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Réflexions sur la notion d’altérité.

A Chante

Nota : peut se mettre en relation avec les notions de disciplines


( chacune se veut distincte des autres) et de la difficulté à faire de
l’interdisciplinaire : il ne s ‘agit pas de supprimer les différences, mais de
réaliser un échange en se respectant

1)Le chercheur se trouve confronté à la notion d’altérité de plusieurs


façons :
- L’ « autre » est l’outil même … du discours, permettant de dire autre
chose que le « même » comme le disait Platon :Le scientifique qui
s ‘exprime à le choix entre dire éternellement le même ( donc « fermer »
et scléroser sa démarche), en restant dans la vision d’un identité
personnelle « immuable du même » ,fondée sur permanence, mémoire,
ou dire quelque chose d’autre ( ce qui ne veut pas dire opposé mais
différent) et choisir l’identité personnelle « mobile du soi qui se maintient
par la promesse » pour utiliser Ricoeur.
Elle est ainsi l’outil nécessaire à l’intelligence de tout procès.
L’autre ,nous dit Hegel, en déclôturant l’essence et l’ouvrant sur son
dépassement, promeut la substance en « Sujet » et lui découvre un
devenir : c’est en passant dans son autre qu’on devient soi. Mais l’ «
autre » n’est pas seulement le moteur de toute dialectique, il appelle
aussi au débordement de la raison, porte en lui l’auto-déploiement de la
pensée. Philosopher, comme l’ont dit encore Deleuze ou Foucault, c’est
toujours « penser autrement ».

-Le chercheur a sans cesse besoin de chercher des références et des


idées c’est à dire des discours d’autres. La recherche de ce qui existe ( a
été publié) se double donc du besoin de «se tenir au courant des
recherches d’autrui…» (Lamizet, id.), avant même qu’elles soient
publiées, alors même qu’elles ne sont que pensées ou prévues
( annonces du programme d’un colloque, sujets de thèse déposés,
présentation des axes de recherche d’un chercheur sur le site de son
laboratoire…), ce qui débouche sur «des interactions fortes entre pairs, à
la fois producteurs et utilisateurs de l’IST» (Fabre, Couzinet, 2008).
Précisons sur la formulation de Lamizet «se tenir au courant des
recherches d’autrui…» que « autrui » (le prochain, le semblable)
suppose une communauté et une proximité sociale (Jodelet), une
relation que Simmel nomme corrélation, alors que l’Autre suppose une
différence et/ou distance sociale découlant d’appartenances distinctes
(territoriales, généalogiques, génériques…) Jodelet
Chercher des références consiste nécessairement à rechercher des
propos d’un autre temps.Parfois proche, de quelques mois, déais
d’édition et de distribution oblige ( d’où le déclin du libre, de la
monographie, plus long à réaliser au profit de l’article) ; parfois lointain
- L’autre permet de se connaître soi même, puisqu’il nécessite de penser
à ce qui est même. Cette distinction entre le même et l’autre (faisant
partie des méta-catégories de la pensée de l’être selon Ricoeur) est la
condition même de l’émergence identitaire conduisant à s'interroger sur
ce qui est autre (alter) que nous (ego) et sur nos relations avec lui. Dans
le domaine de la science cela conduit aux notions de discipline et de
spécialité.

2 ) Qui est l’autre ?


Oppositions entre
- l’artiste et le scientifique « Si aujourd’hui les figures de l’artiste et du
scientifique sont clairement définies, et parfois aux antipodes l’une de
l’autre, ce n’est en effet pas encore le cas à l’Âge Classique. De la
Renaissance aux Lumières, l’Unité du Savoir est encore possible :
hommes des Arts et hommes des Sciences, se rencontrent, échangent
et collaborent pour la production et pour la création des savoirs et des
arts. Souvent d’ailleurs, une seule et même personne s’illustre à la fois
dans les deux domaines. Dürer fut mathématicien, et Rousseau, chimiste
et botaniste. Exposition L’Unité du Savoir.Art & Science à l’Age
Classique 12 mai au 15 juin 2011, Hall de la bibliothèque Denis Diderot,
ENS Lyon.
le savant et le praticien : « La rupture radicale qui hiérarchise le savoir
théorique et la pratique est devenue un moyen de légitimer le
classement social des êtres humains. Mais cette irréductible fracture
n'est-elle pas un leurre ? Au contraire, le savoir ne constitue-t-il pas une
unité dont la pratique serait la pierre fondatrice. En inversant ainsi la
problématique classique, le clivage se constitue alors entre des pratiques
de type "scientifique" et des pratiques de type professionnel ou
quotidien, chacune d'elles étant constitutive d'un type de savoir, savoir
savant pour l'une, savoir quotidien pour l'autre. » Zapata Antoine
L'ÉPISTÉMOLOGIE DES PRATIQUES Pour l'unité du savoir.
Mouvements des savoirs
la science et la technique
Dans l’Antiquité, la science (Aristote, Platon) se penchait sur les
questions de vérité et de connaissance pour elle-même, et non dans un
but pratique ou technique... L’ensemble des sciences était opposé à
l’activité technique, matérielle, la techné, savoir faire appliqué sur les
choses qui est a-morale, et n’établit aucune fin. Elle correspond au
travail de l’artisan, mais aussi de l’artiste (poïesis) (Caune, 1995).L’idée
de supériorité qui y était attaché correspondait bien à l’idée d’altérité
Pendant longtemps la démarche de la technique, fondée sur
l’accumulation entretient cette minoration. En effet dans le domaine
technique, « le progrès est une somme » (Daumas in Goffi, 1988). « Ce
qui est essentiel ce n’est pas la nouveauté ou l’innovation, mais la
conservation, la répétition… La technique est plus mémoire
qu’invention » (Tinland, ibid.). Elle semble dès lors dépréciée face aux
fulgurances de la création, face à ce que Moles nommait « idéation »
(Moles,1995).
Bien sûr a changé : On a constaté que « le capitalisme avancé tend
vers une scientifisation de la technique » (Marcuse,trad. 1968 ), et l’
1

intégration des deux concepts: « avec l’apparition de la recherche


industrielle à une grande échelle, science, technique et mise en valeur
industrielle se sont trouvés intégrées en un seul et même système »
(Habermas ,trad. 1973) .Le philosophe Hottois est allé plus loin, en
2

avançant qu’ il y a émergence d’une vraie technoscience, produit d’une


histoire qui a abandonné la spéculation, la contemplation et la réflexion
sur notre-être-au-monde pour la logique déductive. La science ne peut
plus être pensée comme une appréhension raisonnée du monde (Hottois
, 1984).). Sa scientificité est mesurée à son efficience opératoire, et
s’exprime de préférence dans un formalisme mathématique et constitue
un modèle : un objet technique, symbolique mais non discursif.
Mais l’altérité a t elle disparue ? Odile Riondet analysant les textes de
congrès de la SFSIC qui parlent de techniques et de machines, montre
que la technique est surtout pensée par les chercheurs comme une
simple ingénierie, reliée à une pratique professionnelle qui s’opposerait à
la théorie(Riondet,2008).
« La SI "historique" s'enferme dans une vision technique, qui paraît sans
avenir, autour des modalités de la production, de la diffusion et de

1
Cité par (Prades, 1992)
2
idem
l'utilisation, en occultant trop tous les facteurs humains sous-jacents à
ces activités… l'impression de confusion entre activité de recherche
scientifique et activité et/ou pratique professionnelle - ingénierie - est
grande » (Fondin 2006), on est là dans un autre conflit, Science contre
Technique déjà constaté par Viviane Couzinet qui constatait « qu’en
France, (les sciences du document) apparaissent plus tournées vers
l’ingénierie que vers la recherche » (Couzinet, 2002 : 11). Ce faisant,
« elles peuvent être définies comme techno-centrées, voire réductibles à
une palette de technologies et de méthodes, par certains chercheurs et
doivent lutter pour imposer leur dimension recherche… et les SIC ne
peuvent rester dans cette optique réductrice …Elles doivent être
accompagnées d’une dimension de réflexion et de recherche
éthique »(Couzinet, ibid.).

3) Pb des rencontres et de l’interdisciplinaire


L’information scientifique et technique (IST) est indispensable au travail
des chercheurs, plus particulièrement à la construction de leur
communication scientifique. On peut ainsi dire que le travail
bibliographique précède le travail scientifique» (Gardiès, Fabre, 2009)
Puis, comme le souligne Le Crosnier, «la communication de la science
s’articule entre la confrontation dans l’espace du débat entre chercheurs
et la publication des résultats des recherches» (Le Crosnier, 1997 )
La recherche de ce qui existe ( a été publié) se double donc du besoin
de «se tenir au courant des recherches d’autrui…» (Lamizet, id.), avant
même qu’elles soient publiées, alors même qu’elles ne sont que pensées
ou prévues ( annonces du programme d’un colloque, sujets de thèse
déposés, présentation des axes de recherche d’un chercheur sur le site
de son laboratoire…), ce qui débouche sur «des interactions fortes entre
pairs, à la fois producteurs et utilisateurs de l’IST» (Fabre, Couzinet,
2008)
« autrui » (le prochain, le semblable) suppose une communauté et une
proximité sociale (Jodelet), une relation que Simmel nomme corrélation,
alors que l’Autre suppose une différence et/ou distance sociale
découlant d’appartenances distinctes (territoriales, généalogiques,
génériques…) Jodelet
Or il est de plus en plus nécessaire de se référer à l’autre et non à autrui
Pour cela existent colloques et revues. Disciplinaires pour l’essentiel, et
avec des thèmes souvent liés à une spécialisation. Du coup les
sélections ont tendance à exclure l’autre, celui qui n’est pas dans la
norme choisie, souvent en imposant une présentation très « située ».Or
il ne faut « pas réduire mécaniquement l’autre à des mots et des
concepts familiers ». (Bonoli),
la présentation des projets d’articles et de communication est évaluée
par des grilles qui sont présentées comme immanentes voire
transcendantes,mais ne sont qu’un choix totalement contextuel, et
souvent empreint d’erreurs
Mais on refuse ainsi tout débat, tout dialogue (Jullien : dans un dialogue
il y a à la fois le dia de l’écart – un « dia-logue » est d’autant plus riche,
disaient déjà les Grecs, qu’il met l’écart en jeu – et le logos de
l’intelligible) , toute discussion ; et finalement tout progrès autre que la
confirmation. Il faut donc affronter l’autre non pas dans une idée de
combat mas de collaboration

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