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https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/11/20/violence-et-mythes-fondateurs-des-
societes-humaines-par-rene-girard_1120970_3232.html
Mais comment expliquer cette émergence ? Pour comprendre ce qui s'est passé, nos
seuls indices sont les récits qui racontent la naissance des cultes auxquels ils
appartiennent. On les appelle mythes fondateurs ou mythes des origines.
Ils commencent en général par le récit d'une crise destructrice. Dans le mythe
d'Œdipe, c'est une peste, ailleurs un monstre cannibale. Derrière ces thèmes, se cache
ce que Hobbes appelle "la guerre de tous contre tous" : des explosions de rivalité
assez intenses pour détruire des communautés. La soif de vengeance se concentre sur
un nombre de plus en plus restreint d'individus. A la fin, la communauté fait bloc
contre un seul, celui que j'appelle le bouc émissaire. Le groupe se réconcilie autour de
cette unique victime, à un coût qui semble miraculeusement bas.
12 Ibid., p. 4.
13 Cf. LSJ, s. v.
14 DELG, s. v.
15 DELG, s. v.
16 DELG, Paris, rééd. 1999, supplément, p. 1436-1437.
Hésiode, vers 700, il désigne la force d’un héros, du vent ou d’un fleuve 13. En grec, ἴς a
été concurrencé par βία, qui désigne la force physique et la violence, et qui est en soi
un « vieux nom racine », selon P. Chantraine14, tandis que ῥώμη désigne la force sans
connotation péjorative. Quant à ἰσχύς la force physique, son étymologie reste
incertaine15, alors qu’ ὕβρις au sens de « voies de fait, violence physique, viol, outrage,
démesure, injustice brutale », pourrait être mis en relation avec le verbe ἐπβρίθω, qui
signifie « peser sur, s’abattre violemment sur » (à propos du combat ; cf. Iliade, VII,
343)16.
18 Travaux, 213.
9Ainsi nommée, la violence peut, semble-t-il, être conçue sous deux aspects
principaux : elle est une « manière d’être de la force, du sentiment ou d’un élément
naturel »17 ; elle est aussi un ensemble d’actes qui modifient (souvent brusquement)
l’état des choses. Au vrai, pour ce qui est de sa première valeur, elle se mesure surtout
dans ses effets pratiques : il est difficile, sinon dans des analyses à caractère littéraire,
de mesurer une intensité de violence, de donner une échelle de celle-ci tant qu’elle
demeure potentielle. Et pour ce qui est des actes violents, les nommer tels, c’est leur
attribuer une valeur et, généralement, commencer à s’y opposer. Ainsi en va-t-il par
exemple quand Hésiode, vers 700, exhorte son frère Persès à écouter la justice et à ne
pas laisser en lui grandir la démesure (σὺ δʹ ἄκουε δίκης, μηδʹ ὕβριν ὄφελλε18).
10Parler de violence c’est donc, au moins implicitement, faire référence à une norme.
Celle-ci est explicitée chez Hésiode quand il dénonce les avis intéressés rendus par des
juges dôrophagoi19, « mangeurs de présents », qui rendent des sentences torses après
avoir été corrompus. Mais la norme est variable selon les temps et les lieux. Un acte
violent doit donc être considéré comme tel surtout si le regard des contemporains
permettait de le qualifier ainsi.