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Master en langues et lettres françaises et romanes,

Orientation français langue étrangère, à finalité didactique.

Anthropologie des affects et de la communication


SERVAIS Véronique

LA DIMENSION CULTURELLE DES


INTERACTIONS
Coulisses des Houskeepers

Priscille Tinto

Liège le 26/01/2023
Sommaire

Introduction ............................................................................................................................................ 2
I. Les rituels de l’interaction .......................................................................................................... 7
1. Le verbal .................................................................................................................................. 9
2. Le non-verbal ........................................................................................................................ 11
II. La relation de confiance ........................................................................................................... 12
1. L’interdépendance ................................................................................................................ 13
Conclusion ............................................................................................................................................. 14
Bibliographie ......................................................................................................................................... 15

1
Introduction

La dimension multiculturelle des sociétés actuelles se consolide de plus en plus à travers les
échanges commerciaux, le tourisme (voyages) et de façon globale à travers les relations
internationales. Les hôtels, particulièrement, ceux qualifiés de luxe sont les lieux de passage
de plusieurs touristes, des hommes d’affaires, des amateurs soit une multitude d’acteurs
d’origine diverse.

En général, ces grands centres d’hébergement ont une clientèle d’étrangers venant du monde
entier. Il semble donc difficile de deviner le nombre de culture qui passe dans ces chambres,
également et surtout entretenues chaque jour par les femmes de chambre (les houskeepers).
Je me permets de m’arrêter sur ces dernières car en effet, dans ces grandes entreprises de
luxe, les femmes de chambre sont généralement moins représentées. Rarement, elles sont
vues dans les campagnes de marketing des hôtels, encore moins dans les restaurants ou
espaces de distraction qui accueillent la clientèle. Elles sont le plus souvent qualifiées de
« discrètes », qualité de base, prônée par les patrons et/ou les clients. On ne les voit pas,
pourtant elles, elles voient tout. La question de discrétion a premièrement attiré mon
attention, quand j’ai décidé de faire de leur office mon lieu d’observation.

Avant d’expliciter la question, je dirai que j’étais mitigée quant aux choix de mon terrain
d’étude. En réalité, les hôtels de luxe sont des endroits qu’on ne visiterait pas comme l’on
visiterait un opéra, un cinéma, ou un théâtre ou même une église. Cependant, mon constat
est que ces endroits regorgent d’une panoplie d’histoire à découvrir, des œuvres d’art affiché
le long des couloirs, d’architecture spéciale, etc. Outre ce côté matériel, ils regorgent
également d’une vie sociale vaste et multiculturelle notamment grâce aux personnels. C’est
en cela que j’ai eu l’embarras du choix, car en effet les différents services ou départements
présents dans cette entreprise me semblaient intéressants pour une telle étude.

Il fallait cependant faire un choix, entre le service d’accueil (plurilingue), le restaurant qui
regorgent de talents divers et variés, le service administratif, les housekeepers et autres. J’ai
décidé finalement de pénétrer les coulisses housekeepers, pour tenter de comprendre ce qui
se cache derrière cette réputation de discrétion qui les définit.

Dans cet hôtel de luxe, j’ai remarqué lors du premier jour d’observation, et grâce à un
témoignage, que les houskeepers, sont non seulement les plus nombreuses (une quarantaine

2
environ, mais les moins vues), mais aussi, ce sont plus d’une dizaine de culture qui se côtoient.
En particulier, dans une journée de travail, au minimum douze d’entre elles sont en service,
dont cinq à six cultures différentes. J’ai passé la grande partie de mes observations dans ce
qu’elles appellent « l’office du 2 », qui est en même temps leur bureau, et leur restaurant.
C’est en réalité là qu’elles peuvent se débarrasser de leur manteau de ‘’discrétion’’, c’est là
leur lieu d’échange, l’endroit, où elles tissent des liens entre elles. C’est en fait le premier lieu
où elles commencent leur journée et le dernier qu’elles quittent. La plupart d’entre elles ne
connaissent que cet endroit de l’hôtel outre les chambres.

J’ai envisagé ainsi de sillonner le territoire des femmes de chambre de cet hôtel pendant un
mois, dont trois à quatre visites par semaine. Je me présentais à l’office du 2, soit avant
l’arrivée des femmes (entre 8 h et 10 h), soit pendant leur temps de midi (entre midi et 14 h)
et généralement en fin de journée (entre 15 h et 18 h). Je me suis discipliné à observer au
moins 4h par semaine. Ces périodes semblaient difficiles dès le départ du fait que l’endroit et
les personnels m’étaient familiers, moi-même ayant travaillé là. J’étais le plus souvent en train
d’observer mes anciennes collègues, donc j’avais du mal à sortir du lot. J’ai dû me fondre dans
la masse, comme le suggérait d’ailleurs Winkin, « vivre normalement » dans cette culture,
c’est-à-dire participer à leur moment de communion. Et surtout ne pas perdre de vue
l’objectif, l’observation.

Mes premières semaines d’observation, je me suis focalisée sur leur routine, j’ai noté tous les
faits et gestes que je pouvais voir, ce qu’elles faisaient durant les différentes périodes,
comment elles le faisaient, ce qu’elles disaient, comment elles le disaient, ce en quoi portait
le plus leur sujet de conversation. En plus, j’ai noté les noms qu’elles donnaient aux choses
normales, les plus banales, les codes de langage entre autres. En plus, j’ai décidé par la suite
de prêter oreilles à tout ce qui se disait, les moments d’interaction entre elles toutes.
Quelquefois, j’ai été observée dans les étages où elles travaillent pratiquement seules et
souvent à deux, sans m’introduire dans les chambres (respect d’intimité).

Chaque période d’observation était différente, et chaque semaine aussi. Je rencontrais de


nouvelles personnes, rarement les mêmes durant une semaine entière. Certainement, ce
n’étaient pas les mêmes interactions, bien que ce fussent les mêmes routines. Il existait des
temps de midi aussi calme que d’autres, tout comme des fins de soirée où aucune d’entre
elles ne se croisait à l’office, et vice-versa. De même, Il arrivait que certains matins, le

3
personnel était réduit à cause de l’absence de client (période morte). Il existait également ces
périodes où les étages étaient vides, on ne pouvait apercevoir que des chariots, dans un
silence mortuaire. Ces irrégularités ont été enrichissantes, mais ont causé des difficultés dans
le sens où il fallait éliminer quelques évidences, réorienter les idées. J’ai également discuté
avec le personnel, afin de comprendre comment elles travaillaient, les relations qu’elles
tissent entre elles, la cohésion malgré les différences. Ce qui ressortait le plus « on est comme
une famille », « « on se dit tout », « on n’a pas de langue de bois », « tous types de sujets sont
discutés ensemble ».

Les moments de difficulté étaient aussi liés au fait que j’ai envoyé des questions ouvertes à
certaines à défaut de faire une interview1. Les réponses n’arrivaient pas pour certaines et pour
d’autres, à moitié. Aussi, le plus souvent, j’ai été confrontée aux barrières de la langue, les
femmes en majorité ne maîtrisent pas le français. Souvent, leur discussion se faisait en langue
maternelle. Enfin, au niveau des difficultés, il y a eu des moments de flou, de doute sur la
direction à prendre, des problèmes d’agencement d’idées, d’analyse de tout ce que j’ai pu
observer.

Toutefois, en revenant constamment aux observations et aux consignes, mais aussi à certaines
lectures, je me suis posé les questions suivantes : comment font-elles malgré leurs différences
pour nouer des liens entre elles, se comprendre, s’entendre, s’entraider (interagir), vivre une
vie sociale ? Comment se fait l’interaction en dehors des chambres et des couloirs de la
discrétion ? Que se passe-t-il réellement dans les coulisses ?

Grâce à « L’anthropologie sociale de la communication de Goffman, et « L’interactionnisme


symbolique » de Le breton David, j’ai pu orienter mon analyse sur la gestion des interactions
malgré les différences. Ainsi, on pourrait essayer de comprendre comment ces interactions
démontrent l’identité des personnes, les font sortir de l’étiquette qu’on leur colle
généralement (discrètes, classe sociale précaire, etc.) et que contiennent ces interactions. Il
sera donc question dans un premier temps de traiter les rituels de l’interaction, dans le sillage
du verbal et du non verbal, puis enfin d’analyser la relation de confiance qui se définit par la
notion d’interdépendance.

1
Ce n’était pas évident de faire une interview sur le champ, j’avais du mal à trouver les questions adéquates. J’ai dû préparer mon
questionnaire à domicile pour le leur envoyer via l’application Whatsapp.

4
Généralités

Généralement, les femmes de chambre ou les femmes de ménage sont classées au bas niveau
des entreprises. Le plus souvent, elles sont là quand personne n’est là et s’éclipsent sans faire
de bruit. Non seulement « les conditions de travail dans le secteur du nettoyage et de la
propreté sont peu reluisantes »2 , les employés sont appelés à faire preuve de la plus grande
rapidité possible et de discrétion dans l’accomplissement de leur tâche. De même, ils sont
contraints de rester debout pendant longtemps, dans le cas de notre analyse, les HK avaient
une pause de trente minutes sur sept heures de travail. Selon une d’entre elle, « il faut courir
pour finir vite, surtout quand l’hôtel est complet ou quand il y a des footballeurs qui doivent
arriver ». En ce qui concerne leur qualification, elles ne sont pas diplômées en majorité, sont
d’origine étrangère et perçoivent un salaire bas. (Puech Isabelle 2003 : 12). Cependant, ces
métiers sont de plus en plus valorisés, enseignés. On assiste le plus souvent à l’affluence des
jeunes stagiaires qui viennent s’exercer au métier dans ces hôtels. En général, ces travailleurs
de la propreté sont appelés à être flexibles, font autant d’heures supplémentaires que
possible. L’intensité du travail peut varier d’un moment à l’autre, tout dépend de l’affluence,
dans notre cas tout dépendra des clients et des périodes (touristes, hommes d’affaires, jours
de fête, vacances, etc.).

C’est également un métier étiqueté comme étant celui des femmes. En effet, selon les
enquêtes menées par Puech Isabelle, il ressort que les femmes sont quatre fois plus
nombreuses à travailler surtout en temps partiel plus que les hommes. Il semblerait que ce
chiffre soit supplanté au niveau des HK, car le constat est clair dans l’hôtel de luxe, sur la
quarantaine d’employés, il n’y avait que cinq hommes.

Bien que dans certains hôtels, les employés sont majoritairement d’origine africaine et y sont
arrivés là 3« par défaut », dans notre hôtel de luxe, on a constaté en outre de certains(es)
Africains(es) (Ouest), des Albanaises, des Asiatiques, des Italiennes, des Maghrébines, des
Nigérianes, et bien d’autres. Durant notre premier entretien, une femme de chambre affirmait
qu’elle est là parce qu’elle aime ce métier, et une autre confirmait que si « tu n’aimes pas ce

2
Puech Isabelle, 2003. « Le temps du remue-ménage. Conditions d’emploi et de travail de femmes de chambre », OpenEdition Journals,
VOL. 46 - N° 2 , pp 11. https://doi.org/10.4000/sdt.28802.

3
Puech Isabelle, 2003, pp. 28.

5
métier » tu ne peux pas tenir ». Sans mettre en doute la première idée, plusieurs personnes
arrivaient là parce qu’elles n’avaient pas d’autre choix mais généralement elles
démissionnaient le plus vite possible.

Il existe un paradoxe au niveau des hôtels, dans le sens que la propreté est un atout attrayant
pour la clientèle, les femmes de chambre qui en sont les détentrices sont dévalorisées ou du
moins inconsidérées. C’est en effet cette idée que soutiennent Christine Guégnard et Sylvie-
Anne Mérioten, en considérant que « La chambre, est au cœur du business de l’hôtellerie et la
qualité du nettoyage à une importance stratégique dans le succès des hôtels. Or, l’activité des
femmes de chambre repose sur l’invisibilité »4.

Notons également que les femmes de ménage en général sont jugées par leur apparence, le
plus souvent elles ont négligées, méprisées, étiquetées sur la valeur que la société a donné à
ce métier. De ce fait, elles sont considérées comme des personnes ayant des conditions de vie
précaire, qui sont situées à la classe inférieure de la société. Pourtant, sur le terrain, on pouvait
constater qu’elles ont un niveau de vie attrayant comme tous autres employés d’un autre
domaine. Il ne s’agit pas d’un grand luxe, mais elles mènent une vie normale et respectable
avec leur famille.

Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que pour une question de discrétion et dans le
respect des valeurs de ces travailleurs, les noms ne seront pas cités, les noms du personnel
encore moins de l’hôtel dont il s’agit. Je vais toutefois l’appelé « l’hôtel de luxe » dans le sens
où il est classifié à un standard élevé. En ce qui concerne les personnes, elles seront nommées
(la Hk1, HK2,…) en fonction des moments où elles seront mentionnées. S’il s’agit d’un homme
nous dirons le HK1 ou HK2, ce qui sera rare.

4
Christine Guégnard et Sylvie-Anne Mériot, 2010.” Hôtels et dépendances Les femmes de chambre en Europe’’, OpenEdition Journals,
121, pp.2

6
I. Les rituels de l’interaction

Avant l’analyse, ci-dessous, quelques codes utilisés par les HK :

Office du 3 au 10 : l’espace où sont stockés les chariots et les linges.

La piscine : l’espace Wellness.

Les recouche : chambres où le client est toujours présent.

Les départs : chambres libérées.

Coder : dans une application, notifier si la chambre est faite.

Les cartes rouges : ne pas faire la chambre

Les produits (rouges, jaunes, bleus) : liquides qui servent à nettoyer. Chaque couleur
correspond à un espace précis (rouge pour les toilettes, jaune pour le calcaire et bleu pour le
levier.)

Le linge (sale ou propre) : les essuies draps, etc.

Les filles : il s’agit des HK en général. En effet, selon Le Breton, dans l’analyse des interactions
sociales, les femmes « sont reparties distributivement dans les ménages sous la forme de
fille »5 Cette appellation ne permet pas de distinguer le statut social des HK. Mais dans leur
interaction, on peut constater qu’elles sont majoritairement des mères de famille et des
épouses.

J’ai constaté que les HK sont discrètes, et généralement, elles n’ont d’interaction entre elles
qu’à des moments précis.

Il est 8 h, c’est le premier jour de la semaine, je suis dans l’office du 2, attendant les HK. L’office
est spacieuse, deux grandes tables, avec une dizaine de chaises par table. De l’autre côté à
l’entrée, se situe un grand casier avec les noms des HK. En face, une étagère avec du café, des
tasses, du sucre, de quoi se booster avant le travail. La porte de l’office s’ouvre, une HK arrive
déjà, bien qu’elle commence à 9 h. D’abord, elle me salue « coucou, tu vas bien ? », « oui » lui
répondis-je, en remarquant le fait qu’elle était matinale. En fait, elle explique : « c’est pour

5
LE BRETON David, 2004, « L’interactionnisme symbolique », Paris, Presses universitaires de France.

7
préparer mon chariot ». En effet, elle n’a pas travaillé la veille et ne sait pas dans quel état
serait son chariot (rangé ou pas). C’est une course contre le temps, 9 h le travail commence
pas après « si non je ne finirai pas à temps », renchérit-elle. 15 minutes après, une deuxième
franchit le seuil de la porte, 30 minutes après elles sont presque toutes là. Le premier réflexe
après ce que Goffman appelle ‘’les rites de confirmations’’ (Coucou, ça va ? Tu as travaillé
hier ?), elles rangent leurs affaires privées dans leur casier, puis empoignent leur ‘’seau’’
(récipient contenant les produits de nettoyage et des lavettes multicolores. Seules ou à deux,
elles montent à l’étage qui leur est affecté pour préparer les chariots. Ensuite, elles montent
‘’le linge’’ (les essuies, les draps), avant de revenir en l’office. 30 à 45 minutes pour ranger les
chariots et descendre à l’office afin de recevoir des instructions, et aussi afin de prendre des
nouvelles les uns des autres. Ces routines ont été remarquées durant toutes les matinées
d’observation, les premières tâches sont effectuées avant toute interaction.

Selon Goffman, il y a des règles qui régissent le bon déroulement des interactions, il fait
notamment référence aux rites d’ordre symbolique qui soient propres à un groupe. Les
premières interactions sont généralement en rapport avec les chambres : « tu as combien de
chambres aujourd’hui ? » « Combien de recouche ? Et combien de départ ? » « Moi j’en ai … »,
« tu as moins que moi, ce n’est pas normal ». Il est évident que ce type de conversation a pour
but de s’assurer que la répartition des chambres est faite de façon juste ou du moins vérifier
si le nombre de chambre attribué est convenable ou pas. Seulement après, elles prennent des
nouvelles de leur collègue, et en groupe elles se dirigent vers les ascenseurs, et chacun
s’éclipse dans un silence total.

12 h 30, c’est l’heure de la pause, les HK sont au rendez-vous, seules ou en groupe de deux ou
trois, elles se présentent dans l’office du 2. C’est leur « moment »6, plusieurs types
d’interaction auront lieu en ce moment, les liens se tissent à ce moment, les connaissances s’y
font, les consignes complémentaires y sont données. Aussi, c’est l’endroit pour eux de
partager librement, et sans discrétion ni retenue ce qui s’est passé dans les étages ou dans les
chambres, bref leurs ressentis du jour. En général ce qu’elles attendent de leur interlocuteur,
c’est simplement d’être écouté, et aussi de pouvoir réagir aux réponses des autres. C’est

6
En faisant référence à ce que Goffman appelle ‘’les moments et leurs hommes’’, « c’est-à-dire les rites qui
réunissent les acteurs sous l’égide de définition sociale dont ils doivent s’accommoder, afin que l’échange,
autant que possible n’entame en rien l’estime qu’ils pensent mériter mutuellement » (Le Breton, 2004 : 108)

8
notamment ce qui à mon sens rentre dans l’ordre des attentes mutuelles normatives
développées par Le Breton pour signifier la compréhension que les personnes ont d’elles
même et les autres (en parlant d’attentes). (Le Breton 2004 : 107). Pour que ces interactions
se passent bien, les HK ont besoin de se comprendre mutuellement, de décoder les mots, les
gestes, tout ce qui est spécifique à la culture de leur entreprise.

Les chaises, en U autour des tables, chacune prend la place qui lui convient. On peut déjà lire
sur leur visage les signes de fatigue pour certaines et des traits de gaieté, lié au fait de pouvoir
prendre une pause. Malgré cela, elles s’engagent dans des conversations soutenues, pour ne
pas dire des ‘’interactions focalisées’’7, où les différences tombent aux oubliettes. Elles se
concentrent sur la personne qui parle, essayant de se comprendre par des gestes et des
mimiques. J’ai pu noter quelques interactions, qui seront réparties en deux groupes :

1. Le verbal

Quand elles ne sont pas dans les chambres ou dans les couloirs, les HK sont manifestement
dans le verbal, comme si cela était une façon de se décharger des longues heures de silence.
En effet, j’ai pu relever des situations d’interactions verbales, auxquelles se combinent aussi
le non verbal.

- Les plaintes (sont les plus fréquentes) : les premiers commentaires qui surgissent pour
les plus bavardes sont liés directement au ‘’comment s’est passé la première étape de
travail’’ : « Les chambres étaient sales aujourd’hui » ou encore « j’ai du mal à avancer »,
« je n’ai pas eu de carte rouge », « j’ai mal au dos aujourd’hui ». D’autres portent des
jugements sur le client : « Aujourd’hui, j’ai rencontré une star dans mon étage », « un
charmant homme m’a demandé de faire sa chambre, « il est là depuis un mois, et c’est
fatigant de toujours faire sa recouche ». Ces phrases sont le plus souvent
accompagnées de la gestuelle, du froncement des sourcils.

HK1 : ‘’Ça va ? Ça a été ?’’, ‘’pff, chambres sont trop sales’’.

Hk2 : ‘’Tu étais dans quel étage ?’’

HK1 : ‘’8’’. Et toi ça a été ?

7
Dans une conversation, « les acteurs sont engagés les uns envers les autres par une attention soutenue » (De
Goffman, cité par Le Breton, 2004 : 108).

9
HK2 : ‘’Oui c’était calme au 3e, les clients étaient propres.’’ ‘’Il te reste combien de
chambre ?’’ HK1 : 10 (elles précisent généralement), 8 recouches, deux départs.’’ Et
toi, il te reste combien ?....ok courage

HK3 : ‘’On a beaucoup de chambre aujourd’hui, hier, c’était relaxe’’, j’ai fini à 15 h ’’.

HK1 : « J’espère qu’on ne va pas m’en rajouter, je suis fatigué »….

- Se connaitre (souvent entre nouveaux): pendant ces heures de pause, d’autres


groupes cherchent à approfondir leur relation. Les interactions sont orientées sur des
questionnements sur la vie privée. Ces questions tournent autour de la vie familiale,
notamment lieux d’habitation, les conjoints, les enfants, les hobbies et les faits divers.
Par exemple :

- HK1 : ‘’Tu habites où ?’’

- HK2 : ‘’A Verviers’’ et toi ?

- HK1 : Oups, ‘’c’est loin’’, tu prends le bus ou le train’’ ? Moi, j’habite Liège.

- HK2 : ‘’Oui, c’est loin, je viens en voiture.’’

- HK1 : ‘’Ah, ça va encore’’….

- HK2 : ‘’Mes enfants vont à l’école à Liège, je vais les chercher après le travail, j’espère
finir vite aujourd’hui.’’

- HK1 : ‘’J’espère. Tu as combien d’enfants ?’’, ‘’ils sont en quantième ?’’…

Grâce à cet extrait, le constat est que les mêmes questions reviennent le plus souvent, et la
question à se poser est de savoir s’il s’agit réellement d’un intérêt pour les collègues ou c’est
juste un moyen de meubler le temps ? Peut-on réellement parler de cohésion sociale sur base
de ces types d’interaction ? Ce qui permet en effet de rebondir sur la question de ‘’famille’’ au
sein de ce service. Autant certains se disent qu’ils sont une famille, d’autres se limitent à des
relations entre collègues. Par ailleurs, les interactions permettent comme mentionné plus
haut, à définir les identités, les HK parviennent tout de même à se connaitre mieux, à établir
des bases de relation à court ou long terme.

10
2. Le non verbal

Outre la dimension multiculturelle au sein de ce département, j’ai pu aussi découvrir les


différences de personnalités, ce qui me semble pertinent. Car en effet, au niveau des
interactions, le verbal se convertit en non verbal.

Bien que partageant un cadre commun, des codes et rituels, facilitant les interactions dans cet
univers multiculturel, les introvertis, contrairement aux extravertis ont tendance à mettre en
avant le non verbal. Dès le départ, ce non-verbal semblait convenir pour contrer seulement le
problème de la barrière des langues, mais il s’avère qu’il est plus souvent utilisé par les
introvertis. Ces personnes, après observation, ne participent pas aux conversations comme
les autres attendraient d’elles, elles commentent moins, parlent peu. Ces attitudes dès le
départ me semblaient anormales, et selon moi elles pouvaient être mal interprétées et
rompre le bon fonctionnement des interactions.

En réalité, non, elles sont aussi des formes de ritualisation, dans le sens où ces personnes
seraient plus adaptées à interagir par un sourire, un regard, un geste ou une mimique, et sont
comprises et acceptées de la sorte. Le Breton soutient par ailleurs que « des gestes, des
mimiques, des paroles, des silences scandent rituellement l’interaction dans le sentiment d’une
reconnaissance mutuelle. » 8 De plus, selon Hymes, la communication ne devrait pas se limiter
seulement au verbal, mais « il faut ajouter des composantes paraverbales et le non verbales. »
(Dell Hymes, cité par Corina CILIANU-LASCU, 2003 : 114). Une minorité des HK communiquent
ainsi par leur silence, rajoutent rarement des mots sur leur sentiment, et son parfois comme
des spectatrices. On pourrait croire qu’elles ne participent pas à l’interaction, mais elles le font
à leur manière.

La cheffe des HK (une gouvernante), qui en plus de s’occuper de la répartition des chambres
était la plus exposée à la gestion de toutes ces différences. Elle affirmait que « le non verbal
est le langage universel » comme réponse à la question sur la gestion des différences. On peut
dire donc que le non verbal est important, inévitable, et fait partie des rites essentiels dans les
interactions.

8
LE BRETON David, 2004, « L’interactionnisme symbolique », Paris, Presses universitaires de France, pp.108.

11
II. La relation de confiance : l’interdépendance

Il est 13 h, c’est la fin de la pause, les HK se dirigent, toujours seules ou à deux vers les portes
de sortie, après avoir noté les consignes des gouvernantes. Les discussions se font entendre
le long de leur couloir et s’estompent à la sortie des ascenseurs. J’en ai suivi quelques-unes et
réellement, le silence s’impose dans les couloirs, on a l’impression qu’elles se revêtent d’une
autre personnalité, caractérisée en un mot par ‘’discrétion’’.

On se trouve au 8e étage, les clients sont absents, la HK entre dans la chambre, par respect je
reste devant la porte. Le constat est clair, elle est indirectement en contact avec le client. Elle
peut deviner s’il s’agit d’un homme, d’une femme, ou d’un couple. Elle sait pratiquement tout
sur le client sans l’avoir vu.

Une semaine après, j’ai été dans un autre étage, j’ai eu la chance d’être tombé sur une HK qui
devait nettoyer la chambre d’une star du Foot. Au préalable, elle était discrètement informée
de la présence de cette personnalité dans l’hôtel, et seulement après les autres (auxquelles,
elle-même vendra la mèche). C’était exceptionnel, elle pouvait partager un tant soit peu
l’intimité de cette personne, de quoi en faire des commentaires auprès de ses collègues. Dans
le respect de la confidentialité, je ne donnerai pas des détails surtout ce qui était vu et
entendu, mais j’ai trouvé intéressant d’analyser les relations de confiance entre elles.

Il est 16 h, la journée tire à sa fin, les HK, rangent les chariots, descendent le linge (sale), les
poubelles, et rangent en toute discrétion leur chariot pour le lendemain (pour certaines). J’ai
constaté qu’elles prennent le temps de nettoyer leur office. En effet, elles s’approprient les
matériaux et ces espaces de travail, qui deviennent privés à leurs yeux. Ainsi, elles mettent
en évidence des rites d’évitements9 en écrivant sur leur chariot « ne pas toucher », « ranger
après avoir utilisé ». Des messages à destination de toute personne (étudiantes ou nouvelles)
qui n’auront pas de chariot ‘’privé’’. Le non-respect de ces consignes, conduit inévitablement
à des tensions, selon une HK.

A 16 h 15, lors de ma troisième semaine d’observation, de toute évidence, les soirées se


ressemblent dans les coulisses, ce sont en effet les mêmes routines. Je suis dans l’office,
essayant de m’activer en rangeant l’espace tout en étant attentive au terrain. Comme

9
Goffman définit ces rites par le fait de ne pas violer l’intimité d’une personne, notamment ne pas toucher
sans accord, ne pas s’introduire.

12
d’habitude, les premières à finir descendent dans l’office, me lancent un ‘’coucou’’ ou un
‘’salut’’, me demande si je travaille le soir10, rangent les produits, puis notifient leur fin de
travail sur un ordinateur. Certaines me racontent leur journée, d’autre se réjouissent de
pouvoir rentrer rapidement chez elles et retrouver leur famille. Bref, celles qui descendent les
premières sont les premières à quitter l’hôtel. Les autres, généreuses descendent en groupe,
l’esprit d’équipe et surtout, les affinités les conduisent à s’entraider et à finir au même
moment.

1. L’interdépendance

Contrairement aux premières, celles qui arrivent en groupe, avant de ranger les produits, se
créent un espace convivial autour d’un café, et échangent de vives conversations. Ces
échanges sont moins superficiels que celles du temps de midi. Ils se font entre copines, et sont
plus intimes.

Elles peuvent être discrètes dans les couloirs, les chambres, s’éclipser lorsque le client arrive,
mais quand elles se retrouvent dans leur office, tout devient normal, elles partagent leur
journée dans les moindres détails, et ne craignent plus d’apprécier ou de dénigrer
ouvertement les clients avec lesquels elles ont été en contact. Aussi, elles se partagent les
difficultés rencontrées en vue de trouver des solutions adéquates.

En nous basant sur l’analyse de Le Breton, au sein de l’équipe, l’interdépendance relierait les
uns aux autres et impose la collaboration. La loyauté, garder le silence, protéger sont les
valeurs qui régissent ces groupes. Vendre la mèche serait signe de disqualification de perte de
face, de désaccord. C’est certainement ce qui consolide le groupe, le fait de faire confiance à
l’inconnue avec qui on partage les mêmes réalités.

De ce fait, chacun mise sur la loyauté mutuelle pour ne rien trahir mais aussi se soutenir en
cas de difficulté. Ce qui permet de construire la crédibilité de son personnage. Pour les HK,
elles font de cette crédibilité un acquis, et se disent pratiquement tout. Elles gardent en effet
une sorte de certitude que l’autre saurait conserver les secrets pour la bonne marche de
l’entreprise. Enfin, cette interdépendance se fonde sur la confiance mutuelle, car au-delà de
parler des réalités du travail, elles se partagent des secrets personnels.

10
Cela fait déjà plus de 6 mois que je ne travaillais plus comme femmes de chambre, mais il arrivait que je sois
sollicité pour le service du soir (ménage).

13
Conclusion

Les HK au sein de l’hôtel de luxe, ont chacune leur propre culture, différente des autres et
qu’elle mobilise dès le départ. Au fil du temps elles parviennent à les calquer ou du moins à
les cadrer dans une forme commune (la culture) qui régit leur société : les manières de faire
commune, les rituels, les gestes, les mots qu’elles utilisent au quotidien, etc.

Malgré les différences culturelles et de personnalité, les HK parviennent à travailler en


cohésion. Comment cela était-il possible ? Comment parviennent-elles à de tels résultats, me
suis-je posé comme question de départ.

Après analyse, cette réalité est sans doute lié à ce que Goffman appelle une « interaction
centrée », c’est-à-dire une collaboration ouverte entre plusieurs pour maintenir un centre
d’intérêt unique, contrairement à « l’interaction diffuse » qui fonctionne sur une inattention
civile.»11 En outre, elles maintiennent les interactions grâce au respect (du cadrage) des rites,
elles se comprennent grâce aux codes, au non verbal, du fait de leur différence, elles
n’interagissaient pas de la même façon, cependant le respect mutuel est mis en avant dans
leur interaction.

Leurs interactions sont dominées par le verbal. Au-delà du verbal, le non verbal à aussi sa
place, il est incontournable, s’impose dans les rites interactionnels par les mimiques d’une
part et le silence d’autre part. En dehors de leur espace de travail, les HK sortent du mutisme,
pour ne pas dire de la discrétion que leur métier impose. Au sein de leur espace privé, dans
les coulisses, elles peuvent se ‘’défouler’’, et au nom de l’interdépendance, elles exposent sans
crainte les situations les plus secrètes de leur fonction et de leur vie privée.

Généralement, les HK sont en arrière-plan dans les hôtels, bien que leur rôle en tant que
gardienne de la propreté et de l’éclat des chambres ait été attesté comme étant un atout pour
conquérir la clientèle. De même, elles sont celles qui ont un contact à l’espace privé de ces
clients, de façon directe et indirecte, ces derniers n’ont en fait pas de secret pour elle. Ce
contact pourrait être enrichissant tant au niveau de la communication indirecte qu’au niveau
des rapports culturels. Sur quel angle pourrait-on analyser cette relation entre HK et clients ?

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WINIKIN Yves, 2005. « L’anthropologie au sein des organisations » L’anthropologie la communication, Economie et management, N°117,
pp.22

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