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1 Ahl-‐e haqq sera abrégé ici en A.H. Sur cette communauté religieuse cf. les articles de l'Encyclopédie de
l'Islam,
par
W.Minorsky
(1960)
et
Martin
Van
Bruiness
(2009),
ainsi
que
M.R.
Hamzeh'ee
(1990).
2
La
place
des
nazr
est
centrale
surtout
chez
les
A.H.
de
la
région
de
Sahne
du
clan
Shâh
Hayâsi,
ainsi
que
chez
les
Atesh
Bagi.
Elle
l’est
nettement
moins
parmi
d’autres
groupes
comme
les
Gurâns.
3
Sur
les
nazr
et
les
modalités
de
la
bénédiction
(:
94-‐100).
Une
autre
description
des
rites
de
50
En
dehors
de
ces
célébrations
annuelles,
les
adeptes
font
des
offrandes
(xedmat,
ou
plus
souvent
de
simples
niâz)
à
des
occasions
personnelles.
Ils
peuvent
apporter
eux-‐mêmes
les
niâz
ou
donner
de
l’argent
destiné
à
la
caisse
du
jam
et
qui
sera
utilisé
à
l’achat
de
nazr
ou
niâz.
Ce
qui
peut
être
offert
en
nazr
et
niâz
Il
y
a
dix
choses
qui
peuvent
être
l’objet
du
rite
du
sacrifice
(qorbâni)
:
le
chameau,
le
bovidé
domestique,
le
mouton
domestique,
le
coq,
le
mouton
et
bovidé
sauvage,
la
noix
de
muscade,
la
pastèque,
la
galette
gerde,
le
poisson.
Les
A.H.
distinguent
quatre
sortes
"sanglantes"
(chameau,
bovidé,
mouton,
coq),
quatre
sortes
non
sanglantes
(poisson,
grenade,
noix
de
muscade,
gerde)
(BH
:
100).
Dans
ce
protocole,
qui
comporte
la
prière
du
couteau
et
la
prière
de
la
nappe
(sofre),
on
“coupe
la
tête”
de
la
muscade,
de
la
grenade
4
et
on
la
réduit
en
morceaux.
Cinq
produits
ne
sont
pas
considérés
comme
qorbâni
mais
sont
bénis
selon
le
même
protocole.
Ce
sont
:
le
melon
d’eau
(xarboze),
le
sucre,
le
sel,
les
amandes,
le
qâvit
(une
poudre
de
graines
grillées)
(BH
:
101).
Pour
les
niâz
et
shokrâne,
il
n’y
a
pas
prière
du
couteau,
de
prière
de
la
nappe,
ni
de
takbir
final.
Le
protocole
est
plus
simple
et
l’on
peut
bénir
toutes
sortes
d’aliments
cuits
ou
crus,
à
l’exception
de
ceux
appartenant
à
la
catégorie
précédente
et
qui
doivent
être
consacrés
selon
un
autre
protocole.
Le
principe
général
est
qu’on
ne
peut
consacrer
ce
qui
est
illicite,
a)
dans
le
sens
alimentaire
(nourriture
illicite),
b)
au
sens
moral
(on
ne
peut
faire
un
nazr
d’un
animal
volé),
c)
au
niveau
de
l’intention
(on
ne
peut
faire
un
nazr
afin
d’obtenir
quelque
chose
d’illicite).
Tout
nazr
doit
être
agréable
à
manger
et
non
préjudiciable
à
la
santé,
cependant,
par
tradition,
on
ne
donne
pas
en
nazr
des
mets
amers
ou
piquants
comme
les
pickles.
Les
niâz
sont
le
plus
souvent
des
fruits
ou
des
douceurs.
Les
animaux,
comme
les
autres
mets,
doivent
être
de
la
meilleure
qualité
5
et
achetés
sans
gaspillage,
mais
avec
générosité.
Les
aumônes
simples
s’accomplissent
sans
rituel,
car
elles
relèvent
des
pratiques
de
la
shari’at
islamique.
Toutefois
si
un
adepte
fait
voeu
de
donner
une
somme
d’argent
en
aumône,
au
nom
de
Dâwud
par
exemple,
avant
de
le
distribuer,
il
peut
demander
à
un
seyyed
d’accomplir
une
prière
sur
cet
argent,
de
façon
à
“l’inscrire
au
compte
de
Dâwud”.
Il
peut
aussi
faire
bénir
un
repas
en
niâz
et
le
donner
aux
nécessiteux.
Le
protocole
de
bénédiction
La
bénédiction
des
nazr
et
niâz
doit
se
faire
par
un
seyyed
ou
un
xalife,
c’est
à
dire
un
adepte
qui
a
reçu
l’autorisation
du
pir
de
son
clan.
Le
seyyed
peut
être
un
enfant,
mais
traditionnellement
il
ne
doit
pas
avoir
moins
de
sept
ans.
En
cas
de
force
majeure,
si
un
simple
adepte
(ou
même
une
adepte)
est
obligé(e)
de
manger
un
nazr
accompli
selon
la
shari’at
musulmane,
il
ou
elle
a
le
droit
de
le
bénir
par
une
simple
prière.
En
cas
d'obligation,
on
peut
former
un
jam
avec
deux
personnes,
mais
le
minimum
est
trois,
et
la
coutume
est
de
réunir
cinq
personnes,
dont
un
seyyed
(ou
xalife)
et
un
servant
(xâdem)
qui
reste
debout
et
circule
éventuellement
entre
le
cercle
et
la
cuisine.
Les
autres
adeptes
sont
assis
en
cercle.
Lorsque
le
xâdem
dit
:
hu
avval
o
âxar
yâr
(“mon
commencement
et
ma
fin
sont
l’Ami”),
le
rite
est
ouvert,
et
l’on
ne
peut
plus
bouger
ou
se
lever
avant
la
prière
de
conclusion
moraxxasi,
(do’â-‐ye
roxsat).
(De
même
si
un
zekr
est
fait
pour
une
demande,
personne
ne
doit
se
lever,
alors
que
s’il
s’agit
d’un
zekr
dévotionnel,
il
est
possible
de
se
lever).
4 M. Van Bruinessen fait observer que chez les A.H. du clan Yâdegâri, l’usage du couteau dans l’offrande
sacrificielle
de
la
grenade
est
considérée
comme
une
répétition
de
l’assassinat
de
Bâbâ
Yâdegâr.
Aussi
en
présence
des
Yâdegâri,
les
autres
clans
ne
sacrifient
jamais
la
grenade.
5
Ce
sont
aussi
des
critères
du
kasherot.
51
Le
xedmat
Compte
tenu
de
la
place
qu’il
occupe
dans
les
offrandes
et
dans
les
assemblées
jam,
on
décrira
brièvement
la
nature
du
xedmat.
Il
s’agit
d’un
repas
comportant
un
coq
d'au
moins
six
mois,
du
riz,
du
pain,
de
la
graisse
animale,
en
quantité
prescrite6.
La
cuisson
du
xedmat
est
le
privilège
des
femmes
et
s'accomplit
avec
gravité
et
concentration.
Le
coq
est
bouilli
dans
l’eau
salée,
le
riz
est
préparé
selon
une
recette
précisément
définie
car
il
n'est
pas
même
permis
d'y
goûter.
Puis
le
tout
est
apporté
dans
le
cercle
des
hommes
initiés
(sar-‐seporde).
Un
seyyed
prononce
un
certain
nombre
de
bénédictions
à
chaque
phase
du
rituel,
et
dépiaute
le
ou
les
coqs,
assisté
d'auxiliaires
(xâdem),
ce
qui
peut
prendre
une
heure
de
temps.
On
détache
délicatement
les
chairs,
en
enlevant
les
gros
vaisseaux
sanguins,
et
en
mettant
les
os
et
les
cartilages
de
côté.
La
viande
est
malaxée
à
la
main
dans
le
bouillon
de
cuisson,
et
les
abats
et
la
peau
déchirés
en
petites
parcelles,
de
sorte
que
toutes
les
parts
distribuées
soient
équivalentes
et
que
personne
n’ait
une
partie
du
coq
plus
ou
moins
prisée.
Tout
ce
qui
est
mangeable
est
ainsi
consommé.
Les
os
et
les
cartilages,
une
fois
salés,
sont
croqués
sucés
par
ceux
qui
le
désirent
à
la
fin
du
repas,
car
ils
possèdent
leur
saveur
propre.
Durant
le
dépiautage
des
coqs,
les
participants
peuvent
faire
des
zekr
et
chanter
des
hymnes.
Il
est
possible
qu’un
petit
groupe
seulement
s’occupe
des
bénédictions
et
de
la
préparation,
tandis
que
l’assemblée
attend
en
silence
ou
en
chantant
des
zekr.
Dans
le
sacrifice
(qorbâni),
toutes
les
parties
licites
sont
séparées
sans
que
les
os
soient
brisés
7
et
le
tout
est
bouilli
dans
de
l'eau
salée.
Dans
le
passé,
on
recueillait
environ
un
sir
(75
grammes)
du
premier
jet
de
sang
de
l’animal
sacrifié,
on
le
bénissait
avec
les
offrandes
puis
on
l'enterrait.
Certains
même
le
buvaient,
malgré
l’interdit
islamique,
mais
cette
coutume
désapprouvée
a
disparu.
De
nos
jours,
le
sang
doit
être
versé
sur
la
terre,
les
os
et
cornes
ou
les
plumes
enterrées,
mais
la
peau
est
un
droit
qui
revient
au
xalife
8.
Le
xedmat
ainsi
que
les
galettes
gerde
(faits
uniquement
de
babeurre,
sel,
farine
et
eau)
sont
censés
exister
depuis
des
temps
immémoriaux,
sous
des
formes
voisines
9.
En
ce
qui
concerne
les
niâz
et
les
shokrâne,
la
bénédiction
ne
prend
pas
plus
de
cinq
minutes
environ,
et
n’est
pas
accompagnée
de
zekr
et
de
chants.
Statut
de
l’offrande
bénie
Le
offrandes
bénies
peuvent
être
consommées
par
des
non
A.H.,
et
en
priorité
par
les
nécessiteux,
à
condition
qu’ils
les
respectent
comme
il
se
doit
et
qu’ils
n’aient
pas
mangé
quelque
chose
d'illicite
avant,
car
il
faut
préserver
le
nazr
ou
niâz
de
tout
contact
avec
l’impur
et
l’illicite
;
s’il
est
gâté
il
faut
l’enterrer
ou
le
donner
aux
animaux,
mais
il
ne
faut
pas
le
jeter
avec
les
ordures
à
moins
de
l’emballer
soigneusement.
Celui
qui
reçoit
un
nazr
le
prend
des
deux
mains
(ou
seulement
de
la
main
droite)
et
l’embrasse
en
signe
de
respect.
Il
considère
que
sa
part
est
la
sienne
en
propre,
telle
que
le
sort
la
lui
a
octroyée,
et,
de
ce
fait,
il
ne
peut
pas
l’échanger.
L’adepte
est
libre
de
ne
pas
le
manger
et
de
le
donner
à
quelqu’un
d’autre,
mais
dans
ce
cas,
par
respect,
il
en
prélève
une
parcelle
pour
lui
afin
de
bénéficier
de
son
“effet”,
qui
ne
dépend
pas
de
la
quantité
consommée.
Bien
qu’il
soit
préférable
de
le
manger
en
entier,
la
consommation
du
nazr
ne
comporte
pas
de
mérite
particulier
(AoH,
n°
1632).
Il
est
de
coutume
de
demander
une
part
pour
les
parents
proches
qui
sont
absents,
car
non
seulement
ils
6
3
kg
de
riz,
750
g
de
beurre
fondu
et
clarifié,
3
kg
de
pain,
du
sel.
7
Une
prescription
que
l’on
trouve
dans
le
judaïsme.
8
Chez
les
Hébreux
également,
les
os
étaient
enterrés
et
la
peau
revenait
au
prêtre.
9
Certains
font
le
parallèle
entre
les
gerde
razbâri
et
le
pain
azyme.
Le
fait
est
plutôt
que
les
Hébreux
faisaient
des
offrandes
de
farine
et
d’huile.
52
profiteront
des
bienfaits
du
nazr,
mais
le
fait
que
l’on
ait
pensé
à
eux
dans
le
jam
est
une
manière
de
les
y
rendre
présents.
Les
fonctions
du
nazr
Le
but
le
plus
élevé
du
nazr
est
d’obtenir
la
satisfaction
de
Dieu
par
un
acte
méritoire
accompli
avec
une
intention
juste,
sans
ostentation
et
sans
rechercher
un
avantage
matériel
ou
moral.
A
cette
définition
correspondent
les
nazr
suivants
:
NAZR
“DEVOTIONNELS”
ET
“COUTUMIERS”.
Ce
sont
des
offrandes
qu’on
s’impose
soi-‐même
à
des
dates
régulières,
pour
un
saint
ou
pour
un
défunt.
Un
exemple
en
est
le
nazr
de
Teymur,
que
quelques-‐uns
font
encore,
consistant
en
une
petite
somme
d’argent.
DON
ET
CHARITE
AUX
NECESSITEUS.
Les
A.H.
ne
s’acquittent
pas
des
impôts
islamiques,
mais
selon
eux,
leurs
nazr
remplissent
entre
autre
cette
fonction.
Beaucoup
de
pauvres
(éventuellement
non
affiliés)
bénéficient
de
l’abondance
des
repas
d’offrande
et
emportent
des
parts
pour
toute
leur
famille.
Il
arrive
aussi
que
des
bêtes
soient
sacrifiées
spécialement
pour
les
pauvres.
En
dehors
de
cette
catégorie,
le
nazr
peut
avoir
des
destinations
et
des
fonctions
plus
concrètes.
OFFRANDE
D’ACTION
DE
GRACE,
PROPITIATOIRE
ET
CONTRE
LE
MAUVAIS
ŒIL.
Le
nazr
qui
est
accompli
lorsqu’on
a
reçu
un
bienfait
matériel
(acquis
un
maison,
une
voiture,
trouvé
un
travail,
eu
un
enfant,
etc.)
a
le
sens
d’une
action
de
grâce,
mais
il
peut
aussi
se
comprendre
comme
une
demande
implicite
de
protection,
et
peut-‐être
même
comme
une
manière
d’éviter
que
ce
bien
soit
l’objet
du
mauvais
œil
(suscité
aussi
bien
par
l’envie
que
par
l’admiration).
Le
sens
de
la
coutume
du
mozhde
est
peut-‐être
le
même
:
le
porteur
d’une
bonne
nouvelle
demande
un
cadeau
(mozhde).
Dans
les
hymnes
chantés
dans
les
jam,
ce
terme
(en
kurde
mezgân),
revient
souvent
et
signifie
:
“Le
Roi
est
arrivé”,
faites
des
dons.
Dans
ce
cas,
il
s’agirait
d’une
forme
de
shokrâne,
offrande
que
l’on
fait
en
marque
de
gratitude
pour
un
état
spirituel
(hâl)
ou
une
extase,
et
qui
a
l’avantage
de
faire
partager
cette
grâce
en
la
prolongeant
en
bénédiction
et
en
la
concrétisant
par
un
met
consacré
distribué
aux
autres.
D’une
manière
générale,
la
bénédiction
est
considérée
comme
une
manière
d’attirer
la
grâce
sur
un
lieu
et
sur
les
participants.
(C’est
pour
cela
aussi
qu’on
la
pratique
sur
le
lieu
où
l’on
vient
d’emménager.)
Il
est
recommandé
de
ne
pas
quitter
un
lieu
lorsqu’on
sait
qu’une
bénédiction
est
sur
le
point
d’y
être
faite,
afin
ne
pas
être
privé
de
son
bienfait,
lequel
prend
aussi
une
forme
concrète,
puisque
toutes
les
personnes
présentes
doivent
recevoir
une
part
bénie.
REPARATION
D’UNE
FAUTE.
Le
nazr-‐e
kaffâre
ou
compensatoire,
consiste
en
une
somme
modique
donnée
en
cas
de
faute
involontaire,
comme
par
exemple
lorsque
la
ceinture
se
défait
durant
le
rituel.
Il
semble
toutefois
que
certaines
fautes
plus
graves
—mais
apparemment
encore
d’ordre
rituel—
puissent
être
rachetées
par
une
offrande.
Ainsi,
un
adepte
récemment
intronisé
(sarseporde)
avait
mangé
du
porc
par
négligence
et
par
indifférence
envers
les
prescriptions.
Pour
cette
faute
son
pir
lui
prescrit
de
faire
l’offrande
d’un
mouton.
ACQUITTEMENT
D’UNE
DETTE.
Dans
le
cas
où
l’on
ne
peut
s’acquitter
d’une
dette
envers
quelqu’un,
il
est
recommandé
de
faire
un
nazr
ou
niâz
en
son
nom,
pour
un
montant
équivalant
à
la
dette.
Ainsi
le
débiteur
se
décharge
de
sa
dette
en
créditant
le
“compte
spirituel”
du
créancier
à
qui
revient
le
bénéfice
de
l’offrande.
Un
adepte
rapporte
l’histoire
suivante
:
53
«
En
roulant
sur
une
route
peu
fréquentée,
j’avais
heurté
un
troupeau
de
chèvres,
mais
craignant
que
le
berger
me
fasse
des
ennuis,
j’avais
poursuivi
ma
route.
Lorsque
je
rapportai
ce
fait
à
mon
pir,
il
me
conseilla
vivement
de
repartir
et
de
trouver
le
berger
pour
le
dédommager.
L’accident
avait
eu
lieu
à
plus
de
mille
kilomètre
de
là,
et
y
retourner
était
toute
une
affaire.
De
plus,
il
était
quasiment
impossible
de
retrouver
le
berger,
puisque
par
définition,
les
troupeaux
se
déplacent
continuellement.
Le
pir
me
dit
de
faire
l’impossible,
et
que
si
je
ne
le
trouvais
pas,
il
faudrait
faire
une
offrande
d’une
belle
chèvre
au
bénéfice
du
berger.
Finalement
je
refis
le
voyage
un
mois
plus
tard,
et
après
des
heures
passées
à
interroger
tous
les
bergers
de
la
région,
je
trouvai
celui
dont
j’avais
tué
une
chèvre.
Il
refusa
tout
dédommagement,
et
commença
même
à
se
fâcher
lorsque
j’insistai,
car
un
bon
musulman
n’accepte
pas
de
dédommagement
pour
un
dommage
commis
involontairement
par
autrui.
Néanmoins
je
fis
l’offrande
d’une
chèvre
pour
lui.
»
DEMANDE
(HAJAT)
ET
OFFRANDE
VOTIVE.
Le
nazr
peut
être
fait
pour
demander
quelque
chose
de
précis
qui
soit
licite,
raisonnable
ou
possible.
(Par
exemple,
si
la
personne
rêve
qu’elle
doit
offrir
un
cheval,
une
girafe
ou
cent
moutons
en
nazr,
elle
ne
doit
pas
en
tenir
compte...).
On
dit
pourtant
que
même
les
voleurs
d'obédience
A.H.
donnent
des
nazr
pour
Dâwud
(l’intercesseur)
afin
qu’il
les
aide
à
réussir
leur
coup
!
On
raconte
qu’un
voleur
était
poursuivi
par
celui
qu’il
avait
volé.
Il
formula
à
haute
voix
l’intention
de
faire
un
niâz,
et
aussitôt
la
distance
se
creusa
avec
son
poursuivant.
Celui-‐ci
à
son
tour
fit
l’intention
d’un
don,
et
il
se
rapprocha
dangereusement
du
voleur.
Le
scénario
se
reproduisit
comme
dans
un
film
comique...
On
rapporte
aussi
des
cas
où
l’animal
sacrifié
a
été
volé,
ce
qui
constitue
une
faute
extrêmement
grave.
Les
mystiques
A.H.
méprisent
les
“offrandes
en
suspens”
(mota’alaq)
où
l’on
s’engage
à
faire
un
nazr
à
condition
que
l’on
obtienne
d’abord
ce
que
l’on
désire.
Ils
recommandent
de
faire
les
nazr
de
demande
en
état
de
soumission,
c’est-‐à-‐dire
en
étant
satisfait
du
résultat,
quel
qu’il
soit.
Sous
ces
conditions,
les
offrandes
peuvent
être
faites
pour
des
demandes
très
diverses.
Ainsi,
un
saint
A.H.
fit
une
offrande
afin
que
le
luthier
réussisse
la
phase
finale
de
la
confection
d’un
luth
sacré
(tanbur)
qui
est
la
pose
de
la
table.
L’exemple
le
plus
courant
d’offrande
de
demande
est
celle
des
deux
shâhi
de
Dâwud
(environ
1
euro)
que
font
les
adeptes
avant
de
partir
en
voyage.
Un
mythe
ancien
fait
remonter
cette
pratique
à
un
ordre
de
Soltân
10
investissant
Dâwud
de
la
mission
d’intercession.
Il
est
sollicité
dans
toutes
les
affaires
comportant
un
danger,
d’où
son
surnom
fariâd
ras
“celui
qui
répond
aux
appels”.
On
raconte
qu’un
garçon
tomba
dans
un
ravin.
Son
père
le
vit
tomber
et
invoqua
Dâwud
en
faisant
serment
de
lui
offrir
un
bœuf
s’il
sauvait
son
fils.
Quand
il
releva
le
garçon,
il
constata
qu’il
était
légèrement
blessé
et
se
plaignit
à
Dâwud
en
disant
:
“puisque
tu
ne
l’as
pas
complètement
protégé,
je
ne
te
donnerai
pas
d’offrande”.
La
nuit
il
vit
en
rêve
Dâwud
qui
lui
montra
comment
la
blessure
était
survenue
au
début
de
la
chute,
juste
avant
que
le
père
l’appelle
au
secours.
Alors
il
fit
de
bon
cœur
l’offrande
de
son
bœuf.
Cette
histoire
veut
montrer
comme
les
Anciens
étaient
fermes
et
simples
dans
leur
foi,
comment
les
saints
leur
répondaient
et
à
quel
point
le
compte
des
offrandes
est
précis
et
efficace.
Souvent,
l’offrande
est
faite
à
la
suite
d’un
rêve
prémonitoire
ou
de
mauvais
augure.
On
considère
le
rêve
comme
une
incitation
à
la
réalisation
d’une
offrande
dont
le
résultat
sera
10 Soltân Sahâk (ou Es'hâq), révéré comme une théophanie, officialisa la voie A.H. et en fixa la doctrine
et
les
règles
au
XIVe-‐XVe
siècle.
La
tradition
rapporte
qu'il
donna
l’ordre
à
Dâwud
de
sauver
Benyâmin.
Puis
deux
pièces
restent
dans
les
plis
de
son
manteau,
et
depuis
lors,
on
pratique
l’offrande
de
deux
shâhi.
Cf.
Ivanow
(:
81).
54
d’atténuer
ou
même
d’annuler
un
sort
fâcheux.
Il
est
recommandé
de
faire
l’offrande
d’une
certaine
somme
d’argent
dès
le
réveil,
et
en
quantité
suffisante
pour
calmer
son
inquiétude.
Lorsqu’un
groupe
entier
est
menacé
par
un
danger
matériel
ou
spirituel,
on
réunit
une
somme
d'argent
pour
“faire
barrage”
(barebandi)
avec
l’aide
de
Dawûd.
FONCTION
ESCHATOLOGIQUE
DU
SACRIFICE.
Si
les
nazr
s’inscrivent
dans
un
système
de
relation
et
d’échange
entre
les
hommes
et
les
entités
du
monde
spirituel,
il
y
a
cependant
un
point
concernant
le
sacrifice
des
animaux
qui
relève
d’un
autre
système
de
référence.
La
cosmogonie
A.H.
intègre
le
principe
du
mouvement
transsubstantiel
tel
que
les
théosophes
chiites
l’ont
développé
à
partir
de
Mollâ
Sadrâ
Shirâzi.
Ainsi,
pour
les
mystiques
de
la
communauté,
le
perfectionnement
de
chaque
règne
(minéral,
végétal,
etc.)
est
la
condition
du
passage
au
règne
suivant.
Dans
l’échelle
cosmique
de
perfection,
les
animaux
licites
sont
plus
avancés
que
les
autres,
et
le
fait
de
les
manger
les
fait
“avancer”
encore.
Lorsqu’ils
sont
sacrifiés
rituellement
ils
avancent
beaucoup
plus
vite,
et
au
terme
de
leur
avancement,
leur
âme
vitale
permet
l’élaboration
de
l’âme
vitale
de
l’homme
dans
sa
constitution
animale
(bashar)
qui
doit
recevoir
l’âme
céleste
(malakuti).
On
dit
que
le
corps
physique
de
certains
saints
provient
des
âmes
vitales
d’animaux
sacrifiés,
ce
qui
leur
confère
une
sacralité
constitutionnelle,
indépendamment
de
leur
essence
11.
SACRIFICE
DE
SOI.
Une
telle
approche
du
sacrifice
animal
repose
la
question
du
sacrifice
humain,
qui,
comme
le
note
Ivanow,
n’est
pas
si
rare
qu’on
croit
dans
certaines
religions
(:
87),
encore
que
l’interprétation
de
ces
pratiques
requière
la
plus
grande
prudence.
Chez
les
A.H.,
il
ne
subsiste
de
ce
type
de
sacrifie
qu’une
image
purement
symbolique,
mais
non
dépourvue
de
consistance.
L’exemple
d’Abraham
n’a
rien
perdu
de
sa
pertinence
comme
modèle
de
soumission
et
de
renoncement.
Pour
les
mystiques
et
herméneutes
des
religions
du
Livre,
il
demeure
le
sacrifice
par
excellence,
du
moins
au
sens
de
renoncement.
Au
début
de
ce
siècle,
le
saint
charismatique
Hâjj
Ne’matollâh,
fit
le
sacrifice
symbolique
d’un
de
ses
enfants
en
bas
âge
en
posant
un
doigt
sur
sa
gorge.
Trois
jours
après
l’enfant
mourut.
On
ignore
les
raisons
cachées
de
ce
geste.
Il
est
probable
que
sachant
qu’il
était
destiné
à
mourir
il
voulut
seulement
signifier
sa
soumission
en
reproduisant
le
geste
du
sacrifice
d’Abraham.
Quoiqu’il
en
soit,
selon
les
principes
de
la
comptabilité
ésotérique,
il
faut
perdre
ou
donner
pour
recevoir
(do
ut
des)
;
c’est
la
justification
des
martyrs
de
l’histoire
sainte.
Parmi
les
sept
archanges
(haftan),
Yâdegar,
avatar
de
l’imâm
Hoseyn
et
de
Jean-‐Baptiste,
est
toujours
sacrifié
pour
la
cause
spirituelle.
Pour
souligner
la
force
de
la
“loi
du
donnant-‐donnant”,
citons
cet
autre
exemple
de
sacrifice
de
soi,
qui
est
cependant
considéré
comme
un
signe
de
manque
de
maturité
par
les
exégètes.
Un
“voyant”
(didedâr)
doué
de
charismes
fut
l’hôte
d’adeptes
qui
le
prièrent
d’intercéder
afin
de
rendre
la
vie
à
un
jeune
homme
agonisant.
Par
pitié
pour
ce
jeune
homme
et
par
souci
de
ne
pas
décevoir
les
parents
qui
mettaient
toute
sa
foi
en
lui,
il
intercéda
et
l’arracha
à
la
mort,
mais
son
acte
lui
coûta
la
vue.
En
fait,
puisqu’il
n’avait
pas
agit
sur
ordre
de
Dieu,
et
donc
sur
le
“crédit
de
Dieu”,
il
fut
contraint
d’échanger
ses
yeux
contre
une
vie
humaine.
Intercesseurs
privilégiés
et
commemoration
Généralement
l’offrande
est
dédiée
à
un
saint
(Haftan
ou
avatar),
qui
la
transmet
à
la
Source.
En
l’absence
de
spécification,
l’offrande
est
bénie
pour
Soltân.
Les
jours
de
la
semaine12
sont
chacun
dédiés
à
un
Haftan,
ainsi
que
les
quatre
saisons13,
les
soirs
de
rupture
de
11 Ibn ‘Arabi note dans les Fusûs al-‐Hikam qu’en la personne de Moïse s’accumulèrent toutes les âmes
vitales
des
nouveaux-‐nés
qui
avaient
été
sacrifiés
sur
l’ordre
du
Pharaon.
12
Vendredi
:
Soltân
et
Bâbâ
Yâdegâr
/
Samedi
:
Pir
Musi
/
Dimanche
:
Shâh
Ebrâhim
/
Lundi
:
dévouement
(redâ)
de
Dawûd
-‐
par
le
calame
d'or
de
Pir
Musi
-‐
par
le
service
pur
de
Pir
Razbâr
-‐
par
la
faveur
(nâz)
de
Ivvat-‐e
Hashâr
(:
Yâdegâr)-‐
par
la
faveur
de
Malek-‐e
Tayyâr
(:
Shâh
Ebrâhim),
hu
mon
premier
et
mon
dernier
est
l'Ami.
16
“Un
Ahl-‐e
Haqq
ne
peut
distribuer
quoi
que
ce
soit
ayant
reçu
le
nom
de
nazr
sans
l'avoir
fait
bénir
au
préalable.
De
même,
il
ne
peut
en
faire
une
offrande
selon
le
rituel
de
l'exotérisme,
car
si
quelque
chose
est
nommé
nazr,
il
doit
nécessairement
être
soumis
au
rituel
Ahl-‐e
Haqq.”
(AoH,
n°
1643).
Si
l’on
considère
comme
un
grave
péché
de
manger
les
offrandes
(nazr)
sans
les
avoir
fait
bénir,
l’anecdote
suivante
montre
que
les
adeptes
ne
se
conforment
pas
toujours
aveuglément
aux
lois
lorsqu’un
principe
supérieur
est
en
jeu.
«
Seyyed
Qadimollâh,
l'un
des
derviches
de
Hâjj
Ne’matollâh,
était
un
homme
bon
et
croyant.
On
lui
demanda
:
“Si
Hâjji
te
donne
l’ordre
de
manger
l'ânon
de
derviche
Aziz
Khân,
le
mangeras-‐tu
?”
Il
répondit
:
“C'est
avec
plaisir
que
je
le
mangerai.”
On
lui
demanda
aussi
:
“Et
s'il
t'ordonne
de
manger
le
nazr
sans
bénédiction
?”
Il
répondit
:
“Ça,
c'est
encore
plus
facile
pour
moi.”
»
56
n’appartient
plus
au
propriétaire
ni
au
monde
des
humains,
il
est
mis
entre
parenthèse,
il
est
haram
au
sens
de
sacré-‐tabou-‐interdit.
On
pourrait
dire
qu’il
est
comme
“mort”,
puisque
l’acte
de
consécration
se
dit
parfois
“rendre
le
nazr
vert”
(sabz)
ce
qui
évoque
qu’on
le
ramène
à
la
vie
17.
Dans
la
deuxième
phase,
la
nourriture
(donnée
ou
achetée)
est
bénie
selon
un
rituel
dont
le
principe
peut
se
schématiser
ainsi
:
L’offrande
est
adressée
à
Dieu
qui
en
devient
le
propriétaire,
ou
plutôt
qui
en
redevient
le
propriétaire,
car
l’offrande
est
aussi
un
impôt
sur
ce
que
la
Providence
octroie
au
dévot.
Ainsi,
dans
un
premier
temps
on
rappelle
qu’Il
est
le
Maître
(sâheb)
et
la
Source
de
toute
chose.
Pour
que
l’offrande
soit
acceptée,
pour
la
faire
remonter
à
la
“Source”,
il
faut
accomplir
des
prières
et
des
invocations,
en
état
d’humilité,
de
besoin
et
d’impotence
(niâz
o
ajz)
par
lequel
on
exprime
le
dénuement
de
la
condition
de
créature.
Ces
pratiques
ont
plus
d’effet
en
groupe
qu’individuellement
et
pour
les
A.H.
le
droit
du
groupe
ou
du
jam
prime
toujours
sur
celui
de
l’individu.
Mais
Dieu
n’a
pas
besoin
d’offrandes,
aussi
Il
va
renvoyer
la
rétribution
de
l’intention
de
l’offrande
à
la
personne
qui
l’a
faite.
Le
droit
des
hommes
(haqq
on-‐nâs)
prime
sur
le
droit
de
Dieu
(haqq
ol-‐lâh),
de
même
que
les
attributs
de
Bonté
18
prime
sur
ceux
de
Rigueur.
C’est
pourquoi
Dieu
ne
garde
pas
ce
“droit”
pour
lui,
mais
le
renvoie
concrètement.
En
effet,
l’offrande
n’est
pas
un
holocauste
dont
la
fumée
qui
monte
au
ciel
“est
agréable
à
Dieu”
comme
le
dit
le
Pentateuque,
pas
plus
qu’une
libation
à
la
Terre
comme
en
faisaient
les
païens.
Dans
l’économie
sacrée,
Dieu
ne
saurait
priver
les
hommes
d’un
droit
aussi
essentiel
que
celui
de
manger.
(Ou
plus
prosaïquement,
le
paysan
A.H.
ne
conçoit
pas
que
l’on
gaspille
de
la
nourriture
!).
Mais
comme
le
dévot
s’était
séparé
définitivement
de
l’offrande
elle-‐même,
il
ne
peut
plus
la
reprendre
à
son
compte
;
elle
appartient
désormais
à
tous,
selon
le
principe
complémentaire
de
Justice
divine
et
d’équité
(attributs
de
Rigueur).
Pourtant
l’avantage
pour
le
donateur
est
double
:
d’une
part,
il
a
accompli
un
acte
d’abnégation
ou
renoncement,
et
de
dévotion
(par
les
prières
qui
ont
été
récitées),
d’autre
part,
comme
son
don
profite
aux
autres,
son
acte
est
compté
comme
une
œuvre
de
charité.
Et
ceci
d’autant
plus
que
son
geste
n’est
pas
terni
par
la
fierté
ou
l’ostentation.
En
effet,
d’une
part
l’offrande
est
quasi
anonyme,
d’autre
part,
lorsqu’elle
est
distribuée,
en
aucun
cas
il
ne
considère
qu’il
est
l’auteur
de
l’acte
charité
dont
bénéficient
les
autres
:
il
reçoit
certes
une
part,
mais
comme
les
autres,
comme
venant
d’En
Haut.
Envisagée
dans
sa
dimension
immanente,
l’offrande
est
toujours
le
don
d’un
individu
à
un
groupe,
jamais
le
contraire,
ni
un
don
d’un
individu
à
un
autre,
ou
alors
il
s’agit
d’un
simple
acte
de
charité,
sans
rituel
19.
(Il
est
possible
par
contre
de
grouper
les
dons
individuels
pour
acheter
de
quoi
faire
une
offrande
qui
sera
distribuée).
Dans
cette
anecdote
où
l’on
passe
du
blâmable
makruh
à
l’illicite
harâm,
le
derviche
fait
preuve
de
sa
soumission
au
cheikh
dont
évidemment
l’ordre
prime
sur
la
loi.
Un
autre
derviche
de
Hâjj
Ne’matollâh
avait
l’habitude
de
manger
le
nazr
sans
le
bénir,
en
arguant
que
la
présence
du
Roi
spirituelle,
manifestée
par
la
personne
du
cheikh,
sanctifiait
toute
chose
et
rendait
inutile
la
bénédiction
rituelle.
17
Si
l’offrande
par
excellence
est
le
sacrifice,
les
autres
formes
d’offrande
participent
de
la
structure
du
sacrifice
en
ce
sens
qu’en
y
posant
l’intention
du
don,
on
leur
enlève
la
vie.
Une
autre
analogie
avec
la
mort
ressort
du
fait
que
la
chair
morte
(sans
la
bénédiction
rituelle
d’abattage)
est
illicite.
Comme
la
bénédiction
rituelle
sommaire
(basmallâh)
rend
la
bête
abattue
licite,
la
bénédiction
du
nazr
le
rend
à
nouveau
licite.
18
Selon
les
commentateurs
du
Pentateuque,
c’est
aussi
en
vertu
de
ses
attributs
de
bonté
que
Dieu
accepte
l’holocauste.
19
Il
reste
possible
de
faire
bénir
les
dons
charitables
avant
de
les
distribuer
à
des
pauvres.
Dans
ce
cas
on
fait
généralement
un
pilaf
(qeyme
polow).
Ceci
n’entre
pas
dans
le
cadre
strict
des
offrandes
A.H.
57
Généralement,
on
précise
que
l’offrande
est
faite
“pour
l’amour
de
X”,
“en
l’honneur
de
Z”,
ce
qui
sous-‐entend
que
le
bénéfice
doit
en
revenir
à
eux.
Mais
les
grands
saints
(en
général
des
Haftan,
donc
des
Archanges),
sont
également
très
généreux,
n’ont
pas
besoin
des
offrandes
ou
des
prières
des
hommes
et
les
transmettent
à
Dieu,
qui
donne
suite
comme
on
l’a
vu.
Il
y
a
pourtant
ici
une
nuance
:
lorsqu’il
s’agit
d’un
offrande
de
demande,
où
le
mérite
spirituel
(savâb)
est
négociée
en
bienfait
terrestre,
l’intercession
a
plus
de
poids
que
la
demande
directe.
La
raison
en
est
le
principe
de
“cause-‐et-‐effet”
qui
régit
l’Univers,
dans
lequel
certains
êtres
ont
des
missions
d’intercession
et
de
clémence.
C’est
le
cas
de
Dâwud,
constamment
sollicité
par
les
A.H.
qui
sont
convaincus
que
les
demandes
qui
passent
par
lui
sont
toujours
honorées.
Cette
dévotion
à
Dâwud
a
valu
parfois
aux
A.H.
le
nom
de
Dâwudi.
Par
ailleurs,
Dieu
aime
qu’une
créature
fasse
du
bien
à
une
autre,
c’est
pourquoi,
quand
on
donne
librement
une
aumône
à
un
pauvre,
Il
“rembourse”
l’aumône
en
“avoir
spirituel”
(savâb),20
parfois
“avec
des
intérêts”
(qui
sont
précisément
proportionnels
au
désintéressement).
Selon
le
même
principe,
le
pauvre
ne
contracte
pas
une
“dette”
envers
le
donateur,
car
son
désintéressement
le
dégage
de
toute
réciprocité
(ce
qui
est
la
définition
même
du
don).
L’intention
est
plus
importante
que
l’acte,
la
pensée
et
le
cœur
plus
que
la
matérialité
de
l’offrande.
Ceci
est
illustré
par
une
anecdote
édifiante
bien
connue,
dont
voici
la
version
que
nous
avons
recueillie
auprès
d’un
A.H.
«
Un
jour
dans
une
réunion
spirituelle,
à
la
suite
d’un
état
de
joie
extraordinaire,
Soltân
demanda
à
chacun
de
faire
une
offrande
selon
ses
moyens
et
de
la
bénir.
Chacun
apporta
la
meilleure
offrande
possible,
mais
Soltân
ne
donnait
pas
l’ordre
de
bénir
les
nazr.
Alors
Benjamin
(essence
de
Gabriel),
qui
est
toujours
l’intercesseur
demanda
l’autorisation
de
faire
la
bénédiction.
Mais
Soltân
dit
qu’il
fallait
encore
attendre
l’offrande
de
la
vieille
femme.
C’était
une
femme
pauvre
qui
avait
préparé
un
peu
de
graines
moulues
(qâvit)
en
nazr
mais
qui
n’osait
présenter
ce
don
insignifiant
à
la
cour
du
Roi
spirituel.
Finalement
Soltân
envoya
quelqu’un
chercher
la
vieille
femme,
elle
donna
son
qâvit
et
se
prosterna
aux
pieds
de
Soltân.
Alors
il
fit
bénir
les
nazr
et
donna
une
grande
leçon
sur
cette
question,
disant
que
l’offrande
était
acceptée
seulement
en
considération
du
don
de
cette
femme.
C’est
alors
qu’il
a
établi
les
règles
spirituelles
du
nazr.
»
C’est
donc
avant
tout
l’intention
et
la
qualité
qui
est
enregistrée
pour
l’éternité
dans
les
mérites
(savâb),
non
pas
tant
l’acte
et
la
quantité
21.
Le
primat
de
l’intention
sur
l’objet
n’est
pas
étranger
au
fait
que
dans
sa
matérialité
l’offrande
est
renvoyée
par
les
êtres
célestes
et
revient
maintenant
dans
le
monde
des
hommes.
La
prière
l’a
libérée
(roxsat
à
la
fin
de
la
bénédiction)
et
l’a
consacrée
(do’â
shode),
bien
qu’en
un
sens,
elle
était
déjà
consacrée
avant
la
bénédiction,
mais
dans
le
sens
d’illicite,
d’intouchable.
20 On remarque que dans la langue, une action “charitable” (au sens chrétien du mot) est désignée
couramment
par
son
“mérite”,
savâb,
terme
qui
réfère
directement
à
la
récompense
qu’elle
implique
dans
l’au-‐delà.
L’idée
de
pure
gratuité
semble
étrangère
à
l’économie
sacrée
et
contraire
au
bon
sens.
21
Dans
son
Haqq
ol-‐haqâyeq,
Hâjj
Ne’matollâh
(:
252
vers
8700
ss.)
expose
ce
principe
:
Dieu
agrée
l’offrande
de
celui
qui
la
fait
“pour
Dieu”
sans
attendre
de
récompense.
Offrir
ne
serait-‐ce
qu’un
grain
de
raisin,
mais
avec
humilité,
est
mieux
que
des
sacs
d’or
avec
orgueil
et
ostentation.
Celui
qui
veut
faire
un
bon
acte
doit
le
faire
avec
simplicité
et
modestie,
et
sans
en
faire
état
aux
autres.
La
discrétion
et
le
désintéressement
sont
exprimés
par
la
formule
:
“la
main
gauche
doit
ignorer
ce
que
fait
la
main
droite”
[cf.
Coran
II,
273].
58
Pour
comprendre
la
nature
de
cet
échange,
de
ce
“tour
de
passe-‐passe”,
il
faut
voir
de
plus
près
ce
qui
s’est
passé
entre
les
deux
phases
de
sacralisation.
Comme
l’explique
un
adepte
:
«
Il
faut
savoir
que
le
nazr
est
fait
librement,
et
non
pour
répondre
à
des
obligations
rituelles
[c’est
pourquoi]
il
y
a
beaucoup
de
grâce
spirituelle
dans
ce
genre
de
réunion
et
que
lors
de
la
bénédiction
du
nazr,
le
Roi
spirituel
est
toujours
présent.
C’est
pourquoi
lorsqu’on
distribue
les
parts,
la
première
est
pour
le
Roi
(sar
jam).
22
»
Quelques
personnes
se
sont
réunies
et
ont
invoqué
Haqq,
Soltân
et
les
Haftan.
L’offrande
a
été
acceptée
(qabul),
elle
a
été
accomplie
(sarf),
répartie
en
parts
égales
distribuées
personnellement
entre
les
personnes
présentes
(et
leurs
parents
ou
proches
absents).
Pour
faire
accepter
le
nazr,
en
plus
des
invocations
et
bénédictions,
les
derviches
ont
formé
un
cercle
infranchissable,
ont
adopté
une
attitude
de
soumission
(inclinaison
permanente
du
xâdem,
posture
à
deux
genoux,
postures
d’asservissement
les
deux
index
sur
l’orteil)
23.
Il
a
fallu
la
présence
d’un
seyyed
(dont
la
fonction
est
héréditaire)
ou
de
son
délégué.
Souvent
on
a
aussi
fait
un
zekr,
car
l’essence
des
Grands
et
de
Haqq
se
manifeste
dans
l’assemblée
de
zekr
(jam).
Les
derviches
ont
témoigné
des
marques
de
fraternité
(unité,
“monochromie”
du
cœur,
yek
rangi)
en
embrassant
les
mains
de
chacun,
en
se
disposant
en
cercle
(où
les
places
ne
sont
pas
hiérarchisées),
en
partageant
le
nazr
de
manière
rigoureusement
égale
(dans
la
mesure
du
possible).
Les
derviches
sont
en
état
de
pureté
rituelle,
et
ont
savonné
leurs
mains
aussi
soigneusement
qu’un
chirurgien,
avant
de
les
laver
de
nouveau
de
manière
rituelle
24.
Ils
ont
manifesté
le
fait
d’être
en
présence
de
la
divinité
en
ceignant
leurs
reins
d’une
ceinture
(ce
qui
signifie
“être
prêt”).
Maintenant
que
l’on
distribue
les
offrandes,
c’est
la
“main
de
Dieu”
qui
opère
(elles
sont
données
en
invoquant
le
nom
de
Ali,
la
Manifestation
divine).
La
part
que
l’on
reçoit
est
nominale,
personnelle.
Celui
qui
reçoit
par
erreur
une
double
part
n’a
pas
à
la
rendre.
Celui
qui
reçoit
un
fruit
véreux
ou
sans
goût,
doit
le
considérer
comme
ce
qu’il
méritait,
comme
un
signe
dont
il
doit
chercher
le
sens.
Le
nazr
comme
système
d’échange
vertical
et
horizontal
La
philosophie
du
nazr
en
général
repose
sur
des
“rapports
économiques”
horizontaux
et
verticaux
complexes.
L’axe
horizontal
correspond
à
une
économie
de
l’échange
et
de
la
solidarité
:
chacun
apporte
sa
contribution
au
groupe
selon
ses
moyens,
et
tout
le
monde
mange
de
façon
parfaitement
égale.
En
des
temps
difficiles,
le
nazr
était
une
pratique
de
solidarité
et
de
charité.
Mais
le
nazr
est
plus
que
cela,
car
–
selon
le
principe
d’égalité
de
droits
devant
Dieu–
il
efface
la
différence
entre
ceux
qui
donnent
et
ceux
qui
reçoivent
25.
Le
nazr
est
aussi
l’occasion
d’estomper
les
différences
hiérarchiques
:
tout
le
monde
mange
la
même
chose,
est
servi
de
la
même
façon,
personne
n’occupe
une
place
meilleure
que
l’autre,
chacun
salue
l’autre
avec
respect
et
modestie.
Ainsi
toutes
les
tensions
sociales
sont
résorbées
régulièrement
et
le
nazr
assure
la
paix
du
groupe.
22 C’est le xalife qui prendra cette part (sar bash) car il tient son autorité de Soltân. Bien que les
A.H.
respectent
l’équité
absolue,
le
xalife
a
droit
à
la
part
de
Soltân.
Chez
les
Hébreux,
les
prêtres
avaient
droit
à
des
parts
conséquentes
des
animaux
sacrifiés.
23
Cette
position
est
attestée
dans
les
antiques
rites
mithraïstes.
24
Le
xâdem
enlève
aussi
ses
chaussettes
probablement
pour
éviter
les
odeurs.
25
Ainsi,
contrairement
à
ce
qui
se
passe
dans
certaines
sociétés
archaïques
(comme
les
animistes
Kalash
du
Karakorum),
personne
ne
tire
un
prestige
social
du
fait
qu’il
fait
des
dons,
qu’il
nourrit
les
autres,
puisque
les
dons
sont
anonymes.
59
Tous
ces
aspects
méritent
l’attention
des
anthropologues,
mais
ils
n’épuisent
pas
la
signification
profonde
du
nazr,
qui
relève
de
ce
que
j’appelle
une
“économie
verticale”.
Sur
ce
point,
il
faut
d’abord
remarquer
que
toute
la
vision
du
monde
Ahl-‐e
Haqq
est
extrêmement
concrète,
pragmatique
et
pas
du
tout
intellectuelle
et
spéculative,
quoiqu’elle
abonde
en
images,
en
figures
et
en
symboles
riches
de
sens..
Les
Ahl-‐e
haqq
comme
“gens
du
Droit”
Le
mystique
A.H.
se
sent
au
centre
d’un
réseau
d’interactions
causales
dont
il
doit
connaître
les
lois
afin
de
tirer
le
sens
et
l’édification
des
événements
dans
lesquels
il
est
impliqué
ou
acteur.
Or
la
loi
fondamentale
peut
se
ramener
à
l’idée
de
droit
et
de
dû
(haqq26)
qui,
ce
n’est
pas
un
hasard,
est
un
des
grands
noms
divins
qui
a
la
prédilection
des
adeptes,
et
en
relation
avec
lequel
ils
se
désignent
:
gens
de
haqq,
“adeptes
du
Vrai”
(ahl-‐e
haqq).
Dans
cette
perspective,
le
nazr
est
conçu
comme
un
dû
à
Dieu,
une
taxe
prélevée
sur
la
part
quotidienne.
Mais
à
la
différence
des
idolâtres
qui
brûlent
les
victimes
pour
amadouer
une
divinité
capricieuse,
le
monothéiste
A.H.,
qui
est
souvent
un
paysan
plein
de
bon
sens,
sait
bien
que
son
Dieu
n’a
pas
“besoin”
de
son
sacrifice.
Dans
ces
conditions,
le
don
le
plus
méritoire
est
celui
qui
cumule
d'un
côté
une
intention
de
plaire
à
Dieu
ou
de
s’approcher
de
Lui,
et
de
l'autre
un
aspect
concret
qui
profite
à
autrui,
gratuitement,
sans
considération
de
réciprocité.
L’importance
du
respect
du
droit
apparaît
dans
le
fait
que
l’offrande
ne
doit
jamais
être
altérée
par
un
droit
qui
n’aurait
pas
été
respecté.
C’est
pourquoi
il
est
recommandé
de
proposer
au
seyyed
ou
xalife
une
modeste
rétribution
(appelée
“droit
du
souffle”)
en
dédommagement
pour
le
dérangement
occasionné
par
la
bénédiction.
Celui-‐ci
la
refuse
généralement,
dégageant
ainsi
le
donateur
de
toute
dette
à
son
égard.
«
Quand
un
seyyed
bénit
une
offrande,
pour
que
le
fidèle
n'ait
pas
d'associé
dans
sa
bonne
action
(kerdâr),
il
donne
quelque
chose
au
seyyed
en
tant
que
droit
de
souffle
(haqq-‐e
nafas).
Si
le
seyyed
n'accepte
pas,
[le
fidèle]
demande
une
légitimation27.
Bien
sûr,
rétribuer
le
droit
de
souffle
n'est
pas
obligatoire
et
le
fidèle
peut
ne
pas
le
payer.
Quant
au
seyyed,
s'il
n'accepte
pas
l'argent
il
recevra
sa
rétribution
spirituellement
mais
s'il
accepte,
il
ne
recevra
pas
de
rétribution
spirituelle
et
de
plus,
cela
n'est
pas
apprécié
dans
le
monde
spirituel
(AoH,
n°
1645).
»
La
dimension
communautaire
du
nazr
Il
y
a,
il
faut
le
noter,
une
grande
différence
entre
un
simple
don
de
charité,
et
la
structure
du
nazr.
Le
don
charitable,
xeyrie,
s’effectue
de
personne
à
personne,
sans
bénédiction
et
n’engage
pas
le
groupe.
Pour
les
A.H.,
il
relève
de
la
shari’at,
ne
recèle
pas
un
sens
aussi
riche,
et
n’occupe
qu’une
position
annexe
dans
la
hiérarchie
des
offrandes.
Par
contre,
le
nazr,
même
s’il
est
individuel,
implique
une
collectivité,
et
ceci
sous
plusieurs
rapports.
D’une
part
“tous
les
A.H”.
font
des
offrandes,
(alors
que
“tous
les
Musulmans”
n’en
font
guère),
ensuite
ces
offrandes
reviennent
pour
l’essentiel
à
la
communauté
A.H.,
au
Yârsân
lui-‐même.
Dans
la
hiérarchie
des
droits
et
des
devoirs,
il
est
plus
méritoire
(cela
rapporte
plus
de
bénéfice
spirituel,
savâb)
de
faire
un
don
à
un
saint
qu’à
un
mécréant,
à
un
parent
qu’à
un
étranger,
etc.
Dans
ces
conditions,
le
don
retourne
à
la
communauté
religieuse,
à
la
famille
ou
clan
(xândân)
religieux.
A
la
limite,
du
point
de
vue
strictement
“horizontal”,
cela
revient,
pour
le
groupe,
à
se
faire
la
charité
à
soi-‐même,
mais,
comme
dit
le
proverbe
(chrétien
celui-‐là)
:
«
charité
bien
ordonnée
commence
par
soi-‐même
».
La
famille
étant
prioritaire
par
rapport
aux
étrangers,
et
26 Le sens éminent de haqq, le Vrai, le Réel, la Vérité, fait souvent oublier son sens annexe de droit,
60
les
adeptes
(croyants)
par
rapport
aux
non
adeptes,
le
don
est
une
façon
d’affermir
la
cohérence
de
la
communauté
religieuse,
ce
qui
se
concrétise
également
par
le
fait
qu’il
réunit
les
adeptes
dans
le
repas
communiel.
C’est
pourquoi,
par
nature,
le
nazr
a
deux
propriétés
fondamentales
:
il
est
partageable,
et
il
est
consommable.
Le
partage
fait
le
groupe
et
la
consommation
assure
sa
survie
matérielle,
symboliquement
de
nos
jours,
mais
bien
plus
concrètement
dans
les
temps
où
régnait
la
famine.
La
dimension
communautaire
du
nazr
est
évidente
dans
plusieurs
aspects.
Par
exemple
le
fait
que
les
adeptes
doivent
réciter
leur
propre
prière
sur
les
nazr
shari’ati
offerts
par
les
groupes
musulmans,
montre
bien
qu’il
s’agit
de
rappeler
leur
appartenance
à
groupe
indépendant.
Mais
surtout,
le
Yârsân
a
le
double
sens
de
communauté
terrestre
et
de
communauté
céleste,
notamment
des
saints
du
passé.
Or,
bien
que
tout
revienne
à
Dieu,
les
nazr
ne
se
font
que
rarement
“pour
Dieu”
(ou
pour
Sa
manifestation
:
Soltân),
mais
bien
plutôt
“pour
Dâwud”,
“pour
Benyâmin”,
“pour
Imâm
Hoseyn”
(ou
son
avatar
Yâdegâr).
C’est
donc
par
le
nazr
que
l’on
honore
les
Grands
de
la
communauté.
Ces
grands
sont
aussi
des
“ancêtres”,
et
le
nazr
est
en
ce
sens
une
“commémoration”,
parfois
à
des
dates
précises.
L’implication
des
“ancêtres”
dans
le
système
du
nazr
est
d’un
autre
ordre
lorsqu’il
s’agit
de
dédier
l’offrande
à
un
parent
défunt,
afin
de
lui
venir
en
aide
dans
l’autre
monde.
De
même,
le
lien
concret
avec
les
saints
du
passé
est
matérialisé
par
la
présence
des
seyyed
et
xalife
dont
la
fonction
héréditaire
a
été
octroyé
par
Soltân
et
les
Haftan.
Rétribution
du
nazr
Dans
le
système
d’échange
vertical
qu’est
le
nazr,
le
bénéfice
est
toujours
double,
car
si
l’on
respecte
les
principes
de
l’intention,
celle-‐ci
sera
rétribuée
à
part,
en
plus
de
la
rétribution
“par
réaction”
qui
relève
de
la
chaîne
causale
matérielle
:
le
nazr
apporte
aussi
une
barakat
concrète
à
celui
qui
le
fait.
On
a
vu
que
dans
le
cas
où
le
nazr
est
dédié
à
un
Grand,
le
bénéfice
peut
en
être
désigné
:
on
demande
une
intercession
afin
d’obtenir
le
dénouement
d’une
affaire,
une
guérison,
le
pardon
d’une
faute,
l’acquittement
d’un
vœu
ou
d’une
dette,
etc.
Ce
nazr
de
demande
(hâjat)
est
d’une
nature
différente,
puisqu’on
en
tire
un
bénéfice
matériel.
Afin
de
ne
pas
ternir
l’intention
et
de
conserver
une
attitude
de
soumission,
il
est
prescrit
de
ne
pas
“exiger”
l’exaucement
et
d’être
satisfait
du
résultat
(ou
de
l'absence
de
résultat).
Cette
précaution
peut
être
interprétée
comme
le
souci
de
ne
pas
ternir
la
pureté
de
l’intention,
et
comme
le
mérite
ou
le
bénéfice
savâb
dépend
de
l’intention,
elle
témoigne
du
souci
de
préserver
la
transcendance
de
l’acte
et
de
ne
pas
tomber
dans
un
vulgaire
système
d’économie
horizontale.
Les
mystiques
authentiques
ne
demandent
jamais
rien,
sauf
lorsqu’ils
reçoivent
d’En
Haut
l’ordre
de
demander.
(Encore
s’agit-‐il
souvent
de
demandes
concernant
leurs
proches
et
non
eux-‐mêmes.)
Ainsi
la
logique
du
nazr
conduit
à
cette
situation
paradoxale
où
les
entités
de
l’autre
monde,
en
principe
toutes-‐puissantes,
avertissent
une
personne
d’un
destin
fâcheux,
afin
que
celle-‐ci
fasse
un
nazr
et
évite
ce
destin.
Pourquoi
n’agissent-‐elles
pas
directement
?
Précisément
en
vertu
de
cette
loi
de
cause-‐moyen-‐effet,
de
“droit
et
de
dû”
évoquée
plus
haut.
Il
faut
aux
entités
célestes
un
prétexte
pour
agir
:
donnant-‐donnant,
même
si
le
rapport
entre
la
valeur
du
nazr
et
les
effets
positifs
est
parfois
disproportionné28.
La
verticalité
établit
une
relation
personnelle
entre
celui
qui
donne
et
Lui,
qui
reçoit
et
rend.
28 L’aspect donnant-‐donnant (do ut des) est illustré par des anecdotes nombreuses. Par exemple un
mystique
se
fait
insulter
et
frapper
sans
raison
par
un
cavalier
arrogant.
Il
accepte
son
sort
sans
rien
dire.
Lorsque
son
maître
apprend
cela,
il
l’envoie
d’urgence
à
la
recherche
du
cavalier
pour
répondre
à
ses
insultes
et
ses
coups.
Mais
il
arrive
trop
tard
:
le
cavalier
est
tombé
de
sa
monture
et
en
est
mort.
Le
cheikh
le
tient
pour
responsable
de
cette
mort
:
puisqu’il
n’a
pas
défendu
lui-‐même
61
Nourriture
du
corps
et
de
l'âme
Si
l’un
des
piliers
de
l'ordre
pourrait
bien
être
la
pratique
du
nazr,
un
autre,
non
moins
essentiel,
et
de
fait,
complémentaire,
est
le
zekr
et
la
musique.
Cette
association
des
agapes
et
de
la
musique
(voire
de
la
danse),
se
trouve
dans
les
samâ'
anciens
et
est
toujours
manifeste
dans
des
rites
comme
ceux
des
Bektashi.
On
peut
l’interpréter
comme
les
deux
pôles
du
sacrifice,
l'un
matériel
et
concret,
l'autre
spirituel,
sonore.
Les
chants
et
zekr
sont
suivis
de
nazr
ou
niâz
;
les
nazr
sont
faits
avec
chant
et
zekr.
Dans
les
traités
soufis
sur
le
samâ',
la
musique
est
“la
nourriture
de
l'âme”
(ghazâ-‐ye
ruh)
et
d’une
manière
complémentaire,
les
samâ’
sont
souvent
suivis
d’agapes
29.
Il
existe
une
symétrie
entre
les
deux
pratiques
:
Le
présent
(le
sacrifice
ou
le
chant)
est
offert
à
la
divinité,
qui
en
contrepartie
y
infuse
un
effet
(asar),
une
marque
surnaturelle,
une
grâce
qui
retombe
sur
les
adeptes.
La
prière
(souvent
assortie
de
zekr
et
de
musique)
élève
le
repas,
le
consacre
et
l'imprègne
d'une
force
spirituelle
que
les
adeptes
absorberont
en
consommant
le
repas.
Pour
les
chants
et
les
zekr,
le
schéma
est
à
peu
près
le
même
:
ils
sont
par
nature
sacrés
et
chargés
de
force
spirituelle
potentielle,
ou
ont
“l'aptitude”
de
recevoir
ou
capter
cette
force
qui
n’est
autre
que
l’intervention
des
“préposés”
invisibles
qui
sont
attachés
aux
mélodies
sacrées.
A
l’origine
ces
airs
ne
sont
généralement
pas
“composés”,
mais
reçus
en
inspiration,
ou
même
dévoilés
durant
le
zekr.
Quant
aux
textes
des
Kalâm,
ce
sont
les
paroles
sacro-‐saintes
de
Soltân
et
des
Haftan.
Ainsi
les
chants
viennent
des
êtres
d’en
haut,
et
en
retour,
lorsqu'on
les
met
en
œuvre
dans
le
jam,
ils
attirent
l’attention
des
êtres
spirituels
(invoqués
ou
non)
qui
participent
eux
aussi
au
jam
et
y
distribuent
des
grâces
et
des
faveurs.
En
effet,
le
zekr
n’est
pas
qu’un
rappel
(son
sens
littéral)
mais
aussi
un
appel
aux
entités
de
l’autre
monde
à
entrer
dans
le
cercle
du
jam
et
à
“participer”.
Or,
de
la
même
manière
que
les
adeptes
font
une
offrande
(niâz)
pour
remercier
d’une
grâce
spirituelle
qu’ils
ont
reçue
durant
le
jam,
de
la
même
manière
les
êtres
célestes,
qui
ont
“profité
du
jam”
(puisqu’ils
y
étaient
présents)
remercient
à
leur
façon
en
laissant
pour
les
adeptes
un
“effet”
bénéfique,
à
la
fois
spirituel
et
matériel.
Cet
effet
ne
doit
pas
être
confondu
avec
les
états
de
grâce
individuels
du
genre
du
hâl,
des
visions
ou
des
extases
qui
touchent
les
adeptes
et
suscitent
précisément
leurs
offrandes
de
shokrâne
;
il
s’agit
d’un
effet
général
et
collectif,
qui
touche
tous
les
adeptes
indépendamment
de
leur
état
psycho-‐spirituel
durant
le
zekr.
Certains
le
décrivent
comme
une
énergie
spirituelle
et
concrète
qui
“recharge
les
batteries”
durant
plusieurs
jours
30.
On
voit
donc
que
le
rite
du
zekr
induit
un
comportement
symétrique
de
la
part
des
êtres
de
l’autre
monde
:
comme
les
derviches,
ils
font
des
dons
pour
remercier,
et
après
tout,
ils
ont
aussi
été
un
jour
des
hommes,
des
derviches,
et
il
n’y
a
pas
de
raison
qu’ils
ne
continuent
pas
à
faire
des
dons
à
la
collectivité
entière.
son
droit
terrestre
en
réagissant
concrètement,
même
verbalement,
ce
sont
les
préposés
invisibles
qui
l’on
fait,
et
d’une
manière
énergique.
Afin
de
mettre
en
garde
les
adeptes,
on
raconte
qu’un
menuisier
A.H.
du
début
du
siècle
qui
était
un
derviche
averti,
proposait
à
ses
clients
de
le
payer
non
en
argent
mais
en
“avoir
spirituel”,
prélevé
sur
leur
compte
de
l’au-‐delà.
La
plupart
des
gens
acceptaient
avec
légèreté
ce
marchandage
sans
se
douter
qu’il
était
réellement
inscrit,
et
qu’il
leur
coûterait
bien
plus
cher.
(On
pense
à
Esaü
qui
vendit
son
droit
d’aînesse
contre
un
plat
de
lentilles.)
Beaucoup
d’enseignements
mettent
en
évidence
le
principe
des
droits,
non
seulement
des
hommes
mais
des
choses.
29
Le
shokrâne,
l’offrande
que
l’on
fait
après
le
zekr,
n’est
pas
sans
rapport
avec
le
geste
soufi
qui
consiste
à
donner
de
l’argent
aux
musiciens
lors
du
samâ’,
ou
encore
à
leur
faire
don
de
son
manteau
ou
de
le
déchirer
de
sorte
qu’il
soit
partagé
entre
les
participants.
On
reçoit
une
grâce
qui,
par
contagion,
bénit
le
manteau
et
chacun
en
veut
une
pièce
en
tabarok,
si
bien
que
la
grâce
est
partagée,
ce
qui
est
bien
le
principe
du
shokrâne.
30
Tous
ces
commentaires
sur
le
zekr
et
les
invisibles
sont
ceux
d’un
mystique
respecté,
qui
nous
les
a
transmis
oralement.
62
Ainsi,
que
ce
soit
par
la
consommation
des
mets
consacrés
ou
par
la
participation
au
jam,
les
adeptes
reçoivent
un
aide
spirituelle
appréciable
qui
peut
demeurer
purement
intérieure
(augmenter
la
foi,
le
zèle
religieux)
ou
se
concrétiser
par
l'obtention
d'une
faveur.
Les
guérisons,
par
exemple,
proviennent
aussi
bien
de
l'effet
du
zekr
que
d'une
part
de
nourriture
bénie.
Enfin,
au
niveau
le
plus
élémentaire,
la
grâce
est
aussi
le
fait
de
remplir
les
estomacs.
III.
TEMOIGNAGES
VALEUR
DU
SACRIFICE
ET
EXPERIENCE
DU
RITUEL
Pour
finir,
on
livrera
le
témoignage
de
deux
xâdem,
dont
l’un,
S.H.
qui
vit
maintenant
en
Europe,
a
durant
des
années
rempli
ses
fonctions
dans
toutes
les
bénédictions
rituelles
et
à
tous
les
niveaux
de
préparation
(achat,
sacrifice,
préparation,
bénédictions,
distribution,
et
opérations
annexes).
Ces
témoignages
rendent
compte
de
la
dimension
édifiante
et
spirituelle
du
nazr
(en
particulier
du
xedmat
qui
en
est
la
forme
la
plus
complexe).
Le
vécu
propre
à
ce
rituel
est
probablement
la
raison
ultime
de
sa
pérennité,
car
il
en
donne
la
signification,
non
par
des
concepts,
encore
qu’ici
le
xâdem
soit
particulièrement
lucide,
mais
par
des
affects
et
des
impressions.
Et
ce
sont
précisément
ces
affects,
ces
images
et
impressions
qui
définissent
le
religieux
et
le
sacré
non
comme
dogme,
mais
comme
une
expérience.
Les
nazr
de
A.H.
se
définissent
souvent
par
opposition
avec
les
nazr
dits
shari’ati
(relevant
des
coutumes
musulmanes)
pour
lesquels
ils
ont
des
mots
assez
durs.
Le
témoignage
de
S.
met
en
relief
les
trois
points
essentiels.
INTENTION,
EQUITE
ET
QUALITE
DE
L’OFFRANDE.
«
Dans
la
shari’at
on
fait
des
offrandes
pour
se
montrer,
pour
se
faire
une
réputation
de
bienfaisance,
ou
encore
par
esprit
d’imitation
pour
faire
comme
les
voisins
(cheshme
tu
ham
cheshmi)
ou
pour
rendre
une
invitation.
Lorsqu’un
commerçant
veut
attirer
l’attention
sur
lui,
il
distribue
des
dattes
le
jeudi
soir.
Lorsqu’il
sacrifie
un
mouton,
il
donne
le
gigot
à
sa
tante,
et
aux
pauvres
un
os
à
ronger.
Quand
à
ceux
qui
font
le
pèlerinage
à
La
Mekke,
ils
choisissent
les
bêtes
malades
les
moins
chères
31.
Mais
lorsqu’un
A.H.
donne
une
offrande,
il
choisit
le
meilleur
de
ses
biens.
Chez
nous,
ce
n’est
pas
comme
dans
la
shari’at.
Lorsque
toutes
les
parties
licites
de
l’animal
sont
cuites,
elles
sont
désossées
et
toutes
les
chairs
sont
mélangées
et
distribuées
en
parts
égales
aux
gens
présent
:
le
prince
et
le
pauvre
reçoivent
exactement
la
même
part.
Dans
chaque
part
il
y
a
un
peu
de
toutes
les
parties
de
la
bête.
C’est
Soltân
qui
a
instauré
le
principe
des
parts
parfaitement
égales.
Autrefois,
on
donnait
les
meilleurs
morceaux
aux
proches,
comme
dans
la
shari’at.
Le
propriétaire
du
nazr
est
Dieu,
pas
les
hommes.
C’est
pourquoi
le
nazr
a
tant
de
valeur.
(S.)
»
UN
RITE
SECRET
ET
RESERVE
«
Autrefois,
les
A.H.
considéraient
le
nazr
(ainsi
que
le
jam)
comme
un
rite
hyper
sacré
qui
devait
être
tenu
secret.
Ils
se
cachaient
dans
les
bergeries
souterraines
32
pour
faire
les
31 Lors du ‘eyd-‐e qorbân à La Mekke, il y a tant de bêtes sacrifiées qu’il n’y a pas assez de gens pour
les
consommer.
32
Ce
ne
sont
pas
des
bâtiments
mais
des
galeries
creusées
sous
le
sol
avec
quelques
trous
pour
l’aération.
Il
est
aussi
possible
qu’ils
se
cachaient
des
regards
indiscrets
pour
éviter
que
le
nazr
soit
63
bénédictions
sans
être
vus
des
profanes.
Certains
ne
voulaient
à
aucun
prix
en
donner
aux
non
affiliés
(sarseporde)
(S.)
»
«Autrefois,
les
A.H.
ne
donnaient
pas
une
parcelle
de
nazr
aux
non
adeptes.
Par
exemple
une
femme
non
affiliée
avait
envie
de
manger
un
peu
de
galette
bénie
que
son
mari,
qui
était
sarseporde,
avait
apporté
à
la
maison.
Quand
il
l’a
vue,
il
s’est
précipité
sur
elle
pour
lui
enlever
le
morceau
de
la
bouche
car,
selon
lui,
elle
n’avait
pas
le
droit
d’en
manger.
Heureusement
ce
genre
d’attitude
fanatique
a
à
peu
près
disparu.
(S.)
»
ASPECT
PROPITIATOIRE
«
Quand
il
y
a
un
danger,
on
fait
une
offrande
de
barrage
(barebandi).
Une
année,
nous
avons
fait
un
barebandi
pour
des
gens
d’une
région
qui
était
souvent
sinistrée
par
des
tremblements
de
terre.
La
raison
en
était
que
dans
leur
pauvreté
ils
n’avaient
pas
le
moyen
de
faire
des
offrandes
et
de
ce
fait,
ils
subissaient
des
fléaux
comme
ces
tremblements
de
terre.
(S.)
»
UN
RITE
TERRITORIALISE
«
Le
protocole
du
xedmat
est
conçu
pour
la
vie
à
la
campagne
et
tout
y
est
plus
facile
et
naturel,
tandis
qu’en
ville
il
y
a
des
questions
difficiles
à
régler.
Par
exemple,
il
est
difficile
d’aller
enterrer
les
restes
comme
les
os
et
les
plumes.
Le
sang
aussi
devrait
être
enterré,
mais
en
ville
il
part
dans
les
égouts,
et
se
mélange
aux
déchets,
et
ce
n’est
pas
bien.
De
même,
à
la
campagne,
on
se
lavait
les
mains
avec
la
cruche
et
la
vasque,
mais
en
ville
on
se
les
lave
parfois
au
robinet
et
les
particules
de
nazr
partent
dans
le
lavabo.
(S.H.).
»
LA
BARAKA
ET
LA
QUANTITE
«
Il
ne
faut
pas
avoir
un
œil
sur
le
nazr,
comme
pour
voir
combien
il
en
reste,
ou
voir
s’il
en
reste
beaucoup
et
si
on
peut
en
redemander.
Pour
éviter
le
regard
de
l’envieux,
lorsqu’une
partie
du
service
est
finie,
on
couvre
la
viande
du
nazr
avec
des
galettes
de
pain.
En
Orient
on
cache
la
nourriture
des
regards
afin
de
ne
pas
attirer
le
mauvais
œil.
Mais
ici,
on
veut
surtout
signifier
l’idée
que
le
nazr
vient
de
Dieu
et
non
de
nous,
et
qu’on
n’a
pas
à
s’occuper
de
la
quantité.
Le
xalife
invoque
Dieu
chaque
fois
qu’il
met
une
part
de
viande
dans
l’assiette.
Dans
ce
cas,
il
y
a
de
la
baraka,
et
il
arrive
que
lorsqu’on
met
la
dernière
portion
dans
l’assiette
(une
part
égale
aux
autres,
ni
plus
petite
ni
plus
grande),
on
s’aperçoit
que
tout
les
participants
ont
eut
leur
part,
sans
qu’on
ait
eu
à
compter,
et
que
le
xedmat
a
exactement
nourri
tout
le
monde.
Evidemment
il
y
a
aussi
des
xalife
qui
se
mettent
à
compter
et
évaluer
la
taille
des
parts,
mais
dans
ce
cas
on
perd
quelque
chose.
Lorsque
les
parts
sont
distribuées
comme
il
faut
et
que
tout
est
bien
exécute,
il
y
a
un
effet
très
fort
dans
l’assemblée
;
on
ressent
un
sentiment
de
présence
du
divin,
on
comprend
le
sens
sacré
de
ce
rituel.
(S.H.)
»
LA
BENEDICTION
COMME
SACRIFICE
DE
SOI
ET
PRATIQUE
DE
L’ATTENTION
«
Il
faut
comprendre
que
tout
le
rituel
de
bénédiction
demande
une
concentration
et
un
effort
importants.
En
soi-‐même,
il
constitue
un
sacrifice
:
il
faut
rester
longtemps
assis
sur
les
genoux
de
manière
très
inconfortable,
le
xâdem
doit
transporter
d’énormes
casseroles,
il
est
toujours
courbé
en
deux,
le
xalife
se
brûle
les
mains
en
dépiautant
le
coq,
etc.
Si
l’on
n’est
pas
concentré,
on
oublie
un
détail
et
il
faut
recommencer
certaines
phases
de
la
bénédiction.
Il
est
impossible
de
faire
cela
de
manière
décontractée,
sinon
tout
part
de
travers,
tout
va
à
l’envers.
Par
exemple
on
verse
de
l’eau
à
côté,
on
n’arrive
souillé
par
un
regard
d’envie
de
la
part
de
personnes
à
qui
le
droit
de
le
consommer
était
refusé.
(En
Iran
les
plats
cuisinés
sont
toujours
cachés
des
regards
du
public.)
64
pas
à
déplier
la
nappe,
on
oublie
de
reverser
le
verre
de
bouillon
béni
dans
la
marmite
qui
est
restée
à
la
cuisine,
etc.
bref,
on
sent
la
tension
qui
monte.
Cela
développe
le
sentiment
du
travail
bien
fait,
et
cela
crée
des
liens
entre
les
gens
qui
ont
l’habitude
de
se
retrouver
à
la
bénédiction
du
xedmat.
(S.H.)
»
A
ce
propos,
S.
souligne
l’aspect
ascétique
du
rituel,
tel
qu’il
l’a
connu
dans
les
villages
du
Kurdistan.
Il
évoque
l’endurance
d’un
seyyed
qui,
en
plein
été,
a
fait
durer
la
bénédiction
pendant
trois
ou
quatre
heures,
soit
tout
le
temps
nécessaire
à
la
préparation
et
à
la
cuisson
(il
arrive
qu’on
sacrifie
une
vingtaine
de
jeunes
coqs
pour
un
xedmat).
A
la
chaleur
de
l’été
s’ajoutait
celle
de
la
cuisine,
accentuée
par
les
vapeurs
de
la
cuisson
du
xedmat.
De
plus
le
seyyed
était
vêtu
comme
en
hiver
et
tous
les
participants
portaient
un
couvre-‐chef
comme
c’est
la
coutume
dans
certains
ordres.
Dans
d’autres
séances,
par
contre,
l’ambiance
est
moins
ascétique
et
plus
spirituelle.
RECUEILLEMENT
DANS
L’ACTION
«
L’atmosphère
spirituelle
est
plus
forte
lorsqu’on
chante
des
hymnes
tout
en
préparant
le
nazr,
ou
lorsque
le
seyyed
donne
des
leçons
ou
raconte
des
anecdotes.
L’ambiance
n’est
pas
la
même
dans
la
pièce
où
se
tient
la
bénédiction
et
dans
la
salle
où
les
derviches
attendent,
même
s’ils
font
le
zekr
en
même
temps.
Le
jam
c’est
aussi
les
coulisses.
Les
femmes
aussi
aiment
préparer
les
coqs
et
le
riz
pour
le
xedmat.
Dans
ces
conditions,
il
est
évident
que
le
nazr
a
un
effet
à
la
fois
matériel
et
spirituel
positif,
du
moins
pour
celui
qui
y
croit
:
il
a
des
vertus
thérapeutiques
et
on
en
donne
volontiers
au
malade
(S.H.).
»
Beaucoup
disent
que
le
riz
et
le
coq,
même
préparés
exactement
de
la
façon
prescrite,
mais
à
titre
profane
et
n’a
jamais
la
même
saveur
que
lorsqu’il
est
préparé
dans
un
rituel.
Comme
ce
plat
simple
est
très
savoureux,
on
a
souvent
essayé
d’en
préparer
individuellement
à
titre
gastronomique,
mais
jamais
on
n’est
parvenu
à
un
résultat
analogue
33.
Conclusion
Le
témoignage
des
adeptes
ainsi,
que
de
nombreux
points
évoqués
ici,
soulignent
la
spécificité
du
système
et
de
la
pratique
des
offrandes
A.H.
par
rapport
aux
dons
et
sacrifices
couramment
réalisés
dans
l’islam
conventionnel.
En
revanche,
il
ne
fait
aucun
doute
qu’une
étude
comparative
avec
les
pratiques
zoroastriennes
permettrait
de
mettre
en
évidences
des
affinités
beaucoup
plus
importantes,
sans
pour
autant
rien
enlever
à
la
spécificité
du
système
des
nazr
ahl-‐e
haqq.
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33 Dans l’Ancien Testament (Levitique) il est spécifié que lorsque le sacrifice est parfait, et donc
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