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à L’Unicité de L’Existence
« Un Océan sans rivage »
M.Chodikiewicz
I- Introduction :
Dans leur soif inextinguible et leur amour éperdu de Dieu,
certains soufis, musulmans en particulier, partant de leur
intériorisation de l’unicité divine, (le grand tawhid), ont fini par
confondre l’aimé et l’amant.
Cette expérience, désignée depuis Al-Hallaj (244 H / 858),
sons le nom de « Wahdat Achouhoud », unicité du témoignage,
signifie que Dieu se témoigne lui-même, en son mystère, dans
le cœur du soufi, et ce à travers l’amour et le dialogue. Ce
dialogue dont l’aboutissement est l’accès de l’amant au « Je »
suprême, qui sans le détruire entend consommer, désormais, un
tel dialogue dans l’unité.
D’autres soufis par contre, tel qu’Ibn Arabi (560H/1165), tout
en intériorisant la même unité, et tout en éprouvant le même
amour, refusent toute identification de l’homme avec Dieu.
La seule identification possible avec Dieu, diront- ils, est celle
qui se réalise à travers la prière et dont l’issue est, ( pour les
prophètes et pour certains pôles de saints (Qotb) ), l’accès au
statut de l’homme parfait (Al- Insan, Al –Kamel), dans lequel
l’homme devient l’aimé de Dieu (Habib Allah) et le lieu de son
secret (Sirr Al Haq).
Aussi, préfèrent-ils parler d’unicité de l’existence « Wahadat
Al- Wujud » ; (le monisme existentiel), plutôt que d’unicité de
témoignage(1).
(*) - Communication présentée au colloque International sur L’Héritage Spirituel d’Ibn Arabi, CRIDSSH, Oran, 18-
19 Novembre 1990.
(1) - G. A. Anawati et Louis Gardet : la Mystique Musulmane, libranie, J. Vrin,,, Paris, 1968,p,83.
- Voir également : Abou- Al- Alâ Affifi : le Soufisme, la révolution spirituelle en Islam (en Arabe), le caire,
1963,pp,185,187.
C’est ainsi qu’ils ne virent dans le monde et tout ce qui y
existe, y compris l’esprit humain, que le reflet de la seule
existence réelle : Dieu.
N’ayant aucune profondeur existentielle, aucune densité
ontologique, l’existence empirique ne peut donc que s’abolir en
Dieu, qui seul, perdure.
(2)- Saed KHEMISSI : Cette rencontre entre Ibn Arabi et Ibn Rosb,publiée in Revue Cirta, université Mentouri,
Constantine, Algérie, Analyse du dialogue entre Ibn Arabi et Ibn Roshd, ( en arabe) No,12, 1999,pp,67-73.
Voir également Meftah Abdelbaki : Analyse du dialogue entre Ibn Arabi et Ibn Roshd ‘ manuscrtit en arabe,
Décrivant dans les détails la réaction que ces propos suscitèrent
chez son interlocuteur, Ibn Arabi rapporte que « Ibn Roshd
pâlit et, comme saisi de terreur, il s’assit et laissa apparaître sa
stupeur, comme s’il avait pénétré le sens de mes
allusions ».Commentant ce fameux dialogue entre Ibn Arabi et
Ibn Rochd, d’aucuns ont écrit :
« Dans cette réponse, Ibn Arabi voulait dire à Ibn Roschd : oui,
la raison conduit à ce à quoi conduit aussi le dévoilement (
l’illumination divine), mais jusqu’à une certaine limite. Cette
limite est celle à partir de laquelle le domaine de la raison
prend fin, passant, ainsi, de l’état d’instrument agissant
efficacement à l’état d’instrument en effervescence au service
du dévoilement de l’absolu. Cet instrument se libérant, dès lors,
du carcan des règles et des lois de la raison, telles les âmes se
libérant, du carcan des corps, après la mort. Voilà ce qu’Ibn
Arabi entendait dire à Ibn Roshd par l’envol des âmes quittant
leurs enveloppes matérielles et les nuques quittant leurs
encrages corporels. »(3).
Vingt ans après, lors d’une autre rencontre(*) qui le réunit cette
fois au Caire (1240) avec son célèbre soufi, Ibn El Faredh (m.
en 1204), Ibn Arabi, épris de ce grand théosophe, lui demanda
d’écrire un commentaire de son poème mystique « La tayya
Al-Kobra ». Devant la réponse énigmatique de son
interlocuteur « Qu’il n’y a pas mieux que tes « Futuhat », ce
fut, selon Al Maqquarri(4), Ibn Arabi qui se tu, cette fois.
Nous n’avons relaté ces deux événements de la vie d’Ibn Arabi
que dans le but de nous approcher du climat culturel dans
lequel sa pensée est née et s’est épanouie.
Guémar, Oued Souf, Algérie, Novembre, 2002. (*)-. Cette rencontre est contestée par certains chercheurs dont
Mefteh Abdelbaki.
(3)- Ibn Arabi : Al Futuhat Al Mecquyya, édition Boulaq, le Caire, 1329 de l’hégire ,P,9. (en Arabe).
(4) - Al Maquarri : Nafh attib… édition de Damas (sans date) (en Arabe)
Car, c’est précisément, comme on le verra au cours de cet
exposé, aux confins de tels courants philosophiques et
mystiques qui caractérisèrent le monde musulman au VIIè
siècle de l’hégire, que cette pensée mystico-philosophique se
situe.
Or, ce climat dont les deux événements précédemment cités
nous annoncent déjà la couleur, était en grande partie l’œuvre
de ces deux illustres interlocuteurs d’Ibn Arabi.
En effet, par son effort génial, Ibn Roshd avait réussi à la
faveur des Khalifes Almohades, notamment Abou Yakoub Al
Mansour, et de leur amour pour la philosophie, non seulement
à persévérer dans la voie de ses prédécesseurs, Ibn Baja
(Avempace m. en 1138) et Ibn Tofail (m. en 1185), mais à
réhabiliter la pensée philosophique dans le monde musulman à
la suite des assauts répétés qu’avait mené contre elle Abou
Hamid Al-Ghazali (m. en 111) sous le prétexte de ce qu’ils
considéraient comme déviation de certains philosophes
musulmans. Al-Farabi et Avicenne, par exemple, à force
d’emboîter le pas à Platon et à Aristote, avaient fini, selon lui,
par épouser leurs thèses, dont certaines contredisent
ouvertement les principes fondamentaux du crédo musulman.
De même qu’en Orient musulman et, à la même époque, Ibn El
Faredh, dans sa quête de l’unicité de l’existence, avait réussi à
son tour et grâce à l’encouragement de la dynastie ayyoubide
(1169-1250) qui succéda à la dynastie fatimide),à impulser au
soufisme, à travers son lyrisme à la gloire de la Bien-Aimée(5),
au courant mystique, plus qu’ébranlé après le martyre de
nombre de ses illustres figures, notamment Al-Hallaj(6) (m. en
922) et Suhrawardi (m. en 1190), un élan nouveau qui, des le
(5)- Cf. Mohammed Mustapha Hilmi : Ibn Al Faredh, Sultan Al Achiquine, Lajnat Attâalif, le Caire 1945 : (en
Arabe)
(6) - L. Massignon : Akbar Al Hallaj, Lib. J ; Vrin, Paris, 1975.
VIIè siècle de l’hégire, contribua à la modification de ses
thèmes, de ses méthodes aussi bien que ses objectifs.
C’est ainsi que, l’arrachant en particulier, de l’ornière de
l’Unicité du témoignage (Wahdat Achouhoud) qui, depuis le
IIè siècle de l’hégire ne l’a que trop accaparé, Ibn El-Faredh
contribua ainsi, à sa manière, à assurer au soufisme musulman
en général et à la doctrine de l’Unicité de l’Existence (Wahdat
Al Wujoud), en particulier, cette pérennité qu’on lui reconnaît
aujourd’hui.
Plus que sensible à ces courants philosophiques et mystiques et
préoccupé, comme tout musulman, et ce, dès son jeune âge, par
le problème du Tawhid, dont l’unicité de Dieu constitue le
grand acte, Ibn Arabi n’en constata pas moins que si les doctes
musulmans ont fini par faire perdre au Tawhid sa profondeur et
sa chaleur. Les philosophes musulmans ne l’ont pas moins
dilué à leur tour dans des argumentation et spéculations froides
qui n’ont rien à voir avec l’ardeur et le vécu de la foi.
Dès lors, son objectif sera la recherche non de la Science du
Tawhid (Ilm Attawhid), auquel on parvient par la croyance
aveugle ou par le raisonnement stérile, mais de l’essence du
Tawhid (Ayn Attawhid), auquel seul le cœur mène.
Convaincu cependant, et ce au même titre que tout soufi, qu’il
ne pourrait atteindre ce genre de Tawhid sans l’assistance
spéciale de Dieu (Fadhl), ce statut particulier, par lequel il
privilégie certaines de ses créatures en leur permettant de le
connaître de visu, et par constatation personnelle, Ibn Arabi
voua dès lors toute sa vie à la quête de cette faveur divine et de
ce Tawhid qui ne peut qu’en résulter.
Les multiples visions, en songe, du prophète Mohammad (que
la salut de Dieu soit sur lui et sur ses compagnons), dès l’âge
de vingt ans lui ordonnèrent de guider la communauté des
croyants dans la bonne voie(7) et ne firent que le renforcer
dans cette conviction.
Sillonnant depuis, l’occident et l’orient musulman ,(aux prises
respectivement avec les luttes constantes entre les Almohades
et leurs opposants en Afrique du Nord), et aux croisades,
événements au sujet desquels ni lui ni son prédécesseur Abou
Hamid Al Ghasali ne soufflèrent mot), à la recherche de ses
soufis, et traversé, de nouveau, par de nouvelles visions du
prophète et du Khidr(8), Ibn Arabi affirma enfin qu’il était
devenu, à la faveur de la miséricorde divine, l’objet d’une
réalisation spirituelle ascendante qui le mena jusqu’au Plérôme
Suprême (Al-Malâ Al Alâ) où, il vécut de visu l’expérience du
Haq (Dieu), la vérité des vérités et ce, avant de se voir investi
du titre d’héritier du Maquam Mohammadien(9).
Or, être l’héritier de ce Maquam (Station) c’est hériter du
Prophète le don des sagesses et des paroles totalisantes
(Jawami Al Hikam Wal-Kalim), càd, avoir la connaissance
parfaite, celle du multiple séparé de l’Un, de l’Un séparé du
multiple, ainsi que la connaissance simultanée et englobante
l’un et le multiple, et être ainsi le sceau (Khatem) de la sainteté
Mohammadiènne, sceau par lequel, Dieu scella la sainteté qui
provient de son héritage comme il a scellé par Mohammad
toute prophétie légiférante(10).
Aussi, loin de s’enfermer, comme l’ont fait tant de soufis
parvenus (Wassilin) dans cette expérience, Ibn Arabi considéra
qu’une telle attitude est incompatible avec la mission dont il se
sentit désormais chargé : guider les hommes dans la bonne
(7)- Ef : M ; Waslan : un texte du chikh Al Akbar sur la réalisation descendante, et, 1953, ?p, 137 et Ibn Arabi : Al
Futuhat, T, l, P, ? 134.
(8)- Al Khidhr : Mystérieux personnage qui, selon le Coran, personnifie la science ésotérique (All Ilm Alladouni)
(9) - Ibn Arabi : Al Futuhat, T, l,p, 78.
(10)- Ibn Arabi : Al Futuhat, T, l,p, 78.
voie, celle de Dieu et de son prophète, mission qui n’est
concevable que par une autre réalisation descendante cette fois,
la seule susceptible de le ramener de nouveau auprès de ces
hommes qu’il est appelé à conseiller et à guider.
Tel le prophète Mohammad qui, après sa réalisation spirituelle
ascendante lors de sa retraite au Mont Hira, retourna auprès des
hommes pour leur enseigner la vérité qu’il a vécue, tout saint
parfait doit donc faire de même.
C’est ainsi, qu’épris par son expérience de visu de l’Unicité
divine, Ibn Arabi, ne perçut désormais le monde et tout ce qui y
existe qu’à travers cette nouvelle dimension ontologique, celle
de l’Unicite de l’existence.
III- De l’unicité du témoignage à l’unicité de l’existence :
Il n’y a, proclama-t-il, dès lors, qu’une seule essence et qu’une
seule existence : Dieu.
La multiplicité, apparente des êtres et des choses n’est donc
qu’illusion ajouta-t-il.
Cependant, face à cette expérience de l’unicité du Haq (Dieu)
et celle du Khalq (le monde et les créatures) qui ne peut qu'en
découler, Ibn Arabi ne dira pas, comme nous le verrons plus
loin, qu’il est Al Haq, comme le fit Al Hallaj, mais qu’il est
simplement « Sirr Al-Haq » (Le Secret de Dieu).
La différence est de taille, car, aussi étroite qu’elle puisse
l’être, la relation entre Dieu et l’homme parvenu (Wassil) ne
signifie aucunement chez Ibn Arabi, ni identification avec lui
ni infusion ni annihilation en lui.
L’annihilation (Al-Fanâ) se limite donc, chez Ibn Arabi, à la
piété et à l’examen de conscience, l’homme restant homme et
Dieu, Dieu.
Toujours est-il que l’appartenance d’IBN ARABI au monisme
ontologique ne prête à aucun doute.
« Mes yeux n’ont vu que lui, et mes oreilles n’ont entendu que
sa voix ».(11)
Qu’Ibn Arabi n’ait jamais employé directement ce terme. Que
çà lui ait été imputé par ses détracteurs(12) ne change rien à
son adhésion totale à cette doctrine.
Que cette dernière l’ait hissé aux yeux des uns au point où ils le
considérèrent comme étant le grand maître (Al Chaykh Al
Akbar), le Platon de l’Islam, ou qu’elle l’ait abaissé aux yeux
d’autres au point où ils ne virent en lui qu’un « éffaceur de
l’Islam » « Mumit Eddine » cela ne l’a que trop peu détourné
d’elle.
Aussi, l’Unicité de l’existence, c à d de la réalité existentielle,
et non celle de celle de dieu, fut-elle pour Ibn Arabi ce que fut
l’amour pour Rabiaâ, le Dhikr pour Al Jouneid, l’esseulement
pour Ghazali et l’ittihad pour Hallaj.
Fruit d’une connaissance de Dieu par constatation personnelle
(Mushahada bil- -iyyane), cette doctrine n’est pas logique et
preuve, mais goût et vision.
Exprimée dans un langage ésotérique et incisif puisé dans le
symbolisme d’une langue arabe à l’apogée de sa vitalité, cette
doctrine où les débordements de l’imagination créatrice (cette
faculté qui subtilise le sensible et sensibilise le spirituel)(13), et
où les désirs ardents, les symboles, les irradiations
théophaniques, les visions, voire les illusions, et les paradoxes
se succèdent sans jamais se répéter, la doctrine akbarienne a
rendu perplexes tous ceux qui ont tenté de la pénétrer(14)
D’où ce nouveau vocabulaire que le soufisme a connu dès le
VIIè siècle de l’hégire et dont l’Unicité de l’existence,
(11)- Ibid : T, l, p, 604.
(12)- Ibn Arabi : Tadhkirat Al Khawaçç (la profession de foi) trad française, R. Deladrière, SINDBAD Paris,
1978, p, 23.
(13)- A. Moussali : Ibn Arabi au miroir des Fusus Al Hikam – conférence donnée au Diocèse d’Oran : 1 – 2
Décembre 1988.
(14)- Ibid.
l’Irradiation(Attajalli), l’Un et le Multiple, l’Homme Parfait
(Al Insan Al Kamil), le logos (Al Kalima), l’émanation
(assoudour), etc, ne sont que l’exemple.
D’où aussi ces thèmes nouveaux qui constituèrent pour la
première fois dans l’histoire du soufisme musulman, l’essentiel
de la pensée soufie… et ce tels que, l’émanation du multiple à
partir de l’Un, la relation de Dieu avec le monde et avec
l’homme, la réalité Mohammadienne, et la Sainteté Suprême.
Ce sont de telles nouveautés qui sont à l’origine de ces lectures
biaisées, d’Ibn Arabi, et de tant d’autres soufis musulmans, qui,
n’ayant vu en lui, qu’un gnostique.., un théosophe, ou encore
un taoïste(15) crurent ramener sa pensée à je ne sais qu’elles
sources hindous, monachistes (16) où plotiniennes(17).
Loin de discuter ici, les détails de ces lectures, nous nous
contenterons de n’en aborder que deux : celle qui confond Ibn
Arabi avec Plotin et celle qui le mêle au christianisme.
Pour ce qui est de la première nous dirons, tout d’abord, que la
théorie plotinienne de l’émanation n’est pas celle de
l’irradiation akbarienne, pas plus qu’elle ne prélude, comme le
fait cette dernière, à l’Unicité de l’existence.
Voilà ce qui explique, entre autre, que l’émanation du multiple
de l’Un s’effectue, chez Plotin, selon un mouvement rectiligne,
alors que l’irradiation, chez Ibn Arabi, s’effectue selon un
mouvement circulaire qui permet au multiple de retourner en
fin de compte à l’Un. Et, ce, conformément au crédo
musulman, alors qu’un tel retour est impossible dans le
mouvement rectiligne de Plotin(18).
(15)- Cf : Toshihico Tusutsu : Key Philosophical concepts in suffism and Toïsm, Tokyo, 1960
(16)- Cf :Asin Palacios : El Islam cristanizado, Madrid, 1931.
(17)- G.C.Anawati et L. Gardet : Mystique musulmane, Lib. J. Vin, Paris, 1968, p : 59.
(18)- A. Affifi : le soufisme : la révolution spirituelle en Islam, Dar El Maâif, le Caire 1963, pp, 197-201 (en
Arabe).
Quand à la seconde lecture, nous nous contenterons de dire,
tout simplement, que « l’incarnation, la trinité, qui constituent
l’essentiel du dogme chrétien, ne semblent se présenter, à Ibn
Arabi, que comme autant de mythes, au sens fort du
mot. »(19).
Aussi, et qu’elle qu’aurait pu être l’influence de ses sources,
elles n’ont que trop peu affecté la vision akbarienne du monde
qui reste une vision à dominantes islamiques.
Voilà ce qui poussa plus d’un penseur occidental à reconnaître
que « la supposition, toute gratuite, d’une origine étrangère,
grecque , perse ou hindoue, est contredite formellement par le
fait que les moyens d’expressions, propres à l’ésotérisme
islamique, sont étroitement liés à la constitution même de la
langue arabe ».
Aussi, « s’il y a incontestablement des similitudes avec les
doctrines du même ordre qui existent ailleurs, elles
s’expliquent tout naturellement, et sans qu’il soit besoin de
recourir à des emprunts hypothétiques, par le fait que la vérité
étant une, toutes les doctrines traditionnelles sont
nécessairement identiques en leur essence. Et ce, qu’elle que
soit la diversité des formes dont elles se revêtent… »
« Bref, le soufisme est arabe, comme le Coran lui même, dans
lequel il a puisé ses principes… »
« Faut-il ajouter, encore, qu’il n’y a, en arabe, aucun mot par
lequel on puisse traduire, même approximativement, celui de
mysticisme », tellement l’idée de celui-ci représente quelque
chose d’étranger à la pensée islamique »(20).
Autrement, comment expliquer cette nouvelle orientation,
typiquement musulmane, que la théorie du monisme existentiel
avait prise avec Ibn Arabi. Et que cette orientation modifia,
comme on l’a souligné plus haut, profondément ses termes
(31)- A. Affifi : la mystique p, 200.(30)- O . Yahya : Ibn Arabi, in Encyclopédia universalis, 3 Publication, Vol,
,
8, Paris, 1972, pp, 696-698.
(32)- Ibn Arabi : Fuçus… (S de Zacharie).
Se démarquant, ainsi, de tout dualisme et de tout infusionisme,
Ibn Arabi ne fit que confirmer son attachement au Crédo
musulman. Il l’a soustrait aux syllogismes stériles et aux
argumentations froides des fukahas et des philosophes pour lui
redonner sa chaleur et sa profondeur dans le cœur de tout
musulman.
Qu’elle est donc la nature du rapport de Dieu avec le monde et
les êtres ?
Ce rapport, nous répond Ibn Arabi, est le même que celui du
miroir et de l’image qu’il reflète.
Car, le statut existentiel de tout ce qui est autre que Dieu est
d’être le lieu d’apparition de l’Etre, les formes où le Divin
révèle son existence à ses créatures et se révèle à lui même.
Dieu est cette infinité de miroirs épiphaniques dans lesquels sa
gloire se reflète (S. de Jacob S. de Shu’ayb. S. d’Abraham).
En effet, selon Ibn Arabi, Dieu n’ayant créé le monde et tout ce
qui y existe que dans le but de lui servir de lieu de
manifestation (Tajalli), le rôle de ces derniers est donc
semblable à un ensemble de miroirs théophaniques où ses
noms se déterminent et reflètent son irradiation. (S. de jacob).
Cependant, cette interpénétration entre Dieu et le monde,
(l’univers), qui fait de Dieu le Haq par origine et le khalq par
emprunt, ne signifie, comme on l’a vu, ni dualisme, ni mélange
ni infusionisme. Et, ce, pour la seule raison que si l’univers
était l’essence de Dieu, ce dernier perdrait l’attribut de créateur
de ce même univers.
Aussi, pour Ibn Arabi, l’acte par lequel l’existé vient à
l’existence doit-il être distingué de l’existé en soi, quant à son
essence et à sa propre nature(33).
Comment, dès lors,, concilier cette unicité de la vérité
existentielle, (qui ne doit pas être confondue avec l’unicité de
Dieu), avec la multiplicité des êtres et des choses ?
(53)- Cf : Zaki Moubarek, Attasawouf al Islami, édit, Arrisala, le Caire 1938, T, l, pp, 160- 250 (en Arabe).
Plus de sept siècles après la disparition du chikh Al Akbar,
cette hostilité n’en demeure pas moins vivace, comme le
prouve la récente tentative, heureusement avortée , de
l’assemblée du peuple en Egypte (Février 1972), d’interdire la
poursuite de la publication des Futuhat Al macquyya (les
révélations mécquoises).
De leur coté, certains philosophes arabo-musulmans,
notamment parmi ses contemporains et successeurs, tels Ibn
Roshd, et Ibn Khaldoun(54) , n’ont vu dans la doctrine
Akbarienne de l’unicité de l’existence qu’une de ces locution
théophaniques (Shatahat) auxquelles les soufis ne nous ont que
trop habitués. Car, malgré ses apparences philosophiques, cette
doctrine laisse, selon eux, et entre autres, entiers, le problème
du mal, de la causalité, de la connaissance et de la liberté
humaine.
V- Conclusion :
Cependant, et quelles que furent et demeurent les avis des uns
et des autres, au sujet d’Ibn Arabi et de sa doctrine, elles n’ont
que trop peu affecté l’influence qu’elle a exercée, et quelle
exerce toujours, sur plus d’un philosophe et d’un Soufi, et ce,
dans le monde musulman et ailleurs, notamment sur Dante
(Voir Nicholson(55), A. Palacios), T. d’Avila, de Jean de
Lacroix(56) (M. 1591le poète suédois, Gunnar Ekelof( mort en
1968).
C’est dire, qu’on approuve le chikh Al Akbar ou qu’on le
désapprouve, on ne peut, cependant, lui rester indifférent.
Car, face à ce monde céleste dont les resplendissements des
lumière n’ont d’égal que l’engouement que provoquent son
(54)- Ibn Khaldoun : Al Mouquaddima… ;
Dar Al Kitab Alloubnani (Beyrouth) 1982, p, 875 (en Arabe).
(55)- Cf : R. A. Nicholson, The Mystics of Islam..
- A Palacios : la eschatologia musulmana en la divina comedia, Madrid Grenada, 2 ; édition, 1943, et Z.
Moubarak… Attasaouf Al Islami.
(56)- H. Teissier : Ibn Arabi et Jeans de la Croix, Rev. Phoros, studiès in spirituality 1/1991. Neetherlands.
paysage et ses images, ce monde peuplé d’anges et de
prophètes où seule la majesté divine domine, ce monde vers
lequel Ibn Arabi ne nous transporte que pour nous prendre à
témoin du plérôme Suprême aux abords duquel il affirme avoir
été investi du Maquam Mohammadien, et de la vasque
(haoudh), à l’eau bénite de laquelle il assure s’être abreuvé, qui
pourrait rester insensible ?