Des influenceurs conviés au lancement effectif du programme
gouvernemental Forsa. MAP
n°763. Le gouvernement Akhannouch à l’ère des in!uenceurs du net 19.04.2022 à 23 H 33 • Mis à jour le 20.04.2022 à 09 H 51 Par Bilal Mousjid
Les influenceurs sont-ils devenus le nouveau
bras « médiatique » du gouvernement Akhannouch ? De plus en plus sollicités pour relayer les messages de l’Exécutif, ces « créateurs de contenus » sur les réseaux sociaux se sont retrouvés au cœur d’une vive polémique. Éclairage
« Il y a 22 millions de Marocains qui ont des comptes
sur les réseaux sociaux et, qui à travers leur smartphone, sont connectés à l’actualité. Personne ne peut aujourd’hui passer à côté de ce public », explique le chef d’une entreprise de communication. Un argument-massue qui n’est pas pour déplaire au gouvernement d’Aziz Akhannouch, dont les ministres, essentiellement technocrates, sont peu rompus aux contraintes particulières de la communication politique classique.
À telle enseigne que l’actuel exécutif semble
désormais placer au même rang journalistes, société civile, syndicats et in!uenceurs sur Facebook, Instagram, Twitter et autre TikTok . Pour convaincre les Marocains à s’ouvrir à l’école publique, le ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, Chakib Benmoussa n’a pas ainsi hésité à réunir, le 31 mars, une poignée d’in!uenceurs, qui ont même été invités à formuler des propositions sur la réforme de l’école. « Cette idée est souvent sou!ée aux ministres par des agences de communication, qui travaillent régulièrement avec des in"uenceurs sur tout et n’importe quoi. Ça va d’une recharge de téléphone à un produit cosmétique en passant par la réforme de l’éducation », schématise un communicant en contrat avec un département de l’actuel gouvernement.
Le 12 avril, c’était au tour de la ministre du
Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire, Fatim-Zahra Ammor de se livrer à l’exercice. « On veut que vous soyez les ambassadeurs de notre programme », a-t-elle lancé à l’adresse d’une dizaine d’in!uenceurs invités à une cérémonie organisée à l’occasion du lancement du programme Forsa, un ambitieux projet d’un budget de 1,25 milliard de dirhams qui cible en particulier les jeunes.
LA « FAUTE AUX AGENCES »
Des animateurs comme Samid Ghilane et Hicham Masrar aux Youtubeurs et comédiens comme Simo Sedrati et Ezzoubair Hilal en passant par Mustapha Swinga ou encore le médecin et humoriste Obeid Hilal, l’assemblée est un véritable fourre-tout dont la seule mission est de relayer les messages du ministère sur leurs comptes aux millions d’abonnés. Une idée préconisée, assure-t-on, là encore par une agence de communication : Tribal DDB, qui a été chargée d’accompagner le programme Forsa.
« Ces in"uenceurs ont été invités, comme les autres,
à relayer l’information autour du projet a#n que celui-ci touche le maximum de jeunes. Selon certains, les in"uenceurs sont en train de remplacer les journalistes. C’est faux et c’est inimaginable. Nous avons donné la priorité à la presse et nous avons communiqué avec les journalistes », nous dit- on dans l’entourage de Fatim-Zahra Ammor.
Mais, selon plusieurs sources parmi les invités et
les organisateurs interrogés par Le Desk, le département du Tourisme a bien cherché à mettre le paquet sur les réseaux sociaux, avec leurs relais mis en tête de gondole lors de l’événement. Un rôle qu’ils n’ont pas tous accepté d’endosser, à en croire Swinga. « L’agence m’a appelé pour réaliser une vidéo sur le projet. Je leur ai répondu que j’étais d’accord sur le principe mais que je devais, avant de donner le ok, comprendre le sujet pour qu’on soit alignés sur la méthode. Ce à quoi ils m’ont répondu qu’ils étaient d’accord, en m’invitant à cet événement de lancement pour me permettre de comprendre le projet. C’est comme ça que j’y suis allé. Vous aurez remarqué que, contrairement, aux autres, je ne suis présent sur aucune photo. Je ne voulais juste me faire une idée avant de m’engager sur le projet », réagit auprès du Desk l’in!uenceur connu pour ses productions de vulgarisation très suivies sur Youtube, qui dément au passage l’authenticité du contrat de 300 000 dirhams que lui attribué le site d’information Lakome. « J’ai une équipe de 40 personnes. Il est normal que je cherche des #nancements mais je n’accepte aucun projet qui va à l’encontre de mes principes », poursuit Swinga.
« De toute façon, le ministère n’a rien payé à ces
in"uenceurs », a"rme une source proche de la ministre. Certes, mais Tribal DDB « devrait logiquement s’en charger », nuance-t-elle, soulignant que « l’agence fait jusqu’ici du bon boulot pour le programme ».
« ET POURQUOI PAS ROUTINI AL YAWMI »
« Nous ne sommes pas contre le débat, mais la ministre est en train de payer pour les a$aires de certains de ses collègues », justi#e un membre de l’entourage de Fatim-Zahra Ammor, faisant allusion à la rencontre entre de Benmoussa avec des in!uenceurs.
Celui-ci y voit un « procès injuste » contre la
ministre du Tourisme, qui n’aurait fait que suivre, comme beaucoup de ses collègues, les conseils d’une agence de communication. En septembre dernier, Aziz Akhannouch n’avait-il pas lui-même rameuté, à la veille des élections, des in!uenceuses et des in!uenceurs pour appeler à voter pour le parti de la Colombe ? Avant eux, Abdelilah Benkirane avait dès 2015 joué la carte des réseaux sociaux en invitant, dans sa villa au quartier des Orangers à Rabat, une vingtaine de « créateurs de contenus » pour draguer sa jeune audience.
Des sources au gouvernement préfèrent même
parfois s’adresser directement à ces in!uenceurs, comme en avril 2020 lorsque Swinga a été le premier à recevoir, à la grande déception des journalistes, une copie de la loi controversée 20-20 sur l’usage des réseaux sociaux. L’in!uenceur nous con#e d’ailleurs assister « de temps en temps » à des réunions « avec des responsables au gouvernement en tant que conseiller en digital ».
Selon un expert en communication politique,
qui a travaillé pour plusieurs ministres, « des agences veulent e$ectivement que les in"uenceurs remplacent petit à petit les journalistes. C’est l’idée que sou!ent des communicants à des membres du gouvernement. »
Et pour cause : « Un in"uenceur peut être
contrôlé et il n’est pas tenu d’analyser ou de critiquer. Il est payé en contrepartie d’une prestation », explique notre interlocuteur, qui estime « que cette tendance est très dangereuse ».
« Le problème, ce sont les agences de
communication. Un ministre n’étant pas expert en com’, quand une agence lui dit que tel ou tel a un million de followers, il #nit par être tenté. Mais, à ce compte-là, pourquoi ne pas faire appel aux #lles de Routini al yawmi [Ma routine quotidienne, des vidéos au contenu parfois érotique qui cartonnent sur Youtube], qui font une audience de 4 millions », attaque, non sans sexisme, notre interlocuteur.
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