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UNIVERSITE DE KINSHASA

FACULTE DES SCIENCES PHARMACEUTIQUES

Département de Pharmacologie & Thérapeutique

_________________

COURS D’ANTHROPOLOGIE
PHARMACEUTIQUE
DESTINE AUX ETUDIANTS DE 2ème GRADE EN SCIENCES
PHARMACEUTIQUES (P2)

Prof. Dr. José Mvuezolo Bazonzi

E-mail : josebazonzi@yahoo.fr

Mob. : +243 82 211 53 52 // +243 998 266 406

Bureau : Centre d’Etudes Politiques (CEP), Local 37, FSSAP/FASEG, UNIKIN

Année académique 2021 – 2022

2ème version révisée


2

INTRODUCTION

La santé et la maladie constituent des faits sociaux totaux et globaux à tous


égards. De ce fait l’intérêt des sciences sociales et humaines (en particulier
la Sociologie, l’Anthropologie, la Science politique, la Psychologie, le Droit
ou la Science économique) à l’égard de la santé et de la maladie ne datent
pas d’aujourd’hui ; il remonte à des temps fort lointains, et il se cristallise
davantage, au fur et à mesure que les sociétés contemporaines se
développent et se complexifient.

De nos jours, la santé n’est plus une affaire individuelle ; elle est devenue
une préoccupation des groupes, des communautés, des collectivités : la
santé publique est devenue, en effet, l’un des défis majeurs des sociétés
contemporaines. C’est pourquoi, les sciences sociales demeurent
étroitement associées à la réflexion axée sur les préoccupations des
groupes humains en matière de santé. Et il faut aussi signaler le rôle clé
que joue le médicament dans l’efficacité de la thérapeutique et de tout
système de santé.

Le cours d’Anthropologie pharmaceutique se focalise non seulement sur


le décryptage des aspects sociaux et culturels liés à l’usage du médicament,
mais également sur l’analyse des imaginaires et représentations populaires
relatifs au médicament (en tant que produit de l’industrie pharmaceutique
en phase avec l’évolution de la biomédecine, et aussi en tant que remède
généré par l’ethnomédecine ou les médecines alternatives), et aux
« opérateurs pharmaceutiques ». Parmi ces « opérateurs », se trouvent le
pharmacien et tous les autres acteurs intervenant dans le cycle de vie du
médicament : depuis la conception jusqu’à la dispensation, en passant par
la formulation, la production, l’analyse, la distribution et la prescription.
Un accent sera également mis sur les autres acteurs clés de l’espace
thérapeutique, y inclus le patient, lequel est d’ailleurs au centre de cet
espace.

Ce cours vise, en fait, à doter les futurs pharmaciens, des compétences


supplémentaires pouvant les aider à adopter une approche
3

anthropologique des questions de santé en général, et en particulier celles


liées à la question spécifique du médicament. Car, pour l’Anthropologie, le
médicament n’est pas qu’une molécule ayant pour vocation de guérir ou
de soulager le patient ; il s’agit ni plus ni moins d’un objet à la fois social
et culturel, doté de sens et de significations, suivant les cultures et les
sociétés. A la fin du cours, nous discuterons des relations pharmacien-
usagers, relations qui se reconfigurent et se négocient suivant l’évolution
des connaissances et le niveau d’alphabétisation scientifique des usagers.

1. Démarche didactique

Le cours est conçu suivant une démarche didactique classique, et les leçons
sont présentées suivant un gradient de complexité : le cours débute avec
des notions simples, avant d’aborder les notions beaucoup plus complexes.

2. Objectifs du cours

A la fin de la prestation, les étudiants admis à ce cours seront capables de :

 identifier et analyser les aspects sociaux et culturels associés à


l’usage du médicament ;
 décrypter les défis et enjeux liés aux usages socioculturels du
médicament ainsi qu’à l’exercice de la profession pharmaceutique ;
 analyser les rapports socioculturels entre le patient, le médicament
et le pharmacien ;
 examiner les représentations populaires des couples « pharmacien-
médicament » et « pharmacien-usager » ;
 faire une analyse socio-anthropologique de l’espace pharmaco-
thérapeutique, dans lequel interviennent le prescripteur, le
dispensateur et le patient ;
 acquérir des compétences additionnelles concernant l’approche
communautaire des soins médico-pharmaceutiques, conformément à
la nouvelle vision de la formation du pharmacien congolais.
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3. Modes de communication pédagogique et d’évaluation

Ce cours sera animé en recourant aux techniques de communication


pédagogique universitaire ci-après :

- l’exposé oral de l’enseignant (de type magistral illustré) ;

- des discussions-échanges entre l’enseignant et les étudiants sur des


questions relatives à la matière, et/ou suggérées par l’intuition ou
l’actualité, et la pratique de la recherche.

Les évaluations (interrogation, Travail Pratique, examen) sont obligatoires


au terme de la formation, et seront organisées conformément aux
instructions académiques en vigueur. Les étudiants sont donc invités à
assister personnellement au cours et à y prendre une part active, car
l’application en classe sera prise en compte dans le système d’évaluation.

4. Articulation du cours

Hormis l’introduction et la conclusion, le présent cours s’articule autour


de cinq chapitres.

Chapitre 1. Rapports entre sciences sociales, santé et sciences


pharmaceutiques

Chapitre 2. Introduction à la Socio-anthropologie du médicament

Chapitre 3. Les acteurs du « système du médicament » : du chercheur au


patient

Chapitre 4. Le patient et le médicament au sein de l’espace pharmaco-


thérapeutique.

Chapitre 5. Relation pharmacien-usager


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CHAPITRE I. RAPPORTS ENTRE SCIENCES SOCIALES, SANTE


ET SCIENCES PHARMACEUTIQUES

1. Introduction

L’intérêt des sciences sociales pour la santé n’est plus à démontrer. En


effet, de nos jours, la santé et la maladie sont devenues une préoccupation
de premier ordre, tant pour les dirigeants (à quelque niveau que ce soit :
entreprise, organisation, collectivité locale, Etat, etc.) que pour les
populations elles-mêmes. Selon Mathieu Quet (2016), au cours de la
dernière décennie, le champ des recherches en anthropologie
pharmaceutique s’est développé et a bénéficié de plusieurs rencontres et
croisements féconds avec d’autres domaines de recherche, tels que
l’anthropologie des sciences, l’analyse des mouvements sociaux ou la
sociologie économique. Une telle ouverture a enrichi les ethnographies sur
le sujet en renouvelant l’attention aux cadres juridiques, aux stratégies
industrielles, aux fonctionnements institutionnels qui jouent un rôle
déterminant dans la circulation sociale des biens de santé tels que les
médicaments. En outre, des approches purement anthropologiques comme
l’ethnographie multisituée ou les analyses multiéchelles se sont montrées
particulièrement fécondes pour l’étude de l’objet pharmaceutique, dont les
observateurs avisés ne cessent de rappeler qu’il fait de constructions
multiples, au confluent des logiques sanitaires, commerciales et juridiques
portées aussi bien par des consommateurs, des détaillants et des médecins
que par des industriels de différents pays, des Etats et des organisations
internationales ou non gouvernementales.

Comme on peut donc bien le percevoir, le médicament est ce bien social,


sanitaire et commercial qui se trouve au cœur d’un jeu d’enjeux fort
complexes. Ces enjeux dépassent aujourd’hui le seul cadre sanitaire. C’est
pourquoi, le seul regard des sciences de la santé ne suffit plus pour
l’étudier. En effet, au cours des dernières décennies, de nombreuses
recherches ont été effectuées sur le secteur du médicament. Quelques
6

thématiques intéressantes ont été abordées et méritent d’être soulignées


ici. Il s’agit notamment des questions ci-après :

la gratuité et le don des médicaments, notamment en ce qui concerne


les médicaments antirétroviraux et les vaccins (la cruciale
problématique des politiques publiques dans les pays du sud) ;
l’approvisionnement et la légalité/illégalité des médicaments
(l’épineuse question des contrefaçons, du trafic des médicaments,
etc.);
les effets secondaires des médicaments et leur perception par les
patients (modes de représentation localisés) ;
les problématiques d’usage des médicaments et de production des
frontières entre ce qui relève du médical et ce qui s’en trouve exclu
(question dialectique entre normes juridiques et normes sociales –
exemples : stimulants sexuels en vente libre, « vitamines-
fortifiants », etc.).

Pour des raisons liées au volume horaire (1 crédit), nous allons nous limiter
à souligner, dans ce chapitre, l’apport des deux disciplines, à savoir
l’Anthropologie et la Sociologie, et les liens entre sciences sociales et
sciences pharmaceutiques.

2. L’apport de l’Anthropologie et de la Sociologie

Ce qui caractérise l’Anthropologie en tant que science sociale, c’est son


approche comparative des sociétés et des cultures, et aussi sa posture
méthodologique de l’enquête de terrain. Et le médicament, produit de
l’industrie pharmaceutique, ou remède issu de l’ethnomédecine, reste un
objet précieux d’étude pour l’Anthropologie. En effet, au-delà des usages
thérapeutiques que l’on fait du médicament, ce dernier comporte d’autres
dimensions, sociale, culturelle, voire symbolique. Et l’anthropologie nous
offre une grille de lecture et des loupes adéquates pour analyser les
relations entre le médicament et l’homme, appelé à en faire bon usage. Mais
sous quelles conditions ?
7

Quant à la Sociologie, son regard macroscopique sur le corps social permet


d’appréhender les défis et enjeux liés à l’usage, ou mieux, aux usages que
l’homme et les groupes humains font du médicament. En effet, la santé et
la maladie, étant des faits sociaux à part entière, la Sociologie va plus
s’intéresser au décryptage des rapports sociaux qui se tissent dans le
« monde pharmaceutique », dans une triple perspective, soit au plan
micro, meso et macrosocial. Elle peut, à titre d’exemple, au niveau macro
et mesosocial, être d’un apport appréciable, pour départager les conflits
d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique et les scientifiques du champ
pharmaceutique (au sens bourdieusien), ou pour décrypter les conflits
entre intérêts privés (industrie pharmaceutique) et intérêt général (santé
publique). Au niveau microsocial par exemple, la Sociologie va nous aider
à analyser les comportements des divers acteurs impliqués par la
circulation du médicament, au cours d’interactions aussi bénignes que
complexes de la vie quotidienne.

3. Les sciences pharmaceutiques et les sciences sociales

Les sciences pharmaceutiques ont pour finalité de mettre à la disposition


de la société des substances capables de contribuer au recouvrement et à
l’amélioration de la santé des individus. De manière générale, il s’agit de la
prévention et du traitement des maladies, mais elles contribuent également
à la création des substances destinées à améliorer le bien-être des
individus. Justement, ces individus appartiennent à une société qui
fonctionne selon un modèle socioculturel propre. Et les usages que ces
individus et cette société dans leur ensemble, vont faire de ces
médicaments et autres produits de santé, seront déterminés par les normes
et valeurs admises au sein de ladite société. Bref, ces usages vont dépendre
de la socialisation médico-pharmaceutique de ces individus.

C’est la raison pour laquelle, les grilles analytiques des sciences sociales
(et en particulier celles des disciplines scientifiques telles l’Anthropologie
et la Sociologie) sont indispensables pour mieux appréhender les rapports
complexes qui lient l’homme au médicament, produit de la culture
8

humaine par excellence. Ainsi, les notions d’Anthropologie et de Sociologie


s’avèrent importantes pour mener avec efficacité des investigations
scientifiques au cours des enquêtes sanitaires relatives à la
biopharmacologie (pour le développement des nouvelles molécules
candidats médicaments lors des essais cliniques), à l’ethnopharmacologie
(pour la rationalisation du savoir médico-pharmaceutique traditionnel),
ainsi qu’à la pharmacovigilance (pour la collecte des informations
concernant les effets indésirables ou imprévisibles des médicaments). Et
de manière générale, toutes les études concernant l’intervention des
personnes, en termes de capture de leurs témoignages, opinions, attitudes,
comportements et pratiques, requièrent ipso facto le concours, sinon le
recours aux sciences sociales ; car elles ont pour spécificité d’étudier un
objet pensant et parlant. En effet, si les sciences pharmaceutiques se
focalisent sur l’homme en tant qu’être biologique, les sciences sociales,
par contre, s’intéressent plutôt à l’homme en tant qu’être social et
culturel.
9

CHAPITRE II. INTRODUCTION A LA SOCIO-ANTHROPOLOGIE


DU MEDICAMENT

La technologie est faite par l’homme et pour l’homme, et le


médicament est produit par le pharmacien pour le patient.
(José Mvuezolo Bazonzi).

1. Bref rappel de ce qu’est l’Anthropologie

Située à l’articulation entre les différentes sciences humaines et naturelles,


l’Anthropologie est une science (logos) qui étudie l’être humain (anthropos)
sous tous ses aspects, à la fois physiques (anatomiques, biologiques,
morphologiques, physiologiques, évolutifs, etc.) et culturels (social,
religieux, psychologiques, géographiques, etc.). En tant que discipline
scientifique, elle a pour objet, l’étude des « faits anthropologiques »,
c’est-à-dire les faits caractéristiques de l’hominisation et de l’humanité.

La démarche anthropologique « prend comme objet d’investigation des


unités sociales de faible ampleur à partir desquelles elle tente d’élaborer
une analyse de portée plus générale, appréhendant d’un certain point de
vue la totalité de la société où ces unités s’insèrent » (Mondher Kilani,
1992 :33). L’on sait, par ailleurs, que l’anthropologie étudie
principalement les rites et les croyances, les structures de parenté et les
mariages, et les institutions (Dortier 2008 :765 ; Géraud, Leservoisier et
Pottier, 2016 :7), mais nous savons aussi que, plus généralement, elle
cherche à « penser et comprendre l’unité de l’homme à travers la diversité
des cultures » (Géraud, Leservoisier et Pottier, 2016 :10).

C’est ainsi qu’il existe autant d’anthropologies que d’objets liés à la culture
de l’homme, hormis les grandes subdivisions ou branches classiques
(anthropologie sociale et culturelle, anthropologie politique, anthropologie
économique, anthropologie de la santé, anthropologie juridique,
10

anthropologie religieuse, etc.) : anthropologie du médicament


(anthropologie pharmaceutique), anthropologie de l’art, etc. En effet, pour
paraphraser l’illustre anthropologue français Claude Lévi-Strauss, l’être
humain est autant un animal social qu’un homo faber (être culturel).

2. Définition et caractéristiques du médicament

2.1. Tentative de définition

Le médicament est un objet complexe ; il peut être défini de plusieurs


manières. De manière générale, le médicament est défini comme une
substance ou une composition possédant des propriétés curatives ou
préventives, destinées à guérir, à soulager ou à prévenir des maladies
humaines ou animales.

Pour Alice Desclaux et Marc Egrot (2015), le médicament peut être défini
comme une substance thérapeutique pharmacologiquement active, conçue
et/ou validée par la recherche médicale, produite de manière industrielle
et dont la vente et l’usage sont autorisés et régis par des instances
sanitaires.

Le « noyau dur » des perceptions des médicaments dans les savoirs


médicaux communs, et dans les savoirs profanes, les conçoit comme des
substances matérielles définies par leur capacité pharmacologique d’action
qui leur donne le pouvoir de soigner, de prévenir la maladie ou d’améliorer
les performances physiques (Dagognet & Pignarre, 2005). Le médicament
fait aussi l’objet de caractérisations juridiques, pharmaceutiques et
commerciales, qui expliquent en partie la multiplicité de ses formes
matérielles en circulation, y compris pour un même « principe actif ».

Quant à nous, nous retiendrons, pour ce cours, une définition qui tient
compte des divers aspects du médicament, notamment :

* ses vertus thérapeutiques : le médicament comme produit sanitaire est


un produit pharmaceutique médicalement efficace (molécule ou
composition de substances ayant une action thérapeutique vis-à-vis des
affections ou pathologies humaines ou animales) ;
11

* sa valeur sociale : en tant que bien social, le médicament est un ensemble


de réseaux de pratiques (dons et contre-dons), de représentations, de
constructions socioculturelles associant le traitement à la maladie
socialement représentée ;

* sa valeur économique : en tant que bien économique, le médicament


comporte des aspects commerciaux ; il s’agit d’un bien à haute valeur
marchande et un opérateur pour un ensemble de réseaux
socioéconomiques, pouvant faire l’objet de fraude, contrebande,
criminalisation, … ;

* sa valeur juridique : en tant que produit de l’industrie pharmaceutique


ou même produit de l’ethnomédecine, le médicament génère des effets
juridiques (brevet, protection, droits, devoirs, responsabilité, …) ;

* sa valeur culturelle : en tant que produits de la culture, les médicaments


sont des produits de l’industrie pharmaceutique élaborés sur la base de
références scientifiques relevant de la culture scientifique (biologie,
pharmacotechnie, chimie) ; c’est en fait le fruit du génie d’un peuple,
mettant en exergue son savoir en termes de science et technologie. De la
sorte, en Occident, le médicament moderne est un produit issu de
l’industrie pharmaceutique, avec ses accessoires (notice, cuiller, dispositif
d’utilisation, …) ; tandis que le médicament dans la médecine
traditionnelle africaine est souvent une potion du nganga (guérisseur),
reflétant ainsi le niveau de ses acquis scientifico-technologiques, même si,
aujourd’hui, de plus en plus, on note la présence des médicaments
traditionnels améliorés, épousant la morphologie du médicament
moderne.

2.2. La notice

La notice constitue un marqueur important de la vie des médicaments. Il


en existe plusieurs sortes, bien qu’elles soient plus ou moins rédigées
suivant un modèle reprenant des rubriques clés (composition,
présentation, propriétés, indications, posologie, mode d’administration,
conditions de délivrance, durée de stabilité, mode d’emploi, précautions
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de conservation, contre-indications, précautions d’emploi, effets


secondaires, effets indésirables, etc.). La notice donne donc des
informations générales sur le médicament et renvoie l’utilisateur vers des
autorités compétentes (le médecin, le pharmacien), dégageant ainsi la
responsabilité du fabricant.

Et aussi, c’est par la notice que le médicament, de sa production à sa


consommation, se trouve inscrit dans le droit. En effet, c’est par la notice
que la responsabilité du fabricant peut être engagé, une fois le médicament
est mis en circulation sur le marché.

La notice est rédigée dans un langage savant, et est destinée à une pluralité
de destinataires (le patient, le pharmacien, le médecin, les organismes
publics). Il appartient donc au pharmacien, l’unique interface légale entre
le patient et le médecin, de décrypter les informations savantes contenues
dans la notice à l’endroit du patient.

Pour reconstituer la configuration dans laquelle la notice a été rédigée il


faut tenir compte des facteurs explicatifs ci-après : le poids des traditions
du laboratoire pharmaceutique, sa stratégie commerciale, la recherche
d’un positionnement par rapport à la concurrence, certaines spécificités
liées au médicament lui-même, l’organisation du travail dans l’entreprise,
etc.

Bref, la notice permet de mettre en scène un certain nombre d’acteurs du


monde pharmaceutique : le laboratoire pharmaceutique, le médecin, le
pharmacien, la sécurité sociale, et les collectifs tels l’industrie
pharmaceutique, les professions de santé et les organisations de
consommateurs. C’est en somme un marqueur du réseau médico-
pharmaceutique.

2.3. La forme médicamenteuse

Par « formes médicamenteuses », il faut entendre ici les caractéristiques


matérielles du produit auquel l’usager a affaire, y compris les
caractéristiques des dispositifs (conditionnement, système de délivrance
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des doses, instrument de mesure, etc.), et qui constituent pour l’usager, un


passage obligé lors de la prise du médicament.

Il faut noter que la forme médicamenteuse est considérée comme un


facteur clé dans l’observance du traitement et comme un des moyens de
contourner l’ambivalence des sentiments du patient à l’égard des
médicaments (Lambert, 1991-1992). De ce fait, les laboratoires
pharmaceutiques mettent un point d’honneur sur la galénique et déploient
d’énormes efforts pour améliorer la présentation des médicaments et
trouver des formes innovantes.

Aussi, la forme constitue en tous cas un objet de négociation entre le


médecin et le patient : beaucoup de patients demandent une forme précise
à leur médecin, tandis que pour d’autres, le médecin leur laisse le choix
entre plusieurs formes. Il faut noter que les enquêtes sur les préférences
des patients s’intéressent essentiellement à la forme galénique des
médicaments (comprimés, dragées, gélules, sirops, ampoules,
suppositoires, etc.). Ces études, fréquentes en Sociologie quantitativiste,
reprennent des catégories explicatives comme l’âge, le sexe, la catégorie
socioprofessionnelle. Les résultats de ces sondages peuvent être croisés
aux données du marché et déduire les possibilités de segmenter l’offre des
médicaments sur le marché pharmaceutique.

3. Dimensions sociales et culturelles du médicament

3.1. Rôle des formes médicamenteuses sur l’observance

a) Notion d’efficacité thérapeutique

Cette notion se décline en une triade, à savoir l’efficacité sociale,


efficacité biochimique et l’efficacité symbolique.

Les enquêtes sociologiques sur les préférences des patients sur les formes
galéniques des médicaments (cf. C. Méadel, 1989, cité par M. Akrich, 1995)
ont permis de construire des systèmes d’équivalence ou de préférence
entre des catégories de patients et des formes de médicaments. Ces
relations peuvent ensuite être renforcées par les choix que font les
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laboratoires au vu des résultats de ces enquêtes, choix qui se présentent


comme des compromis entre deux formes complémentaires d’efficacité, à
savoir l’efficacité sociale (cf. J. Benoist, 1999) et l’efficacité biochimique.

L’efficacité sociale exprime la capacité du médicament à se faire prendre


par le patient ; alors que l’efficacité biochimique c’est tout simplement le
contrôle du parcours corporel effectué par le médicament et de ses
interactions avec les différents éléments qu’il rencontre dans l’organisme.

Aujourd’hui, on s’interroge également sur un autre type d’efficacité


qualifiée de symbolique, c’est-à-dire l’efficacité qui serait liée au réconfort
(réel ou supposé, lié au médicament), à la perception affective du
médicament, voire à l’effet « design » (quoique discutable à ce jour). Mais,
les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas en reste : par exemple, des
comprimés destinés aux arthritiques sont présentés sous forme d’osselets
(ce qui facilite la préhension chez des patients ayant des problèmes avec
leurs articulations mais ça renvoie aussi à la définition même de la
maladie). Autre exemple : certains comprimés indiqués pour les atteintes
cardiaques ont la forme d’un cœur stylisé, etc. Donc le choix de la forme
repose aussi sur des dimensions à la fois pratiques (elle facilite la prise,
permet le repérage facile du produit, fait éviter les erreurs, etc.) mais aussi
symboliques.

En fait, à tout prendre, l’efficacité thérapeutique d’un médicament serait


alors, si l’on peut se permettre d’écrire une équation algébrique simple, la
somme des efficacités biochimique, sociale et symbolique, le cas échéant.
A noter que le patient n’étant pas au parfum de l’effet placebo, l’effet de
l’efficacité symbolique peut rester valable, en ce sens que le phénomène
d’effet placebo n’a de sens que dans le cadre d’un système cognitif et
explicatif qui construit son exclusion.

b) La prise en compte des utilisateurs

Pour rencontrer les préoccupations des usagers et concilier ces


préoccupations aux contraintes des caractéristiques pharmaco-techniques
15

des médicaments, les laboratoires pharmaceutiques essaient de mettre au


point des produits :

- dont on peut concentrer la prise une fois par jour ;

- sous plusieurs « versions » du même produit correspondant à des


clientèles différentes (à croquer, à avaler, à dissoudre, à diluer, à appliquer
par voie rectale, en poudre, etc.);

Toutefois, le travail sur la forme est l’un des moyens privilégiés par
lesquels on essaie de prévenir des usages déviants : certains médicaments
passent d’une forme éventuellement injectable à une forme non injectable
de manière à prévenir leur utilisation par les toxicomanes.

3.2. Le médicament comme action

La prise d’un médicament suppose de la part de l’usager le déploiement


d’une activité et la mobilisation de ressources. Et, le médicament avec sa
notice préparent dans une certaine mesure ce moment crucial ; et les
« accessoires » du médicament prennent en charge une grande partie du
travail nécessaire au bon déroulement du traitement. En d’autres termes,
pour mieux comprendre ce qu’engage le suivi d’un traitement
médicamenteux, il faut se situer à l’articulation entre les dispositifs et les
usages. En effet, la prise médicamenteuse n’est qu’un élément dans la
longue liste des actions et des dispositifs de l’espace pharmaco-
thérapeutique qui vont du chercheur au patient. Or, pour qu’en bout de
course une certaine efficacité thérapeutique puisse être attribuée au
médicament, il est nécessaire que les actions des uns et des autres soient
coordonnées d’une manière jugée convenable.

Et, au-delà de tout, pour que la prise médicamenteuse soit couronnée de


succès, cela suppose également que l’on soit en présence d’un usager
docile et appliqué, et qui cherche à se conformer à la prescription médicale.
Dans la littérature, plusieurs exemples permettent d’apprécier
l’importance des dispositifs de coordination. Par exemple, une enquête
réalisée au sein d’un centre anti-poisons en France (Jonville et Autret,
16

1994), à partir de tous les appels concernant des erreurs d’utilisation des
médicaments en pédiatrie, démontre que cette préoccupation n’est pas
vaine ; on y relève en particulier la diversité des erreurs qui portent sur :

- la posologie (31, 5%),

- le médicament (30%),

- le dosage du médicament administré (15%),

- la voie d’administration (11%),

- le non-respect des contre-indications dues à l’âge (4%),

- la forme galénique (2%),

- la vitesse d’administration (1%),

- la dilution (1%),

- et même sur la personne (0,5%).

- Il faut ajouter à cela, la variété des personnes, des dispositifs et des


actions en cause (la famille, le pharmacien, le médecin, l’infirmière,
l’automédication, la mauvaise exécution de la prescription, l’erreur de
délivrance, l’incompréhension de l’ordonnance ou sa mauvaise rédaction).

En somme, les exigences de coordination dans la bonne réalisation d’un


traitement foisonnent, leur satisfaction engage des acteurs et des
dispositifs multiples, et de ce fait, il est susceptible de nombreux ratés.

3.3. Quelques pratiques courantes (à documenter : cf. TD)

* L’automédication

* La sous-consommation médicamenteuse

*La surconsommation médicamenteuse

*La réinterprétation de l’ordonnance.


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4. Quelques notions émergentes relatives au médicament

4.1. Le « système du médicament »

Selon Alice Desclaux et Joseph-Josy Lévy (1995), la notion de « système


du médicament » est une transposition de la notion anthropologique de
système médical, dont les éléments correspondent aux « secteurs de soin
de santé » : biomédical, traditionnel/alternatif, populaire.

De même, le « système pharmaceutique » est aujourd’hui subdivisé en


public, privé et informel, en rapport avec le type de soins administrés aux
usagers.

4.2. La « pharmaceuticalisation »

Il n’existe pas encore de terme spécifique légitimé par les instances


académiques ou par un usage commun à plusieurs disciplines pour
désigner le processus de diffusion des médicaments (produits
pharmaceutiques) ; toutefois le terme pharmaceuticalisation, traduction
de l’anglais pharmaceuticalization, est de plus en plus utilisé en sciences
sociales, simultanément pour qualifier cette croissance (il s’agit de
l’augmentation de volume des médicaments en circulation) et sa
signification sociologique.

Depuis quelques années, un courant d’abord sociologique distingue la


pharmaceuticalisation comme un aspect particulier de la médicalisation, la
première notion étant définie comme « le processus par lequel des
conditions sociales, comportementales ou corporelles sont traitées ou
considérées comme nécessitant un traitement médicamenteux par les
patients, les médecins ou les deux » (Abraham, 2010).

En 2011, des sociologues britanniques proposent une synthèse des


différentes approches de la pharmaceuticalisation, et ils appréhendent la
pharmaceuticalisation de la société à travers six « dimensions » et
dynamiques clés :
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1. La redéfinition ou reconfiguration des problèmes « de santé » comme


ayant une solution pharmacologique ;

2. Une modification des formes de gouvernance (liées à cette


reconfiguration) ;

3. La médiatisation du médicament ;

4. La création de nouvelles identités technico-sociales et la mobilisation


du patient et des groupes de consommateurs autour du médicament ;

5. L’utilisation de médicaments pour des objectifs non médicaux et la


création de nouveaux marchés de consommateurs ;

6. L’innovation médicamenteuse et la colonisation des avenirs sanitaires »


(Williams et al., 2011 :710).

4.3. La « citoyenneté thérapeutique » (Vinh-Kim Nguyen)

Il faut, enfin, signaler que, dans le contexte de pharmaco-socialités — des


sociabilités motivées par le médicament —, Vinh-Kim Nguyen (2005,
2011) a analysé, en Côte-d’Ivoire, l’engagement des personnes traitées dans
le cadre de l’infection à VIH/SIDA comme une forme d’exercice d’une
« citoyenneté thérapeutique ».
19

CHAPITRE III. LES ACTEURS DE L’ESPACE PHARMACO-


THERAPEUTIQUE : DU CHERCHEUR AU PATIENT

En Anthropologie pharmaceutique, les études monographiques portent sur


les différentes étapes biographiques du médicament, à savoir la recherche,
la production, le marketing, la diffusion, la prescription, la distribution,
l’utilisation, la pharmacovigilance. Et à ces différentes étapes correspond
l’intervention des différents acteurs clés.

1. Les acteurs clés

Dans la chaine du médicament, on note les principaux acteurs ci-après :


les pharmaciens, les chimistes, les biochimistes, les biologistes, les
médecins, les infirmiers, les techniciens de l’industrie pharmaceutique
(préparateurs en pharmacie), les auxiliaires du pharmacien à divers
niveaux (visiteurs médicaux, vendeurs, etc.), les commerçants, les usagers
(patients principalement). Nous allons nous attarder sur le rôle des acteurs
clés.

1.1. Le fabricant

Plusieurs acteurs interviennent dans la fabrication et de la production des


médicaments, au sein de l’industrie pharmaceutique : depuis la recherche,
la formulation, jusqu’à la préparation et la mise sur le marché. Parmi ces
acteurs, scientifiques chevronnés ou techniciens qualifiés, on trouve : des
pharmaciens, des chimistes, des pharmacologues, des biochimistes, des
toxicologues, des galénistes, des préparateurs en pharmacie, etc.

1.2. L’autorité de régulation

L’autorité de régulation intervient pour assurer la conformité à la loi et aux


normes pharmaco-techniques (cf. rôle de la DPM/Ministère de la Santé).
Voir le cours de Législation pharmaceutique.
20

1.3. Le prescripteur

Il s’agit principalement du médecin, qui se trouve au cœur de la relation


thérapeutique entre le patient et le médicament.

1.4. Le dispensateur

Le pharmacien et assimilés (préparateur en pharmacie, vendeur en


pharmacie) sont des acteurs clés tant en amont qu’en aval de l’espace
pharmaco-thérapeutique. Ils jouent un rôle dans la diffusion et la
distribution du médicament. (Insister sur la notion de la « dispensation »)

1.5. Les autres acteurs (tradipraticiens, guérisseurs, devins, vendeurs,


pasteurs évangéliques autoproclamés, etc.)

D’autres thérapeutes développent des traitements en dehors du paradigme


biomédical mais en utilisant des formes d’hybridation entre médicaments
et produits thérapeutiques « alternatifs et traditionnels », dans un secteur
qui doit être pris en compte dans l’analyse du « système du médicament »
— une notion calquée sur celle de « système médical » (Desclaux & Lévy,
2003). (cf. supra).

En effet, si les trois premiers types d’acteurs dont nous venons d’examiner
le rôle appartiennent au secteur « biomédical », d’autres acteurs
interviennent soit dans le secteur traditionnel ou de la médecine
alternative, soit dans le secteur populaire, caractérisé par une forte
informalisation. Mais il n’est pas exclu l’existence des passerelles entre les
trois types de secteur du « système du médicament ». Ainsi, le tradi-
thérapeute peut proposer un médicament traditionnel amélioré (ayant la
forme d’un médicament moderne), ou le vendeur du secteur populaire peut
proposer au patient une potion, des herbes, voire des produits
pharmaceutiques, même si souvent ces derniers sont soit falsifiés, soit
avariés pour cause de mauvaise conservation (intempéries : chaleur,
humidité, …), soit tout simplement trafiqués, …

Dans le segment populaire, il faut noter le rôle désormais notable que


jouent certains pasteurs évangéliques qui opèrent dans le domaine de la
21

santé, et qui utilisent plusieurs artifices pour leur besogne (prières,


incantations, herbes, potions, etc.). Et que dire des devins et autres
opérateurs du « système du médicament » ?

1.6. Le patient

Enfin, le patient se trouve être l’acteur au bout de la chaine médico-


pharmaceutique. Il subit toutes sortes de pression psychologique :
matraquage médiatique, publicité et contre-publicité, marketing agressif,
« effet cobaye », etc.

2. Les représentations sociales de la profession pharmaceutique en RDC

Le médicament est au carrefour d’enjeux sanitaires, socioculturels,


économiques, politiques et sécuritaires complexes, régis par des contextes
juridiques divers. Et il n’a pas le même sens pour tous les acteurs impliqués
dans le « système du médicament ». Si pour le prescripteur ou le
dispensateur, le médicament est une substance active destinée à soigner le
patient, pour le fabricant ou le commerçant, il s’agit ni plus ni moins d’une
« marchandise ». C’est le nerf de la guerre entre ces deux catégories
d’acteurs. Il y a donc ici une espèce de confrontation entre deux logiques
qui semblent contradictoires : la logique marchande (commerciale) et la
logique sanitaire (sociale). Ceci joue un rôle prééminent dans la
représentation populaire du rôle de pharmacien ou des personnes qui lui
sont assimilées de par le rôle qu’ils jouent ou que la société leur fait jouer
dans le « système du médicament », et surtout dans l’espace pharmaco-
thérapeutique. Le pharmacien formé, et donc l’unique expert en
médicaments ainsi légalement reconnu, doit tenir compte de cette réalité
socioculturelle pour être en mesure de renégocier sa place et son rôle au
sein de l’espace pharmaco-thérapeutique (niveau mesosocial) et au sein de
la société (niveau macrosocial), en Afrique en général et en RDC en
particulier. Au niveau microsocial, il doit tenir sa place au sein de son office
(compétences technico-scientifiques et professionnelles).

De manière générale, la profession pharmaceutique est perçue comme


étant beaucoup plus proche de l’entrepreneuriat, du mercantilisme, des
22

affaires, … que du domaine de la santé, domaine faisant partie du secteur


social. Cela veut dire que le pharmacien et tous ceux qui lui sont assimilés
(de par le rôle social leur assigné) sont plus perçus comme des
commerçants, des hommes d’affaires que des professionnels de santé. Ceci
est occasionné par la présence du médicament, en tant que produit
commerçable, et les diverses conceptions et significations attachées à ce
produit. C’est ainsi que, souvent assimilé à un vendeur de médicament, le
pharmacien en RDC n’est pas aisément ni correctement ou véritablement
perçu par la population congolaise comme un professionnel de santé, aux
côtés du médecin, du chirurgien-dentiste, de l’infirmier, du nutritionniste,
du technicien de laboratoire, ou de tout autre professionnel de santé.

Cette perception, négative, erronée et biaisée, résulte de la fausse


conception du médicament, que le pharmacien manipule bien sûr. En effet,
pour le commun des mortels congolais, le médicament est une
« marchandise » comme tout autre article sur le marché. Cette
marchandise doit être achetée et revendue en vue de générer un bénéfice.
Cette conception, ancrée dans le mental des communs des Congolais, est
en flagrante contradiction aussi bien avec la législation congolaise en
vigueur qu’avec la situation universelle. Et comme corollaire, tous les
efforts que les Pharmaciens, individuellement ou collectivement
(l’APHARCO par exemple, ou les autres associations), ou en association
avec l’Ordre des Pharmaciens ou le Syndicat des Pharmaciens
(SYNAPHARCO), est soit vouée à l’échec, soit combattue ab ovo ou in ovo,
de l’intérieur comme de l’extérieur.

Il revient donc aux Pharmaciens congolais, les nouveaux et les anciens,


d’explorer des nouvelles pistes pour forcer le réajustement de cette triste
réalité, et aboutir à une juste et adéquate perception. Et nous comptons
beaucoup sur la nouvelle génération des Pharmaciens – ceux formés
actuellement selon le nouveau programme – pour participer activement à
ce travail exaltant, celui de bâtir, sur de nouvelles fondations, une relation
saine entre pharmacien et usager, relation fondée sur la connaissance
scientifique et le service au patient (cf. chap. 5).
23

Parmi les pistes pour le redressement de la situation, nous pouvons


suggérer :

* le réarmement moral ;

* l’approche socioculturelle ;

* l’application de soins pharmaceutiques dans l’espace pharmaco-


thérapeutique ;

* l’amélioration de l’image du Pharmacien au sein de la société via les


NTIC (émissions spécialisées, création d’événements scientifiques, …) ;

* l’affirmation du Pharmacien par ses compétences technico-scientifiques


et ses aptitudes professionnelles ;

* l’insertion du Pharmacien dans la nouvelle stratégie des soins


(pharmaceutiques) par l’approche communautaire ;

* donner au médicament un nouveau contenu socioculturel (sens et


signification proches de la logique sanitaire et éloignée de la logique
marchande et mercantiliste) ;

* en définitive, se positionner en tant qu’« expert attitré du médicament »,


et l’unique interface légale et légitime entre le prescripteur et le patient
(l’usager) au sein de l’espace pharmaco-thérapeutique ; c’est-à-dire
réapprendre à savoir jouer pleinement le rôle social et légal de
« dispensateur » du médicament, et ce, conformément aux us et coutumes
universels de la profession de pharmacien, et à la législation
pharmaceutique.

Pour réussir cet audacieux pari, le Pharmacien congolais doit passer par
une resocialisation pharmaceutique de proximité. C’est ce que fait ce
nouveau programme (parmi l’un des objectifs de la réforme).
24

CHAPITRE IV. LE PATIENT ET LE MEDICAMENT AU SEIN DE


L’ESPACE PHARMACO-THERAPEUTIQUE

1. Sur l’observance et l’adhérence thérapeutiques

Les travaux de Jean Benoist (1999), qui s’est beaucoup intéressé à la


construction de l’efficacité sociale des médicaments dans les systèmes
médicaux, ont recours à une autre modélisation qui distingue, en cercles
concentriques imbriqués, les rapports personnels de l’individu au
médicament ; ces rapports se situent à trois niveaux :

- le niveau microsocial de l’inscription du médicament dans une relation


thérapeutique et dans un rapport aux « autres signifiants » appartenant à
l’entourage ;

- le niveau mésosocial des groupes, catégories et réseaux sociaux ;

- et le niveau macrosocial de la « société », étroitement articulé à l’échelle


nationale du système de soin, lui-même inscrit dans un niveau
« mondial ».

L’analyse des interactions entre différents niveaux de ce système permet


de rendre compte, notamment, des variations du sens du médicament dans
un contexte de pluralisme médical.

Concernant par exemple la diffusion et la distribution des médicaments,


Kleinman a proposé un modèle qui décrit un système médical composé de
trois secteurs de soins de santé distincts, le système biomédical, le système
populaire et le système traditionnel. Ce qui permet d’appréhender
aisément le rôle des acteurs. Adapté aux configurations locales, ce modèle
théorique permet de montrer comment les médicaments circulent dans et
entre ces trois secteurs perméables, lors des transferts entre marchés
formels et informels, qui font appel à des entrepreneurs multiples
(distributeurs, grossistes, prescripteurs, pharmaciens = dispensateurs,
commerçants, vendeurs non qualifiés), contribuant à la diffusion des
25

médicaments dans des espaces variés, en compétition et en expansion


constante.

Cette circulation de produits s’accompagne d’une circulation de


significations et de discours sur le sens des médicaments (Kamat et
Nichter, 1998 ; Okumura, Wakai et Uwenaï 2002). Le concept de
« système du médicament » (corollaire du concept anthropologique de
« système médical », au sens de système de significations, système social
et système opératoire) permet d’en analyser les configurations locales.

En adaptant ce concept à l’analyse des variations locales du rapport entre


le « médicament signifié et interprété par le patient », la réalité de ses
effets biologiques, et le « médicament socialisé », l’on peut aborder des
questions relatives au vécu des traitements, aux perceptions de leur
efficacité et de leurs effets secondaires (Etkin 1994 ; Sow 2002), aux
logiques sous-jacentes à l’automédication, à la sous-consommation ou à la
surconsommation médicale, aux réinterprétations de l’ordonnance.

Toutes ces pratiques sont révélatrices de la multiplicité des usages que le


patient peut faire du médicament et fournissent une « fenêtre » sur des
aspects fondamentaux de la culture tels que le rapport au savoir, la notion
d’ordre, la notion d’autorité, etc. Car le médicament n’est pas un bonbon,
c’est un poison. Une fois mal utilisé, il devient plus dangereux qu’utile. Et
le Pharmacien est mieux placé pour le lui apprendre ou le lui rappeler. Car
le patient, à lui seul, ne peut valablement évaluer le risque encouru
lorsqu’il manipule le médicament, et qu’il joue à l’apprenti-sorcier. Ainsi,
en est-il, lors de la pratique, désormais courante, liée à la réinterprétation
de l’ordonnance. Mais ici, il y a un petit bémol en rapport avec la formation
générale du personnel soignant (médecins, infirmiers et les autres) : si la
formation et les compétences médico-techniques de cette catégorie de
professionnels de santé ont baissé, cela favorise aussi l’irruption des
pratiques de contestation de la légitimité du savoir biomédical, laissant
libre cours aux guérisseurs et autres charlatans de tout bord …
26

2. La polysémie du médicament

Les travaux de Johanne Collin et ceux de Sjaak Van der Geest et Susan
Reynolds Whyte montrent combien un même produit peut être chargé de
significations multiples par différents acteurs, en interrelations
consensuelles ou conflictuelles. En outre, la polysémie du médicament est
aussi nourrie par son parcours biographique qui s’accompagne d’un
cortège de valeurs en constante évolution et par sa diffusion dans des
milieux sociaux et des cultures les plus diverses.

Exemple : la cyproheptadine en RDC (Kinshasa)

Or, en tant qu’entités biologiques et physico-chimiques, les médicaments


ont une ambivalence matérielle irréductible : ils sont à la fois cure et
poison, et leurs effets biologiques ne sont jamais totalement bénéfiques ou
anodins. Ils imposent aux individus, thérapeutes et patients, d’opérer des
choix qui sont souvent fondés sur des représentations simplificatrices,
marquées tantôt par l’idéologie, tantôt par le manque d’accès aux
connaissances scientifiques sur les dimensions matérielles de l’effet des
traitements, tantôt par une forme d’aveuglement induite par le désir
d’efficacité – qui nourrit l’effet placebo. Cette polysémie, doublée
d’ambivalence, est sans doute un concept opératoire pour appréhender les
enjeux de santé publique liés au médicament dans les sociétés
contemporaines, tels que la surconsommation médicamenteuse.

3. L’inégal accès au médicament

Cette problématique est liée à de nombreux facteurs résultant du coût du


médicament et d’autres facteurs liés à la structuration du système sanitaire
et au choix des politiques publiques et à la gouvernance en la matière. Elle
révèle l’épineuse question des inégalités socio-économiques.

Cette question devient cruciale lorsqu’on est en présence des maladies


évitables comme le VIH/SIDA, la tuberculose, etc. Par exemple Alice
Desclaux , analysant les dimensions culturelles de l’usage des thérapies du
VIH/SIDA au Sénégal, montre que l’accès aux traitements dépend de
27

nombreux déterminants d’ordre économique, politique et juridique à la


fois individuels et collectifs, locaux et internationaux. Cet accès n’est
cependant pas indemne d’une construction culturelle qui gouverne tant les
modalités et accès aux programmes des services de soin publics que les
stratégies individuelles et associatives pour se procurer des médicaments.

4. La perception du médicament : entre popularité et scepticisme

Sjaak Van der Geest et Susan Reynolds Whyte cernent la dialectique qui
sous-tend le rapport aux médicaments et qui s’organise autour de
l’opposition entre la popularité et le scepticisme. Les médicaments sont
perçus comme des substances séduisantes non seulement pour les
professionnels de santé mais aussi pour les consommateurs. Cela est dû
notamment à leur efficacité éprouvée, l’apparence des produits ainsi que
leur origine étrangère. Ajouter à cela leur rôle dans le renforcement des
relations sociales à travers les dons et les contre-dons qu’ils impliquent.

Par contre, les médicaments n’ont pas que des avantages : ils sont
également l’objet de perceptions négatives, liées notamment à leur toxicité,
leur agressivité et leurs effets secondaires (indésirables). C’est ainsi que les
résistances à l’égard des médicaments peuvent aussi s’exprimer par des
formes de non-observance, reflet d’un scepticisme face au corps médical
et ses prescriptions, ou même d’une rébellion contre ses diktats, positions
alimentées par les effets iatrogènes des médicaments et la critique de leur
commercialisation.

Le refus des médicaments est signifié par le choix de médecines


alternatives, en particulier dans les pays en voie de développement où il
existe des traditions médicales développées revendiquant une
connaissance spirituelle visant une harmonie et un équilibre à rétablir chez
le patient, ces éléments étant absents dans la biomédecine (médecine
occidentale).
28

5. Rôle des représentations dans la construction sociale de la santé et


de la maladie

Il existe toute une série d’analyses liées à la construction sociale de la santé


et de la maladie étudiées en Sociologie de la santé (cf. Talcott Parsons,
Ivan Illich et Freidson). Mais ici, nous allons évoquer brièvement la
question des représentations des usagers de la médecine, leurs conduites
et leurs attentes.

Selon Freidson, l’histoire de la médecine nous montre « que bien des idées
médicales d’aujourd’hui sur la maladie ne sont pas les mêmes que celles de
la médecine ‘’moderne ’’ d’hier et que certaines idées de la médecine
‘’moderne ‘’ de demain contrediront celles d’aujourd’hui » (Freidson,
1984 :215). En effet, les considérations d’ordre historique et
épistémologique ont persuadé les sociologues à ne plus percevoir le savoir
et les normes de la médecine moderne comme des entités et des catégories
absolues, mais plutôt comme une construction relative qui, tout en
s’inscrivant dans le social, produisent du social.

Tout en se situant dans la tendance freidsonienne, une nouvelle approche


s’est constituée notamment en France, axée sur l’étude des représentations
de la maladie et de la santé (C. L. Herzlich, 1969, 1983, 1984, 2001, 2003 ;
D. Jodelet, 1982). Le mérite de cette approche est de montrer la pertinence
des représentations profanes en tant que révélatrices des conduites et des
valeurs sociales. A travers ces représentations, c’est le rapport de
l’individu à la société et à la culture qui est appréhendé. En ce sens, la
maladie est étudiée comme un fait psychosocial. Si notre rapport à la
maladie et aux médecines est un rapport au social, il est aussi un rapport
au culturel dans la mesure où chaque médecine transpose ses propres
valeurs culturelles (M. Sendrail, 1980).

Si pour dégager la construction sociale de la maladie, certains travaux se


sont axés sur les représentations profanes, d’autres se sont basés sur les
conduites et les trajectoires thérapeutiques des malades. Une telle
orientation est justifiée entre autres par le souci de mieux appréhender la
29

réalité sociale étudiée. C’est le cas des études portant sur les conduites des
soins, et qui font intervenir divers acteurs et agents impliqués dans le
processus de soin, de prise en charge et d’encadrement du malade
(médecins, infirmiers, guérisseurs, organismes d’assurance, entourage du
patient …).

Si les représentations sociales sont révélatrices de nos conduites, à leur


tour, ces dernières peuvent nous aider à mieux comprendre le statut des
représentations et des croyances qui les sous-tendent (Moscovici S.,
1961 ; Kaes R., 1968 ; Beauvois J.L, 1984, Jodelet D., 1996). Ainsi, ce sont
tantôt les représentations et les croyances qui orientent la conduite, c’est
le cas des recours spontanés effectués chez le médecin ou chez le
guérisseur, et qui sont dictés notamment par la suspicion, voire même par
la ferme conviction que la maladie est causée bel et bien par un sortilège
ou un esprit maléfique ; tantôt, c’est la conduite qui précède le processus
cognitif. C’est le cas de recours désespérés ou forcés aux guérisseurs
effectués par des personnes auparavant hostiles mais se considérant
comme personnes « civilisées » ou « rationnelles ». En somme, quelle
que soit l’approche utilisée, les études à caractère psychologique ont eu le
mérite de revaloriser les pratiques et les conceptions profanes.
30

CHAPITRE V. RELATION PHARMACIEN-USAGER

Ce dernier chapitre est bâti sur les conclusions d’une étude menée en
Suisse romande, auprès des pharmaciens d’officine ainsi que leur clientèle
(enquête dans une pharmacie de garde), cf. J. Mbarga et al., 2014.

1. Introduction

Dans un contexte de démocratisation des savoirs relatifs à la santé, la


relation pharmacien-usager se reconfigure, selon la nature du problème de
santé, au profit d’une plus grande autonomie des usagers. En effet, dans
certaines situations, les usagers peuvent exprimer le désir de se passer de
la compétence du pharmacien. Mais, dans d’autres circonstances, bien que
s’efforçant de s’adapter aux demandes des usagers, les professionnels
peuvent réaffirmer leur autorité d’expert si le problème soulevé ou les
médicaments désirés nécessitent plus de vigilance. La relation pharmacien-
usager oscille donc dans une négociation constante selon la marge de
manœuvre dont, dans une situation donnée, les uns et les autres disposent.

L’exercice pharmaceutique s’est littéralement transformé depuis plus de


cinq décennies, passant de la préparation des remèdes (« apothicaire ») à
la dispensation des médicaments fabriqués par l’industrie
pharmaceutique, à des prestations de services, d’informations et de
conseils (Helali et Bruneton, 2004 ; Siranyan et Locher, 2007). De ce fait,
le pharmacien d’officine occupe de nos jours une place primordiale dans
le système de santé.

Les études relatives aux interactions entre les spécialistes du médicament


et leurs clients, elles, sont encore moins nombreuses, mais elles ont en
commun la réflexion autour de la fonction commerciale et de conseil du
pharmacien. Dans cette perspective, Aïach (1994) montre que les rapports
avec le pharmacien peuvent varier selon qu’il s’agit de personnes de
classes populaires ou bourgeoises.

Si les premières, c’est-à-dire les classes populaires, procurent de la


satisfaction au pharmacien en appréciant les conseils qui leur sont fournis,
31

les secondes, les classes bourgeoises, en réfutant ces conseils, en


réclamant plus d’autonomie et en assimilant le pharmacien à un
commerçant, suscitent en lui le sentiment de son inutilité. Hilgers (2004),
quant à lui, révèle que pour les usagers, la reconnaissance de la
compétence du pharmacien passe par leur guérison.

Ainsi, tout en admettant l’aspect mercantile de la démarche du pharmacien,


ils ont tendance à l’oublier lorsque ce dernier fait preuve de
professionnalisme. D’autres recherches interdisciplinaires décrivent les
compétences attendues des pharmaciens de même que le rôle de conseiller
qu’ils sont appelés à jouer auprès des usagers afin d’optimiser l’efficacité
des traitements prescrits (Fournier, 2002 ; Helali et Bruneton, 2004 ;
Rosset et Golay, 2006).

2. Représentations associées au métier de pharmacien d’officine

Plusieurs représentations sont associées au métier de pharmacien


d’officine, dont les plus importantes sont :

a) Le pharmacien d’officine : c’est le premier interlocuteur et un guide dans


le système de soin ;

b) Le pharmacien d’officine : c’est le spécialiste du médicament ;

c) Les 3 attributions clés du pharmacien d’officine :

* garantir le bon usage du médicament et matérialiser le plan


thérapeutique ; (c’est la garant du bon usage …)

* 2ème attribution : contrôler la cohérence des prescriptions ; (c’est


la garant du contrôle des …)

* 3ème attribution : assurer la sécurité des usagers. (C’est le garant


de la sécurité des …)

d) Le pharmacien d’officine : c’est un promoteur de santé publique.


32

3. Négociations entre pharmaciens et usagers et logiques sous-jacentes

Dans la littérature socio-anthropologique, les travaux qui abordent les


relations entre les pharmaciens et les usagers ne s’inscrivent pas dans un
modèle théorique précis. En revanche, ceux qui traitent de la relation
médecin-patient font référence à plusieurs théories. D’abord, dans une
perspective fonctionnaliste, Parsons (1951) considère qu’il s’agit d’un
rapport consensuel, le médecin étant celui qui sait tandis que le malade,
passif, est appelé à reconnaître la compétence du médecin.

Prenant le contre-pied de l’approche parsonienne, Freidson (1984) a établi


un modèle interactionniste, sous-tendu par le conflit, en montrant que les
malades diffèrent les uns des autres selon leur capital socioculturel qui
définit leur manière de se positionner face à l’autorité médicale. Dans ce
modèle, le conflit est latent du fait que le malade peut avoir une
représentation de sa maladie différente de celle du médecin. Il n’y a donc
pas de consensus a priori entre le médecin et le malade et celui-ci n’est pas
toujours passif.

Aujourd’hui, de nombreux travaux tendent à concevoir les relations


médecins-malades en termes d’« ordre négocié » (Baszanger, 1992 ; Adam
et Herzlich, 2009) selon lequel les décisions résultent de la négociation,
chaque acteur pouvant influencer le déroulement et les résultats de la
consultation. L’analyse de Josiane Mbarga et al. (2014) ci-dessous prend
ancrage sur ces travaux, bien que la relation pharmacien-usager articule
davantage les dimensions économique et symbolique (Hilgers, 2004).

Les relations pharmacien-usagers sont marquées par des négociations


constantes selon le problème de santé.

a) Du point de vue des usagers : ces relations oscillent entre confiance,


autonomie et rapport marchand.

L’officine est le lieu où l’on se procure des médicaments (acquisition par


achat). Par ailleurs, voici les attentes des usagers : le pharmacien,
spécialiste du médicament, doit faire preuve d’empathie, de respect et
33

d’écoute ; il doit susciter le dialogue avec la personne qui vient à l’officine.


Il est un conseiller de référence, et son savoir n’est pas remis en cause.
Exception faite de certains intellectuels qui voudraient bien préserver leur
autonomie, et qui contribuent donc à remettre en cause le modèle
parsonien.

Cette relative autonomie à l’égard des spécialistes du médicament est


certainement liée à la démocratisation des savoirs en matière de santé. Elle
provient du fait qu’aujourd’hui, grâce à de nombreuses sources
d’information (médecins, médias, pharmaciens), les individus
s’approprient des savoirs relatifs aux pathologies qui les affectent ou aux
médicaments qu’ils consomment (Akrich et Méadel, 2009 ; Burton-
Jeangros et Hammer, 2013). Mais ce savoir découle aussi des expériences
subjectives que Massé (1995 :249) qualifie de « savoir idiosyncratique ».
Celui-ci fait référence aux croyances que l’individu génère à partir de ses
propres observations, de ses réinterprétations des informations véhiculées
dans son entourage, et de ses expériences corporelles personnelles. Dans
cette optique, nombre de personnes estiment avoir les connaissances
nécessaires sur les produits pharmaceutiques pour traiter leurs problèmes
de santé courants ou ceux qu’ils ont connus auparavant, même si ce savoir
n’est pas fondé scientifiquement. Elles sont alors plus enclines à entretenir
un rapport marchand avec les professionnels.

b) Du point de vue des pharmaciens : ces relations tournent entre


adaptabilité et fermeté.

De manière générale, ces relations oscillent entre deux pôles. D’une part,
les pharmaciens affirment entretenir des rapports satisfaisants avec la
majorité des usagers, résultant du fait que ceux-ci leur reconnaissent le
rôle primordial de spécialiste et de promoteur du bon usage du
médicament.

D’autre part, ils évoquent des rapports plus tendus et rapportent le manque
d’intérêt d’une partie des usagers pour les conseils qu’ils désirent leur
prodiguer.
34

Une personne qui boucle la conversation, disant "Je sais, j'ai déjà utilisé ce
médicament, merci". Ben on va pas l'énerver et continuer à lui poser des
questions. Après c'est aussi sa responsabilité ; donc du moment qu'on
dispense un médicament à un adulte et qu'on a dit ce qu'il y avait à dire,
ben c'est aussi sa responsabilité d'être humain, conscient, de savoir ce qu'il
fait quelque part (Olive, pharmacienne).
(Extrait tiré de J. Mbarga et al., 2014).
35

CONCLUSION

Parmi les biens les plus précieux que l’homme puisse avoir sur terre figure
la santé. Celle-ci, en effet, n’a pas de prix ; et son amélioration et sa
préservation ont toujours été un souci permanent pour toute société
responsable qui aspire au développement » (Mvuezolo Bazonzi,
1996 :818). Et le médicament se trouve être l’un des moyens de
prédilection pour l’amélioration et la préservation de cette santé.

Après avoir suivi ce cours d’Anthropologie pharmaceutique, nous savons


désormais que le médicament n’a pas le même sens ni la même
signification quand il est entre les mains du pharmacien, du guérisseur ou
celles du patient, ni la même valeur symbolique chez les différents peuples
des diverses cultures.

Ainsi, le futur pharmacien est-il armé d’atouts et d’outils théoriques et


analytiques, devant lui permettre d’aborder sa carrière de professionnel de
santé, avec la casquette de « spécialiste du médicament », dans une
société (congolaise/africaine) en pleine mutation et qui se complexifie au
jour le jour, au gré des progrès et des caprices de la science et de la
technologie.

Ainsi averti et éveillé scientifiquement, il saura ainsi mieux jouer sa


partition de « spécialiste du médicament » dans le monde
pharmaceutique et le système sanitaire d’aujourd’hui, dans lequel il va
s’engouffrer bientôt. En effet, avec le développement de la
pharmaceuticalisation, le médicament n’est pas seulement cette molécule
bioactive ou ce produit qui apporte la guérison, le soulagement ou le
mieux-être au patient ; il est aussi ce bien social, culturel et économique
chargé d’histoire et de représentations diverses, suivant les modèles
culturels propres à chaque société.
36

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