Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Éditions
Questions de géographie de la population | Pierre George
CHAPITRE VI
Géographie
économique et
population
p. 149-178
Texte intégral
1 Les grands groupes humains se différencient beaucoup
plus par leurs conditions d’existence que par leurs
caractères physiques ou que par les nécessités
d’adaptation à des milieux naturels divers. On a
appliqué à l’étude de ces conditions d’existence une
méthode strictement descriptive, celle des genres de vie,
qui s’interdit à juste titre le recours à une explication
déterministe simpliste, mais aussi l’évocation des
rapports économiques. Elle permet de faire un
inventaire des caractères essentiels définissant
globalement une collectivité attardée, vivant en
symbiose étroite avec le milieu naturel et n’ayant pas
atteint le stade des différenciations professionnelles ou
sociales. Étendue à des sociétés complexes, cette même
méthode ne peut plus être utilisée que pour décrire le
comportement de petits groupes dominés par les
exigences d’un métier et cantonnés dans un horizon
social limité : pêcheurs, dockers, travailleurs des
chantiers de travaux publics, etc. Elle est impuissante à
évoquer une structure sociale et économique complexe,
et ceci surtout parce qu’elle procède exclusivement d’un
échantillonnage, d’un inventaire purement descriptif,
en un mot parce qu’elle est seulement qualitative, alors
que la connaissance de l’état économique et social d’un
groupe appelle un certain nombre de mesures.
Disponibilités en calories
4 Cette mesure ne peut généralement pas être entreprise
à partir des statistiques générales publiées par les États
et les administrations locales, car une partie importante
de la production absorbée par le circuit
d’autoconsommation échappe à l’évaluation statistique.
On ne saurait donc actuellement dresser des cartes
mondiales des disponibilités individuelles alimentaires
pour les sociétés vivant en majeure partie en économie
naturelle, mais des enquêtes locales ou régionales
peuvent définir des ordres de grandeur. Les multiples
travaux de la FAO1 sur ce point assurent la disposition
d’un réseau assez serré d’informations qui peut
permettre, jusqu’à un certain point, de faire à titre
purement indicatif quelques généralisations. Ces
informations ont à juste titre provoqué la stupeur
lorsqu’elles ont été publiées pour la première fois ou
regroupées dans des ouvrages d’ensemble comme
l’Économie alimentaire du globe de MM. Cepede et
Lengelle2. En Amérique latine, on trouve « trois pays
alimentés à peu près convenablement (Argentine,
Paraguay et Uruguay), cependant que tout le reste du
continent, ou à peu près, connaît une véritable famine
(Argentine : plus de 3 000 calories ; Mexique, Brésil,
Colombie et Pérou : de 1 800 à 2 2003) ». L’Asie a le triste
privilège, selon les termes des auteurs de cette synthèse,
de détenir les records de disette chronique :
2 280 calories végétales par jour et par individu à Java,
1 kg de sucre par individu et par an en Chine et en
Corée, 8 kg de viande par individu et par an aux Indes et
à Java… Les conséquences : « avitaminoses multiples,
carences en sels minéraux, mortalité élevée et poids
moyen de l’individu ne dépassant pas quelque 35 kg4 ».
La situation est généralement meilleure en Afrique,
mais une forte poussée démographique risque fort de
ramener les normes au niveau de l’Asie.
5 Or, cette pénurie de production alimentaire a une
double série de conséquences :
6 1o elle engendre diverses carences quantitatives et
qualitatives qui facilitent l’invasion du « terrain » par
les infections d’origine microbienne, provoquant des
maladies spécifiques (béribéri, scorbut) ;
7 2o elle tend tout l’effort vers l’acquisition de la
nourriture et réduit la part de la satisfaction des autres
besoins vitaux à des taux dérisoires. De ce fait, l’homme
est mal outillé, mal protégé contre les intempéries, et,
par cela même, plus fragile encore.
8 Cette situation de grande détresse est celle de près
d’un milliard d’hommes vivant en Asie méridionale, en
Afrique, en Amérique latine. Elle risque de s’aggraver
sans cesse par suite de l’accroissement naturel de
population.
Aspects du sous-peuplement
43 Le sous-peuplement absolu est encore plus exceptionnel
que le surpeuplement absolu. Il suppose la réduction de
l’effectif d’une population isolée au-dessous du nombre
permettant, soit le renouvellement normal des
générations (minimum biologique ou isolat), soit la
production de denrées indispensables à l’existence du
groupe. La notion d’effectif n’est d’ailleurs pas seule en
cause, mais aussi la composition par sexes et par âges de
la population.
44 Mais des minima relatifs peuvent être définis par
rapport aux besoins de population pour mettre en
exploitation rationnelle, dans le contexte de techniques
et d’aptitudes productive du milieu, l’espace disponible.
Le sous-peuplement absolu met en cause l’existence du
groupe, le sous-peuplement relatif n’a pour
conséquence qu’une insuffisance d’utilisation des
ressources locales. Le premier cas est
exceptionnellement celui d’archipels ou d’îles isolées
(îles Andaman par exemple) de groupes arctiques,
encore que ceux-ci soient de moins en moins exposés à
l’isolement du fait de la pénétration du grand Nord par
les techniques modernes, et sous la forme de chute de
l’effectif au-dessous des chiffres correspondant à un
entretien de la productivité du milieu naturel, dans
certaines régions de haute montagne ou de domaines
considérés à un moment donné comme pauvres et, de ce
fait, désertés. Le cas des régions de dépeuplement
excessif en France même a été particulièrement
étudié10. Le sous-peuplement relatif est beaucoup plus
délicat à définir. On sait que diverses thèses ont été
avancées à propos du peuplement rationnel de la
France, allant de 25 millions à 75 millions… Plus
certainement, le continent africain est, sauf quelques
domaines de forte concentration du peuplement en
Nigéria, dans le nord du Cameroun et du Togo et en
Afrique orientale, et naturellement dans l’ensemble de
l’Afrique du Nord, fortement sous-peuplé. Toute
entreprise d’industrialisation rencontre des difficultés
de recrutement de main-d’œuvre, doit s’accompagner
d’une politique systématique d’attraction, de fixation et
d’accroissement de la population. Mais l’évaluation du
degré de sous-peuplement relatif est, par définition, en
relation directe avec les hypothèses de création de
ressources et d’emploi de force de travail appliquées à
chaque région. Elle sort donc du domaine des notions
générales pour entrer dans celui de la planification
régionale.
Optimum de population
45 Rechercher l’optimum de population d’une région, c’est
essayer de « déterminer, pour une humanité
grandissante, le point à partir duquel les inconvénients
qui résultent de la densité l’emporteront sur les
avantages qui résultent de l’état de croissance… »
(E. Dupréel, cité par M. L. Buquet11). Malgré l’intention
de définir l’optimum de population par rapport à une
dynamique de la population et de l’économie, les
chiffres ne peuvent s’appliquer qu’à des rapports
circonstanciels. M. A. Sauvy a écrit12 que définir
l’optimum de population d’un pays ne signifiait pas que
l’on prononçait une condamnation sans rémission à
l’égard des excédents dépassant le chiffre de cet
optimum. Du moins cette définition implique-t-elle une
prise de position sur le volume des besoins de chaque
habitant. Il s’agit de déterminer, par rapport au niveau
de vie moyen actuel ou par rapport au niveau de vie des
diverses catégories sociales, un niveau de vie de
référence qui, rapporté aux ressources du pays, donne
la mesure de sa capacité d’entretien de population. Le
choix de ce niveau de référence est un acte politique,
beaucoup plus que la conclusion d’un raisonnement
scientifique strict, encore que cet acte politique puisse
avoir de solides fondements scientifiques. Ceci signifie
qu’il ne saurait être question, dans une étude comme
celle-ci, de dresser une carte des populations optima des
divers pays du globe. L’optimum peut être relatif ou
perspectif, mais il est toujours régional ou national. Il
est relatif quand il est calculé par rapport à des
conditions déterminées de production et de distribution
de ressources actuellement réalisées. Il est perspectif
quand il fait état de planification de l’économie, ou
d’une politique de la population. Il se définit alors par
des chiffres successifs correspondant chacun à une
étape du développement économique ou de l’évolution
provoquée des effectifs de population.
46 Il n’est pas inutile de remarquer que le calcul d’un
optimum de population suppose au préalable le choix
de certaines hypothèses, qui ont, comme l’ensemble du
calcul, un caractère politique. La première de ces
hypothèses admet la conservation stricte de la structure
sociale existante : les besoins de chaque catégorie
sociale seront alors définis en fonction du niveau moyen
de consommation et des effectifs de la catégorie. Mais
on peut concevoir l’application du calcul dans un
contexte de révolution ou d’évolution économique et
sociale comportant une modification des rapports
numériques des classes sociales, de la répartition des
biens d’usage et de consommation entre elles. Enfin,
selon la position prise à l’égard du devenir économique,
les besoins de main-d’œuvre seront évalués
différemment : une population trop nombreuse pour les
ressources dont elle dispose peut être insuffisamment
nombreuse pour en dégager de nouvelles… On est
conduit ainsi irrésistiblement à passer du statique au
perspectif, à envisager les diverses formes de prévision
et, dans la mesure où un choix est nécessaire, au seuil
des problèmes d’action, c’est-à-dire de politique.
Notes
1. FAO désigne communément l'Organisation des Nations unies
pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture
Organization).
8. Paysans.