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Lalangue: la jouissance dans les limites du savoir

Andrés Armengol Sans


Universitat Autònoma de Barcelona/ Université de Toulouse II – Jean
Jaurès

D’abord, j’aimerais bien souligner que le but de mon texte est de remarquer le lien,
toujours singulier, entre deux éléments : le sujet et la langue. Ce lien est spécifiquement
singulier parce qu’une langue n’est pas simplement un code de signes que quelqu’un
apprend, mais c’est l’élément qui permet que chacun jouisse de façon qui n’est pas
interchangeable parmi les autres sujets. Celle-ci est une remarque psychanalytique qui
orientera cette brève réflexion au tour de l’imbrication entre le domaine subjectif et le
linguistique, question qui ne se confond pas avec la généralisation très récurrente qu’on
constate dans les élaborations de la « théorie critique », où sujet et discours ont obtenu
une menteuse synonymie qui ne permet pas de dépasser les perspectives trop attachées à
l’homogénéisation historiciste et nominaliste.
Étant donné cet éclaircissement, lequel a des conséquences méthodologiques et
éthiques, il faut aussi remarquer que, à cause de la largeur et complexité de la
psychanalyse, surtout dans sa version lacanienne, en ce qui concerne le rapport sujet-
langue, il faudrait simplifier certaines questions. Ainsi, le lecteur pourra interroger cette
petite contribution comme il le considère plus pertinent, spécialement si on retient que
le désir, articulé toujours comme désir de l’Autre, a forcément une nature interprétative.
Au même temps, bien que ce que j’offre soit une contribution écrite, on ne devrait
jamais oublier qu’un des rapports plus intimes entre sujet et langue se trouve dans
l’oralité, c’est-à-dire, la parole, dans laquelle chaque sujet est introduit grâce à l’Autre,
avec son regard et voix désirants1.
1
À propos du désir et de sa structure métonymique, Jacques Lacan a souligné deux dimensions
fondamentales, lesquelles ont une influence sur le sujet simultanément, bien que ses effets ne soient pas
identiques. D’abord, le désir en tant que désir de l’Autre est lié au regard, question qui permet de se
construire un corps à partir de l’image qu’on projet dans l’Autre. C’est le registre de l’Imaginaire, le
domaine des images qui donnent une cohérence à ce qui apparaissait chaotiquement avant de l’effet du
langage sur le sujet. Grâce au regard du désir propre de la fonction maternelle et son rapport
métonymique, le Moi comme surface étendue émerge, avec sa dialectique liée à la reconnaissance,
élément qui avait été déjà développé par Hegel dans son analyse de l’auto-conscience et son
dédoublement entre maître et esclave. La deuxième question, laquelle doit être comprise par rapport à ce
que je viens de remarquer, se réfère au lien entre parole et désir. En fait, à cause de l’effet du signifiant
sur le corps vivant, le sujet expérimente ce qu’on pourrait qualifier une « dénaturalisation », surtout parce
que la satisfaction du besoin, dans l’être humain, doit être formulé à travers de la chaîne signifiante, dans
laquelle on est introduit par l’Autre, qui doit interpréter la demande du sujet. La prééminence que le
signifiant acquiert sur le corps du sujet implique que le désir sera toujours un élément négatif, c’est-à-
dire, ce qui reste entre la demande et le besoin. Bref, le désir est insatisfait par structure, dépourvu d’un
objet qui puisse l’aboutir, inaccessible pour le sujet. À son tour, cette dynamique de la négativité propre
au désir implique que l’objet-cause du désir ne peut être retrouvé que de manière métonymique, voire,
toujours partiellement représenté par quelques objets empiriques. Cette explication et son graphe peuvent
être trouvés dans Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre VI : Le désir et son
interprétation 1958-1959. Paris, La Martinière-Éditions du Champ Freudien, 2013. En ce qui concerne le
lien entre désir et l’Imaginaire, voire Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre I : Les écrits
Mais, quelles sont les implications d’interroger la liaison entre sujet et langue selon la
psychanalyse lacanienne ? Selon quelques commentaires critiques plus ou moins
généralisés, la relevance conférée au langage, articulé comme chaîne signifiante2 dont
l’usage conforme des pratiques signifiantes, la psychanalyse se trouvera renfermée dans
deux domaines. Le premier est le structuralisme et le deuxième un idéalisme qui
assujettirait le sujet à un signifiant purement formel, manqué de toute matérialité et, par
extension, du corps. Par rapport à ces deux (fausses) accusations on entend très souvent
un des aphorismes plus connus de Lacan : « L’inconscient est structuré comme un
langage » (Lacan, 1973 ; l’italique est à moi). En dépit de ces accusations, cette
remarque sur l’inconscient n’est une simple invention ou mensonge diffusée par
quelque amateur de l’ouvrage lacanien, bien que l’aphorisme aie expérimenté les plus
diverses reformulations, dont la plupart sont décontextualisées.
En effet, formuler que l’inconscient se structure comme un langage suppose établir que
tout ce qui échappe à « souveraineté » du moi et qui fracture de manière irrémédiable le
sujet n’appartient pas à une région ésotérique ou métaphysique, mais plutôt aux effets
du langage sur le corps vivant. Comme résultat, l’inconscient n’est pas une obscurité
énigmatique, mais il est susceptible d’un déchiffrage partiel, ce qui devient possible
grâce au discours de l’analyste, lequel se constitue comme un lien social entre analyste
et analysant dans la clinique. Le déchiffrage de l’inconscient est élaboré à partir de la
série de signifiants qui structure l’inconscient, défini par Lacan comme « un savoir
ignoré par le sujet » (Lacan, 1973), dont la manifestation est toujours symptomatique et
partielle à partir des rêves, les lapsus du langage, les actes manqués ou les confusions
des paroles quand le sujet parle.
Malgré l’importance du signifiant dans la constitution du sujet, toujours définit comme
le sujet de l’inconscient ou sujet barré par les effets du langage, la psychanalyse ne
soutient pas que le langage et, par extension, la langue sont des systèmes totalisants
renfermés sur eux-mêmes. Comme je l’ai déjà noté, la réalité symbolique permis par le
langage s’articule selon des ordres discursifs et leur régulation de la réalité sociale, ce
qui implique que le signifiant comme élément principale du phénomène linguiste est

techniques de Freud 1953-1954. Paris, Le Seuil, 1975a. À son tour, le lien entre signifiant est désir est
aussi présent dans Lacan, Jacques : « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient
freudien » in Écrits. Paris, Le Seuil, 1966, pages 793-828.
2
La notion de chaîne signifiante provient, sans doute, de la linguistique élaborée par Ferdinand de
Saussure, qui développe une conception du langage comme une sérialisation où chaque élément est
imbriqué avec l’autre, ce qui comporte une notion du phénomène linguistique comme un codage de
signifiants. Néanmoins, la notion lacanienne de la chaîne signifiante comme élément propre du
Symbolique ne se réduit pas à ce discours, mais il implique au même temps la présence d’une absence
constitutive dans la sérialisation signifiante, voire, le langage est traversé constitutivement par un trou qui
permet l’opération de signification comme telle. Dans ce sens, toute signification se structure selon les
mécanismes de la métaphore et de la métonymie, dynamiques qui supposent qu’il n’y a pas de lien
nécessaire entre signifiant et signifié, mais il est toujours dépendent de l’usage qu’on en fait. Pour un
majeur approfondissement en ses remarques, voire Saussure, Ferdinand : Cours de linguistique générale.
Paris : Payot, 1979 (1922) ; Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre I. Paris, Le Seuil,
1975a ; Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre XI : Les quatre concepts fondamentaux
de la psychanalyse 1964. Paris : Le Seuil, 1973 ; Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre
XVII : L’envers de la psychanalyse 1969-1970. Paris : Le Seuil, 1991, et Lacan, Jacques : « La
signification du phallus » dans Écrits. Paris : Le Seuil, 1966, pages 685-696.
indissociable de sa dimension pragmatique et même performative. À cause de cette
remarque, donc, l’accusation dirigée contre la psychanalyse qui l’assimile au
structuralisme, présente dans des philosophes comme Judith Butler ou Rosi Braidotti 3,
est le résultat d’une lecture assez partisane et partielle qui ignore la succession des
réélaborations du corpus lacanien en ce qui concerne la dimension du signifiant. En
effet, Lacan s’est toujours séparé du structuralisme, même dans le commencement de
ses séminaires, élément oublié par beaucoup des voies contraires ou réticentes à la
psychanalyse. Le premier signe de cette séparation se trouve dans une question
récupérée par Lacan de l’héritage hégélien : le langage suppose la mort de la chose
comme réalité en soi-même, voire, la disparition de tout référent pré-linguistique, ce qui
comporte qu’il n’y pas du monde sans une médiation. Tout langage, donc, se trouve
traversé par une négativité constituante, un trou qui rend (partiellement) inaccessible ce
qui échappe au signifiant et son fonctionnement. Cette remarque était déjà présente dans
le premier séminaire de Lacan quand il introduisait le signifiant comme un symbole :
« Car c’est en tant que le symbole permet cette inversion, c’est-à-dire, annule la chose
existante, qu’il ouvre le monde de la négativité, lequel constitue à la fois le discours du
sujet humain et la réalité de son monde en tant qu’humain » (Lacan, 1975a : 271).
Or, on pourrait répliquer que cette citation appartient à une période de l’enseignement
du Lacan immédiatement postérieur à son célèbre « discours de Rome » (Lacan, 1953),
où il y avait une influence assez patente de la notion heideggerienne du langage comme
une ouverture d’un monde commun. Le distancement du heideggerienisme viendra par
l’altérité implicite dans le fait que le sujet, en tant que sujet parlant, est introduit dans le
langage par l’Autre, remarque présente dans l’expression « langue maternelle ». C’est
cette langue qui structure la réalité signifiante du sujet, gouverné par une dynamique
métonymique entre désir et manque, étant donné que la possibilité de trouver un objet
qui satisfait le désir est impossible, pure rêverie niée par le Réel 4. La langue, dans
3
En ce qui concerne Judith Butler, dès son premier ouvrage, Gender Trouble : Feminism and the
Subversion of Identity (1990), elle attribue une dimension transcendante au Symbolique comme structure
a-historique et indépendante du sujet, ce qui l’assimile à une conception kantienne des structures
transcendantales du sujet, séparées de tout élément pragmatique. En plus, suivant Foucault, elle dénonce
une hypostase de la réalité sociale sous les catégories symboliques, lesquelles, par contre, sont les propres
du signifiant. La source de cette erreur se trouve dans la tentative de réduire le corpus lacanien aux
stratégies de type historiciste et nominaliste qui se dérivent de l’œuvre de Foucault, où la réalité
subjective est toujours réduite à une positivisation discursive selon le couple pouvoir-savoir, question qui
devient patente dans son bouquin The Psychic Life of Power. Theories in Subjection (1997a). Voire
Butler, Judith : Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity. New York : Routledge, 1990 ;
Bodies that Matter : On the Discursive Limits of Sex. New York : Routledge, 1993 ; The Psychic Life of
Power. Theories in Subjection. Stanford : Stanford University Press, 1997a, et Undoing Gender. New
York : Routledge, 2004a.
4
Le rapport entre sujet et signifiant, élément fondamental du nommé « retour à Freud » réalisé par Lacan,
se structure à partir des trois registres, lesquels conforment une topique. D’abord, il y a l’Imaginaire,
élément gouverné par la fascination des images, lesquelles s’enracinent dans les identifications égotiques
à l’autre semblant, ce qui implique la dialectique propre à la reconnaissance. Dans l’Imaginaire, le sujet
est capable de se proportionner un corps en tant qu’image qui va hors de soi-même, voire, spéculaire, qui
structure le corps-imaginaire, base pour le moi et les opérations narcissiques liées à ceci. Le deuxième
registre est le Symbolique, où le signifiant, dépourvu de toute référence pré-discursive, forme une chaîne
sérialisée qui coupe toute correspondance déterminée entre signifiant et signifié, car toute opération de
signification dépend d’opérations métaphoriques et métonymiques. Dans ce plan s’exerce l’effet de
castration, perte originale d’une jouissance mythique et complète, selon la Loi, principe régulateur des
l’assujettissement qu’elle exerce sur le sujet, suppose une impasse structurelle et
indélébile sur chacun de nous : on se trouve soustrait à n’importe quelque impératif
instinctuel, ce qui implique que chaque sujet doit trouver son chemin face à la batterie
des signifiants déjà configurée par l’Autre.
Néanmoins, ce qui a été aspiré par la négativité propre au signifiant dans la création
d’un monde ne disparaît pas selon une dynamique synthétique. L’Aufhebung remarqué
par Hegel devient impuissante, ce qui suppose que le Réel, comme registre de la
suspension du sens, revient de façon traumatique, signalant le trou qui traverse le sujet,
habitant dans un corps grâce à l’effet du signifiant sur l’organisme. En effet, l’affect
primordial de ce qui revient du Réel hors-sens est l’angoisse, affect qui ne ment jamais
dans son irruption (Soler, 2011).
On pourrait, cependant, diriger une objection à ce discours : est-ce que cette
configuration de l’inconscient ne s’assimile pas à un formalisme de type cartésien, lié à
la figure du cogito, lequel se trouve séparé du corps ? D’abord, pour répondre à cette
question, il faut mettre en évidence un élément assez critiques de la psychanalyse ont
oublié : l’hypothèse sur l’inconscient ne se réduit pas simplement à l’effet du langage
sur le sujet, mais elle s’enracine aussi dans le corps comme lieu symptomatique par
excellence, ce que Freud a découvert à partir d’une des formes de névrose typiquement
corporelle : l’hystérie. L’inconscient, donc, sans se réduire à une pure « causalité »
somatique, ne peut pas être séparé du corps, ce qui a amené Lacan, à la fin de son
corpus, à une nouvelle relation entre sujet et langue qui s’exprime avec le néologisme
lalangue (Lacan, 1975b). Il faudrait même ajouter une autre remarque par rapport à
l’inconscient, élément qui différentie le discours analytique du discours universitaire 5
ordres sociaux. Le troisième registre est le Réel, élément qui se réfère à la négativité résultante de tout
principe de constitution de la réalité à partir des créations imaginaires et symboliques qui départent des
processus fantasmatiques et des identifications qui recouvrent le manque-a-être infligé par le langage.
Mais, au même temps, le Réel désigne le surplus que l’effet du langage incarne sur le corps, nommé par
Lacan comme la jouissance, élément qui indique la liaison entre langage et corps morcelé par le
signifiant, ce qui implique que le corps, en tant que réel, est corps pulsionnel, c’est-à-dire, substance
jouissante. Ces trois registres se trouvent noués structuralement dans chaque sujet à partir d’une figure
importée de la topologie : le nœud borroméen. Une approche assez systématique à cette question, élément
capitale pour la clinique et la diagnose différentielle, peut être trouvée dans les ouvrages que je consigne :
Julien, Philippe : Pour lire Lacan. Le retour à Freud. Paris : Le Seuil, 1984 ; Morel, Geneviève :
Ambiguïtés Sexuelles. Sexuation et Psychose. Paris : Economica, 2000 ; Soler, Colette : Lacan,
l’inconscient réinventé. Paris : Presses Universitaires de France, 2009, et González, Ana Cecilia : Lacan y
el pensamiento contemporáneo. Usos y estatutos del cuerpo (2013, non publiée).
5
Lacan, dans les années 1970, a réarticulé le rapport entre signifiant et ordre social à partir de son
définition de discours, laquelle diffère de façon importante de l’acception foucauldienne. Le discours
s’articule à partir de quatre éléments qui changent selon les modalités discursives qui ordonnent la réalité
sociale : le signifiant maître, qui désigne les components hégémoniques dans chaque moment historique
et qui impacte dans les formations de l’inconscient ; le sujet, lieu de la vérité de chaque époque ; le savoir
insu de l’inconscient, mobilisé par le signifiant maître, et la production et régulation des formes de
jouissance. Dans chaque discours, il y a – au minimum – deux éléments impliqués, dont la distribution est
toujours asymétrique. L’asymétrie discursive implique qu’il n’y a pas d’homogénéisation possible dans
les liens sociaux, question liée à la disparité de jouissances entre les sujets et l’aphorisme formulé par
Lacan dans son séminaire Encore (1975b) : « Il n’y a pas de rapport sexuel qui puisse s’écrire », voire,
l’union – selon une complémentarité - entre les sujets sexués est structuralement impossible. Cette
question suppose l’absence d’une logique identitaire parmi les sujets impliqués dans les quatre discours
énoncés et analysés par Lacan : le discours du maître, le discours universitaire, le discours de l’hystérique
et le discours de l’analyste. On peut trouver un développement de cette question dans Lacan, Jacques : Le
sur le sujet : l’inconscient subverti le principe de causalité selon ses manifestations
symptomatiques de type rétroactif, la modalité après-coup qui structure son
fonctionnement (González, 2013). Par conséquence, la dimension inconsciente se réfère
à une indétermination entre cause et effet, un point de suspension qui situe le sujet dans
un doute sans cesse, c’est-à-dire, un pas-savoir semblant au cogito cartésien, malgré la
confiance que Descartes avait en la toute-puissance d’un Grand Autre : le langage
comme pure transparence pour la conscience, stratégie vouée à proportionner une
certitude épistémologique.
La structure logique de l’inconscient et du sujet lié à lui a des conséquences immenses :
le sujet n’est jamais réduit aux identifications proportionnées par n’importe quel ordre
social, mais il y a dans lui doute sans cesse, dont le témoin du névrosé n’est une
vérification qui contraste avec la certitude propre à la psychose et sa structuration
délirante, résultat d’une adhésion à l’Autre sans médiation, voire, sans castration.
Pour souligner encore plus la liaison entre langage et corps, le discours analytique
soutient que le corps – bien que dans la psychanalyse le corps se décline selon
l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel, ce qui implique une plurivocité de ses statuts –
devient tel grâce à être traversé et coupé par le signifiant, ce qui introduit une différence
entre l’organisme, objet d’étude des sciences médicales et biologiques, et le corps.
Quelles sont les implications de cette distinction ? Au début, le sujet ne naît pas avec un
corps, mais il doit le faire, élément qui s’adhère à la dimension imaginaire et le
surgissement du « moi », principe qui ordonne la désagrégation qui gouverne
l’entourage du sujet avant que la dimension égotique n’est pas constituée. Dans ce
procès, lequel se produit souvent entre les six et les dix-huit mois de vie, l’impact du
signifiant suppose la conformation de la corporalité comme image projeté par rapport au
regard de l’Autre. Ainsi, habiter dans le langage, particularisé dans chaque langue,
implique être en contact avec une altérité qui se trouve déjà dans le fait que l’image de
lui-même n’est pas accessible au sujet. Elle demande d’un autre semblant, un autre avec
qui on peut s’identifier. Cet élément met en fonctionnement la dialectique de la
reconnaissance, dont la caractéristique primordiale repose dans le fait qu’on ne peut pas
être sans un autre dans lequel je me reflète et, au même temps, je m’y perds :
L’homme prend vue de ce reflet du point de vue de l’autre. Il est autre pour lui-même.
C’est ce qui vous donne l’illusion que la conscience est transparente à soi-même. Dans
le reflet, nous n’y sommes pas, nous sommes dans la conscience de l’autre, pour
apercevoir le reflet (Lacan, 1978 : 156).

Cette fascination pour l’image de soi-même, dont le retour est reflet spéculaire du
regard désirant de l’Autre avec qui, grâce à la parole, on peut être lié passionnément, a
un revers agressif, question soulignée par Hegel dans la dialectique du maître et
l’esclave. Un revers où l’altérité devient menace et causant du manque, ce qui implique
que, imaginairement, le rapport avec l’altérité est dyadique : ou toi ou moi. Malgré tout,
séminaire de Jacques Lacan. Livre XVII. Paris : Le Seuil, 1991 ; Zafiropoulos, Marko : Dicen que dijeron
de lo social… Freud y Lacan. 5 ensayos de antropología psicoanalítica. Barcelona : Ediciones S & P,
2012 ; Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre XX : Encore 1972-1973. Paris : Le Seuil,
1975b.
le signifiant ne se réduit pas à la dimension imaginaire. Le Symbolique, et, plus
spécifiquement, la métaphore paternelle, châtre le sujet et établit une limite à la
jouissance. Le signifiant, donc, devient symbole avec une double fonction : il réunit et
sépare, infligeant une perte de la jouissance mythique, dont tout essai de la récupérer est
vouée à un échec. Or, le racisme et la xénophobie, avec sa détestation d’un Autre
obscène leurs volent la jouissance d’une communauté, sont deux récréations possibles
face à l’impasse que le sujet se trouve confronté. Dans sa fonction symbolique, le
signifiant ordonne la réalité et configure un univers dont les matérialisations historiques,
toujours contingentes, se construisent selon les usages réglés du langage.
Tout ce que je viens d’évoquer jusqu’ici sur le lien entre sujet et langage se réfère à une
structure qui, étant donnée son altérité constitutive, crée une union avec l’Autre,
semblant et étrange au même temps, remarque que Derrida avait développé dans son
critique au solipsisme phénoménologique d’Husserl (Derrida, 1967). Toutefois, j’ai
évoqué dans certains passages un concept fondamental propre au corpus lacanien qui
incarne le shibboleth entre le discours philosophique et la psychanalyse en ce qui
concerne les dimensions de la langue et du langage : la jouissance.
Si on reprend le fait que chacun se trouve introduit dans la langue maternelle grâce à la
parole, dans ce processus il y a quelque chose de plus qui déborde le signifiant : la voix.
Tandis que la linguistique s’approche à la voix comme phonème, c’est-à-dire, comme
expression infime de signification, la psychanalyse signale un élément qui déborde le
registre propre du discours cerné par le savoir, un surplus qui excède le domaine
proprement symbolique6. Ce statut énigmatique est analysé par Mladen Dolar dans son
ouvrage A Voice and Nothing More (2006) dans des termes qui renvoient à la notion
freudienne de la pulsion, articulée comme frontière entre biologie et culture : « La voix
suppose un court-circuit entre la nature et la culture, entre la physiologie et la structure ;
sa nature commune est mystérieusement devenue sens tout court » (Dolar, 2006 : 26)7.
Suivant cette approche, bien que la voix émerge d’abord comme un produit
physiologique émit par l’appareil buccal, elle va au-delà de ce registre grâce à son union
avec le signifiant. Dans ce nœud, la voix n’est pas purement un son qui sort de la glotte,
mais elle n’est pas un simple élément linguistique. Ainsi, la voix acquiert une situation
6
La définition de la jouissance comme un surplus à ses origines dans la définition marxienne du surplus
comme excédent produit au sein du marché capitaliste, réintroduit dans la chaîne de production pour
maintenir son fonctionnement. Par rapport à cette question, Lacan, dans les années 1970, laisse de côté la
considération de la jouissance comme élément interdit au-delà de la Loi symbolique – considération qui
est assez proche à l’érotisme de Georges Bataille –. Il offre une nouvelle perspective sur le signifiant qui
ne se réduit pas à la castration, mais englobe aussi le fait que, dans le rapport entre le corps et le langage,
il y a quelque chose de plus qui excède la chaîne signifiante. Dans ce sens, la jouissance devient un
supplément obtenu grâce au signifiant, élaboré comme un plus-de-jouir qui est régulé et produit dans les
ordres sociales. Sur cette question, voire Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre XVII.
Paris : Le Seuil, 1991 ; Lacan, Jacques : Le séminaire de Jacques Lacan. Livre XX. Paris : Le Seuil,
1975b ; Butler, Judith ; Ernesto Laclau et Slavoj Zizek : Hegemony, Contingency, Universality.
Contemporary Dialogues in the Left. Londres/New York : Verso, 2000 ; Stavrakakis, Yannis : The
Lacanian Left. Theory, Politics, and Psychoanalysis. Edinburgh : Edinburgh University Press, 2007, and
Soler, Colette : Les affects lacaniens. Paris : Presses Universitaires de France, 2011.
7
“The voice presents a short circuit between nature and culture, between physiology and structure; its
vulgar nature is mysteriously transubstantiated into meaning tout court” (Dolar, 2006: 26). C’est moi qui
traduis.
« entre-deux », ce qui lui permet de percer le schéma symbolique, introduisant une
négativité irréductible. L’ancrage de cette négativité se trouve dans le couplage entre le
langage et le corps, opération qui produit un reste, un excès qui déborde la batterie des
signifiants et dépasse la dimension biologique du corps : la jouissance. C’est le réel de
la jouissance qui permet à Lacan de réarticuler la relation entre le sujet, le langage et le
corps.
Selon une décomposition des mots qui part des jeux linguistiques permis par
l’homophonie, Lacan signale les suivantes questions : le sujet « jouit » - ce qui se lie
avec la dimension invoquante de la pulsion8 - du « sens », voire, « joui-ssance ». Le
langage, donc, n’est pas seulement principe qui impose une limite à la jouissance, mais
il la permet au même temps, ce qui se manifeste dans le trou du Réel comme le reste
impossible à symboliser dont on n’a que des traces. Dans ce registre, le corps déborde
l’image spéculaire et les pratiques discursives qui l’ordonnent et régulent, émergeant
comme une troisième substance qui défait le binarisme entre res cogitans et res
extensa : la substance jouissante : « Qu’est-ce que c’est que la jouissance ? Elle se
réduit ici à n’être qu’une instance négative. La jouissance, c’est ce qui ne sert à rien »
(Lacan, 1975b : 10).
La voix, donc, est une des traces qui excède le signifiant avec l’introduction du plus-de-
jouir (Lacan, 1991), lequel, bien que signale des objets particuliers qui entourent le sujet
en-corps, ne se réduise pas à eux. La jouissance est l’élément qui, ne se produisant
qu’avec le signifiant, permet une ré-articulation de l’inconscient, signale la portion qui
déborde le chiffrage symbolique. C’est ainsi que le rapport entre sujet et langage n’est
pas seulement ancré dans le Symbolique, mais il y a un nœud singulier de chaque sujet
avec la langue, question qui s’initie avec la voix de l’Autre, objet de la jouissance de la
pulsion invoquante. En résultat, Lacan a défait des anciennes thèses sur une supposé
« parole pleine » qui permettait l’ouverture du monde et, en revanche, la jouissance
acquiert un statut capital comme élément qui nie la possibilité d’une totalité au niveau
de la chaîne signifiante, vouant vers le réel de la langue. Cette dimension réelle se
trouve déjà dans les premiers balbutiements que le sujet fait, le babillage du bébé. C’est

8
Freud avait déjà analysé la sexualité humaine à partir de la structure partielle de la pulsion, dont
l’emplacement est toujours frontalier (anus, bouche, urètre, lèvres vaginaux), ce qui implique que
l’énergie libidineuse propre aux pulsions ne dépende pas d’aucun instinct préétablit, mais est résultat de
l’effet du signifiant sur le corps. En ce qui concerne Lacan, dans son analyse de l’objet pulsionnel, a
articulé son structure paradoxale : d’abord, l’objet pulsionnel est résultat de l’opération de castration et la
perte qu’elle inflige au corps vivant. Ensuite, la pulsion poursuit tout le temps quelque élément qui puisse
la satisfaire, liée au corps, malgré l’autonomie que la pulsion a par rapport aux lois anatomiques et au
fonctionnement de l’organisme. Ainsi, l’objet de la pulsion n’est pas donné au commencement, mais le
sujet doit le chercher, ce qui redouble le manque de correspondance nécessaire entre signifiant et signifié.
Par conséquence, la pulsion est toujours partielle parce que l’objet n’est disponible que morcelé, c’est-à-
dire, recouvert par des fantaisies qui le situent dans un cadrage signifiant. Dans ce sens, Lacan a élargi le
domaine pulsionnel, remarquant les bordes des oreilles (pulsion invoquante) et les paupières (pulsion
scopique). Sur cette question, je renvoie à Freud, Sigmund : Tres ensayos de una teoría sexual (1905)
dans le volume VII de « Obras Completas de Sigmund Freud », et aussi Pulsión y destinos de pulsión
(1915) dans le volume XIV de « Obras Completas de Sigmund Freud », traduction de López Ballesteros.
Buenos Aires : Amorrortu, 1978. En ce qui concerne Lacan, je renvoie à Lacan, Jacques : Le séminaire
de Jacques Lacan. Livre XI. Paris : Le Seuil, 1973.
le niveau de jouissance qui échappe au savoir et les taxonomies au tour du signifiant et
ses usages encadrés dans l’Autre social.
Simultanément, dans les balbutiements enfantins apparaissent un component crucial :
dirigeant la demande à l’Autre, le sujet trouve sa jouissance, un débordement au-delà de
la signification et de tout message encadré dans la communication. C’est-à-dire,
lalangue. Dolar résume cet élément de forme très précise : « Lalangue signifie qu’il y a
de la jouissance dans la parole et pas dans un objet interdit qui serait au-delà du langage,
étant donné que chaque sens est toujours jouis-sens, le sens jouis ; autrement dit :
l’élément de la jouissance dans la production même du sens » (Dolar, op. cit. : 145)9.
Ainsi, modifiant la perspective au tour de la jouissance selon la Chose freudienne ou
Dans Ding, interdite par la Loi – élément souligné par Lacan dans le séminaire dédié à
l’éthique de la psychanalyse (Lacan, 1986) –, lalangue signale la prolifération de la
jouissance à cause de l’excès produit par le signifiant : « La batterie signifiante de
lalangue ne fournit que la chiffre du sens. Chaque mot y prend son sens selon le
contexte une gamme énorme, disparate, de sens, sens dont l’hétéroclite s’atteste souvent
au dictionnaire » (Lacan, 2001 : 516).
En conséquence, l’inconscient n’est seulement ce qui fait chiffre, mais contient au
même temps une dit-mention réelle. De cette façon, le rapport entre jouissance et
langage dans chaque langue implique chacun parle avec son corps :
C’est le réel qui permet de dénouer effectivement ce dont le symptôme consiste, à
savoir un nœud de signifiants. Nouer et dénouer n’étant pas ici de métaphores, mais
bien à prendre comme ces nœuds qui se construisent réellement à faire chaîne de la
matière signifiante. Car ces chaînes ne sont pas de sens, mais de jouis-sens, à écrire
comme vous voulez conformément à l’équivoque qui fait la loi du signifiant (Lacan, op.
cit. : 516-517).

Ainsi, le corps et ses bordes pulsionnelles deviennent ce que l’écriture recouvre et ex-
crit, élément développé par Jean-Luc Nancy dans Corpus (1990). Le statut de la lettre,
liée à la jouissance produite par le signifiant, est le littorale qui réduit la substance
jouissante, voire, le corps : « La lettre n’est-elle pas… littorale plus proprement, soit
figurant qu’un domaine tout entier fait pour l’autre frontière, de ce qu’ils sont étrangers,
jusqu’à n’être pas réciproques ? » (Lacan, op. cit. : 14). Corps et langage, bien qu’ils ne
sont pas une même configuration, surtout parce que le corps se décline du côté de
l’avoir et pas de l’être, provoquant une inquiétante étrangeté au sujet, étant donné le
vide infranchissable entre le sujet et le corps, ce qui Jean-Luc Nancy développait dans
L’intrus (2000), s’unissent dans la production du sens.
La psychanalyse, donc, n’est pas spécialement intéressée par les usages et statuts que le
savoir confère aux langues dans ses diverses modalités, mais elle se réfère plutôt à ce
que Lacan a nommé comme linguisterie (1975b), c’est-à-dire, les enjeux du sujet avec
la langue, question patente dans la clinique grâce à l’association libre comme
9
« Lalangue means that there is enjoyment in speech, not the proscribed object beyond it, that every
sense is always jouis-sens, le sens joui; in another pun: the element of enjoyment in the very process of
making sense » (Dolar, op. cit.: 145). C’est moi qui traduit.
méthodologie d’écoute. Cette modalité d’écoute permet d’affleurer le(s) symptôme(s) 10
selon lesquels chacun essaie de s’approprier des signifiants offerts par l’Autre et que, au
même temps, se trouvent à la base de tout lien social. On n’est pas dans la sphère des
usages orthodoxes structurés selon le discours universitaire, dont le désir de savoir
cache la jouissance sous la figure de l’expert, mais c’est le royaume de l’hétérodoxie où
chaque sujet « construit » son symptôme, pas comme un indicateur d’une pathologie,
mais comme une réponse singulière front au réel du sexe et de la mort :
Il n'y a pas de sujet sans symptôme, ce qui implique que le symptôme, loin d'être un
désordre, une perturbation, est aussi une solution. Disons, sans paradoxe, que chacun est
adapté par son symptôme. Adapté à quoi ? Pas aux normes du discours, car, par rapport
à elles, il apparaît en effet plutôt comme un désordre objecteur individuel des
régulations du discours. Mais il est adapté à une donnée de structure qui résulte de
l'inconscient, qui se met au jour dans l'analyse même, que Lacan a appelé le réel propre
à l'inconscient et qui se formule: «Il n'y a pas de rapport sexuel » (Soler, 2011: 41-42).

De cette manière, dans les liens sociaux que le langage permet de construire, lesquels se
réfèrent à aux vicissitudes historiques qui s’encadrent localement, chaque discours crée
des assortis-désassortis, voire, des unions toujours différentielles et même asymétriques.
Mais quelles sont les conséquences que cette configuration suppose dans la relation du
sujet avec sa langue ?
D’abord, les emplois symboliques ne signalent aucune forme de téléologie, il n’y a pas,
donc, une primatie de l’intention communicative, mains une réalité jouissante dans
laquelle l’intersubjectivité comme un monde partagé de forme comparable est une pure
fantaisie imaginaire que voile l’équivoque comme principe de signification. Freud
(1919) et Derrida (1967c) se sont référés à cette question, analysant l’homonymie et
l’homophonie comme deux éléments présents dans l’automatisme de la chaîne
signifiante, ainsi que dans les lapsus du langage du sujet, bien que Derrida absolutise
une dimension symbolique à partir d’une différance qui recouvre le Réel, sans le
considérer dans sa spécificité dans l’être différé de l’écriture.
Ensuite, il y a aussi les toujours complexes relations dans les cohabitations des
différentes langues, ce qui impliquent différentes formes de jouissance, dans un même
territoire. Il y a toujours un élément énigmatique dans l’écoute d’une langue qui se
présente comme inconnue, étrangère. Une langue qui, étant étrangère, se trouve exclue
des identifications régulatrices et productrices des jouissances dans une collectivité,

10
La notion du symptôme, formulé premièrement par Freud, est un des concepts basiques de la
psychanalyse. Tandis que la psychologie et la psychiatrie conçoivent le symptôme comme une
perturbation par rapport aux discours et ses normes, la psychanalyse signale que le symptôme est la
modalité à partir de laquelle le sujet élabore sa jouissance, ce qui implique que, dès une perspective
analytique, la normalité est une notion absente dans la subjectivité. La définition du symptôme n’est pas
homogène dans le corpus lacanien, mais elle est réélaborée progressivement. Dans les versions plus
tardives, Lacan signale que le symptôme est la réponse subjective et singulière au manque de proportion
entre les sexes, voire, face à l’impasse qui confronte l’inconscient puisque il n’y pas de rapport, de
mesure entre les sexes et la différence sexuelle. Chaque sujet, donc, doit inventer sa propre solution. Je
renvoie à Morel, Geneviève : Ambiguïtés sexuelles. Paris, Economica, 2000, et Gherovici, Patricia :
Please Select Your Gender. From the Invention of Hysteria to the Democratization of Transgenderism.
New York: Routledge, 2010.
lesquelles ont comme envers, au moins dans la logique phallique, la ségrégation 11. Il
faut simplement réfléchir sur un des emblèmes plus célèbres du racisme et la
xénophobie : le manque de compréhension de ce que dit l’autre comme fantaisie sur son
existence menaçante, à ce qu’on ajoute très fréquemment une jouissance obscène,
perturbateur d’une supposé plénitude qui précédait son irruption. Celle-ci est une
fantaisie de ségrégation qui prétend signaler à l’autre comme le voleur de la jouissance,
voilant la perte que la castration inflige sur le sujet. Un exemple de ce comportement se
trouve dans la dénonce du nationalisme espagnol et sa dénonce contre la présence du
catalan dans les écoles de la Catalogne comme langue véhiculaire, lui imputant un
obstacle face au bilinguisme « réel ». Bref : il n’y a pas d’identification national sans
son revers ségrégationniste. Yannis Stavrakakis exprime cette idée de manière
clairvoyante :
La haine nationaliste peut être exprimée, donc, comme la façon selon laquelle les
sociétés ou les groupes sociaux essaient de se débrouiller avec leur manque de
jouissance, attribuant ce manque, cette impossibilité structurelle, aux actions d’une
force externe, l’ennemi extérieur ou l’Autre, imaginé comme quelqu’un qui jouit plus (à
cause d’avoir volé ce qui est supposé être comme « essentiellement nôtre »
(Stavrakakis, 2007 : 202)12.

Or, la psychanalyse, dans la tension irréductible entre symptôme singulier et discours,


va au-delà des identifications et le figement que peut s’en dériver. Elle souligne que le
sujet, dans son rapport à la lalangue et à la jouissance, ne se réduit pas à ce que chaque
articulation discursive et les disputes qu’il y a dedans crée comme la réalité historique
d’une époque. Le lien avec la langue et le langage suppose que l’être du sujet est
toujours ailleurs, sans chiffrage complet. Un sujet qui jouit du sens et, dans certains cas,
de ce qui va au-delà de la régulation phallique autour du sens, le pas-tout. Une

11
Dans le séminaire Encore (1975b) la différence sexuelle n’est pas attribuée aux différences purement
symboliques ou imaginaires – ce qui serait propre aux identifications – mais à une question logique,
voire, réelle, par rapport au rôle du phallus ou fonction phallique pour chaque sujet. Ainsi, la fonction
phallique comme principe de castration est présente dans tous les sujets – au moins dans la névrose et la
perversion –, mais pas de manière identique. Pour ces sujets tout concernés par la fonction phallique,
étant la castration un principe universel qui forme un groupe, ils se placent dans une position masculine
en ce que concerne leur jouissance. C’est la modalité propre à l’ensemble logique. En fait, dans
l’élaboration d’un groupe, il faut qu’il y ait au moins un de ses membres exclus, ce qui permet de créer un
ensemble logique, sans prédiquer des attributs concrets qui doivent avoir tous les sujets membres de cet
ensemble. Le groupe, donc, est configuré à partir d’une forclusion qui expulse ce qui n’est gouverné par
la forme de l’exception. Par contre, il y a aussi une autre possibilité : n’être pas-tout concerné par le
phallus, ce qui se base en une antinomie où l’universel de la castration ne se développe selon une
opération d’exclusion, mais d’indétermination, sans pouvoir fermer l’ensemble. Ceux qui se trouvent dans
cette modalité de jouissance occupent une position féminine, ce qui n’empêche pas qu’il y a des hommes
dans le côté féminin et des femmes dans le côté masculin. Je renvoie à Lacan, Jacques (1975b) : Le
séminaire de Jacques Lacan. Livre XX. Paris : Le Seuil, 1975b ; Copjec, Joan : « Sex and the Euthanasia
of the Reason » dans Read My Desire: Lacan Against the Historicists. Cambridge: MIT Press, 1994,
pages 200-233, and Cevasco, Rithée: La discordancia de los sexos. Perspectivas psicoanalíticas para un
debate actual. Barcelona: Ediciones S&P, 2010.
12
« Nationalism hatred can be explained, then, as a way societies or social groups attempt to deal with
their lack of enjoyment, attributing this lack, this structural impossibility, to the action of an external
force, the national enemy or the Other, who is fantasied as enjoying more (having stolen what is thought
to have been “essentially ours” » (Stravakakis, 2007: 202). C’est moi qui traduit.
jouissance qui s’articule comme limite au savoir, sans se plier à aucune détermination
concrète.

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