Vous êtes sur la page 1sur 2

Texte BAC 10

Albert Camus est un auteur algérien très engagé en politique car il fait partie du parti
communiste français de 1935 à 1937 avant d’écrire pour des journaux de gauche. Né
algérien, il s’oppose à la guerre d’Algérie en 1956. S’il a débuté par le journalisme, Camus
s’est vite tourné vers la littérature. Il débute par des essais et des poèmes avant de
s’attaquer aux romans comme L’Etranger, La Chute ou La Peste. Le passage étudié ici
constitue l'incipit du roman qui s’ouvre sur la phrase célèbre : “Aujourd’hui, Maman est
morte.” faisant débuter le récit par un événement dramatique essentiel dans l’histoire et par
une technique narrative entre récit et discours. Dans L’Etranger, Meursault, le personnage
principal de l'œuvre, reçoit un télégramme lui annonçant la mort de sa mère, il doit
demander un congé à son patron pour rejoindre l’asile où se trouve sa mère.

Lecture à haute voix

Nous pouvons d’ores et déjà soulever la problématique suivante : En quoi Meursault


semble-t-il étranger à lui-même et au monde dans lequel il vit ? Le texte se divise en quatre
mouvements : le premier, du début du texte à la ligne 3 est l’annonce de la mort de la mère
de Meursault. Le deuxième mouvement, qui s’étend de la ligne 4 à 7, relate les préparatifs
du voyage. Le troisième mouvement, de la ligne 7 à 11, se penche sur les réactions
ambiguës et peu conformes de Meursault. Enfin, le dernier mouvement, de la ligne 12 à la
ligne 16, présente des personnages plus conventionnels.

Dans un premier temps, nous apprenons la mort de la mère.


D’emblée, nous remarquons un style d’écriture lapidaire avec une succession de phrases
courtes, juxtaposées, imitant la forme de l’écriture du télégramme dont le but est de donner
des informations essentielles, ici la mort de la mère, le constat est sans émotions. De plus,
l’écriture s'inscrit dans la forme d’un journal intime : le récit est à la première personne “je”
(point de vue interne) et l’écriture est sous forme de notes. Cependant, normalement,
l’écriture du journal intime est le reflet de l’épanchement du moi mais dans cet extrait, le
narrateur personnage nous livre peu ses sentiments. L’écriture prend une forme assez
neutre et objective ce qui donne une image d’un personnage peu impliqué et presque sans
affect. La seule marque de subjectivité témoignant de son respect envers sa mère et son
attachement affectif est l’emploi du terme enfantin “maman”
Tous ces aspects donnent un caractère d’oralité au discours, le lecteur se retrouve presque
simultanément dans le présent du personnage et plonge sans son intériorité. Meursault
semble déjà être extérieur à lui-même comme si quelqu’un d’autre réagissait à sa place. Le
personnage se montre indifférent, voire presque insensible.

Dans un deuxième temps, l’auteur nous relate les préparatifs du voyage pour Marengo.
Le narrateur envisage les préparatifs de son voyage à Marengo et les démarches
nécessaires à sa réalisation d’où l’emploi du futur de l’indicatif “je rendrai”, “j’arriverai”. Il se
projette dans des actions à venir qui rythmeront sa journée : indications spatiales et
temporelles précises : “80 km d’Alger”, horaire précis à l’aller “autobus à deux heures”,
temps défini du retour “demain soir”. La mort de sa mère l’oblige à modifier son emploi du
temps sans véritablement le bouleverser. Ensuite, par la phrase “j’ai demandé deux jours de
congé à mon patron et il ne pouvait pas les refuser avec une excuse pareille”, le narrateur
rappelle la chronologie des faits et des usages à effectuer dans de telles circonstances,
mais le personnage réagit de manière inadaptée “avec une excuse pareille”, il se montre
encore une fois insensible voire presque inhumain. Le lecteur pourrait penser que cette
“excuse” est le prétexte pour obtenir un temps de repos supplémentaire. Par la suite,
Meursault s'excuse presque de la mort de sa mère, car il a peur d’être jugé, mais ses
agissements sont encore une fois révélateurs de son inadaptation à la société.

Dans un troisième temps, Meursault a des réactions ambiguës et peu conformes.


Tout d’abord, Meursault mène une réflexion intérieure “je n’aurais pas dû dire cela”, cela
montre qu’il ne respecte pas les normes ou certains codes, qu’il est étranger aux pratiques
sociales. Par la suite, Meursault rappelle indirectement les codes liés aux rituels funéraires,
de par l’expression “présenter des condoléances”, “il me verra en deuil” (fait mention aux
vêtements noirs du deuil) et “enterrement”, aux conventions sociales “une allure plus
officielle”. Enfin, nous remarquons que le texte a une logique déconcertante : les liens dans
son mode de raisonnement sont peu en rapport les uns avec les autres : tout est mis sur un
même plan, les condoléances du patron, l’expression d’une forme de déni “Pour le moment,
c’est un peu comme si maman n’était pas morte” et l’expression d’une absence de
bouleversement du quotidien : “Après l’enterrement, ce sera une affaire classée”.

Dans un quatrième temps, nous retrouvons des personnages plus conventionnels.


Tout d’abord, nous voyons que les clients du restaurant Chez Céleste respectent les codes
sociaux comme le confirme la phrase : “ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et
Céleste m’a dit : on a qu’une mère. Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte”. La
formule utilisée par Céleste est une expression passe-partout, conventionnelle, réutilisable
dans toutes les circonstances. L’utilisation des guillemets souligne le caractère tout fait de la
formule. Cela rappelle la formule de politesse qui clôt le télégramme. C’est un langage
mécanique qui finit par ne plus vouloir rien dire. Cependant, le personnage de Meursault
tente de respecter certains codes sociaux, en empruntant “une cravate noire et un
brassard”, vêtement du deuil, permettant de manifester sa tristesse aux yeux de tous. Mais il
n’exprime toujours aucune marque langagière d’émotion. Or, celui qui ne manifeste pas
assez fort sa tristesse, ne respectant pas les rituels sociaux, devient étranger à la société
dans laquelle il vit et même suspect aux yeux du groupe.

Par conséquent, Meursault est un personnage étranger à lui-même, aux autres, aux normes
de communication, aux rituels sociaux, à la société et au monde dans lequel il vit. Ce roman
est étranger aux codes romanesques traditionnels, mettant en œuvre une nouvelle manière
d’écrire des romans et de construire des personnages : Meursault apparaît comme un
anti-héros, bousculant le lecteur et ses représentations.

Vous aimerez peut-être aussi