REVUE PRATIQUE DE LA PROSPECTIVE ET DE L’INNOVATION - N° 2 - NOVEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA Pratique professionnelle

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L’approche client à l’ère post-numérique
Clarisse BERREBI,
CEO et cofondatrice de BOLD

CONTEXTE
La révolution numérique a fait peser de nombreuses contraintes sur l’ensemble des acteurs économiques. Les avocats,
et de façon générale l’ensemble des professions réglementées, n’ont pas été épargnés par cette profonde mutation de
notre société. Les premiers marqueurs de cette évolution datent du début du 21e siècle. Les transformations se sont
d'abord manifestées par de nouvelles propositions de valeurs qui ont été immédiatement adoptées par le marché,
transformant nos habitudes de consommation puis nos comportements en société. Comme à chaque révolution, la
société transforme totalement ses habitudes créant une nouvelle norme qui progressivement mais inéluctablement,
éteint l'ancienne.

PRATIQUE
A. - Révolution numérique et libération
de l’information
La révolution numérique a libéré l’information ce qui a
totalement déstructuré l’intégralité de nos institutions
modernes, de l’école aux institutions politiques en passant par
le commerce, l’industrie et l’ensemble du monde des services.
La libre circulation de l’information est directement à l’origine
de l’ensemble des mutations que nous vivons aujourd’hui et
que nous continuerons d’observer au cours de ces prochaines
décennies.
Nos sociétés se sont construites sur un modèle de castes
hiérarchisées en fonction de leur capacité à détenir des
informations, c’est-à-dire à savoir ce que l’autre ignore.
Dans cette organisation de société, les avocats détenaient le
savoir juridique.
En 2000, lorsque j’ai prêté serment j’observais encore cette
hiérarchie entre celui qui sait et celui qui ignore. Presque 22
années et une révolution profonde plus tard, il est évident que
tout a changé.
Le monde du service au 20e siècle reposait donc sur la
capacité d’un sachant à maîtriser une science d’abord théori-
quement puis renforcée ensuite par la pratique et l’expérience.
Chaque année d’expérience renforce le savoir du sachant.
Un savoir acquis est en conséquence un actif monnayable sur
le marché. Plus ce savoir est expérimenté, plus le prix pour en
bénéficier est élevé. Tel est le modèle économique de nos
professions intellectuelles.
Le savoir théorique est acquis à l’université puis à l’école
d’avocat. Nos années d’étude nous donnent accès au certificat
d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). Le CAPA nous
autorise à exercer notre savoir théorique, à porter la robe et à
disposer d’un titre.
Nous facturons ensuite au temps passé à exercer notre savoir
théorique à des situations pratiques. Dans ce schéma, notre
taux horaire augmente logiquement avec nos années d’expé-
rience.
La révolution numérique a, dès lors et fort logiquement,
impacté notre profession et son modèle économique et
continuera de le faire au cours des prochaines années.
Les avocats sont contraints, comme tous les acteurs écono-
miques, de se repositionner dans cette société qui s’est
subitement mise en mouvement. Le changement doit être
profond et devra toucher autant la formation de nos futurs
confrères que la pratique quotidienne de notre profession.
À l’ère de l’information libre et circulante, il n’est plus
envisageable de faire reposer la valeur de nos entreprises sur le
savoir, qu’il soit théorique ou pratique même si aujourd’hui
encore, pour le consommateur et le producteur du service
juridique, l’expérience acquise conserve une certaine valeur
monnayable en fabriquant des réputations.
Mais ne nous trompons pas, cela ne va pas durer. La
concurrence va se durcir et l’utilisation des médias libres va
détruire toute la valeur marchande de l’ensemble des savoirs
quels que soient leurs modes d’acquisition. À brève échéance,
l’information et le savoir vont progressivement se dévaloriser
ce qui implique de revoir profondément l’intégralité de nos
modèles d’affaires.
Les avocats doivent donc collectivement et individuellement
s’interroger sur leur modèle économique dans un contexte où
le savoir théorique et pratique n’auront plus de valeur
intrinsèque.
Quels seront les nouveaux actifs valorisables sur lesquels
pourraient reposer nos modèles d’affaires à l’ère post-
numérique ? La profession d’avocat de façon collective et,
chaque cabinet individuellement, devra se poser cette ques-
tion fondamentale pour adapter son modèle et organiser sa
survie.
B. - La valorisation de l’expérience client
La réponse à cette question est directement liée à l’expé-
rience client.
À l’ère post-numérique, la valeur d’un service reposera sur sa
capacité à faire vivre au client une expérience de consomma-
tion spécifique et à valoriser cette expérience comme un actif
entrepreneurial. Ainsi quel que soit le domaine du droit dans
lequel exerce l’avocat, sa priorité devra se tourner vers ce qu’il
veut faire vivre à son client dans une situation donnée et tout
son modèle d’affaires devra s’organiser autour de cette
expérience.
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Dès lors, le marché du droit et la formation aux métiers du
droit devront évoluer en fonction du consommateur du
service :
- le marché des consommateurs finaux (B to C) avec une
subdivision entre le marché de masse et le marché de niche
qui reposera sur deux modèles économiques distincts ;
- le marché des entreprises (B to B) avec des subdivisions
liées aux cibles avec ou sans appels d’offres incluant les
marchés publics.
Quelle expérience devront vivre mes clients et comment
valoriser mon entreprise dans ce contexte ?
Il n’y aura donc pas une seule réponse. Chaque entreprise
devra individuellement s’interroger sur l’expérience qu’elle
souhaite faire vivre non seulement à ses clients mais plus
généralement à son marché.
Les actifs valorisables seront donc les mêmes que pour tout
type d’entreprise à savoir les actifs de propriété intellectuelle
comme la marque, les développements technologiques, les
process internes, le parcours client, les données personnelles
et de façon générale l’intégralité du modèle d’affaires capable
de faire émerger un besoin spécifique.
1° Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
Dès lors qu’il n’est plus raisonnable de faire exclusivement
reposer son modèle d’affaire sur de la connaissance acquise et
sur l’expérience de ceux qui la détiennent, la valeur reposera
donc sur la capacité d’une entreprise à cibler un marché
auquel elle fera vivre une expérience spécifique.
Cette valeur intrinsèque qui sera « l’expérience client » est
une sorte de brassage de savoirs théoriques, de méthodologies
et d’une vision qu’il convient de modéliser pour en faire un
modèle d’affaires différenciant et monnayable.
La différence se fera donc au niveau de la vision qui se définit
comme l’idée que je me fais en tant qu’acteur économique de
ce que je souhaite faire vivre aux consommateurs. Ceci
implique également d’exclure de sa cible, tout ce qui ne
correspond pas à ce que je décide de faire vivre à mes clients.
À titre d’exemple si je suis avocat en droit de la famille et que
je souhaite créer une expérience rassurante et non conflic-
tuelle totalement tournée vers la médiation et l’intérêt des
enfants, je dois impérativement exclure de ma cible tous les
prospects qui auraient une vision très belliqueuse de la
séparation. Dès lors, au contact de chaque nouveau client,
j’affinerai l’expérience en laissant s’exprimer ma créativité
pour pousser ma vision sur mon marché. Le parcours de mon
client sera à tous les niveaux de mon entreprise borné par ma
vision. Et l’ensemble de mes équipes sera également soutenu
et poussé par la vision.
La vision va créer une nouvelle valeur intrinsèque directe-
ment liée à l’expérience client. Puis comme tout modèle
d’affaires vertueux, les actifs créés en généreront de nouveaux
qui constitueront à terme la valeur de l’entreprise.
2° Comment définir l’expérience client que je souhaite ?
L’expérience client n’est pas une suite d’actions réalisées
pour gagner ou servir un client. Ce n’est pas une suite de jalons
autour sur le parcours de mon client au sein de mon
entreprise. L’expérience client est d’ordre émotionnel.
Quelle est l’émotion que doit ressentir mon client au
moment où il me trouve comme partenaire potentiel à un
moment clef de sa vie ? Quelle est l’émotion que je veux qu’il
ressente au moment où il décide de travailler avec moi ?
Quelle est l’émotion que je veux qu’il ressente tout au long de
nos échanges ? Quelle est enfin l’émotion que je veux qu’il
conserve de notre travail en commun et qu’il diffusera à
l’extérieur ?
L’expérience client c’est avant tout l’idée que le marché se
fait de mon entreprise et correspond donc davantage à ce que
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je suis en tant que fondateur et non à ce que je fais ou au
métier que j’exerce.
De nombreuses entreprises peuvent être prises comme
modèle pour comprendre l’intérêt de valoriser son entreprise
autour de l’expérience client. Les entreprises modernes du
numérique ont modélisé ce concept de diverses façons (V.
dans ce numéro, Th. Wickers, La relation avocat-client à l’âge
de l’expérience : RPPI 2021, dossier 12) mais plus en amont,
après-guerre, le Club Med a développé un modèle d’affaire
fascinant qui a parfaitement exploité cette notion de valorisa-
tion de l’expérience client à tous les échelons de l’entreprise :
du marketing au management en passant par l’ensemble de la
chaîne de production du service. Toute l’entreprise était
portée par la vision portée par les fondateurs d’une nouvelle
expérience unique et inédite pour les vacanciers. Les fonda-
teurs du Club Med ont repris ce modèle avec les hôtels Mama
Shelter en mettant en œuvre la même recette, les mêmes
ingrédients avec le même succès.
Or, ce que ces exemples nous apprennent, c’est que la
valorisation par l’expérience client passe par des choix
radicaux et définitivement tranchés. Il est indispensable de ne
pas vouloir plaire à tout le monde voire d’assumer d’être
critiqués. Le succès du modèle passe par la définition de sa
cible au détriment de toutes les autres. C’est probablement
une des décisions les plus difficiles de la stratégie. En
revanche, cette stratégie ne nécessite nullement de tordre les
règles de notre déontologie ou de se limiter à une activité BtoB
ou encore de n’exercer que le droit des affaires. N’importe
quel domaine du droit pourrait faire l’objet d’une réflexion
autour de l’expérience vécue par le client.
La meilleure des méthodologies consistera évidemment à se
mettre dans la peau de son client en revivant des moments où
on a soi-même été client. Qu’ai-je vécu ? Qu’est ce qui a été
insupportable ? Qu’ai-je adoré ? Qu’est-ce que j’aurais aimé ?
Qu’est ce qui aurait pu être déterminant et à quel moment ?
Cette stratégie modifie l’ensemble des pans de l’activité. De
sa communication à la facturation en passant par la produc-
tion du service, évidemment. Elle demande une grande
humilité face à son savoir-faire et une profonde volonté de
mettre le client au centre de ses préoccupations. Une fois la
bonne recette trouvée, il faut en faire un modèle à améliorer
avec persévérance en motivant les équipes à en faire une
priorité.
Chacun des membres de notre profession devra progressive-
ment basculer vers des modèles d’affaire valorisant l’expé-
rience client.
À court terme, se désintéresser de l’expérience vécue par le
client porte atteinte à la réputation de toute notre profession
qui souffre d’une réputation de manque d’empathie et de
respect pour ceux qui la sollicitent. Certaines attitudes,
souvent obsolètes, auront même tendance à constituer des
barrières à l’entrée et à faire fuir le client. À long terme, il est
certain que la survie individuelle de nos cabinets dépendra
indubitablement de la capacité de chacun à valoriser l’expé-
rience client au centre de son modèle d’affaire.
La vie n’est faite que d’une suite d’expériences. Certaines
méritent d’être vécues tandis que d’autres n’auront été que
douleurs et peines.
Il est de notre responsabilité individuelle, tout en restant des
professionnels du droit consciencieux et brillants, de s’atteler à
faire en sorte que nos clients conservent jusqu’à leur dernier
soupir, un souvenir attendri de ce moment de l’histoire de leur
vie, où malgré la difficulté ou l’épreuve, ils auront dû faire
appel à un avocat.
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