retrouvée,
35
. v. ce qu’a écrit M.H.Fantar, à ce propos : Tunis, Cérès, prod., 1995, p. 82 et s.

149 150
Le récit du voyage de Hannon était inscrit sur des unité de mesure grecque qui équivaut à 180 m) que
plaques de bronze suspendues dans le temple de nous avons baptisée Cerné. Nous y avons laissé un
Baal Hamon. bon nombre de colons… Et de là, nous avons tra-
versé la grande rivière Chrétès, derrière laquelle il y
En voici quelques extraits : « Les Carthaginois ont
a un grand lac, avec trois îles encore plus grandes
décidé d’envoyer Hannon dans un périple au-delà
que celle de Cerné. Nous avons pris la mer à partir
des colonnes d’Hercules pour installer des colonies
de ces îles pendant une journée au bout de laquelle
carthaginoises. On a armé 60 navires, avec 50 ra-
nous avons atteint un grand golf entouré de mon-
meurs et 30.000 hommes et femmes et tout ce dont
tagnes gigantesques habitées par des sauvages qui
ils ont besoin comme provisions… » « … Deux
recouvraient leurs corps de peaux d’animaux. Ils
jours après avoir franchi les colonnes d’Hercules,
nous jetaient de grandes pierres, nous empêchant
nous avons fondé une cité que nous avons appelée
d’accoster. Nous avons donc poursuivi notre che-
Thyrmaterion, puis nous avons continué dans la
min jusqu’à ce que nous entrions dans une autre
même direction (vers l’ouest) jusqu’au cap Soloeis,
grande rivière qui pullulait de crocodiles et d’hip-
qui était tout couvert d’arbres. Nous y avons cons-
popotames. Nous avons rebroussé chemin vers l’île
truit un sanctuaire pour Poseidon (le dieu de la
de Cerné d’où nous étions partis… »
mer chez les Grecs). Nous avons continué notre
périple maritime dans la direction du soleil levant . cf. l’ouvrage : Carthage, l’histoire, sa trace et son écho
39

pendant une demi-journée. Nous avons atteint (une exposition commune tuniso-française ; mu-
un lac côtier, couvert de roseaux et peuplé d’élé- sée du Petit Palais (Paris) du 9 mars au 2 juillet
phants et beaucoup d’autres animaux. Après avoir 1995. Paris, Association d’actions artistiques, 1995,
traversé ce lac, à une journée de navigation, nous p. 118 et s.
avons installé d’autres colonies du côté du Mur
. v. Fantar, M. H., Carthage : Approche d’une civilisa-
40
Carrien, Gytté, Acra, Melitta et Arambys. Après
tion, op. cit, p. 172 – 176.
l’avoir quitté, nous atteignons la rivière Lixos qui
descend du mont Luba. Nous avons fait une halte . Le Président Ben Ali a déclaré dans son discours du
41

chez les tribus nomades des Lixites, qui habitaient 18 juillet 1992, à l’occasion de la Journée du savoir :
les rives du Lixos. Nous sommes repartis ensuite « Nous avons accordé beaucoup d’importance à
en direction du Sud, en prenant avec nous quelques l’enseignement des langues étrangères afin de pro-
interprètes lixites. Nous sommes arrivés, après trois téger la modernisation de la culture nationale du
jours de navigation, à un golf comprenant en son danger du repliement sur soi et permettre à notre
milieu une petite île de 5 stades (le stade est une jeunesse un accès direct à la production de la pensée

151 152
mondiale afin de rapprocher les savoirs humains et les deux parties. Cet accord sera élargi, plus tard,
répandre la culture de fraternité, dans l’édification à tous les pays du Sud de la Méditerranée, dans le
d’une personnalité éclairée et équilibrée.» but de généraliser l’espace de développement et de
démocratie dans les pays du Sud. De notre point
. v. Aristote, Politique II, 8. cité d’après Fantar, M.H.,
42
de vue, cet accord est le meilleur cadre pour con-
Carthage : Approche d’une civilisation, tome I, pp.
crétiser nos propositions relatives au renforcement
214-216.
du développement commun et le traitement, total
43
. Gsell, op. cit. et surtout Michelet, Histoire romaine. ou partiel, du problème d’endettement en le réem-
II, 125. ployant dans les programmes de lutte contre la pol-
44
. Le Président Ben Ali a insisté depuis des années lution et la protection de l’environnement, pour li-
sur la nécessité d’un accord de paix et de coopé- miter l’émigration, assurer la sécurité et consolider
ration en Méditerranée et aussi pour un accord de la stabilité sociale. La création de nouveaux instru-
développement et de solidarité entre les deux rives ments de coopération financière, comme de fonder
de la Méditerranée. A propos du premier, il a dé- une banque euro-maghrébine de développement,
claré dans son discours du 16 juillet 1990 : « De par est à notre avis le meilleur garant de la réussite de
notre conviction quant à l’importance de la coopé- ce programme de développement commun aux
ration internationale, et de par notre contribution deux parties, et par la même de notre réussite à dé-
à concevoir une nouvelle vision de la coopération velopper la région méditerranéenne, et à y garantir
dans cette région, nous avons proposé une nouvelle paix et stabilité. »
méthodologie fondée sur le développement com- 45
. Pour une idée générale simplifiée, à propos de la
mun entre les États méditerranéens, dans le cadre technologie prévue en l’an 2025 et ce qui s’ensuit
d’un accord de paix et de coopération entre ces dif- comme industries, métiers et moyens de produc-
férents pays ». Pour ce qui est du second, il a décla- tion :
ré, le 24 novembre 1993 : « La Tunisie qui préside
Coastes Joseph, «L’avenir hautement proba-
actuellement l’Union du Maghreb Arabe, appelle à
ble. 83 hypothèses pour l’année 2025», traduit in
réfléchir à de nouveaux mécanismes de coopération
Futuribles, Avril 1996, p. 19 et s. Il est possible,
régionale, dans le but de fonder un espace méditer-
pour ceux qui désirent avoir une idée des travaux
ranéen. Je renouvelle devant vous notre proposition
relatifs à l’anticipation sur les technologies futures
de tenir une conférence sur le développement dans
et leurs incidences sur l’industrie et le travail, de
les pays du Maghreb arabe, qui sera couronnée par
voir sur Internet aux adresses suivantes :
un accord de développement et de solidarité entre

153 154
—Pour les recherches menées par l’Institut National citoyens qui sont versés dans toutes les sciences. Ils
des Politiques Scientifiques et Technologiques les ont apprises dès leur plus jeune âge pour par-
( Japon), v. The Fifth Technology Forecast, Future faire leur culture quand ils étaient encore enfants.
Technology in Japan. Novembre 1992. Ils s’en sont glorifiés dans les assemblées quand ils
sont devenus adultes et les ont données en exem-
http://www.nistep.go.jp
ple quand ils sont devenus vieux. Ô Carthage ! Ô
—Concernant l’Institut Fraunholfer, sur la recherche vénérable école de notre province ! Ô Carthage, ô
des systèmes et de la rénovation (Allemagne), v. divine déesse qui a inspiré l’Afrique ! Ô Carthage !
Cuhls, Kerstin, Uhlborn, Christian, Grupp, ô Carmen* du peuple portant la toge* ». (Carmen,
Hariolf : Foresight in Science and Technology-Future est la déesse romaine qui inspire la poésie. La toge
Challenges of the German S&T System. In Krull, est l’habit officiel des citoyens romains.)
Wilhelm ; Meyer-Krahmer, Frieder, (eds) : Science 47
. Si nous considérons par exemple l’agriculture, nous
and Technology in Germany. London : Cartermill. verrons que les Carthaginois ont excellé, parce qu’ils
1966, p.63-81 (ISI P 76 96) l’ont traitée comme une science. Ils ont suivi, dans
—Pour ce qui est de l’Institut International d’Analyse les travaux agricoles, les méthodes innovantes qui
des Systèmes Appliqués (Australie), v. ont ébloui les Grecs et les Latins. Parmi les savants
carthaginois que l’histoire célèbre, nous citerons
Developing Long-term Strategies for Science and Magon, qu’on a surnommé le père de l’agriculture.
Technology in Australia ; findings of the study : Les Carthaginois de façon générale respectaient
matching science and technology to future needs 2010. beaucoup les sciences et encourageaient ses appli-
Octobre 1996. cations.
http://astec.gov.au Magon disait, entre autres : « celui qui achète une
—Quant à l’Union Européenne, v. les publications de terre (agricole), doit vendre la demeure qu’il pos-
l’Institut des Perspectives Technologiques : sède en ville… ». Il a conseillé de laisser entre un
olivier et un autre une distance de 75 pieds (22
http://www.jrc.es m) au moins, si la terre est pauvre, dure et expo-
46
. Dans ses Florides, Apulée a parlé de l’amour que sée au vent. C’est à peu près la distance en usage
vouent les Carthaginois à la science : « Quoi de jusqu’à nos jours (24 m). Il avait dit : « plantez les
plus louable que de faire l’apologie de Carthage. Je ceps de vigne face au nord, pour éviter la canicule,
ne vois à travers la cité que des gens cultivés et des plantez-les dans des creux où vous mettrez quel-

155 156
ques cailloux pour protéger ses racines des pluies 50
. v. ce que dit Salluste à propos de cet héroïsme :
de l’hiver qui emportent tout sur leur passage et de
« Puisque les événements de Leptis (Libye) nous
la chaleur brûlante de l’été. Remplissez ces trous
ont amenés dans ces régions, il ne me parait pas
graduellement avec de la terre, une année après
indigne de cette histoire de rappeler l’héroïsme in-
l’autre, de telle façon que les racines plongent petit
croyable de deux Carthaginois, que ce lieu m’a remis
à petit dans le sol. Mettez-y de l’engrais à base de
en mémoire. Au temps où Carthage était maîtresse
lie de vin et d’excrément ». (Columelle, De re rus-
de la plus grande partie de l’Afrique, elle avait en
tica. III, 12)
Cyrène une rivale aussi riche que puissante. Entre
Apulée a fait référence dans son Histoire naturelle, les deux villes s’étendait une plaine sablonneuse et
XVIII, 22) à l’encyclopédie de Magon. Il y dit que le uniforme, sans fleuve ni montagne qui pût servir de
Sénat romain lui a réservé un grand honneur. Ainsi, limite; ce fut la cause d’une guerre longue et cruelle
après la victoire sur Carthage, ses bibliothèques fu- entre les deux pays.
rent offertes aux princes africains, sauf l’encyclopé-
De part et d’autre, les armées, les flottes s’étaient ré-
die de Magon. On a décidé de traduire ses 28 livres
ciproquement battues et mises en déroute, les adver-
en latin. Et on a recommandé de la placer dans le
saires s’étaient usés sensiblement, l’un l’autre ; aussi,
temple d’Apollon. Cette encyclopédie a vécu ainsi
craignant que le vainqueur et le vaincu, épuisés tous
des siècles durant. Jusqu’au VIe, quand on en fit une
les deux, ne devinssent la proie d’un nouvel agres-
traduction byzantine et au XIe quand le savant an-
seur, ils profitent d’une trêve pour établir la conven-
dalou Ibn Al-Awwam s’en inspira par exemple pour
tion suivante : a un jour fixe, des représentants de
la technique d’arrosage au goutte à goutte, en plan-
chaque ville partiraient de leur patries respectives;
tant sous chaque arbre une jarre qu’on remplissait
et le point ou ils se rencontreraient serait reconnu
d’eau au printemps, saison d’abondance des pluies
comme formant la frontière entre les deux peuples.
et qui fournissait ainsi de l’eau aux racines de l’arbre
pendant la sécheresse de l’été. Carthage délégua deux frères, du nom de Philènes,
qui firent grande diligence; les Cyrénéens allèrent
48
. Programme des Nations Unies pour le développe-
plus lentement : fut-ce paresse de leur part ou acci-
ment. Rapport annuel sur le développement hu-
dent, nous ne savons. Dans ces contrées, non moins
main. 1994.
qu’en pleine mer, la tempête empêche d’avancer.
49
. (Bulletin mondial), par the World Times Globar Lorsque le vent souffle sur cette plaine unie et
Research. Mars 1997. sans végétation, il soulève des nuages de sable qui,
chasse avec une grande force, emplissent la bouche

157 158
et les yeux des voyageurs, masquent la vue et retar- Pour avoir une idée sur la situation actuelle en
dent la marche. Lorsque les Cyrénéens se virent France, voir cet exemple très expressif :
assez bien devancés, craignant d’être partis de chez
« Une nouvelle identité nationale » dans la Figaro,
eux avant le temps fixe; ils contestent les résultats
10 Juin 1997, p. 8.
de l’épreuve ; bref, ils préfèrent tout à la honte de
s’en aller vaincus. Concernant la prévision des luttes idéologiques au
début du siècle prochain,
Les Carthaginois demandent alors qu’on fixe
d’autres conditions pourvu qu’elles soient équita- v. Prins, Gwyn, « Les défis du 21ème siècle dans le
bles. Les Grecs leur donnent alors à choisir ; soit domaine de la sécurité », Revue de L’OTAN, Janvier
d’être enterrés vifs à l’endroit où ils voulaient fixer 1997, vol. 45, pp. 27-30.
les limites de leur pays, soit de les laisser s’avan- 52
. Comme le fait de fournir des services sociaux, aides
cer, à pareille condition, jusqu’à l’endroit qu’ils lors des grandes occasions, et soutien pour trouver
voudraient. La convention fut approuvée, et les du travail, et le fait de les attirer grâce à l’animation
Philènes firent à leur patrie le sacrifice de leurs per- d’activités de distraction pour les jeunes. Ces acti-
sonnes et de leur vie: ils furent donc enterrés vifs. vités restent utiles, mais leur exploitation politique
Les Carthaginois leur élevèrent sur place des autels devient de plus en plus difficile. En tout cas, cela
qui portent leur nom, et leur décernèrent d’autres ne touche pas l’élite parmi les jeunes ou les adul-
honneurs dans la ville même.». tes, parce que ceux-là n’ont pas besoin d’une telle
aide et ils n’adhèreront pas au parti et ne militeront
Fantar, M.H. Carthage : Approche d’une civilisation,
pas réellement s’ils ne sont pas convaincus par le
op. cit, t. 2, p. 160.
message.
51
. v. un recueil d’articles à ce propos : 53
. Dans l’idéologie du Rassemblement Constitutionnel
Culture, idéologie et société, le Monde, Manière de
Démocratique, nous trouvons une mention spé-
voir. Mars 1997.
ciale au Maghreb Arabe. Car, il y a un sentiment
Voir aussi : d’appartenance à une entité commune. Ce senti-
ment est en harmonie avec les données historiques,
Leroix Alain, Retour à l’idéologie. Paris, PUF,
à la fois anciennes et modernes. Lors de la lutte
1995.
de libération nationale, la dimension maghrébine
Châtelet, Français, les idéologies. Paris, Hachette, avait pris une forme organisationnelle et solidai-
1978. re très forte. En outre, lors du Congrès du salut,

159 160
(1988), et du Congrès de la persévérance (1993), pes. Car le libéralisme économique, par exemple,
le Rassemblement Constitutionnel Démocratique est associé à notre tradition d’autonomie et à notre
a focalisé sur l’action maghrébine commune et en confiance en nous-mêmes, à nos capacités d’ému-
a fait un moyen de rapprochement, un accès à une lation grâce à l’effort supplémentaire consenti au
présence contrebalancée en Méditerranée, surtout travail et à la levée des obstacles devant l’entreprise
vis-à-vis de l’Europe. et à notre adaptation au contexte international.
La solidarité sociale est aussi l’une de nos valeurs
v. concernant les documents des précédents
constantes, c’est le régulateur du libéralisme, la ga-
Congrès du parti, depuis le Congrès de Ksar-Helal
rantie d’une société équilibrée, modérée, qui est la
(1934), jusqu’au Congrès extraordinaire (Tunis,
condition de la stabilité et du développement du-
1981), de même que les programmes du Comité
rable. Nos orientations culturelles se fondent sur la
Central du parti, jusqu’en novembre 1983, dans le
valorisation de notre patrimoine civilisationnel, la
bulletin unifié du parti, à l’occasion du 50ème an-
manifestation de nos spécificités et la contribution
niversaire de sa fondation (sur la base de la date
à la diversité de la culture humaine commune. Il
de 1934) et les publications du Ministère de l’In-
est possible de procéder de cette manière relative-
formation. Pour ce qui concerne le Congrès de la
ment à nos options internationales, à la politique
persévérance, des publications séparées, éditées par
que nous réservons aux jeunes et à l’émancipation
le Rassemblement, imprimées par la SAGEP.
de la femme, etc.
v. aussi les publications de l’Institut Supérieur 55
. Alors que je mettais les dernières touches à ce li-
du Mouvement National (spécialement la revue
vre, paraissait un article de Leslie Palmer, dans
Rawafed), et sur le climat politique et social, pour la
le journal The Guardian, qui a été ensuite traduit
période qui a précédé 1934, v. Noureddine Doggui
en français dans le Courrier International, n° 341,
« Les mouvements politiques et sociaux, pendant
mai 1997. Cet article contient des remarques hai-
les trois premières décennies du XXe s. », document
neuses vis-à-vis de la Tunisie, sur Carthage et sur
dactylographié.
Hannibal qui m’ont convaincu encore davantage
54
. Toutes les autres orientations, qu’elles soient éco- de l’utilité de ce que j’écris. Cet article considère
nomiques, sociales, culturelles, qui sont sans doute que l’orientation vers la réhabilitation d’Hannibal
importantes, seront mises en veilleuse devant cette « que nous avons sorti –d’après lui- de la poubelle
orientation principale qui distingue clairement le de l’histoire, vise surtout à stopper l’avancée des is-
RCD. Il est préférable que toutes les orientations lamistes en mettant en exergue un héros d’avant
soient autant que possible connectées à ces princi- l’islam et en faisant de Carthage le pôle historique

161 162
capable d’attirer les touristes ! Il ajoute en disant : gie que nous voulons promouvoir. Nous avons une
« Le général se trompa lourdement quand il décida identité nationale indépendante, une histoire glo-
de lancer la deuxième guerre punique en passant rieuse, dont nous sommes fiers. Nous devrons nous
par les Alpes, en 218 ay. J-C., persuadé que la rivale y tenir pour construire un avenir meilleur, sans hai-
méditerranéenne de Carthage, la Confédération ne pour les autres comme fait ce journaliste, mais
italienne centrée sur Rome, devait et pouvait être dans le cadre de l’égalité et du respect mutuel.
ramenée par la force à de plus justes proportions. 56
. Le Président Ben Ali a déclaré aussi, dans son dis-
Après avoir mené une offensive inutile à travers
l’Espagne, la Gaule et l’Italie, il fut repoussé puis cours du 29 juillet 1995 : « il nous incombe à tous
vaincu par le consul romain Scipion à Zama (Au d’adopter une attitude politique créatrice, la persé-
Sud Ouest de Carthage) en 202. Cette défaite vérance et la vision anticipative, afin de dépasser les
scella le destin de l’empire carthaginois. Si Rome conflits, les difficultés et les problèmes qui se sont
avait auparavant considéré Carthage avec angoisse, accumulés dans notre région, que ce soit au temps
la République devint tout à fait paranoïaque après de la colonisation ou pendant la guerre froide ou
la guerre. Un conflit qui, selon le professeur Hurst, tout au long du conflit israélo-arabe. La Tunisie,
aurait pu être évité, mais qu’Hannibal commit l’er- de par sa conviction qu’il ne peut y avoir d’avenir
reur de déclencher. L’esprit rebelle de Carthage en- dans cette région du monde sans la concrétisation
traîna directement la destruction totale de la ville des liens entre la paix, le développement et la sta-
par les Romains en 146. » bilité, n’a cessé depuis cinq ans de concevoir des
Cet article est une preuve tangible des pouvoirs initiatives afin de faire avancer le dialogue dans le
mobilisateurs de l’histoire. sens de la reprise des relations de confiance, de paix
et de coopération dans notre région, en orientant
Ce journaliste s’est présenté en tant que défen-
l’énergie de tous nos peuples vers la construction
seur de Rome et nous refuse le droit de défendre
d’un lendemain meilleur pour nos pays et pour nos
Carthage !
générations futures. »
Il se présente en tant que défenseur des islamistes, 57
. On portait notre chéchia rouge en Sicile et à Venise,
importés, et nous prive d’être fiers de notre islam
pendant les siècles derniers. De même, le couscous
national ! Il nous reproche en plus de « ressusci-
et les beignets se retrouvent dans plusieurs régions
ter » un pôle historique qu’est Carthage, pour atti-
d’Italie.
rer les touristes !
58
. v. à propos de la Méditerranée, le dossier spécial
L’emportement de ce journaliste légitime l’idéolo-
préparé par le journal le Monde :

163 164
Le monde, Dossiers et Document n°233, Juin 1995, Marseille est porte de l’Orient, comme Venise,
« Le bassin méditerranée ». Corfou, Sebrenico ou comme Naples.
v. aussi Balta, Paul (dir.), La Méditerranée réinven- Aujourd’hui Barcelone, Alger, Malte, Alexandrie,
tée, réalités et espoirs de la coopération. La Découverte Beyrouth, Tripoli, Nice, Oran, Palerme, Ajaccio,
Fondation, René Seydoux, Paris, 1992. la Canée, Port Mahon, Malaga, parlent sur leurs
nefs et sur leurs quais le même sabir, la langue dite
Braudel, Fernand (ed.), La Méditerranée. franque des coureurs de mer; et ces nefs sont des
Flammarion, 1986. nefs pareilles, les mêmes focs, les mêmes armures,
les mêmes agrès,... Mêmes aliments, mêmes lois
59
. Edgar Morin, le sociologue, nous dit , à propos de
de navigation et de pêche, mêmes infractions à ces
la Méditerranée : mêmes lois..., mêmes jurons, mêmes condiments
« Mes gènes vous diront que toutes ces identités de feu, mêmes jeux à bord et à terre. »
méditerranéennes successives se sont unies, sym- 61
. Certains étrangers, qui ont vécu au Liban et en
biotisées en moi, et que, au cours de ce périple bi- Tunisie, ont remarqué une grande similarité entre
millénaire, la Méditerranée est devenue une partie les deux peuples, par les mentalités et les comporte-
très profonde. Les papilles de ma langue sont mé- ments. Tyr, ville natale d’Élissa, a trouvé la sécurité
diterranéennes, elles appellent l’huile d’olive, elles à Carthage. Ainsi, lorsque Alexandre avait assiégé
s’exaltent d’aubergines et de poivrons grillés, elles Tyr, c’est à Carthage que ses habitants ont trouvé
désirent tapas ou mezes. Mes oreilles adorent le refuge. Et quand Carthage avait rétabli les pactes
flamenco et les mélopées orientales. Et, dans mon qui la liaient à Rome, elle y avait intégré Tyr.
âme, il y a ce je ne sais quoi qui me met en résonan-
ce filiale avec son ciel, ses îles, ses côtes, ses aridités, . Parmi les ouvrages les plus importants écrits sur
62

ses fertilités. » Le Monde diplomatique, Manière Carthage, nous citons :


de voir, mars 1977 p. 112. Fantar, M’hamed Hassine, Carthage : approche
Voir aussi son livre en collaboration avec Samir d’une civilisation, Tunis, Alif, 2 tomes, 1993.
Naïr, Une politique de civilisation. Arlea, Paris, . Le passage cité est pris chez M’hamed Hassine
63

1997. Fantar, op. cit. pp.83-85.


. Pierre Hubac nous dit, dans son livre sur Carthage.
60 64
. Le Président Ben Ali a déclaré le 25 juin 1990 :
(éd. Belleraud. Paris, 1952, p.31) : «Aujourd’hui, « Tout au long de son histoire, la Méditerranée a
les ports méditerranéens sont au même mode, aux toujours été un trait d’union entre les peuples ri-
mêmes mœurs, aux mêmes goûts ; aujourd’hui

165 166
verains. Les heurts qui ont eu lieu parfois entre Solana Javier, « Nato and the Mediterranean », in
les civilisations qui sont nées sur ses rives n’ont Mediterranean Quarterly. March, 1997.
pas pu le transformer en barrière à leur commu-
Internet : http://www.nato.int/docu/articles/1997/
nication et l’ouverture des unes sur les autres. Au
a970301b.html
contraire, les relations entre les pays et les peuples
riverains étaient diversifiées et renouvelées, source 65
. Edgar Morin nous dit à ce propos :
de prospérité et de fertilité qui ont octroyé à ces « Alerte ! Je dis alerte, parce que l’Europe tend à se
relations des dimensions humanistes universelles détourner de la Méditerranée au moment, juste-
qu’il a rarement été donné à d’autres d’avoir ». Il a ment, ou en Méditerranée s’accroissent problèmes
déclaré aussi le 22 juin 1993, devant le Parlement et périls. Les phénomènes de dislocation, dégrada-
européen : « La Méditerranée a toujours constitué tion, renforcement qui se développent un peu par-
un espace unifié et une entité commerciale et cul- tout affectent particulièrement la Méditerranée.
turelle riche de la variété de ses composantes. Et, Plus encore : la mer de la communication devient
malgré les différends et les conflits que la région la mer des ségrégations. La mer des métissages
a connus depuis l’antiquité, l’unité de l’être mé- devient la mer des purifications religieuses, ethni-
diterranéen est demeurée, comme l’a dit Fernand ques, nationales ». Le Monde diplomatique. Manière
Braudel : « La Méditerranée avec son espace créa- de voir, mars, 1997, p.133.
tif, ses voies maritimes libres, la spontanéité et la
ressemblance de ses échanges, les villes différentes . Ce courant a commencé à se renforcer en même
66

et en même temps similaires, les cités nées de ses temps que la conscience de l’importance de la
activités incessantes, l’homogénéité de ses espèces Méditerranée comme espace de coopération,
humaines, ont constamment été la source de vie et spécialement chez les élites méditerranéennes.
de renouvellement pour les générations méditer- De nombreux ouvrages ont vu le jour qui abon-
ranéennes ». v. aussi l’article de l’actuel Secrétaire dent dans cette direction, nous citerons ceux qu’a
général de l’Otan : fait paraître l’Institut Catalan de la Méditerranée
(Espagne) et celui qui a été traduit en arabe par
l’Institut Tunisien des Études Stratégiques (à pa-
raître) :

167 168
Institut Catalan de la Méditerranée, Vers un nou- Antiochus roi de Syrie qui serait si c’était le cas
veau scénario de partenariat euro-méditerranéen, une violation du traité de paix qu’il avait signé avec
Barcelone, 1996. Rome, commençaient à fuser. Le Sénat romain dé-
cida d’envoyer une délégation pour juger Hannibal
Fondation méditerranéenne d’Études Stratégiques :
devant le Sénat carthaginois, pour l’accusation de
Demain la Méditerranée.
vouloir faire la guerre à côté d’Antiochus.
La parole est aux riverains du sud, Paris, Publisud,
Mais Hannibal savait depuis longtemps qu’il devait
1995, et Méditerranée : Le pacte à construire, Paris,
quitter Carthage. Il prit son cheval la nuit, et prit
Publisud, 1997.
une route qu’il connaissait bien, pour aller à 150
67
. Quant Hannibal fut élu suffète de Carthage en 196 km au sud, dans un domaine qu’il possédait sur la
av. J-C., la démocratie s’était renforcée et le Conseil côte entre cap Dimas (Thapsus) et Henchir Bettria
du peuple a commencé à élargir son pouvoir aux (Acholla), peut-être Ras Kaboudia, cap saillant du
dépens du Sénat. Hannibal avait exploité les cir- Sahel tunisien. De là, une embarcation le prit jus-
constances pour introduire quelques réformes. La qu’à Karkéna (Cercina) où certains marins le sa-
première mesure qu’il avait prise a été de soumet- luèrent, l’ayant reconnu. De crainte qu’on n’évente
tre les juges à la loi. Il avait convoqué l’un d’entre le secret, il allégua une mission à Tyr et invita les
eux pour lui demander des comptes relativement à marins à fêter la veille de son départ. Il utilisa les
une affaire financière. Le juge refusa d’obtempérer voiles de leurs navires comme tentes, sauf la sienne
en arguant qu’il appartenait au clan des Hannon, avec laquelle il s’embarqua au lever du jour vers la
ennemi des Barca et à cause de son immunité Phénicie, 6 siècles après que Elissa en soit venue.
comme juge, inexpugnable. Or, Hannibal le fit 68
. La bataille de Cannes a eu lieu le 2 août 206 av. J-
arrêter et le déférer devant le Conseil du peuple. C. Hannibal avait battu les Romains dans l’une des
Hannibal profita de l’occasion pour faire voter une plus célèbres batailles de l’histoire. Les spécialistes
nouvelle loi selon laquelle les juges soient désor- de stratégie l’ont analysée et elle a été adoptée, jus-
mais élus et leurs mandats soient limités dans le qu’à récemment, dans les tactiques de guerre (par
temps, sans présenter le projet devant le Sénat exemple Clausewitz. v. J. Kertèsz, 1980, p.29-43.).
pour approbation.
L’armée romaine avait perdu, selon Tite Live, l’his-
Mais parce qu’il avait menacé les privilèges de torien romain officiel, 47 mille fantassins et 2700
l’aristocratie, les messages à Rome, soi-disant dé- cavaliers, en plus des 19000 prisonniers. Après
nonçant un complot qu’Hannibal fomentait avec la bataille, la route de Rome était ouverte devant

169 170
Hannibal. Le soir du 2 août, Maharbal, le chef de la (musicienne), morte en reine, un verre de poison
cavalerie, a essayé de convaincre Hannibal de la né- à la main, faisant honte à son mari Massinissa, qui
cessité de marcher sur Rome. Quatre jours étaient l’a abandonnée, cédant aux pressions de Scipion.
suffisants pour en venir à bout. Mais Hannibal re- Ainsi, Sophonisbe s’ajoute aux nombreuses fem-
fusa. Alors, il lui dit sa phrase célèbre : Hannibal, tu mes tunisiennes qui sont mortes pour la Tunisie.
sais comment vaincre, mais tu ne sais pas profiter
. Pierre Hubac, Carthage. Édt. Belleraud, 1952,
71
de tes victoires » (vincere scis, Hannibal, victoriae
p.241.
uti nescis). Il n’était pas dans l’intention d’Hannibal
d’anéantir Rome. Son but était de réduire son pou- . Certains historiens disent que les Africains de
72

voir, de brider son hégémonie et laver l’humiliation Carthage on accaparé le pouvoir, pendant la der-
passée qui a résulté du traité de 241 (l’abandon de nière moitié du IIe siècle. Ils ont occupé les pos-
la Sicile) et de 238 (l’abandon de la Sardaigne). tes de commandement militaire, jusqu’à la fin du
siècle, qui a vu l’ascension de Septime Sévère, sur
. Serge Lancel, qui s’est occupé de l’histoire de
69
le trône de Rome, après l’avoir disputé à Claudius
Carthage, (Serge Lancel, Hannibal. Paris. Fayard. Albinus, originaire de Sousse
1995, p.360), nous dit que la guerre qu’Hannibal
. Cette date correspond à l’an 27 de l’Hégire.
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avait menée contre Rome est la première guerre
mondiale de l’histoire de l’humanité. Hannibal . Al-Maqqari, Nafh al-tîb, t.1, p.225.
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n’avait pas une seule culture, contrairement à . Là encore nous célébrerons nombreuses attitudes
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d’autres, comme Alexandre. Il connaissait la cul- historiques. Nous citerons celle de Hammouda
ture hispanique, depuis son enfance, il a cotoyé le Pacha qui ne vantait jamais que le produit tuni-
monde romain et a été influencé par la civilisation sien et ne portait jamais que les tissus produits en
italique et la vie des cités grecques au sud de l’Ita- Tunisie. Il disait : « Ils sont pour moi plus nobles
lie, de même que la civilisation d’Orient où il s’est que le cachemire importé, parce que l’argent pour
exilé. Mais tout cela ne l’a pas écarté de son iden- les acheter ne quitte pas du pays » (Ibn Abi Dhiaf,
tité carthaginoise, ni de son attachement à son pays Itahaf Ahl az-zamên…, vol. III).
d’origine.
. Sophonisbe (nom carthaginois qui selon Tite Live
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désignait saphonba’al, c’est-à-dire celle que pro-


tège Baal.) est une femme, aussi belle qu’éduquée

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