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LES CORÉENS
TALLANDIER
Cartographie © Flavie Mémet, 2011
www.tallandier.com
EAN : 9-791-021-001-879
Pour K.J.N.
QUOI DE NEUF ? LA CORÉE
Note
(1) Voir cartes p. 193-195.
Chapitre premier
LA REVANCHE DU PHÉNIX
Tous à l’université
L’homme est un animal politique, disait Aristote. Le Coréen, lui,
serait plutôt un animal scolaire. La formule est facile mais ne manque
pas de justesse. Bon an mal an, un Coréen sur quatre est en
formation. Le moindre quartier, le moindre village arbore avec fierté
son école primaire, bâtiment austère et imposant, son terrain de
sport et de récréation, vaste, ratissé de près, et son drapeau
national, hissé tous les matins. Depuis les années 1980, collèges et
lycées se sont multipliés sur tout le territoire. Le pays compte
actuellement plus de cent universités, publiques ou privées,
généralistes ou techniques, élitistes ou démocratiques, dont plus d’un
tiers à Séoul. Il n’est pas un lycéen, ni une mère de famille, qui ne
rêve aux trois plus prestigieuses d’entre elles : Séoul nationale, Koryo
et Yonsei. Pour les désigner, on use de l’acronyme SKY, qui parle de
lui-même. Depuis une trentaine d’années, les boîtes à bac, les
incontournables hagwon, ont poussé comme des champignons. À
l’exception des plus pauvres et des plus paresseux, les adolescents
s’y pressent en nombre pour accroître leur chance de réussir aux
examens. Devenus adultes, ils hantent les cours du soir dans l’espoir
d’embellir leur CV ou, tout simplement, d’améliorer leur culture
personnelle. Le diplôme est toujours un signe de réussite. Même les
vedettes de l’écran ou les idoles sportives affichent
consciencieusement leurs titres universitaires, pourtant de
complaisance. Ce bachotage obsessionnel a sa hiérarchie : les
répétiteurs, les instituteurs, les professeurs et, au sommet, les
universitaires, héritiers respectés des lettrés confucéens. En coréen,
où la grammaire sert d’étiquette, ils ont droit au mode de politesse le
plus soutenu. Le titre d’instituteur ou de professeur s’emploie
couramment au sens de « Monsieur ». Même l’appellation
d’« étudiant », d’usage courant lorsqu’on s’adresse dans la rue à un
jeune pour lui demander un renseignement, a une connotation
flatteuse. De près ou de loin, la majorité des Coréens appartient à
une association d’anciens. Ces amicales sont aussi actives dans le
secondaire que dans le supérieur. La haute société américaine est
WASP, white anglo-saxon protestant. Son homologue coréenne est
KS, Korean standard au sens officiel de l’acronyme, mais aussi parce
qu’elle est passée par le lycée Kyonggï, un des plus chics de la
capitale, avant d’entrer à l’université nationale de Séoul.
Les résultats sont là pour conforter cet engouement. Depuis une
génération, l’illettrisme a complètement disparu en Corée : 100 %
des enfants vont à l’école et au collège, où ils apprennent à maîtriser
l’écriture coréenne, mais aussi l’alphabet latin et des rudiments
d’idéogrammes chinois. Ils acquièrent aussi de bonnes bases de
calcul. Si quelques mauvais garçons décrochent parfois avant le
lycée, choix risqué qui leur ferme les portes du service militaire et,
plus tard, des emplois à responsabilité, 97 % de leurs condisciples
continuent si possible jusqu’au niveau de la terminale. À l’issue du
lycée, près de 90 % des jeunes se dirigent vers le supérieur. Une
bonne moitié d’entre eux (55 %) entre à l’université pour y décrocher
une licence, qui dure quatre ans en Corée. Les autres s’inscrivent
pour deux ans en écoles de commerce ou en instituts de technologie.
Les discriminations à l’encontre des jeunes filles, qui, jadis,
n’étudiaient pas ou qu’on orientait vers des finishing schools ou des
« universités féminines », ont définitivement pris fin. Quant à tous
ceux qui, malgré tout, auraient échappé aux mailles du filet éducatif,
des cours de rattrapage sont proposés le soir et le week-end. Au
total, les Coréens constituent aujourd’hui une des populations les
mieux formées de la planète. Dans le monde, seuls les Finlandais
obtiendraient de meilleurs résultats. Le président Barack Obama l’a
d’ailleurs souligné dans plusieurs de ses discours publics, incitant les
Américains à méditer le cas coréen. À chaque étape de son
développement, le pays a pu compter sur le niveau de formation qui
lui était nécessaire. Sous l’occupation japonaise, l’habileté de ses
artisans a facilité la première greffe industrielle, au nord de la
péninsule. Après guerre, le développement de l’enseignement
technique a canalisé les jeunes ruraux vers les filières
professionnelles nécessaires à la reconstruction. La scolarisation
généralisée a enfin donné naissance à la Corée d’aujourd’hui qui
investit désormais massivement dans la recherche. Le « miracle du
fleuve Han » a commencé à l’école et se prolonge à l’université.
La soif d’apprendre ne se décrète pas. Si elle taraude intensément
les Coréens, c’est qu’ils n’imaginent pas d’autres moyens d’accéder à
la société et de s’y faire une place. L’école coréenne est avant tout
un lieu de socialisation qui enseigne à vivre en groupe et à développer
son potentiel. Cet apprentissage commence rudement. Nombre de
bandes dessinées, de séries télévisées et maintenant de blogs
soulignent le désarroi des lycéens, engoncés dans leur uniforme,
tenus par des maîtres sévères jusqu’à la cruauté, confrontés aux
sarcasmes et à la violence de leurs condisciples. Dans Notre héros
défiguré, un étonnant roman publié en 1987, qui est aussi une
réflexion sur la dictature, Yi Mun-yol dresse le portrait subtil d’un
adolescent qui, après s’être opposé par idéalisme au dur qui
terrorisait son école, finit par être fasciné et se rallier à lui, jusqu’à
devenir son bras droit, son ami et son défenseur. L’université laisse
en général un bien meilleur souvenir à ceux qui y sont passés. Après
l’effort secondaire, le réconfort supérieur. Il ne s’agit pas moins du
même rituel d’insertion, auquel pour les garçons s’ajoutent les dix-huit
mois de service militaire, souvent amers mais combien émollients. Il a
fallu du temps pour que le système éducatif ouvre ses portes en
grand. À l’époque japonaise comme sous la dictature prévalait un
strict numerus clausus politique et social. Seuls les soutiens
confirmés du régime pouvaient inscrire leurs fils à l’université. Mais
avec la démocratisation, pour laquelle de nombreux étudiants ont
donné leur vie dans les années 1980 où l’armée n’hésitait pas à
réprimer les manifestations dans le sang, la donne s’est inversée. S’il
en a le niveau, tout Coréen intègre l’université. Pour sélectionner les
candidats, un concours a été instauré à l’échelle nationale et tous y
sont astreints. Année après année, les patrons de chaebols et les
politiciens en vue s’efforcent d’inscrire leur progéniture dans les
meilleurs établissements sans sacrifier à ce rite. Peine perdue : leurs
manœuvres font scandale et aboutissent rarement. En Corée, la
démocratie est avant tout une méritocratie.
On souligne souvent les dérives de l’éducation en Asie, qui,
spécialement en Corée, pousseraient les jeunes au désespoir et au
suicide, mais paradoxalement, ce sont les Coréens les plus critiques.
Ils trouvent leur système beaucoup trop compétitif. À l’instar des
chaebols, les universités coréennes sont classées. Réactualisé
année après année par le quotidien Joongang, indépendant du
ministère de l’Éducation, ce palmarès est pris très au sérieux. Pour
intégrer les meilleures universités, il faut non seulement réussir le
concours national d’entrée, mais sortir parmi les premiers. Cette
obsession rendrait les familles hystériques, un peu comme si, chez
nous, une génération tout entière devait se présenter à la fois à
Normale sup, à Polytechnique et à l’ENA. Inscrits en cours particuliers
dès le plus jeune âge, condamnés aux boîtes à bac à l’adolescence,
les jeunes ne seraient plus que des singes savants, égoïstes et
capricieux, esclavageant leurs parents sans vergogne. Effet pervers,
tout se jouant au moment du concours d’entrée, les étudiants ne
songeraient plus par la suite qu’à rattraper le temps perdu en
sombrant dans la débauche et dans l’alcool. L’enseignement serait en
outre beaucoup trop conformiste. Ne visant en définitive qu’à
sélectionner, il privilégierait la mémoire quantitative au détriment de la
créativité qualitative. Il broierait impitoyablement individualité, talents
et originalité, pourtant indispensables au renouveau économique. La
suffisance et l’insuffisance des jeunes diplômés, dénués de tout sens
pratique, sont régulièrement dénoncées par les chaebols, qui ne
recrutent pourtant que les meilleurs. Depuis une dizaine d’années, ils
ont dû se résoudre à mettre en place des formations ad hoc pour
préparer leurs nouvelles recrues à la vie professionnelle. Quant aux
autres, issus d’universités de moindre prestige, ils ont de plus en plus
de mal à trouver un emploi et doivent longtemps survivre
d’expédients. Depuis l’élection présidentielle de 2007, qui s’est
longuement penché sur leur cas, ils forment la génération « 880 000
wons », l’équivalent en parité de pouvoir d’achat de ce qu’en Europe,
(4)
suite à l’enquête à succès de deux journalistes italiens , nous
appelons la « génération 1 000 euros ».
Mais il y a pire. À force d’être sélectif, le système se serait
retourné contre la démocratie qu’il était censé conforter. À moins d’un
miracle, réussir le concours national nécessite de vivre à Séoul, de
fréquenter les bons lycées, de s’inscrire dans les meilleures boîtes à
bac. Chaque année, le lauréat du concours national jure
solennellement avoir étudié seul, dans un établissement banal, sans
l’aide d’aucun tuteur. Personne n’y croit. Pour les moqueurs, cette
fable relève des « grands mensonges nationaux », au même titre que
le commerçant qui prétend vendre à perte, la jeune fille qui ne songe
pas au mariage ou la grand-mère qui, à chaque anniversaire,
déclare : « Maintenant, je peux mourir. » À l’université, la sélection
par l’argent joue de plus belle. Toutes les universités sont payantes.
Destinés à l’origine aux enfants méritants des milieux défavorisés, les
établissements publics sont chers. Mais les universités privées sont
hors de prix. Or, à l’exception de l’université nationale de Séoul, les
meilleurs établissements sont privés. Entre droits d’inscription, cours
annexes, achat de polycopiés, logement et argent de poche, étudier
à Yonsei, par exemple, coûterait de 30 000 à 40 000 euros par an.
Située en plein Séoul sur un immense campus où de pittoresques
bâtiments de style néo-Tudor voisinent avec des constructions high-
tech, dont le meilleur hôpital du pays, Yonsei offre à ses étudiants
des conditions de rêve, mais au terme de quels sacrifices. Comme
les bourses sont rares et congrues, les familles s’endettent au-delà
du raisonnable. Prêts étudiants sur vingt-cinq ans, emprunts familiaux,
hypothèques, second emploi pour la mère : tous les expédients y
passent. Globalement, le coût annuel moyen d’un étudiant coréen,
secondaire compris, est d’environ 10 000 euros. Les autres pays de
l’OCDE arborent des taux voisins. Mais la répartition de la charge est
radicalement différente. En Europe et même en Amérique, le soutien
de la collectivité publique est déterminant. En France, il est de 84 %.
En Corée, c’est l’inverse : 76 % de la dépense incombe aux familles.
Même le Japon, avec 68 %, n’en est pas à ce point. À court terme,
ce système bénéficie à l’équilibre des finances publiques que grève
partout ailleurs le budget de l’éducation. À long terme en revanche, il
pèse sur la démographie. Étant donné que les frais de scolarité
peuvent dépasser 40 % des dépenses du ménage, les familles
préfèrent s’en tenir à deux enfants, au maximum trois. Les fratries
nombreuses, typiques de la Corée des années 1960, ont totalement
disparu. Le retournement démographique est même si violent qu’à
continuer sur sa lancée, la population pourrait devenir en 2050 une
des plus âgées de la planète. Tous les Coréens en ont conscience,
mais rien n’y change. Les dépenses d’éducation continuent leur
course exponentielle.
On aurait toutefois tort de pronostiquer l’effondrement du système.
Sa faculté d’adaptation reste la force de la Corée. Elle a joué pour
son économie, elle bénéficie maintenant à son éducation. L’objectif de
la scolarisation généralisée ayant été atteint, il s’agit désormais de
passer au niveau supérieur. La Corée n’ambitionne ni plus ni moins
que de devenir un des pôles d’excellence mondiaux en formation et
en recherche. Cela nécessite des fonds considérables. Les chaebols
sont mis à contribution. À l’origine, ce sont des associations privées,
souvent religieuses, qui finançaient les universités coréennes. Yonsei
porte encore le nom de ses deux fondateurs en 1885, les pasteurs
Young et Severance. Ce sont les Jésuites qui ont créé l’université de
Sogang, à l’ouest de la capitale, et, dit-on sous le manteau, la secte
Moon qui soutiendrait l’université Sejong. Depuis les années 1980, les
entreprises ont pris le relais. Samsung contrôle l’université
Sungkyungwan de Séoul et Hyundai celle d’Ulsan. En 1986, le groupe
sidérurgique POSCO a tout bonnement créé la sienne, sur la côte est
du pays, l’université des sciences et des technologies de Pohang,
plus connue sous le nom de Postech. En vingt-cinq ans, il en a fait un
des premiers centres scientifiques d’Asie, doté de son propre
synchrotron et d’un centre précurseur en biotechnologies. Depuis la
crise de 1997, les investissements privés se sont encore accrus. De
2005 à 2010, Samsung et L.G. annoncent avoir consacré 50 milliards
de dollars à la recherche, dont une bonne part au profit des
universités. L’État n’est pas en reste. Ouvert en 1971, le KAIST
(Korean Advanced Institute of Science and Technology) est devenu
un centre d’excellence en informatique et en robotique. Depuis 2000,
l’État s’est en outre doté d’un réseau d’instituts polytechniques qui
délivrent des diplômes en deux ans, destinés à fournir aux entreprises
les cadres dont elles ont besoin. L’État s’efforce également de
décongestionner la capitale en favorisant la constitution en province
de pôles universitaires mixtes, publics et privés, si possible
spécialisés. C’est à Daejon, au centre du pays, où trône le KAIST,
que palpite le cœur scientifique du pays et se développe sa « Silicon
Valley ». Au même titre que les chaebols, les universités privées sont
un levier du développement. Mais la concurrence excessive à laquelle
elles se livrent pour attirer les meilleurs étudiants nécessite d’être
canalisée. En science comme en économie, il s’agit pour l’État
d’affirmer son rôle de stratège.
Persuadée que l’éducation constitue un marché mondial, l’université
coréenne est en train de s’internationaliser. L’obsession linguistique
avait déjà entrouvert la porte. Les Coréens considèrent à tort ou à
raison que leur avenir dépend de leur maîtrise de l’anglais. Depuis
trois décennies, des hordes de lecteurs américains, canadiens ou
australiens autoproclamés écument la moindre école du pays pour
tenter d’y inculquer leur langue, avec des résultats il faut bien dire
mitigés. Pour recueillir le précieux sésame à sa source, les étudiants
les plus aisés se sont mis à émigrer en masse, qui aux États-Unis,
qui en Australie ou en Nouvelle-Zélande, où ils ont été accueillis à
bras ouverts. En 2003, Comment maîtriser définitivement l’anglais,
une comédie populaire, a obtenu un beau succès en se moquant sans
retenue de cette hantise nationale. Certains parents ne sont-ils pas
allés jusqu’à faire inciser la langue de leurs rejetons pour les aider à
mieux prononcer le redoutable « th » anglo-saxon ? L’émigration
linguistique en a entraîné d’autres. Les étudiants coréens ont pris
l’habitude d’aller se former un peu partout, en affaires aux États-Unis,
en technologie en Allemagne, en sciences sociales en France ou
encore en chant en Italie. Ces expériences ont déssillé bien des yeux.
On s’est aperçu que l’enseignement coréen, aussi routinier que daté,
pouvait être amélioré. Des ponts d’or ont été offerts aux professeurs
des meilleures universités pour venir enseigner en Corée. L’Américain
Robert Laughlin, prix Nobel de physique en 1998, a même été
nommé un moment président du KAIST. Les résultats ne se sont pas
fait attendre. Depuis 2005, il y a plus de Coréens admis à Harvard et
à Yale que de Chinois et d’Indiens. Aujourd’hui, les efforts portent sur
les étudiants étrangers. Les universités rivalisent d’initiatives pour les
attirer. Les campus font peau neuve, à l’image de l’université féminine
d’Ewha, au cœur de Séoul, réorganisée en profondeur par Dominique
Perrault, l’architecte de la Bibliothèque nationale François-Mitterrand.
Postech a lancé des bourses réservées aux étrangers. Certes, la
balance étudiante coréenne demeure déficitaire. Il y a près de trois
fois plus de Coréens qui étudient à l’étranger que d’étrangers qui
étudient en Corée. Mais le pli est pris, notamment en Asie. Le
système éducatif coréen n’est pas parfait. Son financement pose un
grave problème et il a affaire à forte concurrence. Il n’en faut pas
moins compter désormais avec lui.
Notes
(1) Témoignage recueilli par l’auteur en juillet 2010.
(2) Le lancement effectué le 10 juin 2010 a été un échec.
(3) Film de Im Sang-soo diffuse hors de Corée sous le titre anglais The Housemaid.
(4) Generazione 1 000 euro, d’Alessandro Rimassa et Antonio Incorvala, publié sur Internet
en 2005.
Chapitre II
AU CŒUR DU CYBERMONDE
Le triomphe de la cyber-Corée
Scène de la vie ordinaire à Séoul. Un dimanche, dans un des
quartiers latins qui fleurissent autour des trente universités que
compte la capitale. Kim et Lee, deux étudiants coréens, se sont
donné rendez-vous pour un dîner entre amis. Petite difficulté qui
déconcerte beaucoup les étrangers, les rues coréennes n’ont pas de
nom. Ce sont les pâtés de maisons qui en portent et on les connaît
rarement. On se retrouve à tâtons, en prenant des repères. Kim a
proposé à Lee de l’attendre devant l’épicerie Lotte, à droite d’un
concessionnaire Samsung. Mais Lee, qui connaît mal le coin, passe
devant trois boutiques Samsung sans trouver. Son portable comprend
une fonction GPS qu’il active tout en appelant Kim. Se pose alors la
question du restaurant. Kim, qui a des goûts exotiques, aimerait bien
un italien. Son application Naver lui indique le plus proche, Primo
Bacchio, un franchisé coréen, à deux rues de là. « Entrez, entrez vite,
Messieurs les clients, et soyez les bienvenus » leur hurle le serveur,
qui, débordé par l’affluence, oublie pourtant de leur apporter le menu.
L’établissement possède sa page interactive sur le Net. Pour
commander, il suffit de cliquer. Lee est tenté par une saltimbocca alla
romana tout en se demandant de quoi il peut bien s’agir. Un coup
d’œil sur le portail Daum le renseigne. Prudent, il préfère se rabattre
sur les lasagnes. Le temps que les plats arrivent, Kim montre à son
ami, qui n’en croit pas ses oreilles, son dernier score sur Lineage II,
le jeu vidéo à la mode. Visiblement, il est moins doué avec les
spaghettis, qu’il a du mal à maîtriser. Lee immortalise la scène et
envoie aussitôt la photo à Kim par e-mail. Mais voici que leurs deux
téléphones se mettent à vibrer en même temps. Park, leur ami à tous
deux, vient de leur envoyer un message conjoint : « Venez me
rejoindre, je suis en train de télécharger deux ou trois vidéos. » Kim
et Lee se lèvent de table et se dirigent vers la caisse. Primo Bacchio,
bien sûr, accepte le paiement par mobile, plus rapide et plus sûr que
les cartes de crédit. Il en sera de même pour le taxi, hélé au coin de
la rue. Car Park n’habite pas tout près. Où exactement ? Eh bien,
activons notre GPS…
Ce type de scène a lieu, partout, tous les jours et dans tout le
pays. En Corée, les nouvelles technologies ont cessé d’être un
progrès, un programme, un objectif à atteindre pour constituer un
mode de vie. Le pays est le mieux équipé au monde. En moyenne,
trois habitants sur cinq possèdent un ordinateur, mais les moins de
vingt ans en ont tous un. Les autres fréquentent les « PC bangs »,
l’équivalent de nos cybercafés, qu’on trouve à tous les coins de rue.
Depuis 2008, 113 % des Coréens ont un mobile. Chiffre absurde ?
Non : beaucoup en utilisent deux, voire davantage. Quant aux
nouveaux appartements que Hyundai construit à la chaîne autour des
grandes villes, ils sont tous « domotisés ». Électricité, éclairage,
chauffage, alarmes de sécurité : tout est automatique et se
commande à distance, comme la télévision. Grâce à cet équipement
de pointe, la Corée est devenue le pays le plus connecté au monde.
Quatre habitants sur cinq ont régulièrement recours à l’Internet, avec
d’autant de plus de facilité que l’accès est bon marché et le haut débit
généralisé. Tout se fait en ligne : communiquer avec ses collègues de
travail ou ses amis, effectuer ses achats de nourriture et de
vêtements, avec d’importants rabais, payer ses factures et remplir un
formulaire administratif, télécharger des cours, des films ou de la
musique, regarder la télévision ou jouer à ses jeux favoris. Pour
faciliter ce nouveau mode de vie, on a fait converger les technologies.
Télévisions et ordinateurs sont devenus compatibles. Pionnière dans
ce domaine, la Corée a lancé la télévision sur mobile dès mai 2005 et
généralisé en 2007 l’accès des portables à l’Internet haut débit. Les
jeunes ne peuvent plus s’en passer. Depuis juin 2010, l’engouement
s’est porté sur le smartphone Galaxy S, lancé par Samsung, qui offre
tous les services de la téléphonie intelligente ainsi que des images en
trois dimensions : il s’est déjà vendu à deux millions d’exemplaires.
Fascinés par l’outil, les Coréens n’en ont pas moins dompté
l’Internet. On accédait jadis aux principales villes du pays par de
grandes portes gardées nuit et jour et situées aux quatre points
cardinaux. Épargnées par la guerre, certaines d’entre elles sont
parvenues jusqu’à nous révérées comme des trésors nationaux. En
février 2008, l’incendie de la Grande Porte du Sud a traumatisé les
Séoulites. Les internautes coréens ont renoué avec cette tradition
des portes. Ils accèdent sur la Toile par le biais de deux portails
nationaux, Daum et Naver. Pionnier de la messagerie électronique
dès 1995, Daum a été rattrapé par Naver qui a lancé en 1999, six
mois après Google, le premier moteur de recherche national et
inventé en 2002 le premier service d’intelligence en ligne, c’est-à-dire
le premier forum de questions-réponses, dont s’est ensuite inspiré
Yahoo. Les deux portails offrent aujourd’hui une gamme étendue de
services similaires : téléphonie, messagerie, revue de presse,
téléachat, banque audiovisuelle, jeux, recherche et questions-
réponses, blogs et forums en ligne qui, en Corée, s’appellent des
« internet cafés ». Soutenu par Samsung, Naver s’est imposé comme
le portail le plus populaire. Symbolisé par son logo au casque ailé, il
cultive des valeurs conviviales et familiales. Prononcé à la coréenne,
son nom, qui est une crase pour navigator, sonne comme neighbor,
c’est-à-dire comme « voisin ». Le portail a récemment ouvert un
sous-portail pour les enfants, Junior Naver, et un site de donations en
ligne, premier du genre. Daum, qui signifie « nouvelle génération », se
positionne de manière plus offensive. Contrairement à Naver, il
n’expurge pas ses forums, même si les commentaires postés n’y sont
pas politiquement corrects. À la surprise générale, il s’est offert le
moteur de recherche Lycos en 2004. Si Yahoo ou Microsoft Korea
n’ont jamais réussi à percer, un troisième portail coréen gagne
actuellement des parts de marché. Il s’agit de Nate, soutenu par SK
Telecom, et qui doit son succès à Cyworld, lancé en septembre
1999. Cyworld n’est ni plus ni moins qu’un Facebook avant la lettre,
devenu au cours des ans aussi indispensable aux jeunes Coréens que
l’air qu’ils respirent ou le portable qui ne les quitte plus. On s’étonne
parfois que Facebook Corée ne décolle pas. C’est que le pays n’avait
pas attendu Mark Zuckerberg pour socialiser en ligne.
La révolution hangul
Volontiers narcissique, l’Europe n’en a que pour Gutenberg qui
aurait inventé l’imprimerie et initié la Renaissance. Or la Corée aussi
a connu une révolution médiatique il y a six cents ans. Si elle n’a pas
e
mis au point l’imprimerie, apparue en Chine dès le VII siècle, elle l’a
améliorée en systématisant l’usage des caractères mobiles et en les
coulant dans du métal. Le plus ancien ouvrage réalisé selon cette
méthode date de 1377 et est actuellement conservé à la Bibliothèque
nationale François-Mitterrand. Mais il y a mieux. Pour tirer profit de
cette nouvelle technique, la Corée a tout bonnement inventé
l’alphabet. Entendons-nous bien. L’écriture remonte sans doute à
quatre millénaires avant notre ère. En Occident, elle a pris un tour
alphabétique, à chaque lettre correspond un son. En Asie ont été
préférés les idéogrammes – les caractères y représentent des mots,
des concepts. Surmontant la question des langues et des accents, ce
système a une ambition universelle. Dans les faits, il achoppe sur sa
complexité. Seuls les mandarins et les lettrés ont la compétence et le
temps de maîtriser les idéogrammes qui prolifèrent par milliers.
Source de leurs pouvoirs, ils se gardent bien de les simplifier. Aussi,
le 9 octobre 1446, Sejong, quatrième souverain de la dynastie Lee,
décida purement et simplement de passer des idéogrammes à
l’alphabet. « Les sons de notre langue, proclama-t-il par décret, sont
trop différents du chinois, si bien qu’il nous est impossible, à nous
autres Coréens, de continuer à utiliser les caractères de l’empire du
Milieu. Les gens du peuple, incapables d’écrire ce qu’ils souhaitent
communiquer, doivent renoncer à exprimer leur pensée. Nous avons
donc décidé de créer un ensemble de vingt-quatre lettres, les “sons
corrects pour l’instruction du peuple”, de façon à permettre à chacun
d’apprendre à lire pour son usage quotidien. » Le hangul, l’alphabet
coréen, était né. Son principe était radicalement nouveau : quatorze
consonnes, dix voyelles, représentées par des figures géométriques
aussi faciles à reconnaître que simples à apprendre. Selon Sejong et
la commission de savants auxquels il avait fait appel, il pouvait être
maîtrisé « en une matinée par un homme intelligent et en moins de dix
jours par un imbécile ». Toujours en vigueur, le hangul demeure à ce
jour la seule tentative réussie de création concertée et d’adoption
politique d’un système d’écriture.
L’objectif de Sejong était strictement administratif. Le roi voulait
être mieux obéi de ses sujets. L’imprimerie mobile et le nouveau
système d’écriture servaient l’une comme l’autre ses desseins. Latin
de l’Asie, le chinois conservait son statut supérieur de langue
savante, lettrée et calligraphiée. La promulgation d’un alphabet
populaire dans un océan d’idéogrammes aristocratiques n’en était
pas moins révolutionnaire. Les Coréens ne s’y trompèrent pas, qui lui
firent un triomphe. Le hangul devint au fil du temps l’écriture des
femmes et des déshérités, celle des utopistes et des premiers
chrétiens, celle encore des résistants antijaponais et des
progressistes. Proclamé alphabet officiel à la libération, le hangul
s’est imposé à l’ensemble de la population à mesure que l’éducation
se généralisait. S’ils sont encore enseignés, les caractères chinois ne
suscitent plus auprès des jeunes qu’un intérêt poli, comme chez nous
le latin et le grec. La Corée contemporaine est définitivement hangul.
Elle l’est d’autant plus que les cybernautes en ont découvert une
e
nouvelle facette. Les savants du XV siècle avaient forgé leur alphabet
en combinant des tracés géométriques à portée symbolique : le
point, figurant le ciel, un trait horizontal pour la terre et un trait vertical
pour l’homme. Les vingt-quatre lettres peuvent donc se décomposer
en une dizaine de figures de base, ce qui rend les claviers de
téléphone ou d’ordinateur très faciles à activer. Quand on songe aux
manœuvres compliquées auxquels s’astreignent Japonais ou Chinois
pour rédiger e-mails ou SMS, ceux du moins qui n’optent pas pour
l’anglais, la Corée bénéficie à coup sûr d’un avantage. Composant
stratégique de la cyber-Corée, le hangul fait dès lors l’objet d’une
attention jalouse. Dès 1989, un traitement de texte spécifique,
surnommé comme de juste hangul, a été mis au point par une équipe
d’informaticiens où le créateur de NC Soft, la société de jeux en ligne,
fit ses premières armes. En 1998, menacé d’absorption par
Microsoft, Hancom, l’opérateur de hangul, fut recapitalisé in extremis
par le gouvernement, l’Académie de Corée et une coalition
d’utilisateurs, horrifiés à l’idée que l’héritage du roi Sejong passe sous
contrôle américain. Depuis, Hancom résiste encore et toujours à
l’envahisseur. En 2010, la possibilité de libeller des noms de domaine
en hangul a été officialisée. On peut désormais ne surfer en ligne
qu’en coréen. C’est dire si, pour les Coréens, hangul et technologies
nomades constituent les deux phases d’une même révolution initiée
par Sejong en 1446 : celle de la communication.
Or la communication joue un rôle essentiel dans un pays qui
privilégie la vie de groupe. Clan et famille, école et entreprise, église
ou club sportif, le Coréen s’insère dès l’enfance dans de multiples
réseaux de convenances, d’intérêts et de sympathies. Les nouvelles
technologies contribuent à entretenir ces liens en atténuant les
embarras de la mobilité professionnelle, l’isolement de la banlieue ou
le déracinement de l’exode rural. Mieux encore, elles permettent de
développer de nouvelles solidarités. Les aficionados du dernier
Samsung, les blogueurs hébergés sur Naver, les mordus de jeux
vidéo forment autant de communautés d’un nouveau genre. C’est le
cas pour Cyworld où la majorité des jeunes Coréens aiment à se
retrouver. Comme s’ils ne formaient au fond qu’une grande famille,
ses membres s’appellent ilchon, terme qui ne désigne ni plus ni moins
que le lien de parent à enfant. C’est aussi le cas des jeux vidéo, qui
sont d’autant plus appréciés qu’ils sont « massivement multi-
joueurs », comme on dit dans les cafés Internet. Contrairement aux
sympathies des jeunes Japonais pour les guerriers solitaires ou les
princes en exil, les héros virtuels coréens sont la plupart du temps
des meneurs, des chefs de bande qui, tôt ou tard, s’imposent à leur
groupe. Même les obscurs et les sans-grade trouvent leur compte en
ligne. Fortement hiérarchisée, la société coréenne leur donne
chichement voix au chapitre. Les subalternes, les sous-fifres, les
femmes de peine sont tenues à l’écart, tout juste tolérés. Mais en
cyber-Corée, ces distances n’ont plus cours. Le patriarche austère,
la propriétaire acariâtre, le professeur d’université sont à la portée
d’un simple clic. Boire a longtemps remédié à la timidité sociale.
L’ivresse est aujourd’hui en ligne.
L’engouement des Coréens pour ces technologies nomades que
sont les technologies de l’information et de la communication tient à la
géographie du pays. La Corée, au fond, est une île que sa
population, son histoire et, depuis 1950, le glacis communiste de
Pyongyang séparent du continent chinois. Comme tous bons
insulaires, les Coréens rêvent de l’outre-mer d’où viennent le
changement, l’innovation, l’inconnu. L’aube de leur histoire pointait à
peine qu’ils étaient déjà partis à la découverte du monde. Si ces
questions ne donnaient pas lieu à d’interminables contentieux
nationalistes, le rôle des comptoirs coréens en Mandchourie, en
Chine et au Japon serait passionnant à étudier. En retour, le pays a
largement ouvert ses portes aux influences étrangères. La Chine a
er
implanté très tôt des comptoirs en Corée. Au I millénaire, le
royaume de Silla, dominant le Sud de la péninsule, échangeait de
fréquentes ambassades avec l’Asie du Sud-Est et le monde indien.
Comme l’ont confirmé les archéologues, la péninsule formait déjà un
vaste marché où s’échangeaient riz et céréales, céramiques et
orfèvreries. Les invasions, les guerres et les ravages qui ont ponctué
son histoire ont occulté ce dynamisme sans y mettre un terme. Même
sous la dynastie Lee, réputée pour avoir verrouillé le pays pendant
quatre siècles, les échanges étaient plus actifs qu’on ne l’a dit.
Délivrée de ses entraves, la Corée d’aujourd’hui aurait tout
simplement renoué avec cet esprit d’aventure. Partis à la découverte
du monde, ses hommes d’affaires, ses diplomates et ses étudiants
en reviennent les bras chargés de produits inconnus et d’idées
nouvelles. Dans le pays lui-même, exode rural, montée à la capitale,
déménagements fréquents, la mobilité est un mode de vie. Même les
foyers semblent avoir la bougeotte. Aux placards encastrés, on
préfère les étagères démontables et les coffres. Les pièces sont peu
différenciées, on dîne et on dort à même le sol. Selon nos critères,
les Coréens semblent davantage camper dans leur appartement
qu’ils n’y habitent. À ce nomadisme généralisé répond l’engouement
pour les technologies nomades. Grâce aux portables et à Internet, le
Coréen vit enfin selon ses goûts. Il est à la fois chez lui et ailleurs, en
Corée et à l’étranger, dans le monde réel et dans le cyberespace.
Pour reprendre Jacques Attali, le voilà devenu la quintessence de
« l’homme nomade ».
C’est ensuite leur savoir-faire qui a motivé les Coréens. Leurs
potiers, leurs orfèvres, leurs papetiers sont fameux depuis l’Antiquité.
Certaines de leurs productions ont fait le tour du monde. C’est le cas
e e
des céramiques du XI et du XII siècle dont les formes épurées et les
teintes vert céladon, proches du jade, fascinent les collectionneurs.
C’est aussi le cas de ces étonnantes couronnes, forgées à Silla, le
e e
royaume méridional, entre le V et le VI siècle. Entrelacs de bronze et
d’or martelé, rehaussés de jades, figurant les ramures d’un renne
totémique ou les branches d’un arbre ésotérique, ces couronnes
étaient portées par les rois et les grands seigneurs de l’époque. Elles
symbolisent aujourd’hui le raffinement de la Corée archaïque. Parfois
jusqu’à l’excès : pas un restaurant touristique, pas un syndicat
d’initiative qui n’en arbore une copie de fer blanc, pieusement
exposée sous verre. Une bande dessinée fantastique ira jusqu’à
prétendre qu’il s’agissait de casques de transmission radio avant la
lettre. Le développement du textile et la mécanique de précision, le
passage réussi à la miniaturisation et l’actuel engouement pour les
nanotechnologies s’inscrivent dans cette tradition. Le portable
e
Samsung serait au XXI siècle ce qu’étaient jadis les vases céladon ou
les couronnes de Silla. En Corée, où le patriotisme s’égare parfois
sur les sentiers de la pataphysique, on va jusqu’à alléguer d’un
avantage physiologique. La main coréenne serait de petite taille et
donc plus habile que d’autres. Surnommés la « pouce génération »,
les adolescents d’aujourd’hui seraient d’une habileté inégalable pour
pianoter sur les claviers de leur portable. En somme, à peuple digital,
révolution digitale. S’il s’agit de rendre hommage à un tour de main
ancestral, pourquoi pas ?
Ce goût pour la mobilité s’est transformé en urgence. « Palli,
palli » sont en général les premiers mots qu’on apprend en
découvrant la Corée. Un peu comme l’italien presto ou l’allemand
schnell, « palli palli » signifie « vite », « dépêche-toi », « et que ça
saute ! ». Les mères de famille, les boutiquiers, les adjudants-chefs
ne s’en lassent pas. Rejet de l’aristocratique oisiveté des lettrés
confucéens, activisme du négociant, impatience du lendemain, les
Coréens mènent leur vie tambour battant. Quitte à bâcler, délais,
retards et pauses-café ne sont pas dans leur nature. Ouvriers,
vieillards et même moines, tout le monde s’affaire. Tout ce qui flatte
ce penchant est bienvenu : une affaire rondement menée, un film
d’action, un roman de quatre-vingts pages. Amélie Nothomb ne
l’ignore pas, dont chacune des parutions, traduite en coréen en un
mois, devient un best-seller. En revanche, le contraire ennuie,
impatiente et inquiète. Un film d’une longueur inaccoutumée
représente une épreuve. Au bout d’une heure, les spectateurs
allument leurs portables : « Où es-tu, cela n’en finit pas, je m’embête
à mourir. » Une demi-heure supplémentaire et une bonne moitié de
l’auditoire s’endort. Attendre à la poste, au restaurant ou chez le
médecin est inimaginable. Ne sont prises avec philosophie que les
lenteurs rituelles : une cérémonie religieuse, le discours d’un ancien,
un embouteillage inévitable. Après douze ans de travaux, le Korea
Train Express, le TGV coréen, construit avec l’aide d’Alstom, a été
inauguré en avril 2004. Il fallait plus de quatre heures pour relier
Séoul à Busan, le grand port du Sud. Le trajet prend désormais deux
heures. Le succès a été immédiat. Les lignes ont dû être renforcées
et les rames doublées puis triplées. Paradoxalement, les dessertes
aériennes n’en ont pas souffert. Rapidité et mobilité s’entraînent l’une
l’autre.
Ces hommes pressés versent parfois dans l’excès. La nouveauté
intrigue, amuse et intéresse. Si elle plaît, on l’adopte sans coup férir.
Le tam-tam numérique aidant, l’effet de mode peut être ravageur. À
la fin des années 1990, un étudiant a eu l’idée de se décolorer les
cheveux. Ses amis ont aimé et se sont passés le mot. Leurs amis les
(1)
ont imités le lendemain et leurs amis le surlendemain . Un mois plus
tard, la Corée était blonde. Lors des matches de qualification pour la
Coupe du monde de football 2002, on reconnaissait les joueurs
coréens à leur chevelure peroxydée. Cette mode capillaire n’a duré
qu’un temps. Les jeunes d’aujourd’hui préfèrent à se teindre les
cheveux bavarder sur leur portable ou compter leurs amis sur
Cyworld. Mais en changeant d’objet, l’enthousiasme n’a pas changé
de nature. Les Coréens sont fondamentalement des early adopters,
des « adopteurs précoces » et, parfois, il faut bien le reconnaître, un
peu snobs. Pourvu qu’ils aient l’air chic, du jour au lendemain on
s’arrachera tel article de mode, tel vin de renom, telle création d’un
faiseur italien. Le phénomène est bien connu du marketing high-tech.
Même de marque étrangère, un portable nouvelle génération, un jeu
vidéo original, un site inédit seront d’abord testés en Corée. Les
réactions sont si rapides qu’elles permettent si nécessaire d’ultimes
ajustements. L’engouement pour les portables, l’Internet et le très
haut débit était couru d’avance. Les technologies de la vitesse étaient
faites pour ce peuple impatient.
Movida on line
La Corée a longtemps vécu sous le régime du couvre-feu. Instauré
dès l’indépendance en 1945 et renforcé durant la guerre civile, il
interdisait aux Coréens de circuler de minuit à quatre heures du
matin. Annoncé au hululement des sirènes, il donnait lieu à des
courses éperdues pour rentrer chez soi à temps ou trouver refuge
chez des amis, dans des clubs complaisants ou de petits hôtels
discrets. Télévision et radio étaient soumises au même régime et
cessaient leurs programmes à minuit, non sans avoir pieusement
diffusé l’hymne national. La suppression du couvre-feu en 1982, la
levée progressive du quadrillage policier et l’avènement de la
démocratie ont eu le même impact en Corée qu’en Espagne la
disparition du général Franco. Une frénésie s’est emparée de la
population, qui s’est enthousiasmée en quelques mois pour les sorties
nocturnes, les services non-stop et les éclairages au néon. Une
génération plus tard, cette « movida » coréenne s’est imposée dans
les mœurs, à Séoul comme en province, chez les jeunes comme chez
leurs parents. La Corée a cessé d’être un pays de matins calmes.
Les nouvelles technologies ont pris une part essentielle à cette
effervescence. Grâce au portable, plus personne n’est à court
d’amis, de moyens ou d’initiative pour patienter dans les transports,
découvrir de nouveaux lieux de plaisir et prendre un dernier verre.
Ouverts toute la nuit, les bangs contribuent à l’excitation générale :
les video-bangs (club vidéo), les PC bangs (cafés Internet) ou les
nore bangs (karaoké). En somme, la « movida » coréenne est
largement une « movida on line ». C’est à elle que la cyber-Corée
doit ses succès. Portées par les ingénieurs, soutenues par les
autorités, les nouvelles technologies n’ont pas été imposées par le
haut. Elles ont été plébiscitées par la population comme autant de
moyens d’expression et de libération. Bien loin de s’y substituer, les
nouvelles technologies ont renforcé la société de services. Au lieu
d’être remplacés par d’inefficaces services en ligne, les petits métiers
se sont mis au portable et à l’Internet. Joignables en permanence, les
livreurs, les ravaudeurs, les réparateurs sont sollicités comme jamais.
C’est grâce à eux que le commerce électronique prospère puisqu’un
article acheté en ligne sera livré, remplacé ou réparé dans la journée.
Même succès pour les administrés à qui les services en ligne
épargnent désormais les files d’attente, les formulaires redondants et
les vexations bureaucratiques. La délivrance d’un passeport prend
trois jours. Au-delà de ce délai, pour s’excuser de son retard,
l’administration vous fait cadeau du timbre fiscal. La cyber-Corée n’a
pas été conçue pour remplacer la Corée de tous les jours, mais pour
en faciliter l’existence.
Cette « movida » en ligne s’est immédiatement propagée à l’amont.
Une kyrielle d’inventions répondent à l’insatiable demande de
nouveautés. Certaines tenaient du concours Lépine et ont fait long
feu, comme le téléphone portable à option miroir et poudrier ou la
gabardine diffusant à l’avant les images captées à l’arrière pour
donner l’illusion d’invisibilité. Les autres témoignent d’une créativité
foisonnante. Citons en vrac, pour l’année 2010, outre le Samsung
Galaxy S, un ordinateur à double écran tactile, avec webcam, lecteur
de CD et livre électronique incorporés, la télévision et les portables
en trois dimensions, les mobiles super intelligents capables
d’effectuer des recherches complexes sur le Net et dotés de
nanopuces pour détecter odeurs et émotions. Depuis quelques
années, l’énergie créatrice se porte sur les robots. Il s’agit de
rattraper le Japon, pionnier en la matière. Au robot Asimo, mis au
point par Honda en 2000, le KAIST a répondu en janvier 2005 en
créant un « humanoïd robot », dénommé Hubo, mobile et à
commande vocale, doté de la tête d’Albert Einstein. Sony étant entré
dans la course avec le robot domestique Qrio, le KIST, un institut de
recherche de pointe associé au KAIST, a contre-attaqué en janvier
2010 en réalisant Mahru, un robot nouvelle génération capable de se
déplacer, d’identifier et de manipuler des objets. Il peut même
effectuer des tâches complexes comme balayer, actionner un four à
micro-ondes ou une machine à laver, danser et faire des grimaces
expressives. Les enjeux de cette rivalité technologique sont
industriels. Le secteur coréen de la robotique est en pleine
expansion. Selon l’institut de recherche économique Samsung, son
chiffre d’affaires, qui a atteint un milliard de dollars en 2010, devrait
doubler d’ici cinq ans. L’objectif de Samsung, de L.G. et du
gouvernement consiste à généraliser d’ici 2020 les robots ménagers
et à commercialiser des robots ultrasophistiqués, capables
d’enseigner l’anglais ou de prendre soin des personnes âgées. En
médecine, des nano-robots sont envisagés pour améliorer la chirurgie
(2)
artérielle. Pour renforcer la DMZ , on envisage des robots de
surveillance chargés de détecter et de repousser les invasions. Pour
susciter chez les jeunes des vocations de roboticiens, les pouvoirs
publics ont mis en chantier « Robotland », une sorte de Futuroscope
mâtiné de Disneyland où les dernières créations seront présentées
au grand public. Fin 2010, Girls Generation, le groupe musical féminin
du moment, a remporté un grand succès avec sa « danse des
robots ». Jour après jour, les frontières entre cyber-Corée et
science-fiction semblent s’estomper.
Pour se maintenir en tête du marathon planétaire à l’innovation,
l’ensemble du système éducatif coréen a été mobilisé. À l’éducation
traditionnelle succède le « e-learning ». Naguère, l’école enseignait à
lire, à écrire et à compter. On y apprend désormais à dompter les
ordinateurs. Le moindre lycée, le collège le plus reculé est équipé en
très haut débit. Rivés toute la journée sur leurs écrans, les étudiants
enchaînent le soir sur leurs ordinateurs portables. Les classes
demeurant surchargées, point noir du système éducatif coréen, de
plus en plus de jeunes délaissent les cours magistraux pour les
formations à distance, les diplômes en ligne étant entrés dans les
mœurs. Juste retour des choses, les étudiants se précipitent vers les
filières informatiques aux débouchés prometteurs. Le pays a un
besoin incessant en techniciens de maintenance et ingénieurs, mais
aussi en chercheurs et inventeurs. La Corée s’est ainsi dotée de
cyber schools qui forment aux métiers de la conception et de la
programmation vidéo, qu’il s’agisse de programmes de détente ou de
« jeux sérieux » comme on dit aujourd’hui. Les plus doués sont
réorientés vers la recherche de pointe, les universités et même le
KAIST.
Cette obsession numérique ne va pas sans susciter d’inquiétudes.
Elle serait surtout une affaire d’hommes. Les statistiques sont sans
appel : les joueurs en ligne, les étudiants en informatique, les
ingénieurs chez Samsung et chez L.G. sont majoritairement
masculins. La cyber-Corée creuserait donc ce fossé si typiquement
coréen qui sépare les sexes. Longtemps cantonnées aux tâches
subalternes et sciemment moins rémunérées, les Coréennes, à
niveau de formation égal, revendiquent aujourd’hui l’accès aux
responsabilités et à des salaires équivalents. Principalement portée
par les hommes, la relance par les nouvelles technologies leur paraît
conforter l’ordre traditionnel. Mais celui-ci semble à son tour menacé
par la cyber-Corée. Toute l’organisation du pays repose sur le
principe hiérarchique. Quel que soit le cercle auquel on appartient, il
s’y trouve toujours un supérieur auquel on doit respect et obéissance,
le chef de son clan, le patron de son entreprise, le président de son
syndicat ou de sa confrérie religieuse. Ce système est mobilisateur
mais s’avère aussi conformiste. Il valorise la reproduction du passé,
l’imitation des comportements ancestraux. À cette structure verticale,
l’informatique oppose une organisation en réseau où priment initiative,
innovation et création. Corée et cyber-Corée se retrouvent en porte-
à-faux. C’est une des conclusions que tire le professeur Chang Sea-
jin dans son étude Sony versus Samsung parue à Singapour en
2008. Samsung serait confronté à un dilemme crucial. Maintenir
l’organisation verticale qui lui a permis de s’adapter à la demande et
de résister aux crises, ou se transformer radicalement pour favoriser
créativité et originalité qui seront les moteurs de croissance de
demain ? Sacrifier un modèle qui en a fait une des machines à
exporter les plus rentables du moment ou sauter dans l’inconnu pour
se préparer à des changements eux-mêmes inconnus ? Lee Kun-hee,
le patron de Samsung, semble avoir tranché. « Dans dix ans, la
plupart des produits qui font la force du groupe auront disparu », a-t-il
fait savoir en mars 2010 à l’ensemble de ses employés par message
(3)
Twitter, rééditant son fameux appel de Francfort . Le plus
hiérarchique des chaebols coréens réussira-t-il sa révolution
copernicienne ?
Dopée aux nouvelles technologies, la Corée en subit les contre-
coups. Le virus informatique qui a paralysé le pays le 25 janvier
(4)
2003 en a souligné la dépendance. Un arsenal de protections a été
édifié depuis pour éviter toute panne généralisée qui paralyserait
l’administration, les transports ou le commerce. Pour beaucoup
d’utilisateurs, les nouvelles technologies tournent à l’addiction :
fétichisme technologique, informatique obsessionnelle, autisme en
ligne. Dans Je suis un cyborg, mais je fais avec, attachant petit film
tourné en 2006, le réalisateur Park Chang-wook raconte la folie d’une
jeune fille qui finit par se prendre pour une machine. La situation n’a
fait qu’empirer. Selon un sondage récent, un tiers des écoliers
présenteraient des signes d’accoutumance aux jeux en ligne.
Régulièrement, des drames consternent l’opinion : tel joueur, mort
d’une crise cardiaque après avoir joué quatre-vingt-six heures
d’affilée, telle famille poussée au suicide après s’être ruinée en ligne.
La tragédie la plus vivement ressentie s’est produite en mars 2010 :
un couple de chômeurs aurait laissé mourir son enfant pour avoir
consacré tout son temps à élever un nourrisson virtuel sur le jeu
collectif Prius. Tragique confusion entre réalité et virtualité. Les
autorités ont pris les choses en main. Depuis 2002, une agence de
prévention finance des campagnes d’information dans les écoles et
des stages de désintoxication. Les plus atteints sont même envoyés
dans des camps militaires. En avril 2010, elles ont restauré le couvre-
feu, mais dans le monde virtuel cette fois. Il s’agit d’interdire aux
enfants scolarisés l’accès aux jeux en ligne entre minuit et huit heures
du matin. Seul l’Américain Blizzard, opérateur de Starcraft, s’y est
pour le moment refusé. Pour les adultes, il est prévu de bloquer
l’accès au haut débit après une dizaine d’heures d’utilisation non-stop
ou d’envoyer des messages subliminaux incitant à se déconnecter.
De l’avis général, il faudra aller encore plus loin.
Dans un registre voisin, l’incivilité numérique suscite de plus en plus
d’inquiétudes. La politesse représente une institution nationale dont la
Corée est très fière. Formules alambiquées, sourires obligeants,
courbettes de courtoisie constituent le lot quotidien d’un des pays les
plus densément peuplés de la planète. Or la cyber-Corée semble
menacer cette civilité raffinée. En ligne, délivrés du fardeau de
l’étiquette et du regard de l’autre, les gracieux citoyens se
comportent en grossiers netizens. De la muflerie à la méchanceté
collective, il n’y a guère plus d’un clic. En 2005, une étudiante
écervelée en a fait la triste expérience. Habituée à laisser son
caniche s’oublier à sa guise, un mauvais coucheur l’a prise en grippe.
Photographiés, le chien mal élevé, sa propriétaire et l’objet du délit
ont été mis en ligne, suscitant un déluge d’insultes et d’attaques
personnelles. Sous la pression, l’imprudente a préféré démissionner
de son université et quitter Séoul. Cette chasse aux sorcières a ému
l’opinion sans empêcher que les rumeurs, les révélations et les
calomnies deviennent monnaie courante sur la Toile, à la grande
angoisse des politiciens en vue et des vedettes à la mode. Elles ont
finalement conduit les autorités à pénaliser ces atteintes en ligne à la
vie privée. On a immédiatement hurlé à la censure. Le débat est loin
d’être clos.
De proche en proche, ces dérives sociales ont conduit à la
cybercriminalité. En Corée comme partout ailleurs, les bateleurs, les
escrocs et les souteneurs ont trouvé sur le Net un terrain
exponentiellement propice à leurs activités. Ils ont beau être illégaux,
les jeux en ligne, les sites de rencontres tarifées et les offres
mirobolantes de toute nature prolifèrent. À les écouter, l’amour, la
fortune et la rédemption seraient à la portée du premier clic. Une
cybermafia veille à ne laisser aucun naïf échapper aux mailles de ses
filets. La police coréenne s’est donné les moyens informatiques pour
lutter contre cette délinquance high-tech. Mais combattre le
cyberterrorisme est une autre paire de manches. Tout le monde en
est persuadé : la menace vient du Nord. En dépit de son
délabrement, la Corée communiste n’a pas raté le coche
informatique. Impitoyablement censurées, coupées du reste du
monde, les nouvelles technologies y ont malgré tout prospéré, de
même que l’Internet. Dans les faits, nous en sommes réduits aux
conjectures. Grâce à une armada d’un millier de hackers, le Nord
aurait déjà lancé plusieurs attaques numériques contre les États-Unis
et la Corée du Sud, en juillet 2009 ou en juin 2010, et s’efforcerait de
mettre au point une véritable bombe informatique pour paralyser le
Sud. Au Sud, les internautes ne sont pas en reste. En janvier 2011, ils
seraient parvenus à pirater le compte Twitter du Nord et à poster des
messages appelant à la résistance sur des sites officiels. Pour
(5)
protéger le pays, les services de renseignements coréens
disposeraient en outre d’un bataillon de spécialistes formés à la
guerre virtuelle. Avatar numérique de la guerre moderne ou fantasme
de jeu vidéo ? Un peu des deux, sans doute. Officiellement, les deux
Corées sont toujours en guerre. Leur guerre froide se poursuit en
ligne.
Notes
o
(1) « Le jour où les Coréens sont devenus blonds », revue Tangun, n 1.
(2) Demilitarized zone, zone démilitarisée séparant les deux Corées.
(3) Cf. supra, p. 36.
(4) Les experts ont surnommé ce virus particulièrement destructeur « W 32 Slammer ».
(5) Le NIS, National Intelligence Service.
(6) Resurrection of the Little Match Girl en anglais.
Chapitre III
La fièvre coréenne
La Corée a changé de nom à plusieurs reprises. Dominée par le
er e
royaume de Silla au I millénaire puis par celui de Goryeo du X au
e
XIV siècle, la péninsule s’est appelée Jeoson au temps de la dynastie
Lee, nom que le Nord a d’ailleurs conservé. L’ethnie, le peuple, la
nation coréens, eux, se sont toujours appelés « Han ». En version
originale, tout ce que nous appelons « coréen » est donc « han ». La
république de Corée, le régime du Sud depuis la libération, se dit
« Hanguk ». Hangul désigne l’alphabet coréen. Le costume national
est le han-bok. Depuis 1999, on parle aussi de han-ryu ou plutôt, une
fois la liaison effectuée, de hallyu. De quoi s’agit-il ? De cet
engouement pour les produits culturels coréens, de cette « fièvre
coréenne » qui déferle sur l’Asie du Nord, et, de proche en proche,
sur l’Océanie, le Proche-Orient et l’Amérique latine, en attendant le
reste de la planète. Tout a débuté à la télévision. À la fin des
années 1990, de meilleure qualité technique, sentimentaux jusqu’aux
larmes, au point qu’on les a surnommés des dramas, les séries
coréennes ont commencé à remporter un joli succès. Celui de
Sérénade d’automne, tourné en 2000, est phénoménal. L’histoire est
mélodramatique à souhait : une Cendrillon moderne, partagée entre
deux princes charmants, se meurt de leucémie. Mais la facture, le ton
et les acteurs touchent l’opinion et surtout le cœur des Coréennes.
Rapidement diffusé en Chine, au Japon et dans toute l’Asie du Sud-
Est, le succès est à nouveau au rendez-vous, dépassant tous les
pronostics. Coup de chance ? Non, car chaque année ou presque les
producteurs coréens rééditent l’exploit. En 2002, c’est Sonate
(1)
d’hiver : même trame, même triangle amoureux, même triomphe.
Bae Yong-jun, l’acteur principal, doit engager des gardes du corps.
Quand il se rend au Japon, des milliers de fans l’attendent à
l’aéroport. Les Japonaises se passionnent soudain pour le coréen,
qui devient en deux ans la seconde langue étrangère la plus parlée
(2)
après l’anglais. En 2003, Le Joyau du palais , drama historique qui
e
a pour cadre la Corée du XVI siècle, est un phénomène social.
D’Oulan-Bator à Djakarta, en passant par Pékin, Hanoi et Manille,
tout s’arrête à l’heure de la diffusion, même en version originale.
(3) (4)
Viennent ensuite Je mise tout et Pension complète en 2004, Je
(5)
m’appelle Kim Sam-soon en 2005, Palais royal en 2006, Le Café
(6) (7)
Prince en 2007, Ces garçons florissants en 2009 et le feuilleton
d’espionnage Iris en 2010. On ignore encore le cru hallyu 2011, mais
nul doute qu’il fera pleurer toutes les Margots de la planète.
Dopé par la télévision, le hallyu s’est propagé aux autres secteurs.
Le cinéma en a profité le premier. Popularisés par le petit écran, les
acteurs sont passés au grand en portant des productions à gros
budget plébiscitées en Asie, mais aussi des films d’auteur plus
ambitieux très remarqués en Europe et en France, le hallyu couvrant
ainsi culture populaire et cinéma d’auteur. La musique a suivi le
cinéma et la télévision. Des groupes coréens ont inondé le marché
asiatique. Souvent éphémères, ils forment ce qu’après la variété
japonaise ou la « Canto-pop », on appelle la « K-pop », la Korean
pop. Un nom s’est imposé depuis 2003, celui de « Pi », « Rain » en
anglais, « Pluie » en français. Baptisé « prince du rhythm and blues »
par ses fans, danseur de talent, modèle à l’occasion, acteur
d’opportunité et symbole incontesté de la nouvelle génération
coréenne, il a fait son entrée en 2006 dans la liste des cent
personnalités qui, selon le magazine américain Time, comptent dans
le monde. Très fiers, ceux de ses compatriotes qui en doutaient
encore ont perçu cette année-là le pouvoir du hallyu. La vague a
ensuite atteint les manhwas, comme on appelle la bande dessinée
coréenne. En toute logique puisque nombre de films et de dramas,
Palais royal notamment, sont des adaptations de manhwas à
succès. Quant aux boys band coréens, ils adoptent volontiers les
costumes futuristes, les coiffures savamment hirsutes et la gestuelle
expressionniste des héros de papier. Moins guerriers, moins
technologiques, moins asociaux que les mangas japonais, les
manhwas conquièrent année après année de nouvelles parts de
marché. En France notamment, grande consommatrice de mangas et
de manhwas, des artistes comme Choi Ho-cheol, auteur de
(8)
L’Étincelle, une biographie dessinée de Jeon Tae-il , le héros des
travailleurs coréens, sont considérés comme des classiques et invités
en amis au festival d’Angoulême. L’époque où les Coréens plagiaient
sans vergogne les bandes dessinées et les animations japonaises est
bel et bien révolue. L’heure du sport a ensuite sonné. Le succès de la
Corée lors de la Coupe du monde 2002 a révélé ses joueurs et leur a
permis d’essaimer dans les équipes du monde entier. Portés par les
dieux de l’écran et du stade, les créateurs de mode et les
cosmétiques coréens ont envahi l’Asie à leur tour. Grâce au succès
du Joyau du palais, dont l’héroïne est à la fois cordon bleu et
guérisseuse, la cuisine coréenne elle-même est devenue un « must ».
Interrogés par l’hebdomadaire britannique The Economist en
janvier 2010, de jeunes Asiatiques déclaraient qu’à leur sens, depuis
le triomphe du hallyu, « c’en était fini des cultures américaine et
japonaise ». Pour le moment, l’Europe et l’Amérique résistent encore
à ce raz-de-marée culturel.
Sans surprise, on a rattaché le hallyu au train du miracle
économique coréen. Il traduirait au fond l’arrivée à maturité des
industries culturelles, partagées entre le secteur public de la KBS
(Korea Broadcasting System), et un secteur privé, les chaînes
Munhwa Broadcasting et Seoul Broadcasting, CJ Entertainment,
géant de la production et de la distribution cinématographique,
financé par les anciennes sucreries Samsung, ainsi que les
compagnies de jeux vidéo Nexon ou NC Soft. Dans un climat de
concurrence et de connivence bien compris, l’ensemble produit films,
dramas et jeux en ligne, les diffuse et les exporte pour le plus grand
bien de la balance commerciale coréenne. De 500 millions de dollars
en 2002, les bénéfices du hallyu seraient passés à 1 milliard en 2005
et à près de 3 milliards en 2008, essentiellement grâce aux jeux
vidéo. Déficitaire jusqu’en 1999, la Corée fait depuis 2008 partie des
dix principaux exportateurs culturels de la planète. La crise financière,
une fois encore, a donné l’impulsion nécessaire. Très endettées, les
sociétés de production menaçaient de faire faillite. Afin de promouvoir
conjointement contenu et contenant, le président Kim Dae-jung est
intervenu pour relancer la machine. Les industries culturelles ont été
promues au rang de moteurs de croissance au même titre que les
nouvelles technologies. Prêts et subventions ont été accordés pour
aider le secteur à se concentrer et à se moderniser. En amont, la
formation a été encouragée : production, images numériques et
même cours de chant et de diction. À l’aval, d’immenses multiplexes,
à la fois cinéma, restauration rapide et café Internet, ont été bâtis
aux quatre coins du pays.
Cette politique a immédiatement payé. Mû par une curiosité teintée
de patriotisme, le public coréen a réservé un triomphe aux nouvelles
productions coréennes, au demeurant d’excellente qualité. Le
mouvement a commencé en 2001 avec Les Amis, un drame mettant
en scène la petite mafia du port de Busan. Ce film a attiré 8 millions
de spectateurs, soit un Coréen sur six. Du jamais vu dans un pays où
le seuil du million passait pour un exploit. Deux ans plus tard, nouveau
record avec Shilmido, sombre histoire d’un commando entraîné en
secret pour assassiner Kim Il-sung. Le film a conduit 11 millions de
spectateurs dans les salles. Deux mois plus tard, Quand flotte le
(9)
drapeau de Kang Je-gyu, Frères de sang à l’exportation, réédite le
score de Shilmido. Le film réunit Chang Dong-gun, le héros des
Amis, et Won Bin, la vedette de Sérénade d’automne et, pour la
première fois, dépeint la guerre de Corée sans fard patriotique,
comme un conflit fratricide, cruel et absurde. En 2005, L’Homme du
roi, diffusé chez nous sous le titre Le Roi et le clown, majestueuse
e
reconstitution de la Corée du XVI siècle, franchit le cap des
12 millions de spectateurs. Enfin, à l’été 2006, ce sont 13 millions de
Coréens, quasiment un sur trois, qui se ruent dans les multiplexes
(10)
pour y voir Le Monstre , étonnante tragicomédie où la capture d’un
Godzilla mutant qui hante les égouts de Séoul permet à Bong Joon-
ho, son réalisateur, de vilipender les Américains, les élites au pouvoir
et l’administration en général. Forts de ces énormes succès, les
pouvoirs publics ont accepté d’inclure le cinéma dans l’accord de
(11)
libre-échange signé en 2007 avec les États-Unis . Malgré les
craintes de la profession, l’effondrement annoncé ne s’est pas
produit. Le score du Monstre n’a pas été dépassé, mais les
productions coréennes à 10 millions de spectateurs sont devenues
monnaie courante. Les pyrotechnies américaines sont beaucoup
moins prisées. À l’étranger, elles doivent désormais compter sur la
concurrence coréenne. En 2010, Haeundae, film catastrophe où un
raz-de-marée ravage le port de Busan, l’aurait emporté sur les
blockbusters américains du moment, en Chine et au Japon, en Asie
du Sud-Est, mais aussi en Australie, en Turquie et en Europe de l’Est.
L’Homme du roi
Dès sa sortie, le 29 décembre 2005, L’Homme du roi fut un succès
colossal. En quatre mois, un Coréen sur quatre avait vu ou revu le
film en salle. Sa sortie en DVD puis sa diffusion à la télévision suscita
à chaque fois une nouvelle vague d’enthousiasme national. De fait, le
film est une réussite. Une reconstitution historique enlevée, des
couleurs somptueuses, un drame shakespearien de pouvoir, d’amour
et de mort. L’histoire se déroule en 1506, à la fin du règne de
Yeonsan, dixième roi de la dynastie Lee et descendant direct du
fameux Sejong, l’inventeur du hangul. Totalement inconnu chez nous,
ce souverain domine la légende noire coréenne comme une sorte de
Caligula mâtiné de Macbeth. Quantité de biographies, de romans, de
films et même de bandes dessinées lui ont été consacrés. Fils
adultère du roi Seongjong, son enfance aurait été marquée par la
folie, l’exil puis la mort de sa mère, acculée au suicide. Placé sur le
trône par sa grand-mère qui entendait le manipuler, il ne tarda pas y
à montrer des signes de déséquilibre. Après avoir traqué sans pitié
les ennemis de sa mère, il peupla sa cour de concubines et de
saltimbanques, lança contre ses mandarins des campagnes de
proscription sanglantes et finit par assassiner sa grand-mère au
cours d’une cérémonie publique. Un coup d’État mit fin à ces excès,
Yeonsan et sa maîtresse furent éliminés, et son frère cadet Jungjong
placé sur le trône où il demeura près de cinquante ans. Au lieu de
s’en tenir aux exactions de Yeonsan, Lee Jun-ik, le réalisateur du film,
adapte subtilement l’action. Brodant à partir d’une chronique du
temps, il dresse un portrait réussi de la société coréenne d’alors, de
l’aristocratie au peuple, et s’attache à montrer la place qu’occupaient
les comédiens, marginaux mais poètes, voleurs mais libres.
S’inspirant d’une pièce à succès, il suggère même un flirt entre Kong-
il, jeune marionnettiste de la Cour au physique ambigu, et un Yeonsan
taraudé par le remords, la folie et le doute sexuel. Trame déroutante
pour nos sensibilités occidentales, L’Homme du roi nous livre
plusieurs clés pour décrypter le hallyu.
Première clé, manifeste : la redécouverte, l’exaltation, la
magnification du passé. En Europe et surtout en France, c’est un
réflexe naturel. En Asie, il n’en va pas de même. D’épais sédiments
séparent les peuples de leur histoire : la couche du colonialisme, puis
celle du nationalisme décolonisateur ; la couche du communisme et la
couche de l’américanisation anticommuniste ; enfin la couche du
progrès à tout crin qui rase sans pitié tout ce qui fait obstacle à l’Asie
développée et futuriste. Le hallyu, lui, renoue sans gêne ni faux-
semblant avec le passé, sa grandeur et ses petitesses. Le Japon de
Kurosawa s’y était essayé avec talent. La Corée, qui n’a pas le
même passé militariste et conquérant, a transformé l’essai en succès
populaire. Elle a fait des reconstitutions historiques une de ses
marques de fabrique. Son héritage y a aidé : des calligraphes et des
peintres de génie, un art consommé des couleurs et des matières, un
sens original des mélopées et des percussions. Elle s’y est d’abord
mise de manière industrielle, en produisant une kyrielle de feuilletons
en costumes, tout bruissant d’intrigues de cour, de douairières
cruelles et de concubines empoisonnées, mais souvent théâtreux et
médiocres. Avec L’Homme du roi, Le Joyau du palais, le seuil de la
qualité dramatique et plastique est franchi. En Corée comme dans les
pays où il est plébiscité, hallyu rime désormais avec qualité
artistique, fierté historique et passé retrouvé. Peu importe, au fond,
que ce passé soit coréen, qu’on y parle, qu’on y mange et qu’on s’y
vête à la coréenne, que la musique jouée soit coréenne : il vaut pour
tous les autres. Quand l’héroïne du Joyau du palais concocte ses
plats compliqués, ce sont toutes les cuisinières asiatiques qui vibrent.
Quand Yeonsan fait massacrer ses ennemis, ce sont toutes les Cités
interdites et toutes les satrapies orientales qui reviennent en
mémoire. Quand les héros de Quand flotte le drapeau plongés en
pleine guerre de Corée ne rencontrent pas un soldat américain, c’est
toute l’Asie qui se rappelle qu’il y eut un temps où les Blancs ne
s’étaient pas encore imposés parmi eux.
Mais s’il restaure le passé, le hallyu a également l’art de le
modifier et de l’adapter. Les héros y sont jeunes, glabres et musclés,
les héroïnes, humbles mais libres et entreprenantes comme il sied
aux Coréennes d’aujourd’hui. Les costumes y sont soyeux et
chatoyants jusque dans le peuple où tout le monde mange à sa faim.
Les palais de jadis, disparus depuis longtemps, sont restitués dans
leur splendeur d’autrefois grâce à une débauche d’effets numériques
qui démultiplie les échelles. Tout y est propre et ripoliné. Nous ne
manquons pourtant pas de documents d’époque. Ils nous chantent
une tout autre chanson, celle d’une élite étriquée, d’un peuple
misérable, entassé dans des masures. À en croire les photographies
de Séoul en 1900, ou plutôt Hanyang comme on disait alors, la ville
ressemblait à une grosse bourgade aux monuments noircis, aux
ruelles boueuses, encombrées de coolies assommés de travail. Pour
le hallyu, il ne s’agit pas de nier ce passé, mais de l’exalter, de
l’embellir, d’établir une filiation avec le présent, d’enraciner la richesse
actuelle dans l’histoire. Le hallyu ne triche pas vraiment, il adapte, il
justifie, il démontre que la réussite d’aujourd’hui était déjà en
gestation. Qui, en Asie, refuserait un tel scénario ? Au passage, bien
sûr, la Corée en profite. Le placement de produits vaut aussi pour le
passé. Le quartier d’Insadong, au cœur de Séoul, qui est un peu le
Soho coréen, s’est spécialisé dans l’antiquité récente et la simili-
brocante. On y vend des costumes traditionnels rappelant ceux des
séries télévisées, des pinceaux de calligraphes à la façon d’autrefois
et des meubles de cour fabriqués la veille. Il ne s’agit pas
d’escroquer l’amateur de rétro, mais de renouer avec le passé et de
le rendre vivant. N’en est-il pas de même pour les monuments
historiques, les palais royaux de Séoul, les temples bouddhistes à la
campagne ? Mieux que restaurés, ils sont en permanence
reconstruits pour conserver intact leur lustre initial. Telle est aussi la
mission du hallyu.
L’autre clé que nous donne L’Homme du roi est d’ordre social. Fils
d’une courtisane, méprisé par l’aristocratie, le roi Yeonsan est attiré
par le peuple qui est au fond l’autre héros du film. Maladroitement, il
cherche à le comprendre, à le séduire, à le protéger. Là réside sans
doute le succès des productions coréennes. Le hallyu représente une
défense et une illustration du peuple coréen et, à travers lui, des
peuples d’Asie. La culture coréenne n’est pas moins segmentée que
la nôtre. L’élite élégante cultive ses propres goûts où l’art
contemporain et la musique classique prennent une grande part.
Même si Chung Myung-whun, le grand chef d’orchestre, aime à
répéter qu’il n’y a pas de musique occidentale et que le génie d’un
Olivier Messiaen, son compositeur favori, « appartient au patrimoine
(12)
de l’humanité », la culture européenne constitue pour les Coréens
un puissant marqueur social. La culture populaire est plus spontanée,
plus affective. Elle valorise le mélodrame, la farce truculente et,
héritage du chamanisme, une forme de grivoiserie rituelle. Elle est à
l’origine d’œuvres de grande qualité, comme les pansori, vastes
épopées scandées où se mêlent joie et nostalgie, ou encore l’histoire
e
de Hong Kil-tong, chronique picaresque du XVII siècle, narrant les
aventures d’un Arsène Lupin coréen avant l’heure. Le hallyu se situe
dans cette vaine populaire, reflétant avec plus ou moins de bonheur
et plus ou moins de talent les travaux et les jours de la Corée
laborieuse. Même dans les reconstitutions historiques, les héros sont
souvent de petites gens en butte à la dureté de la vie et à
l’indifférence méprisante des puissants. Certes, les dramas n’ont pas
la force du grand romancier Hwang Sok-yong qui a mis sa plume au
service des laissés-pour-compte, qu’il s’agisse des journaliers
exploités des Terres étrangères ou des derniers bidonvilles de Séoul,
dépeints dans Prospérité. Ils n’hésitent pourtant pas à mettre en
scène des pauvres en proie aux difficultés quotidiennes et des
chômeurs qui se battent pour s’en sortir. Sans être voyeurs ni
politiquement corrects, les artistes coréens se sont même attaqués
aux tabous sociaux. Dans Trop jeunes pour mourir, tourné en 2002,
Park Jin-pyo traite crûment de la sexualité des personnes âgées.
Dans Oasis, tourné la même année, Lee Chang-dong ébauche une
histoire d’amour entre un simple d’esprit et une polyhandicapée.
Mais c’est surtout la condition féminine qui intéresse le hallyu. Il
rend compte du statut de la femme dans les sociétés asiatiques
d’aujourd’hui. À l’exception de quelques princesses et artistes de haut
vol, la Coréenne, soumise et effacée, était avant tout une mère, une
compagne et une ménagère. L’industrialisation, l’éducation et la
démocratie ont fait évoluer les mentalités. La femme existe
désormais par elle-même. Paru en 1995, La Chambre solitaire de
Shin Kyong-suk raconte la pénible ascension d’une jeune ouvrière qui,
à force de sacrifices, parvient à entrer à l’université et à devenir
écrivain. Dix ans plus tard, avec l’héroïne du Joyau du palais, la
femme active reçoit ses lettres de noblesse. Mais c’est Mon nom est
Kim Sam-soon, feuilleton diffusé à l’été 2005, qui a fait prendre
conscience à l’opinion que les choses avaient changé. Loin des
intrigues classiques où l’héroïne, courageuse et déterminée, hésite
entre deux bellâtres avantageux, Kim Sam-soon est plus
grassouillette que jolie, plus pratique qu’ambitieuse. Son objectif est
tout simple : ouvrir une pâtisserie et vivre avec son petit ami, sans
forcément l’épouser. Une vie banale en somme, sans tragédie ni
destin exceptionnel, mais indépendante et heureuse. Les Coréennes
se sont identifiées à Sam-soon et ont plébiscité la série. En Asie, la
série a également eu un étonnant succès. L’année suivante, la Corée
réformait son antique système patrilinéaire qui faisait obligation aux
femmes d’émarger sur le livret de famille de leur père, de leur mari,
de leur frère, voire d’un parent éloigné, pourvu qu’il s’agît d’un
homme. Depuis quelques années, les femmes sont entrées dans les
affaires et même en politique. Plusieurs sont devenues député et
ministre. Nommée par le président Roh en avril 2006, une militante
des droits de l’homme, Mme Han Myung-sook, dirigea même le
gouvernement sud-coréen au cours de l’année 2006. Pour l’élection
présidentielle de 2012, Park Geun-hye, la fille de l’ancien dictateur
Park Chung-hee, possède des chances réelles. Taxée
d’opportunisme par ses opposants, qui, faisant un jeu de mots avec
son prénom, l’ont surnommée « Princesse balançoire », elle l’emporte
actuellement en popularité sur tous ses concurrents. Le hallyu,
symbole de l’émancipation féminine ?
Du portrait à la critique sociale, il n’y a qu’un pas. Héritiers des
saltimbanques de L’Homme du roi, comédiens et artistes populaires
le franchissent allègrement. Ils n’hésitent pas à tourner la société
coréenne en dérision et à la critiquer amèrement. C’est une des clés
du Monstre, le film aux 13 millions de spectateurs, où tous les
puissants, politiciens, policiers et militaires américains, tournés en
ridicule, sont renvoyés dos à dos. Le statut des artistes contribue à
leurs prises de position. Dans la Corée de jadis, ils appartenaient à la
caste la plus basse, celle des déclassés et des marginaux de tout
poil, celle des magiciens, des tanneurs et des filles de joie.
Aujourd’hui, les choses n’ont pas vraiment changé. Officiellement, les
vedettes du hallyu sont les ambassadeurs de la Corée nouvelle. Côté
jardin, il en va autrement. Recrutés pour leur plastique, les stars
coréennes sont issues de milieux modestes que tout sépare de la
classe dominante. En mars 2009, la jeune Chang Ja-yun, vedette du
feuilleton Ces garçons florissants, s’est ainsi donnée la mort en
accusant plusieurs producteurs et politiciens en vue d’avoir usé d’elle
comme d’une vulgaire courtisane. L’affaire fit grand bruit sans
changer grand-chose. La barrière reste infranchissable. Aucune
famille huppée n’acceptera de gaieté de cœur d’accueillir un
comédien ou un chanteur en son sein. Stigmatisés socialement, les
artistes du hallyu mènent une vie affranchie, voire immorale.
Beaucoup s’engagent en faveur de causes humanitaires ou
progressistes. La profession s’est par exemple mobilisée contre le
(13)
traité de libre-échange signé avec les États-Unis en 2007 , vécu
comme un danger mortel menaçant la création coréenne. Elle a
également milité contre la loi de 2009 qui fragilise les médias
indépendants. En phase avec le mouvement démocratique des
années 1980, né après le massacre de Gwangju, certains prennent
(14)
ouvertement position. Dans Les Hommes du moment , tourné en
2005, qui revient sur l’assassinat du dictateur Park Chung-hee, le
réalisateur Im Sang-soo n’hésite pas à souligner le rôle officiel que
jouait alors sa fille, Park Geun-hye. Quand on connaît les ambitions
présidentielles de cette dernière, la dénonciation est virulente. Cet
engagement explique sans doute la fascination du hallyu pour la
pègre des souteneurs et des racketteurs. Les films sur ce sujet ne se
comptent plus. Récemment, Rue cruelle de Yu Ha ou Mouche à
(15)
merde de Yang Ik-joon ont fait sensation par leur noirceur tragique
et sans concession. Les héros y sont de pauvres brutes, soumises à
d’autres brutes bien plus cruelles qui n’hésitent pas à torturer et à
assassiner leurs rivaux. Mais ce qu’on retient de leur misérable
histoire est plutôt leur marginalité, leur naïveté, leur incapacité à se
faire au monde implacable qui est le leur. Car c’est aussi cela le
hallyu : une méditation sur la vie en société, une évocation
mélancolique des illusions perdues.
Hallyu Wood
« Hallyu Wood » est sans doute un jeu de mots facile, mais c’est
aussi une réalité. En 2005, pour tirer profit de l’énorme succès des
dramas et des films coréens, les autorités du pays ont décidé de
construire au nord de Séoul un immense parc à thème, à la fois
complexe cinématographique, centre de formation, studio de
production et espace d’exposition. Le projet, qui ouvrira ses portes en
2011, a une mission très claire : attirer 10 millions de visiteurs d’ici
2015 et faire de la Corée un nouveau pôle de la culture mondiale.
L’objectif est si ambitieux qu’en 2009 « Hallyu Wood » a été rebaptisé
« Hallyu World ». Mais ce type de défi n’est pas de nature à freiner
les Coréens, qui ont transposé aux industries culturelles les recettes
qui avaient porté leurs fruits dans les autres secteurs. Pour conquérir
les marchés, les produits ont été conçus dans une logique de
gamme. Globalement, les jeux vidéo et les manhwas visent le public
des adolescents, la pop coréenne les jeunes filles et les dramas les
« ménagères de moins de cinquante ans ». Le cinéma a été
segmenté en fonction de cibles bien précises. Aux consommateurs de
spectacle, les comédies populaires et les films à gros budget,
comme Haeundae, le film catastrophe de 2009, aux spectateurs plus
exigeants, les films d’auteur. La Corée poursuit dans ce domaine une
véritable « stratégie cannoise », consistant à rafler le plus de prix
possible sur la Croisette comme dans les autres festivals
internationaux de cinéma. Cela fonctionne. En attendant la Palme
d’or, Im Kwon-taek a obtenu le prix de la mise en scène en 2002 pour
Ivre de femmes et de peinture et Lee Chang-dong le prix du meilleur
(16)
scénario en 2010 pour Poésie . En Corée, ces films d’auteur
restent confidentiels et n’obtiennent, quand ils sont distribués, qu’un
succès d’estime. Aucune importance : le but est de convaincre Paris
et quelques autres capitales que le pays est au niveau des standards
européens de qualité. Le public coréen, lui, a droit à ses propres
productions. La stratégie est claire : il s’agit tout simplement
d’adapter l’offre à la demande. Pour accroître leur audience, les
producteurs coréens n’hésitent pas non plus à délocaliser. Des
dramas sont tournés à Pékin, à Macao, à Bali, en Europe et même
aux États-Unis, comme le mémorable Love Story à Harvard, réalisé
en 2004, qui a suscité pendant quelques mois un emballement des
étudiantes coréennes pour Boston.
Toutefois, en se positionnant sur le même créneau que les États-
Unis, même prime à l’audiovisuel, même public cible, même stratégie
de conquête, la Corée prenait le risque de l’affrontement. Jusqu’ici,
elle a su éviter le choc avec Hollywood. En élargissant le traité de
libre-échange de 2007 aux industries culturelles, le pays s’est
ménagé de judicieuses coopérations techniques et financières. Les
stars du hallyu, comme le chanteur Pi, Lee Byung-hun, et bientôt
Chang Dong-gun, ont été invitées à tourner dans des super-
productions américaines. En 2007, avec Dragon War, des
producteurs coréens sont même allés jusqu’à tourner un film
entièrement aux États-Unis avec des acteurs américains. Au vu du
résultat, l’essai reste à transformer. Mais le calcul est évident : la
Corée attend d’Hollywood un véritable transfert de technologie
culturelle. Il faut dire aussi qu’aux États-Unis, on ne croit guère à la
concurrence du hallyu dont on se moque sans complexe. En octobre
2006, lors de sa tournée au Carnegie Hall, la critique traita le
chanteur Pi de « Michael Jackson du pauvre, bodybuildé et bridé ».
La communauté des Coréens américains, qui compte près d’un million
et demi de membres, hurla au parti pris raciste, sans vraiment
convaincre. Sans doute les circonstances n’étaient-elles guère
favorables. Quelques mois plus tôt, pris de folie, un étudiant d’origine
coréenne avait massacré trente-deux de ses condisciples sur le
campus de l’université technologique de Virginie. La situation n’a
guère évolué depuis. Pour l’opinion américaine, le hallyu demeure
purement et simplement ethnique. Il en va autrement en Asie où le
raz-de-marée coréen commence à agacer. « Même si je ne suis pas
aussi beau que Sung Seung-heon, regarde-moi » chantait en 2004 un
rappeur malaisien, en se moquant de la vedette de Sérénade
d’automne. Depuis, le phénomène s’est accéléré. Au Japon, les
mangas tournant le hallyu en dérision font un tabac auprès des
jeunes. Plusieurs chaînes de télévision chinoises et thaïlandaises ont
décidé de fermer leur prime time aux productions coréennes,
notamment Pékin mon amour, drama tourné en 2004, qui dépeint
une Chine arriérée, très en retard sur la Corée. En somme, à imiter
Hollywood, le hallyu commencerait à en subir les mêmes
contrecoups.
Ce qui dédouane toutefois le hallyu est d’avoir su rester
fondamentalement coréen. Malgré son ambition internationale, il
demeure avant tout un produit de la culture, de la langue et de la
mentalité coréennes. À Hong Kong, à Taiwan, les acteurs se
rebaptisent Maggie Cheung ou Jerry Yan, jouent en anglais des
scénarios aseptisés. Pas de cela en Corée. Ce n’est ni par esprit de
fermeture ni par manque de curiosité, mais par attachement viscéral
à l’identité nationale. Certes, sous la dictature, le pays était fermé
aux influences étrangères. En riposte à l’occupation coloniale, tous
les produits culturels japonais étaient interdits, romans, mangas et
films. Jusqu’en 1992, lorsque Séoul et Pékin ont normalisé leurs
relations, il en était de même pour la Chine communiste, principal
soutien au régime de Pyongyang. Même les produits américains,
taxés de violence et d’immoralité, étaient sévèrement censurés.
Dallas, la fameuse saga texane, a longtemps été interdite en Corée.
Mais dans les années 1990, une fois la démocratie consolidée, le
pays s’est ouvert culturellement. Fascinée par la nouveauté, la
jeunesse a vécu quelques années à l’heure japonaise, au point que
les manhwas imitèrent servilement les mangas. La Chine étant
devenue tendance à son tour, la Corée a tourné des films de
taekwondo à l’image des séries de kung-fu. Des États-Unis ont
déferlé les jeux vidéo, le rap et les casquettes de base-ball. Mais
après cette phase d’engouement, l’esprit coréen a repris le dessus.
Se démarquant des productions chinoises ou japonaises où
mythologie, fantastique et arts martiaux dominent, le hallyu a adopté
dans ses dramas une tonalité qui lui est propre, plus sociale, plus
réaliste, plus humaine. La musique américaine a été adaptée à son
tour, donnant naissance à une pop originale, vocale et puissante, à un
rap à la fois moderne et nourri de pansori et de percussions
traditionnelles. En somme, tout en partant à l’assaut de l’Asie et du
monde, le hallyu a su conserver son authenticité.
Cette authenticité fait la force du hallyu en lui donnant sa légitimité.
Contrairement aux États-Unis, la Corée ne prétend pas que sa culture
a une valeur universelle. L’accuse-t-on d’imposer ses dramas, ses
chanteurs et ses jeux vidéo que la Corée a beau jeu de répondre
qu’elle ne cherche qu’à promouvoir sa culture sans écraser celle des
autres. Officiellement, son objectif est d’être reconnue à la hauteur de
ses talents. Le cri du cœur des Diables rouges, les supporters
coréens lors de la Coupe du monde de football 2002, témoigne de
cet état d’esprit. « Maintenant, nous sommes comme tous les autres
vainqueurs », scandaient-ils après chaque match gagné, et non pas,
comme on aurait pu s’y attendre, « Nous sommes meilleurs que les
autres ». Les Coréens demeurent persuadés qu’ils sont incompris. À
l’entrée de Kyobo, la grande librairie de Séoul, une longue galerie
expose le portrait de tous les lauréats du prix Nobel de littérature
depuis 1901. Un cadre demeure vide, celui du titulaire coréen à venir.
Le pays ne comprend pas que le poète Ko Un ou l’écrivain Hwang
Sok-yong n’aient pas encore été distingués. Tout est mis en œuvre
pour pallier ce déficit de reconnaissance culturelle. Le pays multiplie
les festivals internationaux et invite à grands frais les artistes les plus
réputés. En 2012, elle organisera une Exposition internationale à
Yeosu. Le hallyu fait partie de la panoplie. Sa mission est de faire
connaître la Corée, de la rendre attirante et sympathique. Tant mieux
s’il garantit au pays de substantiels bénéfices. Mais tel n’est pas son
objectif premier. Hollywood est une industrie, le hallyu, un plaidoyer.
Enfin, le hallyu a pour lui ses valeurs. Sans renier celles de la
culture américaine, la démocratie, la libre entreprise, la modernité,
elles s’en démarquent. Moins militantes, moins explicites, elles n’en
confèrent pas moins au hallyu toute son aura persuasive. La
première de ces valeurs concerne la famille. Dans la culture
américaine, la famille est nucléaire, comme aiment à dire les
démographes, c’est-à-dire qu’elle se résume aux relations de parents
à enfants, avec, le cas échéant, un aïeul ou un chien en option. Le
hallyu est profondément patriarcal, lignager, clanique. La question du
groupe, du nom et du sang y est déterminante. Le héros n’est jamais
un solitaire. Il est toujours un héritier. Comme dans la tragédie
grecque, il doit obéir, à son corps défendant s’il le faut, aux lois
d’airain de la parenté : prénommer un enfant selon les exigences du
grand-père, renoncer à l’amour pour un mariage arrangé, faire des
sacrifices pour un frère ou un cousin. Pour les orphelins, point de
salut sans famille de substitution : des voisins accueillants, une petite
entreprise, ou, comme dans les films noirs, un gang de quartier.
Famille à charge, drama à succès diffusé en 2008, en est un bon
exemple. Pour ménager une jeune fille amnésique qui a perdu tous
les membres de sa famille dans un accident de voiture, un parent
éloigné engage des comédiens de substitution. Après moult
quiproquos, tous finissent par se prendre au jeu et par former une
famille recomposée plus solide que nature. Cette obsession familiale
traduit bien évidemment la dominante confucéenne de la culture
coréenne. Elle explique le succès du hallyu en Asie, qui partage les
mêmes valeurs que la Corée. Mais plus largement, au Proche-Orient,
en Afrique, en Amérique latine, les questions de parenté et de filiation
demeurent aussi prégnantes. Ce sont précisément les régions où le
hallyu commence à s’implanter.
Une autre clé du hallyu a trait à la nature. Société hyperurbanisée
où près de neuf habitants sur dix s’entassent dans des appartements
exigus, la Corée rêve de grands espaces, d’horizons lointains et de
sommets inviolés. Jour après jour, leurs messages publicitaires
vantent avec une cruelle ironie ce dont les Coréens sont précisément
privés : de grands appartements spacieux, un jardin pour leurs
enfants, une campagne sans barre d’immeubles ni hangar industriel.
Le hallyu pallie en rêve ce qui fait défaut au quotidien. Au moment
crucial, lorsque tout se joue et que l’héroïne doit choisir entre l’amour
passion et l’amour raison, l’appel de la nature s’avère irrésistible, qu’il
s’agisse d’un temple isolé au sommet d’une colline, d’une plage
déserte ou d’un îlot boisé. Dans Poésie, le dernier film de Lee
Chang-dong, le retour sur soi passe par une retraite rurale.
Épouvantée par l’inconscience criminelle de son petit-fils, ne
parvenant plus à joindre les deux bouts, malade, l’héroïne,
(17)
merveilleusement interprétée par Yoon Jeong-hye , ne retrouve une
raison de vivre qu’après une excursion campagnarde, par une après-
midi ensoleillée. Sans doute est-ce cette fois le vieux fonds
chamanique qui s’exprime, ou la sagesse bouddhiste et le respect
qu’elle voue au règne végétal. Toujours est-il que ce culte pour la
nature trouve un large écho dans les mégalopoles d’Asie et du tiers-
monde qui ont explosé depuis une génération sous l’effet d’un exode
rural précipité et anarchique. Hollywood, bien entendu, dépeint
également la nature, magnifiée comme un écrin, une richesse, une
source d’énergie, mais rarement avec cette nostalgie, cette
inquiétude, ce sentiment d’urgence qui caractérise le hallyu. Le
succès du Monstre en 2006 témoigne de cet état d’esprit, la créature
qui terrorise Séoul étant au fond une métaphore de la pollution
industrielle. Même les dramas les plus populaires professent une
sympathie pour la nature, un respect pour l’environnement, une
sensibilité écologique qui reflètent une préoccupation nouvelle. Depuis
quelques années, la majorité des Coréens s’est ralliée au
développement durable, à la réduction des gaz à effet de serre et
aux énergies alternatives. Les chaebols l’ont bien compris qui,
comme Hyundai, misent sur la voiture hybride, mi-pétrole mi-
électrique, ou comme L.G. sur les panneaux solaires. Pour avoir
transformé un égout à ciel ouvert en canal d’agrément lorsqu’il était
maire de Séoul, Lee Myung-bak se pose volontiers en « président
vert ». Il a lancé en août 2008 une « nouvelle donne » écologique en
faveur des énergies propres et des réseaux électriques intelligents,
c’est-à-dire capables d’adapter au mieux l’offre et la consommation.
Implicitement, le hallyu contribue à cette sensibilité verte.
Mais s’il ne fallait retenir du hallyu que son trait de caractère le
plus frappant, ce serait son sens du tragique. Le public occidental
adore les happy ends. Les Coréens ne s’y reconnaissent pas. Pour
eux, une belle histoire finit mal. L’héroïne de Sérénade d’automne
meurt en pleine jeunesse. Le commando de Shilmido est abattu sans
pitié. Les saltimbanques de L’Homme du roi sont massacrés avec
leur souverain. Malgré son courage, la petite fille du Monstre ne survit
pas à ses blessures. On explique volontiers ce penchant pour le
drame en convoquant le han, cet état d’esprit mêlé de tristesse, de
rancœur et de résignation dont les Coréens vous parlent avec la
même componction que les Portugais la saudade et le fado. Sans
doute le hallyu est-il han. Mais il est plus que cela. Il est
profondément fataliste, marqué par cette conviction que chacun doit
suivre son destin. La joie, le bonheur, la réussite se rencontrent
parfois en route, mais le malheur, le drame et la mort finissent
toujours par l’emporter. Cette inclination collective pour la tragédie
tient au sort du pays, brisé par l’impérialisme japonais, ravagé par la
guerre froide, mutilé depuis plus de soixante ans. Son extraordinaire
réussite n’a pas fait oublier au pays les terribles malheurs qu’il a
endurés. Le sens du drame est tellement ancré dans l’âme coréenne
qu’il lui arrive de confiner à la complaisance. Certains acteurs
surjouent le pathos jusqu’à l’expressionnisme, certains dramas
s’avèrent lacrymogènes jusqu’à l’excès, certains films mettent en
scène la violence jusqu’à l’écœurement. Il n’empêche que cette
mélancolie fondamentale propre au hallyu trouve un écho chez tous
ceux, peuples, cultures, religions, pour qui priment les forces du
destin. « Ce qu’il y a de gentil avec vous, déclarait Swann à la
duchesse de Guermantes, c’est que vous n’êtes pas gaie. » Peut-
être est-ce un des secrets du hallyu : la gravité.
Notes
(1) Winter Sonata en anglais.
(2) A Jewel in the Palace.
(3) All in.
(4) Full House.
(5) Princess Hours.
(6) The First Shop of Coffee Prince.
(7) Boys before Flowers.
(8) Cf. supra, p. 45.
(9) Brotherhood en anglais.
(10) The Host.
(11) Cf. supra, p. 40.
(12) Citation recueillie par l’auteur en juillet 1998.
(13) Cf. supra, p. 40.
(14) The President’s Last Bang.
(15) Breathless.
(16) Poetry.
(17) Née en 1944, Yoon Jeong-hye vit en France depuis les années 1990 avec son époux, le
pianiste Paik Kun-woo.
(18) A Frozen Flower.
Chapitre IV
Notes
(1) La Corée du Nord a effectué son premier essai nucléaire le 9 octobre 2006 et un second
le 25 mai 2009.
(2) Entretien avec l’auteur, août 2010.
(3) www.antagoniste.net/2008/03.
(4) Le nombre de GI stationnés en Corée sera réduit de 30 000 à 26 000 en 2012 à cette
occasion.
(5) Valérie Gelezeau, « Le pouvoir des provinces coréennes. La Corée en miettes »,
o
Géographie et culture n 51, 2004, « Régions et territoires ».
(6) Selon le quotidien Joongang Ilbo du 14 février 2003, le Sud aurait versé 200 millions de
dollars au Nord via Hyundai et la banque de Corée du Nord à Macao.
Chapitre V
e
Collectif dont Alain DELISSEN, L’Asie orientale et méridionale au XIX
e
et XX siècle, Chine, Corée, Japon, Asie du Sud-est, Inde, PUF,
« Nouvelle Clio », 1999.
Tristan de BOURBON-PARME et Nathalie TOURRET, La Corée
dévoilée, L’Harmattan, 2004.
CHANG Sea-jin, Sony vs Samsung, John Wiley & Sons, Singapour,
2008.
Robert CHARVIN et Guillaume DUJARDIN, La Corée vers la
réunification, L’Harmattan, 2010.
Antoine COPPOLA, Le Cinéma asiatique, Chine, Japon, Corée,
Hong Kong, Taiwan, L’Harmattan, 2004.
Bruce CUMINGS, The Korean War : A History, Modern Library
Chronicles, 2010.
Pascal DAYEZ-BURGEON, « L’alphabet du roi Séjong », L’Histoire,
o
n 360, 2011.
o
Alain DELISSEN, « La Corée, perle de l’empire », L’Histoire, n 333,
2008.
André FABRE, Histoire de la Corée [1988], Éditions Favre, éd.
revue 2001.
Valérie GELEZEAU, Séoul, ville géante, cités radieuses, CNRS
Éditions, « Asie orientale », 2003.
–, « Le pouvoir des provinces coréennes, La Corée en miettes »,
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Géographie et cultures n 51, 2004, « Régions et territoires ».
Claude HELPER, Corée, réunification, mission impossible,
L’Harmattan, 2008.
Henry LELIEVRE (dir.), Japon, Chine, Corée, cette Asie qui dérange,
Éditions Complexe, 2000.
Patrick MAURUS, « Le jour où les Coréens sont devenus blonds »,
o
Tangun n 1, 2007, L’Harmattan.
Juliette MORILLOT, La Corée, chamanes, montagnes et gratte-ciel,
Éditions Autrement, 1998.
Jean PIEL, Corée, tempête au pays du matin calme, Éditions
Philippe Picquier, 1998.
Karoline POSTEL-VINAY, Corée, au cœur de la nouvelle Asie,
Flammarion, 2002.
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de développement, L’Harmattan, 2000.
coree.aujourdhuilemonde.com
lacoree.fr
france-coree.net
korea.net
amitiefrancecoree.org
racinescoreennes.org/france
hallyu.skyrock.com
INDEX DES NOMS DE PERSONNES
A
AHN JUNG-HWAN, 117
ALTMAN, Robert, 169
ATTALI, Jacques, 73
B
BAE Y ONG-JUN, 94, 117, 119
BAN KI-MOON, 16, 140, 160
BARDOT, Brigitte, 161
BONG JOON-HO, 98
BRÉDIER, Sophie, 161
BUSH, Georges W., 143
C
CALIGULA, empereur romain, 101
CAMUS, Renaud, 160
CHANG DONG-GUN, 98, 110
CHANG JA-YUN, 107
CHANG SEA-JIN, 87
CHEUNG, Maggie, 111
CHIRAC, Jacques, 166
CHOI HO-CHEOL, 96
CHOO SHIN-SOO, 121
CHUN DOO-HWAN, 20
CHUNG DONG-YOUNG, 119
CHUNG JU-YUNG, 32, 37, 44, 133, 134, 175
CHUNG MONG-JOON, 77
CHUNG MYUNG-WHUN, 104
CLAUDEL, Paul, 166
CLINTON, Bill, 140
CRESSON, Édith, 44
CUMINGS, Bruce, 163
D
DÉAT, Marcel, 150
DELISLE, Guy, 171
DELISSEN, Alain, 163
DELON, Alain, 117
DUBOIS, Jean-Paul, 47
H
HAN MYUNG-SOOK, 106
HATOYMA MIYUKI, 119
HONG KIL-TONG, 105
HWANG WOO-SOK, 184
HWAN SOK-YONG, 105, 113, 148, 163
HWANUNG, 165
I
IM KWON-TAEK, 109
IM SANG-SOO, 28, 108
J
JANG SUN-WOO, 91, 124
JEON TAE-IL, 45, 96
JOHNSON, Ben, 121
K
KANG JE-GYU, 97
KIM, André, 123
KIM ALDJI, 165
KIM DAE-JUNG, 15, 16, 20, 39, 66, 77, 79, 97, 139, 148, 156, 163
KIM, Daniel-Dae, 163
KIM IL-SUNG, 20, 97, 119, 138, 153, 157, 167, 170
KIM JONG-IL, 21, 128, 139, 149, 151, 171, 172
KIM JONG-CHEOL, 16
KIM JONG-NAM, 16
KIM JONG-UN, 16, 119, 128, 150, 171
KIM SHIN-DONG, 76
KIM TAE-HEE, 172
KIM WOO-CHOONG, 49
KIM Y OUNG-HA, 124
KIM Y OUNG-SAM, 20
KIM Y U-NA, 172
KOO BON-MOO, 36
KOO IN-HO, 33
KO UN, 113
KUROSAWA AKIRA, 102
KWON SANG-WOO, 117
L
LAUGHLIN, Robert, 58
LEE BYUNG-HUN, 110, 117, 154
LEE CHANG-DONG, 105, 109, 114, 160
LEE CHUN-HEE, 145
LEE KUN-HEE, 36, 87, 128, 179
LEE HOI-CHANG, 77
LEE HYUN-SE, 42
LEE JUN-IK, 101
LEE MYUNG-BAK, 21, 41, 77, 115, 119, 140, 148, 157
LEE SANG-BONG, 123
LIM Y O-HWAN, 82
LISZT, Franz, 82
M
MAURIAC, François, 132
MESSIAEN, Olivier, 104
MOON SUNG-MYUN, 186
N
NOTHOMB, Amélie, 74
NOUVEL, Jean, 179
O
OBAMA, Barack, 13, 52, 77, 140, 160
OH SEO-HOON, 119
P
PAIK KUN-WOO, 115
PAIK NAM-JUNE, 91
PARK CHANG-WOOK, 88
PARK CHUNG-HEE, 20, 26, 29, 38, 43, 49, 106, 108, 148, 157, 169
PARK GEUN-HYE, 106, 108
PARK JI-SUNG, 121
PARK TAE-HWAN, 121
« PI », pseudonyme de JUNG JI-HOON, 95, 105, 110, 118
PERRAULT, Dominique, 58
PICASSO, Pablo, 187
POLO, Marco, 166
PROGLIO, Henri, 48
R
ROH MOO-HYUN, 21, 77, 81, 106, 139, 146, 148
ROH TAE-WOO, 20, 38
S
SARKOZY, Nicolas, 180
SEGALEN, Victor, 166
SEJONG, roi, 19, 68, 69, 70, 101
SEONGJONG, roi, 101
SHIN KYONG-SUK, 105
SIÈYES, abbé, 189
SEVERANCE, pasteur, 56
SON KI-CHONG, 120
SUNG SEUNG-HEON, 111
SYNGMAN RHEE, 20
T
TANGUN, 17, 75, 128, 165
W
WANES, Hines, 175
WON BIN, 98, 118
Y
Y AN, Jerry, 111
Y ANG IK-JOON, 108
Y EONSAN, roi, 101, 103, 104
Y U HA, 108
Y I MUN-YOL, 52, 163
Y OON JEONG-HYE, 115
Y OUNG, pasteur, 56
Z
ZUCKERBERG, Mark, 64
DU MÊME AUTEUR