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Commentaire dialectologique

(XXVII. Le Bain Public1)


RAHIMIAN Aryan - LLCER ARABE 3
Dialectologie
UE2 – L6ARA0HA
Mr. Lagrange
31/05/2019

1
L.Brunot, Textes arabes de Rabat, P. Geuthner, Paris, 1952.

1
Le document est extrait d’un recueil de textes arabes du parler de rabat (Maroc) ayant
vocation à mener une enquête linguistique. Bien que le recueil date de la deuxième moitié du
20ème siècle et que les dialectes évoluent très rapidement ; il présente néanmoins un grand intérêt
quant à l’étude de ce dialecte à un instant T de son histoire et ce, via des textes reproduisant
une parfaite oralité. La particularité des parlers marocains réside dans leur contact à la langue
berbère (langue vernaculaire présente en Afrique du nord avant les conquêtes arabes et se
déclinant en de nombreuses variétés) et aux emprunts lexicaux de part et d’autre.
Notre extrait se présente telle une narration à la première personne du singulier ; ce qui
permet d’observer les usages d’un locuteur dans une situation de narration mais qui limite le
champ d’analyse par l’absence de dialogue. La narration décrit principalement des habitudes et
non pas des faits passés ni présents (au moment de la narration). Cette modalité dans la narration
permet d’observer un usage particulier mais limite à nouveau l’analyse (ce qui aurait été, soit
dit en passant, trop riche pour notre modeste commentaire). Enfin, le référentiel de comparaison
sera la variété dite littérale, non pas considérée comme modèle type mais simplement afin de
disposer d’un point de comparaison connu de tous.

PHONOLOGIE :
Nous divisons ici cette catégorie en 2 sous catégories : consonnes / voyelles.

· Consonnes :
- Vélarisation :
Il existe un phénomène de vélarisation de certaines consonnes lorsque que l’environnement
consonantique comporte une lettre emphatique. On a donc un phénomène de corrélation
d’emphase :
- L’occlusive bilabiale ‫ ب‬: kanṣēḅ l.1 (corrélation descendante uniquement).
- La vibrante alvéolaire ‫ ر‬: fǝṛṛbāṭ l.16 (forte corrélation montante qui affecte le vocable
entièrement) ; ḍahṛe l.11.
❊ À noter que ces deux consonnes se réalise normalement lorsqu’elles ne sont pas « en
contact » de vélaires : l-bāred l.7 ; l-berrāḥ l.17.

- Variation de réalisation :
Le parler de rabat (comme tous les dialectes) connaît des réalisations différentes de la variété
dite littérale :
- La fricative sonore interdentale ‫ ظ‬réalisée en dentale-alvéolaire /ḍ/ : ʿaḍāme l.1 ; ḍahṛe l.11.

2
- La fricative muette dentale ‫ ث‬réalisée en occlusive dentale sourde /t/ : l-mǝtla l.5.
- Deux réalisations de la fricative sourde alvéolaire ‫ ج‬:
- Réalisation en occlusive sonore vélaire /g/ : fǝlgulsa l.1.
- Réalisation en fricative sonore /ǧ/ : kayǧīb l.12.
❊ À noter la non réalisation géminée de celle-ci car trait des parlers du nord.

- La fricative sonore alvéolaire (proche dentale) ‫ ز‬subit une palatalisation et se réalise en


fricative sonore (proche palatale) /ǧ/ : ǧūǧ l.6.
- L’occlusive muette glottale ‫ ء‬en position médiane se mute en spirante palatale /y/ : ḥuwāyeǧī
l.13.
❊ À noter l’absence de modification de la réalisation de celle-ci dans cette occurrence :
kantʾazzer l.8 (est-ce dû à la présence, dans son environnement consonantique proche, de la
šadda provoquant la gémination ? ou sa fonction est-elle épenthétique ?).
❊ À noter également que l’occlusive muette uvulaire /q/ ne connaît pas de variation de
réalisation.

· Voyelles :
Au nombre de 6, elles se déclinent comme suit, mais leurs réalisations diffèrent selon leur
environnement consonantique : a, ā, e, i, o et u2.

- Le schwa /ǝ/, particularité des dialectes arabes, remplace de manière permanente dans le parler
de Rabat la voyelle courte /i/ : l-ḥǝmmām l.4.
❊ On notera son occurrence lors de la présence de l’article défini : lǝmdīna (à fonction
épenthétique dans ce cas).

- La voyelle longue /ā/ subit trois variations de réalisations :


- Une fermeture vocalique (légère) « au contact » de consonne emphatique : ǝnnāḍǝr
l.16 (corrélation d’emphase montante dans ce cas).
- Une fermeture vocalique (moyenne), cette fois sans présence de consonne
emphatique : ǝnnēs l.4.
- Fermeture (forte) et réduction de la durée vocalique : beš l.4.

2
Richard S. Harrell, A Dictionary of Moroccan Arabic, Georgetown University Press, Washington, 2007, p.10

3
- La voyelle longue /ū/ subit une ouverture vocalique et se prononce /o/ : ǝssḫon l.9.
- Deux cas de figure concernent les diphtongues :
- Chaque fois que le préverbe K est préfixé à un verbe à l’inaccompli conjugué à la 3ème
personne : kayḥokk l.11.
- Réduction à monophtongue : mūl l.1 ; ǧūǧ l.6.

❊ À noter la non présence d’imāla : ǝssaʿa l.12.

MORPHOLOGIE :
- Futur :
- Le préverbe /ġādi/ exprime le futur et il est invariable3 : ġādi iṭkrāu lḥammāmmāt « les bains
seront mis en location ».

- Négation :
- La négation use d’un participe actif /māšī/ qui peut apparaître sous sa forme abrégé /maš/ ou
encore sous la forme /ma/ et /š/ suffixé au verbe : māšī mqǝyyin l.9 ; mā ibqāšī l.20.

- Prépositions :
- Les prépositions connaissent des modifications et se transforment en prépositions
monoconsonantiques4 /fī : f/ : fsūq l.17 ; /min : m/ : mǝllī l.10.

❊ À noter qu’il semblerait que ces particules interagissent « au contact » de l’article défini,
par exemple dans ce cas la particule ne se transforme pas : min baʿd l.12 (à moins que ce soit
dû au fait qu’il s’agisse d’une locution figée).

- Morphologie verbale :
- La désinence modale de l’inaccompli à la 3ème personne du singulier disparaît : kayʿammāṛ
l.7.

- Les verbes à l’inaccompli conjugués à la première personne du singulier n’ont pas comme
indicateur la hamza mais le préfixe /n/ : naġsel « me laver » l.1.

3
Ibid. p.216.
4
Dominique Caubet, “Moroccan Arabic”, in: Encyclopedia of Arabic Language and Linguistics, Managing
Editors Online Edition: Lutz Edzard, Rudolf de Jong.

4
- A la différence des parlers orientaux, les parlers marocains n’usent pas du préverbe /b/ pour
indiquer le progressif. Ils usent plutôt du préverbe /k/ qui indique le progressif, l’indicatif et
l’habituel5 (ce qui est notre cas dans ce texte) : kandḫol-llḥǝmmām « je vais au bain public ; i.e.
d’habitude lorsque je vais au bain public », l.1.

- Le verbe de forme nue existe sous deux schèmes fǝʿǝl yǝfʿul / fǝʿǝl yǝfʿǝl => ġǝsel yǝġsel l.1 ;
dǝḫel yǝdḫul l.1.

- Participes actifs :
- Les participes actifs ont des valeurs sémantiques différentes6 :
- Exprime un état : mqǝyyin « être propre » l.9.
ǝ
- Exprime ni un état, ni un procès mais a valeur de substantif : nnāḍer
« l’administrateur » l.16.
❊ Il n’y a pas dans le texte de participe actif exprimant un procès bien que cette valeur
sémantique existe dans les parler marocains.

SYNTAXE :
- Les parlers marocains se distinguent par leur usage d’un article indéfini /šī/ se postposant au
nom qu’il rend indéfini : šī ḥammām l.19. Ce qui est absent dans les parlers orientaux ; et la
variété dite littérale où on exprime l’indéfini par le doublement de la voyelle finale.

- L’usage du féminin singulier pour désigner des pluriels non humains, règle en vigueur la
variété dite littérale moderne, n’est pas d’usage ici : wa l-ḫof minhum « j’en [les serviettes] ai
peur » l.9.

- Génitif :
- Le marqueur du génitif /dyāl/ fonctionne avec les pronoms affixes. Quant à sa forme réduite
/d/, elle fonctionne avec les noms composés7 : dyālī « à moi » l.8 ; dǝlqbāb « de sceaux » l.6.

5
Jeffrey Heath, Jewish and Muslim Dialects of Morrocan Arabic, Routledge, London, 2002, p.210.
6
Voir l’article de C. Audebert où il livre une analyse détaillée des valeurs sémantiques du participe actif dans le
parler cairote. Claude Audebert, Le cas du participe actif dans le parler du Caire : vers une grammaire à usage
didactique, Bulletin d’études Orientales, XLVI, 1994 – IFEAD - Damas, p.53-76.
7
Kristen Brustad, The Syntax of Spoken Arabic, Georgetown University Press, Washington, 2000, p.86.

5
- Conditionnel :
- Le conditionnel s’exprime à l’aide du vocable /ila/ propre aux parlers marocains : ila ṭǝqṭeʿ l-
mā « si l’eau est coupée » l.20.

LEXIQUE :
- A la ligne 4 et 20, nous observons l’occurrence du vocable /bāš/ propre aux parlers marocains
qui veut dire « afin que ».
- A la ligne 4 et 8 /layn/ qui a pour sens de conséquence, à croire que c’est une variation de la
locution /liʾanna/ du littéral.

Cette courte analyse permet de relever quelques particularités du parler de Rabat qui
s’inscrit dans les parlers maghrébins. Ces derniers ont pour particularités d’être des variétés
linguistiques uniques, composites d’arabe, de berbère (dû à la présence des autochtones amāziġ
avant les arabes) et de français (dû au protectorat français qui dura jusqu’en 1955) ; et d’un
substrat latin dû au contrôle de la côte atlantique par les romains jusqu’en 6988. Ces conditions
en font un milieu linguistique singulier qui nécessite des approches complémentaires de
sociolinguistiques afin de comprendre les évolutions des parlers et de les distinguer selon les
groupes sociaux auxquelles elles appartiennent originellement (sédentaires ou nomades et
parmi elles, les différentes strates et hiérarchies sociales)9.

8
Jeffrey Heath, Jewish and Muslim Dialects of Morrocan Arabic, Routledge, London, 2002, p.2.
9
Edited by Martine Haak, Rudolf de Jong & Kees Versteegh, Approaches to Arabic Dialects, Brill, Leiden,
2004, Chapitre 6 : Les parlers arabes nomades et sédentaires, p.69.

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