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Carcopino Jérôme. Un « empereur » maure inconnu d'après une inscription latine récemment découverte dans l'Aurès.
In: Revue des Études Anciennes. Tome 46, 1944, n°1-2. pp. 94-120;
doi : https://doi.org/10.3406/rea.1944.3276
https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1944_num_46_1_3276
I. La description du document.
Elle est gravée sur une table calcaire longue de 0m74, large de
0m48, épaisse de 0m12, cernée d'une moulure qui détermine un
champ épigraphique de 0m68 sur 0m40.
La hauteur des lettres est :
0m04 aux lignes 1 et 2.
0m035 aux lignes 3-6.
0m03 à la ligne 7.
0m025 aux lignes 8 et 8 bis.
0m02 à la ligne 9.
J'ai lu :
il) · M S £ Q O MASrigS DUX
ANN IjÇQl ET 1MPR ANN Xi ? VI NUN
qVAM PERIVRAVI NE1VE FIDE
FREQI NE qVE DE ROMANOS NE1VE
5 DE MAVROS ET IN BELIV PARVI ET IN
PACE £T ADVERSVS F ACTA MEA
SIC MECV DEVS çGIT BENE
EQO VARTAIAHUNC EDIFICIVM CVM FRAÏUB wE
IN (TiUOD EROGA VIT X CENTV 1SFECI
D'où ce développement :
D(is) m(anibus) s[acrum). Ego Masties dux, | ann[is) Ixvii et
imp{e)r(ator) ann(is) xl, qui nun\quam periuravi neque fide(m) \
fregi neque de Romanos neque | de Mauros, et in bellu parui et in \
pace, et adversus jacta mea | sic mecu(m) Deus egit bene. | Ego
Vartaia hune edificium cum fratrib(us) [m\e-\is feci.
In quod erogavit (denarios) centu(m) x.
IL Le sens dé V inscription.
1. En 417 (C. /. L., VIII, 9928 = Diehl, 3667); 459 (C. 1. L., VIII, 9944 = Diehl,
3668) ; 549 (C. I. L., VIII, 9926 = Diehl, 3669) ; 546 (C. /. L., VIII, 9930 = Diehl, 3670) ;
549 (C. I. L., VIII, 9921 et 21795 = Diehl, 3670a et b) ¡554 (C. /. L., VIII, 9923 = Diehl,
3671) ; 557 (C. I. L., VIII, 9939 et 9451 =' Diehl, 3671a et b) ; 539 (C. I. L., VIII, 21791 =
Diehl, 3672) ; 629 (C. /. L., VIII, 9953 = Diehl, 3673), L'immense majorité de ces
épitaphes appartient au vie siècle, qui est, comme nous le verrons, le siècle auquel remonte
notre inscription.
2. Florentius au Dig., XI, 7, 42.
3. Thesauriis Linguae Lalinae, s. v°, I, c. 920 : perlinet ad sepulchrum.
Rev. Et. anc. 7
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1. Par moi consulté devant la pierre en juin 1942, M. Louis Leschi, après un examen
aussi attentif que le mien, a confirmé ma lecture.
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1. Neque est partout en toutes lettres, et nous ne devons pas prendre pour des
abréviations des formes verbales comme fide{m) et mecu(m).
2. On ne doit pas tenir pour une abréviation le signe conventionnel — X — des ¿tenarii
à la ligne 9. Ann peut se développer aussi αηη{οτΊιηι) ou ann{os).
UN « EMPEREUR » MAURE INCONNU 103
1. De fait, les abréviations d'imperator en ipr et d' Augustus en Ags se retrouvent sur une,
inscription de Kheachela gravée sous le règne de l'empereur de Byzance Tibère, entre
578 et 582 (cf. Dessau, 9350).
2. Voir les exemples cicéroniens colligés dans les Lexiques de Merguet : de Oratore, III,
92 : fregistine fidem? ; Pro Roscio comoeda; VI, 16 : Ñeque enim... nefarium est fidem
frangere; Pro ¿lancio; IV, 9 : tu fidem... (fracfam) esse putas.
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1. Exemples du ne siècle : C. I. L., Ill, p.. 8762 = Dessau, 2594, à Salone ; au me siècle,
à Mantoue ; C. I. L., V, 4057 = Dessau, 8230 ; à Albulae (Ain Temouchent), C. I. L., VIII,
9796 = Dessau, 4434.
2. Dessau, op. cit., IV, p. 836.
3. Ibid., p. 824. Il est possible, d'ailleurs, comme mon confrère et ami Mario Roques
inclinerait à l'admettre, que les expressions ire bellu et in pace aient été déclinées à
l'accusatif, et qu'il faille les ■développer, avec chute de la finale, en ire bellu(m) et ire pace[m).
4. Diehl, 1296 = Rom. sott., I, 193, en 357 ; cf. Diehl, 2759 = C. I. L., V, 358 (Aquilée),
et Diehl, 1464 = Rom. sott., I, 288, en 447.
5. Cf. P.-W., s. v. Gromaiici, VII, c. 1888.
UN « EMPEREUR » MAURE INCONNU 105
1. C. I. L·, VIII, 19915 = Di ehi, 1946. Sur la date de la mosaïque de Potenlius dans
l'église de Sainte-Salsa, à Tipasa, cf. Gscll, De Tipasa, Paris, 1894, p. 38.
2. Dessau, 859 = C. 1. L., VIII, 9835 : Masuna... edificava.
3. Ann. Ep.„ XXXIII, 1911, 118 : edificata est civitas Tamogadiensis... probidentia So-
lomonis.
4. Gsell, C.-R. Ac. inscr., 1900, p. 50.
5. Dessau, 2812 et 9217.
6. Cagnat, op. cit., p. 152.
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Les A, au lieu d'être barrés par un trait, le sont par une sorte de
V intérieur (dans Masties, ligne 1 ; ann., ligne 2 ; quant, ligne 3 ;
Romanos, ligne 4 ; parui, ligne 5 ; Mauros, ligne 5 ; pace, facta,
mea, ligne 6). Les D s'écartent plus ou moins de la rotondité de
leur aspect latin pour ressembler plus ou moins au delta grec (cf.
le d de D(is) m[anibus) à la ligne 1 ; celui de fide(m) à la ligne 3 ;
celui de de aux lignes 4 et 5 ; celui de deus à la ligne 7). Les G sont
bien nantis de l'appendice caudal sus-indiqué. Les M élèvent tous
leur pointe médiane aux deux tiers de leur hauteur. Les Ν
s'informent sur le type de l'H. Quant aux deux formes entre lesquelles
Cagnat nous laisse le choix pour la lettre Q, celle qui évoque la
silhouette d'une boucle prolongée par une virgule et celle qui annonce
déjà la minuscule romaine, elles sont représentées l'une et l'autre
dans l'inscription d'Arris : la première dans le quod de la ligne 9,
la seconde partout ailleurs. Une seule étrangeté1 de l'inscription
d'Arris manque à l'inventaire de Cagnat : le ^ prolongé à droite
de sa haste verticale, et perpendiculairement à elle, par une barre
plus ou moins franchement tracée : Τ ; mais elle renforce la
chronologie qu'il implique, puisque les exemples de ce type,
évidemment dérivé de la cursive, s'échelonnent, en Afrique, à ma
connaissance, entre les tablettes des confins algéro-tunisiens qu'a
publiées Albertini et qui sont datées du règne du roi vandale
Gunthamund (493-496) 2, et l'épitaphe chrétienne de Volubilis,
qui fut gravée en 599 3. Ainsi tous les indices paléographiques
concordent pour situer l'inscription d'Arris au plus tôt à la fin du
ve siècle et au plus tard dans la période de la « reconquête »
africaine par les Byzantins.
L'histoire, bien loin de les contredire, aboutit au même résultat.
Il n'existe, en effet, qu'un bref laps de temps pendant lequel
l'Aurès a joui d'une assez grande indépendance pour que des chefs
le"
indigènes y aient joué aux souverains sans courir risque d'être
traités en usurpateurs 4 et que l'un d'eux ait osé y arborer le titre
1. J'ai laissé de côté les £ lunaires (1. 1 et 2) et les ^-J se rapprochant de l'onciale (ibid.).
Ce sont des formes qui apparaissent en Afrique dès le ive siècle.
2. Voir, notamment, la tablette I (Journal des Savants, 1930, p. 23-30), dont la l'ace 2,
avec les Τ de son premier mot (iranstulerant), est reproduite par Ch.-A. Julien, Histoire de
V Afrique du Nord, p. 271, fig. 144.
3. Cf. Thouvcnot, Hespéris, 1935, p. 132.
4. Comme ce fut le cas, que m'a opportunément rappelé mon confrère et ami Jacques
Zeiller, de Firmus, qui, de 372 à 375, changea, pour se révolter, son titre de dux en celui
d'imperalor augustus (cf. Amm. Marc., XXIV, 5, 3 ; Orose, VII, 33, 5 ; Aur. Victor, Epit.,
XCV, 7 ; Zosime, IV, 16, 3, et, si l'on en croit Seeck, P. W., VI, c. 2383, le martelage de C.
I.L., VIII, 5338).
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1. Cf. Ludwig Schmidt, Geschichte der Wandalen, Leipzig, 1901, p. 98 (avec les textes,
n. 2).
2. Procope, Beil., I (III), 8, 2.
3. Cf. L. Schmidt, op. cit., p. 1122 (avec les textes, n. 1).
4. Procope, Beil., I (III), 8, 5 : Ιτελεύτησε νόσω (Όνώρι^ος), Μαιφουσίων ηδη των
εν Αύρασίω ορει ωκημένων άποστάντων τε άπο Βανδίλων και αυτονόμων όντων... οι'
ούκέτι ύπο Βανδίλοις έγένοντο, ου δυναμένων Βανδίλων εν ò'pet δυσόδω τε κα\ άνάντει
λίαν πόλεμον προς Μαυρουσίρυς δοενεγκεΐν.
5. Procope, Beü., II (IV), 13, 38 : ένθε'νδε τε κατά τάχος αναχωρούσαν άπρακτοι καί
ές το πεδίον άφικόμενοι χαράκωμα έποιήσαντο. ;
6. Ibid., II (IV), 19, 17 : ές χέΐρας έλθών κρατήσας τε παρά πολύ αυτών ες φυγήν
έτρεψε. Sur les tentatives d'identification de Babosis, cf. Cli. Dichl, L'Afrique byzantine,
Paris, 1896, p. 88, fig. 4. Babosis pourrait être à Iabou's (Gsell, Atlas, 27, 365), si le départ
de Solomon n'avait pas été Mascula (Kenchela) ou Bagaï.
7. Ibid., II (IV), 19, 31 : 2ς τε το φρούρίον έσελθδντε; έν άρπαγί) απαντά εποίησαν. Sur
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les tentatives d'identification de Zerbula, cf. Diehl, op. cit., p. 89, n. 5, et Gsell, Atlas, 38,
59 (El Ksar?). Il n'y a pas à en tenir compte.
1. Ibid., II (IV), 20, 20-21 : αυτών oí πλείστοι έν τα t ς δυσχωρίαις καταλαμβανόμενοι
έθνησκον.., Ίαύδας δε αυτός άκοντίω πληγείς τον μηρον δμως διε'φυγε. Il n'y a pas Heu
de s'arrêter à l'identification de Turnar avec Henchir-Louada (Gsell, Allas, 28, 92).
2. Ibid., II (IV), 20, 23 : πε'τρα απότομος κρημνών ες μέσον άνέχουσα.·. ΓεμινιανοΟ...
et 28 : κα\τας γυναίκας τάτε χρήματα μεγάλα κομιδή οντά ένθένδε έξεΐλον. De toutes les
identifications proposées, celle proposée par Rinn de cette Petra Geminiani avec Djemina
est la plus vraisemblable (Gsell, Atlas, 38, 75).
3. Procope, Aedif., VI, 7, 7 = p. 343, cité par Diehl, L'Afrique Byzantine, p. 240. Pro-
cope n'a parlé que de deux forlins avec leurs garnisons : φρούρια δύο, φυλακτήρια δέ
στρατιωτώνProcope,'
διαρκί) καταστασάμενος.
4. Beil., II (IV), 20, 29 : πολλας των έν Λιβύη πόλεων περιε'βαλε τείχεσι.
5. Ch. Diehl, op. cit., p. 192, 200, etc.
6. Procope, Beil., II (IV), 20, 33 ; cf. Corippus, Joh., III, 283 et suiv. :
Africa surrexit vestris erecta triumphis..
Maurorum tune bella duces, tune proélia quisque
Vestra pawns, alacer, frenos et dura cucurrit
Principes ultro pati.
7. Cf. Ch. Diehl, op. cit., p. 91-92 et p. 246. Se rappeler, en tout cas, l'inscription de Té-
bessa (C. I. L., VIII, 1863) : ... post abscisos ex Africa Vándalos exstinctamque per Solo-
monem universam Maurusiam gentem.
UN « EMPEREUR » MAURE INCONNU 109
1. Ch. Diehl, op. cit., p. 43 : Orthaias (sic) était probablement le chef des tribus du
Hodna.
2. Procope, Bell., II (IV), 13, 19.
3. Cf. supra, p. 97.
4. Notitia, Occ. XXX, 1 ; cf. Caghat, Armée romaine d'Afrique*, p. 758.
5. On a déjà noté, à la fin du ive siècle* la même opposition entre les deux fils de Nabel :
Firmus, en pleine révolte contre Valcnlinien Ier, et son frère, Sammae, fidèle, jusqu'à la
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mort, à l'Empereur, et fier d'afficher sur la porte de son château de Petra le témoignage de
son attachement à l'Empire : ut virtulis comitato, fidem concordel in omni | muñere Romuleis
semper sodala Iriumfis (Dessau, y351 ; cf. Gsell, C.-B. Ac. inscr., 1901, p· 170).
1. Sur cette date, cf. Seeck, P. W., la, c. 1106.
2. Sidoine-Apollinaire, Carm., V, 328 et 339 et suiv.
3. Cf. supra, p. 107.
4. Ludwig Schmidt, op. cit., p. 72 (d'après Victor de Vita, I, 13, et Prosper, C, 1347).
5. Ibid., p. 79. On m'objectera sans doute que le chiffre XL n'est pas certain. Mais on
ne peut lire que XL (ce qui est le plus probable), ou XLII, ou XLV, ou, à l'extrême rigueur,
XLVI. Maisf quelle que soit la date adoptée — 516 ou 511 ou 522 — elle retombera
toujours, soixante-sept ans plus tôt, sur la période envisagée.
UN « EMPEREUR » MAURE INCONNU 117
1. Procope, Bell., II (IV), 8, 10; 26, 2· : αβέβαιοι γαρ Μαυρούσιοι παντάπασιν ό'ντες.
Cf. Corippus, Joh., IV, 449-452.
2. Procope, Bell, II (IV), 17, 8.
3. Ch. Diehl, op. cit., p. 260 : « C'est chez Mastigas qu'Iabdas se retire. » En réalité, Pro-
ccpe n'a point nommé le Maure chez lequel Stotzas et Iabdas auraient trouvé asile
(Precept, Bell., II (IV), 17, 35), et il ressort de Procope, 25, 2, que Iabdas a dû fuir en Byza-
cènc.
4. Cf. Corippus, Joh., VII, 277.
5. Cf. supra, p. 114.
UN « EMPEREUR » MAURE INCONNU 119
1. Procope, II (IV), 20, 30 : Ζάβην τε την χώραν η υπέρ ορός tò Αύράσιόν έστι
Μαυριτανία τε ή πρώτη καλείται μητρόπολιν Σίτιφιν έχουσα, τί) 'Ρωμαίων άρχγ] ές φόρου
άπαγωγήν -προσεπο:'ϊ)σε. Sur la répartition des forteresses, cf. la. carte de Ch. Diehl, op.
cit., p. 240.
2. C'est le sort qui avait été infligé à Firmus, dont, le nom doit, selon toute probabilité,
être rétabli à la ligne martelée de l'inscription de Guelma, C. I. L., VIII, 5338.
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1. Procope, Beil., I (IH), 25, 5. Cf., au paragr. 7, l'énumération des insignes, le sceptre
d'argent doré, le bonnet et le manteau blanc agrafé d'or. Ne pas oublier les exemples de la
fin du ivc siècle : Firmus, qui, avant de ceindre la pourpre, avait reçu le litre de dux de
Valentinien Ier ; Gildon, qui fit défection à Honorius, après avoir reçu de Théodose, vers
385, le litre de cornes Africae et, vers 388, celui de cornes et magister utriusque mililiae per
Africani (Code Thêodosien, IX, 7, 4) et avoir fait, de sa fille Salvina la femme de Nebridius,
neveu de l'Empereur (saint Jérôme, Ep., 79; cf., sur ces faits, Seeck, P. W., VI, c. 2384,
et VII, e. 1361-1362).
2. Voir mon Maroc antique, Paris, 1943, p. 294 et sujv.