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http://www.gis-reseau-asie.org/les-articles-du-mois/peninsule-
coreenne-incomprehensions-marie-orange-rive-lasan
Carte des deux Corées et de leur région (© 2013 / Réseau Asie - Imasie)
Dans la deuxième partie du 20ème siècle, la Corée « unifiée » n'existe plus que dans
les rêves des uns et des autres : on a désormais à faire à au moins « trois Corées » :
la Corée du Nord, la Corée du Sud et une diaspora morcelée qui en fonction de son
implantation géographique et des époques recevra les influences des deux États
coréens devenus concurrents. La « Réunification » est affichée comme objectif
officiel au Nord et au Sud, mais dans les actes rien n'a abouti en ce sens depuis la
Guerre de Corée : preuve en est l'absence de traité de paix depuis l'armistice de
1953 et la persistance d'une zone frontière étanche ! La politique de la main tendue,
la Sunshine policy, menée par les progressistes sud-coréens pendant une dizaine
d'années (1997-2007) permettra certaines coopérations intercoréennes, surtout
économiques et symboliques. Celle-ci est remise en question unilatéralement par le
gouvernement de Lee Myung-Back, au vu du constat « d'échec » fait par le camp
conservateur en terme de retombées économiques et de profits pour le Sud. Le
temps n'est pas à la patience, ni au respect de l'Autre, ni à l'entraide franche et
cordiale : une ère de logiques de confrontation au niveau mondial et de méfiance
mutuelle au niveau régional écarte toutes les amorces de rapprochements
entreprises au début des années 2000.
Parler de « la Corée » aujourd'hui n'a donc plus de sens. Les Coréens eux-mêmes,
ne se désignent plus, eux ou leur pays, en employant le même mot en coréen en
fonction de leur lieu de résidence depuis plus de cinquante ans. On parle de Han'guk
(pays Han) si on est Sud-Coréen, mais de Nam Chosŏn (Chosŏn du Sud), pour un
Nord-Coréen, lorsqu'il s'agira de désigner la Corée du Sud. Un Sud-Coréen
désignera la Corée du Nord par le terme de Puk Han (Han du Nord), alors qu'un
Coréen du Nord utilisera le terme Chosŏn, ou de République populaire démocratique
de Chosŏn. Sans mentionner, les différentes façons qu'ont les membres de la
diaspora de se désigner entre eux (Koryŏ saram dans l'ex-espace soviétique,
Chosŏn-jok en Chine...) ou leur « mère patrie », on comprend déjà la complexité des
positionnements face à la notion même de coréanité, d'orthodoxie et de tradition. On
est obligé aujourd'hui de se positionner idéologiquement pour parler de la Corée en
coréen, contrairement au français ou à l'anglais où les mots « Corée » ou « Korea »
ambigus conservent une certaine souplesse. Les locuteurs en coréen sont piégés : il
n'y a pas d'autre alternative que de faire un choix quasi-idéologique, voire
diplomatique, pour parler de la Corée ou de ce qui est coréen, quand l'angle de vue
n'est pas imposé par l'éducation et les médias par le biais d'un masquage des autres
possibilités lexicales, comme c'est le cas en Corée du Nord et en Corée du Sud.
Lorsque l'on parle de la Corée dans les médias, c'est souvent au superlatif. Mais de
quoi nous parle-t-on ? La Corée fait sensation. Ce qui intéresse les journalistes
concerne le plus souvent la Corée du Nord, ou plus précisément la menace qu'elle
est censée faire peser sur le monde. Il faut dire que le gouvernement Nord-coréen
excelle non seulement en annonces provocantes ou menaçantes, comme cela a été
encore le cas cet hiver, mais aussi par la savante orchestration de tests de missiles
ou nucléaires qui entretiennent le suspens. Il sait ménager des effets de surprise,
prendre des positions extrêmes, assurer des revirements et des coups d'éclat dans
ses relations internationales, défier l'ONU, bref, il entretient son capital médiatique en
occupant l'espace médiatique traditionnel, mais aussi depuis plus récemment en
investissant l'espace cybernétique pour augmenter son influence, tant sur le plan
domestique qu'international. En relayant ces informations soi-disant « alarmantes »
pour la sécurité mondiale, les journalistes du monde entier rendent un fier service,
non seulement à la Corée du Nord, mais aussi aux grandes puissances qui ont
intérêt à ce que le statu quo demeure sur la péninsule coréenne. La menace nord-
coréenne est un prétexte en or pour justifier des stratégies militaires américaines
dans la zone Asie-Pacifique, voire la possible remilitarisation du Japon. La Chine,
quant à elle, préfère avoir une Corée du Nord, même un peu fanatique, à sa porte
plutôt qu'un État pro-américain. D'autant plus qu'elle tire profit économiquement de la
Corée du Nord, tant que les autres partenaires y sont personae non gratae.
Activistes sud-coréens manifestant contre la Corée du Nord près de la Zone
démilitarisée
(© 2013 / Voice of America, versée dans le domaine publique par VoA)
photo tirée de S. Korean Police Thwart Anti-North Leaflet Launch,
by Steve Herman, Voice of America, May 04, 2013
http://www.voanews.com/articleprintview/1654502.html
Marie-Orange Rivé-Lasan
Maître de conférences à l'Université Paris Diderot, UFR LCAO
Membre du Centre de recherches sur la Corée
de l'UMR 8173 Chine, Corée, Japon (CNRS / EHESS- Université Paris Diderot).
Bibliographie