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12 Les usages de la langue

Objectifs du chapitre
Prendre conscience de la variété des usages : en fonction d’une communication écrite ou orale ; en
fonction de l’origine géographique du locuteur ou de son origine socioculturelle.
Distinguer les trois niveaux de langue (familier, courant, soutenu).
Analyser les effets produits par tel ou tel niveau de langue dans un texte littéraire.

Démarche
Le texte proposé permet de confronter, dans un même passage, différents niveaux
de langue. Il s’agit d’abord de les distinguer. Mais le plus intéressant est sans doute
la proximité des niveaux de langue, les effets qui en résultent, et le portrait du per-
sonnage de Molly qui se dessine à travers cette variation des niveaux de langue.

1. Reconnaître les niveaux de langue


a. En jaune : niveau de langue familier. Le vocabulaire est argotique : pognon, chiqué
(l. 8) ; certaines phrases sont disloquées : reprise du groupe nominal prépositionnel
à sa sœur photographe par le pronom lui (l. 5) ; le narrateur utilise des expressions
populaires comme croyait dur comme fer (l. 1) et des phrases nominales : Un cœur
infini vraiment, avec du vrai sublime dedans… (l. 7).
b. En vert : niveau de langue soutenu. Le vocabulaire est recherché et relativement
rare : pécuniairement (l. 9), relent de délicatesse (l. 13-14), cette nature (l. 14-15), parfois
La langue et le discours

spécialisé : pension budgétaire (l. 12), spéculer (l. 14). Le narrateur emploie l’imparfait
du subjonctif, temps rare : Bien que je lui apparusse (l. 10), des tournures syntaxiques
relevant du niveau de langue soutenu : Elle m’engageait seulement à (l. 11-12), ou Je
ne pouvais me résoudre à (l. 13) avec l’absence de l’adverbe de négation pas.
c. On constate une alternance entre les trois niveaux de langue tout au long du texte.
Dans le 1er §, le langage courant domine, avec quelques éléments de langue soutenue
(l. 1) et surtout familière (l. 1 et 5). Dans le 2e §, on retrouve les trois niveaux : familier
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(l. 7-9) et soutenu (9-10, 11-15), mais aussi courant, comme dans l’expression une sorte
de petit bilan (l. 12). Les trois niveaux de langue sont donc étroitement liés, et il est
même difficile d’associer une phrase entière à un seul niveau de langue.

CHAPITRE 12 Les usages de la langue 63


2. Interpréter les choix d’écriture
a. L’effet produit par ce tissage des niveaux de langue est de faire entendre une voix
très singulière : la proximité d’une parole orale se mêle au travail littéraire de l’ex-
pression, mettant en valeur le personnage évoqué : il en ressort une image complexe
de Molly, personnalité à la fois simple et raffinée.
b. Molly apparaît comme une femme facilement accessible pour le narrateur, et en
même temps délicate. Ce portrait romanesque fait d’elle une femme aimable et
sublime (l. 7). Généreuse, mais d’un univers très simple, Molly semble accéder à l’in-
fini (l. 7). Figure féminine, elle accède même au statut de figure angélique (l. 1).

EXERCICES
Exercice 1
Niveau de langue familier Niveau de langue courant Niveau de langue soutenu
bagnole voiture véhicule
flipper avoir peur redouter
bouquin livre ouvrage
môme enfant progéniture
histoire de pour afin de
ringard ancien suranné
chialer pleurer larmoyer
se goinfrer manger se sustenter
la boucler se taire garder le silence

Exercice 2
Caractéristiques de l’écrit : en-tête du courrier, lieu et date de rédaction ; apostrophe
courtoise (Monsieur), formules de politesse (Je vous prie de ; Agréez, Monsieur…) ; lexique
spécialisé du notaire ; signature de l’expéditeur.
Exercice 3
a. Les deux personnages mêlent les niveaux de langue. D’une part, des interjections
(ben, ah, pf…), un vocabulaire familier (dans le pétrin, tonton, et compagnie…), des excla-
mations et interrogations propres au dialogue oral (Allons !... Ça devient une manie !...
Est-ce que je chante, moi ?...). D’autre part, un niveau de langue soutenu avec des mots
rares (fariboles, fainéantise), une syntaxe recherchée (je ne sais rien faire d’autre que
de chanter), une injonction à la manière d’une morale classique (fais-en bon usage).
b. Le niveau de langue soutenu, notamment dans la dernière vignette, rappelle le
style classique de la fable de La Fontaine qui est ici « réécrite » (comme l’indique la
référence explicite au nom du fabuliste : depuis La Fontaine). Mais l’ajout d’éléments
familiers crée un décalage comique (accentué par le dessin : voir la présentation illi-
sible du propos pontifiant de la fourmi, ainsi que ses signes extérieurs de richesse…).
Il s’agit ici d’une réécriture plaisante de « La Cigale et la Fourmi ».
Exercice 4
a. Marotte emploie un langage courant, voire familier, comme le montrent l’inter-
jection familière dame ! (l. 8) et la forme du mot filofie (l. 9), déformation de philoso-
phie. Ce langage lui est reproché par Magdelon et Cathos, qui l’insultent : sotte (l. 4),
ignorante que vous êtes (l. 19-20), et lui enjoignent de mieux parler : apprenez à vous
énoncer moins vulgairement (l. 4-5). Magdelon et Cathos cherchent en effet à parler
avec un vocabulaire soutenu. C’est ainsi que Magdelon reformule complètement la

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phrase de Marotte : le laquais (l. 1) devient un nécessaire (l. 5-6). La proposition et dit
que son maître vous veut venir voir (l. 2-3) devient qui demande si vous êtes en com-
modité d’être visibles (l. 6-7). Magdelon utilise en particulier une périphrase, le conseil-
ler des grâces, pour désigner le miroir, comme l’explique Cathos à Marotte.
b. Ces niveaux de langue soulignent l’écart social entre les personnages : Marotte
est une servante, alors que Magdelon et Cathos sont des bourgeoises. Leur langage
souligne qu’elles cherchent à faire partie du groupe des précieuses, qui souhaitent
parler de manière subtile et raffinée.
c. Magdelon et Cathos sont ridicules parce qu’elles sont dans l’excès. Molière se
moque de leur refus radical de tous les mots du langage courant, comme les mots
laquais ou miroir. Il y a là un comique de mots. On a également un comique de situa-
tion, lorsque la servante ne comprend pas que Magdelon lui demande simplement
un miroir : Par ma foi, je ne sais point quelle bête c’est là : il faut parler chrétien, si vous
voulez que je vous entende (l. 17-18).
Exercice 5
a. La fermière n’accorde pas correctement les verbes : « j’vous vendions » et se répète :
« Ah ! mais non » (l. 1 et 2). La négation est incomplète : « c’est pas », certaines tournures
incorrectes : « C’est i permis ». Les « e » sont souvent élidés : « j’vous », « d’mande », les
formes abrégées : « ça » ou « ce », les mots mal prononcés : « pi », « éfant ». Son niveau
de langue est familier.
Au contraire, les d’Hubières utilisent la négation correcte : « ils ne veulent pas », pro-
noncent bien les mots : « enfant », utilisent un vocabulaire plus rare : « songez ». Leur
niveau de langue est courant, voire soutenu.
b. Un tel contraste reflète la différence de condition sociale entre la « fermière », la
« paysanne » d’une part, et Mme d’Hubières, qui a un nom à particule et qui vit dans
un milieu aisé, où « tous les désirs ordinaires sont satisfaits ».
c. La fermière se « lèv[e] », est furieuse », « exaspérée ». Mme d’Hubières est en larmes :
« pleurer », « sanglots ». M. d’Hubières ne dit rien. Dans l’exercice de la parole, c’est ici
la paysanne qui a le pouvoir.
Exercice 6
On évaluera ici la cohérence entre le vocabulaire et la syntaxe des phrases propo-
sées par les élèves.
Exemple :
– J’ai lu un bouquin trop top, faudrait qu’tu l’lises aussi !
– Ce livre est vraiment intéressant. Tu devrais le lire aussi.
– Cet ouvrage est remarquable. Je ne peux que t’en recommander la lecture.
Exercice 7
Proposition :
– Raboule ta fraise, y a un mec chelou qui veut t’causer devant la porte.
– Pourrais-tu parler de façon moins vulgaire, s’il te plaît ? Tu pourrais dire plutôt, et ce
serait plus correct : « Viens, s’il te plaît, un individu étrange souhaite te parler ».
La langue et le discours

– Vas-y, j’parle comme je veux ! J’ai pas été élevé avec une cuillère en or dans la bouche !
[…]
– Bon, pourrais-tu m’apporter mon couvre-chef ? Il fait froid dehors.
– Mon couvre-quoi ? C’est quoi ce truc ? Tu peux pas parler comme tout le monde ?
– Ah, connaître un peu plus de vocabulaire te serait utile tout de même ! Je te parle de
mon chapeau, bien sûr !
PARTIE 1

Exercice 8
Proposition : Ça alors ! Dire que j’avais pas vu mon pauvre vieux depuis… Et qu’est-ce
que c’est que ça, une disposition très importante ? Allons bon ! Bonne ou mauvaise sur-

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prise ? Difficile à dire. Mon pauvre papa n’avait pas grand-chose je crois. Ou alors je me
trompe ? Y a plus qu’à aller voir ce Tardivel, en espérant qu’il nous garde notre part du
gâteau. Parce que c’est pas tout ça, mais un peu d’oseille, ça ferait pas de mal par les
temps qui courent !
Exercice 9
a.
Niveau Caractéristiques lexicales Caractéristiques syntaxiques
de langue
Notations Courant – Vocabulaire très simple : heure – Phrases courtes, voire nominales
d’affluence (l. 1), les gens (l. 4), (l. 1). Phrase simple (sujet/verbe/
voire familier : un type (l. 1) complément, l. 4-5)
– Verbes au présent : descendent
(l. 4)
Vulgaire Familier – Vocabulaire populaire : galurin – Abréviation : L’était un peu plus
(l. 5), voire enfantin : zozo (l. 4) dmidi (l. 1),
– Vocabulaire imprécis : fait (l. 8) – Élision des e : jmonte, jpaye (l. 2)
pour « dit » – Déformation de l’incise : qu’il lui
– Expressions familières : le voilà- fait (l. 8), qu’il ajoute (l. 9)
tipas (l. 7), comme de bien entendu
(l. 2-3)
Précieux Soutenu – Vocabulaire recherché, à la limite – Phrases complexes et longues
(jusqu’à la du ridicule : palpitait (l. 3), exhalant (l. 10 à 21)
caricature, (l. 4), corrosive (l. 6), moites confins – Verbes à l’imparfait et au passé
par l’excès de de la dissolution sudoripare (l. 10), simple : c’était (l. 1), éleva (l. 17)
préciosité) une tête aussi fade que plombagi-
neuse (l. 17), heurt (l. 21)…

b. Les éléments relevés dans la question précédente doivent servir de point de départ
pour l’élaboration de trois paragraphes : respect d’un vocabulaire très simple et d’une
syntaxe libre et assez souple dans le cas d’un niveau de langue courant ; respect d’un
vocabulaire imprécis, populaire, et jeu avec une syntaxe pas toujours correcte dans
le cas d’un niveau de langue familier ; respect d’un lexique recherché et de phrases
complexes dans le cas d’un niveau de langue soutenu.
L’intérêt de l’exercice est de sensibiliser les élèves aux problèmes de « traduction »
au sein même du français, d’une situation de communication à l’autre. L’effet comique
de la réécriture d’un même événement selon trois niveaux de langue à ce point dis-
tincts ne saurait être ignoré.
Exercice 10. Proposition :
Paragraphe 1
Le genre romanesque cherche souvent à reproduire les usages de la langue les plus
divers, parce qu’il y trouve un intérêt esthétique. La langue évolue, selon les milieux
dans lesquels elle se développe, et chaque groupe réinvente la langue, avec un génie
qui lui est propre. C’est cet aspect dont le genre romanesque veut rendre compte. C’est
ce qu’explique ainsi le narrateur dans Splendeurs et misères des courtisanes de Bal-
zac. Il évoque « la poésie », la « vivacité d’images » de l’argot des bagnes et des prisons.
Ce langage, comparé au langage utilisé couramment, est, selon le narrateur, bien plus
riche et plus intéressant, comme en témoigne le passage suivant : « Qu’est-ce que l’ex-
pression se coucher, comparée à se piausser, revêtir une autre peau. »
Paragraphe 2
Ce paragraphe pourra tourner autour de l’argument suivant : le genre romanesque
cherche à rendre compte des catégories sociales les plus diverses. On pourra s’appuyer
sur des extraits de romanciers réalistes et naturalistes, ou sur des textes plus contem-
porains, dans lesquels on trouve une véritable diversité du langage en fonction des per-
sonnages qui l’utilisent.

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