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Jean-Paul Hamby

Circonscription du premier degré


de Livry-Gargan 93190
jean-paul.hamby@ac-creteil.fr

Langue, langage, langages :


les choix terminologiques et leurs enjeux
dans les textes officiels de l’école primaire et du collège
Les termes Langue, langage et langages sont devenus les vocables obligés et officiels des
discours pédagogiques ; la langue peut d’ailleurs devenir tour à tour première, française,
maternelle, nationale, de la république, de la scolarisation…
Cette diversité des dénominations est révélatrice de la difficulté rencontrée pour identifier et
nommer une réalité une et multiple. Ces tâtonnements peuvent paraître maladroits ; ils sont
cependant riches de signification.
La brève étude proposée ici est limitée à ces termes (et notions) : langue, langage et langages.
Les évolutions constatées au fil des années et les télescopages ou hésitations dans les
formulations et dans les usages peuvent aider au repérage de quelques enjeux théoriques et
pédagogiques importants.

Langue/langage

Sans reprendre ici l’aperçu historique présenté ailleurs1, rappelons que l’on a vu peu à peu
s’imposer l’usage des termes langue et langage ; la brochure de 1992 était titrée la maîtrise de
la langue à l’école - alors qu’en 1972 avaient été publiées des instructions relatives à
l’enseignement du français à l’école élémentaire.
Les derniers textes officiels de l’école primaire parus en 2002 (postérieurs à l’article cité)
modifient à nouveau la dénomination officielle : on parle de « maîtrise du langage et de la
langue française » pour désigner un « domaine d’activité » aux cycles 1 et 2 et un « domaine
transversal » au cycle 32.
L’intérêt de cette formulation est réel (nous l’analyserons plus loin) ; elle apparaît comme un
aboutissement (provisoire, par nature) ou une synthèse des hésitations antérieures, mais dans
ce texte, comme dans tous les précédents, à aucun moment, les choix terminologiques et les
changements opérés ne sont présentés, décrits, expliqués….
L’étude des diverses occurrences de langue et de langage réalisée dans les textes antérieurs
faisait apparaître une absence de rigueur dans leur emploi : ces termes y étaient à peu près
interchangeables, l’opposition langue/langage s’y trouvant neutralisée3.
Dans les programmes de 2002, leurs usages se trouvent différenciés de manière significative,
du cycle 1, où langage est prédominant, au cycle 3, où langue et langage sont nommés tour à
tour, une dialectique paraissant se dessiner dans leurs emplois. Pour autant, ceux-ci ne sont ni
argumentés, ni explicités. On devine ou suppose seulement que les choix terminologiques
ainsi opérés ont de véritables enjeux, qu’il conviendrait d’identifier.

1
Jean-Paul Hamby, Langue ,langage, langages…choix, ambiguïtés, flou ,dans les derniers textes officiels de
l’école primaire, in Le FRANÇAIS AUJOURD’HUI, N°133, Avril 2001, Des réformes en pratiques.
2
Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, B.O. N° 1 (hors-série) du 14 février 2002.
3
Cf. art. cit., p. 45

1
Le terme langage est polysémique (il désigne aussi une « fonction », considérée comme
proprement humaine), mais dans cette distinction, qui évoque la coupure langue/parole opérée
par F. de Saussure, les deux notions dessinent leur signification selon un système
d’oppositions que l’on peut résumer très grossièrement :

langue langage
Code commun, norme ; Usages de la langue ;
« lois langagières d’une communauté » Mises en mots effectives dans des situations
(Barthes) : partie sociale du langage, variées et toujours déterminées socialement et
extérieure à l’individu ; psychologiquement ;
Système syntaxique et lexical, structure ; Utilisations individuelles ;
Abstraction fabriquée par des chercheurs ; Pluralité et diversité des usages.
« Système organique que la linguistique s’est
donnée comme objet en se constituant comme
science » (A. Compagnon) ;
Repères et contraintes formels ;
Virtualité.

La prise en compte du langage ainsi défini est corrélative de l’importance accordée, dans la
réflexion et les textes pédagogiques, aux pratiques langagières effectives des élèves :
- dans les textes pour l’école primaire la « langue » est désignée depuis 1991 comme une
compétence transversale (il s’agit alors plutôt du langage !), qui s’exerce et se construit
dans la diversité des activités, notamment dans les différentes disciplines ;
- au niveau du collège, le recours à la notion de « discours » correspond à un choix
théorique explicité : « on entend par discours toute mise en pratique du langage dans un
acte de communication à l’écrit ou à l’oral » (1995, programmes pour le cycle
d’adaptation)
Si les formulations ne se recoupent pas (le terme discours est ignoré à l’école primaire), la
convergence existe donc bien entre le 1er degré et le collège, même si elle n’est pas vraiment
explicitée, ni argumentée.
L’étude formelle d’énoncés détachés de tout véritable contexte et usage (étude de la langue
donc, dans une terminologie un peu rigoureuse) n’est plus le tout de l’enseignement : les
instructions de 2002 limitent, de manière significative, pour le cycle 3 de l’école primaire, le
temps consacré à l’observation réfléchie de la langue française (grammaire, conjugaison,
orthographe, vocabulaire)4, mais accordent aux pratiques langagières effectives une place
explicite dans tous les champs disciplinaires.
On notera ici - sans pouvoir approfondir cette question essentielle - que toute mise en mots,
aussi libre et originale soit elle et quelles que soient les caractéristiques de la situation, prend
en compte les contraintes de la langue (d’une langue particulière) : certaines sont impératives
(le déterminant est toujours avant le substantif), d’autres plus souples ou porteuses d’effets de
sens (la place de l’adjectif qualificatif, avant ou après le substantif)5. Ainsi, la langue ne peut
pas être simplement un objet d’études formelles : elle reste un horizon et le cadre de toute
énonciation ; l’ouverture nécessaire vers le « langagier » ne peut s’affranchir des règles de la
langue6.

4
Entre 1 h 30 et 2 h par semaine.
5
Les travaux de linguistique générale de Claude Hagège ou de Frédéric François, par exemple, apportent des
éclairages très riches sur ces questions.
6
On pourrait trouver des pistes de réflexion intéressantes dans le très stimulant essai de Jacques Coursil, La
fonction muette du langage, IBIS ROUGE, 2000 : si «le moi conscient, contrôleur et constructeur, est hors jeu de

2
Et c’est précisément cette articulation ou cette liaison entre langue et langage qui reste à
analyser, à comprendre et à intégrer aux pratiques d’enseignement. Il y a là une sorte de point
aveugle, qui génère bien des malentendus théoriques… et des maladresses dans les pratiques.

Langage/langages

Le pluriel langages est aujourd’hui largement utilisé, formant couple avec la langue, ou seul
comme s’il constituait alors le tout de la réalité langagière ! « Les langages, priorité pour
l’école maternelle », affirme dans son titre une instruction officielle parue en 19997. Le
« cahier des exigences pour le collégien »8, publié par le ministère de l’éducation nationale,
fait également référence à la pluralité des langages qui doivent être « maîtrisés » par les
élèves. La plupart des sites électroniques, colloques ou actions/journées pédagogiques font
largement appel à cette « notion » ( ?) de langages.
Au-delà des effets de mode ou des tics de langage, des perspectives intéressantes se dessinent
pour la réflexion et pour les pratiques pédagogiques. Mais les textes officiels et les discours
courants utilisent ce vocable sans apporter les clarifications explicites attendues, ni en avoir
des usages dont la pertinence et la cohérence seraient repérables.

En réalité, se trouvent évoquées des réalités parfaitement hétérogènes :


- dans le texte pour la maternelle : le langage oral/la parole, le langage écrit, les langues
étrangères, le langage des images, le langage du corps9 ;
- dans le texte pour le collège : les langages visuels (eux-mêmes pluriels !), les langues
vivantes, les technologies de l’information et de la communication, l’expression artistique
et physique, les arts plastiques, la musique ; si « le langage mathématique », « compétence
de base essentielle », fait partie des « langages fondamentaux » (p. 12), il est précisé, de
manière assez ambiguë, dans le chapitre qui lui est spécifiquement consacré, que « les
mathématiques sont aussi une discipline, voire un langage (sic), qui doit permettre aux
élèves de découvrir d’autres formes d’expression que la langue usuelle : nombres, figures,
graphiques, formules, tableaux, schémas » (p. 48)

De fait, le recours au pluriel (les langages) s’effectue dans une très grande confusion, qui a
l’inconvénient majeur d’occulter la réalité - « par nature » - plurielle du langage et de rendre
opaques des enjeux pédagogiques et éducatifs essentiels.

Sémiologies

A côté du langage verbal, de nombreux systèmes de signes existent et sont aujourd’hui


étudiés. La sémiotique (devenue discipline indépendante avec le philosophe Peirce) ou
sémiologie (annoncée par le linguiste Saussure) a connu des développements d’une très
grande fécondité, notamment à partir du modèle de la linguistique (Cf. les travaux de R.
Barthes).
Selon un usage devenu courant, on peut sans doute utiliser le terme « langage » - même s’il
est alors largement métaphorique - pour désigner ces systèmes ou codes variés. Certains font

la parole effective (…) le parlant est nécessairement à l’écoute de ce qu’il dit lui-même… » (p 25). C’est peut-
être dans ce retour sur son propre discours que le sujet fait appel, de manière privilégiée et pertinente, aux règles
de la langue, de manière intuitive (incorrections perçues par les « locuteurs natifs ») ou informée.
7
Mais on a vu que le recours à ce pluriel est abandonné dans les programmes de 2002 !
8
Q’apprend-on au collège, CNDP, XO Editions, 2002.
9
Cf. art. cit. p. 47.

3
explicitement partie des programmes : leurs enjeux cognitifs, esthétiques ou civiques sont très
importants. L’école doit naturellement apprendre aux élèves à comprendre et manipuler ces
« langages » et leur permettre d’en avoir « la maîtrise ».
L’importance et la place qui leur sont légitimement accordées ne doivent cependant pas
aboutir à les confondre avec la langue, le langage verbal humain, qui possède des
caractéristiques propres.
Avec Benveniste, on peut notamment relever qu’« une chose au moins est sûre : aucune
sémiologie du son, de la couleur, de l’image ne se formulera en sons, en couleurs, en images.
Toute sémiologie d’un système non linguistique doit emprunter le truchement de la langue, ne
peut donc exister que dans et par la sémiologie de la langue »10.
Les amalgames trop souvent faits, en évoquant de façon vague « les langages », ne permettent
pas l’identification des caractéristiques propres à telle sémiologie, ni les usages et
accompagnements spécifiquement linguistiques qu’elle réclame.
Il faudrait sans doute, pour ne pas simplifier la réalité, préciser la nature des relations -
d’association ou de substitution - des signes de la langue à ceux des autres codes. Encore faut-
il d’abord opérer les clarifications indispensables.

« La langue comme code à sémiologie variable »

Parler des langages, c’est aussi évoquer la diversité des usages qui peuvent être faits de la
langue, selon les situations, les contextes, les domaines d’activité. Et l’on sait combien le sens
des mots, les manières de s’exprimer peuvent varier : il s’agit là d’une source majeure de
difficulté pour les élèves. Les rédacteurs des instructions officielles pour l’école et le collège
insistent, pour chaque discipline, sur la nécessité d’apporter une attention toute particulière à
l’activité langagière des élèves : les usages pertinents de la langue constituent une condition
d’appropriation des notions et connaissances propres à chaque discipline11. Mais, dans tous
les cas, ce sont les ressorts et les ressources du langage et de la langue, d’une langue toujours
particulière, qui sont mobilisés. Et c’est précisément le propre des langues humaines de
pouvoir faire varier, avec leurs ressources propres, les modalités du dire : parler sérieusement
ou non (le discours ironique signifie le contraire de ce qu’il dit), raconter une histoire vraie ou
inventée, raisonner de manière logique (selon une logique !), fantaisiste, délirante, etc. Selon
le genre et l’intention discursive du locuteur (voire malgré lui : les quiproquos et méprises
l’attestent), les mêmes mots, les mêmes énoncés peuvent avoir des significations différentes
ou opposées.

C’est pour rendre compte de ce pouvoir intrinsèque de la langue que le linguiste Frédéric
François la définit « comme code à sémiologie variable »12. Au-delà de la formulation, qui
peut être discutée, ce qui importe c’est la reconnaissance du pouvoir propre du langage de
faire varier les « jeux de langage » (Wittgenstein), les « genres du discours » (Bakhtine) ou ce
que F. François lui-même a nommé « mises en mots »13. Il ne s’agit pas simplement
d’identifier formellement les formes discursives - les « genres du discours » - mais plus
fondamentalement, d’en mesurer les enjeux et les effets, tout à la fois cognitifs, relationnels,
épistémologiques.
Et c’est à ce niveau que la pluralité des discours (des langages) doit être reconnue.

10
Cité (p. 121) in Ducrot, Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, 1972, Seuil
11
Mais c’est aussi dans la pratique disciplinaire que des usages spécifiques du langage peuvent s’apprendre : cet
aspect capital est souvent ignoré.
12
FRANÇOIS Frédéric et col., 1984, Conduites linguistiques chez le jeune enfant, Paris, PUF.
13
formule qui, hélas devenue un simple tic de langage, ne porte plus guère cette signification.

4
C’est toujours par inscription dans ce que Bakhtine nommait une « sphère concrète de
l’échange verbal », en référence aux modes relationnels et aux cadres de pensée propres à une
« forme de vie » (Wittgenstein) ou à une discipline (l’histoire, les mathématiques), que la
signification propre d’un discours se dessine :

− un « résumé », pour reprendre l’exemple utilisé dans le texte officiel de 1991 pour
illustrer la notion de « transversalité de la langue », peut être effectué à partir de situations
ou de textes variés . Mais derrière la désignation unique (résumer) existent des manières de
dire, de faire, des démarches mentales sensiblement différentes ; selon qu’il s’agit de
résumer un roman, un article d’histoire, une expérience vécue, une expérience scientifique,
on ne sélectionne pas les mêmes types d’informations avec les mêmes critères ; et un
même texte peut être « résumé » très différemment selon les intentions, les préoccupations
ou les connaissances et repères de celui qui l’élabore.

− une « hypothèse » peut être formulée par un détective ou un chercheur scientifique,


mais leurs mises en mots respectives (pour eux-mêmes et pour autrui) prendront des tours
variés et correspondront à des raisonnements, des cheminements mentaux spécifiques
(retours vers le passé, anticipations, déductions d’un point de vue logique ou
psychologique, etc ) et déboucheront, de manière significative, sur des actes et actions très
variés pour en « vérifier » la pertinence ou la validité : le détective effectuera des contrôles,
cherchera des indices, reconstituera les faits, le savant inventera un dispositif
expérimental…
− les dernières instructions pour l’école primaire invitent les enseignants à recourir au
genre spécifique nommé « débat » (au singulier !) dans des situations très variées
(éducation civique : un débat hebdomadaire est prévu, mais également dans la plupart des
autres disciplines) : il s’agit de mettre les élèves en situation de confronter leur idées,
connaissances, points de vue… Mais, cette fois encore, derrière la dénomination unique
(débat), il n’y a pas de réalité univoque : si de nombreux échanges à plusieurs - qui peuvent
légitimement être nommés « débats » - ont bien des caractéristiques communes
(l’alternance des prises de parole, l’expression individuelle de points de vue ou opinions
qui diffèrent, la présentation d’arguments pour convaincre, etc.), l’essentiel - l’intéressant
et l’important - réside dans leurs différences. Le débat scientifique (dans le laboratoire, à
travers des revues), le débat politique (à la télévision) et le débat entre amis (à propos d’un
film, d’un événement politique), par exemple, ne visent pas les mêmes effets sur
l’interlocuteur et ne réclament pas les mêmes types d’arguments. Le rapport à la vérité
n’est pas le même selon le champ de connaissances dans lequel on se situe : si dans
certains domaines des vérités reconnues existent, dans d’autres, le vraisemblable ou le
plausible suffisent14 et parfois la notion même de vérité est sans pertinence.

La grande difficulté des élèves est précisément d’identifier les règles langagières – tout à la
fois linguistiques, relationnelles, épistémologiques – à prendre en compte dans un contexte
particulier.

14
Sur ce thème on se reportera aux travaux fondateurs et toujours stimulants de Chaïm Perelman.

5
Une séquence de langage présentée et analysée par Elisabeth Bautier permet de bien situer le
problème et d’en mesurer les enjeux15.

Dans une classe de CE1, les élèves sont invités par leur enseignante à parler « de l’eau ». Le
thème est ouvert : il s’agit d’une séquence d’expression orale. Les élèves s’engagent dans des
discours très hétérogènes : l’un essaie de retrouver les formulations et les connaissances
d’une leçon de sciences, certains évoquent ou décrivent leurs expériences vécues, sur un mode
plus ou moins affectif, d’autres restituent des informations reçues, en précisant parfois leur
origine. Ils se placent ainsi d’emblée dans des « mondes » tout à fait hétérogènes et ont
recours à des « mises en mots » très différentes.
Cette diversité spontanée des discours est tout à fait normale, compte tenu du caractère ouvert
de la consigne initiale. Mais si plusieurs élèves parviennent très vite à prendre en compte le
discours d’un autre et à engager un dialogue sur les bases du genre reconnu (ils mettent en
cause une observation, demandent d’où provient une information…), et changent eux-mêmes
spontanément de registre, quelques-uns s’en tiennent à leur propre monde et à leur propre
langage ; ils ne parviennent pas à se situer par rapport à un « jeu de langage » différent du
leur. A aucun moment les élèves ne (se) posent eux-mêmes explicitement la question de la
nature de leur discours : exprimer ses sentiments et émotions ou chercher à expliquer un
phénomène observé sur la plage n’est pas du même ordre. Et sans doute est-ce normal ; cette
absence d’explicitation n’empêche cependant pas certains d’adopter avec aisance des postures
énonciatives variées.
L’enseignante elle-même n’aborde à aucun moment cette question. Ses commentaires ou
reformulations ne visent jamais à l’identification – et la légitimation provisoire – des points de
vue adoptés pour que des choix puissent éventuellement être opérés en toute clarté. Aucune
demande ou proposition n’est formulée pour qu’un regard réflexif sur le statut et le sens des
énonciations (que font les élèves en s’exprimant ?) soit possible. Cette attitude
« métadiscursive » n’est pas une exigence formelle, c’est une nécessité inhérente à l’activité
langagière. Si la capacité de certains élèves à jouer efficacement tel ou tel jeu de langage
(relevant de la fantaisie pure, de la rigueur déductive ou étant propre à une discipline, etc.) est
défaillante et réclame des apprentissages spécifiques, ceux-ci n’auront de sens que dans un
« cadre »16 (re)connu.
Les emplois confus du pluriel langages relevés dans nombre de discours pédagogiques
brouillent la perception de telles réalités et de leurs enjeux. La dimension plurielle du langage
trouve tout son sens et sa pertinence si le langage est appréhendé dans la diversité de ses
usages. L’inscription de la transversalité de la langue et du langage au cœur des programmes
de l’école et du collège apparaît alors parfaitement justifiée et n’est pas une simple pétition de
principe ou un vœu pieux.

CONCLUSION

Les raisons du recours aux termes langue et langage dans les textes officiels (plutôt que
français, par exemple) ne s’y trouvent jamais explicitées. L’évolution de leur emploi et
certaines différenciations opérées semblent pourtant répondre à des intentions implicites et
permettre de repérer et comprendre certains enjeux essentiels de l’apprentissage de la langue
et du langage par les élèves.

15
On trouvera ces documents sur le site du CNDP (ZEP/REP) : http://www.cndp.fr/zeprep/oral/
16
Cf. les travaux de Erving Goffman, notamment : Les cadres de l’expérience, Les éditions de minuit, trad. fr.
1991.

6
La coupure langue/langage, en particulier, donne sens à l’affirmation renouvelée (introduite
en 1991) du caractère « transversal » de l’activité langagière et explique les choix
pédagogiques réalisés pour établir les horaires et programmes de l’école primaire. La priorité
(antériorité et primauté) accordée au langage explique ces choix. Elle apparaît
particulièrement significative au cycle 3 : le renforcement des disciplines traditionnelles
(histoires, sciences, etc.), auxquelles s’ajoute maintenant la littérature, ne se fait pas au
détriment de la langue et du langage : c’est tout le contraire.
Pour autant, le partage langue/langage ne peut être simple. Il demande à être approfondi pour
que les pratiques discursives exercées dans les différents champs disciplinaires et dans les
activités de la classe n’apparaissent pas comme libres de toute contrainte : tout usage doit
respecter les règles a priori de la langue (progressivement et partiellement identifiées dans les
séances d’observation réfléchie) et les codes (langagiers, éthiques, épistémologiques…)
propres aux contextes et aux « genres », tout à la fois discursifs et disciplinaires.
A ce titre, le pluriel langages, lui-même jamais justifié, est porteur de beaucoup de
confusions. Son emploi dans les textes de l’école primaire a été abandonné – sans explication
– mais il demeure (ou a été introduit) dans la brochure présentant les programmes du collège.
Or la diversité des usages du langage – que les notions de genres, actes de langage, jeux de
langage, mises en mots permettent d’identifier dans la pluralité de leurs enjeux - constitue une
caractéristique propre du langage et est déterminante dans la réussite (scolaire et sociale) des
élèves. Des clarifications théoriques et une cohérence plus nettement présentée auraient sans
doute donné davantage de force et de pertinence aux options pédagogiques retenues dans les
textes officiels.

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