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Séquence ④ : L’Etranger, d’Albert Camus

Objet d’étude : Le personnage de roman du XVII° siècle à nos jours

En quoi Meursault est-il un


Problématique
personnage emblématique de l’absurde ?
!
I) Un personnage pris dans un monde bizarre et laid!
- des gestes vides de sens (du moins pour Meursault, même s’il les accomplit par conformisme)!
- Puis il m’a serré la main qu’il a gardée si longtemps que je ne savais trop comment la retirer (I,1)!
- des corps sans unité, sans cohérence !
- Cf le “bruit singulier” que font les vieillards pendant la veillée funèbre : perception de fragments de la réalité,
fragments qui, coupés de leur contexte, perdent leur sens. Meursault ne s'attache qu’à l’aspect extérieur, sans
rechercher les causes.!
- une humanité laide et médiocre!
- Meursault relève la “bouche sans dents” des vieillards, leur visage qui n’est qu’un nid de rides ; de pérez, il
repère le “nez truffé de points noirs”!

! - Salamano qui bat son chien, Raymond Sintès qui est proxénète : exploitation, cruauté entre les êtres!

II) Un personnage pris dans l’absence de communication!


1) L’impuissance du langage!
- mots stéréotypés et lieux communs en guise de consolation lors d’un deuil!
- il avait appris la mort de maman, mais (...) c’était une chose qui devait arriver un jour ou l’autre (I,3)!
- on n’a qu’une mère (I,1)!
- mots qui ne permettent pas la communication, qui font écran entre les êtres!
- discours théâtral du procureur!
- discours conventionnel du prêtre (et complètement vain quand il s’adresse à un athée)!
2) Séparation et solitude!
- “Je n’ai pas entendu” : véritable leitmotiv!
- malentendus!
- Meursault a toujours l’impression qu’il est en tort. Ainsi, face au directeur de l’asile, comme face à de
nombreux autres : “J’ai cru qu’il me reprochait quelque chose” (I,1)!
- incommunicabilité des sentiments!
- Meursault ne comprend pas les sentiments, puisqu’il reste toujours en surface des choses et ne cherche pas
à comprendre!
- il commence à ressentir les émotions des autres lors de son procès : ainsi, à propos de son avocat, il
comprend qu’il est “à bout de patience”, ou qu’il semble “ébranlé” par le discours du procureur. Ou bien il
constate lui-même “pour la première fois, j’ai compris que j’étais coupable” ou “J’ai compris que les choses
n’allaient pas bien pour moi” (II,3)!
- scène du parloir : cacophonie des conversations entremêlées dans lesquelles aucun échange véritable ne
peut avoir lieu!
3) Le parti-pris du silence!
- le laconisme de Meursault est particulièrement sensible à travers le discours rapporté!
- “Comme je ne disais rien, il m’a demandé si cela m’ennuierait de le faire tout de suite et j’ai répondu que non
(...) C’est seulement quand il m’a déclaré : “Maintenant tu es un vrai copain” que cela m’a frappé. Il a répété
sa phrase et j’ai dit : “oui” (I,3)!
- Meursault ne s’exprime pas sur ses actes, et ne s’explique pas sur ses choix!

! - Il ne sait pas quoi répondre aux “Pourquoi” du juge lors de l’instruction !

III) Un personnage extérieur à sa propre vie!


1) L’étonnement!
Meursault est en permanence étonné par un monde et des êtres qu’il NE COMPREND PAS, auxquels il est incapable de
donner un sens. Et c’est le STYLE qui va faire ressentir au lecteur cette extériorité, cette “étrangeté” face au monde.!
- Jeu sur le discours direct et indirect!
- Le discours indirect est envahissant : non seulement les verbes introducteurs alourdissent la phrase, mais ils
prennent souvent plus de place que les mots qu’ils rapportent (“J’ai répondu que oui”). Cette insistance sur la
forme se fait au détriment du fond, car elle laisse supposer que ce dernier n’a pas d’importance.!
- A Marie qui lui demande s’il épouserait une autre femme qu’elle qui le lui demanderait (I,5), il répond en ces
termes : “J’ai dit : Naturellement”. Ainsi le discours direct apparaît comme un constat objectif, comme dans un
rapport de police, mais la plupart du temps, les mots rapportés n’ont pas d’intérêt en eux-mêmes et n’ont pas
besoin d’être mis en valeur par un style direct. Ainsi, lorsque Marie dit à Meursault que le mariage est une
chose grave, Meursault rapporte : “J’ai répondu : “Non”, comme s’il faisait un compte-rendu précis de chaque
mot prononcé. Mais sorti de cette précision maniaque, il n’y a aucune explication, aucune justification.!
- Juxtaposition des phrases!
L’absence de liens logiques entre les phrases fait l’effet d’une suite d’actions qui s’enchaînent par hasard, sans
cohérence, sans sens. Il n’existe plus de cause, ni de conséquence, plus rien n’est motivé, plus rien n’a de raison d’être.!
- Utilisation du Passé Composé!
Le Passé Composé porte en lui même un aspect particulier de l'action : c’est l’aspect accompli. Il exprime le caractère
clos, terminé d’une action. A l’inverse du passé Simple, qui introduit un ordre chronologique, et donc une certaine logique
d’ensemble, le passé Composé présente une succession d’actions indépendantes les unes des autres, c’est-à-dire qui
n’ont pas de rapport entre elles : comme pour la syntaxe par juxtaposition, on tombe dans l’absence de cohérence, et
donc l’absence de sens, et donc dans l’ABSURDE.!
- Attention extrême portée aux détails!
Ils ralentissent l’action et lui font perdre son dynamisme et son intérêt. Ainsi, lorsque le concierge de l’asile propose à
Meursault une tasse de café au lait, celui-ci prend le temps d’expliquer : “Comme j’aime beaucoup le café au lait, j’ai
accepté”. Meursault est là pour veiller sa mère morte, et cette attention à un détail trivial paraît d’autant plus déplacée
qu’il n’a jusqu’à présent porté aucune attention à sa mère. Cette focalisation sur le détail concret alors que l’on attend
des sentiments ou des impressions subjectives est extrêmement choquante. !
Par ailleurs, Meursault donne l’impression de ne jamais prendre le recul nécessaire pour avoir une vue globale de la

!
situation, il se concentre très souvent sur de petits détails insignifiants. !

2) L’indifférence!
- l’absence d’engagement : ”Ce divorce entre l’homme et sa vie, entre l’acteur et son décor, c’est proprement le
sentiment de l’absurde”, écrit Camus dans Le Mythe de Sisyphe (1943).!
Meursault n’est concerné par rien, il n’est pas impliqué dans sa propre vie!
! - “Cela m'intéressait de voir un procès”, dit-il (II,3) alors que c’est LUI qui est jugé. !
Dans l’écriture, cela se traduit par une ABSENCE DE HIERARCHISATION des actions et des sensations rapportées :
tout est mis sur le même plan. Or porter la même attention au détail minime et au fait important, c’est signifier que RIEN
N’A D’IMPORTANCE, que tout se vaut, que tout est égal. C’est encore une fois plonger le lecteur dans un monde
ABSURDE.!
! - “Je me suis aussi lavé les mains” (I,2)!
- Tout est équivalent!
- “Cela m’était égal”!
- “Cela n’avait aucune importance”!
- C’est le hasard qui décide, Meursault précise souvent qu’il peut agir ou ne pas agir...!

!
Cette loi du hasard manifeste l’impuissance de l’homme qui ne maîtrise pas sa vie (cf le meurtre)!

IV) Le dépassement de l’absurde!


1) L’expérience de la mort!
Elle n’est pas vécue comme une fin absurde, mais comme le principe fondateur de la valeur de la vie. En effet, la vie ne
devient précieuse et heureuse qu’à partir du moment où l’on a accepté de mourir un jour. Toute la philosophie

!
camusienne tient là.!

2) Le bonheur!
- Il vient de la capacité à vivre la vie dans ce qu’elle a de terrestre (pas de faux refuge dans la religion : l’homme absurde
est foncièrement athée) et dans ce qu’elle a de concret (cf la fusion harmonieuse entre Meursault et la nature, dans la
dernière page du roman). C’est le bonheur de la sensation, le bonheur du corps, que ressent Meursault.!
- Le bonheur vient aussi de la capacité à vivre dans l’instant, sans se projeter dans l’avenir, sans regretter le passé, sans
chercher les causes et les conséquences de ses actes, sans porter de jugement sur la vie.!
C’est l’absence d’espoir dans une autre vie après la mort qui amène à jouir de la vie dans l’immédiat, à s’y consacrer
pleinement sans être taraudé par les doutes, les incertitudes (notamment sur l’heure de sa mort), les illusions. Ainsi, et
paradoxalement, l’absence d’espoir libère (cf dans la dernière page : “purgé du mal, vidé d’espoir”) et permet d’employer
pleinement sa vie à chercher le plus de joies possibles (et des joies simples, celles du corps et de la sensation) : “je

!
comprenais pourquoi à la fin de sa vie elle avait pris un “fiancé”, pourquoi elle avait joué à recommencer”.!

3) La revendication de l’étrangeté!
- Meursault rejette définitivement un monde qui lui est “à jamais indifférent”!
- Il veut maintenant assumer son destin d’étranger –désir qui fait de lui un HEROS de l’absurde– et souhaite les cris de
haine d’une société avec laquelle il ne veut plus du tout avoir affaire, dont il se veut totalement et définitivement

! détaché.!

CONCLUSION!
D’étranger à lui-même et aux autres, Meursault devient à la fin du roman un homme réconcilié avec lui-même et le
monde, qui a compris sa différence et la revendique. Le sentiment de l’absurde apparaît comme une conquête sur une
société qui fait tout pour le masquer, et qui condamne à mort un homme qui ne joue pas le jeu.

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