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불어 숙달 II

Semaine 5 : Réseaux sociaux


Document 1

Influenceurs : le plus jeune métier du monde

Kookoo les Jouristas, un super plan cette semaine : une proposition de loi
pour lutter contre les dérives du secteur
5
27 mars 2023
Épisode n° 1

Vous connaissez l’histoire du ministre, du chevalier blanc et de la « reine de la futilité » ?


10 C’est l’histoire d’une guerre sans fin entre des personnes dont les chemins ne se
seraient jamais croisés il y a quelques années de cela. Oui mais voilà, on est en 2023,
l’ère de la toute-puissance des réseaux sociaux, des clashs qui les nourrissent et de
l’emballement permanent. Une combinaison qui a conduit
Booba – le chevalier blanc – à prendre en grippe Magali Berdah – « la reine de la
15 futilité », selon le mot du rappeur dans Libération – et à être défendu par Bruno
Le Maire, le ministre des Finances. Ce qui a sacrément irrité celle par qui tout semble
être arrivé. Quel poids sur les épaules de Magali Berdah, « papesse de la téléréalité » à
la tête de Shauna Events, l’agence d’influenceurs la plus connue. À elle seule, pour
Booba et ses millions de followers, elle est devenue en 2022 la cheffe
20 des « influvoleurs » – le terme est encore signé de B2O. Traduction : au-delà de leurs
vidéos relatant leur vie quotidienne ou leurs passions, les influenceurs contribueraient
à propager arnaques et fraudes en tous genres à travers leurs partenariats rémunérés.
Exemple : « Alors mes amours, je voudrais vous parler de Fast Formation. C’est
chanmé, c’est des formations qui sont 100 % gratuites puisqu’elles sont agréées par
25 l’État. C’est des formations qui vous permettent d’apprendre à gagner de l’argent
grâce aux réseaux sociaux. » Celle qui parle, c’est Maeva Ghennam, starlette de la
téléréalité (Les Marseillais vs le reste du monde, Les Marseillais : Asian Tour, Les
Marseillais aux Caraïbes…), 3,3 millions d’abonnés sur Instagram. Et accessoirement,
influenceuse représentée par l’agence Shauna Events, censée gérer ses partenariats.
30 Difficile de tenir ses troupes. Car ici, nous sommes dans un cas patent de publicité
frauduleuse au CPF, le compte professionnel de formation. Derrière le discours
trompeur et les promesses de gratuité, la formation se résume souvent à quelques
modules vidéo prêts à consommer. Pire, certains « organismes » promettent de
repartir avec un iPad financé sur le dos du CPF, mais à quatre fois son prix, la
35 différence partant dans la poche du formateur.

Je me suis retrouvé à être le réceptacle d’un certain nombre de


sollicitations d’internautes, qui m’envoyaient des liens vers des publicités
d’influenceurs où rien n’allait.
40
Arthur Delaporte, coauteur de la proposition de loi contre les dérives des influenceurs
Les mots de Maeva Ghennam sont arrivés jusque dans l’hémicycle, où le député
socialiste Arthur Delaporte les a rapportés en octobre dernier pour faire réagir ses
collègues aux dérives qui coûtent des millions d’euros à l’État. « Ce jour-là, j’ai percé
45 la bulle sans le savoir, sourit l’élu. Je me suis retrouvé à être le réceptacle d’un certain
nombre de sollicitations d’internautes, qui m’envoyaient des liens vers des publicités
d’influenceurs où rien n’allait. » Les risques du métier ? Mais quel métier à vrai dire ?
C’est que nous allons détailler dans cette série. Une chose est sûre, la profession pèse
aujourd’hui.
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50
Extrait d’une vidéo TikTok de Maeva
Ghennam — Illustration Simon
Lambert/Les Jours.

55 Si Maeva Ghennam est une influenceuse des sommets


avec ses millions d’abonnés, il existe en réalité
150 000 influenceurs en France, de toutes tailles.
44 % ont une audience comprise entre 1 000 et
5 000 abonnés. On les appelle des « nano-
60 influenceurs », mais selon leur spécialité, ils peuvent
malgré tout attirer des marques désireuses de
s’adresser à un public ciblé. Selon l’agence Reech, qui
étudie ce marché depuis plusieurs années, 15 % des
influenceurs le sont à plein temps et seuls 6 % d’entre
65 eux gagnent plus de 20 000 euros par an grâce à cette
activité ; 2 % parviennent à passer le seuil de 50 000
euros. Et il vaudrait d’ailleurs mieux utiliser le
féminin, dans la mesure où les trois quarts de la
profession est composé de femmes… qui gagneraient
70 en moyenne 31 % de moins que leurs homologues
masculins. Pourtant, le gâteau grossit d’année en
année. En 2019, le marché mondial du marketing d’influence était de 5,5 milliards
d’euros. L’Arpp, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, estime qu’il est
passé à 12 milliards d’euros en 2021.
75
Hausse des opérations de chirurgie esthétique, des admissions à l’hôpital
à cause de régimes… Le revers de la « ring light » est parfois tragique

Dans ce monde, les rémunérations ne sont pas seulement financières. Il peut aussi
80 s’agir de rétributions en bons d’achat sur le site de la marque, d’envois de produits, de
voyages, d’accès à des événements ou à des services en échange de « stories »
quotidiennes. La quantification reste difficile, mais l’impact est de mieux en mieux
mesuré : une relation de confiance se crée entre la personne qui partage sa vie sur les
réseaux sociaux et celles et ceux qui la suivent. Et plus l’influenceur prend soin
85 d’échanger avec sa communauté dans les commentaires, plus il crée du lien, plus le
taux d’engagement est fort et séduit les marques.

Le revers de la médaille, ou plutôt de la « ring light », du nom de l’anneau lumineux


qui permet aux vidéastes d’avoir un joli teint en ligne, est en revanche parfois tragique.
90 Dans son rapport d’information, le député Arthur Delaporte relève une augmentation
des admissions à l’hôpital à cause des régimes promus par les influenceurs, un boom
des opérations de chirurgie esthétique et une hausse des tentatives de suicide et des
détresses psychologiques chez ceux qui ont suivi des recommandations de placements
financiers à risque. Devant l’ampleur du sujet qu’il découvre, son groupe parlementaire
95 décide alors d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, pour le mois
de février 2023.
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Une vidéo TikTok de promotion d’un régime


alimentaire sans cadre médical — Illustration
100 Simon Lambert/Les Jours.

Mais d’autres élus, sans savoir qu’il en est de même


dans tous les groupes (exception faite du RN), sont eux
aussi en train de se pencher sur le sujet, qui fait de plus
105 en plus de bruit : l’écologiste Aurélien Taché, les
Insoumis Nadège Abomangoli et François Piquemal,
le député Renaissance Stéphane Vojetta et, chez
Les Républicains, Virginie Duby-Muller. Le ministère
des Finances, qui s’intéresse aussi au sort des
110 influenceurs depuis l’automne, travaille déjà avec
Stéphane Vojetta. Celui-ci pointe qu’« il existe un
sentiment d’impunité de la part des personnes qui
font ces arnaques, qui tient au fait que jusque-là, il y
a eu un manque d’écoute de la part du
115 gouvernement ». Mais des signaux sont envoyés pour
montrer que la donne change.

Les créateurs de contenus sont des jeunes qui


créent de l’emploi en France. Ils divertissent,
120 informent et développent leurs audiences. Il faut tout faire pour les aider
à se développer dans un environnement rassurant et sain.
Stéphane Bouillet, fondateur de l’agence Influence4You

En décembre 2022, une table ronde est organisée à Bercy, rassemblant les acteurs du
125 marketing de l’influence, pour réfléchir à un encadrement. Magali Berdah n’y a
cependant pas été conviée. Ni elle ni aucune agence travaillant avec les influenceurs de
la téléréalité, comme son grand concurrent We Events. Le signe, déjà, que des clans se
forment dans le secteur de l’influence. D’ailleurs, une fédération s’est créée sans
elle. L’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (Umicc) a fixé des
130 règles d’adhésion strictes visant à exclure les influenceurs dubaïotes et les stars de la
téléréalité. Le but : montrer que derrière l’épouvantail Berdah, il existe une profession
prête à s’autoréguler – c’était le sens de la tribune signée par 150 influenceurs ce
dimanche dans Le JDD. Prête à batailler, aussi, pour éviter une loi trop restrictive,
comme le craint Stéphane Bouillet, fondateur de l’agence Influence4You et secrétaire
135 général de l’Umicc. « Les créateurs de contenus sont des jeunes qui créent de l’emploi
en France », plaide-t-il auprès des Jours. « Ils divertissent, informent et développent
leurs audiences. Il faut tout faire pour les aider à se développer dans un
environnement rassurant et sain. »

140 En apprenant qu’une proposition de loi va être proposée par Arthur Delaporte, le
ministère joue les entremetteurs pour qu’un travail transpartisan se mette en place et,
le 31 janvier, le socialiste et Stéphane Vojetta présentent conjointement un
texte « visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux
sociaux ». Celui-ci fusionne les travaux des deux députés, « très complémentaires »,
145 relève Arthur Delaporte. « J’avais travaillé sur un volet de définition du terme
“influenceur”, et d’interdiction vis-à-vis de certains secteurs. De son côté, Stéphane
Vojetta avait développé un volet contractualisation et lien avec les plateformes. » Une
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proposition de loi préparée en collaboration avec le ministère des Finances qui, de son
côté, a mené plusieurs tables rondes réunissant agences et influenceurs, ainsi qu’une
150 grande consultation qui a recueilli 4 650 avis en janvier dernier. Fait rarissime, la
commission des affaires économiques a voté la proposition de loi des députés à
l’unanimité.

155 Les députés Stéphane


Vojetta et Arthur
Delaporte avec le
ministre des
Finances Bruno
160 Le Maire, lors de la
conférence de presse
sur le projet de loi
contre les dérives des
influenceurs, le
165 24 mars 2023, à
Paris — Photo
Vincent Isore/IP3.

Vendredi dernier, Bruno Le Maire a présenté le résultat de ces travaux, entouré


170 d’Arthur Delaporte et de Stéphane Vojetta, et des ministres Jean-Noël Barrot, chargé
de la Transition numérique, et Olivia Grégoire, chargée des PME. Treize mesures vont
être déployées pour encadrer les pratiques commerciales des influenceurs. À
commencer par livrer, pour la première fois, une définition de ce qu’est l’influence,
intégrée au Code de la consommation. Selon la formule retenue, « l’influence
175 commerciale est considérée comme la pratique consistant à créer et diffuser, à
l’intention du public français, par un moyen de communication électronique, des
conseils ou contenus faisant la promotion, directement ou indirectement, de produits
ou de services en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature ».

180 Une « brigade de l’influence commerciale » dotée de quinze agents a été


créée. La nouvelle a surpris jusqu’à la répression des fraudes

Si Bercy – tout comme la proposition de loi – établit une liste noire des produits et
services interdits de publicité, celle-ci rejoint en réalité les lois déjà existantes.
185 L’objectif est plutôt de rassembler au sein d’un même texte ces interdictions, pour
clarifier le message. Les produits pharmaceutiques, les dispositifs médicaux, les actes
de chirurgie, mais aussi les placements financiers, les investissements et les actifs
numériques entraînant des risques de pertes seront donc blacklistés. Certains produits
et services devraient aussi être fortement encadrés, comme les pronostics sportifs,
190 l’inscription à des formations professionnelles, les jeux d’argent et de hasard. Pour ces
catégories, un bandeau visible sur toute la durée de la vidéo deviendrait obligatoire. En
cas de non-respect de ces règles, l’influenceur pourrait se voir condamné à une peine
allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. Dans sa liste de
treize propositions, Bruno Le Maire ajoute une obligation de transparence sur les
195 photos et vidéos retouchées, reprenant la réglementation pour les clichés publicitaires
de mannequins. Et ce, pour prévenir les « effets psychologiques dévastateurs pour
l’estime et l’image des internautes », souvent de jeunes abonnés et abonnées. Le texte
sera examiné à l’Assemblée à partir de ce mardi 28 mars.
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200 Une proposition de loi ne permet cependant pas de toucher au nerf de la guerre : les
ressources allouées au contrôle de toutes ces règles. Les annonces de Bruno Le Maire
étaient donc très attendues sur ce volet. Seul le ministère peut annoncer le déblocage
de moyens supplémentaires pour qu’enfin la direction générale de la concurrence, de
la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) puisse freiner les dérives
205 des influenceurs. L’annonce de la mise en place d’une « brigade de l’influence
commerciale » dotée de quinze agents paraît donc aller dans le bon sens. Cette équipe
devra « surveiller les réseaux sociaux, répondre aux signalements et prendre les
sanctions adaptées. Elle pourra notamment adopter des sanctions, faire fermer des
comptes et saisir si nécessaire le juge en cas de manquement », précise Bercy. En
210 confirmant qu’il s’agissait bien de quinze postes créés, la nouvelle a surpris jusqu’à la
DGCCRF elle-même. C’est une première après des années de vaches maigres pour
l’organisme public qui a vu fondre ses effectifs ces dernières années. À l’heure où nous
écrivons ces lignes, la promesse est belle : « L’équipe créée est un réseau d’enquêteurs
spécialisés, immédiatement mise en place. » Reste à savoir d’où viendront ces quinze
215 recrues, et si elles seront plus que des super community managers, se cantonnant à
« répondre aux signalements » là où les besoins d’enquêtes et de terrain sont abyssaux.
Mis à jour le 1er juin 2023 à 17 h 37. Le Parlement a définitivement adopté jeudi
1er juin la loi qui encadre et régule le métier d’influenceur et commence par lui donner
une définition : il s’agit de personnes qui, en ligne, contre rémunération ou avantage
220 en nature, « mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer des
contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de
services ou d’une cause quelconque. » Le texte interdit la promotion de certaines
pratiques, comme la chirurgie esthétique ou de certains dispositifs médicaux, ainsi de
produits contenant de la nicotine, mais, curieusement pas de l’alcool. La loi encadre
225 également les agents d’influenceurs : au delà d’une certaine somme, un contrat écrit
sera obligatoire. Et pour celles et ceux qui vivent au paradis des influenceurs, Dubaï,
pas question d’espérer échapper à la loi : ils devront souscrire une assurance civile
dans l’UE, pour indemniser des victimes et désigner un représentant légal dans l’UE.
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Document 2

Chérie, j’ai exploité les gosses

5 Leurs vies surexposées et leurs millions d’abonnés remplissent les poches


de leurs parents : une loi veut protéger les enfants influenceurs.

12 septembre 2023
Épisode n° 8
10
On ne va pas se mentir : leur vie, c’est Dallas. Pire : un mélange de Dallas, Santa
Barbara et Hélène et les garçons. La jalousie, la compétition acharnée, la haine, le
harcèlement, les coups bas tournent à plein régime derrière quelques amitiés de façade
et la bonne humeur apparente. Et pourtant, on parle d’enfants qui jouent, déballent
15 des cadeaux, se font des pranks (des canulars) et se lancent des défis souvent un peu
stupides dans des vidéos dont l’ambiance se rapproche plus des Télétubbies.

Filmée dès qu’elle franchit le seuil de la porte, Kalys, 16 ans, vit sous l’œil de la caméra
de son père Michaël depuis ses 7 ans. Ce jour-là, elle est cueillie à son retour du lycée
20 alors qu’elle déchausse ses baskets au pied d’un spot de studio qui éclaire le salon, et
découvre que tous ses mangas ont disparu de sa chambre. Son père, qui la suit
smartphone au poing et secondé par Athéna, la petite sœur, lui raconte un bobard
loufoque sur une association qui combattrait les tics de langage, et à qui il aurait fait
don de ses livres. La jeune fille semble exaspérée, elle tourne en rond, se retient de
25 jurer. Car peut-on laisser aller sa colère quand on sait que la vidéo va être regardée par
plus de 100 000 personnes sur YouTube ? Ça, c’est un canular censé être amusant,
dont les abonnés raffolent et qu’ils réclament en commentaire. On trouve ce type de
vidéos dans une infinité de déclinaisons, depuis « j’ai mangé tous tes bonbons » jusqu’à
faire croire à un enfant de 4 ans qu’il a réellement coupé la main de son père avec sa
30 scie en plastique, à l’aide d’une fausse main ensanglantée (et devinez quoi : oui, le
gamin pleure et tremble).

La loi Studer fixe un cadre légal pour assurer la sécurité de ces enfants
influenceurs, au même titre qu’en disposent les enfants mannequins ou
35 acteurs

Ces vidéos font des centaines de milliers de vues. Elles génèrent en conséquence
beaucoup d’argent pour les auteurs. Le trio composé de Michaël, Kalys et Athéna porte
un nom et une raison sociale : Studio Bubble Tea, 1,84 million d’abonnés sur YouTube.
40 Face à eux, une fratrie masculine : Swan et Néo, 11 et 18 ans aujourd’hui, Français eux
aussi. Ils sont arrivés un an plus tard, en 2015, mais ont écrasé leurs concurrentes avec
6,29 millions d’abonnés sur leur chaîne YouTube principale. Le principe des chaînes
est le même : des enfants qui jouent, semblent avoir une vie idéale tout en gagnant
beaucoup d’argent grâce à la publicité insérée durant ces films d’une dizaine de
45 minutes. Selon Envoyé Spécial en 2018, le revenu mensuel de Bubble Tea oscillait
entre 10 000 et 50 000 euros. Celui de Swan et Néo dépasserait les 100 000 euros.

En 2020, un député de la majorité, ancien prof d’histoire-géo, s’empare du sujet. Bruno


Studer estime qu’il faut un cadre légal pour assurer la sécurité de ces enfants
50 influenceurs, au même titre qu’en disposent les enfants mannequins ou acteurs.
Autrement dit, les enfants doivent disposer d’un agrément délivré par la préfecture
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pour travailler auprès de leurs parents, qui sont de fait… leurs employeurs. Ces
derniers doivent désormais respecter un nombre d’heures de travail hebdomadaire et,
surtout, placer une partie de l’argent généré par ce travail sur un compte bloqué au
55 nom de leur progéniture à la Caisse des dépôts et consignations, jusqu’à leurs 18 ans.
Une avancée majeure, qui s’est faite dans la douleur pour certains parents selon le
député, qui glisse avec un sourire : « Certains m’ont demandé, livides, si cette loi serait
rétroactive ! »

60 Kalys et Athéna, du Studio Bubble Tea, jouent sous une caméra placée par
leur père — Illustration Simon Lambert/Les Jours.

En réalité, ces parents n’avaient pas trop de souci à se faire. Non seulement la loi n’est
pas rétroactive, mais alors qu’elle a été votée en octobre 2020, le décret d’application
65 de l’article 1, sur l’encadrement du travail des enfants, n’a été publié qu’en
avril 2022. « Nous sommes les premiers au monde à avoir légiféré dans cette zone
grise », explique le député, qui reconnaît volontiers une mise en place molle. Au niveau
des préfectures, on est loin de l’emballement, selon Thomas Rohmer, directeur et
fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique
70 (Open). « Nous sommes en contact avec des préfectures qui attendent des formations
et des moyens humains pour pouvoir mettre en application la loi Studer. On est dans
l’ère de la communication et des lois symboliques, estime-t-il, faites pour calmer les
polémiques plus que pour opérer des choix de modèle sociétal. » Selon une
étude menée par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open),
75 3 % des parents diffusant des photos de leurs enfants sont influenceurs et 43 % d’entre
eux publient plusieurs vidéos par semaine. 60 % des parents influenceurs déclarent
avoir besoin jusqu’à une heure de temps de préparation et tournent deux à dix prises
avant publication. Pour 47 % des parents influenceurs, cette activité est leur seule
source de revenus.
80
Ses parents étant poursuivis pour escroquerie, Néo est, à 18 ans, à la tête
des sociétés familiales et peut-être, bientôt, le responsable légal de son
frère
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85 Cadre ou pas, l’envers du décor dans lequel évoluent ces enfants est loin de ce que
vivent leurs camarades de classe. Et pas seulement à cause des vidéos tournées qui, ils
le jurent tous la main sur le cœur, ne sont faites que si les enfants sont partants. « C’est
du jeu, on kiffe et on n’a jamais été forcés », justifie régulièrement Néo. Reste qu’avoir
grandi dans ce milieu a considérablement impacté sa vie, et même sa personnalité. Car
90 à 18 ans, le bac en poche, Néo est un millionnaire à la tête froide. Il est bien obligé de
la garder : après des années de cyberharcèlement durant son adolescence, il se trouve
à la tête des sociétés créées par ses parents et certainement, bientôt, le responsable
légal de son frère… puisque ses parents pourraient bien écoper de quelques années de
prison pour une affaire d’escroquerie qui ne concerne pas les enfants. Et en 2017, un
95 blog anonyme dédié à sa famille a révélé leur histoire en mêlant de fausses allégations,
leur adresse et leurs écoles, obligeant la famille à déménager et à changer les enfants
d’établissements suite aux menaces de mort auxquelles ils ont été confrontés. Pour se
défendre, la famille a embauché un cyberdétective privé et découvert que l’auteur du
blog n’était autre qu’une « autre chaîne famille », comme ils l’ont pudiquement
100 dénoncé, pendant que tous les commentaires bruissaient d’un nom : Michaël, de
Studio Bubble Tea, serait derrière le torchon bloguesque (ce qui n’a jamais été confirmé
ou infirmé par les intéressés). Quand on vous dit que c’est Santa Barbara…

105 Swan et Néo dans une vidéo où ils s’amusent à percer des bouées dans leur
piscine ; nombre de vues : 484 000 — Illustration Simon
Lambert/Les Jours.

C’est donc dans cette ambiance que les enfants se construisent, Néo jouant toujours
110 avec son frère dans leurs vidéos ludiques destinées à un public jeune, pendant que dans
la réalité, comme il le confiait dans une interview à JeremStar, il s’est retrouvé propulsé
dans le monde des adultes en prenant en main l’ensemble de l’entreprise et même de
sa famille, se promettant de « tout faire pour sortir [ses] parents du trou » et
de « protéger Swan » le temps que l’épisode judiciaire auquel la famille est confrontée
115 se trouve derrière eux (condamnés en début d’année à trois ans et demi de prison ferme,
ses parents ont fait appel).
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Ces enfants sont les stars de leur chaîne, et même s’il est difficile de connaître
aujourd’hui l’impact d’une enfance si particulière sur leur développement, ils
120 récolteront au moins le fruit de leur travail à leur majorité. Mais pour beaucoup
d’autres, les enfants de parents influenceurs, ce n’est pas le cas. Un autre article de la
loi Studer devait les protéger. Seulement, le décret de l’article 3 n’est toujours pas paru.
Celui-ci fournit un cadre aux influenceurs adultes faisant apparaître leurs enfants dans
leurs photos ou vidéos, comme l’explique l’avocat Raphaël Molina, du cabinet
125 Influxio : « Si des influenceurs génèrent des revenus de manière indirecte grâce à des
enfants, ils sont soumis à une déclaration préalable à déposer auprès de la Direction
départementale du travail. C’est un régime de déclaration préalable qui concerne
énormément de parents influenceurs, mais il n’est pas applicable sans ce
décret. » Pourtant, les observateurs de ce milieu, comme Audrey, la fondatrice de la
130 page Instagram Vos stars en réalité, constate que la mise en scène d’une grossesse puis
de la vie de famille est un véritable booster pour le business de ces influenceurs : « La
présence de l’enfant apporte de la valeur à l’influenceur, on peut donc estimer qu’il
s’agit d’un travail indirect. » Les marques sont aussi impliquées par cet article,
responsabilité leur étant donnée de réclamer cette déclaration préalable. Dans la réalité,
135 selon Raphaël Molina, elles s’en lavent souvent les mains, faute de parution du
décret. « C’est un processus compliqué » reconnaît Bruno Studer, qui ne lâche pas le
dossier, « car il faut fixer des seuils de présence et c’est difficile à déterminer. D’autant
plus que la loi implique le ministère du Travail, la Protection de l’enfance, le ministère
de la Santé et le ministère de la Culture. Il faut donc un chef de file, qui devrait être le
140 ministère du Travail ici, et qu’il parvienne à produire une version qui convienne aux
autres ministères. Comme on n’est pas stricto sensu dans une définition de la relation
de travail, c’est compliqué ». Et l’on comprend aussi en filigrane que ce n’est pas le
sujet de préoccupation majeur de ces ministères.

145 Depuis 2019, [Jazz et Laurent Correia] se permettent de montrer leurs


enfants nus dans leur bain ou embrassant les parents ou des amis sur la
bouche. Ils ne se rendent absolument pas compte que ces images sont
récupérées par les réseaux de pédopornographie.
Audrey, fondatrice du compte Instagram Vos stars en réalité
150
Pourtant, certains enfants peuvent apparaître plusieurs fois par jour dans les
captations de leurs parents. La grande gagnante toutes catégories confondues est sans
conteste Poupette Kenza, qui peut enchaîner 700 snaps par jour. « Sur une de ces
vidéos, on entend même sa fille, qui est pourtant petite, réclamer à sa mère de poser
155 son téléphone », soupire Audrey, du compte Insta Vos stars en réalité. Une boulimie
qui permet aux abonnées (les « poupettes ») de suivre pas à pas la journée de leur star,
provoquant des afflux de messages si elle coupe ne serait-ce que dix minutes. Mais là
encore, cette vie surexposée a eu des conséquences autrement importantes pour les
enfants : découvrant une bosse molle sur la tête de son bébé de neuf mois, Kenza a
160 partagé en temps réel la découverte et ses angoisses. L’enfant, dont elle assure que ni
elle ni son entourage ne l’a fait tomber, est finalement hospitalisé plusieurs jours pour
une fracture au crâne de 4 cm. À la fin des soins, les services sociaux, submergés de
messages d’alerte dénonçant le comportement de la jeune femme vis-à-vis de ses
enfants, lui retirent son bébé huit jours, le temps de mener une enquête approfondie.
165 Enquête qui semble avoir révélé qu’en dehors de son addiction aux réseaux sociaux,
Poupette Kenza n’est ni pire ni meilleure que les autres mères. Quand on vous dit que
c’est Dallas…
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170 Jazz Correia, mère de la JLC Family, fait apparaître ses enfants à longueur
de vidéos, sans préserver leur intimité — Illustration Simon
Lambert/Les Jours.

L’autre problème soulevé par ces influenceurs qui affichent leurs enfants, c’est le
175 manque de pudeur qu’ils peuvent avoir à leur égard. Jazz et Laurent Correia, de
la « JLC family », sont régulièrement épinglés pour cela. Audrey, qui les suit pour
vérifier la validité de leurs partenariats, a relevé que « depuis 2019, ils se permettent
de montrer leurs enfants nus dans leur bain ou embrassant les parents ou des amis
sur la bouche. Ils ne se rendent absolument pas compte que ces images sont
180 récupérées par les réseaux de pédopornographie. Et même si certains collent un
sticker pour cacher leurs parties intimes, il existe en réalité des logiciels pour les
retirer ». Voilà un autre volet, le respect du droit à l’image de l’enfant, auquel s’attaque
Bruno Studer actuellement, avec une nouvelle proposition de loi en cours
d’élaboration. « Nous devons nous intéresser à la question globale de la vie privée de
185 l’enfant. Que les pranks, que les blogs familiaux où les enfants ne sont pas dans une
relation de travail et échappent à la précédente loi fassent l’objet d’un cadre. »

L’article 4 fait particulièrement débat entre les deux Chambres : en cas de diffusion de
contenus « portant gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de
190 [l’enfant] », il prévoit une sanction spécifique à l’égard des parents, leur retirant
l’autorité parentale sur ce point précis de l’exercice du droit à l’image. Le Sénat l’a
refusé, puis ajouté un article prévoyant l’accord des deux parents pour « la diffusion
de contenus relatifs à la vie privée de l’enfant », jugé impossible à mettre en pratique
au quotidien par les députés. La commission mixte paritaire n’ayant pas abouti à un
195 accord, l’Assemblée nationale aura le dernier mot, Bruno Studer prévoyant de
réintégrer l’article 4. En même temps, on n’a jamais vu sujet plus éloigné des
préoccupations et du quotidien des sénateurs, qui n’ont qu’une toute petite conscience
de la réalité du secteur des influenceurs. Ce serait un peu comme leur demander un
avis sur Hélène et les garçons…
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Compréhension écrite

Document 1

1. Pourquoi cherche-t-on à légiférer sur le métier d’influenceurs ?

2. Donnez quelques exemples de dérives qui ont terni l’image des


influenceurs.

Document 2

3. Pour quelles raisons les enfants sont mis en avant par les parents sur les
réseaux sociaux ?

4. Quels sont les problèmes et les risques présentés dans l’article sur
l’utilisation de l’image des enfants sur internet ?
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Production orale

Comprenez-vous pourquoi des députés cherchent à légiférer ces métiers ?

Production écrite

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Sujet 1

Vous êtes représentant des influenceurs et vous écrivez un article pour


défendre votre métier à l’Assemblée nationale. Vous devez convaincre votre
auditoire que bien que certains influenceurs aient pu commettre des erreurs,
c’est aussi un métier qui a besoin de liberté pour se développer. (250 mots
minimum)
불어 숙달 II
Semaine 5 : Réseaux sociaux

Sujet 2

Vous faites partie d’une association de parents et vous écrivez un mail à


votre député pour lui signaler les abus commis par les influenceurs et les
résultats désastreux que ces derniers ont sur vos enfants. Vous devez le
convaincre de proposer un nouveau texte de loi sur les influenceurs
notamment pour protéger les enfants influenceurs et leur public. (250 mots
minimum)

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